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Le Reichland ou l’Alsace-Lorraine
Après novembre 1942, il n’y a plus de zone dite libre. Le régime d’exploitation devient commun aux deux zones.
Vers la fin de la guerre les voyages sont longs souvent avec des marchandises et des destinations inhabituelles.
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En 1944, ce fut bien pire : le premier voyage, toujours Louvroil, dura un mois et demi-aller-retour. 258
Après sept mois d'immobilisation forcée, l'Origny 7 reprit sa route le 28 décembre. Après avoir déchargé notre marchandise à Valenciennes, on monta sur cale au chantier de Mortagne-du-Nord pour réparer l'avant du bateau endommagé lors de la l’accident sur la Sambre en mai 44. Cette réparation demanda plus d'un mois et demi de travail. Début mars, on retrouva des transports qui n'avaient toujours rien à voir avec notre société puisque nous chargions du charbon dans le Nord pour la région parisienne, à Gennevilliers, puis de là, du Havre à Vitry-sur-Seine. Malgré tout, les voyages n'étaient pas encore bien réguliers pour nous. C'était quelquefois pour la cimenterie, d'autres fois pour du divers. Au début de l'été 1945, nous avions un chargement de pommes de terre à Bar-le-Duc (Meuse). Des prisonniers de guerre allemands étaient dans la cale de notre bateau pour effectuer les opérations de déchargement sous la surveillance de soldats français. Et oui ! Les rôles avaient changé de camps !259
Pour notre dernier voyage de la guerre, nous avions pris un transport de laitier, des déchets de sidérurgie, à charger à Louvroil près de Hautmont (59) pour Beuvry près de Béthune. Ce voyage a duré du 17 mars 1944 au 8 janvier 1945 (en gros 10 mois !) Nous voyagions deux jours, puis arrêt de quatre jours, pour revoyager cinq jours, pour finir enfin plusieurs mois d'arrêt. Il fallut attendre plusieurs mois pour remettre les canaux démolis en état de marche pour nous permettre de continuer notre voyage. 260
Le Reichland ou l’Alsace-Lorraine
Le Rhin de par sa position géographique est une voie de transit importante entre le sud et le nord de l'Europe. Il fait d’ailleurs l'objet du tout premier traité international en 1815 au Congrès de Vienne. Il a surtout un rôle capital pour l’industrie allemande et de ce fait la navigation rhénane est fondamentale. Ainsi, au début du 20ème siècle alors que l’Alsace est dans le IIème Reich depuis 1871, les travaux entrepris par les Allemands permettent
257 Lydia Carnec-Branchet - Une saga batelière de 1850 à 1980 - n° 64 - 2010 258 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 -2019 259 Jacques Monier - Un batelier au service des ciments d'Origny - n°81 -2019 260 Eliane Droissart Bourdon - Marinière, ma vie, ma profession - n° 26 – 1990
la navigation de bateaux à grands gabarits de se prolonge de Mannheim à Strasbourg. Par le Traité de Versailles de 1919, quand l'Alsace retourne dans le giron français, un canal latéral est creusé de Bâle à Strasbourg permettant les bateaux de 1.500 tonnes et l'utilisation de l'énergie hydroélectrique par le barrage de Kembs.
A la fin de la Première Guerre mondiale, la navigation rhénane était aux mains de la flotte allemande et néerlandaise. La France du se reconstituer une flotte, notamment grâce aux indemnités de guerre, tout en développant les installations du port de Strasbourg. A l’avènement du nazisme en Allemagne, les bateliers allemands purent conserver partiellement leur indépendance économique sans être nationalisée mais qui doivent être subordonnés aux intérêts de l’État dans le cadre d'une économie planifiée, selon le dicton d’alors "le transport ne devait pas réaliser de bénéfices mais seulement nourrir".
Le gel des salaires et des prix sont arrêtés en 1939. Les réquisitions au profit des armateurs allemands des sociétés fluviales et des flottes rhénanes entre autres françaises accroissent les capacités de transport de la navigation rhénane allemande. Malgré les destructions durant la Campagne de France au printemps 1940, dès le mois d'août 1940 les chalands circulent de nouveau, bien que l’interconnexion entre le port et le rail ne soit pas opérationnelle. Comme la politique et le secteur du transport en Allemagne étaient subordonnés à l'économie de guerre, la navigation intérieure devait prendre sa part du trafic de pondéreux sur de longues distances afin de décharger le trafic ferroviaire qui est privilégié pour le matériel militaire. Pour optimiser cette utilisation, le régime hitlérien utilisait plusieurs moyens comme améliorer la formation, réduire les temps de chargement et de déchargement, assouplir les droits tarifaires ou employer du personnel féminin qui remplace les hommes sous les drapeaux. Malgré cela, le trafic sur le Rhin régresse de 90 millions de tonnes en 1938 à 35 en 1944. Le transbordement dans le port de Strasbourg s'élevait à 100.000 tonnes en novembre 1940. Durant la phase finale de la guerre, après le Débarquement de juin 44 en Normandie, les restrictions de transport se multiplient et le trafic diurne s'interrompt à cause des raids aériens. De plus, la pénurie de carburant allonge les temps de transport. Enfin, les destructions des ponts et des navires coulés compliquent la navigation. Mi-mars 1945, l'ordre est donné de détruire tous les équipements de transport sur le territoire du Reich. De très nombreux bateaux rhénans et installations portuaires furent détruits.
