Bref Aéro 382 Mai/juin 2020

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BREF

Mai/juin 2020 • N° 382

AÉRO

ÉDITO

Sommaire Actualité L’après COVID-19 de la filière aéronautique Emploi : une priorité absolue!

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Vie des entreprises

Covid-19 et aéronautique civile : vers un été meurtrier ?

C’est dans l’air Une journée en enfer

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POUR VOUS AVEC VOUS

PARTOUT

Plan de relance de l’aéronautique : doute et détermination ? L’euphorie et le tournis des chiffres passés (combien de 0 après le 15 ?), l’autosatisfaction d’un plan de relance de l’aéronautique imposant, il est temps de le regarder plus finement. En vérité sur les 15 Md€ annoncés, ce sont un peu moins de 3 Md€ d’aides directes qui irradieront la filière. Le reste ? Un soutien à Air France, et des aides à l’export pour les compagnies clientes. Dans un monde où l’offre est aussi importante que la demande, c’est bien sur ces deux sujets qu’il fallait agir, car, il n’y a tout simplement pas d’Entreprise sans client : f agir sur la demande : inciter les compagnies aériennes à commander des avions neufs ; f agir sur l’offre (3 Md€ sur les 15 Md€) : aider les entreprises à passer le gué et à amorcer l’indispensable transition énergétique. Le transport aérien ne représente qu’un peu plus de 2 % des émissions de CO2. Il est devenu, en un temps record, l’ennemi public numéro 1 des défenseurs de la planète. À tel point, d’ailleurs, que la crise COVID-19 est apparue chez certains comme une gigantesque opportunité de l’achever. Heureusement, il n’en sera rien. La transition énergétique est indispensable, mais n’oublions surtout pas le terme « transition ». Ne l’oublions pas, car il rappelle que le fameux monde d’après n’est pas pour fin 2020. Comment le pourrait-il ? C’est à ce moment même qu’il est bon de rappeler que s’il n’y a pas d’entreprises sans client, il n’y a pas d’entreprise sans salariés. Et pour la CFE-CGC, ce point est bien évidemment capital. C’était tout l’objet du plan de relance de la CFE-CGC publié fin mai. Votre section vous l’a fait parvenir. À défaut, demandez-lui ou cliquez sur PictureExtend pour le voir dans le contenu enrichi de ce Bref Aéro. Ce document nous a grandement servi lors de nos interventions auprès des politiques de tous bords. Lisez-le. Vous vous apercevrez que le plan de relance gouvernemental n’est pas si différent dans les thématiques adressées. C’est un bon point. Ce plan (celui de l’État, pas le nôtre, la CFE-CGC n’apportant pas 15 Md€…) a été salué par l’ensemble des industriels, qui, une fois les louanges passées, sont d’un seul coup redevenus très prudents et incapables de lire l’avenir sur l’éventuelle nécessité de recourir à des plans sociaux. Lors de son allocution, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire déclarait ne pas vouloir être l’idiot du village en se refusant le droit de mettre en place des aides à l’export (ce que tous les États font, y compris les USA). La CFE-CGC pense que des PSE, avec des licenciements secs, lancés dans un contexte où l’État est intervenu avec de l’argent des contribuables, feraient jouer à l’État le rôle d’idiot du village et aux salariés, celui de dindons de la farce. Pour la CFE-CGC, le plan de relance n’est donc pas une finalité, mais un commencement. Nos sections, nos militants vont dans les jours qui suivent constater une inflexion (ou pas) dans les intentions premières des entreprises de lancer des PSE. Ils négocieront, ils challengeront, ils dénonceront si nécessaire avec comme seul objectif : maintenir les salariés dans l’emploi, car un passage par la case chômage dans la France post Covid signifierait un non-retour à l’emploi. Notre credo reste plus que jamais : réussir la transition énergétique, MAIS en gardant tout le monde à bord de l’appareil, c’est-à-dire : préserver l’emploi. Privilégier la Responsabilité Sociale des Entreprises afin qu’aux bénéfices (certes indispensables pour l’investissement) soient mieux associés les salariés par une transformation des méthodes managériales, la recherche du bien-être au travail et la confiance réciproque que se portent employeurs et salariés, seul gage d’une réussite collective. Vous allez me dire : « Ludovic, nous aussi on aimerait aller vivre en Théorie parce qu’en Théorie tout se passe bien ». Le monde d’après : c’est de la théorie. Certes. N’est pas Pierre Desporges qui veut. Permettez-moi cependant d’user d’une autre de ses citations : « La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute ». C’est exactement avec cet état d’esprit que j’écris ces lignes. Le doute que le plan de relance du Gouvernement soit un amortisseur total et suffisant à des problèmes sociaux dans nos entreprises. C’est pour cela qu’au doute, nous allons ajouter une totale Ludovic ANDREVON détermination !

