3 minute read

Édito

Next Article
Wallis-et-Futuna

Wallis-et-Futuna

PAR JEAN-LOUIS ÉTIENNE,

MÉDECIN, EXPLORATEUR, ÉCRIVAIN

Advertisement

Depuis quelques décennies, les activités humaines émettent chaque année 40 milliards de tonnes (40 gigatonnes) de CO2. De cette masse de dioxyde de carbone, 46 % reste dans l’atmosphère et accroît l’effet de serre, 21 % est absorbé à terre par la photosynthèse des plantes, arbres et prairies, et 33 % est capté par les océans. Si on ajoute à ça qu’ils absorbent 93 % de l’excès de chaleur due au réchauffement climatique, on peut dire que les océans gouvernent le climat de la terre.

Les océans capturent le dioxyde de carbone de deux manières : la « pompe physique » par dissolution dans l’eau de mer et la « pompe biologique » par capture du CO2 par le phytoplancton pour sa croissance, c’est la photosynthèse. Ces microalgues sont le point de départ de la vie marine. Elles sont broutées par le zooplancton, des petits organismes (copépodes, krill) à leur tour mangés par les calmars, les poissons et les baleines, dont les pelotes fécales et le corps après la mort plongent sur le fond de l’océan où elles sédimentent. C’est ainsi que depuis des centaines de millions d’années, le carbone est durablement séquestré au fond des océans.

La « pompe biologique » de l’océan Austral est moins efficace que dans l’hémisphère Nord où les océans, plus proches des continents, sont alimentés par les poussières riches en sels minéraux amenés par les vents qui traversent les terres et les grands déserts comme le Sahara. Très isolé dans l’hémisphère Sud, l’océan Austral ne bénéficie pas de ces apports minéraux, notamment le fer. La campagne SWINGS qui s’est déroulée du 13 janvier au 6 mars 2021 à bord du Marion Dufresne avait pour objectif d’étudier les microéléments, sels minéraux et métaux présents à l’état de trace, indispensables à la pompe biologique du CO2 de l’océan Indien.

La « pompe physique » est par contre très performante. Deux raisons à cela : agitée par les forts vents d’ouest, la surface brasse l’air et emmagasine davantage de CO2 et par ailleurs le dioxyde de carbone se dissout avec un meilleur rendement dans l’eau froide, et la surface d’échange est géante, 22 000 kilomètres de circonférence autour de l’Antarctique. Ainsi l’océan Austral est le principal puits de carbone océanique de la planète qui capte la moitié du CO2 absorbé par tous les océans du monde. La mesure de ces échanges atmosphère-océan à toutes les longitudes et en toutes saisons est une valeur attendue par la communauté scientifique.

Si loin, si rude, si difficile d’accès, cet immense océan qui embrasse le continent de l’Antarctique est peu fréquenté. Certes les scientifiques français en ont une bonne connaissance, notamment dans le secteur de l’Indien où ils bénéficient du Marion Dufresne qui avitaille les Terres australes françaises, mais les campagnes se font principalement en été. Malgré la contribution des satellites, des animaux instrumentés, des profilers Argo, les publications sur l’océan Austral soulignent le besoin de mesures in situ de longue durée. Comment séjourner toute l’année dans de bonnes conditions de sécurité et de confort dans les « cinquantièmes hurlants » ?

Il y avait là matière à inventer une nouvelle forme de vaisseau. Avec le bureau d’ingénierie navale Ship ST de Lorient nous avons conçu Polar Pod. Avec 80 mètres de tirant d’eau et 150 tonnes de lest, le Polar Pod est très stable verticalement. Entraîné par le courant circumpolaire antarctique et autonome en énergie grâce à six éoliennes, c’est une plateforme de recherche zéro émission. Navire silencieux, des hydrophones installés sur la structure vont permettre de faire un inventaire de la faune marine par acoustique passive. Un riche programme scientifique qui réunit aujourd’hui 43 institutions de 12 pays.

La circumnavigation de l’Antarctique débutera par l’océan Indien, le départ est prévu au dernier trimestre 2023. Ce vaisseau digne de Jules Verne sera le support d’un magnifique projet pédagogique sur les sciences de la vie, de la Terre et de l’environnement. La jeunesse a besoin de rêve, de modèles d’audace, de croire en ses ambitions.

Jean-Louis Étienne

This article is from: