HORS—SÉRIE
L’artisanat dans l’Eurométropole de Strasbourg et en Alsace
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Retour aux sources
Derrière chaque talent se trouve un
Artisans, cette marque est pour vous, rejoignez-nous !
Prochaines parutions Zut hors-série 30 ans du festival l’humour des notes — Juin Zut Strasbourg n°50 — Juin Zut / Journal Haguenau et alentours n°11— Septembre
zut-magazine.com
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Les dernières publications
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01— Panorama de la musique populaire, Vincent Vanoli | chicmedias éditions 02— ZUT Hors-série, Un seul amour et pour toujours #2 Racing : une passion sans limites 03— ZUT Hors-série, Esch 2022, capitale européenne de la culture 04— ZUT Strasbourg, magazine trimestriel lifestyle 100% local #49 05— ZAP, Zone d’Architecture Possible, magazine pour l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg #5
Retrouvez toutes nos parutions à La Vitrine
14, rue Sainte-Hélène - Strasbourg shop.chicmedias.com
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06— ZUT Haguenau et alentours / Alsace du Nord, le journal #10 07— PDR, le journal du Port du Rhin #2 08— Smoke, Christophe Meyer | chicmedias éditions 09— Manège Maubeuge, scène nationale, la gazette 10— iTAK, festival transfrontalier - Manège Maubeuge, le programme 11— Arbre ne dit mots, il les chuchote..., Marc Paul Baise | chicmedias éditions
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Contributeurs Directeur de la publication Bruno Chibane Administration - Gestion Gwenaëlle Lecointe Coordination de projet Caroline Gomes — En charge de l’artisanat et du développement local pour la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg Rédaction en chef Cécile Becker Direction artistique Hugues François / brokism Graphisme Séverine Voegeli Commercialisation et développement Léonor Anstett +33 (0)6 87 33 24 20
Rédaction Cécile Becker Lucie Chevron Myriam Commot-Delon Sylvia Dubost Tatiana Geiselmann Caroline Lévy Déborah Liss Corinne Maix JiBé Mathieu Emmanuelle Schneider Aurélie Vautrin Fabrice Voné
Jésus s. Baptista Klara Beck Christoph de Barry Pascal Bastien Alexis Delon / Preview Patrick Lambin Thomas Lang Simon Pagès Dorian Rollin Christophe Urbain Mathias Zwick Illustration Nadia Diz Grana
Bruno Chibane +33 (0)6 08 07 99 45
Relecture Léonor Anstett Sylvia Dubost Manon Landreau Stagiaire graphisme Alexia Raeppel
contact@chicmedias.com prénom.nom@chicmedias.com zut-magazine.com
chicmedias 37, rue du Fossé des Treize 67000 Strasbourg +33 (0)3 67 08 20 87 www.chicmedias.com S.à.R.L. au capital de 47 057 euros Numéro réalisé en partenariat avec l’Eurométropole de Strasbourg
Photographie
Célia Blaess +33 (0)6 74 62 31 50
Anne Walter +33 (0)6 65 30 27 34
Ce hors-série du magazine ZUT est édité par
Stagiaires rédaction Robin Schmidt Ludivine Weiss
Tirage : 5000 exemplaires Dépôt légal : mai 2022 SIRET : 50916928000047 ISSN : 2261-7140 Imprimé sur papier écologique certifié PEFC Ce magazine est entièrement conçu, réalisé et imprimé en Alsace ♥
Impression Ott imprimeurs Parc d’activités « Les Pins » 67319 Wasselonne Cedex Diffusion Novéa 4, rue de Haguenau 67000 Strasbourg
Crédits couverture Composition, Zones angulaires Myriam Commot-Delon Photo Alexis Delon / Preview www.preview.fr Studio Photo / Preview 28, rue du Général de Gaulle 67205 Oberhausbergen www.preview.fr
Remerciements • Cécile Marter, chargée de la communication économique de l’Eurométropole de Strasbourg. • Marc Hamm, chef de service par intérim et responsable qualité, sécurité, et environnement de l’Eurométrople de Strasbourg. • Anne Bieber, cabinet du président de la Chambre de métiers d’Alsace. • Camille Mehr et Samuel Gillet, Chambre de métiers d’Alsace.
• Nathalie de Riz, secrétaire générale de l’Union des corporations du Bas-Rhin. • Joël Steffen, Adjoint à la Maire, en charge du commerce, de l’artisanat, du tourisme et de la vie nocturne. Président de l’Office de tourisme, de Strasbourg et sa région. Conseiller eurométropolitain délégué au commerce et à l’artisanat. • Anne-Marie Jean, Viceprésidente en charge des politiques de l’emploi, de la formation, de l’économie durable, de la transition écologique des entreprises, et de la coordination du tourisme durable.
Tout est dans l’artisanat Par Cécile Becker
J’y ai distraitement pensé : cette dernière année, les éditions régulières du magazine Zut Strasbourg ont porté pour thématiques : « Le sens des choses », « Éloge de la lenteur » et « Pour de beau ». Bien sûr, ces intuitions n’ont jamais été déconnectées des prises de conscience post-confinements : l’envie de prendre le temps, l’envie de se nourrir convenablement mais aussi culturellement et socialement, de se questionner sur les raisons qui nous poussent à faire les choses et à travailler, à chercher la beauté partout et au prix juste… Je réalise aujourd’hui que toutes ces valeurs qui nous ont mus et que nous avons illustrées avec de nombreux sujets tournaient déjà autour de l’artisanat, où il est toujours question de sens, de lenteur et de beau. Déjà, dans le dernier hors-série consacré à l’artisanat dans l’Eurométropole de Strasbourg et en Alsace, nous envisagions collectivement que l’artisanat était le vecteur d’un futur désirable, un modèle de pensée, de travail et de consommation. Nous en sommes désormais convaincus et ne sommes pas les seuls à le penser, comme vous le constaterez dans les pages de ce numéro. Penser ce futur ne peut se faire sans être ancrés quelque part, sur un territoire, dans une histoire. Si on ne cesse de
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EDITO
parler de proximité, c’est bien que c’est sur l’échange – le vrai –, sur les circuits courts, sur ce que le terroir transmet et offre que ce futur plus souhaitable doit se construire. L’Alsace recèle de savoir-faire séculaires, de paysages inspirants, de matières premières traitées avec respect, de femmes et d’hommes persuadé·e·s que nous avons déjà bien assez à faire ici et maintenant, tranquillement, plutôt que de conquérir d’autres marchés. Cette année, pour ce hors-série, nous avons voulu vous parler de retour aux sources. Car si l’innovation est bien sûr possible, celle qui fonctionne se fait toujours à l’aune d’une histoire et au prix d’une transmission réussie. Ce numéro, peut-être le dernier, veut créer une sorte de jointure entre le passé, le présent et le futur, en espérant que le meilleur est à venir…
08 ÉDITO 14 L’ARTISANAT VU PAR…
22 Nourrir 24-28 PORTRAITS
Des personnalités strasbourgeoises qui pensent, vivent ou soutiennent l’artisanat.
Guillaume et David Kalms, transformateurs de chanvre. David Degoursy et Jeanne Satori, chef·fes. Christelle Lorho, fromagère-affineuse.
18 INTERVIEW
30 DOSSIER
Un modèle désirable Conférencière sur le futur du travail, Laëtitia Vitaud est l’autrice de l’ouvrage Du labeur à l’ouvrage. L’artisanat est l’avenir du travail. Tout est presque dit…
La nouvelle vague du vin nature Avec les vigneron·ne·s Lambert Spielmann, Anaïs Fanti, Jeanne Gaston-Breton, des cavistes et des adresses…
38 REPORTAGE
Des étoiles et des femmes Le restaurant l’Âme à table forme Axelle, apprentie en CAP cuisine.
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Marion Goettlé Elle a ouvert son restaurant à Paris mais n’oublie pas ses racines.
Yves Sertelet, charpentier. Thomas Cronimus, peintre d’intérieur.
Poupadou Célébrer l’artisanat grec.
46 INTERVIEW
Daniel Zenner L’expert ès plantes.
48 L’ACTU DES ARTISANS
DOSSIER
Les Compagnons du Devoir Les rituels, les traditions et la transmission sont au cœur de l’institution. Même Pio Marmaï s’y est mis.
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PORTRAIT
Kelly Cruz La carreleuse aux 110 000 followers sur Instagram, 800 000 sur Tiktok et au caractère bien trempé.
76 10
REPORTAGE
La briqueterie Lanter On y fabrique des tuiles et des briques selon un procédé centenaire.
67 44 L’ADRESSE
Construire
58 PORTRAITS
62 42 PORTRAIT
Focus
La ruée vers le manuel Avant la crise sanitaire, on parlait déjà de reconversions. Depuis, le phénomène explose. Avec Adélie Salmon, menuisière, Tristan Cenier, pâtissier en formation, David Spenlihauer, cidrier.
L’ACTU DES ARTISANS
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PORTFOLIO
Stratiformes Choisir son médium, prendre le temps, creuser son sillon. Quatre artistes/artisan·e·s : Roxane Filser, Camille Ancelin, Jonathan Stab, Marine Chevanse.
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87 88
Fabriquer PORTRAITS
Aline Falco, enlumineuse. Yves Willmann, tapissier-décorateur.
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INTERVIEW
Antoine Lie Le parfumeur, installé à Paris, a développé son nez ici, en Alsace.
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REPORTAGE
Autour du tissu Philea, Tissage des Chaumes, Velcorex et Emmanuel Lang : quatre entreprises pour relancer la filière tissu, reboostée par Pierre Schmitt.
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L’ACTU DES ARTISANS
Focus
La visibilité de l’artisanat Les labels pleuvent mais les artisan·e·s peinent à se rendre visibles, ne serait-ce que les réseaux sociaux. Avec la Chambre de métiers d’Alsace, Manon Vénéra, brodeuse de baskets et Marmelade.
DOSSIER
Réinventer les traditions La poterie et l’art du verre et du cristal se réinventent pour perpétuer gestes et savoir-faire. Avec Pierre Siegfried, Peggy Wehrling, Jean-Louis et Jonathan Ernewein-Haas, Harmonie Begon, Sonia Verguet, Lalique.
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INTERVIEW
L’artisanat dans la culture Solène Fourt, costumière formée à l’École du TNS, et Patrice Coué, bottier à l’Opéra du Rhin.
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Rendre service 120
PORTRAITS
Hakim Kerboub, président de Taxi13. Armelle Bouvier, restauratrice de meubles. Robert Arbogast, réparateur d’équipements audiovisuels. Thomas Hampé-Kautz, transformateur de vélos.
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PORTRAIT
Alain Pettmann Le grand manitou de SPIP, réparateur et revendeur d’appareils photo, est une espèce en voie de disparition.
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DOSSIER
Les lunettiers Avec Clément Lunetier, La Lunetterie, La Fabrique à Lunettes, Optique des 4 vents, Optique Jacques Marmet, Eye Tech Optic, Optique de la Licorne.
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INTERVIEW
Julie Schon-Grandin La gemmologue croit fort au pouvoir des bijoux anciens.
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L’ACTU DES ARTISANS
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Focus
L’artisanat et le genre Monde majoritairement masculin, l’artisanat tend, lentement, vers l’égalité. Avec Nathalie Hummel, ferronière, James et ViviAnn du Fermoir-de-Monsac, couturier·ères et stylistes, Emma Pieters, vannière.
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MON OBJET ARTISANAL
La boîte à couteaux de Jean Roger, fabriquée par Nicolas Palmade, coutelier et forgeron.
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L’artisanat vu par Elles et ils accompagnent, portent ou pensent l’artisanat. Florilège. Propos recueillis par Cécile Becker
Jeanne Barseghian, Maire de Strasbourg À quoi ressemble l’artisanat à Strasbourg selon vous ? L’artisanat a tellement façonné notre ville, et continue de le faire, en la fabriquant, la réinventant sans cesse que l’un et l’autre sont indissociables. L’artisanat a le visage de Strasbourg et réciproquement. La rénovation des Bains municipaux en est une sublime illustration, l’équipement est truffé de technologies contemporaines pour l’adapter aux exigences de sobriété énergétique, mais rendues invisibles par une restauration minutieuse, fidèle à l’histoire du lieu, conduite dans les règles de l’art. Les artisans se sont succédé sur ce chantier complexe pour rendre à ce joyau architectural sa splendeur originelle. J’associe artisanat et plaisir. Ce sont des saveurs, du goût, des objets avec un supplément d’âme ; l’artisanat c’est en quelque sorte des matières pétries d’imaginaires et d’histoires. Et puis, l’artisanat à Strasbourg, pour moi, ce sont des noms de rues qui rappellent le rôle essentiel des corporations qu’il soit passé ou présent, ce sont des ateliers et des boutiques, c’est la possibilité de se balader à la fois dans notre histoire et de se projeter. C’est l’inverse de l’interchangeable, c’est tout ce qui rend Strasbourg unique, ses hommes et ses femmes doués de talent, d’une envie de créer et d’un savoir-faire qu’ils actualisent sans cesse avec humilité.