Président de la CFE-CGC AED


Actualité

L’APRÈS COVID-19

DE LA FILIÈRE AÉRONAUTIQUE Supprimer des emplois crée le désastre social. Les adapter permet d’envisager l’avenir tout en protégeant la planète. À la lecture de l’article paru dans Le Monde.fr, en date du 21 avril 2020, titré « Ce n’est pas le moment de soutenir l’aviation coûte que coûte : le Haut Conseil pour le Climat rappelle l’urgence de la transition écologique », la CFE-CGC réagit à ces propos. En effet, si elle partage, comme beaucoup d’acteurs socio-économiques, l’urgence de la transition énergétique, il n’en demeure pas moins qu’elle souhaite rétablir certaines vérités. Avant l’apparition de la COVID-19 et de la crise sanitaire dévastatrice qu’il a générée, s’instaurait dans différents pays une mode dite du « Transport Aerien Bashing ». Il faut dire qu’avec le mouvement dit du « Flygskam » suédois (« honte de prendre l’avion »), et le recul du trafic de 6 % qu’il a engendré dans les 10 premiers aéroports suédois, la question n’était plus « ce genre de mouvement est-il rétrograde ou pas ? ». La question était « cette forme de résistance allait-elle gagner l’Europe ou pas ? ». Le transport aérien pollue et donc il ne faut plus prendre l’avion ! Soyons rassurés, on ne s’interroge pas de la même façon côté Amérique du Nord ou Chine et ce avant longtemps. La COVID-19 a cloué au sol toutes les flottes des compagnies et suspendu tout déplacement aérien. En parallèle, alors que la période de confinement n’est pas encore terminée, des voix se font déjà entendre (Haut Conseil pour le Climat) arguant qu’à la reprise, l’État ne devra investir ses deniers que dans les industries privilégiant la sauvegarde de la planète. À ce titre, on croit comprendre que le soutien, « coûte que coûte », à la filière aéronautique serait jugé peu opportun. Pour la CFE-CGC, ce serait une catastrophe à la vue de ce que pèse l’industrie aéronautique dans le PIB national et dans la balance commerciale. De très nombreux emplois sont en danger grave et imminent !

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Oui, le transport aérien est pollueur, mais un contributeur modéré aux émissions polluantes : 2 % des émissions mondiales de CO2 et seulement 14 % de la filière transport. Oui, l’aéronautique prend sa part dans la lutte contre la pollution. Oui, la CFE-CGC milite pour une planète plus propre. Mais la CFE-CGC milite aussi et surtout pour le maintien des emplois dans la filière. C’est pour cela que la CFE-CGC s’est inscrite pleinement avant la crise dans le projet de transition énergétique lié au transport aérien. Elle s’est inscrite pleinement dans les comités de filières et au Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile. Elle s’y est investie, car préparer dès aujourd’hui les technologies de demain est le meilleur moyen de préparer « la transition des emplois ».

nouveaux chômeurs, et la France, l’Europe seront réduites au rang de spectatrices impuissantes du rebond économique. Et la planète ne sera pas pour autant préservée.

Faudrait-il ralentir, remettre en question les aides étatiques, les initiatives industrielles et privées qui ont déjà permis au transport aérien de diviser par 2 les émissions de CO2 en 30 ans, de réduire par 5 la consommation par passager en 60 ans, mettre en péril les programmes de recherche technologique comme Clean Sky, SESAR, ou le mécanisme de compensation carbone Corsia visant encore plus à poursuivre la diminution des émissions de CO2 et de bruit à horizon 2050 ? Que deviendraient les travaux et recherches engagés vers de nouvelles propulsions (électrique, solaire, hydrogène) pour en doter des appareils de plus en plus lourds, les biocarburants, l’optimisation de l’aérodynamique, l’allègement des aéronefs avec des matériaux composites et plus légers, l’optimisation des routes aériennes ?

• Un renforcement notable des financements de recherche pour aider l’industrie française et européenne à atteindre la cible de décarbonation de 2050 avant l’heure.

Pour la CFE-CGC, la COVID-19 ne doit rien changer à cette feuille de route et nous resterons mobilisés. Il y a désormais deux solutions : 1) Nous laissons le transport aérien à l’abandon (en Europe et France, car, soyons-en certains, la concurrence bénéficiera de plans de soutiens massifs de la part du gouvernement américain). Les plans sociaux essaimeront dans le pays leurs cortèges de

2) Nous prenons notre destin en main. Comment ? • Une aide massive doit être octroyée aux compagnies aériennes. Cette aide devra, non seulement servir à relancer le trafic, mais aussi inciter les compagnies aériennes à renforcer le renouvellement de leurs flottes avec des appareils de dernière génération. Cela sera d’autant plus nécessaire qu’avec le niveau très faible du prix du pétrole, la tentation sera grande de tirer au maximum profit de l’exploitation d’avions plus consommateurs de carburant.

• Les grands donneurs d’ordre doivent eux-mêmes procéder à des entrées au capital de certains de leurs fournisseurs afin de les soutenir et de s’assurer de la continuité de livraison de pièces indispensables. Cela passera nécessairement par une réorganisation de la supply chain. Mais ne rien faire, c’est accepter la disparition d’entreprises et des emplois et compétences associés. • Les prêts garantis par l’État, ou d’éventuelles entrées au capital doivent absolument être conditionnés à la défense de l’emploi en France. Ainsi, quelles sont les contreparties aujourd’hui d’un prêt garanti à Latécoère ? Aucun ! Quelle garantie l’État a-t-il obtenu des actionnaires de cette entreprise sur l’emploi ? Les partenaires sociaux de Latécoère attendent des réponses. Autre exemple : l’État accorde une aide de 7 Mrds € à Air France pour renouveler une partie de sa flotte avec des avions de dernière génération. Air France se tourne vers des A220 dont la production est au Canada et les moteurs américains. Quelles retombées pour l’emploi en France ? À moins


