Paperjam Mai 2022

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Smartwatches

La tentation de l’hybride 42% des cadres de l’horlogerie interrogés par Deloitte pour son étude 2021 sur l’industrie horlogère suisse considèrent bel et bien les montres connectées comme une menace. L’industrie parle de la «bataille pour le temps de poignet». Certaines marques – Montblanc, Breitling, Tag Heuer, Frédérique Constant ou Hublot – offrent des modèles hybrides ten­ tant d’allier artisanat et connectivité. Avec des résultats, sinon mitigés, du moins limités. Hublot a pu ainsi écouler avec succès une 64

MAI 2022

Avec son Apple Watch, Apple revendique 30% du marché de la montre connectée

Auteur MARC FASSONE

Apple / Hermès

Pour survivre à la montre à quartz, l’horloge­ rie suisse a dû se réinventer. Ce qu’elle a su faire en se recentrant et en faisant monter en gamme sa production. C’est cette montée en gamme qui permet de dire maintenant que les montres connectées ne sont pas une menace directe. Du moins pour les montres de luxe et d’ultra-luxe. Pour ce qui est du s­ egment intermédiaire – avec des prix entre 180 dol­ lars et 3.600 ­dollars –, la situation apparaît plus compliquée. Le secteur des montres connectées est d ­ ominé par des acteurs technologiques tels qu’Apple, Garmin et Samsung, qui proposent des fonc­ tionnalités innovantes offrant aux consom­ mateurs des avantages tangibles, comme le suivi de leur santé et les nombreux paramètres en lien avec leur pratique sportive. La crois­ sance est spectaculaire: à lui seul, Apple vend désormais plus de montres que l’ensemble de ­l’industrie suisse. Un basculement opéré en 2019. Alors que la Suisse exportait 21 millions de montres (mécaniques et à quartz), le géant californien vendait environ 28,5 millions de ses Apple Watch. En 2020, ce sont 33,9 mil­ lions d’Apple Watch qui ont été vendues. En 2021, le marché de la montre connectée a enre­ gistré une croissance de 24 % avec environ 80 millions d’unités vendues, Apple occupant 30,1 % de part de ­marché, selon les données de l’institut ­Counterpoint Research.

le consultant. Pour qui le marché inter­ médiaire pourrait voir ses revenus dimi­ nuer de 2,5 milliards de dollars d’ici 2025, et sa part de marché fondre de 6 %. Pour avoir une idée du choc, il faut se rappeler qu’en 2019, après avoir perdu 1 milliard de chiffre d’affaires, les marques de milieu de gamme représentaient 9 milliards de dollars et 19 % série de montres intelligentes qui permet­ de parts de marché de l’horlogerie. La parade taient de suivre les matchs des dernières Coupes passerait, selon McKinsey, par une revitalisa­ du monde et Euro de football. Tag Heuer en tion de leur image de marque pour se diffé­ a fait de même avec une montre pour les pra­ rencier, une offre de produits r­ epensée et la tiquants de golf, rappelle Benoît Lecigne, création de liens plus «intimes» avec le client. general manager des boutiques Les Ambassa­ deurs Luxembourg et gérant de la boutique Un complément plus qu’un concurrent Omega. Il y a quand même, dans l’engage­ Pour les montres haut de gamme, la montre ment des horlogers traditionnels sur ce mar­ connectée est vue comme un accessoire complé­ ché, une certaine forme de contradiction: une mentaire plutôt que comme un concurrent montre de qualité est destinée à être trans­ direct. Jacques Molitor, qui dirige depuis 1965 mise à la prochaine génération. Et ainsi de la maison Molitor, boutique multimarque spé­ suite. Une montre connectée est frappée par cialisée dans la joaillerie et l’horlogerie haut l’obsolescence ­programmée. Ceci dit, dans de gamme, ne néglige cependant pas cette cette bataille, les smartwatches gagnent du concurrence. «Ce sont de petites merveilles techterrain sur les montres traditionnelles. Mais nologiques. Vous avez un ordinateur au poignet.» le front semble loin des segments du luxe et Mais il constate que cela ne détourne pas ses de l’ultra-luxe. Deloitte relève que les géné­ clients de l’horlogerie traditionnelle de quali­ rations Y et Z, les plus susceptibles de porter té. Pour lui, il n’y a donc en effet pas de concur­ des smartwatches, choisiraient, si on leur rence. « Du moins pas encore. » Pierre Rossy, donnait 5.000 francs suisses, plutôt une montre directeur de Schroeder Joailliers, ne met pas lui non plus smartwatches et montres méca­ mécanique de luxe. niques dans la même catégorie. «Ce sont des objets électroniques. Et très tendance. » Et s’il Le marché intermédiaire menacé La concurrence des smartwatches a un coût. considère ces « objets électroniques » comme Que McKinsey chiffre: elles représentent pour «des concurrents certains pour l’horlogerie suisse», 70 % de la baisse de revenu du marché inter­ il pense – ou espère – que cela peut inciter les médiaire depuis 2015. Soit 780 millions de jeunes générations à découvrir l’horlogerie d ­ ollars. « Sur le marché hautement technique ­traditionnelle. Une vision partagée par Robert et spécialisé des smartwatches, il est peu pro- Goeres, managing director de Goeres ­Horlogerie, bable que les acteurs traditionnels du marché pour qui la montre digitale – qu’il met dans la intermédiaire soient en mesure de rivaliser avec même catégorie que les smartphones – peut les dispositifs portables de plus en plus perfec- constituer le bon marchepied pour franchir le tionnés des entreprises technologiques», estime cap. Ce qui se confirme « quand je vois des montres digitales qui essaient de se rapprocher visuellement le plus possible des ‘anciennes’ montres classiques analogiques». Benoît Lecigne constate pour sa part que la plupart de ses clients ont une Apple Watch au poignet, mais que ce n’est pas pour autant qu’ils arrêtent d’acheter des montres mécaniques. « C’est une question de pur plaisir.» Et aussi de sécurité: «Lorsqu’elles voyagent, beaucoup de personnes préfèrent ­porter une montre connectée. C’est quelque chose que l’on vous volera moins volontiers qu’une Breguet, une Rolex ou une montre en or.»

Photo

L’irruption des smart­ watches renvoie à un très mauvais souvenir pour l’hor­ lo­gerie suisse : l’appa­rition des montres à quartz dans les années 70 qui faillit bien la faire disparaître. 50 ans plus tard, l’histoire bégaie.

Un précieux temps de poignet


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