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L’ARTISANAT VU PAR
Votre regard a-t-il évolué depuis la crise sanitaire ? La crise sanitaire a surtout renforcé ma conviction ! Pour que nos modes de consommation et de production soient tenables, sains et équitables, ils doivent privilégier la proximité. De nouvelles géographies se sont fait jour avec cette crise, le voisinage est devenu précieux, essentiel. L’artisanat, parce qu’il est ancré dans un territoire, n’est pas un modèle d’exploitation à outrance mais se préoccupe aussi du tissu local et de sa population, de son impact sur la terre dans lequel il s’intègre et prend racine. C’est cette interaction entre un territoire et une économie, qui est source d’enrichissement réciproque durable. Beaucoup d’artisanes et artisans ont souffert durant cette période émaillée de restrictions, d’incertitudes, mais j’observe aussi que les citoyen.ne.s ont questionné leurs modes de vie, pour ce qui concerne leurs consommations mais aussi leur activité professionnelle. L’artisanat est une solution qui doit être une source d’inspiration pour changer de modèle, il y a urgence. Que pensez-vous que les a rtisan·e·s attendent des collectivités aujourd’hui ? Je suis consciente qu’ils ont parfois des difficultés à se maintenir en centre-ville, peinant à faire le poids face à des grands groupes qui négocient avec des promoteurs ou propriétaires les surfaces commerciales. Avec mon équipe, nous sommes très attentifs
à cet enjeu, sur lequel les pouvoirs publics ont peu de prise puisqu’il s’agit du secteur privé. Il faut que ce problème soit partagé par l’ensemble des acteurs et forces vives du territoire, par les habitantes et habitants. Défendre les petits commerces et artisans, les indépendants, c’est défendre notre patrimoine ; c’est empêcher que Strasbourg ne ressemble à toutes les autres villes avec un centre-ville générique, alignement d’enseignes franchisées. Que souhaiteriez-vous faire de plus pour valoriser l’artisanat sur vos territoires ? Je souhaite que la Marché de Noël fasse davantage de place à l’artisanat, la mue de ce grand événement est amorcée. L’an un de la réinvention a eu lieu en 2021 malgré des conditions particulières et incertaines en raison d’une recrudescence de l’épidémie de Covid-19, et elle fut un véritable succès populaire avec un tourisme plutôt régional. Plus aéré, plus étalé, le marché de Noël a laissé place à autre chose : la valorisation du patrimoine architectural, une programmation culturelle et artistique... Il nous faut aller plus loin, tendre vers davantage d’éco-responsabilité, privilégier les circuits courts, et faire une plus grande place aux produits locaux. Un jury citoyen travaille actuellement sur la question, et toutes les parties prenantes sont associées à la réflexion. Les envies, les contraintes sont posées sur la table, en toute transparence, et là, l’artisanat a une très belle carte à jouer !
Patrice Coué, le bottier de l’Opéra national du Rhin, à l’œuvre Lire p.109. Photo : Klara Beck
Jean-Luc Hoffmann, Président de la Chambre de Métiers d’Alsace Par Fabrice Voné
Comment décrire l’artisanat alsacien ? L’artisanat alsacien est gage de qualité, de sérieux et d’engagement. Ce sont les trois mots-clés qui peuvent définir un artisan alsacien. Comment la Chambre de métiers d’Alsace œuvre-t-elle aujourd’hui pour accompagner les artisanes et artisans ? L’objectif, c’est de le faire du mieux possible, c’est-à-dire tout au long de la vie de l’entreprise puisqu’on l’accompagne de la création jusqu’à la reprise en passant par le développement. Il faut pouvoir aider une entreprise à exister, c’est aussi notre défi car nous faisons de l’accompagnement par des formations dès le début de la création, pour que notre artisan ait toutes les cartes en mains au niveau de ses obligations de
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Dans les vignes avec le vigneron Lucas Rieffel. Photo : Christophe Urbain
chef d’entreprise. Nous sommes sur le volet de la formation, celui de l’apprentissage et également présents lorsque l’entreprise décide d’acheter un atelier de production plus grand. On l’accompagne pour avoir des aides de la Région et de l’Europe à hauteur de 20%, ainsi qu’au niveau de la transmission. Car 25 % des entreprises artisanales seront à transmettre les dix prochaines années. Y a-t-il des dispositifs et des pratiques qui ont évolué depuis la crise sanitaire ? On parle beaucoup de proximité. La marque Artisan d’Alsace s’inscrit dans cette proximité (lire p.114). On ne veut plus que le produit ait fait trois fois le tour de la Terre mais qu’il possède un bilan carbone positif aux yeux du consommateur. Cette notion environnementale va tous nous obliger à repenser nos moyens de production et peut-être à donner un autre sens à l’entreprise. Ces réflexions servent à engager l’artisanat sur les années 2030, voire 2040. La vision de la Chambre de Métiers a-t-elle elle-même évolué sur l’accompagnement et le soutien ? En somme : que faudrait-il faire de plus pour aller plus loin ?
Mon ambition en tant que chef d’entreprise et de président de la Chambre de Métiers, c’est de faciliter autant que possible l’accès à l’information aux artisans. Je veux que l’artisan soit reçu à la Chambre de Métiers de manière personnalisée, qu’il devienne un client VIP et qu’on le reçoive comme quelqu’un d’unique. C’est des choses et des besoins que je ressens et on a aussi la nécessité de communiquer parce que les artisans ne connaissent pas toutes les aides qu’on met en place. L’exemple tout bête, c’est que 93% des artisans qui font appel à la Chambre pour les accompagner sur des dossiers sont satisfaits de nos services. Pour moi, c’est un curseur qui est important. Je veux encore améliorer cette façon de recevoir les artisans. Que pensez-vous que les a rtisan·e·s attendent des collectivités aujourd’hui ? On conventionne beaucoup avec certaines collectivités mais en fait ce sont elles qui attendent que nous soyons à leurs côtés pour défendre mes artisans. C’est dans l’autre sens que ça se passe. On est très demandé par les collectivités sur des conventions comme les Éco-Défis qui impactent l’avenir de notre planète. On est
attendu sur ce côté-là mais les collectivités ont davantage besoin de la Chambre de Métiers pour aborder l’artisan. Pour pouvoir aider les artisans, il faut déjà savoir qui ils sont. L’artisanat comme modèle d’avenir, pourquoi ? Parce qu’on a une valeur ajoutée dans la démarche RSE par exemple. Parce que dans toutes les entreprises d’Alsace que je visite, ce qui ressort le plus, c’est l’humain qui est au cœur de l’entreprise. Ce n’est pas une mode, ni quelque chose qui vient de l’extérieur, on remarque que nos collaborateurs ont de plus en plus besoin de ça pour s’identifier à une entreprise. Il n’y a pas que le salaire mais aussi la reconnaissance du travail et je pense que ce sont des valeurs artisanales. On donne aussi du sens à sa vie en étant dans des entreprises comme ça.
Chez Clément Lunetier — Lire p.129. Photo : Alexis Delon / Preview
Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole Comment l’Eurométropole regarde-telle l’artisanat aujourd’hui ? L’Eurométropole entretient des liens historiques et étroits avec la Chambre de métiers d’Alsace dans la promotion de l’artisanat local. Le soutien à l’activité économique locale et en l’occurrence à l’artisanat est un enjeu majeur de la politique de l’Eurométropole. L’artisanat dans l’Eurométropole de Strasbourg représente 6 586 entreprises et 629 établissements secondaires, soit 7 215 établissements, dont 761 auto-entrepreneurs. L’artisanat est donc un partenaire essentiel de notre politique de transformation écologique du territoire. Le travail de mise en réseau initié en 2021, qui sera approfondi tout au long de cette année avec un partage des stratégies et de pratiques vertueuses qui illustre une complémentarité exemplaire entre les artisans, les entreprises et la collectivité. Comment et par quels dispositifs l’Eurométropole soutient-elle l’artisanat ? L’Eurométropole apporte un soutien actif au secteur de l’artisanat notamment au travers d’un accompagnement des
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L’ARTISANAT VU PAR
artisans dans leur transition écologique. Afin d’adapter le territoire aux changements climatiques, l’Eurométropole de Strasbourg et la Chambre de Métiers d’Alsace se sont associées pour lancer le 3 mars dernier, le label « Éco-Défis des artisans et artisans-commerçants ». Ce label national a pour but d’accompagner et de valoriser les entreprises artisanales qui s’engagent à mettre en œuvre des actions concrètes pour limiter leur impact environnemental. La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg renforcent leur engagement dans le développement durable autour de la rénovation énergétique des bâtiments ; de l’éco-mobilité avec le lancement en partenariat avec la Chambre de métiers d’Alsace et ÉS Énergies Strasbourg, du trophée de l’éco-mobilité encourageant les démarches d’éco-responsabilité en direction des artisans ; de l’économie circulaire avec la mise en place, entre autres, du projet Lumieau et des premières réflexions autour des « repar’acteurs » ; du lancement du label Eco-défis des artisans et artisans-commerçants ; de la concertation sur la Zone à Faibles Émissions. Consciente aussi de l’impact humain de la crise, l’Eurométropole a soutenu 60 000 Rebonds Grand Est, qui accompagne les entrepreneurs qui ont fait faillite dans
leur reconstruction personnelle et professionnelle ainsi que l’association Apesa 67 qui apporte une aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë. La crise a aussi été un révélateur et un accélérateur du passage au numérique qui était déjà latent. Beecome, est un dispositif que l’Eurométropole a lancé en partenariat avec la CMA, la CCI, la CRESS, et Alsace Destination Tourisme. Il s’agit d’un audit d’accompagnement. Il accompagne la montée en puissance digitale des structures de l’Eurométropole de moins de 50 salariés pour les aider à conduire leur développement numérique. Il y a aussi le fonds Résistance, administré par la Région Grand Est avec le cofinancement du Département, de la Banque des Territoires et de l’Eurométropole de Strasbourg. Il s’agit d’une aide de dernier recours dont l’objectif est le maintien du tissu économique et qui s’adresse aux entreprises de moins de 20 salariés immatriculées dans le Grand Est et qui justifiaient d’un besoin de trésorerie persistant après avoir mobilisé, ou tenté de mobiliser, les dispositifs d’aides de l’État et le PGE notamment. Sans oublier l’aide aux loyers de décembre 2020 : 1448 subventions ont été attribuées pour un montant total de 1 963 035,56 €.
L’artisanat comme modèle d’avenir, pourquoi ? C’est la garantie du maintien d’une offre de proximité au sein des communes et une réponse aux attentes exprimées par les consommateurs en termes de qualité et de développement durable notamment. L’artisanat a aussi une grande capacité d’adaptation aux changements de consommation en cours ou à venir.
Maïa Dietrich Coordinatrice de GarageCoop Lieu de création et de production Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi ? Le dialogue qui s’établit lors d’une commande chez un artisan ou une artisane nous permet de mieux connaître le processus de fabrication. Il est donc possible d’échanger sur le rendu final et d’y faire des ajustements si besoin. À titre personnel, je trouve qu’il n’y a rien de plus beau qu’une pièce fabriquée à la main, par un visage familier. En quoi votre structure défend-elle l’artisanat ou des valeurs proches ? Le Garage COOP s’est installé à Strasbourg dans les anciens bâtiments industriels de la COOP, sur le site de la Virgule, en octobre 2019. Les locaux, loués à la Ville de Strasbourg, accueillent ce lieu de création coopératif et artistique partagé par
8 structures et une quinzaine d’artistes et indépendants. Nous avons la chance de pouvoir monter des projets en collaboration avec les autres collectifs présents sur le site (le CRIC, les ateliers éclairés, la basse-cour des miracles). Par exemple, la structure en bois de notre salle d’exposition a été imaginée par Antoine Lejolivet et réalisée par la menuiserie Gris Bois qui a ses locaux à la Coop. L’ouverture en 2021 de notre librairie-galerie Garage Store illustre également la volonté de valoriser les œuvres des artistes directement sur site. Comment faire pour faire évoluer, encore plus loin, nos manières de produire/consommer ? À mon avis, la formation joue un rôle primordial. Le partage de connaissances et le travail collaboratif peuvent se faire de manière pérenne comme à la Coop. Produire et consommer local s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et de transmission. Il s’agit également de rendre accessible ces pratiques à tous en proposant une offre financièrement abordable.
Kaleidoscoop (Maison de l’Emploi, Artenréel, CRESS Grand-Est) Lieu de vie et de travail transfrontalier œuvrant à une transition économique, écologique, sociale. Ouverture à la rentrée 2023 dans le quartier Coop.
L’artisanat, c’est quoi pour vous ? C’est d’abord une certaine approche du travail de la matière. Un savoir-faire qui mêle création, technique et esthétique, à une échelle de production réduite et singulière. L’authenticité en somme ! L’artisanat repose sur la transmission et le partage, non seulement d’objets mais aussi de valeurs qui nous sont chères. En France, plus de 9 entreprises sur 10 sont des TPE et des entreprises artisanales, elles représentent plus de 20% de l’emploi salarié en France. L’artisanat est donc aussi un levier économique important en termes de transformation des territoires et du travail. Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi ? D’abord pour le plaisir de profiter d’un travail ou d’un objet unique, rêvé, conçu et réalisé près de chez soi. C’est une manière d’écrire une histoire commune, de s’approprier une création qui participe de la valorisation d’un savoir-faire ou d’un métier. Le travail d’un artisan permet de transcender notre rapport habituel à l’objet, il contient une émotion, une sensibilité, parfois même une poésie. Comment faire pour faire évoluer, encore, nos manières de consommer ? On a une idée assez précise de la question et on y travaille ! Une dizaine d’acteurs locaux de l’achat responsable et de l’économie sociale et solidaire vont ouvrir une boutique pérenne dans nos locaux. C’est un projet ambitieux et inédit en France ! Cette boutique comporte un espace de vente, avec des produits fabriqués ou cultivés localement, et aussi de l’artisanat d’art. On pourra venir y faire ses achats bien sûr, mais aussi partager ses savoir-faire dans un atelier de réparation de vélo ou au sein d’un espace dédié à l’organisation d’ateliers et de petits évènements. L’idée, au-delà de l’espace de vente, est bien de sensibiliser le public à l’impact de ses achats sur le monde et sur l’environnement. On travaillera avec des associations ou des entreprises qui militent sur ces thématiques et qui ont envie de partager leurs valeurs avec le plus grand nombre pour l’animer. Pour nous, c’était essentiel d’intégrer ce volet pédagogique parce qu’au-delà de fédérer des acteurs du territoire, notre tiers-lieu souhaite partager une approche différente du travail et de la consommation. Le mot de la fin ? Small is beautiful !