Actualité qu’Air Canada n’achète des avions de la série A320 pour ses vols intérieurs ? • L’industrie aéronautique étant duale, soutenir le civil passe aussi par le maintien du domaine militaire. Les programmes prévus à la Loi de Programmation Militaire ne doivent en aucun cas être retardés. Ils doivent même être accélérés. L’État, les États, doivent, à ce titre, honorer leurs commandes et leurs programmes d’hélicoptères, de missiles etc. • Quelles que soient les mesures prises, elles ne produiront pas leur effet dans l’immédiat. De manière à aider les entreprises à garder leurs compétences et à les faire évoluer, le maintien de l’activité partielle sur le moyen terme (24 mois ?) est indispensable ! • Une politique de formation accélérée pour préparer la transformation de nos entreprises aux nouvelles technologies. Profitons-en ! La moitié des salariés de la filière sont en activité partielle ! Ce sauvetage nécessitera des moyens financiers puissants. Mais sur le long terme, faut-il mieux soutenir massivement une filière créatrice d’emploi et de valeur (donc de PIB, de balance commerciale, de taxe et d’impôt), ce qui représente un investissement massif, ou la laisser à l’abandon avec des milliers de futurs chômeurs, et les cohortes d’aides sociales associées, ce qui représentera un coût massif. C’est l’éternelle question. Sur le long terme, qu’est-ce qui coutera le plus cher ? L’investissement massif ou le coût massif ? La CFE-CGC veut une planète propre, avec des salariés engagés, passionnés et de préférence — c’est un euphémisme de le penser et de l’écrire —, sans chômeurs. À la question de savoir ce qu’il faut supprimer pour sauver la planète, la CFE-CGC préfère la question de savoir comment adapter les technologies pour y arriver. Supprimer des emplois crée le désastre social. Adapter les emplois, faire appel à l’innovation, au travail, et à l’engagement citoyen permet d’envisager l’avenir. Ludovic ANDREVON Président de la CFE-CGC AED Françoise VALLIN Vice-présidente CFE-CGC AED

EMPLOI : UNE PRIORITÉ ABSOLUE !

el le al lu rg ie (d e la qu La CF E- CG C M ét M IM l’U et e) ronautiqu dépend la filière aé s de ire fa à t an vis ifeste ont signé un man é vit cti une reprise de l’a propositions pour ploi, de préserver l’em e industrielle en vu trie us nd l’i ire et constru les compétences, de demain.

La crise sanitaire est inédite et majeure. La réussite du déconfinement et de la reprise d’activité exige : f le strict respect de conditions sanitaires irréprochables ; f u n dialogue social constructif pour trouver des solutions adaptées. L’activité économique est très sévèrement impactée, mais les situations sont contrastées : f certaines entreprises ont une reprise forte ; f d’autres ont des activités diminuées de façon temporaire pendant la période de crise ; f d’autres, enfin, ont une reprise lente, voire atone. C’est à cette troisième catégorie qu’appartient la majorité des entreprises de notre secteur, le transport aérien risquant de mettre du temps à retrouver son niveau d’avant crise.. PRIORITÉ ABSOLUE : éviter les licenciements économiques et la perte sur le long terme des compétences que les entreprises industrielles avaient du mal à recruter. Ce manifeste demande donc : 1 une activité partielle de longue durée : f un temps de travail réduit pouvant aller jusqu’à 40 % sur une période prolongée au-delà de 2020 ; f une indemnisation partielle de la perte de salaire par l’État et/ou l’UNEDIC. Les modalités seront à définir avec l’État ; f une garantie de préservation d’emploi des salariés concernés pendant au moins la durée des aides.

Au-delà des demandes incluses dans le manifeste de la Métallurgie, votre syndicat CFE-CGC Aéronautique Espace et Défense a rédigé un Livre blanc des mesures à prendre pour la relance propre à notre filière. Cet argumentaire a servi à persuader nos interlocuteurs politiques de la nécessité absolue de soutenir la filière. Vous trouverez ce livre en enrichissement PictureExtend de ce Bref Aéro, ou encore plus

En parallèle, la demande est faite à l’État de poursuivre les mesures exceptionnelles d’Activité Partielle jusqu’à fin 2020. 2 la mise en place d’un dispositif d’aménagement de fin de carrière à discuter avec l’État et l’UNEDIC (comme par exemple les ex ARPE ou ex CASA). Ceci permettrait l’embauche de jeunes (par exemple : 2 départs = 1 embauche). 3 la mise en place d’un dispositif de prêt de main-d’œuvre à organiser par bassin d’emploi, avec un avenant au contrat de travail. 4 de nouvelles modalités de déblocage de l’Épargne Salariale pour soutenir la consommation et la reprise de l’activité économique. 5 mobiliser les fonds du FNE-formation (500M€) en priorité pour les formations nécessaires à la reprise d’activité (santé, sécurité, notamment) et à la relance de l’industrie en ciblant les formations aux métiers en tension, en forte mutation ou avec un fort risque d’obsolescence des compétences. 6

un soutien massif à l’apprentissage par le financement de l’État d’une partie des salaires des alternants, et un soutien aux investissements des Centres de Formation des Apprentis.

Les 6 points évoqués sont les principales demandes faites à l’État pour permettre aux entreprises de la Métallurgie de « faire le dos rond » pendant la crise et d’être en mesure de rebondir. Fabrice NICOUD Secrétaire national Emploi et formation professionnelle CFE-CGC Métallurgie

simplement en le demandant à vos militants CFE-CGC, s’ils ne vous l’ont pas déjà envoyé ! De même, nous mettons à votre disposition le plan de relance de la filière proposé par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, le 9 juin, via PictureExtend, ainsi que nos interventions dans les médias à l’issue de la présentation du Ministre. Ludovic ANDREVON - Président CFE-CGC AED

et

a

agence de communication

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Vie des entreprises

COVID-19 ET AÉRONAUTIQUE CIVILE :

VERS UN ÉTÉ MEURTRIER ?

