11 minute read
BOSCH ET UNE AUTRE RENAISSANCE
moitié du XVe siècle.
Les panneaux du triptyque représentent, de gauche à droite, les trois phases fondamentales de la vie du saint, depuis le moment où Antoine a embrassé la vie d’ermite, en passant par la persécution du diable, jusqu’au dépassement de la tentation et l’obtention de la paix intérieure.
Advertisement
Sur la première aile, saint Antoine est représenté deux fois : alors qu’il est soutenu, inconscient, par deux moines après une attaque du démon et, plus tard, dans une prière extatique, porté dans les airs par des démons.
Cette dernière scène, qui plaisait beaucoup aux artistes de l’époque, décrit un événement survenu relativement tard dans la vie du saint.
Un matin, en effet, alors qu’il méditait, il tomba en extase et eut une apparition : il se vit transporté dans les airs, tantôt par deux anges, tantôt par deux démons qui lui demandèrent de payer les péchés de sa jeunesse.
Dès lors, les éléments du monde de Bosch sombrent dans le chaos, dans un fatras de figures étranges, telles qu’un loup-diable, un chevalier-diable tenant un poisson en guise de lance, des pois- sons volants et, dans la prairie, un géant (également un motif récurrent dans l’histoire du saint) que Bosch représente à quatre pattes, tout en prenant la forme d’une taverne. La taverne du Hollandais représente toute l’ambiguïté du monde, le péché et le piège diabolique pour les âmes, tandis que dans le paysage, des motifs et des symboles récurrents font allusion au voyage. Le panneau central représente la phase cruciale de la lutte contre les démons amassés en grands groupes autour du saint, qui attaquera dans le dernier panneau.
Ici, Antoine est représenté à genoux, dans l’intention d’observer le spectateur, tandis que la diagonale de son dos accompagne son regard vers le Christ bénissant devant son crucifix.
Dans le dernier panneau, la méditation de saint Antoine est représentée, tandis que des personnages volent dans le ciel vers le sabbat des sorcières.
Au premier plan, une femme nue, Lust, émerge d’un tronc et s’offre au saint en méditation.
À côté d’Antoine, un nain avec un moulin à vent et un manteau rouge, symbolisant l’inconscience et, toujours au premier plan, la dernière tentation : une table avec du pain et du vin.
C’est le chroniqueur vénitien Marcantonio Michiel qui, le premier, a décrit l’art de Bosch comme étant peuplé «d’enfers, de monstres et de rêves», esquissant le profil d’un artiste extrêmement imaginatif et d’un «pictor gryllorum», c’est-à-dire un peintre de scènes ridicules.
Beaucoup plus douce et rêveuse est la représentation des méditations de saint Jean-Baptiste, qui, pour des raisons de conservation, quittera l’exposition le 13 février.
Le saint est ici représenté méditant sur une prairie et immergé dans un paysage plus réaliste que les autres œuvres exposées.
Mais l’illusion est immédiatement brisée avec le Triptyque des Saints Ermites.
Bosch a exécuté cette huile sur panneau entre 1495 et 1505 : dans le panneau central, saint Jérôme, reconnaissable à sa robe de cardinal, sa croix et son lion, erre dans le désert interrompu par des ruines et des bas-reliefs.
Le paysage se poursuit dans le panneau de gauche avec l’abbé Saint Antoine comme protagoniste, tandis que dans le panneau de droite, Saint Aegidius est représenté avec la biche qui l’a nourri pendant son voyage en tant qu’ermite.
C’est le point de départ de tout le parcours de l’exposition, qui ne suit pas une chronologie précise, mais différents thèmes qui accompagnent le public dans un voyage presque parmi les mêmes tentations du saint, le faisant se retrouver maintenant dans une lutte entre classique et anti-classique, maintenant parmi les rêves, la magie et les visions apocalyptiques, maintenant parmi les gravures, les curiosités et la collection macabre.
La deuxième salle, dans laquelle est abordé le thème du «classique et de l’anti-classique entre l’Italie et la péninsule ibérique», raconte l’autre côté de la Renaissance, en s’ouvrant sur une version post-bosque des Tentations de Saint Antoine de Jan Wellens de Cock, datant de 1525.
Cet espace accueille également l’un des grands de la Renaissance italienne, Léonard de Vinci, avec quelques caricatures grotesques tirées d’une des pages du Codice Trivulziano.
