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Les témoins racontent L'Exode de la batellerie .53.......................... P
Deux autres viennent d'arriver : Daullet et Duquesne, deux héros. A trois, sur une péniche, ils avaient recueilli dix-huit gosses et trois femmes. C'était en Somme, au plus tonitruant de la bataille. Artillerie, mousqueterie, l'allemande et la française, croisaient leurs feux par-dessus leurs têtes. Car les passagers calfeutrés dans la cale, à l'abri, eux, restaient dans la dunette, attentifs à la manœuvre : ne pas tomber aux mains des Boches. Quatre jours de cet enfer, sans rien à donner à manger aux gosses, aux femmes. Vint, même, un moment où ils crurent tout perdu. Les nôtres ne tiraient plus. L'Allemand faisait des cartons sur le bateau. Le compagnon de Daullet et Duquesne venait de tomber, une balle en plein front. Les cheminots de la rivière n'ont plus rien à envier, pas plus épreuves que gloire, à leurs camarades héroïques du rail. » 74
Y a-t-il eu des évacuations de populations par les voies navigables comme en 1914 ? Non, hormis à Conflans, le bateau Je Sers appareille pour la Haute-Seine avec des réfugiés. L'avance Allemande est bien trop rapide et va rapidement couvrir une large partie du territoire. En revanche, les mariniers, quand ils ne partent pas à pied et à vélo comme la plus grande partie des réfugiés, essaient de mettre également en sécurité leur bateau, à la fois logement familiale et outil de travail.
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Les témoins racontent
Les témoignages de mariniers et d'enfants de bateliers de l'exode sont dans tous les récits retrouvés. « Le bateau de retour de Dijon charge à Rouen le 24 mai 244 tonnes de benzol à destination de Lyon. Ils ne savent pas encore qu'ils entreprennent là le plus long voyage de leur existence. Le 12 juin le Flèche d'Or arrive à Lyon au port Edouard-Herriot. Son déchargement n'aura pas lieu. Suite à l’évacuation de la ville et sur ordre des autorités miliaires il doit continuer son chemin. C'est la panique, les dépôts de carburants vident les réservoirs dans le Rhône tout comme le Flèche d'Or qui doit s'alléger d'une quarantaine de tonnes. » 75
« Le 10 mai 1940 nous surprend à Villeneuve-Saint-Georges. L'avance allemande est si rapide que nous n'avons pas le temps de livrer notre chargement de sable à Douai. On décharge à Paris. » 76
« Mon père qui avait 9 ans en 1914 se souvient de l'exode de 14. Mon père résiste
74 Le Journal – 31/05/40
75 Lydia Carnec-Branchet - Une saga batelière de 1850 à 1980 - n° 64 - 2010 75 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 - 2002
à partir mais ma mère à peur. Ils prennent donc la route à peu près les derniers du village. Ma mère pousse le landau avec moi dedans avec des réserves autour, mon père lui pousse son vélo bien chargé. Les portes de la marquise ne sont pas verrouillées. Ils se posent beaucoup de questions. Sur la route ils font de grandes étapes, mon père est de suite à la peine. Il a aux pieds ses plus belles chaussures, les vernis ! qui le blessent. Ils finissent par monter dans un wagon de marchandises d'un train les obligeant à abandonner le vélo ne pouvant garder à bord que le landau. Wagon des évacués Champenois. Chacun se fait sa place dedans sans penser aux autres. Le train s'arrêtant sans cesse, l'armée Allemande va plus vite qu'eux. De ce fait mon père pense qu'il ne sert à rien d'aller jusqu'à Paris. Il descend du train et choisit un vélo à la gare parmi ceux abandonnés pour remonter d'écluse en écluse par les chemins de halage en direction de Saint-Dizier. Ma mère et moi continuions avec un groupe. Ma mère continue son chemin à bord du train. Ayant voulu chercher de l'eau chaude à la locomotive pour mon biberon elle manque de peu de ne pas remonter dans le train qui redémarre. » 77