A

près 65 jours de confinement sanitaire et économique, les entreprises du secteur AED reprennent ou poursuivent leurs activités industrielles. Cette période sans précédent n’est pas sans effets dévastateurs pour le secteur d’activité : baisse de charges, fin de contrats pour les intérimaires et CDD, problèmes de trésorerie des entreprises, éventualité de PSE…. Beaucoup d’interrogations et de stress chez les salariés auxquels doivent faire face vieux marins et jeunes moussaillons que sont les délégués syndicaux CFE-CGC.

DASSAULT AVIATION - 8 800 salariés - 45 % des effectifs en télétravail, dont 91 % de cadres - C hômage partiel activé, accord négocié à 92 % pour toutes les catégories de personnel La crise sanitaire et ses mesures de confinement ont entraîné une fermeture des usines du Groupe en France dès le 18 mars. Ce n’est qu’à partir du 3 avril que certaines catégories de salariés ont pu reprendre le chemin des usines, les autres étant soit en télétravail, soit en chômage partiel. Ce retour progressif s’est étalé sur plusieurs semaines, 35 % des effectifs sur sites fin mai (20 % des collaborateurs en chômage partiel, fin mai).

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« Il a fallu négocier rapidement un accord sur le chômage partiel, on y a laissé des plumes, notamment chez les cadres, mais il fallait trouver une solution globale », confie Bernard Mathieu, délégué syndical central. Avec une dépendance à l’aéronautique civile/d’affaires de 40 %, le Groupe Dassault connaît une baisse de charges qu’il lui est impossible à chiffrer exactement à mi-mai 2020, son PDG souhaitant dans l’immédiat honorer les commandes en cours. « Les activités civiles de Dassault sont plus en difficulté que le militaire, en espérant que la Loi de Programmation Militaire soit maintenue et ses commandes confirmées. Du côté du Bureau d’Études, nous avons plein de projets, il ne devrait pas y avoir de casse. Il va falloir affronter la seconde mi-temps à présent et la sauvegarde de l’emploi dans les activités

Petit tour d’horizon de quelques entreprises parmi nos 200 sections à fin mai 2020 aviation d’affaires va être difficile. Notre principal concurrent Golfstream a d’ores et déjà licencié 700 salariés et Bombardier 2 500 », commente Bernard Mathieu.

REVIMA - Environ 1 000 salariés (y compris intérimaires et CDD) - 15 % des effectifs en télétravail, dont 75 % du personnel administratif - Chômage partiel : 90 % des collaborateurs activité « moteur » ; 40 % des effectifs activité « structure », 40 % des salariés activités « atterrisseur ». Chômage partiel conventionnel. Revima est un MRO (société de maintenance) dont la dépendance à l’aéronautique civile est de l’ordre de 99 %. « Bien que l’activité de


Vie des entreprises production n’ait pas connu d’arrêt pendant la période de confinement, la baisse d’activité est de 20 % dans l’activité “atterrisseur”, et deux tiers dans l’activité “moteur APU”, explique Franck Dirou, délégué syndical de l’entreprise. Nous avons une réunion hebdomadaire avec la Direction qui nous donne une visibilité semaine par semaine. Le travail en “quart” a cessé dans l’activité “moteur” et des transferts de personnel d’une activité vers une autre ont été mis en place. Pour le moment, nous ne pouvons déplorer que les départs des 130 collaborateurs intérimaires et CDD d’ici à l’été. La plus grosse difficulté actuelle de REVIMA, c’est la trésorerie. Tant que le chômage partiel sera pris en charge par l’État, la trésorerie semble stabilisée, malgré les retards de paiement des clients. C’est au-delà que nous rencontrerons des difficultés et que pourrait se poser la question d’un PSE », poursuit Franck Dirou.

AIRBUS GROUP - 1 35 000 salariés dans le monde, 28 000 salariés Airbus Avions en France, 9 000 salariés Airbus Helicopters, 5 800 salariés Airbus Defence&Space, 4 500 chez Stelia - 30 % des effectifs France en télétravail - Chômage partiel : 30 % des effectifs, accord négocié à 92 % pour toutes les catégories de personnel Le confinement et la fermeture des frontières ayant cloué au sol les avions des compagnies aériennes du monde entier, Airbus Group connaît une baisse de charge de 40 % dans sa filiale Avions, soit 1/3 de sa production en moins ! « En avril 2020, 14 avions ont été livrés au lieu de 70 avions en avril 2019, en termes de niveau de production et de cadence, Airbus Avions est revenu au niveau de 2010 (en sortie de crise de 2008/2009), commente Françoise Vallin, coordinatrice Airbus Group. Et nous risquons de plonger encore plus bas car il n’y a pas d’éclaircies à l’horizon ». Des discussions sont en cours avec les compagnies aériennes afin de redéfinir leurs besoins, sécuriser le plus possible le maintien des commandes. Quand Airbus Avions tousse, c’est toute la filière aéronautique qui s’enrhume. Stelia et ATR sont également concernées. Avec une production semblable à celle de 10 ans en arrière, Airbus Avions annonce qu’il sera difficile de conserver le même niveau de collaborateurs. « Il y aura des mesures au niveau du personnel, des mesures d’adaptation des effectifs, les messages de la Direction sont suffisamment clairs, confie Françoise Vallin. Reste à savoir quand se feront les annonces. Pour l’heure, la branche Hélicoptères et la branche Espace-Défense ne sont pas impactées.

