Paperjam Mai 2022

Page 61

Marché de l’occasion

Le marché de la seconde main est en train de conquérir les passionnés. C’est le moyen de mettre la main sur quelques belles pièces. Cela peut aussi, pour certains, être le moyen de faire un beau coup financier.

Le lieu des bonnes affaires

Photo

Hublot

séparer d’autres. Une activité accessoire, en quelque sorte. Pierre Rossy, directeur de Schroe­ der 1877, rend aussi ce service à ses clients. «Lorsqu’on a investi dans un objet d’un certain prix et qu’on désire le changer, on ne va pas le mettre à la poubelle. Cet objet garde une valeur, C’est le lieu de rencontre de passionnés qui pourra faire plaisir à d’autres clients, permettre recherchent souvent un modèle, une année ou à des gens de faire leurs premiers pas dans une édition en particulier et d’acheteurs «impa­ l’horlogerie. Quand je réfléchis, de ce point de tients» qui n’hésiteront pas à payer une «prime vue là, je vois le marché de l’occasion d’un très d’immédiateté » pour mettre la main sur des bon œil. Et nous-mêmes, nous avons un cermodèles neufs introuvables dans les boutiques tain nombre de bijoux et certaines montres que officielles des marques où elles ne sont dispo­ nous proposons en occasion comme service et nibles que sur liste d’attente. Quand elles existent… je trouve ça tout à fait légitime. » Les montres les plus recherchées sont les «pro­ fessionnelles acier» de Rolex – les Submariner, Où s’arrête la passion et où commence Daytona et GMT-Master – et les Patek Philippe la spéculation ? Nautilus et Audemars Piguet Royal Oak. Pour La question qui divise est de savoir si ces échoppes ces modèles, la « prime d’impatience » peut sont des lieux de passion ou de spéculation. atteindre 150% du prix catalogue. Voire plus. Dans l’achat d’une montre d’un certain Bien qu’elle ne représente que 10% des ventes niveau, la dimension investissement a toujours d’occasion, cette catégorie de montres à «prime» existé, mais restait accessoire. L’objectif était a pris de l’importance sur le marché, au point plus de protéger son capital que de réaliser une plus-value. La tendance spéculative s’est de représenter 40% des revenus générés. Passionnés et acheteurs impatients corres­ accélérée au fur et à mesure que l’offre sur cer­ pondent peu ou prou aux deux tiers de la clien­ tains modèles ne suivait pas la demande. Et tèle des boutiques d’occasion. Le reste est elle devrait perdurer. constitué d’acheteurs voulant acquérir des articles Pour les spécialistes de la seconde main, la qu’ils ne peuvent se permettre d’acheter au prix vague est telle qu’il est dur de refuser d’y par­ fort et d’un jeune public. Au niveau mondial, ticiper. De plus, le fait d’avoir de tels modèles environ 30% des adolescents à revenus élevés en vitrine, même de manière éphémère, pro­ ont visité un magasin de montres d’occasion, cure de la visibilité et du buzz. Mais ce n’est relève McKinsey. Un potentiel de croissance à pas forcément sur ces produits qu’ils font leur ne pas négliger. marge. Face à des vendeurs «hyper gourmands»,

Trois enseignes dans la capitale On compte à Luxembourg-ville trois maga­ sins spécialisés répartis dans un tout petit espace géographique situé entre la place d’Armes et le Palais grand-ducal. Soit, par ordre d’ap­ parition, Le Collection’Heure, Watchour et My Old Watch by Noël. Des magasins qui ont su se faire une place. Ce qui n’allait pas de soi, tant le marché de l’horlogerie au Luxem­ bourg a longtemps été un marché du neuf. Ce que confirme Jacques Molitor, directeur de la maison Molitor. Qui a développé une acti­ vité de montres d’occasion destinée à rendre service à des clients qui souhaitent acquérir de nouveaux modèles et devant pour cela se

La Square Bang Unico Titanium de Hublot a tout pour devenir un classique

elle serait en effet quasi nulle. Ce qui motive Le Collection’Heure, Watchour et My Old Watch by Noël, c’est de pouvoir partager une passion et donner une seconde vie à un objet qui a déjà vécu avec son proprié­ taire. Ce qui serait plus facile au Luxembourg qu’à Paris ou à Bruxelles, les clients étant ici de vrais passionnés et des collectionneurs. Il leur faut des montres dans un état quasi irré­ prochable, avec leur boîte et leurs papiers d’origine. Et quand on leur propose un tel pro­ duit, la discussion se fait plus sur la montre que sur le prix. Exigeants et aventureux, ils sont prêts à sortir des sentiers battus s’ils sont bien conseillés et ne se cantonnent pas aux «achats sûrs». Jacques Molitor et Pierre Rossy estiment que ce marché est un lieu qui peut favoriser la spé­ culation. Mais à la marge. «La plupart de nos clients qui viennent acheter une montre ne l’achètent pas pour spéculer», estime Jacques Molitor. Benoît Lecigne, general manager pour les boutiques Les Ambassadeurs et Omega, voit pour sa part le marché de la seconde main plus comme «un marché de spéculation qu’un marché de passionnés». Ce qu’il regrette. Pour lui, ce marché devrait être une porte d’entrée pour des amateurs qui ne peuvent s’offrir un gardetemps d’exception au prix catalogue. «Aujourd’hui, on ne trouve que des montres neuves sur un marché de seconde main.» Un comble. Que peuvent faire les marques pour éviter cette dérive? Pour Pierre Rossy, «les marques essayent de contrer ce marché de spéculation». Selon lui, les manufactures horlogères seraient bien inspirées d’analyser leur clientèle et de refuser la vente à des personnes qui n’achètent l’objet que pour le revendre le plus rapidement possible. Ce qui semble difficile. Robert Goeres, managing director de Goeres Horlogerie, et donc responsable de la commer­ cialisation de Rolex et Patek Philippe au Luxem­ bourg – deux des marques sur lesquelles se focalise la spéculation –, a conscience du phé­ nomène et reconnaît un dommage «énorme» pour l’image de ces deux marques. Mais il insiste sur le fait que ses clients «sont avant tout des collectionneurs et des amoureux des montres, et que la plupart des modèles que nous vendons sont vendus au consommateur final». Et il met en avant « le sérieux des marques horlogères suisses qui ne prennent pas pour prétexte cette évolution pour augmenter leurs prix. Elles restent sur des prix justes.»

Auteur MARC FASSONE

MAI 2022

61


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.