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La dégustation du Mao Cha de Cao Bo
C’est une famille de thé, les Mao Cha, plutôt qu’un thé en particulier, que je vous propose de découvrir. Originaires pour la plupart d’Asie du Sud-Est, une région que j’affectionne, ils me donnent l’impression d’être en présence de ce qui se rapprocherait le plus des thés des origines, mythiques et souvent fantasmés. Une passerelle sensorielle entre le passé, le présent et le futur.
Par Paul Roudez
Pour notre voyage, partons à la rencontre du Mao Cha 2022 de Cao Bo, produit dans l’extrême nord du Vietnam, à quelques encablures de la frontière chinoise. Un paysage de vallées perdues et de jungle, caractéristique de ce petit pays producteur, encore méconnu, si cher à mon cœur.
Des peuples
au soleil, à l’air libre afin de laisser les enzymes agir et transformer la feuille. Notre Mao Cha de Cao Bo illustre parfaitement ce savoir-faire avec ses belles feuilles longues, élégantes et très régulières aux reflets vert oxydé [1] . Il se dégage de ces dernières un puissant parfum végétal où le caractère humide de la région est omniprésent.
De vénérables théiers
Paul Roudez a rejoint Palais des Thés en 2002. Responsable de boutique pendant une dizaine d’années, il aime désormais être l’intermédiaire entre le thé et les personnes qu’il forme. Master Tea Sommelier, il doit à ses études d’histoire son approche anthropologique du thé. Les thés sombres, et notamment les Mao Cha, comptent parmi ses préférés.
Relativement nouveaux dans nos théières, les Mao Cha sont le thé de tous les jours pour les peuples qui les produisent. Dans cette véritable mosaïque ethnique, le thé, avec sa valeur cultuelle et culturelle, fait partie du quotidien. Si pour mieux appréhender un thé, il faut comprendre qu’il est le reflet de ceux qui le font, les Mao Cha en sont certainement les meilleurs ambassadeurs. Il n’y a pas un Mao Cha, mais des Mao Cha !
Un savoir-faire
Produire un Mao Cha repose sur des étapes simples : fixer, rouler et sécher. Simples, seulement en apparence ! Fixer la feuille, mais pas totalement afin de conserver son pouvoir oxydatif. La rouler délicatement afin de ne pas trop la casser. Sécher, le plus souvent
Dans cette région du nord du Vietnam, les théiers sont le plus souvent laissés à l’état naturel, perdus dans la forêt. Pour récolter les plus beaux bourgeons, les cueilleurs grimpent parfois jusqu’à 4 à 5 mètres du sol. Ces théiers sont un élément essentiel, fondamental.
Théiers des origines, plus proches des Assamica que des Sinensis , ils sont issus d’une hybridation soit naturelle soit créée par l’Homme. Ce sont les fameux Shan Tuyet (« neige de montagne », en référence à leurs bourgeons blancs duveteux), des théiers généralement très anciens (150 à 300 ans) parfaitement adaptés à ce milieu. Considérés comme un trésor du ciel par les populations, ces arbres à thé sont très respectés, et pour certains, classés au patrimoine national. Ces « Vénérables » sont le véritable trésor de ces forêts perdues, car ils sont uniques !
Un sentiment d’unicité très présent au moment de l’infusion : j’ai face à moi un thé peu ordinaire avec lequel il va falloir échanger et dialoguer afin de se comprendre. L’infusion exprime un bouquet puissant, de végétal, d’animal, de fruits trop mûrs. Les feuilles se sont bien ouvertes [2] et avec elles, mes sens. À la tasse, la liqueur légèrement dorée [3] est propice au rêve, à la recherche d’un ailleurs, entre la fraîcheur végétale d’un thé vert et les notes lourdes d’un thé sombre. Le fruité est bien marqué, gourmand à souhait, mais la liqueur exprime aussi une élégante astringence. Déroutant.
Une singularité
Les Mao Cha sont la base des thés sombres tels que nous les connaissons. Et dans une ultime mutation, ils pourront devenir des galettes Sheng ou Shu (lire aussi p. 20-25) selon les traditions et les besoins des producteurs. Il n’est d’autres types de thé avec un pareil destin ! Cette famille de thé est donc tout à la fois un oui et un peut-être, un présent et un futur. Les producteurs disent de ces thés qu’ils ont l’Esprit du Ciel et l’Esprit de la Terre réunis en eux.
Boire un Mao Cha, c’est donc accepter tout cela et être soi-même à un carrefour : s’interroger sur le chemin que l’on veut suivre en sachant qu’il n’y en a pas de meilleurs ou de moins bons, tout en acceptant d’être toujours surpris. Les infusions répétées de ce thé au gaiwan reflètent ce sentiment : elles évoluent dans les nuances au risque de nous perdre et nous emportent dans les détours de notre mémoire et du temps. Elles nous aident à mieux comprendre la longue évolution qu’a connue le thé pour devenir la boisson que nous connaissons. Tout a commencé dans cette zone reculée des lointaines frontières du Xishuangbanna et tout continue à être créé dans ces régions.
C’est tout cela que promet le Mao Cha de Cao Bo au gré des passages d’eau. L’ensemble des infusions se structure, se densifie autour de notes fruitées mêlées de fraîcheur minérale et de subtiles nuances animales. Un équilibre sensoriel franc et direct apparaît. Un lien se crée entre le thé et moi. Presque un pacte. •
Mao Cha de Cao Bo
CULTIVAR Shan Tuyet
ORIgIne Cao Bo (Vietnam)
RÉCOLTe printemps 2022
COnseIL s de pRÉpARATIOn
→ Au GonG Fu ChA (gaiwan)
ACCORd gOURmAnd une fourme d’Ambert
→ Réf. 3364 – 22 € les 100 g