Il n’y a pas eu de chutes d’activité et donc pas d’activité partielle. Ces deux activités se doivent d’améliorer leur rentabilité afin de soutenir la filiale Avions et faire rentrer de la trésorerie ».

GROUPE SAFRAN - 95 000 salariés dans le monde, 45 000 salariés en France - 30 % des effectifs en télétravail - Chômage partiel : 50 % des effectifs, ANI 2012 pour les IC et 82 % pour les non-cadres. La crise sanitaire ayant cloué au sol les avions, les avionneurs et les compagnies aériennes ont considérablement réduit leurs besoins, Safran, dont la branche « propulsions » représente 50 % du chiffre d’affaires du Groupe, connaît une baisse globale de son activité de l’ordre de 30 à 40 % selon les activités. « Toutes les filiales ne sont pas impactées de la même façon, confie Patrick Potacsek, coordinateur Safran. Safran Aircraft Engines est très fortement impacté. La crise Boeing du 737 Max (moteurs livrés en 2019, mais non intégralement payés), la réduction de production de moteurs LEAP1B depuis 2020 n’étaient pas déjà sans poser de problèmes à la filiale. Avec les avions cloués au sol, l’activité réparation et entretien est également à l’arrêt. Notre business model est basé sur la recharge et la maintenance de pièces, en complément des livraisons d’un moteur neuf ». Les activités duales civil/militaire du Groupe ne compensent pas les pertes du civil, même si, côté militaire, l’activité continue (défense et sécurité nationale). La filiale Safran ­Helicopter Engines est un peu moins impactée, de même pour Safran Electronics & Defense qui a essentiellement des contrats avec la DGA et la Défense. La Direction de Safran prévoit une baisse de charges de 25 % d’ici à fin 2020. « Une négociation est en cours avec la Direction sur des mesures à mettre en oeuvre afin d’adapter la charge à la capacité jusqu’en 2021 en complément de la poursuite des mesures gouvernementales d’activité partielle que l’on espère maintenues. Tout est mis en oeuvre actuellement pour éviter les licenciements », conclut Patrick Potacsek.

FIGEAC AERO - 1 100 salariés - 10 % des effectifs en télétravail - Chômage partiel : autour de 63 % des effectifs selon les semaines jusqu’en juin. Chômage partiel conventionnel pris en charge par l’État Dès mars 2020, Figeac Aéro (sous-traitant dépendant en grande partie de l’aéronautique civile - Airbus et Boeing) a freiné sa production afin de réduire ses stocks avant même les modifications de bons de commande des

avionneurs. « C’était une bonne stratégie de la part de la Direction, commente Christophe Carmentan, délégué syndical. Pour la bonne santé de la trésorerie, un Prêt Garanti par l’État a été contracté. À l’heure actuelle, le chiffre d’affaires est en baisse de 50 % par rapport à l’exercice précédent ». Fin mai, les projections de charges ne vont pas au-delà de fin août. « Nous attendons les communications officielles des clients pour avoir plus de visibilité, poursuit Christophe Carmentan. Tout peut arriver et c’est une situation très compliquée. Pour le moment, Figeac Aero a rapatrié de la charge qui était en sous-traitance, c’est une première démarche ». Avant la crise Covid-19, l’entreprise avait déjà soldé les contrats intérimaires et CDD pour réduire les coûts. Sans une prise en charge du chômage partiel au-delà du 18 septembre, Figeac Aero ne pourra pas s’en sortir sans prendre de mesures sur l’emploi d’ici la fin de l’année 2020. Se posera également la question de l’apprentissage et des formations internes qui ne vont pas être maintenues dans les 2 ans à venir.

LATÉCOÈRE - 1 600 salariés - 30 % des effectifs en télétravail en moyenne - Chômage partiel : 70 % des effectifs. Chômage partiel conventionnel Latécoère est une usine quasiment à l’arrêt, dépendante à 95 % de l’aéronautique civile. Les commandes engagées avant la crise sanitaire ont été produites et livrées. « Nous présentions une vision à courte vue et la trésorerie de l’entreprise était déjà très faible avant la crise sanitaire, confie Thierry Ynglada, délégué syndical. Nous avions déjà

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Vie des entreprises des plans de restructuration, la crise Covid-19 n’a fait qu’ajouter des problèmes. Le PGE attribué à Latécoère sera vite consommé si les commandes des avionneurs ne rentrent pas. Pour exemple, Embraer a divisé par 2 son carnet de commandes, supprime des emplois en masse au Brésil et ailleurs dans le monde ». Jusqu’alors la Direction de Latécoère ne transmet pas d’informations chiffrées très claires aux partenaires sociaux. « Nous attendons une clarification de la situation, mais je crains de voir arriver les licenciements et cela sera plus difficile à gérer que des départs volontaires. C’est une situation éprouvante pour tous. J’aimerais que nous trouvions de nouveaux outils pour adapter les effectifs à la charge, avec une prise en charge plus longue de la part de l’État du chômage partiel, et ainsi limiter les dégâts vis-à-vis des salariés. Ces derniers préfèreront travailler différemment plutôt que le chômage total », commente Thierry Ynglada.

THALES AVS - 6 200 salariés dont 4 300 personnes dans l’activité aéronautique - 30 % des effectifs Business Line aéronautique en télétravail - Chômage partiel : 75 % des salariés de la branche aéronautique. Chômage partiel jusqu’à décembre 2020 à hauteur de 40 % à 50 % selon les segments. Chômage partiel complété à 92 % du net pour tout le personnel et à 100 % pour les salaires les plus bas.