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Depuis 2015, Laëtitia Vitaud développe une activité de recherche, de conseil et d’écriture autour du futur du travail, de la gestion des ressources humaines et du management. Son livre Du labeur à l’ouvrage – L’artisanat est l’avenir du travail, sorti en 2019, rassemble faits historiques et réflexions qui placent l’artisanat et ses valeurs comme de nouveaux modèles et remettent en question les dérives de l’industrialisation. Propos recueillis par Cécile Becker Illustration Nadia Diz Grana
Vers de nouveaux modèles Vous parlez de désagrégation de l’emploi et particulièrement de l’emploi salarié, comment l’expliquez-vous ? Je pars de l’héritage de ce contrat fordiste du milieu du xxe siècle qui offrait des compensations à un travail aliénant – sur le modèle de l’usine, de la chaîne d’assemblage –, où les individus étaient des rouages interchangeables. Ce modèle est tout ce que n’est pas l’artisanat mais offrait en contrepartie la sécurité de l’emploi, le système de l’ancienneté, la progression des salaires, la défense des droits du travail par des syndicats, une retraite généreuse… Ce modèle attractif s’est désagrégé au même moment que l’emploi industriel : les contreparties à l’aliénation sont devenues moins favorables, on a donc commencé à questionner cette aliénation et avons remis sur la table le modèle artisanal. Ce que vous dites surtout c’est que ce sont les conditions de travail qui ont baissé : le montant de la rémunération, la protection sociale, la prise en compte des aspirations personnelles. Comme si l’humain s’était effacé derrière « l’objet du travail », derrière les gains de productivité… Les travailleur·euses, en tant que classe, ont des intérêts à défendre. L’élément le
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plus déterminant, c’est l’affaiblissement de la négociation collective. L’existence politique de cette classe a été moins bonne, elle a donc perdu de sa force. C’est la montée de l’individualisme : au courant du xxe, on ne voit plus la chose en tant que classe, on ne voit que l’individu. Aurait-on tiré un trait sur l’épanouissement au travail, et cette question n’est-elle pas en train de réapparaître ? Elle réapparaît parce qu’avec la désagrégation des contreparties du travail, cette aspiration à sortir du caractère aliénant du travail apparaît comme une évidence. On a l’impression de se répéter, de répéter les mêmes gestes, de ne rien apprendre, la sensation d’une pauvreté intellectuelle, de perdre la capacité d’évoluer et de s’enrichir de nouvelles compétences. Face à une transition apportée par la révolution numérique aujourd’hui, on a l’impression d’être pauvre en compétences. La nouvelle sécurité sociale, c’est les savoir-faire. En tant qu’artisan·e, j’ai ma patte, je travaille ma singularité qui fait qu’on vient me chercher moi... En fait, l’artisanat, c’est l’idée de métier, plutôt que l’idée de poste. L’artisanat, ce sont des métiers de compétences et de savoir-faire, on travaille de manière plus autonome et créative.
Vous vantez les mérites d’un passage du labeur à une culture de l’ouvrage, qu’est-ce que cela veut dire ? Le labeur c’est la partie de l’étymologie qui associe l’activité professionnelle à quelque chose de pénible et de douloureux. C’est l’idée de punition et d’appauvrissement professionnel que présentent le fordisme et le taylorisme où l’on est subordonné à un patron. On répète, on n’est pas là pour penser mais pour exécuter. C’est une vision encore très dominante et j’essaye d’y apporter un contrepoids : une vision positive autour de l’œuvre, de l’ouvrage. On laisse une trace, on crée (à l’inverse d’exécuter), on donne son identité, son âme. C’est la vision des métiers de l’artisanat qu’essayent de s’approprier les graphistes, les rédacteur·rices par exemple, qui ne sont pas forcément des métiers manuels. Ma définition de l’ouvrage et de l’artisanat est plus large, c’est retrouver son autonomie de travailleur·euse, avec plus de responsabilités et de créativité. Dans cette émancipation, bien sûr, il y a des aspirations individualistes, mais il y a aussi le fait de se réconcilier avec le travail en remettant au centre l’épanouissement, une certaine indépendance, l’idée de faire grandir ses savoirs et savoir-faire. Il y a aussi une autre idée importante, celle de la réconciliation entre la tête et les mains, entre le bas et le haut. Pourtant être indépendant·e ou artisan·e n’est pas sans inconvénients : une protection sociale moindre, des heures de travail plus longues, un engagement au travail tel que le reste (la santé, la famille, etc.) peut passer au second plan. La flexibilité du travail n’est pas toujours une bonne chose. L’équation semble insoluble… Beaucoup d’indépendant·e·s, de freelance ou de chef·fe·s d’entreprise vont se heurter à cette liberté et travailler trop, se retrouver dans des situations de dépendances économiques, une réalité qui est parfois très difficile. Je pense que la période du xxe siècle qui a donné naissance à la sécurité sociale, au droit du travail, aux 35 heures, tout cet arsenal de protection du travail doit être réinventé. Il y a une asymétrie de pouvoir entre les métiers, les statuts (le salariat, l’indépendance, etc.) et les droits sociaux qui y sont liés. C’est aussi l’apprentissage individuel : il faut que les indépendant·es apprennent que dans le tarif journalier, il faut intégrer ses vacances, la retraite, la
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L’INTERVIEW
mutuelle. C’est aussi un sujet à traiter de manière collective : est-ce que les indépendant·es, les freelances sont les mêmes que les plombiers qui ont une activité depuis 20 ans ? Pas tout à fait. C’est un chantier auquel s’attèlent certaines personnes, par exemple le syndicat independants.co a mis sur la table la question du chômage partiel durant la crise sanitaire, inexistant pour les indépendant·es. On a donc créé un fonds de solidarité qui a permis de protéger un certain nombre d’entre elles et eux. La preuve qu’on peut créer d’autres institutions ! Les artisan·es d’hier (encore aujourd’hui selon les métiers) avaient leurs institutions collectives, des guildes, le compagnonnage… C’est important de sortir de ce modèle très individuel et d’apprendre à négocier collectivement.
Ma définition de l’ouvrage et de l’artisanat est plus large, c’est retrouver son autonomie de travailleur·euse, avec plus de responsabilités et de créativité.
Élargir son champ de compétences, créer des parcours uniques font de vous des travailleur·euses qui ne sont plus interchangeables.
Vous écrivez longuement autour de William Morris, un fabricant, auteur, conférencier britannique du xixe siècle qui a largement nourri le mouvement Arts & Crafts. En quoi est-il une source d’inspiration ? Il m’inspire beaucoup parce qu’il allie trois dimensions que je trouve belles : la politique, l’environnement et la beauté. C’est l’un des pères fondateurs de la gauche britannique qui croyait en l’utopie et aux alternatives à l’époque où le travail faisait déjà souffrir et où l’industrie faisait des ravages sur la beauté qui nous entoure. Il était très soucieux de la préservation de la nature, de l’écologie, de l’environnement patrimonial aussi : la beauté des bâtiments, des paysages, du tissu urbain... Son rêve, c’était que cette beauté se démocratise et qu’elle ne soit pas l’apanage de la bourgeoisie aisée. Il a remis au goût du jour les métiers oubliés du Moyen Âge, remis l’artisanat au cœur et l’a posé comme modèle de travail. Vous parlez d’une montée des services de proximité en même temps qu’ils sont déconsidérés (valeur générée difficilement mesurable, métiers souvent mal payés). En quoi regarder ces services de proximité est-il important ? Certains services de proximité (soins infirmiers à domicile, ménage à domicile) ne sont pas très loin des services d’artisan·e (plombier, par exemple). On utilise des compétences, de la matière première, on y passe du temps, on échange directement avec les client·es, pourtant on ne valorise pas ces services de proximité. Il y aussi une division sexuelle du travail : la production, la fabrication, la création seraient plus nobles et donc associés au masculin, quand l’entretien, la maintenance, le soin le sont plus au féminin et sont aussi très mal payés. Il y aurait beaucoup de chantiers féministes à mener, en plus de valoriser ces métiers essentiels.
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Comment faire ? Ça passe par la sororité mais aussi le marketing. Il faut être fière de ses compétences, parler de nos savoir-faire, dire qu’on est artisane ! Dans le numérique aujourd’hui par exemple, il y a majoritairement des hommes et tout cela se construit dans les écoles – peut-être faudrait-il monter des écoles non mixtes ? Je n’ai pas la réponse mais il y a de vrais arguments là-dedans. Dans tous les métiers, il faut mettre en avant les valeurs de l’artisanat pour les faire peser davantage dans la balance. Comment généraliser la culture de l’artisanat ? Si on veut être irremplaçable, il faut un socle de protection sociale qui vous rende irremplaçable, sinon, les organisations chercheront toujours à faire avec des travailleurs interchangeables. C’est plus avantageux pour elles. Quand on cherche à industrialiser un processus de production, le travail se paupérise, les gains de productivité appauvrissent le savoir des humains. Pour que ça se produise moins, il faut augmenter les pouvoirs de négociation des travailleur·euses : réinventer le syndicalisme, renverser les rapports de pouvoir. La deuxième chose, c’est qu’il faut miser sur les savoir-faire, l’apprentissage et la transmission. Élargir son champ de compétences, créer des parcours uniques font de vous des travailleur·euses qui ne sont plus interchangeables. Recréer une désirabilité. Du labeur à l’ouvrage — L’artisanat est l’avenir du travail de Laëtitia Vitaud, Calmann-Levy, 2019
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Nourrir
Guillaume et David Kalms TRANSFORMATEURS DE CHANVRE Par Déborah Liss / Photos Pascal Bastien
Guillaume et David Kalms voulaient ressusciter la culture de chanvre, très répandue en Alsace au xixe siècle. Avec bientôt plus de 60 ha de plants chez leurs agriculteurs, les voilà en bonne voie. Ils se sont lancés en 2018, sans rien connaître du secteur, avec l’intuition que cette plante était l’avenir du développement durable : « Elle n’a pas besoin d’irrigation et elle dépollue les sols. Et un hectare de chanvre absorbe autant de CO2 qu’un hectare de forêt », explique Guillaume. En fondant Chanvr’eel (« eel » veut dire huile en alsacien), ils ont décidé d’en faire de l’huile d’assaisonnement, de la farine (pour le pain, les gâteaux…) et de la protéine (à ajouter à ses smoothies ou ses shakes de sportifs). Chaque mois, ils pressent
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NOURRIR | PORTRAITS
pendant dix jours (ils ont enfin acquis un pressoir automatique !), laissent décanter, puis embouteillent. En une année, c’est 1,5 tonne d’huile qui sort de leurs locaux à Benfeld. Ils vendent aussi des graines entières et décortiquées, « qu’on peut manger en snacking ou pour agrémenter des entrées », précise Guillaume. Le chef étoilé Thierry Schwartz à Obernai se fournit par exemple chez eux pour sa tuile garnie de graines de chanvre. Grâce à leurs producteurs en réseau « très local », ils proposent aussi du savon, des pâtes au chanvre, des soins pour la peau… qu’on retrouve en magasin bio. Ce label était important pour les deux frères, qui insistent par ailleurs sur leur effort zéro déchet : « On a peu de pertes puisque même les fonds de cuve sont
achetés par des écuries pour les sabots des chevaux ou par des pêcheurs pour attirer le poisson ». Leur enthousiasme pour ce « super produit », comme ils l’appellent, est palpable : « C’est hyper nutritif ! Il y a davantage de protéines dans les graines de chanvre que dans la viande rouge ! » Guillaume rappelle aussi qu’on peut tout valoriser dans le chanvre, qui a longtemps été transformé en textile et notamment en kelsch, le tissu alsacien par excellence. chanvreel.fr
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David Degoursy et Jeanne Satori CHEF·FES
Par Cécile Becker / Photos Christophe Urbain
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au restaurant de:ja, on fait les choses jusqu’au bout. Couple aux fourneaux comme à la ville (mais surtout à la nature) Jeanne et David sont passionnés par la cuisine bien sûr, la chose végétale aussi et les méthodes les plus minimalistes possibles pour révéler les goûts et textures des produits. En faire le moins possible, y passer du temps, y mettre beaucoup d’essais et de concentrations, mesurer ses gestes, choisir minutieusement chaque outil pour cuisiner, le tout pour remettre le produit au centre. « On se considère comme des passeurs de produit mettant en valeur le travail des paysans. On recherche la pureté, la neutralité : les aliments sont traités de la manière la plus brute possible. » Il s’agirait presque de faire oublier le travail fait en cuisine.
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Pour ouvrir leur restaurant, David et Jeanne sont allés voir 150 producteurs. Pas de plastique, des bocaux, des produits d’entretien écolo, de la céramique locale signée Lisa Debat et 85% des produits qui proviennent d’un rayon de 60 km autour de Strasbourg. Tout est fait maison, rien ne se perd. Elle se charge du froid, du pain (fait maison et au levain), des viennoiseries, lui du chaud mais il et elle ne s’interdisent rien, férus d’expérimentations avant tout. Leurs références se situent à la croisée des pays nordiques et du Japon, le restaurant Noma – probablement le meilleur au monde – en tête et son travail précis sur la fermentation. Les bocaux de fruits ou légumes s’empilent d’ailleurs dans leur chambre froide, à côté des caisses rassemblant le fruit de cueillettes
qu’il et elle s’enquillent régulièrement pour revenir à la terre et chercher l’inspiration. Chez de:ja, tout est cohérence et leur démarche se retrouve même dans l’esthétique : leur dressage, construit en symbiose avec le décor du restaurant, autant que leur façon de s’habiller, mêlant habilement camaïeu de couleurs et coupes droites. Une ode à la sobriété. de:ja 1, rue Schimper à Strasbourg deja-restaurant.com
Parce que leur vie compte aussi ! 34 Rue de la Krutenau, 67000 Strasbourg 09 72 84 03 81 - @EnvieVegane
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OUVERT du Lundi-Vendredi : 8h à 12h et 13h à 17h et Samedi : 9h à 12h
Christelle Lorho FROMAGÈRE-AFFINEUSE Par Tatiana Geiselmann / Photos Pascal Bastien
Lunettes rondes cerclées d’écailles sur le nez, Christelle Lorho est à l’image de ses fromages : forte en caractère. La cinquantaine dynamique, cette Strasbourgeoise d’adoption gère depuis plus de 20 ans, main dans la main avec son mari, la fromagerie Lorho, nichée au cœur du Carré d’or, rue des Orfèvres. Une petite boutique d’à peine 32 mètres carrés, débordant de fromages. « En haute saison (donc en hiver) on peut avoir jusqu’à 300 variétés différentes », détaille la maîtresse des lieux. Des fromages locaux comme le Munster ou la tome, des classiques de la Touraine, comme du Selles-sur-Cher ou du Pouligny Saint Pierre, des méconnus savoyards, comme le Persillé de Tignes, ou encore des indémodables normands (le camembert bien sûr, avec pas moins de trois références différentes).