C’est ici que s’ouvre une petite boîte de Pandore qui remet en question les certitudes d’une époque qui, sous la couche d’hymnes à la beauté et à la mesure, cachait en réalité la même monstruosité bizarre typique de l’art de Bosch, démontrant ainsi qu’une Renaissance faite d’hybridations et de fascination pour l’excentricité n’était pas l’apanage de l’art nordique.
On passe ensuite aux «rêves» hallucinés et cauchemardesques de Marcantonio Raimondi, d’Albrecht Dürer et des artistes de l’atelier de Bosch, en parcourant les pages d’un manuel de divination de l’avenir par la lecture des symboles présents dans les rêves.
Les rêves, au XVIe siècle, séduisent et troublent, et on ne compte plus les traités ou les représentations picturales comme, par exemple, La Vision de Tundalo (v. 14911525), qui décrit le voyage initiatique du chevalier qui a visité l’au-delà pendant trois jours.
La légende est ici peinte par un disciple de Bosch, qui représente le chevalier endormi, assis et assisté par un ange. Mais le chevalier semble presque un élément secondaire par rapport à la grosse tête aux yeux vides et aux oreilles desquelles poussent des arbres, tandis que des pièces de monnaie coulent de son nez.
À droite, on trouve d’innombrables éléments caractéristiques du répertoire sylvestre, tels qu’un château en feu, des silhouettes ombragées et des monstres étranges. Pour conclure ce cauchemar féroce, une femme endormie sur un lit entourée de bêtes, comme si elle était le repas d’un banquet macabre. Presque comme s’il cherchait un sens intrinsèque et une raison à ces visions oniriques morbides, le voyageur sera guidé vers la salle de magie, où la femme est présentée comme un objet et, souvent, considérée comme le diable.
C’est ainsi que l’on découvre une célèbre gravure, le Stregozzo, dérivée d’un burin d’Albrecht Dürer, qui reprenait à son tour une invention graphique de Mantegna, où la sorcière est représentée comme une vieille femme couchée, les cheveux défaits, qui chevauche le squelette d’un animal terrifiant et se nourrit d’enfants arrachés à leur famille la nuit du sabbat infernal.
En poursuivant le parcours, on voit encore mieux comment les commissaires, en insérant des liens avec des artistes italiens de la même époque, ont suivi leur difficile entreprise de reconstitution d’une Renaissance faite d’ombre et de lumière, de vie et de mort.
Une Renaissance avec un seul grand cœur qui bat, dans lequel le monstrueux et la grâce se contaminent, se mêlent et apprennent l’un de l’autre.
Ainsi, dans la salle des visions apocalyptiques, un autre dialogue colossal est présenté, cette fois entre Dante Alighieri, avec sa Comedia, et les représentations particulières de Herri met de Bles II ou les gravures de Pieter Bruegel l’Ancien, qui reviendront dans la salle consacrée à la «presse comme moyen de diffusion» parmi les étranges figures de bouffons et de monstres en équilibre précaire entre rêves et cauchemars.
À côté d’eux, une autre œuvre de Bosch : le Triptyque du Jugement dernier.
Il s’agit d’une imposante huile sur panneau représentant, à gauche, le Paradis, à droite, l’Enfer et, au centre, le Jugement dernier exécuté par le Christ qui domine un monde de créatures évoquant différents péchés.
Bosch Et Une Autre Renaissance
Bosch e un altro
Rinascimento: visioni dall’inferno alla mostra di Milano
Jusqu’au
12 Mars 2023
Palazzo Reale Milano
Piazza del Duomo 12
20122 Milano
Tél.:+39 02 8844 5181 c.mostre@comune.milano.it palazzorealemilano.it
Avant de nous plonger dans le monde des estampes, nous revenons plus en détail sur les Tentations de saint Antoine, qui fut sans aucun doute l’un des thèmes les plus réussis de la poétique de Hieronymus Bosch et de ses disciples. L’école de l’artiste néerlandais est à l’origine d’une toile d’une taille exceptionnelle, datée de 1554 et autrefois attribuée à tort à Pieter Bruegel l’Ancien sur la base de la signature apocryphe «P.BRUEGHEL».
Le sujet des Tentations de saint Antoine était souvent pratiqué par les disciples de Bosch car il leur donnait l’occasion de montrer tous ces petits monstres, démons et êtres typiques de la «manière Bosch», à tel point que les souffrances du saint étaient reléguées au second plan pour laisser place au pandémonium fantastique qui remplit toute la surface de l’œuvre, contrairement aux Tentations de Bosch où le saint joue également un rôle important.