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Le confinement de mars dernier a fermé tous les sites AVS. Seuls les sites stratégiques pour l’État (sécurité du territoire et militaire) ont rouvert rapidement avec des équipes minimales. Thales AVS, dont l’activité dépend essentiellement des avionneurs civils et de l’activité Support et Services aux les compagnies aériennes, est donc très impacté par l’arrêt de la production et du trafic aérien. « Nous connaissons une baisse de 40 à 50 % de notre activité sur les 6 sites AVS dédiés à la branche aéronautique, témoigne Marie-Hélène Miermont, déléguée syndicale centrale. Les cadences ont été divisées quasiment par 3 sur le deuxième semestre. Avant le confinement, nous avions 1 mois de production d’avance, fin mai nous n’avons parfois plus rien à produire ! Bien sûr, nous sommes inquiets pour l’avenir. Par chance la dualité civil/militaire peut sauver des emplois dans la société et la solidarité Groupe va jouer ». Thales AVS a tablé sur plusieurs scenarii. Dans le scenario où l’activité remonterait trimestre par trimestre : se pose la question de la R&D en plus de la production et des services : que va faire AVS ? « Il n’y aura pas de casse sociale violente, confie la déléguée syndicale centrale. Il est plus question d’adaptation, nous allons pouvoir dialoguer assez sereinement , même si l’inquiétude pour les 2-3 ans à venir est là ». Depuis mi-mai, les modalités de retour des salariés sur les sites sont appliquées. Des mesures sanitaires drastiques ont été discutées et mises en place lors des très nombreux CSEC qui se sont déroulés en amont.

GROUPE DAHER

- 8 000 salariés + 2 000 intérimaires en France, 80 % des effectifs dans la branche aéronautique et défense - 2 3 % des effectifs des fonctions supports en télétravail (soit environ 700 salariés) - Chômage partiel : 25 % des salariés. Accord négocié à 95 % du salaire net jusqu’à avril, puis 90 % du salaire net en mai (sauf IC de la branche Métallurgie à 95 %) , et enfin minimum légal ou conventionnel à partir de juin.

Le Groupe Daher, dont 80 % de l’activité est lié au secteur de l’aéronautique civile, encaisse une baisse de charge à hauteur 35 % auprès d’Airbus et de 25 % dans l’aviation d’affaires, soit une baisse globale de 32 %. Les perspectives d’activité, du fait de cette forte dépendance, demeurent très assujetties à la reprise du trafic aérien. « Ce sont les grands donneurs d’ordre qui donnent le La », commente Marie Delarchand, coordinatrice du Groupe Daher. À échéance fin 2020, l’entreprise prévoit une réduction d’effectif, un PSE est d’ores et déjà prévu sur le second semestre 2020. Il serait question de supprimer 1 700 postes d’intérimaires et 1 300 à 1 500 salariés en CDI, soit une baisse de 35 % des effectifs ! « Toute la difficulté de la situation est qu’il n’y a rien d’officiel, seulement des annonces de la Direction, sans détails. C’est contre-productif et crée beaucoup de stress chez les collaborateurs, poursuit Marie


Vie des entreprises ­ elarchand. Quelque chose va se produire, D mais nous ne savons pas quoi, ce qui est dommageable. Le sacrifice est entendable lorsqu’on sait vers quoi on va. Là, il n’y a pas de cible ». Dans un monde aéronautique qui est plutôt un monde qui va bien d’ordinaire, connaître le déclin est une grande découverte. « Daher va mal, dans un monde qui va mal. Se pose la question du rebond de Daher dans 6 mois ? Comment se restructurera la filière ? Une réflexion globale doit être envisagée afin de minimiser la casse sociale. Un plan social ne peut être envisagé que s’il permet à l’entreprise de rebondir et pas seulement renflouer sa trésorerie », conclut la coordinatrice syndicale.

FERCHAU - 80 salariés - Télétravail pour tous les salariés qui le pouvaient - Chômage partiel : 20 collaborateurs section aviation Assis sur deux activités, l’automobile et l’aviation civile, l’entreprise FERCHAU est spécialisée dans les services d’assistances technique et d’ingénierie. Sous-traitant d’Airbus, l’activité aéronautique de FERCHAU est totalement à l’arrêt depuis début avril. « Tous les projets sont suspendus ou arrêtés, témoigne Daniel Marsalet, délégué syndical. Par chance, le secteur automobile, via notre client Continental, semble reprendre plus vite. FERCHAU tente de relancer la machine afin de passer le cap de la crise ».

MECACHROME

- 2 600 salariés, dont 1 600 en France répartis sur 7 sites - Télétravail : 15 % des effectifs en moyenne depuis le début du confinement - Chômage partiel : en mars, les usines ont été fermées 3 jours, 40 % des salariés ont travaillé sur site pendant le confinement. Accord de solidarité négocié pour mai et juin 2020. 50 % des effectifs en chômage partiel au 1er juin

Dépendant à 70 % de l’activité aéronautique civile, MECACHROME a rapidement cessé sa production pour ses donneurs d’ordres dont les activités étaient à l’arrêt pendant quelques semaines. « Nous avons achevé de produire l’ensemble de notre plan de charges de 2020, explique Christophe Bretagnolles, délégué syndical. 50 % des effectifs salariés de l’entreprise sont au chômage partiel non pas du fait de la crise sanitaire, mais du fait de la baisse d’activité (- 40 % sur l’aéronautique). Et cette situation va perdurer jusqu’à fin 2020, voire 2021 !

