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La Femme 70-71, Grand March
GraNd march, PuissaNce de feu
Par Emmanuel Abela ~ Photo : Benoît Linder le quiNtet strasbourGeois Passe À l’offeNsive avec start a War, uN album qui marque uN Nouveau déPart soNique. Qu’on se le dise, Grand March est passé à l’électricité. Inutile de crier à la trahison, on sentait le groupe strasbourgeois fortement enclin à le faire lors de ses enregistrements précédents avec des références appuyées à Nick Cave ou PJ Harvey. La vraie surprise vient d’ailleurs : une source musicale très ancrée dans les années 60 et ce moment précis où des artistes américains country-rock prennent conscience d’une possibilité électrique et l’explorent à fond. Le résultat surprend et peut renvoyer à des modèles d’un blues anguleux, de Jefferson Airplane au MC5 par certains aspects.
Hélène Braeuner, chanteuse du groupe, explique cette bascule par « le travail d’harmonisation des voix et du clavier » d’Antoine Thépot. Elle évoque un « triangle » qui se fait par le lead de la guitare très présente de François Bogatto, les voix doublées ou triplées selon les cas et la présence de ce clavier « qui vient du jazz et apporte une couleur enrichie ». Fred Lichtenberger, le batteur, réagit à une courte allusion à l’évolution de Dylan au milieu des années 60 : « À notre humble niveau, nous avons aussi vécu ce parcours qui conduit du folk au rock. » Il rappelle que Grand March a démarré folk, une démarche poursuivie et amplifiée avec un sideproject, Backyard Folk Club – « Nous avions les pieds et les deux mains dans le folk pur » –, mais il a semblé nécessaire de « contrebalancer tout cela. Parce que l’envie était là et parce que les tensions positives nous invitent constamment autant du côté de l’acoustique que de l’électrique. » Tous deux estiment que « c’est le produit de douze ans d’une évolution. » Une évolution naturelle qui les conduit vers un propos musical très actuel, sans revival aucun, dans un mouvement continu. Ce qui semble une évidence, c’est le maintien d’une ligne mélodique claire. La chanson est là, elle est simplement habillée d’une puissance sonore nouvelle. Une manière de la perdre pour mieux la révéler… Fred acquiesce, puis s’accorde la métaphore culinaire : « Pour le plat, on a l’exhausteur de goût, et on en rajoute selon les besoins. » Hélène nous explique qu’elle prenait conscience que « la mélodie ne racontait pas son histoire toute seule » .Ce qui lui a permis de « mieux dialoguer avec la guitare et le clavier », y compris sous la forme d’un jeu subtil de questions-réponses. Elle évoque dans cette « joie de l’électrisation, une volonté très collégiale de recréer une dynamique de scène ». Il est vrai qu’à l’écoute on a le sentiment d’un album taillé pour la scène, conçu et enregistré pourtant au cours d’une période où l’accès à la scène, justement, est contredit par les événements. L’écriture des chansons a précédé les confinements successifs, mais celles-ci enregistrées contiennent en elles un idéal de libération, une vitalité renforcée : cette volonté de se retrouver, d’échanger, de jouer face à un public. « Il leur a manqué une étape
à ces chansons : généralement, avant de les enregistrer, nous les jouions sur scène. Or, nous n’avons pas eu cette opportunité-là. » D’où le fait que cette « matière extensible » trouve aujourd’hui son prolongement scénique sous des formes très variées, à nouveau folk selon les dispositifs, blues ou carrément rock.
On s’étonne – mais pas tant que cela finalement ! –de la tonalité frondeuse du titre de l’album, Start a War. Porte-t-il quelque chose d’une impulsion inquiète ? Une guerre ? Contre qui ? Pourquoi ? Tous deux sourient, assurés de leur effet. « Contre soi » , s’aventure Hélène. « C’est le titre d’une des chansons de l’album, précise Fred. Elle s’attache à différents temps : celui de l’écriture de l’histoire que tu cherches à raconter. Et à ce moment où tu te réveilles et tu te dis : là, je vais au combat ! » Les deux voix se mêlent avec enthousiasme. « Oui, et cette guerre que tu mènes avec toi-même pour raconter cette histoire, renchérit Hélène. Après la raison qui fait que ce titre est devenu celui de l’album ne présente rien d’innocent : Start a War manifeste chez nous la volonté d’y retourner. Intuitivement, cela signifie que Grand March se devait de remonter au front de manière symbolique. Et de manière concrète de s’accorder la possibilité d’y aller franchement. Bref, de s’assumer pleinement. »
Le geste contenu dans le titre trouve son prolongement dans une pochette au graphisme épuré de la graphiste Fanny Walz, sublime dans sa version sérigraphiée pour l’édition vinyle, découpée et pliée à la main par les membres du groupe. Un objet d’art à part entière. « Ce geste, nous explique Fred, nous voulions le pousser jusqu’au bout : un geste auquel nous voulions participer nous-mêmes, dans sa conception aussi bien que dans sa fabrication. » Selon Hélène, la tonalité noire et or était inscrite au début du projet, d’où une recommandation auprès de la graphiste qui lui a offert la plus belle des illustrations. Il en résulte une double touche de peinture, qui apparaît comme l’étendard d’une intention, dans un mouvement simple, mais si fort dans sa sobre dynamique picturale. Les troupes sont prêtes désormais, elles peuvent se rallier à Grand March. Et partir à l’assaut, dans un mouvement réjouissant.
— GRAND MARCH,
Start a War, #14 Records www.grandmarch.fr