12 minute read
L’ARTISANAT VU PAR
from Zut Hors-série — L'artisanat dans l'Eurométropole de Strasbourg et en Alsace #4
by Zut Magazine
Elles et ils accompagnent, portent ou pensent l’artisanat. Florilège.
Propos recueillis par Cécile Becker
Advertisement
Jeanne Barseghian, Maire de Strasbourg
À quoi ressemble l’artisanat à Strasbourg selon vous? L’artisanat a tellement façonné notre ville, et continue de le faire, en la fabriquant, la réinventant sans cesse que l’un et l’autre sont indissociables. L’artisanat a le visage de Strasbourg et réciproquement. La rénovation des Bains municipaux en est une sublime illustration, l’équipement est truffé de technologies contemporaines pour l’adapter aux exigences de sobriété énergétique, mais rendues invisibles par une restauration minutieuse, fidèle à l’histoire du lieu, conduite dans les règles de l’art. Les artisans se sont succédé sur ce chantier complexe pour rendre à ce joyau architectural sa splendeur originelle. J’associe artisanat et plaisir. Ce sont des saveurs, du goût, des objets avec un supplément d’âme ; l’artisanat c’est en quelque sorte des matières pétries d’imaginaires et d’histoires. Et puis, l’artisanat à Strasbourg, pour moi, ce sont des noms de rues qui rappellent le rôle essentiel des corporations qu’il soit passé ou présent, ce sont des ateliers et des boutiques, c’est la possibilité de se balader à la fois dans notre histoire et de se projeter. C’est l’inverse de l’interchangeable, c’est tout ce qui rend Strasbourg unique, ses hommes et ses femmes doués de talent, d’une envie de créer et d’un savoir-faire qu’ils actualisent sans cesse avec humilité. Votre regard a-t-il évolué depuis la crise sanitaire? La crise sanitaire a surtout renforcé ma conviction ! Pour que nos modes de consommation et de production soient tenables, sains et équitables, ils doivent privilégier la proximité. De nouvelles géographies se sont fait jour avec cette crise, le voisinage est devenu précieux, essentiel. L’artisanat, parce qu’il est ancré dans un territoire, n’est pas un modèle d’exploitation à outrance mais se préoccupe aussi du tissu local et de sa population, de son impact sur la terre dans lequel il s’intègre et prend racine. C’est cette interaction entre un territoire et une économie, qui est source d’enrichissement réciproque durable. Beaucoup d’artisanes et artisans ont souffert durant cette période émaillée de restrictions, d’incertitudes, mais j’observe aussi que les citoyen.ne.s ont questionné leurs modes de vie, pour ce qui concerne leurs consommations mais aussi leur activité professionnelle. L’artisanat est une solution qui doit être une source d’inspiration pour changer de modèle, il y a urgence.
Que pensez-vous que les artisan·e·s attendent des collectivités aujourd’hui? Je suis consciente qu’ils ont parfois des difficultés à se maintenir en centre-ville, peinant à faire le poids face à des grands groupes qui négocient avec des promoteurs ou propriétaires les surfaces commerciales. Avec mon équipe, nous sommes très attentifs à cet enjeu, sur lequel les pouvoirs publics ont peu de prise puisqu’il s’agit du secteur privé. Il faut que ce problème soit partagé par l’ensemble des acteurs et forces vives du territoire, par les habitantes et habitants. Défendre les petits commerces et artisans, les indépendants, c’est défendre notre patrimoine ; c’est empêcher que Strasbourg ne ressemble à toutes les autres villes avec un centre-ville générique, alignement d’enseignes franchisées.
Que souhaiteriez-vous faire de plus pour valoriser l’artisanat sur vos territoires? Je souhaite que la Marché de Noël fasse davantage de place à l’artisanat, la mue de ce grand événement est amorcée. L’an un de la réinvention a eu lieu en 2021 malgré des conditions particulières et incertaines en raison d’une recrudescence de l’épidémie de Covid-19, et elle fut un véritable succès populaire avec un tourisme plutôt régional. Plus aéré, plus étalé, le marché de Noël a laissé place à autre chose: la valorisation du patrimoine architectural, une programmation culturelle et artistique... Il nous faut aller plus loin, tendre vers davantage d’éco-responsabilité, privilégier les circuits courts, et faire une plus grande place aux produits locaux. Un jury citoyen travaille actuellement sur la question, et toutes les parties prenantes sont associées à la réflexion. Les envies, les contraintes sont posées sur la table, en toute transparence, et là, l’artisanat a une très belle carte à jouer!