Malgré l’obtention d’un PGE et d’un apport financier à hauteur de 50 Md’€ des actionnaires, la situation de l’entreprise est précaire. “Cela va nous aider à nous transformer, commente Christophe Bretagnolles, mais cela ne comblera pas les pertes. Avec une baisse de 40 % de notre activité principale, il y aura potentiellement un PSE. On ne raisonne plus en mois. C’est de plusieurs années dont il s’agit pour remonter la pente. Notre Direction, qui a organisé plusieurs webinars, notamment pendant le confinement, joue la transparence avec les organisations syndicales, nous sommes impliquées et consultées sur toutes les décisions”.

une expertise, mais également la négociation d’un accord de performance collective qui soit un accord participatif », commente la déléguée syndicale central.

DERICHEBOURG

LIEBHERR-AEROSPACE TOULOUSE

(filiale Aeronautics Services) - 1 800 salariés dans la branche aéronautique - 20 % des effectifs en télétravail au 2 juin 2020. 5 % en télétravail à fin mai 2020 (environ 80 personnes) - Chômage partiel : 55 % des effectifs fin mai 2020. 50 % des effectifs en activité partielle soit globalement : 1/3 a travaillé normalement ou presque, 1/3 a travaillé partiellement et 1/3 n’a pas travaillé. La filiale aéronautique du Groupe Derichebourg dépend à 100 % de l’aéronautique civile et militaire ; plus particulièrement de son mono client : AirbusGroup (90 % de sa charge), Bombardier et Stelia ne représentant que 10 % de ses activités. Avec le quasi-arrêt des chaînes de production, les activités d’inspection qualité (électrique, mécanique, structure), d’assemblage, de montage (mécanique, électrique, structure), de bureau de préparation, de support à la production (conception des essais, logistique, qualité, technique....), de tractage, de lavage et de servicing et de certifications de produits connaissent une baisse de charges de l’ordre de 60 %. Si les activités sur les hélicoptères et le militaire sont préservées, la plus grosse perte provient de l’aviation civile. « Il n’y a aucune perspective de reprise d’activité liée à l’aéronautique civile, il n’y a pas de planning de charges et très peu de contrats d’ici à fin 2020, un climat anxiogène règne dans l’entreprise », témoigne Carine Adam, déléguée syndicale central. Une situation économique qui pousse la Direction à mettre en place un accord de performance collective, dont l’un des axes proposés est la mobilité des salariés afin de préserver les savoirs et sauver des emplois. Lors du CSE début mai, la Direction a exposé le fait qu’un volet « départs » était également envisagé afin « d’assainir la trésorerie et éviter la faillite ». Un véritable coup de massue alors qu’aucune expertise n’avait été diligentée. « Nous avons exigé non seulement

Les négociations ont débuté à l’heure où nous rédigeons cet article. Carine Adam s’est fixé des objectifs clairs : « jouer la montre afin d’amoindrir les impacts sociaux et les drames humains. Le plan de relance de la filière proposé par le Gouvernement pourrait permettre à l’entreprise de rester dans le jeu. Ainsi nous pourrions négocier un accord gagnant-gagnant avec une garantie du nombre d’emplois sauvegardés ».

- 1 500 salariés - Télétravail : 500 salariés pendant le confinement, 400 salariés depuis fin mai - C hômage partiel : 30 % du temps de travail en moyenne. Accord de compensation négocié entre cadres et non-cadres, l’entreprise a aidé les salaires les plus bas. Sous-traitant de rang 1 des compagnies aériennes et des avionneurs mondiaux, Liebherr Aerospace Toulouse subit de plein fouet l’arrêt du trafic aérien et des productions. Début juin, l’entreprise enregistrait une baisse de son chiffre d’affaires de l’ordre de 40 % par rapport à son activité 2019, une dépendance de 90 % à l’aéronautique civile que Liebherr paye cher. « Pour le moment, la Direction regarde les mesures de chômage partiel, en particulier le projet de chômage partiel de longue durée et ses compensations par l’État, explique Stéphane Benoit, délégué syndical. Des mesures d’adaptation par étapes sont envisagées, il n’y aurait pas de recours à un PSE en 2020 ; les résultats de ces mesures et l’évolution des marchés seront déterminants dans les mois à venir. Tout va dépendre de la reprise d’activité tant sur l’activité réparation en lien avec le trafic aérien que sur la première monte liée aux plans de production d’appareils par les avionneurs et les hélicoptéristes. Il n’y a pas encore de peur du lendemain, les salariés ne sont pas dans la crainte de la perte d’emplois ». Pour faire face au manque de rentrées financières, Liebherr, entreprise familiale non cotée en Bourse, a fait jouer la solidarité entre ses filiales, bien que toutes les branches soient en difficulté. Les dividendes ont été réduits et les sommes sont restées dans l’entreprise. Pour la première fois depuis sa création, Liebherr fermera son site pour 2 semaines de congés en août 2020.