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Au-delà de ce choix pléthorique de fromages, ce qui caractérise la maison Lorho, c’est surtout qu’une partie de ces produits sont uniques, affinés par le couple luimême dans ses caves de Moyenmoutier, dans les Vosges. « C’est une manière de personnaliser nos produits, d’y mettre notre patte, explique Christelle Lorho. Sinon, on ferait tous la même chose. » Tous les mois, plusieurs kilos de fromage dit “à blanc” arrivent donc sur le site vosgien pour être portés à maturité au sein des 400 mètres carrés de locaux à la température et à l’hygrométrie contrôlés. « Chaque fromage demande ses propres conditions d’affinage, certains sont élevés sur briques, d’autres non, certains ont besoin d’être lavés, brossés, retournés », énumère la vive patronne. Un travail artisanal et expérimental que le duo Lorho a porté, au fil des années, jusqu’à
l’excellence. Tous deux se sont vus récompenser du titre de Meilleur ouvrier de France, l’un en 2007, l’autre en 2018, « une vraie reconnaissance » pour Christelle Lorho. Une manière aussi de mettre en lumière le travail de ces deux passionnés, qui ne cessent de se réinventer, s’adaptant aux goûts du jour. Dernière création en date : un brie aux fraises et au basilic, pour célébrer l’arrivée des beaux jours. Maison Lorho 3, rue des Orfèvres à Strasbourg maison-lorho.fr
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DOSSIER
En plein dans le pif Par Cécile Becker Photos Christophe Urbain
De confidentiel il y a un peu plus d’une dizaine d’années, le vin nature est devenu l’incontournable de toute table ou cave qui conscientise un tant soit peu l’environnement, l’humain et le goût. Côté vignes, la nouvelle génération s’emploie à ralentir à faire moins pour faire bien, à remettre continuellement en question un mode de production pour l’adapter à un mode de vie. Loin, très loin des turpitudes de la mode.
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Lambert Spielmann Le garnement Il a le jeu de mots facile mais le verbe timide. Il dit « détester tout le monde », mais son utopie à lui c’est « fédérer, tout faire ensemble et apprendre au contact des gens ». Lambert Spielmann ferait presque semblant d’être un grand solitaire, surtout reclus de la grande machine capitaliste, mais son endroit à lui, bien au-delà de la vigne, c’est la table, de préférence entourée de ses ami·e·s. « Je n’aime que ça, boire et manger, et je le fais à outrance. Ce sont des besoins primaires, et j’essaye autant que possible de bien le faire. Avec le saucisson, la bière et le vin, je suis convaincu qu’on peut sauver l’humanité », plaisante-t-il. Pour rendre plus doux (et plus joyeux…) l’exercice difficile de l’interview, il a d’ailleurs convié des amis qui, dit-il, « le rassurent » et, bien sûr, servi plusieurs bouteilles. La générosité incarnée. À n’y rien comprendre ? Notre vigneron de 34 ans est de ceux qui transforment la contradiction en nuance, de ceux qui aiment la complexité. C’est s’imposer une forme de droiture, un mode de pensée alternatif. Il se dit « énorme déçu », carrément, de la frange « anar et libertaire », persuadé que « l’utopie est impossible puisque l’humain est foncièrement mauvais, trop porté sur les attributs de puissance, du genre avoir la dernière grosse bagnole ». Sauf qu’il sait aussi très bien que tout le monde n’est pas comme ça. Que d’autres modèles sont possibles puisque lui et une remorque de vigneronnes et vignerons, d’artisanes et d’artisans, « des millions », ont choisi une autre voie, celle du temps et « de la liberté ». Et puis, les gens, quoi qu’il en dise, il les aime mais les préfère juste déshabillés de tout orgueil. « J’adore les gens qui ne savent pas parler de pinard et qui disent juste, simplement, ce qui les touche. » En fait voilà : « Je trouve que c’est compliqué, la vie, alors que tout pourrait être simple. » Il lui a tout de même fallu passer par quelques détours avant d’arriver à ces conclusions-là et à Saint-Pierre : la NouvelleCalédonie, la pêche sur barque et la géronto psy, Bruxelles, l’hôpital qui manque de moyens, et puis paf, coup de bambou, la découverte du vin nature et d’une nouvelle philosophie de vie chez François
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Saint-Lô, plus simple et plus sincère. Le vigneron ligérien et son hameau où tout et tout le monde se croisent l’inspireront plus que largement. En 2016, il revient en Alsace avec sa compagne, Elsa, et l’idée de faire du vin. Il entame un BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole) en alternance : Yves Amberg à Epfig (en bio depuis 1997) l’embauche et lui laisse une parcelle pour qu’il puisse faire ses tests, en dehors des horaires de boulot. Dans son élément et seul, il bosse torse nu – sa ribambelle de tatouages lui vaudra d’ailleurs le surnom de Lüsser (garnement, prisonnier, vagabond en alsacien). En 2017, il sort ses premières macérations de gewurztraminer, un an plus tard, son premier pétillant naturel. En confiance, Yves Amberg lui loue 1,5 hectare de vignes pour l’aider à se lancer.
DOSSIER
Il s’installe en 2019, beaucoup par conviction, un peu par égoïsme : « Avant le vin, j’ai toujours bossé comme un timbré : tu donnes tout, tu ne reçois rien, même pas de la reconnaissance. Quand tu es ton propre patron, tu n’as de compte à rendre à personne et, l’avantage, c’est qu’en faisant du vin, tu bosses avec du vivant. » En cave, il voudrait nous faire croire qu’il ne fait pas grand-chose. Alors bien sûr, c’est le raisin et la vigne qui font tout – lui dit passer 90% de son temps dans ses vignes, le reste en cave –, mais quand même… C’est pas juste de « l’auxerrois balancé sur du marc de pinot noir », ce jus merveilleux Lambert, non, c’est la complexité et l’évidence, un truc qui file droit, hyper équilibré. C’est une suite de choix, toujours. Car il aime tester, des macérations toujours relativement courtes, sans pigeage ou remontage, des raisins pas égrappés... « J’aime les vins où ça descend facile et où il y a du fond : tu crois penser quelque chose et tu te laisses emmener précisément de l’autre côté la seconde d’après. » Alors c’est marrant, Lambert, toi qui dis que « le caractère du vigneron se retrouve dans ses vins », on a comme l’impression de retrouver le tien dans ta phrase précédente, non ? Ce qui est certain, c’est que le millésime 2021, prêt à être embouteillé, c’est quelque chose… « Tous les vins que j’ai faits cette année, c’est exactement ce que j’avais envie de faire. » Aujourd’hui, ses 2,3 hectares lui suffisent pour « s’éclater », pour « être capable de faire des choses qu’il aime » tranquillement. Grandir ? « Tout dépend de ce que tu recherches quand tu t’installes, si ça fonctionne, pourquoi grandir ? Pourquoi ne pas plutôt t’améliorer ? Je préfère prendre du temps pour vivre, pour aller au resto, rencontrer des gens. C’est aussi une histoire de liberté. Je me tire un SMIC, par contre, je suis libre. » Au début, il avait « envie de faire les choses excellemment bien », de tout
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faire à la main, de piocher, de ne pas avoir recours aux machines, mais deux passages de tracteur par an pour s’éviter les courbatures du lendemain, finalement, c’est pas grand-chose. « Si tu veux continuer longtemps ce boulot, il faut essayer de se maintenir. » Pourvu que ça dure. Domaine in Black 5, rue du Lusthaeusel à Saint-Pierre Facebook : Domaine in Black
Anaïs Fanti La timide On arrive comme des fleurs à Ammer schwihr, et c’est Mamie Fine (la fameuse !) qui nous accueille, la tête à la fenêtre : « Sonnez-donc ! » On sourit. Anaïs Fanti vient nous ouvrir et plante d’emblée le décor : ici, nous sommes chez sa grand-mère où son grand-père avait à l’époque aménagé la cave qu’Anaïs a entièrement retapée avec son père, son « bras droit ». C’est petit, sans chichi et ça lui permet d’y aller tout doux, d’expérimenter sans se perdre. L’histoire, en revanche, est délicate : dans les années 80, son grand-père stoppe son activité et décide de laisser ses 3 hectares dans la famille. La mère d’Anaïs Fanti se montre intéressée pour reprendre une part : « Il a refusé parce que c’était une femme. » L’oncle hérite de tout, mais épuisé, finit par laisser sa part à la mère d’Anaïs, louant le reste « à des gars du village ». La mère agrandit sa parcelle et la fait passer à 1,6 hectare, qu’Anaïs Fanti a repris en 2020, passant
d’infirmière à vigneronne. L’envie de faire du vin, elle la fomentait depuis presque 10 ans, ses voyages « à droite à gauche » l’y ont aidée. Alors que sa mère s’approche de la retraite en 2018, Anaïs Fanti suit un an de BPREA (où elle croisera d’ailleurs Lambert Spielmann) et part un an plus tard en Géorgie pour découvrir une autre manière de faire, notamment un joli travail autour des macérations. Cette technique sera la base de ses deux premières cuvées en 2020 : deux macérations de gewurztraminer, l’une de deux semaines, l’autre de huit mois. Elle voulait travailler ses vignes en bio et en biodynamie mais un passage par le domaine La Grange de l’Oncle Charles la convaincra de pousser « le vice » jusqu’à la vinification et donc de s’attaquer aux vins natures. Elle fonctionne à l’instinct : « Le côté création se fait vraiment à la cave, mais c’est une fois dans l’année, alors faut pas que tu te loupes. Sauf qu’au moment de la vinification tu as plein de choix qui s’offrent à toi : grappes entières ou dégrappées ? Tu tries ou tries pas les raisins ? Presse longue ou presse courte ? Soutirer ou pas ? Je me tourne vers mes collègues mais je me rends compte que tu peux potentiellement te perdre dans les conseils. Il faut donc se faire confiance, ce qui n’est pas simple. » Elle tâtonne, essaye, doute beaucoup (trop ?) mais reste sûre d’elle sur les angles qui fondent sa pensée et sur cette philosophie qu’elle partage avec ses amis : « Favoriser la biodiversité dans les vignes, on le fait tous un peu. Et puis on n’a pas cette folie des grandeurs. Je crois qu’il faut en laisser un peu aux autres, il y a pleins de jeunes qui veulent s’installer ! » Anaïs Fanti 7, rue des Trois Épis à Ammerschwihr Instagram : @vinsafanti
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Jeanne Gaston-Breton La jusqu’au-boutiste On a traversé le vignoble de Reichsfeld, pris un chemin puis un autre, sans rien comprendre à la géographie du lieu. Et puis, au détour d’un sentier, encore un, on a aperçu une tiny house plantée au milieu d’un terrain paradisiaque à flanc de coteau. Bienvenue au domaine de Jeanne Gastron-Breton. Ton parcours ? J’ai fait des études en infographie, j’ai mis longtemps à me rendre compte que l’extérieur me manquait. Mes parents avaient leur domaine, en négoce, mais ont mis du temps à accepter que je le reprenne. En 2010, j’ai intégré le BPREA, puis j’ai fait mes propres expériences jusqu’en 2016. Ça a été déterminant car le formateur, Jean Schaetzel, était à l’époque très
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impliqué dans la bio. Il a créé l’association Vignes Vivantes avec André Ostertag en 97, pionnière sur la question de la transition douce des vignes vers la bio. Il a vraiment tiré l’Alsace et ses vins vers le haut. Ça a été très très enrichissant mais à la fois difficile de convaincre mes parents de l’intérêt de passer en bio, alors que ma mère a des connaissances dingues en matière de plantes. Depuis, elle a fait une formation en biodynamie, et aujourd’hui on fait des tisanes, des décoctions ou du purin à base de plantes : achillée, pissenlit, prêle, saule, orties et reine des prés. On voit vraiment la différence : les vignes se portent mieux. En 2016, on a commencé par appliquer les traitements bio et le passage s’est fait en trois ans. Ma première cuvée officielle est sortie en 2020, 1 500 bouteilles vinifiées dans la cave de mes parents à quelques mètres d’ici. Nous sommes en train de construire une grange qui accueillera la cave.
Le vin nature vu par
Ton domaine ? Il s’étend sur 8 hectares et on fait presque tout manuellement. Comme mes parents, je fais du négoce en revendant à des copains dont la philosophie correspond à la mienne, qui valorisent bien le raisin et le terroir : Yannick Meckert, Soil Therapy ou encore Moritz Prado. Je vinifie 50 ares, je vais passer à 1 hectare cette année et j’augmenterai au fur et à mesure lorsque j’aurai ma cave. Ta philosophie ? Je m’inscris dans une vision globale de l’agriculture. Mon idéal, ce serait de faire du vin, de la bière, du fromage, du pain et de vendre nos produits dans les villages alentours. Ici, on a l’espace pour. J’ai décidé d’aller au bout des choses en m’installant directement sur le terrain avec mon compagnon, dans une tiny house qu’on a trouvée en 2019. Le fait de vivre dans 20 m 2 nous a forcé à drastiquement revoir notre manière de consommer : quand ce que tu consommes est rejeté dans la nature, tu fais forcément autrement et ça implique de vivre avec la nature. Tu t’adaptes et tu réalises que le confort est ailleurs. Et puis, rentrer chez soi le soir en étant heureuse de la manière dont je travaille et vis, ça me comble. La Ferme des 9 chemins Lieu-dit Taubental à Reichsfeld fermedes9chemins.fr
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David Neilson, auteur et blogueur
Christophe Botté, directeur de la Cave du Roi Dagobert
« L’intérêt pour les vins naturels d’Alsace provient d’abord de vignerons avant-gardistes qui ont en quelque sorte ouvert la voie en travaillant avec des importateurs, des distributeurs, des bars, restaurants, cavistes et salons. Le groupe de base est constitué de Binner, Frick, Meyer et Schueller, auquel on peut ajouter une deuxième vague : Rietsch, Ginglinger, Dreyer, Lindenlaub, Riss, Geschickt, Kumpf & Meyer, Brand, Kamm, etc. et encore beaucoup de « nouveaux » à découvrir [David Neilson estime à plus de 40 les vignerons et vigneronnes nature et à plus de 200 millions de bouteilles la production annuelle de vins naturels alsaciens, ndlr]. À l’export, les « nouveaux » acquièrent rapidement une réputation au travers des réseaux sociaux notamment, leur image est très marketée, malgré eux. La preuve que le vin d’Alsace crée le buzz. Quant aux clichés associés aux vins d’Alsace [le gewurztraminer, c’est sucré, le sylvaner, c’est un vin de soif, par exemple, ndlr], le public jeune qui consomme du vin nature n’en a pas conscience et celles et ceux qui produisent le vin ne s’intéressent pas à ça : ils font juste du vin loin des vins classiques. Yannick Meckert, un vigneron, dit cette phrase « l’Alsace réinventée », pour moi, la région a été réinventée par le vin naturel. » (C.B.)