« En juin 1940 notre bateau chargé des tuyaux à Pont-à-Mousson avait été détourné pour cause de guerre. Il se trouvait le 11 juin à la voûte de Liverdun (Meurthe-et-Moselle) à dix-huit kilomètres de Nancy, pour y passer la nuit. Le lendemain, nous espérions continuer notre voyage. Mais hélas ! La guerre était déclarée depuis huit mois. L'envahisseur approchait à grand pas. Et tout le personnel des voies navigables évacuait : plus personne pour organiser le passage du souterrain, ni conduire la machine. » (le toueur)78
« Le deuxième jour d'attente, presque toute la population avait disparu et fuyait avant l'arrivée des allemands. Nous prîmes la décision d'en faire autant. Maman remplit des valises, des sacs, des caisses … Mais comme nous devions évacuer en vélo, impossible de tout emporter. … Papa sur son vélo de course. Maman essayant de bien garder l'équilibre car moi, j'étais derrière assise dans un panier posé sur le porte-bagages, les trois masques à gaz sur le dos…. D’autres personnes évacuaient à pied en poussant une brouette ou une voiture d'enfant. C'était la débâcle.79 Il faut l'avoir vécue pour se rendre compte de la pagaille qui régnait sur les routes. Nous risquions d'être tués à chaque instant par les bombes ou les mitrailleuses des avions qui survolaient les routes. Là, (trajet Liverdun à Richard Ménil) avec des milliers d'évacués qui cherchaient un endroit pour se reposer, nous avons trouvé une place dans la grange d'une ferme... Dérangés tout le temps par le bruit de la D.C.A qui tire sur les avions et le bruit sourd des canons de l'ennemi qui se rapproche... nous nous levons très tôt le 14 juin. Après s'être passé de l'eau fraîche sur le visage à la pompe et pris un petit déjeuner de pain et de lait frais, tous les six nous remontons sur les vélos pour continuer la route.
77 Raymond Carpentier - 2020 78 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 – 1990 -les bateaux Alma et Porphyre 79 Terme fluvial de la glace qui se brise sur les cours d’eau au redoux
Pendant notre exode de Richardménil à Charmes en longeant le canal de l'Est, allant vers les Vosges, sur la rive opposée nous rencontrons des soldats français. C'est la débâcle, mal vêtus, la capote déboutonnée, les godasses trouées, un fusil pour trois, plus de cartouche, anéantis, ils reculaient. » 80 « Au retour à Origny avec un chargement de gypse, le patron demande à mon père de partir pour la zone libre pour que le bateau ne soit pas saisi. Il tenta de la faire avec 100 tonnes de lest. Il se trouva bloqué à Marseilles-lès-Aubigny (Cher). Le lendemain de notre arrivée les ennemis étaient là. Nous restâmes bloqués trois mois. » 81 « En mai 1940, il transporte encore une fois des gravats de Mantes à Lille au moment de l'offensive allemande. Son bateau ainsi que des centaines d'autres reçoit l'ordre d'aller sur Dunkerque en vue d'être évacué sur l'Angleterre. A cause du nombre, des bouchons se forment. Son bateau reste bloqué à Béthune. Lors de l'évacuation britannique, les Anglais brûlent plus de 1000 bateaux. A 4h00 du matin, j’avais 4 1/2 ans, la famille doit évacuer promptement. Seuls une poussette, une couverture et un vélo sont sauvés. Plus de photos ou de papiers. Il ne reste que le fond du bateau qui n'a pas brûlé. Pendant 15 jours la famille erre dans la région du Nord durant l'exode. De retour à son bateau coulé, elle dort deux jours sur la berge sans aucun abri, puis un voisin leur donne une bâche pour s'abriter. Ils sont relogés dans un coron dans une maison abandonné à