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Benjamin Rabier
Benjamin Rabier naît le 30 décembre 1864 à Napoléon-Vendée, un nom qui, à lui seul, suffit à exprimer les changements politiques du siècle : La Roche-sur-Yon ne retrouvera en effet son nom originel qu’en 1870, après avoir reçu ceux de Napoléon, Bourbon-Vendée puis Napoléon-Vendée. Benjamin Rabier meurt le 10 octobre 1939, comme s’il ne pouvait qu’être exclu d’une guerre dans laquelle la France est entrée officiellement le 3 septembre ; une guerre qui marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle, la nôtre. Entre ces deux dates, Rabier a gardé en tête les visions de la guerre de 1870 et d’une Commune qui, ses parents ayant rejoint Paris, s’est déroulée sous ses yeux ; il a participé, à sa manière, à la Grande Guerre, reflétant l’air patriotique du temps mais le baignant de ce qui est alors devenu son univers, un univers de distance et de proximité, pastoral et amical. Présentant « Le Bon Pélican blanc », dans Les Contes du hérisson, Rabier ne se décrirait-il pas lui-même ? « Perché sur le toit d’une roulotte [appartenant à la ménagerie d’un cirque] qui lui servait d’observatoire, il voyait se dérouler devant lui les péripéties de la vie champêtre 1 » Chaque mot semble ici porter un écho de ce qu’est Rabier, à distance mais tout proche, comme à la « bonne » place.
Ligne claire, image abymée
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Illustrateur et caricaturiste, Rabier, avec l’appui de Caran d’Ache (1858-1909), débute dans cette presse humoristique qu’a fait naître l’aventure du Chat Noir. Vite, comme le voulait cette période frémissante d’accélérations et d’expérimentations, Rabier passe des vignettes et des images d’Épinal à des œuvres nouvelles que revendiquent aujourd’hui aussi bien les spécialistes de l’album de littérature jeunesse que ceux de la bande dessinée 2. À la suite du Britannique Randolph Caldecott (1846-1886), Rabier enlace ses textes et ses images, renversant la préséance qui avait cours jusqu’alors dans le livre illustré et participant, par le succè retentissant de sa série prenant le canard Gédéon comme héros de la basse-cour et du globe, à l’émergence de l’album moderne. Au-delà de l’habileté sémantique et spatiale de ses mises en page, Rabier convainc aussi à travers son trait. Hergé (1907-1983) ne cachera jamais l’influence que le dessinateur aura eue sur lui et sur la naissance de la ligne claire. « Je devais avoir douze ou treize ans lorsque quelqu’un […] m’a offert une série de six cartes postales en couleurs illustrant la fable “Le Corbeau et le Renard”. Et j’ai été immédiatement conquis. Car ces dessins étaient très simples. Très simples, mais robustes, frais, joyeux et d’une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés, tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place ; la comédie pouvait commencer. Les coloris, eux aussi, m’enchantaient. C’étaient des aplats de couleurs, sans aucun dégradé, des couleurs franches, lumineuses, nettement délimitées par un trait énergique et “fermé”. C’est ainsi que, en quelques instants – et à mon insu, car ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai pu analyser mes impressions –, c’est ainsi que Benjamin Rabier (car ces dessins étaient de lui, vous l’aurez deviné) est devenu, à mes yeux, un maître ! Et c’est à coup sûr de cette rencontre que date mon
← Première page de Gédéon de Benjamin Rabier, Garnier Frères Éditions, 1930. Coll. Médiathèque de La Roche-sur-Yon.
1. Benjamin Rabier, « Le Bon Pélican blanc », dans Les Contes du hérisson, Escalquens, Éditions Mic Mac, 2017, p. 13-15, p. 13.
2. Voir Paul Gravett (dir.), Les 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie, Paris, Flammarion, 2012, p. 62 ; Sophie Van der Linden, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du Poisson soluble, 2006, p. 15.
Jean-Pierre Pagliano