« La spécificité de la Cave du Roi Dagobert, c’est que c’est une coopérative créée par les viticulteurs qui sont donc des coopérateurs. On vinifie leurs raisins et on les commercialise. Nos viticulteurs et nos responsables avaient envie de tester le vin nature, c’était aller plus loin car la démarche bio est engagée chez nous depuis longtemps. On a testé sur trois cépages : riesling, gewurztraminer et pinot gris. Le résultat nous a plu. Les vins natures sont souvent une émanation de petits vignerons qui ont cette démarche de revenir à des choses basiques, et on s’y est mis car nous étions curieux de savoir si une structure plus importante pouvait le faire. Pour nous, ça correspond à une niche de marché, c’est vrai que gustativement c’est totalement en rupture avec le goût classique des vins d’Alsace. » (C.B.)
backinalsace.com
cave-dagobert.com
DOSSIER
Photo : Jésus s. Baptista
Jean Walch, caviste « Le vin nature se porte bien mais le monde qui gravite autour est moins clean que le vin, si je puis dire. Il y a une grande majorité de belles personnes, surtout des vigneronnes et vignerons qui ont une approche très saine. Les lassitudes, je le constate, commencent à apparaître parmi les cavistes, les clients, les vignerons natures de la première heure. Mais c’est extraordinaire ce que cette bulle de producteurs et de prescripteurs génère comme énergie. Les dangers du moment, c’est rendre le vin naturel inaccessible pour trop de gens, qui voient ce monde se « boboïser » à outrance. C’est voir apparaître des opportunistes du business. Difficile d’admettre les dérives de la commercialisation de ces vins... car il est impossible de faire coïncider le respect du vivant et la recherche de gains rapides… Cela pourrait faire capoter une démarche pourtant intègre. Il faut continuer de faire de la pédagogie en prenant le temps d’expliquer que ce type de vin est exigeant en termes de production et qu’il a un coût. Il va falloir faire le tri entre d’un côté l’humain, la sincérité, la paysannerie et, de l’autre, l’ego, la réussite et le goût du luxe. » (C.B.)
Au fil du vin libre 26, quai des Bateliers à Strasbourg aufilduvinlibre-strasbourg.com
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Emmanuel Maire, directeur de la cave Au Millésime Installé à Strasbourg depuis 1975, le Millésime de Michel Falck n’est pas figé dans ses habitudes. « On fait constamment évoluer la gamme, rappelle Emmanuel Maire directeur de la cave installée aussi, depuis 2008, à Vendenheim. Plus de la moitié de nos vins sont bio ou en biodynamie. » Du côté des vins nature, en revanche, la prudence est de mise : « Cela reste un produit fragile. En tant que commerçants, nous ne sommes jamais sûrs de ce que nous vendons. » Ce qui heurte surtout l’ancien sommelier, c’est d’entendre opposer les vins sans soufre ajouté aux autres. Une démarche qui selon lui relève de la mauvaise foi : « Aujourd’hui on dose de moins en moins… » Le caviste rechigne à se laisser entraîner par une mode. « Cela dit, j’en goûte chaque année et je tombe sur des trucs magiques. Si nous en proposons de plus en plus au Millésime, c’est aussi parce que les vignerons maîtrisent de mieux en mieux les vins nature. » (J.M.) Au Millésime 7, rue du Temple Neuf à Strasbourg 4, rue Transversale B à Vendenheim aumillesime.com
Quelques bonnes adresses dans l’Eurométropole
Du vert au vin C’est le petit nouveau de la bande (ouvert en décembre 2020), et pas le moindre : Steeve Zaegel a ouvert cette cave passionnée, à Geispolsheim, ancienne boutique de ses parents. Tombé dans le vin nature il y a une quinzaine d’années, ça a fait « tilt dans sa tête ». Il s’est mis à rencontrer des vigneron·ne·s et courir les dégust’. La pomme ne tombant jamais loin de l’arbre – dans une autre vie, il était arboriste-grimpeur –, il porte attention depuis loooongtemps au respect du végétal. Forcément, la bio, la biodynamie et le vin nature ont coulé de source. Côté références, les classiques, les punks, les tendus et les vins de soif s’entremêlent. En vrac : Sylvain Bock (Ardèche), Michel Guignier (Beaujolais), Pauline Broca (Aveyron), Julien Merle (Beaujolais) mais aussi Benoît Leblanc (Roussillon) ou le domaine Julien Meyer chéri (Alsace). Souvent des dégustations à la cave, la sélection dépend des arrivages et de « l’humeur du caviste » et une fois par mois les « vendredis soirs peinards » qui permettent de profiter de la cour intérieure et de la venue de foodtrucks. Comme quoi, les trucs cools ne sont pas réservés aux citadin·e·s en cœur de ville. Classos. 13, rue d’Entzheim à Geispolsheim duvertauvin.fr
Oenosphère Les cavistes de vins natures à Strasbourg doivent probablement être les seuls qui s’accordent pour proposer des références complémentaires. Ici, on trouve les fins et sublimes jus de Romuald Valot, l’accessible et foutraque domaine Barouillet, le plus cher mais zinzin domaine de l’Octavin et le contesté domaine Calcarius. Dégustations, cours d’œnologie et apéros olé-olé. 33, rue de Zürich oenosphere.com
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Du vert au vin — Photo : Jésus s. Baptista
Le Café des Sports
Jaja
L’adresse ouverte en décembre 2018 est rapidement devenue le repaire des fondu·e·s de vin nature. Depuis, on y croise régulièrement des vigneronnes, vignerons, brasseuses et brasseurs qui viennent présenter et faire déguster leurs elixirs. On peut y boire la fine f leur des vins natures alsaciens, mais pas que (bien sûr), y sceller de belles amitiés et y trouver des références inconnues au bataillon. Un incontournable. 16, rue Sainte-Hélène à Strasbourg Instagram : @cafe.des.sports.stras
C’est la nouvelle adresse du vin nature à Strasbourg. Lyse Nippert vous y accueille, vous conseillant comme jaja sur les vins et bières qu’elle source très attentivement. Sans parler de ses excellentes planchettes. C’est ici que nous avons découvert les vins d’Anaïs Fanti et que nous découvrons régulièrement de nouvelles références, tout en se délectant des classiques d’Alsace (Kleinknecht, Rieffel, etc.). Ce qu’on aime ? L’ambiance, le service, la terrasse ensoleillée et installée sur la place SaintNicolas-au x- Ondes, et… les toilettes « disco ». Aucun·e client·e ne sort sans en être émerveillé·e. Prochainement : une playlist spéciale toilettes. 4, place Saint-Nicolas-aux Ondes à Strasbourg Instagram : @jajastrasbourg
Phare Citadelle L’année dernière, version printemps-été, on découvrait ce lieu éphémère, ébloui·e·s par la programmation : DJ, ciné plein air, émissions de radio, performances, jeux, et par ce décor industriel à ciel ouvert. La pluie n’aura pas découragé l’équipe qui renquille pour trois ans avec cette fois, un projet augmenté célébrant la consommation alternative et l’économie sociale et solidaire. Le vin nature y coule à flots, à des prix défiant toute concurrence, le rendant accessible au tout-venant. C’est assez rare pour être souligné. 9, rue de Nantes à Strasbourg Facebook : Phare Citadelle
Le Garde Fou Le temple de la bière artisanale mais aussi des jolies quilles qui abondent la cave régulièrement mise à jour. Le seul bar de la ville où l’on mange par ailleurs très bien : la cuisine attenante conçoit des plats gourmands, largement revisités et très bien ficelés (le parmentier, la ballotine de canard panée, les accras aux légumes…). Notoire : les prix accessibles, la sensation d’être comme à la maison, la malice du service. 8, rue du Faubourg National à Strasbourg Facebook : Le Garde Fou
Ouvrir les cuisines Par Déborah Liss Photos Christophe Urbain
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Des établissements d’excellence strasbourgeois s’engagent dans un programme qui aide des femmes à se reconvertir dans la restauration. À l’Âme à table, Joffrey Schlatter forme Axelle aux rouages de la cuisine gastronomique, ou plutôt « bistronomique ». Rencontre.
Elle a séché les cours pour qu’on puisse la rencontrer : Axelle (elle n’a pas souhaité que l’on donne son nom de famille), apprentie en CAP cuisine, aurait dû passer sa journée en travaux pratiques au lycée hôtelier Alexandre Dumas à Illkirch, à travailler la pâte feuilletée. Mais ce jour-là, la jeune femme au sourire réservé rejoint son chef Joffrey Schlatter à l’Âme à table où elle a déjà fait quatre semaines de stage depuis le mois de janvier. Si elle a pu intégrer l’équipe de cet établissement lumineux de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, c’est grâce au programme Des Étoiles et des Femmes (soutenu par l’Eurométropole) : il permet à des personnes éloignées de l’emploi de passer un CAP cuisine en se formant auprès de chefs d’exception. Joffrey Schlatter n’a pas hésité à s’y engager, heureux de faire connaître son métier et de faire sa part pour répondre aux problèmes de recrutement : « Le secteur de la restauration a du mal à garder les nouvelles recrues, vu les conditions de travail. Alors moi, j’essaye de mettre à l’aise les gens que j’accueille, et de bien les encadrer. Sinon, on manquera toujours de personnel ! » Il était alors naturel pour lui d’éviter à son équipe de travailler en « coupure » en semaine, et de faire des plages continues. Un accompagnement clé en main Après un job dating orga nisé ent re douze chefs de restaurants strasbourgeois (dont Terroir & Co du Sofitel, ou le Bistrot
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Paulus) et onze candidates, « on nous a “matché” », explique Axelle, qui avait été émerveillée par « la qualité des restaurants. C’était un peu Noël pour moi ! » Elle « mesure [sa] chance » d’être entrée dans le programme après avoir travaillé en salle pendant quelques années, et après avoir eu du mal à trouver du travail, à court de solutions de garde pour ses deux petites filles. Car l’association, qui vise en premier lieu à lever les freins à la réinsertion professionnelle, aide à garder les enfants. Et pas seulement : « C’est un gros coup de
pouce financier, explique Axelle. On a une petite rémunération en tant que stagiaire de la formation professionnelle. Et ils nous fournissent nos tenues, nous aident à investir dans du matériel, dédommagent le transport et les repas. » « C’est vraiment un accompagnement clé en main », abonde Joffrey Schlatter, qui a tant aimé les rencontres du job dating qu’il « aurait aimé recruter quatre ou cinq apprenties ». Il a choisi Axelle chez qui il a tout de suite vu « une motivation, une envie, un intérêt ».