Cependant, Hieronymus Bosch n’était pas seulement aimé et imité dans son propre pays : les Habsbourg, qui régnaient sur le Brabant depuis la fin du XVe siècle, nourrissaient un attrait particulier pour l’art de Bosch.
(suit page 28)
(suit de la page 27)
A tel point que Philippe II a conservé un grand nombre d’œuvres de l’artiste et de son cercle à Madrid, à l’Escorial et au palais du Prado.
La collection de Granvelle comprenait également une série de quatre tapisseries «à la manière de Bosch» qui entrèrent dans la collection royale espagnole probablement déjà à l’époque de Philippe II.
Le succès de la collection de textiles fut tel que Don Fernando Alvarez de Toledo, troisième duc d’Albe, finit par posséder une série similaire copiée de la collection de Granvelle.
Dans l’espace de la rétrospective consacré aux Habsbourg, parmi les énormes tapisseries, se détache un petit panneau représentant encore les Tentations de saint Antoine, mais qui fut l’une des premières œuvres de Bosch données par Philippe II au monastère de l’Escurial, après qu’il l’eut acquis vers 1563 auprès du marquis de Cortes.
Contrairement aux autres représentations des tentations du saint, ici Antoine n’est pas assailli par les êtres maléfiques : le saint semble absorbé dans ses pensées, assis sous le tronc d’un arbre creux, et les démons, plutôt que de le tourmenter, semblent être des figures comiques, étrangères au contexte.
Cette interprétation très particulière du sujet iconographique est l’une des principales raisons qui ont conduit plusieurs auteurs à considérer le tableau comme étranger au pinceau de Bosch, mais des études techniques ont confirmé qu’il s’agissait bien de celui du maître.
Après le labyrinthe de tapisseries appartenant aux Habsbourg, le visiteur est conduit à la petite salle de l’éléphant, l’un des sujets les plus fascinants du goût naissant pour l’exotisme dans l’Europe du XVIe siècle.
Bosch lui-même a représenté cet animal dans le Jardin des Délices, et cette section vise à mettre en évidence la fortune de cet animal dans l’iconographie du XVIe siècle.
La rétrospective milanaise «Bosch et une autre Renaissance» conclut son voyage parmi les curiosités et les collections encyclopédiques en présentant une petite «reconstruction idéale» d’un Wunderkammer qui semble chercher un parallélisme strident avec le marasme d’une timide copie d’atelier du triptyque du Jardin des délices, et «pour rendre le rapport encore plus suggestif», comme l’écrivent les commissaires dans le catalogue, «un groupe d’oiseaux empaillés du Musée des sciences naturelles de Milan représentant des espèces récurrentes dans la peinture de Bosch est proposé.»
C’est donc une exposition insolite qui est mise en scène dans les salles du Palazzo Reale de Milan, même si ce n’est pas la première que l’Italie consacre à Bosch : en 2017, dans le sillage des initiatives pour le 500e anniversaire de la mort du peintre (2016), le Palazzo Ducale de Venise avait consacré une étude approfondie aux œuvres de l’artiste néerlandais présentes dans les collections publiques vénitiennes, toutes trois restaurées pour l’occasion.
Ce qui est certain, c’est que l’occasion de voir ne serait-ce qu’un petit nombre d’œuvres de Bosch réunies dans un même lieu d’exposition est rare, surtout si elles sont incluses dans un vaste itinéraire comme Bosch et une autre Renaissance, une exposition qui est aussi une somme de premières : En effet, Milan n’avait jamais vu d’exposition sur Bosch, certaines œuvres inédites sont présentées (comme la Descente du Christ aux limbes attribuée à un disciple de Bosch et détenue par la galerie De Jonckheere de Genève), et pour la première fois en Italie, il est possible d’admirer le Triptyque des tentations de saint Antoine de Bosch. Le résultat est un voyage troublant et onirique, imprégné de visions inquiétantes et de différentes formes d’angoisse et d’enfer.
Un enfer que l’»autre Renaissance» a poursuivi, traqué et piégé à jamais dans son art.
Francesca Anita Gigli https://www.finestresullarte.info/recensioni-mostre/ bosch-e-un-altro-rinascimento-visioni-dall-inferno-recensione-mostra-milano-palazzo-reale?
