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L'Exode
Deux soldats allemands regardant passer des réfugiés de l’Exode avec ce qu’ils ont pu sauver grâce à leur charrette. - Coll. Guillaume Kiffer Puis vient le 10 mai 1940 et la sidération qui va aller avec. Comme le dit l'historien Jean Jacques Becker qui a connu enfant l'exode « Une défaite de la France était inconcevable » 66 « Il y eut, à travers le pays, une vraie folie de l'exode. Qui de nous n'a rencontré, sur les routes, parmi les files d'évacués, des cohortes de pompiers, juchés sur leurs pompes municipales ? » 67
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C'est la panique. Il y a le souvenir et des récits de 1914. L'occupation du Nord de la France et de la Belgique qui avaient été particulièrement dure durant la Grande Guerre avec ses réquisitions, rafles et déportations de main-d’œuvre, humiliation des femmes, massacres de population comme à Dinant en 1914...68 Tout d'abord ce sont les réfugiés Belges dès le 1er jour qui se ruent. Puis les Français des zones des combats vont sur les routes, Ils marchent, ils marchent. Un flot de 6 à 8 millions de civils mais vers où ? Ils ne savent pas, ni où s'arrêter pour manger et dormir. C'est l’un des plus importants déplacements alors de population de l'histoire de l'Europe. Paris le 8ème jour. Rien ne se passe. La vie continue avec ses spectacles ou la bourse qui ne chute pas. Mais à 200 km au Nord c'est la désolation. Les actualités se veulent rassurantes et sont en décalage avec la réalité. Le mot d'ordre était toujours « on les aura ! »
Début juin, les événements s'accélèrent : Le 3 juin, bombardements dans la banlieue de Paris à Billancourt avec 250 morts. Les Parisiens ont en tête les images de Madrid, de Varsovie ou de Rotterdam. Ils fuient à leur tour.
Le 11 juin, le gouvernement part vers la Loire. Les piétons avancent par petites étapes. Toujours en file indienne sur la route avec le harcèlement des Stukas 69pour faire plier le plus vite le pouvoir politique français en attaquant les civils mais aussi encombrer les voies de circulations pour contrarier les déplacements des troupes françaises. C'est une vision de chaos mais les gens n’ont pas forcément une compréhension de la guerre en générale car nuls ne sais ce qui se passe au-delà de son propre horizon. C'est une impression de désorganisation générale. Par exemple rien n'est prévu pour l'arrivée des 120.000 personnes et 80.000 véhicules qui se bousculent à Vierzon, une ville d'ordinaire de 25.000 habitants ou à Niort 80.000 réfugiés pour 20.000 habitants. Il y en a qui ont fait leur beurre avec cette population en désarrois. A tel point que le journal La Dépêche du Berry demande à ce que les prix pratiqués soient les mêmes pour tous, locaux et réfugiés. Pour tenter d'empêcher ceci, le journal va jusqu'à donner les noms des commerçants qui abusent et volent les gens. Les familles se disloquent. Dans les villes étapes, des annonces de recherche des personnes perdues sont affichées. On estime de 80 à 90.000 enfants perdus d’après les chiffres de la Croix Rouge. Rapidement les bas-côtés des routes montrent des quantités de choses abandonnées. Ils sont des millions de sans logis et ils se mettaient où ils pouvaient.70
Les français ont le sentiment d'être abandonnés, c'est le désespoir. Puis un vieux monsieur qui avait eu son heure de gloire pendant la Grande Guerre appela à la fin des combats et à la recherche d'un armistice « dans l'honneur ». Au début les gens étaient confiants, Pétain était rassurant. Le 17 juin il appelle à la radio à la cessation des combats et demande d'un armistice qui est signé le 22 juin à Rethondes à l'endroit même où l'Allemagne l’avait signée en 1918. Les grandes personnes pleuraient, on croyait que c'était comme en 1918 la fin des combats.
Au bout de quelques semaines la progression de la Wehrmacht rejoint et dépasse le
Stukas : « bombardier en piqué » allemand se traduit par Sturzkampfflugzeug Mai 40 les enfants de l'exode - juin 2020 France 3 – Patrick Jeudy
flot des réfugiés. C'est la fin de l'exode. Les récits de l'époque disent que les soldats Allemands sont corrects et sans morgue. Il y a des milliers de morts civils sur les routes du pays en un peu plus d'un mois.71
Pour l'immense majorité des gens il est temps alors d'essayer de retourner chez soi. Par exemple, une famille a mis un mois pour aller des Ardennes jusque dans les Deux-Sèvres. En ligne droite il y a 700 kms mais avec les déplacements hiératiques cela à fait près de 1.300 kms. Pour d'autres c'est la tentative du retour, souvent sur les mêmes axes de circulation vers la zone de départ. Donc des centaines de kilomètres dans un sens puis dans l'autre, souvent à pied. Les Allemands veulent de l'ordre pour ne pas à avoir à gérer cette masse de gens. lls fixent la date couperet du 1er juillet pour revenir et franchir la Ligne de Démarcation. 8 millions de personnes sont sur les chemins du retour. Ils n'étaient pas considérés comme des victimes, ils passaient pour des fuyards que l'on a fait culpabiliser. Il y a un discours sur ce thème de Pétain. Comme si on avait inversé la problématique avec un gouvernement « lâche » avec sa fuite à Bordeaux et les pleins pouvoirs à Pétain qui fait retomber la « faute » sur le peuple. C'est un chapitre tragique et humiliant qui est tu.72
Les enfants de l'exode en ont tous gardé le souvenir. Ainsi l’historien Jean Jacques Becker a le sentiment de devenir adulte à 11 ans. C'est la fin de l'enfance et les choses gravées. 73
Un article relate ce triste épisode. Avec la batellerie repliée du Nord Au bord d'une rivière, sous la volée des canons – Jean Balensi .. Contre la rive plate, au pied du pavillon de briques du bureau de la navigation, un chaland en ciment à l'enseigne de l'entr'aide des bateliers : « Je Sers ». Foule sur la passerelle, foule sur le pont, foule dans les coursives, foule partout, et jusque dans les couloirs, jusque dans le propre bureau de l'ingénieur en chef dont le contrôle désormais s'étend de son propre bief à tous les biefs du Nord et à l'Est. Appels incessants du téléphone. « Les péniches vides récupérées devront être rassemblées en convoi et pourront désormais être envoyées vers la mer ». Un réfectoire qui en six jours a débité plus de 5000 repas.
71 Les estimations trouvées vont de 10 000 à 100 000 !
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Mai 40 les enfants de l'exode - juin 2020 France 3 – Patrick Jeudy 73 L'Exode – RMC Découverte https://rmcdecouverte.bfmtv.com/1940-les-francais-sur-les-routes-de-lexode/program_7115/ Éric Alary, L'exode : un drame oublié, Paris, Perrin, coll. « Tempus » - 2013 - http://museedelaresistanceenligne.org/index.php