Béthune. » 82 Quelques articles racontent à leurs lecteurs la destruction par nos alliés de centaines de bateaux lors de l’évacuation par Dunkerque. « Sauvera-t-on la batellerie française ? » Par André du Bief « Atteinte par la guerre elle voit s'aggraver la crise qui la menaçait dans la paix Le long des quais de Paris, de Port-à-l’Anglais jusqu’à Javel, les péniches dolentes attendent. Parfois un remorqueur passe, jetant un cri d'appel qui ne peut défiger la flotte parquée des chalands. La batellerie française se languit... d'une langueur qui mènerait facilement à la mort. La guerre l'a durement frappée. Destructions tout d'abord : Là-bas, entre Béthune et la Bassée, raconte un marinier qui bricole sans goût sur la berge, les Anglais ont été sans pitié. Ils ont englouti sous l'eau, lors de leur retraite, un millier de bateaux. Dans les uns ils jetèrent à fond une cinquantaine de litres d'essence et les firent flamber ; les autres ils les firent sauter. » Dans le même temps, la menace aérienne allemande est un sujet de préoccupation La Journée Industrielle – octobre 39
« Conférence des syndicats de navigation intérieure Nous attirons l'attention que l'intérêt qu'il y aurait à ne pas laisser stationner d'amas de bateaux, même dans les points réservés à ce stationnement, du fait du danger que cette accumulation pourrait présenter en cas d'incursion aérienne d'aviateurs ennemis. » 83
80 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 – 1990 -les bateaux Alma et Porphyre 81 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 - 2019 82 Simon Desselle, 85 ans - 2020
83 Le Matin – 11/09/40 – page 1 et 2
Le Cyrano avant la guerre sur la Seine. – Coll. Roland Langlin
La flotte française était constituée surtout de chalands et de remorqueurs sur le Rhin avec quelques dizaines d'automoteurs en 1939. Fin août 39 la C.G.N.R, Compagnie Générale de Navigation du Rhin, appartenant à l'Etat doit évacuer ses locaux de Strasbourg-Port pour Paris puis Montélimar, lieu d'origine de son directeur Pierre Brousse, futur président de l’O.N.N.. C’est l’évacuation vers des pays neutres comme la Belgique et les Pays Bas, ou la Suisse de l'essentiel des unités. Puis, fin octobre 39 c’est le départ de Flessingue vers la France par la mer d'une soixantaine de bateaux suite à la mission en Hollande de Pierre Brousse. Les automoteurs gagnent Rouen. 11 d'entre eux partent une seconde fois par la mer pour St Malo. C’est cette tentative de fuite collective de bateaux depuis la Seine qui est raconté sous forme de journal de bord, « L'exode de la batellerie - juin 1940 » du 08 juin au 20 juin.85
Les archives concernent cet exode, en 1940, d'une fraction de la flotte fluviale cherchant à échapper à l'envahisseur est sous la forme du carnet de bord du
84 Heurs et malheurs de la flotte française d'automoteurs du Rhin - 1939/1945 - Marie-Hélène David Bulletin de la société des amis du musée régional du Rhin et de la navigation - n° 20 - 2008 85 Par Jeannette Le Jeune-Jacq en 1986. C'est aussi l'objet d'un roman historique tiré d'article publiés, L'odyssée des bateliers du Rhin, des péniches alsaciennes en Manche, 1939 – 1942 - Frédéric Witté - L'esprit des vagues - 2012