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C’est dans l’air

Une journée en Enfer Ça a commencé dès l’aube, en fait. S’il tenait l’inventeur du réveil, il l’enverrait pourrir pour l’éternité au plus profond des enfers. Et comme dit Woody Allen, l’éternité c’est long, surtout vers la fin. Puis notre homme boucle sa valise, il part ce soir, et se dirige vers son bus. Bourré. Une jeune femme est pressée contre lui dans une posture où il pourrait facilement être accusé de gestes déplacés. Et elle parle fort à sa voisine : les soldes, c’était l’enfer. Impossible de rentrer dans le magasin. Plus la bonne taille. Une heure à la caisse. Il arrive en même temps que son collègue. Celui-ci est furax : plus de place sur le parking. Un parking tout neuf. Mais tout est réservé pour tel bâtiment, pour tel service, pour les vélos. Du coup, sur le site, c’est l’enfer pour se garer. Marre marre trois fois marre. Il reçoit une salariée. Elle est très mal dans son travail. On lui avait vendu le poste façon « appartement-témoin ». Tout devait être bien, collectif, organisé. Résultat : c’est infernal. Personne ne sait ce qu’il a à faire. Le chef de département est basé à l’étranger. Par économie, il ne vient plus qu’une fois par mois. C’est la chienlit et ça lui retombe dessus à elle. Ça commence à avoir des répercussions dans sa vie personnelle. Il fait ce qu’il peut, il fera ce qu’il pourra. C’est l’heure d’aller déjeuner. Il faut y aller tôt, sinon on perd un temps fou. Le site a grandi, mais pas la cantine. Pardon, le restaurant d’entreprise. Il faut dire restaurant, mais en fait ça a tout d’une cantine. Dans un vacarme infernal, on fait des queues interminables aux stands comme en caisse. On a un mal de chien à trouver de la place, surtout en groupe. Et pour finir, on bouffe froid. Un peu de relaxation : la cafétéria. Là, il souffle un peu. Mais tous ses remerciements vont aux gars qui y ont mis une horloge, histoire de bien rappeler les rendez-vous de l’après-midi. Tiens, parlons-en, une téléconférence. La dernière fois, c’était l’enfer : quatre sites connectés, aucune discipline d’emploi, personne n’écoutait personne, on a perdu un temps fou pour un résultat dérisoire.

BREF

AÉRO 8

L’après-midi a avancé. Il va prendre un peu de temps au calme pour finaliser ses pointages du mois. Le nouveau logiciel est catastrophique. Un pur produit d’informaticien. Les mecs qui ont fait ce truc n’ont jamais été utilisateurs, ce n’est pas possible. Le précédent marchait trop bien, quelqu’un a eu quelque part l’idée de génie de le changer. De génie, tu parles, c’est le docteur Faust qui a signé la commande, ouais. Un taxi. Direction l’aéroport. Les bouchons. Ça ne s’arrange pas : « vous savez, c’est devenu l’enfer de conduire ici et à cette heure mon pauvre monsieur. Si vous voulez, il y a une bouteille d’eau dans la porte. Si, si, on devrait être à l’heure ». Du fait de la météo à sa dernière escale et de l’arrivée tardive de l’appareil, notre retard sera d’environ 45 minutes. Mesdames, messieurs, si vous vouliez bien embarquer le plus vite possible, nous pourrions peut-être regagner un peu de temps. Et puis quoi encore ? Comme si c’était de notre faute. C’est l’enfer en salle d’embarquement. Ça beugle, ça invective, on est bien loin du plus basique des degrés de civilisation. Une armée de Curètes n’eut pas fait plus de bruit. Il est maintenant assis. Près du hublot. Ceinture serrée. Il sent l’envahir une grande lassitude. C’était une journée en enfer. Il branche son casque stéréo. Les bruits de l’avion sont

Mai/juin 2020 • n°382 Directeur de la publication : Ludovic Andrevon Ont participé à la rédaction : C.Dumas, F. Vallin, F. NIcoud, C.Carmentran, M. Delarchand, B. Mathieu, MH. Miermont, S. Benoît, D. Marsalet, F. Dirou, C. Adam, P. Potacsek, C. Bretagnolles, T. Ynglada. Crédits photos : AdobeStock Bref Aéro est une publication bimestrielle de la CFE-CGC AED 10-12 avenue de la Marne - 92120 Montrouge - contact@snctaa.fr Rédaction, conception, réalisation : Agence L’œil et la plume / loeiletlaplume.com Impression : Imprimerie La Centrale de Lens Dépôt légal : juin 2020 - CPPAP : 0124S08080

neutralisés. Le calme s’établit doucement dans son minuscule espace vital. Il parcourt un journal du soir. Des morts, des souffrances, des catastrophes, des turpitudes, des difficultés en tout genre. Alors il se dit qu’en fin de compte il y a pire dans la vie. Oui, il y a pire, c’est sûr. Mais on ne va pas la lui faire, à lui. Pas question de se résigner à tolérer : ses tracas, ce sont les siens, ils sont bien à lui. Qui est là pour les partager ? Pour s’apitoyer ? Pour compatir ? Personne. Alors si le monde est indifférent à ses petits enfers privés, pourquoi ne serait-il pas, lui, indifférent aux enfers du monde ? Il regarde par le hublot… Le spectacle est magnifique… Le soleil de la fin de journée éclaire le pays à perte de vue. En fin de compte, elle n’est peut-être pas finie, cette journée. Son esprit vagabonde vers le lointain. Il soupire : s’il s’est créé autant d’enfers dans sa journée, il faut bien qu’il reconnaisse que l’Enfer existe parce qu’il y a un Paradis. Alors, transi d’émotion, il cherche Haendel sur sa playlist. Son regard rendu humide par la musique et le spectacle se perd dans l’éther. À côté de lui, son voisin grignote des crackers en jouant sur son téléphone. Christophe Dumas Secrétaire général CFE-CGC AED


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