Patrice Coué, le bottier de l’Opéra national du Rhin, à l’œuvre Lire p.109. Photo: Klara Beck Dans les vignes avec le vigneron Lucas Rieffel. Photo: Christophe Urbain
Par Fabrice Voné
Comment décrire l’artisanat alsacien? L’artisanat alsacien est gage de qualité, de sérieux et d’engagement. Ce sont les trois mots-clés qui peuvent définir un artisan alsacien.
Comment la Chambre de métiers d’Alsace œuvre-t-elle aujourd’hui pour accompagner les artisanes et artisans? L’objectif, c’est de le faire du mieux possible, c’est-à-dire tout au long de la vie de l’entreprise puisqu’on l’accompagne de la création jusqu’à la reprise en passant par le développement. Il faut pouvoir aider une entreprise à exister, c’est aussi notre défi car nous faisons de l’accompagnement par des formations dès le début de la création, pour que notre artisan ait toutes les cartes en mains au niveau de ses obligations de chef d’entreprise. Nous sommes sur le volet de la formation, celui de l’apprentissage et également présents lorsque l’entreprise décide d’acheter un atelier de production plus grand. On l’accompagne pour avoir des aides de la Région et de l’Europe à hauteur de 20%, ainsi qu’au niveau de la transmission. Car 25 % des entreprises artisanales seront à transmettre les dix prochaines années.
Y a-t-il des dispositifs et des pratiques qui ont évolué depuis la crise sanitaire? On parle beaucoup de proximité. La marque Artisan d’Alsace s’inscrit dans cette proximité (lire p.114). On ne veut plus que le produit ait fait trois fois le tour de la Terre mais qu’il possède un bilan carbone positif aux yeux du consommateur. Cette notion environnementale va tous nous obliger à repenser nos moyens de production et peut-être à donner un autre sens à l’entreprise. Ces réflexions servent à engager l’artisanat sur les années 2030, voire 2040.
La vision de la Chambre de Métiers a-t-elle elle-même évolué sur l’accompagnement et le soutien? En somme: que faudrait-il faire de plus pour aller plus loin? Mon ambition en tant que chef d’entreprise et de président de la Chambre de Métiers, c’est de faciliter autant que possible l’accès à l’information aux artisans. Je veux que l’artisan soit reçu à la Chambre de Métiers de manière personnalisée, qu’il devienne un client VIP et qu’on le reçoive comme quelqu’un d’unique. C’est des choses et des besoins que je ressens et on a aussi la nécessité de communiquer parce que les artisans ne connaissent pas toutes les aides qu’on met en place. L’exemple tout bête, c’est que 93% des artisans qui font appel à la Chambre pour les accompagner sur des dossiers sont satisfaits de nos services. Pour moi, c’est un curseur qui est important. Je veux encore améliorer cette façon de recevoir les artisans.
Que pensez-vous que les artisan·e·s attendent des collectivités aujourd’hui? On conventionne beaucoup avec certaines collectivités mais en fait ce sont elles qui attendent que nous soyons à leurs côtés pour défendre mes artisans. C’est dans l’autre sens que ça se passe. On est très demandé par les collectivités sur des conventions comme les Éco-Défis qui impactent l’avenir de notre planète. On est
attendu sur ce côté-là mais les collectivités ont davantage besoin de la Chambre de Métiers pour aborder l’artisan. Pour pouvoir aider les artisans, il faut déjà savoir qui ils sont.
L’artisanat comme modèle d’avenir, pourquoi? Parce qu’on a une valeur ajoutée dans la démarche RSE par exemple. Parce que dans toutes les entreprises d’Alsace que je visite, ce qui ressort le plus, c’est l’humain qui est au cœur de l’entreprise. Ce n’est pas une mode, ni quelque chose qui vient de l’extérieur, on remarque que nos collaborateurs ont de plus en plus besoin de ça pour s’identifier à une entreprise. Il n’y a pas que le salaire mais aussi la reconnaissance du travail et je pense que ce sont des valeurs artisanales. On donne aussi du sens à sa vie en étant dans des entreprises comme ça.