Tout apprendre… très vite La jeune maman n’avait jamais fait de cuisine gastronomique, mais elle apprend vite : « On a beaucoup de cours et de travaux pratiques, pour avoir les bases et se sentir d’attaque ensuite dans la cuisine du restaurant. » Récemment, elle a préparé pour la première fois une bisque de crustacés et de mollusques. Côté légumes, elle parfait sa technique de taille, d’épluchage, et de glaçage, et côté viande, la cuisson. Le baptême du feu pour Axelle, ce sera cet été, qu’elle passera auprès de Joffrey et ses collègues, dont Valérian et Simon, jeunes employés également reconvertis. Le chef a pris le temps de les former, même si c’est « très chronophage » : « Je voulais quand même transmettre un savoir- faire, à l’heure où la grande distribution prend le dessus et fournit des produits finis ! Aujourd’hui, plus personne ne sait cuisiner une viande, désosser un agneau ou lever un poisson. » D’autant que le poisson, c’est un peu sa spécialité, même s’il ne le cuisine pas autant qu’il le voudrait : sa démarche éco-responsable le pousse à faire en fonction des disponibilités de prises de pêche raisonnée, « en petit bateau ». Sa carte change en fonction des saisons et des produits disponibles en circuit-court, et les suggestions évoluent parfois du midi au soir. Un vrai challenge pour sa jeune équipe : « Une des premières choses qu’on leur dit, c’est d’apprendre la carte ! Ici, ils doivent plus souvent s’adapter, mais ça leur servira. On est exigeant, et ça vaut le coup : ils remarquent rapidement d’eux-mêmes leurs erreurs, ils sont très attentifs. » Au menu du jour : asperges et haddock, puis gigot d’agneau et haricots coco blancs. « Cela fait plaisir d’apprendre à faire les choses bien », abonde Axelle. Quand elle a commencé, le chef Schlatter lui a donné les bases… de nettoyage ! « C’est le plus important. Ça en dit long sur la manière dont l’apprentie va cuisiner. » Et puis, elle a pu se lancer, apprendre à gérer le timing entre les apéritifs et l’entrée, quand lancer la cuisson des différentes viandes, quand assaisonner la salade. « Quand j’ai su gérer une entrée de A à Z, avec le dressage, c’était cool ! », se souvient Axelle. « Comme on est à 80-90% en circuit court, ajoute Joffrey, j’ai envie de leur faire passer l’amour et le respect du produit. Donc je les emmène voir les fermes et les producteurs, pour qu’ils voient le boulot qu’il y a derrière. »
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Je voulais quand même transmettre un savoir- faire, à l’heure où la grande distribution prend le dessus et fournit des produits finis ! Joffrey Schlatter
À son tour, partager un savoir-faire Malgré un emploi du temps « fatigant », avec « une deuxième journée à la maison », Axelle se réjouit d’entrer dans ce métier « manuel », où « on crée quelque chose », et qui s’inscrit dans « une tradition française ». Quoi de plus français que les Paris-Brest qu’elle a appris à faire aux derniers TP, avec l’un des professeurs « très axé pâtisserie » ? « C’est hyper formateur car on n’a pas droit à l’erreur, on ne peut pas rectifier comme en salé : la pâtisserie, c’est au gramme près ! », signale Axelle. Alors, elle s’entraîne beaucoup à la maison et fait goûter à ses filles ses créations. « Elles sont petites mais elles me regardent faire, et je leur explique ce que je fais. J’ai déjà l’impression de partager mes connaissances à mon tour !, sourit-elle. Je suis sûre que dans quelques mois la plus grande mettra les mains dans la farine ! » À terme, la nouvelle cordon-bleu aimerait ouvrir son propre restaurant. Une ambition qui paraît de plus en plus réelle depuis que, en quelques mois de formation, la confiance est revenue : « Le programme ne nous aide pas seulement techniquement : il y a les ateliers confiance en soi, qui ont été
hyper utiles, et puis les accompagnatrices sont presque comme des psys, on peut vraiment se confier auprès d’elles. » Sans oublier le « soutien de tout le groupe », dans lequel il y a « une bonne ambiance ». Forte de cette formation collective, qui lui apporte « tellement plus que si [elle] s’était lancée toute seule dans un CAP », Axelle a hâte de faire ses preuves cet été, de « prendre davantage le rythme » et de « se familiariser encore plus avec la cuisine du restaurant ». Ses nouveaux collègues l’attendent de pied ferme, et en toute bienveillance. Âme à table 7, rue du Vieux-marché-aux-Poissons à Strasbourg ame-a-table.fr desetoilesetdesfemmes.org
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Cheffe et créatrice du Café Mirabelle à Paris, Marion Goettlé vient de Lampertheim où ses parents sont toujours restaurateurs et a fait ses gammes de cuisinière à l’école hôtelière d’Illkirch et surtout, garde l’Alsace au cœur. Des allers-retours incessants pour nourrir des assiettes made in chez nous. Par Caroline Lévy Photo Pascal Bastien
Family affair 42
Fin de service de midi à la D’Steinmuehl en cette journée printanière. À la carte, des asperges d’Alsace à déguster sous toutes leurs formes, une déco typique à base de kelsch, photos surannées et vaisselle d’époque, qui rappelle celle du restaurant de la cheffe parisienne Marion Goettlé, de passage à Lampertheim pour quelques jours. « Quand je rentre, c’est un peu comme si je rentrais dans le ventre de ma mère. L’Alsace c’est ma famille, mon i dentité ! » affirme la cheffe. L’objet de sa venue : le tournage de la nouvelle saison de la série culinaire Planète Chefs de Canal +, retraçant le parcours de talents de la gastronomie et remontant jusqu’aux sources de leur savoir-faire. Les sources de Marion sont ici, elle les puise dans cette winstub tenue depuis 25 ans par ses parents. Un berceau familial de restaurateurs sur plusieurs générations qui lui a ouvert la voie de la cuisine et le sens du partage. Son grand-père maternel Paul Schloesser, dirigeait la mythique Maison Kammerzell – à l’époque où elle était encore auréolée d’une étoile – et l’Ami Schutz, taverne traditionnelle de la Petite France : « J’ai une chance folle d’avoir grandi dans une famille de restaurateurs et de bons
vivants qui aiment se réunir, où tout est toujours dans l’opulence et dans la générosité. Ça t’inculque des valeurs qui sont presque innées… » Cet héritage de la bonne bouffe, simple et gourmande, elle l’insuffle depuis cinq ans chez Café Mirabelle, une adresse sans chichi nichée dans le 11e arrondissement de Paris, dans laquelle elle joue toutes les facettes sucrées et salées de sa région d’origine. C’est dans un décor marqué d’une forte empreinte alsacienne qu’elle récite une cuisine d’inspiration : bibeleskaes, f leischnecke, käseknepf le ou l’iconique kougelhopf se sont fait une place de choix sur la carte, qui évolue au fil des saisons. Les tartes flambées ont aussi fait leur entrée, depuis que le restaurant joue les prolongations en soirée les fins de semaine. « Ce que j’aime dans la gastronomie alsacienne, c’est qu’on cuisine avec des produits “pauvres” et donc accessibles. On retrouve souvent dans nos spécialités les pommes de terre, le fromage blanc et le porc comme bases de plats. C’est une cuisine populaire qu’il faut réussir à sublimer. » Pour se fournir, Marion a dû sourcer des producteurs de Picardie pour les asperges et de la Drôme pour les mirabelles : « C’est trop compliqué de s’approvisionner chez des
producteurs alsaciens quand on est à Paris. On croit souvent qu’en étant dans la capitale on peut tout trouver, mais c’est faux. Il m’arrive même de demander à ma sœur de ramener du Melfor dans sa valise pour mes vinaigrettes ! » L’amour est dans le plat Il y a de l’amour et de la générosité dans l’assiette de Marion, jusqu’à dans sa façon de raconter sa cuisine. Sa vision. Elle l’incarne et l’a affûtée lors de ses expériences dans quelques grandes maisons alsaciennes et parisiennes. Elle s’est formée à l’école hôtelière d’Illkirch avant d’intégrer plusieurs brigades pour apprendre le métier de pâtissière. C’est en stage à l’Arnsbourg auprès du chef pâtissier Nicolas Multon (aujourd’hui à la Villa René Lalique) qu’elle fera ses premières armes : « J’ai découvert une vision plus moderne, loin de la gastronomie à l’ancienne des années 90-2000 où il fallait travailler un même produit dans l’assiette de plusieurs manières. Le chef Multon m’a appris qu’on pouvait travailler un produit comme élément central et le valoriser avec d’autres éléments. Une révélation ! » Pour la cheffe engagée, tout part du respect, de la connaissance du produit et de l’amour qu’on met dans l’assiette : « Si je suis préoccupée et que je donne moins d’amour dans mes préparations, ça se ressent ! J’ai travaillé dans des grandes maisons où techniquement le résultat était propre, mais il n’y avait pas d’amour. Ce n’était pas généreux. » C’est également au côté de son compagnon, le chef toscan Michele Farnesi à la tête du restaurant parisien Dilia, qu’elle continue d’explorer cette vision en mixant parfois ses influences, comme cette recette d’asperges vertes proposées à l’huile d’olive, ail, anchois et citron ! Son amour du métier et son engagement s’expriment également à travers le collectif Bondir.e qu’elle a co-fondée avec une vingtaine de femmes cheffes, dans le but d’organiser des ateliers de prévention auprès d’étudiant.e.s des lycées hôteliers pour les sensibiliser sur les violences en cuisine, qu’elle a elle-même subies « parce qu’on n’est pas obligé d’avoir l’impression d’aller à la guerre à chaque fois qu’on va travailler… ». Café Mirabelle 16, rue de la Vacquerie à Paris cafemirabelleparis.wixsite.com
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Cette fois, Zut déroge à sa règle en parlant d’un commerce plutôt que d’un producteur ou artisan. Pourquoi ? Parce que Poupadou, épicerie spécialisée en produits grecs, prouve qu’au pays du blanc et du bleu règne un autre rapport à l’artisanat qu’Ilektra et Matthieu s’efforcent de ramener jusqu’à nous.
De loin, plus près Promouvoir la production locale lorsque l’on s’approvisionne au loin ? L’équation semble insoluble… Pourtant, Ilektra Skouri et Matthieu Chaton patrons de la boutique grecque Poupadou à Strasbourg, l’ont érigée en axiome. Amoureux passionnés du pays d’origine d’Ilektra, le couple s’est aperçu très vite, lorsque l’idée de faire partager leur passion pour les produits locaux a vu le jour, qu’il n’existait aucun pont
digne de ce nom entre la Grèce et la France. « Nous avons dû nous rapprocher de tous les producteurs qu’on découvrait en sillonnant le pays. » Un travail de fourmi. Une récollection minutieuse des pépites croisées sur le bord des routes et dans les villages. « De ce point de vue, la Grèce est très différente de la France. Le pays est beaucoup moins industrialisé et l’artisanat local y occupe encore une place prépondérante », se réjouit
Par JiBé Mathieu Photo Jésus s. Baptista
Matthieu. Autre différence notable, loin d’être submergés par la vague industrielle, ces artisans sont en mesure de vivre de leur production… « En Grèce, les gens conservent un lien très fort avec leur village », détaille Ilektra. « Par leurs achats, ils font vivre l’artisanat. » Ainsi, le lien avec le local n’a jamais été rompu. Tomates de Christophe Colomb « La Grèce est un petit pays sur le papier, mais très découpé, avec énormément d’îles. Il est très difficile de se rendre partout… » D’autant que chaque île, chaque village a sa production digne d’intérêt. Alors bien sûr la Crète concentre à elle seule une incalculable variété de denrées pas seulement alimentaires, comme les sandales en cuir. Mais à l’île de Lesbos, cette huile d’olives incomparable avec laquelle les locaux font aussi du savon. « Pour les tomates nous avons choisi de nous approvisionner chez Alexandro et Christos, en Thessalie. Ces cousins font travailler les femmes du village et diffusent de la musique à leurs plants de variétés anciennes, celles-là même que Christophe Colomb a ramenées de son voyage en Amérique. » Et puis regardez les larmes de mastiha, la sève du lentisque pistachier planté sur l’île de Chios. Consommées sous toutes ses formes, en pâtisserie, glace, dans les liqueurs ou dans l’eau minérale… Pour aller plus loin, Ilektra et Matthieu aimeraient organiser des dégustations d’huile d’olives et de vins. « Nos clients sont en demande. On ne s’attendait pas à autant d’échanges avec eux avant l’ouverture. Certains sont aussi passionnés que nous pour la production locale ! » Poupadou 30, rue Geiler à Strasbourg poupadou.com
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Un retour aux sources? Propos recueillis par JiBé Mathieu
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Actu À Rhinau, au restaurant du Vieux Couvent, Daniel Zenner propose plusieurs fois dans l’année deux heures de « balade botanique » à la découverte des plantes. « Ensuite, on se retrouve au r estaurant pour déguster le menu que la famille Albrecht a élaboré. »
De quelle évolution avez-vous été le témoin en 25 ans ? D’un retour à la terre et à l’authentique comme on aimerait le croire ou au contraire d’une rupture entre le consommateur et la source de son alimentation ? On sent un engouement certain pour le retour à l’économie locale, aux circuits courts, à la nature… En cuisine, il est devenu courant d’utiliser des plantes, même des fleurs... On trouve ainsi de la bourrache partout ! Cela n’a rien d’illogique. Pourquoi acheter des herbes qui vont faire 20 000 kilomètres en avion alors que l’on a tout ce qu’il faut autour de nous ? Mais la nature n’a-t-elle pas changé ? En 30 ans dans la plaine d’Alsace, 80% de la biodiversité est morte. Qu’il s’agisse d’oiseaux, d’insectes ou de plantes. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais une étude tri-nationale entre Allemands, Suisses et Français. La faute aux herbicides, aux fongicides et aux pesticides, à la nappe phréatique polluée, à la disparition des bocages, des haies et des cours d’eau… Cela fait 10 ans qu’il n’y a quasiment plus de champignons, que l’on assiste à des records de température et que les forêts dépérissent car elles n’ont plus de quoi se défendre contre les parasites. Bref, en plaine, tout est devenu stérile ! Face à ce constat, la prise de conscience est-elle au rendez-vous ? Assiste-t-on à une réelle envie de réparer les dégâts ou continue-t-on en fermant les yeux ? Je crois que l’on commence doucement à s’apercevoir que l’Homme est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Nous sommes totalement dépendants du végétal. La prise de conscience est en marche… De toute manière, nous n’aurons pas le choix : la planète nous héberge et nous n’en sommes que locataires. Est-ce que des mouvements initiés par des chefs, comme le concept de « natu ralité » prôné par Alain Ducasse fait sens à vos yeux ? Je considère cela comme de l’écologie urbaine un peu opportuniste. Pour faire de l’écologie, il faut vivre dans la nature et voir comment les choses poussent ! Mais de plus en plus de chefs cultivent leur potager... ? Cela fait 20 ans que j’y travaille. Jean Albrecht à Rhinau emploie deux jardiniers à plein temps. Son restaurant, Vieux Couvent, est autonome au niveau des légumes et des
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fruits. En cuisine, Alexis, le fils de Jean, suit les saisons comme à l’époque où l’on ne mangeait pas de tomates ni de fraises en février. Il pratique une cuisine de terroir et du moment. Aujourd’hui on y revient ! D’accord pour les chefs, mais qu’en est-il du consommateur lorsqu’il fait ses courses ? De ce côté-là aussi, je suis assez optimiste. Un grand nombre d’entre eux a pris conscience des enjeux durant la période du Covid. On a bien vu à ce moment-là que ce n’était pas les Chinois qui nous nourrissaient, mais bien l’agriculteur d’à côté. Il en est resté quelque chose dans les habitudes de consommation. Tout n’a pas été perdu ! Reste le fameux pouvoir d’achat qui revient au premier rang des préoccupations. Or ce genre d’alimentation de proximité est réputée plus chère… Qu’on le veuille ou non, nous devrons bientôt payer le juste prix des aliments que nous consommons. Nous en revenons, de la mondialisation ! Et cela ne coûte pas nécessairement plus cher de s’alimenter correctement. Pendant que je vous parle, je suis en train d’éplucher des carottes tordues dont personne ne veut et qui normalement, finissent au compost... Je vais pourtant en faire une excellente soupe. Cela ne m’aura coûté que le temps nécessaire pour les éplucher. Le temps, justement, les gens en ont de moins en moins. Ils ne savent plus cuisiner comme autrefois… Pendant le confinement, on a bien réussi à retrouver les casseroles ! Il va falloir que les gens réapprennent à cuisiner. Dans ce domaine comme dans d’autres, il y en aura toujours qui seront à la traîne tandis que d’autres joueront les locomotives. Mais globalement, je suis confiant. Et les plantes sauvages, que viennentelles faire là-dedans ? Elles sont utiles pour se soigner ! Figurezvous qu’avec des plantes, j’ai pu guérir un cheval que deux vétérinaires successifs avaient condamné. Ce sont des plantes qui poussent autour de nous que l’on écrase. Les anciens savaient s’en servir et maîtrisaient la phytothérapie. Aujourd’hui, il existe dans ce domaine beaucoup de charlatans. Moi, je ne suis ni médecin ni pharmacien. Je connais simplement les plantes qui soignent les petits bobos.
