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Le système D
Carte de charbon pour le chauffage – pour les autres usages du charbon il y a d’autres cartes. Coll. Guillaume Kiffer
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Le « système D »
Ayant de la place sur le pont du bateau, les bateliers élèvent quelques animaux comme des lapins ou des poules et pratiquent beaucoup la pêche ce qui fait des protéines gratuites... « En 44, vers le 20 septembre, la Wehrmacht a fait sauter un bateau de sucre. La nouvelle s'est répandue à dix kilomètres à la ronde : avec des gaffes, nous avons sorti des sas de 100 kilos, emportés sur le cadre d'un vélo ! Le maire de Bauzemont nous a demandé de réserver quelques sacs pour les personnes âgées, ce que nous avons fait bien volontiers. Le sucre a bien séché, étalé eau soleil sur un drap. » 114 « Lors de ce transport de Strasbourg à Rouen, plus exactement SaintEtienne-du-Rouvvray, je m'étais promis de ne pas quitter l'Alsace sans avoir fait provision de pommes de terre ! Nous avons démarré un samedi, vers le 20 septembre 1941. La récolte des pommes de de terre était en cours. Le lendemain, le dimanche, nous faisons halte vers 16h00 au pont de Hochfelden (Bas-Rhin). C'était la fête.115
114 François Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30 115 François Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30
Au village, je suis entré dans un café en habits du dimanche pour prendre une boisson et demander au tenancier s'il pouvait m'indiquer quelqu'un qui pourrait me vendre des pommes de terre. Il a appelé un homme. Le dialogue s'ensuit : Mais au fait, où allez-vous avec votre bateau ? A Rouen Mais alors vous passer par Paris et Conflans-Sainte-Honorine ? Ben oui Alors, nous avons de la famille par-là, qui crève de faim ; vous pourriez leur emmener aussi des pommes de terre ? Pas de problème ! Quelle quantité ? Tout ce que vous voudrez ! Chacun a apporté de qu'il vous pouvait, avec, en plus des pommes de terre, des colis confectionnés par les femmes, du lard, peut-être du beurre, des œufs et un petit sac de pommes ! J'ai rempli de pommes de terre le coffre à avoine qui fait bien dans les 500 litres, le tout bien recouvert de paille. Ce fût une nuit de folie, le petit vin blanc et la bière aidant ce chargement clandestin. Je pense qu'il y en avait bien pour deux tonnes ! Je ne suis pas allé jusqu'au bout de ce voyage ayant été arrêté lors de notre passage à Nancy le 30 septembre. Ma patronne a fait ce qu'il fallait faire ayant les adresses des destinataires. Il n'y avait pas encore de quai à Conflans et tout fut transbordé par bachot ! Le commis qui m'avait remplacé... » « Pendant la guerre on a utilisé le tabernacle pour élever des lapins et des poules, pour améliorer l'ordinaire ; certains y élevaient des pigeons ; j'y ai même vu une chèvre ! » 116
Une autre histoire de patates, « à Aubervilliers, dans une ferme nous avons la chance de trouver une tonne de pommes de terre, quelle aubaine, les fermiers ne voulaient pas les donner aux Allemands, ils nous font un petit prix, où les mettre ces patates? Il gèle. Jean trouve une solution, dans le couloir de la chambre, la nôtre, il fait trop froid devant sans la cabine aussi pour le moment nous couchons dans le lit de famille et les gamins sur un matelas par terre, nous avons juste du charbon pour la cuisinière de la cabine arrière les pommes de terre sac par sac dans le couloir, juste une place au bout pour nous passer, et la par-dessus un petit matelas, où mon petit frère Jacques dort. »
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« Pour une fois note père devient braconnier et tire un canard tapi dans les roseaux, presque à bout portant avec sa carabine. » 118
« A chaque changement de zone, nous avions d'autres tickets d'alimentation. Si nous sortions de France, il fallait les rendre au jour le jour. On arrivait toujours à tricher un peu, c'est le système D.