Chez Clément Lunetier — Lire p.129. Photo: Alexis Delon / Preview
Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole
Comment l’Eurométropole regarde-telle l’artisanat aujourd’hui? L’Eurométropole entretient des liens historiques et étroits avec la Chambre de métiers d’Alsace dans la promotion de l’artisanat local. Le soutien à l’activité économique locale et en l’occurrence à l’artisanat est un enjeu majeur de la politique de l’Eurométropole. L’artisanat dans l’Eurométropole de Strasbourg représente 6 586 entreprises et 629 établissements secondaires, soit 7 215 établissements, dont 761 auto-entrepreneurs. L’artisanat est donc un partenaire essentiel de notre politique de transformation écologique du territoire. Le travail de mise en réseau initié en 2021, qui sera approfondi tout au long de cette année avec un partage des stratégies et de pratiques vertueuses qui illustre une complémentarité exemplaire entre les artisans, les entreprises et la collectivité.
Comment et par quels dispositifs l’Eurométropole soutient-elle l’artisanat? L’Eurométropole apporte un soutien actif au secteur de l’artisanat notamment au travers d’un accompagnement des artisans dans leur transition écologique. Afin d’adapter le territoire aux changements climatiques, l’Eurométropole de Strasbourg et la Chambre de Métiers d’Alsace se sont associées pour lancer le 3 mars dernier, le label « Éco-Défis des artisans et artisans-commerçants ». Ce label national a pour but d’accompagner et de valoriser les entreprises artisanales qui s’engagent à mettre en œuvre des actions concrètes pour limiter leur impact environnemental. La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg renforcent leur engagement dans le développement durable autour de la rénovation énergétique des bâtiments ; de l’éco-mobilité avec le lancement en partenariat avec la Chambre de métiers d’Alsace et ÉS Énergies Strasbourg, du trophée de l’éco-mobilité encourageant les démarches d’éco-responsabilité en direction des artisans ; de l’économie circulaire avec la mise en place, entre autres, du projet Lumieau et des premières réflexions autour des « repar’acteurs » ; du lancement du label Eco-défis des artisans et artisans-commerçants ; de la concertation sur la Zone à Faibles Émissions.
Consciente aussi de l’impact humain de la crise, l’Eurométropole a soutenu 60 000 Rebonds Grand Est, qui accompagne les entrepreneurs qui ont fait faillite dans leur reconstruction personnelle et professionnelle ainsi que l’association Apesa 67 qui apporte une aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë.
La crise a aussi été un révélateur et un accélérateur du passage au numérique qui était déjà latent. Beecome, est un dispositif que l’Eurométropole a lancé en partenariat avec la CMA, la CCI, la CRESS, et Alsace Destination Tourisme. Il s’agit d’un audit d’accompagnement. Il accompagne la montée en puissance digitale des structures de l’Eurométropole de moins de 50 salariés pour les aider à conduire leur développement numérique.
Il y a aussi le fonds Résistance, administré par la Région Grand Est avec le cofinancement du Département, de la Banque des Territoires et de l’Eurométropole de Strasbourg. Il s’agit d’une aide de dernier recours dont l’objectif est le maintien du tissu économique et qui s’adresse aux entreprises de moins de 20 salariés immatriculées dans le Grand Est et qui justifiaient d’un besoin de trésorerie persistant après avoir mobilisé, ou tenté de mobiliser, les dispositifs d’aides de l’État et le PGE notamment.
Sans oublier l’aide aux loyers de décembre 2020 : 1448 subventions ont été attribuées pour un montant total de 1963035,56 €.
L’artisanat comme modèle d’avenir, pourquoi? C’est la garantie du maintien d’une offre de proximité au sein des communes et une réponse aux attentes exprimées par les consommateurs en termes de qualité et de développement durable notamment. L’artisanat a aussi une grande capacité d’adaptation aux changements de consommation en cours ou à venir.