L’actu des artisans
Objectif zéro déchet Inscrite dans une nouvelle démarche de consommation, l’épicerie Le Colibri promeut le zéro déchet et se veut accessible à tous. Le magasin bio a pris son envol en mars dernier et propose désormais une large gamme de produits. Les denrées alimentaires sont conditionnées dans des récipients consignés et le circuit court est privilégié. Pour le rayon vêtements et livres, la seconde-main est mise à l’honneur. En bonus, Le Colibri propose à ses clients un panier de fruits et de légumes de saison. Parfait pour s’y mettre. (R.S.) Le Colibri 11, rue de l’Artisanat à Niedermodern
Plaisir en barre En Alsace, impossible de ne pas connaître Stoffel, qui satisfait les envies gourmandes depuis près de soixante ans. La chocolaterie familiale, qui conjugue tradition et modernité, parie sur le savoir-faire des artisans. Les 27 et 28 mai, la chocolaterie de Ribeauvillé, en partenariat avec la Brasserie du Vignoble située à Riquewihr, organise une dégustation « choco-bière » et promet des accords étonnants mais gourmands. (R.S.) Chocolaterie Daniel Stoffel 50, route de Bitche à Haguenau Route de Guémar à Ribeauvillé 6, boulevard des Enseignes à Mundolsheim daniel-stoffel.fr
En pointe sur les pointes Cela fait presque quarante ans que la Ferme Nonnenmacher perpétue, d’une génération à une autre, les traditions gastronomiques alsaciennes. Spécialisée dans l’élevage des canards, l’entreprise familiale agricole propose également une multitude de produits de saison issus d’une agriculture r aisonnée. Celle-ci se retrouve mise en exergue lors d’ateliers-découvertes à destination des scolaires. Ce fut encore le cas récemment avec les 18 tonnes d’asperges que produit la ferme chaque année. Ferme Nonnenmacher Le Gaveur du Kochersberg 14, route de Hochfelden à Woellenheim gaveur-kochersberg.fr
Traditions en bouteille Oh mon bateau À Strasbourg, ULS combine le fluvial et le vélo pour un « dernier kilomètre » green à la rencontre des commerces, bars et restaurants du centre-ville. La Cave du Roi Dagobert, en association avec le groupe Trasco, profite de ces péniches voguant du Port du Rhin au quai des Pêcheurs, puis de ces livraisons à vélo pour livrer ses bouteilles de vin aux restaurants L’Ancienne Douane ou Le Clou, par exemple. « Ça nous porte de pousser la réflexion plus loin et de tenter de solutionner l’encombrement de Strasbourg avec des solutions écologiques. Ce n’est pas toujours facile à mettre en place, mais il faut être exigeant ! », explique Christophé Botté, le directeur général de la coopérative vinophile. (C.B.) cave-dagobert.com
48 NOURRIR | L’ACTU
Si vous êtes amateurs de jus, il y a de fortes chances pour que vous ayez déjà goûté à l’un des produits de Sautter Pom’or, établie à Sessenheim. Depuis bientôt 70 ans, la marque propose des jus pressés. D’abord spécialisée dans les jus de pommes, elle s’étend rapidement aux fruits rouges et exotiques. Mais la coqueluche de Sautter Pom’or reste le fruit du pommier : en 2019, l’entreprise lance Apfel, une gamme de jus d’exceptions destinés aux plaisirs gastronomiques. Cette année, la médaille d’or du Concours général agricole de Paris a été décernée à la marque, preuve d’un savoirfaire indétrônable. (R.S.) Sautter Pom’or 13, route de Strasbourg à Sessenheim sautter-pomor.fr
Du local dans le bocal Irréductible fabricant alsacien face à la pénurie de graines de moutarde, Alélor produit son précieux condiment grâce à une filière locale. Dans le respect du savoir-faire, l’unique producteur de moutarde de la région met à l’honneur le circuit court, afin de réimplanter la culture de graines sur le territoire. Du 100% made in Alsace. Dernière arrivée au catalogue ? La moutarde douce aux graines françaises, garanties sans additifs, sans colorants et sans conservateurs. Un produit artisanal qui cherche à préserver les saveurs et les traditions. (R.S.) Alélor 4, rue de la Gare à Mietesheim alelor.fr
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FOCUS
LA RUÉE VERS LE MANUEL Par Cécile Becker
Donner du sens à son travail, renouer avec la nature, retrouver le goût des belles choses, toucher du doigt le plaisir d’un produit fini fabriqué par soi… Si les reconversions sont loin d’être un fait nouveau, depuis la crise sanitaire, le phénomène s’est largement amplifié prouvant un changement de regard sur les métiers manuels et la nécessité de se reconnecter au sens et à l’essentiel.
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On avait senti le vent tourner en observant les effets de la crise sanitaire. D’abord par le prisme du monde de la restauration qui peinait à recruter – selon l’Umih, le syndicat de la profession, il manque aujourd’hui 30% de salariés –, mais aussi en constatant l’effet d’aubaine créé par les confinements et le chômage partiel qui ont été l’occasion de se questionner, de se reconnecter à des envies profondes et, pour certain·e·s, de se former. Comme si cette pause contrainte nous avait prouvé que l’on peut vivre différemment et entretenir un autre rapport au travail, où la question du sens aurait toute sa place. Comme si nous nous étions replacés au centre d’un monde dopé aux injonctions. Résultats : l’hôtellerie-restauration est en salvatrice remise en question alors que la plupart du personnel se voyait (se voit toujours…) essoré par des horaires de travail harassantes, un salaire ridicule, sans
Photo Christophe Urbain
réels avantages. Carole Eckert, patronne du restaurant Enfin à Barr, annonçait passer son équipe aux 39 heures – d’ordinaire on parle plutôt de 60 heures par semaine – et revoyait ses prix pour les rehausser à la hauteur du travail accompli et de l’engagement de son personnel… À l’heure où l’Umih constate que de nombreux apprenti·e·s ont déserté le métier, il est effectivement temps de revoir les conditions de travail du milieu. Alors l’artisanat serait-il plus séduisant ? Moins contraignant ? Rien n’est moins sûr. Ce qui compte pour les reconverti·e·s (lire pages suivantes), c’est davantage la flexibilité (avoir plus de temps pour soi), être en contact avec la matière et/ou la nature et redonner du sens à ses larges plages horaires allouées au travail. Dépasser la question de la rémunération et du besoin, pour accorder plus de place à l’envie et à l’épanouissement de soi. Tout ça,
c’est sûr, renforce l’intérêt pour le travail et rend donc l’investissement et l’engagement plus heureux. En fait, les reconversions ont plus à voir avec une passion qu’on aurait trouvée ou avec laquelle on aurait renoué ; logique alors que le rapport au travail soit, de fait, plus doux. À la Chambre de métiers d’Alsace, on le constate : en 2021, sur 7 000 entreprises artisanales créées en Alsace, 1 500 ont fait l’objet d’une reconversion. Du jamais vu. Reste que les parcours de formation restent un peu obscurs : à l’image des personnes que nous avons rencontrées, qui reconnaissent qu’elles n’avaient pas forcément conscience des structures, possibilités et des avantages liées à une reconversion (continuer à toucher son salaire, par exemple). Il reste encore du travail pour rendre visibles ces voies alternatives… Constatant les difficultés des entreprises artisanales a recruter, la Chambre de métiers d’Alsace a lancé ses premiers rendez-vous de la reconversion, qui permettent d’accéder à l’information liée aux financements et aux formations. Les conditions d’accès aux reconversions seront semble-t-il facilitées… cm-alsace.fr
David Spenlihauer De la sommellerie à la cidrerie À l’entendre, il aurait presque choisi n’importe quoi pour retrouver un lien au grand air. Lui et son collègue Léo Deyber ont fondé l’année dernière la cidrerie artisanale René Sens dans le Sundgau, d’où ils sont originaires. Mais s’ils avaient trouvé des vignes, ça aurait été le vin : « On trouvait que c’était une bonne idée de planter des vignes, mais du côté du Jura alsacien, le sol est calcaire, ça aurait été plus difficile, risqué, d’autant que l’attente que les vignes prennent rallongeait d’autant le début de l’entreprise. On avait vraiment envie de commencer. L’alternative cidre s’est présentée car le Sundgau rassemble un super patrimoine arboricole. On a sauté sur l’occasion. » La nature à tout prix. Sorti de sa formation (CAP Restauration, Bac pro, mention complémentaire en sommellerie en 2018),
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David a travaillé au restaurant 1741 : « Je savais que je ne ferai pas ça toute ma vie mais je ne pensais pas que ça arriverait si tôt. En 2020, je sentais déjà que je perdais patience. Je n’avais pas envie de subir, j’ai arrêté entre les deux confinements. Mais je ne regrette pas du tout : j’ai beaucoup appris et rencontré des tonnes de personnes, ça m’a ouvert des portes. J’ai notamment pu travailler pour des vignerons. » Le fait est que le serveur et sommelier ne s’est pas vraiment arrêté : débuter une activité de cidrier ne se fait pas en quelques semaines, se dégager un salaire encore moins. De fait, il continue dans le milieu de la restauration et fait quelques extras (au Jaja, au Café des Sports ou au 1741) en marge d’un BPREA qu’il termine cet été, diplôme indispensable pour gérer sa propre « exploitation ». « En septembre-octobre 2021, après avoir installé la cidrerie, on a tout ramassé [au verger du grand-père de David et en récupérant des pommes auprès de particuliers, ndlr], mis en fermentation et préparé la commercialisation. » La mayonnaise prend vite, à tel point qu’un importateur du Mexique les a déjà contactés sur Instagram pour goûter leur première cuvée. Son idéal ? « Sortir de la monoculture. J’aimerais bien qu’on propose des activités de maraîchage, qu’on fasse de la bière, du vin. » Les raisons de cette reconversion sont pour lui évidentes : réinvestir son village d’origine, Biederthal, alors que tous les jeunes désertent la région, donner plus de sens à ses journées, participer à la sauvegarde du patrimoine arboricole et proposer une alternative bien troussée aux buveur·euses de tout poil. Bref, l’idée de contribuer à la fondation du « monde d’après ». cidrenesens.fr
Adélie Salmon De la cuisine à la menuiserie Les horaires interminables, le travail de nuit, la paperasse, les emplois du temps incertains ont eu raison de l’entreprise de cuisine/traiteur qu’Adélie Salmon avait co-fondée. La veille du premier confinement, la décision était prise. D’abord : le
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repos. Avec son compagnon, la nouvelle chômeuse fait ses valises pour la maison familiale à Heippes (Meuse) : « Mon compagnon est bricoleur, ce qui a été précieux. Je n’y serais pas arrivée toute seule, sachant que je ne savais pas me servir d’une visseuse [rires]. On a commencé à construire des petites choses : une serre, des chaises, une petite table avec du vieux bois, des palettes. Comme j’ai toujours aimé faire des choses de mes mains, tout m’a intéressée. Cette période m’a appris les bases : être à l’aise avec les outils, surtout. » En rentrant à Strasbourg, les amoureux se lancent dans l’aménagement d’un van. Ça y est : la fièvre de la construction l’a saisie. Le deuxième confinement arrive : « Là, je me dis, autant utiliser ce temps pour apprendre ! » Elle rencontre Nicolas Martin, justement en train de monter la menuiserie Sainte-Madeleine. En décembre 2020, elle fait une demande de stage via Pôle Emploi, validée. Suit une période de découverte (marquetterie, travaux de quincaillerie, la construction d’une mezzanine) puis des contrats sur lesquels elle est embauchée. « Avec Nicolas, on a
rapidement parlé d’apprentissage. Je voulais absolument de l’alternance et je me suis tournée vers les Compagnons du Devoir à Jareville-la-Malgrange. La formation a débuté en septembre 2021. C’était assez marrant de se retrouver avec des petits minots de 15-25 ans », s’amuse-t-elle. Si la théorie l’ennuie rapidement – d’autant qu’être contrainte à rester assise quatre heures de suite n’est pas chose aisée –, la pratique la met en joie : « On a appris plein de choses, notamment en menuiserie traditionnelle, faire des dessins techniques aussi. » Alors que sa formation touche à sa fin, Adélie Salmon se remet en question et souhaite quitter la menuiserie traditionnelle pour se tourner vers l’ébénisterie, la scénographie ou le décor de théâtre, pourquoi pas en tant qu’intermittente. Le bilan ? « J’ai plus de temps pour moi, je me sens plus libre. Et puis, le salariat fait aussi que, quand ta journée est terminée, elle est terminée. » Accomplie. Menuiserie Sainte-Madeleine 20, rue Sainte-Madeleine à Strasbourg Instagram : ste_madeleine
Photos : Christophe Urbain
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Photos : Mathias Zwick
Tristan Cenier De la biologie à la pâtisserie Un changement de vie à 47 ans. Rétrospecti vement, Tristan Cenier ne sait pas pourquoi il a pris autant de temps à se consacrer pleinement à une passion qui était déjà bien présente dans sa vie : la pâtisserie. « Je me souviens, plutôt que de passer mes weekends au labo sur mon sujet de recherche, je cuisinais. J’arrivais tous les lundis avec des gâteaux et mes collègues me disaient déjà que je pouvais devenir pâtissier. À l’époque, je ne tiltais pas vraiment… » Ignorait-il, par peur, ce qui aurait dû lui péter à la figure ? C’est possible. En même temps, difficile de tirer un trait sur dix années de recherche académique en biologie, même s’il les a
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menées sans réelle motivation… ce qu’il a mis du temps à s’avouer. « Au fond de moi, je suis flemmard, j’ai une tendance à la paresse. Si je n’ai pas d’impératifs, je fais le minimum », reconnaît-il. C’est sûr qu’à ce compte-là, la recherche devient compliquée… Après un baroud d’honneur à Salt Lake City en 2014, c’est le retour en France et la première crise : « Le post-doc en France, ce sont des années précaires où tu te retrouves à devoir accepter de travailler sur des sujets qui ne te passionnent pas. Mon propre échec m’a comme sauté au visage. Et comme beaucoup de docteurs qui se recyclent, j’ai fait une formation pour intégrer le privé. » Tristan se retrouve chez Schmidt Groupe, « à mettre en place des dispositifs pour encourager les innovations ». Cinq ans pour arriver au même constat. La direction générale change et l’occasion d’une
rupture conventionnelle se présente. En mars 2021, c’en était terminé. « La crise sanitaire par-dessus tout ça, ça a été assez difficile. Là, je me suis dit : « À part faire de la pâtisserie, qu’est-ce que je peux faire ? » Ma compagne m’a regardé avec des gros yeux. » Enfin, la décision est prise et il suit la formation adulte, en continu, pour décrocher son CAP. « Quand j’ai envisagé la reconversion, je me suis senti comme un enfant gâté : « t’as fait un truc qui n’a pas marché et au lieu de persévérer tu passes à autre chose ? C’est pas sérieux de faire ça à ton âge… » Un peu de culpabilité avant de ressentir l’accomplissement : un peu de chimie, beaucoup de goût, de la précision, l’impératif du travail fait, la fierté de déguster, tout ça le porte et le soulage aussi. Prochaine étape : ouvrir sa propre adresse.
