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Jacques Demy première manière

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Benjamin Rabier

Benjamin Rabier

En 1989, pour la revue CinémAction, Jean-Pierre Pagliano s’entretenait de cinéma d’animation avec Jacques Demy : de ses premiers films de marionnettes tournés en amateur à sa rencontre avec Paul Grimault.

Un témoignage précieux que nous sommes heureux de vous faire partager.

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Romanesque et musical, l’univers de Jacques Demy se caractérise tout autant par sa cohérence plastique. Il est à l’évidence celui d’un coloriste. Avant d’écrire et de mettre en scène, le cinéaste fut attiré par la peinture (qu’il pratique encore volontiers aujourd’hui). C’est aux Beaux-Arts de Nantes qu’il se lia d’amitié avec Bernard Evein, son futur décorateur attitré. Mais à vingt ans, tous deux ne rêvent que de suivre l’exemple du grand Trnka : ils animent des marionnettes, des poupées joliment costumées 1. Pour les beaux yeux de ses premières vedettes, Demy invente des contes et se désole de ne pouvoir acquérir les droits d’un scénario de Sartre, Les Faux-Nez

L’humour et le lyrisme qui nous enchantent dans ses films – de Lola à Trois Places pour le 26 –c’est à travers l’animation qu’ils se sont d’abord exprimés. Et avant même l’époque des marionnettes, avec des personnages en papier découpé... Mais laissons plutôt Demy raconter ses débuts, puisqu’il a bien voulu confier ses souvenirs au magnétophone...

« J’ai suivi les cours du soir à l’école des beaux-arts de Nantes (j’étais dans une école technique dans la journée). Il y avait toute une petite société de peintres, de décorateurs, que j’aimais bien fréquenter. Les conversations entre peintres sont tellement drôles ! Ce sont des gens qui parlent bien de la société, des problèmes contemporains. Et puis les problèmes de la peinture sont passionnants.

J’avais commencé à dessiner, à faire des décors, etc., et j’avais une passion parallèle qui était le cinéma. Mais je n’aimais au cinéma, en fait, que les mises en scène reconstituées, par exemple Sous les toits de Paris de René Clair, Hôtel du Nord de Camé... Tout cet univers, cette époque-là, ces décors reconstitués, ces équipes formidables... Carné, Prévert, Trauner, ça a été mon adolescence. Le tout premier film que j’ai vu, c’est Blanche-Neige, de Disney. Mais ensuite, le premier qui m’a marqué c’est Les Visiteurs du soir (je devais avoir onze ans). Le décor, la transposition de la peinture, tout ce côté-là m’a toujours intéressé. Je ne voulais pas être peintre : cinéaste me semblait vraiment une destinée. Mais il y avait le dessin animé au milieu de ça. Comme je n’avais pas les moyens de faire ce que je voulais (j’avais treize ans lorsque j’ai acheté une caméra), j’ai fait quelques essais de dessins animés, mais comme je voulais des choses en volume, avec des décors plus grands, j’ai inventé une espèce de système. J’avais installé l’électricité dans le grenier de mon père, et monté une table énorme. Et sur cette table je construisais des décors qui étaient tout à fait inspirés par Sous les toits de Paris. Je n’avais jamais été à Paris, mais j’avais refait des toits de Paris, comme j’avais vu dans le court métrage de Grimault Le Voleur de paratonnerres. C’était vraiment un univers qui me parlait complètement et que je reconstituais.

Et c’est ainsi qu’à quatorze ans j’ai entrepris mon premier film, qui s’appelait Attaque nocturne, un film de cinq ou six minutes, en papier découpé mais en volume. Les décors étaient construits,

← Jacques Demy et Paul Grimault lors du tournage de La Table tournante © Photo Patrick Colin.

1. Ainsi que Demy le précise, les costumes étaient déjà de Jacqueline Moreau. Autour de ces œuvres de jeunesse se préfigurait l’équipe des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort

Philippe Moins

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