remorqueur piloté par le commandant Jacq, père de l'auteure du livre, qui avait, à l'époque, assumé toute la responsabilité du montage de ce départ en mer, puis de son exécution. Il cherchait à rejoindre Brest. Notez qu’ils n’étaient que salariés et que les bateaux ne leur appartenaient pas. Les bateaux seront rattrapés à Morlaix par l'Armistice et par les Allemands. Plusieurs rouilleront sur place pendant toute la guerre, certains reviendront en baie de Seine tandis que d'autres serviront de bateaux de ravitaillement de la garnison d'occupation des îles Anglo-Normandes. Voici un résumé de l’odyssée : Le texte commence par l'histoire du bac du Hode, le Havre, car il n’y a pas de pont et celui de Tancarville sera ouvert en 1959.- juin 40 devant l'avance Allemande, il doit partir pour Cherbourg mais s'échoue sur la digue sud de la Seine en amont d'Honfleur puis coule un obus l'ayant atteint sa coque. Renfloué il reprend son service. Le 10 mai 1944 attaque aérienne anglaise fait des dégâts insignifiants. La protection de la passerelle et des abris sur les appontements sont réalisés. Le 9 juin 1944, touché par une bombe il est pris en remorque et échoué à l'embouchure de la Risle. Le 12 juin nouvelles bombes l'atteignent. Renfloué en 1947 et réparé par les Chantiers de Normandie à GrandQuevilly, il reprend du service en 1949 jusqu'au 25 juillet 59 et l'ouverture du pont. L’exode proprement dit des bateaux depuis Rouen : Décision de partir le 08 juin Le Caprina sera le chien de garde d'un convoi d'une quarantaine de bateaux appartenant à différentes compagnies. Malheureusement tous n'arriveront pas. Les événements se précipitent. Achetons rapidement quelques instructions nautiques. La navigation va se trouver plus ardue que je ne pensais, mais adieu va ! … Pousser les feux des trois remorqueurs As, Cyrano et Caprina. Dimanche 9 juin à 00h20 Je supplie d'éviter de faire tirer les soldats qui refusent notre départ au passage du Cyrano qui remorque un chaland vide d'essence mais non dégazé. Malgré cela le Cyrano a été canardé par des Français, ils ont été maladroits. 04H00 Prévenu le commandant que j'appareillais, qu'il fasse ce qu'il voudrait. A 04h30 le bassin aux pétroles de Rouen est en feu. 11h00 Tancarville. Viré et embarqué des réfugiés. Pris notre agent du Havre, M. Debaix avec ses vieux parents. Embarquement difficile des vieillards. Ils débarquent à Honfleur sur l’autre rive au sud. Aidé l'accostage des chalands des Ponts et
Chaussées pour l'embarquement des voitures et des civils. Appareillé pour Honfleur. La C.F.R., Compagnie Française de Raffinage, brûle. Le ciel est obscurci et malgré le temps idéal, il fait nuit à midi. Le cauchemar de la Raffinerie de Normandie au Havre
La destruction des stocks de carburants pour qu'ils ne tombent pas dans les mains de l’ennemi. Le nuage est si épais et si important qu'il obscurcit le ciel et provoque une baisse de la température de 10 °C. C'est comme par un temps d'éclipse totale de soleil.
Le 10 juin
03h00 Ne partons plus au Havre. Seuls les bateaux en bois appareillent, des mines étant signalées. 07h00 La libre pratique nous est accordée après bien des réticences et pas mal de palabre. Appareillage pour le Havre. Évolution heure par heure... 12h00
Un tas de bateaux sortent. Je donne la tête à l'As ; groupe tout le monde, mais impossible de les compter ; il y a des bateaux du Rhin, de la H.P.L.M., de l'Union Normande, de Citerna. Le convoi a bien cinq kilomètres de long. 19h00 Rentrons tous à Ouistreham, pêle-mêle dans l'avant-port, Les mariniers sont assez indisciplinés. Le Galem de Citerna, malgré mes avertissements va sur le sable à Riva-Bella. Le Vouloir et le René se sont dérobés au convoi et sont restés à Honfleur.
Mardi 11 juin
03h00 Appareillage pour Cherbourg. Les mariniers commencent à comprendre qu'il faut un chef.
04h30 Forme 2 convois en rade : 1er : Cyrano, Ker Vary, Marie-Thérése, Chantilly, Trombe, Siroco, Armattan et Autan 2ème : Mousson, Ouragan, Rafale, Tornade, Mollan, Bruster, Vinotra II, Clio, Solano et Galem L'As en tête sert de guide, le Caprina continue son rôle de chien de garde et remet tout le monde sur la bonne voie.