Pour l’exposition « Bosch et une autre Renaissance «, ouverte du 9 novembre 2022 au 12 mars 2023 au rez-dechaussée du Palazzo Reale, il a été décidé d’étendre l’offre culturelle liée au projet d’exposition avec la présence d’ASK ME, des opérateurs spécialisés mis gratuitement à la disposition du public.
Pendant les week-ends, pendant toute la durée de l’ex- position, il était nécessaire de penser à cet outil supplémentaire pour accompagner la visite, étant donné la complexité de l’œuvre de Bosch, la variété des interprétations possibles et la profondeur scientifique proposée dans le parcours de l’exposition. Le groupe de médiateurs culturels accompagnera le public dans une lecture plus approfondie et thématique des œuvres exposées : un parcours d’observation complémentaire à la visite guidée et à l’audioguide, dans la mesure où il envisage un rôle actif pour le visiteur, appelé à entrer en relation avec l’opérateur, le ASK ME, dans un dialogue d’enrichissement et de découverte mutuels. Il sera possible d’écouter de brèves curiosités liées à des aspects spécifiques de l’œuvre de Bosch et de ses disciples, avec une attention plus précise aux coutumes et à la société contemporaine de l’artiste, au symbolisme et à l’iconographie des œuvres, en liaison avec des références littéraires et philosophiques. https://www.palazzorealemilano.it/eventi/ ask-me-mediatori-culturali-mostra-bosch-e-un-altro-rinascimento a plupart des gens la connaissent sous le nom de «Casque d’Or», mais elle a été baptisée Amélie Élie.
Nous sommes en 1878 lorsque cette jeune femme originaire d’Orléans (qui, avec Jeanne d’Arc, beaucoup plus chaste et compatissante, ne partage que sa ville d’origine) voit la lumière, le 14 mars, dans une petite mais digne salle d’un immeuble du centre ville.
Elle était la fille de parents très pauvres qui furent bientôt contraints de quitter la tranquille capitale de la Loire pour s’installer dans la banlieue nord-ouest de Paris en quête de fortune.
Parmi les derniers «arrondissements» de la capitale française, nichés entre le 19e et le 20e, se trouve le quartier de Belleville, un ancien village rural annexé à la capitale seulement en 1870.
Aujourd’hui, il est considéré comme le plus cosmopolite de tous les arrondissements; interracial, jeune et branché, il est en fait l’emblème du multiculturalisme dans sa pluralité de traditions, accueillant, depuis près de deux siècles, des peuples très différents les uns des autres. Ici, juifs, musulmans, ca- tholiques et bouddhistes coexistent pacifiquement, partageant rues et immeubles sans sourciller.
Ce n’est pas un hasard si, en 1985, l’écrivain Daniel Pennac y a situé ses célèbres romans «Malaussène».
C’est aussi ce même quartier qui est connu pour être le lieu de naissance de l’immense Edith Piaf, l’une des fiertés de la nation.
Notre Amélie vit dans ce même quartier quelques années seulement avant la naissance du Rossignol de France, à une époque où Paris a la réputation d’être l’une des capitales les plus libertines de toute l’Europe : la Belle Époque.
En effet, les hommes et les femmes de la «Ville Lumiére» n’avaient plus intérêt à se cacher derrière la morale: le désir de transgresser, de rechercher la passion dans les bras du premier inconnu, faisait également partie de cette façon, en apparence seulement frivole, de célébrer la renaissance d’une société d’avant-garde, avec ses avancées technico-scientifiques et la diffusion de mouvements artistiques et culturels nouveaux et stimulants.
Cependant, les aspects né- gatifs ne manquent pas pour assombrir ce qui est considéré comme la période la plus brillante de la capitale la plus peuplée d’Europe.
Si l’on fait abstraction des tensions politiques qui conduiront bientôt au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il convient de souligner qu’au sein de la société parisienne, un fossé important s’est creusé entre les citoyens les plus aisés et les membres des classes sociales les moins favorisées, comme les paysans et les ouvriers.
Et que, au début du XXe siècle, c’est précisément Belleville qui est le cœur du Paris prolétaire, où les épisodes de criminalité sont à l’ordre du jour.
C’est là que s’installe la famille Élie, dont la nôtre n’a jamais dit grand-chose, sinon qu’elle était terriblement pauvre et qu’elle pouvait à peine manger.
Mais Amélie, qui s’est toujours décrite comme une bonne fille (je suis bonne fille!) dès le début, même si elle n’a que dix ans lorsque, de la ville d’Orléans, tranquille et pittoresque, elle se retrouve à galérer dans un quartier/cour gris et surpeu-