116 F. Berenwanger - Halage et traction, souvenirs d'un batelier - n° 30 – 1993 117 Jacquelin Hesbert – archives Cité des bateliers
118 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 – 2002
Dans la région parisienne, on avait inventé un règlement où chacun devait être inscrit chez son épicier habituel, pour avoir une ration de vin par personne. Naturellement, les mariniers inscrits nulle part n’avaient rien à espérer. A la protestation générale, on désigna plusieurs détaillants dans les agglomérations fréquentées par les mariniers. Il suffisait de montrer les papiers du bord pour obtenir ces fameux litres de vin, autant par bateau. Il ne restait plus alors qu'à faire la queue chacun à son tour pour acheter quelques topinambours pour pouvoir oublier un peu des misères de l'occupation et récupérer des vitamines. De Belgique, on rapporte de la chicorée. En France où elle est rare, elle aide à accepter l'infecte orge grillé qui remplace le café. Il y a aussi du tabac ; sauf que sur le « Baïse », où nous avons quatre cartes de fumeurs sans que personne ne fume. » 119
« Affrété il y avait toujours la possibilité d'aller doucement, c'était le credo de mon père. Cela lui permettait d'appliquer sa priorité : le ravitaillement, d'aller de ferme en ferme pour revenir avec un peu de lait, quelques œufs à vélo pour élargir le champ des recherches. » 120
« Mon père était un pêcheur invétéré. En plein été, il se levait tôt, quatre heures du matin.... Le soir, papa et moi de corvée pour écailler la friture. Maman ne voulait pas se charger de cette besogne, mais comme disait papa : « Elle savait bien les manger ». Pendant la guerre il faut être débrouillard. Un soir, des allées et venues d'hommes dans le noir nous intriguaient, nous les petites. Papa et parrain s'étaient arrangés pour trouver du café vert, car n'ayant plus de café, nous buvions de l'orge brûlée, du malt comme on disait ; ils se dépêchaient, un sac de café vert sur le dos, à rentrer la nuit. Il ne fallait pas se faire prendre. Nous avions un bruloir, genre de boîte cylindrique munie d'une manivelle pour tourner sur la flamme du feu. Cette torréfaction d'amateur fumait énormément et dégageait une odeur à plusieurs centaines de mètres. Il y avait vraiment de gros risques ! » 121 « Depuis deux ans déjà nous vivions de justes rations alimentaires. Le petit déjeuner est composé chaque jour d'une tartine grillée, d'un bol de malt et de la saccharine, peu de chocolat, pas de sucrerie, mais des topinambours et des rutabagas ! … (Le repas de la communion) La veille, mon grand-père fait le tour du pays d'Essars-les-Béthune (Pas-de-Calais) au complet. Il explique qu'il recherche de quoi faire un petit repas. Il revient tout joyeux avec un demi-lapin. Nous sommes neuf convives. Mais c'est une belle journée quand même. » 122 « Chaque jour, ma grand-mère m'envoyait vers onze heures chercher de la soupe populaire dans la maison au porche gris qui se trouvait sur le quai de la ville. Ma
119 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 – 2002 120 Raymond Carpentier – 2020 121 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 - 1990 122 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 - 1990
marmite au lait à la main, je fais parfois la queue un quart d'heure. Si j'allais trop tôt le jus était clair car les légumes tombaient dans le fond de la grande marmite. Si j'allais trop tard il n'en restait plus. Grand-mère me recommandait bien de demander à la dame chargée de la distribution de bien remuer. Nous avions le droit à deux louches par personne. » 123
« En attendant la rentrée des classes je faisais le ramassage des pommes de terre avec mon père. Un jour papa trouva une très grosse pomme de terre. Le fermier aurait eu un prix au concours si elle avait pesé cinq cents grammes, mais elle n'en pesait que quatre cent cinquante. Il nous l'a donné, nous rayonnions de bonheur. Nous avons le soir même fait des frites avec une tranche de lard frais en grillade. Au cours de ce déplacement, le bateau côtoya la zone libre, la rivière servant de ligne de démarcation. Un soir, alors que nous stationnons près d'une ferme dans la zone libre, je ne sais par quel miracle, ma mère débrouillarde réussit à se procurer quelques centaines de kilos de pommes de terre. C'était une denrée rare et combien précieuse en ces temps d'occupation. Pour les conserver sans risque, mon père les conserva dans des sacs en papier, (ceux qui servent normalement pour le ciment) et les entassa dans le couloir de la chambre, mon petit matelas dessus pour les cacher. Moi, c'est à ce moment que remonte mes premiers souvenirs, je disais à tout le monde : « Je dors sur les patates ! » … Est-ce parce qu’il s'agissait de nourriture que je m'en souviens ? » 124 « Pour se nourrir, c'était la débrouille. Papa pêchait des journées entières et maman, n'ayant peur de rien, courrait les fermes des environs pour échanger ce poisson conte quelques denrées dont elle manquait pour faire bouillir la marmite. » 125 « ça claquait du bec dans les villes » pour le ravitaillement126
« La nourriture dans ces temps difficiles est une priorité quotidienne. Par exemple faire du beurre avec une bouteille et du lait de ferme pour le petit ou revendre au marché noir un grand sac de haricots obtenu à une écluse dans un restaurant à Billancourt. » 127
123 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 - 1990 124 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 – 2019 125 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 – 2019 126 Roland Langlin – 2019 127 Simon Desselle, 85 ans - 2020