L’artisanat vu par Elles et ils accompagnent, portent ou pensent l’artisanat. Florilège. Propos recueillis par Cécile Becker
Jeanne Barseghian, Maire de Strasbourg À quoi ressemble l’artisanat à Strasbourg selon vous ? L’artisanat a tellement façonné notre ville, et continue de le faire, en la fabriquant, la réinventant sans cesse que l’un et l’autre sont indissociables. L’artisanat a le visage de Strasbourg et réciproquement. La rénovation des Bains municipaux en est une sublime illustration, l’équipement est truffé de technologies contemporaines pour l’adapter aux exigences de sobriété énergétique, mais rendues invisibles par une restauration minutieuse, fidèle à l’histoire du lieu, conduite dans les règles de l’art. Les artisans se sont succédé sur ce chantier complexe pour rendre à ce joyau architectural sa splendeur originelle. J’associe artisanat et plaisir. Ce sont des saveurs, du goût, des objets avec un supplément d’âme ; l’artisanat c’est en quelque sorte des matières pétries d’imaginaires et d’histoires. Et puis, l’artisanat à Strasbourg, pour moi, ce sont des noms de rues qui rappellent le rôle essentiel des corporations qu’il soit passé ou présent, ce sont des ateliers et des boutiques, c’est la possibilité de se balader à la fois dans notre histoire et de se projeter. C’est l’inverse de l’interchangeable, c’est tout ce qui rend Strasbourg unique, ses hommes et ses femmes doués de talent, d’une envie de créer et d’un savoir-faire qu’ils actualisent sans cesse avec humilité.
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L’ARTISANAT VU PAR
Votre regard a-t-il évolué depuis la crise sanitaire ? La crise sanitaire a surtout renforcé ma conviction ! Pour que nos modes de consommation et de production soient tenables, sains et équitables, ils doivent privilégier la proximité. De nouvelles géographies se sont fait jour avec cette crise, le voisinage est devenu précieux, essentiel. L’artisanat, parce qu’il est ancré dans un territoire, n’est pas un modèle d’exploitation à outrance mais se préoccupe aussi du tissu local et de sa population, de son impact sur la terre dans lequel il s’intègre et prend racine. C’est cette interaction entre un territoire et une économie, qui est source d’enrichissement réciproque durable. Beaucoup d’artisanes et artisans ont souffert durant cette période émaillée de restrictions, d’incertitudes, mais j’observe aussi que les citoyen.ne.s ont questionné leurs modes de vie, pour ce qui concerne leurs consommations mais aussi leur activité professionnelle. L’artisanat est une solution qui doit être une source d’inspiration pour changer de modèle, il y a urgence. Que pensez-vous que les a rtisan·e·s attendent des collectivités aujourd’hui ? Je suis consciente qu’ils ont parfois des difficultés à se maintenir en centre-ville, peinant à faire le poids face à des grands groupes qui négocient avec des promoteurs ou propriétaires les surfaces commerciales. Avec mon équipe, nous sommes très attentifs
à cet enjeu, sur lequel les pouvoirs publics ont peu de prise puisqu’il s’agit du secteur privé. Il faut que ce problème soit partagé par l’ensemble des acteurs et forces vives du territoire, par les habitantes et habitants. Défendre les petits commerces et artisans, les indépendants, c’est défendre notre patrimoine ; c’est empêcher que Strasbourg ne ressemble à toutes les autres villes avec un centre-ville générique, alignement d’enseignes franchisées. Que souhaiteriez-vous faire de plus pour valoriser l’artisanat sur vos territoires ? Je souhaite que la Marché de Noël fasse davantage de place à l’artisanat, la mue de ce grand événement est amorcée. L’an un de la réinvention a eu lieu en 2021 malgré des conditions particulières et incertaines en raison d’une recrudescence de l’épidémie de Covid-19, et elle fut un véritable succès populaire avec un tourisme plutôt régional. Plus aéré, plus étalé, le marché de Noël a laissé place à autre chose : la valorisation du patrimoine architectural, une programmation culturelle et artistique... Il nous faut aller plus loin, tendre vers davantage d’éco-responsabilité, privilégier les circuits courts, et faire une plus grande place aux produits locaux. Un jury citoyen travaille actuellement sur la question, et toutes les parties prenantes sont associées à la réflexion. Les envies, les contraintes sont posées sur la table, en toute transparence, et là, l’artisanat a une très belle carte à jouer !