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Danot l’enchanteur
Avec son Manège enchanté installé dans la tannerie paternelle à Cugand en Vendée, Serge Danot fait entrer le cinéma d’animation de volume, ou stop motion, à l’ORTF en 1964.
1. De son propre aveu, c’est ce programme qui a inspiré Claude Leydu pour créer Bonne nuit les petits en 1962 (marionnettes en prises de vues réelles).
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2. Pollux a aussi une vague parenté avec Chouchou, la mascotte chevelue de l’émission Salut les copains ›
Tournicoti, tournicoton… Nombreux sont ceux qui ont encore la formule dans l’oreille, petite madeleine d’un temps où le PAF se limitait aux deux chaînes de l’ORTF. Pour les autres, Le Manège enchanté fait partie d’un patrimoine télévisuel lointain qui dans les années soixante s’épanouissait avec succès sans injonctions d’audience. Thierry la Fronde, Le Canard Saturnin ou Belle et Sébastien étaient des produits jeunesse faits maison, réalisés sans grands moyens et animés… des meilleures intentions.
Connu de longue date au cinéma avec parfois d’exceptionnelles réussites (Ladislas Starewitch, George Pal, Jirí Trnka, pour ne citer qu’eux), le stop motion n’est pas conçu au départ pour la télévision, à quelques exceptions près. L’arrivée d’une production spécifiquement destinée aux télévisions européennes coïncide avec l’émergence des programmes destinés aux enfants. Dans les années soixante, la demande pour ceux-ci croît avec la multiplication des postes de télévision dans les foyers. Certains producteurs vont privilégier le stop motion par rapport au dessin animé car, sous sa forme la plus simple, il s’accommode mieux du rythme imposé par les émissions quotidiennes d’avant soirée. C’est ainsi que dès 1959 la Deutscher Fernsehfunk, télévision d’Allemagne de l’Est, propose Das Sandmännchen (« Le Petit Marchand de sable »), dont les poupées animées mettent chaque soir les bambins au lit 1 Petit à petit, des programmes animés en stop motion vont se substituer aux émissions de marionnettes « en direct », l’animation ayant l’avantage de rendre possibles de multiples rediffusions d’un même épisode, sans parler des ventes à l’étranger. En Grande-Bretagne, Les Nouvelles Aventures de Oui-Oui, d’après Enid Blyton, démarrent en 1963 pour animer les après-midis de congé des petits Britanniques. Elles sont suivies au fil de la décennie de nombreuses autres productions animées qui s’exportent dans le Commonwealth et ailleurs. Les standards de ce genre d’animation ne sont pas ceux du cinéma car il faut produire vite et beaucoup : une nouvelle esthétique simplifiée voit le jour, comme cela avait été le cas pour le dessin animé lorsqu’il est apparu à la télévision américaine, à la fin des années quarante. Le stop motion reste pourtant affaire d’artisanat, n’atteignant jamais le degré de standardisation du dessin animé de type cartoon
Une alternative à Bonne nuit les petits
C’est dans ce climat favorable que Le Manège enchanté de Serge Danot apparaît pour la première fois sur les écrans, le 5 octobre 1964, à 19 h 20. Les petits téléspectateurs français découvrent ainsi une alternative à Bonne nuit les petits : au lieu de dire aux bambins qu’il est temps d’aller se brosser les dents, il s’agit plutôt de les baigner dans un univers propice aux doux rêves, où l’imaginaire et l’humour priment sur l’éducatif. Ils y découvrent jour après jour une bande aussi sympathique qu’hétéroclite, mi humaine, mi animale, qui fréquente le Bois joli, autour du manège du Père Pivoine.
Le Manège enchanté, c’est d’abord un décor volontairement stylisé qui contraste avec le réalisme de Bonne nuit les petits : une fois éparpillés sur le plateau, quelques arbres en aplat, découpés dans du balsa, suffisent à donner un cadre et une profondeur aux saynètes. Un parti pris qui se révèle pertinent, l’efficacité tranquille de ce décor « étalagiste » opérant dès qu’il est peuplé par les personnages issus de l’imagination de Serge Danot et de ses collaborateurs. Il y a d’abord une marionnette assez classique pour Margote, en qui toutes les petites filles peuvent se reconnaître. Les autres sont plus décalées : le diable à ressort Zébulon surgit régulièrement pour multiplier les bizarreries, au point que les jeunes téléspectateurs guettent avec impatience ses apparitions. Il y a aussi le truculent Père Pivoine, Ambroise l’escargot et la vache Azalée, tout aussi pittoresques. Plus tard viendront le lapin Flapy et d’autres encore.
Gentiment non conformiste
L’atout majeur du Manège, c’est Pollux, un chien à la fois loufoque et snob qui s’exprime avec un fort accent british, une caractéristique qui le rend irrésistible. Avec son look hyper poilu (on aurait envie d’écrire chevelu), il a un je-ne-sais-quoi qui évoque les « quatre garçons dans le vent ». Tout ce qui touche au swinging London de près et même de très loin est alors tendance, et pour les petits le Manège est raccord avec le vent de nouveauté qui agite leurs grands frères et sœurs encore immergés dans la vague « yéyé 2 ».
Lorsque la télévision en couleurs entre dans les foyers, à partir de 1967, les téléspectateurs découvrent que le Manège est désormais tourné à grand renfort de rouges vifs, d’oranges, de roses et de bleus, un parti pris chromatique qui contribue à donner à la série son côté « pop ». Bien avant Casimir et Goldorak, le Manège incarne dans la télévision française une fraîcheur qui permettra la survie du programme bien après 1968. Quant à l’animation, elle exprime cette même modernité faussement nonchalante que l’on retrouve dans les dessins animés des Shadoks, en tirant un maximum d’effets d’un minimum d’efforts : lorsque Zébulon parle, seule sa moustache marque le tempo du dialogue. Il en va de même pour celle du Père Pivoine, ce qui évite tout fastidieux lipping Les déplacements de Pollux sont régis par le même astucieux minimalisme : son abondante toison escamotant ses pattes, nul besoin d’animer celles-ci. Il y aurait sans doute un parallèle à établir entre la de David Prochasson avec Christian Rouillard