Face aux mobilisations de plus en plus d'hommes pour les fronts, de plus en plus de prisonniers de guerre polonais ou russes travaillent dans les entreprises de
Cette partie de la France connait encore en 1940 un bouleversement de son histoire. Ses habitants redeviennent allemands. Offendorf, au nord de Strasbourg, se présente volontiers comme le village des bateliers alsaciens. Son musée de la Batellerie a publié un ouvrage de roman-fiction, qui retrace l’histoire de sa population de la fin du 19ème siècle à nos jours.262 La seconde guerre mondiale y est très présente avec 70 pages qui lui sont consacrées sur 238. Etant une région à proximité de la futur zone des combats, les populations civiles sont évacuées vers l’intérieur du pays. Là aussi l’exode d’une partie des bateaux commence. Les Allemands sont arrivés avec des Stukas, ils ont pris le canal en enfilade. Quand les bombes tombaient, tout le monde sautait à terre et se cachait dans les environs. Tout ce qui peut circuler, tout ce qui peut se déplacer sans tracteur doit partir et se diriger sur Dijon. Un convoi de 5 bateaux si dirige soit avec des chevaux ou à la bricole.
En Alsace, la vente des chevaux avant qu’ils ne soient réquisitionnés s’organise et il y a l’obligation du halage dès qu'il y a des rails. Des tracteurs de la ligne Maginot sont amenés pour y participer. La bricole, pour que les hommes puissent tirer les bateaux, revient en force. Rapidement, les réquisitions des bateaux par les Allemands commencent. L’auteur précise malicieusement que là où se trouve son convoi, dans les Vosges, les bateaux ne risquent pas grand-chose. Tout est bouché. Si les Allemands veulent en prendre un, il leur faudra d'abord retirer les épaves. Nous sommes bloqués 6 ou 7 mois aux Forges de Thuminont (88). Nous améliorons l’ordinaire en pratiquant la pêche à la ligne. Nous avons pu garder nos chevaux que nous avions cachés. Ils font le foin ou les patates chez les paysans du coin. « On a aussi rentré les pommes de terre. On n'a pas eu de sous mais on a eu des pommes de terre. » Une autre façon de se procurer des vivres c’est quand on était chargé de certaines marchandises, entre autres du charbon, un petit panier de charbon par-ci, un petit panier par-là, un sac de charbon contre un poulet, ou quelques salades contre 5 kilos de patates...on a toujours fait un peu de troc, c'est dans les gènes des bateliers ! … fallait pas exagérer, mais il y avait toujours moyen de se débrouiller. Puis les voyages ont repris en décembre 40, progressivement avec les voies qui sont déblayés. Nous avons été réquisitionnés par l'armée Allemandes pour des transports à l'intérieur du Reich. A Mulhouse c’est un chargement de potasse pour une destination inconnue. Nous mettons plusieurs mois pour arriver à destination. Des fois on cachait de la marchandise pour qu’elle ne soit pas découverte par les douaniers. Une fois, en passant par Saverne, nous avions deux énormes sacs de paquets de cigarettes cachés dans la cargaison de marc sec de pommes : « Cela m'amusait de jouer un bon tour aux occupants et aux douaniers qui étaient à leurs ordres ! » L’hiver 41/42 a été très dur. Nous sommes pris par les glaces pendant 3 mois
261 Transports dans la France en guerre Coordination Marie-Noëlle Polino - La navigation rhénane en Alsace pendant la Seconde Guerre mondiale - Pia Norblom - Publications de l'Université de Rouen et du Havre – 2008
262 La saga des bateliers d'Offendorf – Commune d'Offendorf – 2007
jusqu'en mars. Pendant la guerre, la « frontière » était à l’écluse 14 – 13 – 12 entre Xures et Lagarde. Nous avons aidé au passage d'aviateurs polonais de la R.A.F. à la « frontière » et on en a vu se sauver des prisonniers. Il y en a qui longeaient le chemin de halage, certains demandaient l'aide de mariniers pour travers le canal en bachot.
Une des très nombreuses lettres afin de régler le problème sur la location des remorqueurs Pax, Aigles et Calvi en Allemagne. – Coll. V.N.F.