12h00 Doublons Barfleur
15h00 En rade de Cherbourg 17h00 Tout le monde est au mouillage dans l'anse Sainte-Anne sous Querqueville. La police de la navigation nous fait donner de l'eau et des cartes marines, ainsi que du « gazoil » aux automoteurs, nous poussent impérieusement à partir pour Granville. Nous allons y rester trois jours. 13H00 La citerne remplit nos ballasts, celui du Caprina n'a pas été réparé comme je l'avais demandé et il fuit. Après étude de la carte Granville apparaît comme n’étant nullement un point d'escale. J'annule l'appareillage. Nous les mènerons quand même à Saint-Malo.
Vendredi 14 juin
Appareillage à 19h00, ordres à 17h15 Route à 3 miles de la terre. Mouillage d'Omonville pour éviter le passage du cap de la Hague de nuit. 21h00 Mouille par groupe de 5 ou 6 sous Omonville-la-Rogue à 1 mile de terre. Beau temps, faible houle et vent NE Jobourg le 15 juin La houle qui est un peu plus longue fait casser fréquemment les remorques. Il faut ramener les petits car ils ne peuvent gouverner seuls. 12h00 Travers de Jersey, 13h00 cap Frehel à vue. 16h00 Prise du pilote pour rentrer qui place les moteurs vides dans la Rance et les trois petits Citerna chargés dans les bassins.
Dimanche 16 juin
Fait de l'eau aux trois remorqueurs toute la journée. Sortons les 3 petits Citerna. Ils me demandent de continuer avec nous jusqu'à Brest, étape finale. J'ai eu enfin M. Borde au téléphone. Appareillage 05h00 du matin. D'autres témoins de cette odyssée témoignent : Mme Lécluse : le 16 juin nous arrivons à Saint-Malo. Le Vinotra II et nous, Clio, allons à La Rance. Les gens affolés au passage de l'écluse, croient que nous allons en Angleterre, veulent embarquer.
Une femme à même sauté à bord. Nous allons à La Richardais où nous resterons 4 mois, en suivant les marées. Nous serons un des premiers à être rapatrié à Rouen. François Postic : Le 17 juin 40 nous avons reçu l'ordre de rentrer dans le port de Saint-Malo avec l'assistance d'un pilote. J'y ai retrouvé trois remorqueurs de l'Union Normande : l'As, le Cyrano et le Caprina qui étaient au mouillage à l'aval de la Rance. Avec le Citerna nous rentrons nos deux remorqueurs dans le bassin de Saint-Malo afin de remettre ma feuille de route aux Autorités du port pour confirmer mon arrivée avec mon convoi. Plusieurs convois fluviaux, chassés d'Honfleur, rentrent en rade, accompagnés par des remorqueurs de l’État.
Le 18 juin
07h00 Complète l'eau des ballasts. Le vin des citernes du Clio s’abîme. Sachant que l'Intendance en manquait et que de nombreux réfugiés étaient sans secours, j'ai essayé de faire prendre le vin du Clio. Je n'ai réussi qu'à en faire enlever que mille litres environ et à enivrer quelques soldats. 12h00 Les Anglais partent rapidement, on dirait que le diable est à leur trousse. 12h30 Le commandant du port vient nous donner l'ordre de « déguerpir » le plus rapidement possible. Appareillé immédiatement avec le Taute 13h00 Eclusé. Un remorqueur du Port Autonome du Havre coince le sas. Manœuvré pour le dégager. Le dépôt est en flamme, le « Trombe » est en feu, un navire a touché l'écluse, la fumée et les flammes lèchent notre arrière. L'Amirauté donne l'ordre de saborder les bateaux d'essence qui n'appareilleront pas. Les ponts sautent, la cale-sèche aussi. Enfin nous sortons. Je respire mieux. 13h15 Je transmets les ordres à toute la flotte. Il y a un flottement et des grincements de dents, mais « Sainte Frousse » vient à mon secours. J'accoste à la cale de SaintServan, embarque M. et Mme. Debaix, un vérificateur des douanes du Havre. Tout le monde appareille, l'As prend la tête. 14h00 Dans la passe je raccroche le Presto chargé, qui a du mal à gouverner. Le Vouloir prend une mauvaise direction. Je le ramène dans la bonne route. Pendant ces manœuvres je perds de vue le convoi de l'As. Le vent fraîchit, il y a un peu de clapotis. 17h00
Doublé le cap Frehel avec le Presto, le Vouloir et 11 Citerna. 20h00 Passons à l'Est du Grand Lejon, cap sur la Horaine. La mer se creuse un peu. Je suis inquiet pour toute ma « smala ». Rien ne nous offre un abri avec les vents NW. Toutes les baies sont ouvertes.
