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Eva Aeppli 66-67, Karolina Pernar

DREAM TEAM

Dream Machine 4 © Gioj De Marco, Karolina Pernar, Andrej Mircev, AgneseToniutti, Loris D’Acunto Par Mylène Mistre-Schaal

AUX ROTONDES, 5 ARTISTES ONT TISSÉ LEURS RÊVES POUR EN FAIRE UN PAYSAGE MULTIMÉDIA 2.0. PENDANT 6 MOIS, GIOJ DE MARCO, LORIS D’ACUNTO, AGNESE TONIUTTI, KAROLINA PERNAR ET ANDREJ MIRCEV ONT CONFIÉ LEURS SONGES À UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE QUI EN A TIRÉ UN RÉCIT INÉDIT OÙ LE SUBLIME ET L’ÉTRANGE SE TÉLESCOPENT. MÊLANT FORMES SCULPTURALES, PROJECTIONS VIDÉO ET COMPOSITIONS MUSICALES, THE MOON IS FULL, BUT IT IS NOT THE MOON EST LE FASCINANT REMIX DE CE RÊVE COLLECTIF. L’ARTISTE CROATE KAROLINA PERNAR NOUS PARLE DE CETTE INSTALLATION IMMERSIVE ET DE SON PROCESSUS DE CRÉATION HORS NORMES.

The Moon is full, but it is not the Moon est un titre sibyllin, qui évoque l’étrangeté de nos rêves, ces drôles de trompe-l’œil dont nous sommes les auteurs…

Le titre a en effet été choisi pour rappeler la structure, souvent illogique, des rêves. En même temps, il fournit un cadre conceptuel idéal pour le déploiement de scènes surréalistes dans lesquelles l’idée de raison, de rationalité et de réalité peut être esthétiquement redéfinie. De tout temps, les rêves ont eu une connotation prophétique. Dans toutes les religions et les mythologies, ils jouent un rôle important. Cela a certainement à voir avec la dimension cosmique et métaphysique de l’état de rêve, la capacité du rêveur à aller au-delà des limites de son corps, du temps et de l’espace. C’est un médium fascinant qui relie différentes réalités !

Pendant 6 mois, vous et les autres artistes impliqués dans le projet avez enregistré vos rêves quotidiennement. D’où vous est venue l’envie de travailler avec vos songes ?

J’avais cette envie de travailler sur la notion d’identité liminale. Et en discutant avec les autres artistes impliqués, nous avons réalisé que nous avions tous en commun une certaine forme de déterritorialisation : nous sommes tous nés, avons grandi et vivons dans des pays différents. Nous portons cette multiplicité en nous. C’est en discutant de cet état d’esprit, de cet entre-deux, que Gioj De Marco nous a mis sur la piste des rêves : les rêves sont un espace liminal par excellence ! Gioj avait déjà lancé le Collective Dreamworld Project à Los Angeles [un projet collaboratif invitant les rêveurs du monde entier à partager leurs rêves en ligne pour alimenter le récit continu d’une intelligence artificielle, ndlr] et nous a proposé de travailler avec cet outil. C’est ce que nous avons fait !

Justement, la technologie et plus particulièrement l’intelligence artificielle GPT-3, qui utilise le deep learning pour produire des textes écrits, est primordiale dans votre processus créatif. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette “collaboration” avec l’intelligence artificielle ?

Nous avons alimenté l’intelligence artificielle avec divers rêves. L’IA a ensuite mélangé et remanié nos mots, pour créer un nouveau texte, un récit collectif. D’un point de vue conceptuel, le recours à cette technologie a mis à l’épreuve nos notions traditionnelles d’identité, de représentation, de sujet et, évidemment, de paternité artistique ! Elle nous a emmenés, d’une manière assez radicale d’ailleurs, vers un registre ontologique et épistémologique différent, où les frontières entre l’humain, la machine et le monde deviennent poreuses et dynamiques, plutôt que fixes.

En plus de venir de pays différents, vous êtes également issus de domaines artistiques variés. Agnese Toniutti est musicienne, Loris D’Acunto vient du monde de la tech, vous pratiquez beaucoup la sculpture… comment avez-vous travaillé ensemble pour construire cet univers si spécifique ?

L’idée était de s’engager dans une pratique performative composée de différentes entrées sonores, visuelles et corporelles. Le script fourni par l’intelligence artificielle a été traduit en plusieurs œuvres vidéographiques et audio, des installations et des sculptures. Suivant l’idée pratiquée par les dadaïstes, nous avons réalisé une sorte de collage multisensoriel et immersif, une série d’émotions successives mais interconnectées. Agnese, qui est pianiste, a composé une bande sonore où le son des vents du désert, des captations enregistrées sur Mars et sa propre musique se mélangent. En plus des œuvres collaboratives, Gioj a réalisé des vidéos, Andrej Mirčev une installation que le spectateur pourra activer, et j’ai proposé plusieurs sculptures.

The Moon is full, but it is not the Moon embarque le spectateur dans une expérience multisensorielle immersive. Pouvez-vous nous donner un aperçu des sensations et des émotions que l’on pourra éprouver au cours de ce voyage scénographique inédit ?

Le spectateur pourra naviguer à travers différents paysages et atmosphères audiovisuels inspirés du monde de nos rêves. L’objectif n’était pas de reproduire ou de copier nos songes, mais plutôt de créer un cadre dans lequel le spectateur peut devenir un interprète actif de ses propres rêves. Le voyage scénographique proposé est une tentative de mettre en scène le désir de se perdre dans le monde caché des corps endormis.

Si vous deviez décrire ce projet artistique hors du commun en trois mots, lesquels choisiriez-vous ?

Affectif, car il déclenche des réactions émotionnelles intenses. Multisensoriel, puisqu’il fait appel à tous les sens. Et j’ajouterais politique. Alors que notre planète fragilisée s’épuise, The Moon is full, but it is not the Moon propose des moyens alternatifs pour partager nos mondes intérieurs.

The Moon is full, but it is not the Moon fait partie du Collective Dreamworld Project crée par Gioj De Marco and Loris D’Acunto.

— THE MOON IS FULL, BUT IT IS NOT THE MOON, exposition du 1er juillet au 28 août aux Rotondes, à Luxembourg-Bonnevoie www.rotondes.lu

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