Maïa Dietrich Coordinatrice de GarageCoop
Lieu de création et de production
Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi? Le dialogue qui s’établit lors d’une commande chez un artisan ou une artisane nous permet de mieux connaître le processus de fabrication. Il est donc possible d’échanger sur le rendu final et d’y faire des ajustements si besoin. À titre personnel, je trouve qu’il n’y a rien de plus beau qu’une pièce fabriquée à la main, par un visage familier.
En quoi votre structure défend-elle l’artisanat ou des valeurs proches? Le Garage COOP s’est installé à Strasbourg dans les anciens bâtiments industriels de la COOP, sur le site de la Virgule, en octobre 2019. Les locaux, loués à la Ville de Strasbourg, accueillent ce lieu de création coopératif et artistique partagé par 8 structures et une quinzaine d’artistes et indépendants. Nous avons la chance de pouvoir monter des projets en collaboration avec les autres collectifs présents sur le site (le CRIC, les ateliers éclairés, la basse-cour des miracles). Par exemple, la structure en bois de notre salle d’exposition a été imaginée par Antoine Lejolivet et réalisée par la menuiserie Gris Bois qui a ses locaux à la Coop. L’ouverture en 2021 de notre librairie-galerie Garage Store illustre également la volonté de valoriser les œuvres des artistes directement sur site.
Comment faire pour faire évoluer, encore plus loin, nos manières de produire/consommer? À mon avis, la formation joue un rôle primordial. Le partage de connaissances et le travail collaboratif peuvent se faire de manière pérenne comme à la Coop. Produire et consommer local s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et de transmission. Il s’agit également de rendre accessible ces pratiques à tous en proposant une offre financièrement abordable.
Kaleidoscoop
(Maison de l’Emploi, Artenréel, CRESS Grand-Est)
Lieu de vie et de travail transfrontalier œuvrant à une transition économique, écologique, sociale. Ouverture à la rentrée 2023 dans le quartier Coop. L’artisanat, c’est quoi pour vous? C’est d’abord une certaine approche du travail de la matière. Un savoir-faire qui mêle création, technique et esthétique, à une échelle de production réduite et singulière. L’authenticité en somme! L’artisanat repose sur la transmission et le partage, non seulement d’objets mais aussi de valeurs qui nous sont chères. En France, plus de 9 entreprises sur 10 sont des TPE et des entreprises artisanales, elles représentent plus de 20% de l’emploi salarié en France. L’artisanat est donc aussi un levier économique important en termes de transformation des territoires et du travail.
Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi? D’abord pour le plaisir de profiter d’un travail ou d’un objet unique, rêvé, conçu et réalisé près de chez soi. C’est une manière d’écrire une histoire commune, de s’approprier une création qui participe de la valorisation d’un savoir-faire ou d’un métier. Le travail d’un artisan permet de transcender notre rapport habituel à l’objet, il contient une émotion, une sensibilité, parfois même une poésie.
Comment faire pour faire évoluer, encore, nos manières de consommer? On a une idée assez précise de la question et on y travaille! Une dizaine d’acteurs locaux de l’achat responsable et de l’économie sociale et solidaire vont ouvrir une boutique pérenne dans nos locaux. C’est un projet ambitieux et inédit en France! Cette boutique comporte un espace de vente, avec des produits fabriqués ou cultivés localement, et aussi de l’artisanat d’art. On pourra venir y faire ses achats bien sûr, mais aussi partager ses savoir-faire dans un atelier de réparation de vélo ou au sein d’un espace dédié à l’organisation d’ateliers et de petits évènements. L’idée, au-delà de l’espace de vente, est bien de sensibiliser le public à l’impact de ses achats sur le monde et sur l’environnement. On travaillera avec des associations ou des entreprises qui militent sur ces thématiques et qui ont envie de partager leurs valeurs avec le plus grand nombre pour l’animer. Pour nous, c’était essentiel d’intégrer ce volet pédagogique parce qu’au-delà de fédérer des acteurs du territoire, notre tiers-lieu souhaite partager une approche différente du travail et de la consommation.
Le mot de la fin? Small is beautiful!