21h30 Travers de la Horaine. J'ai décidé de continuer malgré la nuit, une fois la Horaine doublée, la mer sera plus douce. Les phares sont éteints – un peu scabreux – le compas est fou, mais le clair de lune nous aide. Pour la nuit j'organise le convoi pour que le Mousson fasse le chien de garde. Tous les feux doivent être éteints, seul le « Mousson » montrera un feu rouge quand il y aura des traînards et un feu vert quand tout ira bien.
19 juin
06h00 Entrons en rade de Morlaix. Stupeur ! Encore le feu ! Ils nous ont donc gagné de vitesse ! Ordre de mouiller en rade, Brest étant envahi ce jour. L'As et son convoi rentrent en rade de Paimpol.
20 juin
Morlaix. L'Administrateur ne sait rien et interdit la rentrée dans les bassins. En début d'après-midi il nous conseille de fuir sur les côtes sud de l'Angleterre. Je le regarde stupéfait. Le vent souffle en tempête et les bateaux pilotés du Havre restent en rade. Trois heures plus tard. Contre-ordre avec défense de sortir. Mines magnétiques et entrée gardée. Pris disposition pour garer le matériel au mieux.
Plusieurs articles de cette période portent sur ces bateaux en Bretagne. - Courrier Union Normande du 12 septembre 1940 Demande d'obtenir des
Allemands le bon de Réquisition des remorqueurs AS, Cyrano et Caprina ainsi que pour le Taute s'il est pris à son tour. - Courrier du 05 janvier 1944 Courrier du directeur de l'Union Normande qui donne pleins pouvoirs à Joseph Jacq qui le représente afin de récupérer tout ou partie des chalands, automoteurs et remorqueurs que nous pourrions avoir en souffrance dans les ports de Bretagne et en particulier à Brest, Saint-Malo, Cherbourg et autres. (Cherbourg est placé en Bretagne.) - 14 mars 1947 - Courrier Union Normande qui recommande le même capitaine Jacq pour qu'il aille à Biesboch en Hollande pour examiner les travaux sur le remorqueur Aramis.
L'avancée rapide des troupes Allemandes en mai – juin 1940 surprend les
mariniers les obligeant à improviser une fuite éperdue. Les automoteurs repliés sur la Rance seront requis par la marine allemande pour ravitailler les îles anglonormandes occupées au départ de Granville ou de Le Minihec. Un des automoteurs a été coulé à Jersey en août 43. 7 ont été coulés ou échoués entre Granville et la Rance en juillet-août 44. 3 qui s'étaient réfugiés à JerseyGuernesey en juillet 44 sont été récupérés en 45 à Granville. A la déclaration de guerre en septembre 39, on avait fait une "toilette de mer", et on les avait acheminés vers les ports français de la Mer du Nord et de la Manche, puis vers la Seine. Les 8 survivants ont fait route ensuite vers la Bretagne. Le convoi composé principalement de péniches Freycinet a quitté Honfleur pour la mer le 9 juin 40 et a contourné le Cotentin pour se retrouver après bien des vicissitudes à Paimpol ou à Morlaix. Le Bizerte en service des îles Anglo-Normandes est le 1 er octobre 46 à Guernesey en attente de rapatriement et navigue toujours sous le nom de Maurice Barrés. Plusieurs seront rebaptisés Rhenus suivit d'un numéro. Il faut préciser qu'aucuns des automoteurs sujets de cette histoire d’exode ont été réquisitionné pour l’opération Seelöwe.