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A l’accueil-boutique de la Maison du Parc, une cinquantaine d’artisans, de créateurs, d’artistes du territoire et de la région sont réunis. Des pièces uniques ou réalisées en petite série, du fait main avec des matières nobles, naturelles et durables. Et toutes les infos du Parc naturel régional des Vosges du nord...
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Construire
Yves Sertelet CHARPENTIER
Par Aurélie Vautrin / Photos Dorian Rollin
D’aussi longtemps qu’il se souvienne, Yves Sertelet a toujours eu cette passion pour la construction. « J’aimais déjà fabriquer des choses quand j’étais petit, assembler, créer, mettre en forme. D’une certaine manière, c’est toujours ce que je fais aujourd’hui. » Son quotidien ? Concevoir des maisons, des extensions, des bâtiments publics « avec le plus de bois possible ». En plus d’avoir repris les rênes de la société que son père a fondé en 1982, Yves Sertelet vient de créer Kaïdobôh – « morceau de bois », en patois vosgien. Une entreprise entièrement dédiée à la construction de maisons « encore plus saines et respectueuses de l’environnement. Du bois naturel, du sol au plafond ». Un rêve rendu possible grâce à l’achat d’une ligne de fabrication
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CONSTRUIRE | PORTRAITS
unique en France, longue de soixante mètres ; une nouvelle technologie venue de Suisse grâce à laquelle il peut créer des murs en planches croisées chevillées… Plus besoin de colle ni de polluants ou de produits chimiques. L’épicéa provient des forêts des Vosges et d’Alsace, les chevilles sont en bois de hêtre. « J’ai toujours voulu travailler en maximum en local. Du bois massif, des assemblages traditionnels. Les Vosges sont la région la plus forestière de France, aucune raison d’aller chercher ailleurs. » Depuis le temps qu’il est sur le terrain, Yves Sertelet l’assure : « Les choses commencent à évoluer dans le bon sens, de plus en plus on associe anciennes techniques et nouvelles technologies pour pallier la crise écologique actuelle. » Preuve en est, les
demandes affluent depuis deux ans et le chef d’entreprise a vu son chiffre d’affaires doubler l’année dernière – et va le doubler une nouvelle fois cette année. « C’est un métier qui demande beaucoup de temps et d’énergie. C’est sûr, à cinq heures du matin je suis déjà au boulot Mais la conception et la fabrication, c’est vraiment ce que je préfère. » Plusieurs de ses réalisations ont par ailleurs reçu des prix saluant autant leurs innovations que leurs architectures. Sertelet Charpentes & Construction Bois 1, route de Saales à Provenchères-et-Colroy sertelet.com
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Thomas Cronimus PEINTRE D’INTÉRIEUR Par Tatiana Geiselmann / Photos Pascal Bastien
Sur son plan de travail : des casseroles, une balance, un fouet et des verres doseurs. Son quotidien : élaborer de nouvelles recettes pour atteindre la parfaite mixture. Pourtant, Thomas Cronimus n’est ni pâtissier, ni cuisinier. Il est peintre d’intérieur. « On peint tout ce qui ne bouge pas, plaisante le vif quadragénaire. Murs, volets roulants, portes, colonnes, vélo, guitare. » Qu’ils soient en bois, en plastique ou en métal, tous retrouvent une seconde jeunesse sous les coups de son rouleau : «Je suis un vrai faussaire.» Sa spécialité, ce sont les enduits à la chaux, un revêtement mural à base de calcaire qui laisse respirer les murs et favorise l’évacuation de l’humidité. Une technique plébiscitée dans les nouvelles constructions
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CONSTRUIRE | PORTRAITS
écologiques. « On n’invente pas grandchose, précise l’Alsacien d’origine. Ce sont des techniques ancestrales. » Et c’est justement à l’ancienne que Thomas Cronimus travaille la chaux : en préparant lui-même ses mélanges. Dans ses tiroirs, des dizaines de pigments minéraux s’alignent dans de petites boîtes en plastique blanc. À côté, de la chaux aérienne (pour les peintures intérieures) et de la chaux hydraulique (pour les peintures extérieures). Et l’ingrédient secret : du méthylcellulose, une poudre qui joue le rôle de rétenteur d’eau. « Ensuite, il suffit de varier les dosages. » Pour aboutir à la formule parfaite, le méticuleux patron a d’abord étudié les étiquettes des produits vendus sur le marché, il a aussi scruté le web et surtout, il s’est renseigné auprès des
anciens de la région. « On essaye, on teste, et dès qu’on obtient le rendu qu’on veut, on peut le préparer en grande quantité. » Lorsqu’il s’est lancé il y a 10 ans, Thomas Cronimus préparait ses potions magiques dans son garage. Aujourd’hui, sa petite entreprise a pris du galon – lui aussi d’ailleurs puisqu’il est Meilleur Ouvrier de France – et compte une dizaine de salariés, dont trois apprentis. « C’est important de transmettre aux jeunes les bases du métier, leur apprendre qu’un peintre n’est pas là juste pour donner un coup de pinceau sur les murs, mais qu’il peut préparer lui-même ses produits. » Un retour aux origines du métier, lorsque l’artisanal primait encore sur l’industriel. Toma Peinture 1, rue Blaise Pascal à Hoerdt
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Elles recouvrent le toit de la brasserie de l’Ancienne Douane, se superposent pour créer l’aqueduc de la fontaine de Janus près de l’Opéra. Les tuiles et briques de l’entreprise familiale Lanter sont les dernières d’Alsace à être moulées à la main, séchées puis cuites au four, selon des procédés vieux de plus de 100 ans. Un savoir-faire transmis de génération en génération, dernière résurgence d’une tradition locale engloutie par le monde industriel.
Rouge brique Par Tatiana Geiselmann Photos Simon Pagès
Quand on a demandé à Catherine Lanter si on pouvait venir faire un reportage au sein de sa tuilerie-briqueterie artisanale, elle a repoussé l’échéance de notre visite le plus tard possible, « pour être sûre que le four soit allumé ». Sauf que le jour J, en franchissant le portail d’entrée, il faut se rendre à l’évidence : aucune fumée ne sort de la haute cheminée de briques rouges, qui jouxte le bâtiment principal. « Elle est purement esthétique », nous rassure de suite la souriante sexagénaire. Du haut de ses 20 mètres, la robuste colonne d’argile est aussi symbolique, dernier vestige du florissant passé de fabrication de briques et de tuiles de Hochfelden. Dans cette partie de la plaine d’Alsace, le sol est riche en loess, une variété d’argile grasse, aux vertus perméables. « Contrairement à l’argile traditionnelle, le loess va emmagasiner l’humidité et la restituer, et donc assurer une très bonne régulation hygrométrique, détaille la dynamique Alsacienne. Idem pour la chaleur .» Une myriade de petites entreprises de confection de briques voit donc le jour à Hochfelden à la fin du xixe siècle, employant des centaines d’ouvriers, souvent payés à la pièce. Mais au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la plupart d’entre elles sont ruinées, rachetées pour des sommes dérisoires par de grosses sociétés industrielles. Seule la briqueterie Lanter résiste à cette mainmise des géants du secteur.
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Des briques et des tuiles de père en fils Comme en atteste l’inscription en céramique blanche au sommet de la cheminée, l’entreprise familiale a été fondée en 1896 par l’arrière-arrière-grand-père de Bruno Lanter, le mari de Catherine. Transmise de père en fils, la briqueterie vivote pendant l’entre-deux-guerres, « plus pour maintenir le côté patrimonial qu’autre chose ». En 1949, Pierre Lanter, le père de Bruno, relance à grand-peine l’activité. Puis en 1961 arrive la commande miracle, celle qui va permettre à la briqueterie de renaître de ses cendres :
la ville de Strasbourg souhaite restaurer l’intégralité de la toiture de l’Ancienne Douane, ravagée par un orage de grêle. La famille Lanter ressort donc ses moules, ses planches, rallume son four et replonge ses doigts dans l’argile. Aujourd’hui encore, tuiles, briques et faîtières sont fabriquées à la main, avec les mêmes gestes qu’il y a 100 ans. La première étape, c’est l’extraction du loess, dans la carrière familiale, située 400 mètres plus loin. « Pour une année, on récupère environ 3 000 tonnes de terre, indique Catherine
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Lanter. C’est l’équivalent de ce que vont produire nos concurrents industriels en une journée. » Une fois prélevée, la terre est nettoyée, débarrassée de ses cailloux et de ses branches, avant d’être malaxée et pressée. Vient ensuite la délicate étape du moulage. Ça se passe dans l’atelier, un long bâtiment (de briques évidemment), sur le côté de la propriété. Le tuilier du jour, c’est Denis, arrivé chez les Lanter à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, il en a plus de 60. « La main-d’œuvre chez nous, elle est très fidèle », rigole sa patronne. L’empreinte des doigts : la signature du tuilier Une vieille bassine d’eau froide posée devant lui, un lourd bloc d’argile à sa droite, et une poignée de sable ocre sur son plan de travail, Denis humidifie les bords métalliques d’un moule à tuile. Il le pose ensuite face à lui sur une étroite planchette de bois recouverte d’un fin tapis maculé de terre.
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D’un geste résolu, il saupoudre une pincée de sable sur sa planche, empoigne le loess, le tasse dans son moule, enlève l’excédent avec ses mains, retourne le tout, trempe ses doigts dans l’eau, lisse la seconde face, puis imprime de ses deux index de fins sillons sur la surface. En moins de deux minutes, une nouvelle tuile vient compléter la collection qui s’aligne sur les claies de bois derrière lui. « Les traces de doigts, c’est la signature du tuilier », précise Catherine Lanter. Autrefois, cette modeste empreinte dans l’argile suffisait à reconnaître l’artisan qui avait moulé la tuile. À la briqueterie Lanter, ils sont désormais trois à maîtriser ce tour de main : Denis, son frère Alain, qui comme son aîné a rejoint l’entreprise dès ses 16 ans, et Patrick, le dernier arrivé, il y a « seulement » huit ans. Bruno Lanter, le patron, et son fils Mathieu, prêt à prendre les rênes de la société familiale, sont aussi artisans tuiliers. Mais eux s’occupent plutôt des
étapes suivantes et notamment de la cuisson. « Avant ça, il faut faire sécher les tuiles pendant au moins trois semaines, explique la matriarche. Sinon, elles vont casser à la cuisson. » Une fois ce délai passé, tuiles et briques sont empilées dans l’imposant four à charbon qui trône au milieu de la propriété. L’or des flammes, le rouge de la brique Le four, c’est la pièce maîtresse d’une briqueterie, un tunnel ovale de 40 mètres de long et deux mètres de haut, aux murs épais. Un ancêtre construit par le grand aïeul en 1896. Pour voir ce qu’il se passe à l’intérieur, il faut monter sur le toit de l’édifice. Grâce à de menues trappes en métal noirci, on peut jeter un œil dans les entrailles de cet anneau de feu. Des gerbes de flammes orangées s’échappent de l’orifice, dégageant une chaleur intense. « Pour cuire les briques et les tuiles, il faut que la température dépasse les 1000 degrés, expose Catherine Lanter. Et pour que le feu atteigne cette température-là, ça prend au moins une semaine. » Évaluer la température du four, se fait presque au doigt mouillé. « On voit ça à la couleur, si les flammes sont plus au moins dorées. » Un savoir-faire empirique et chronophage, car le fourneau a besoin d’être réalimenté en charbon au moins trois fois par jour. Au bout d’un mois, lorsque le brasier a fait le tour du tunnel, briques et tuiles peuvent être récupérées, empilées sur des palettes, et livrées aux clients. Du fait de la richesse en oxyde de fer du loess, elles se sont colorées d’un rouge profond, tirant sur le corail. En plus des briques et des tuiles, la famille Lanter produit aussi des dalles, comme celles qui recouvrent le sol de l’église SaintGuillaume de Strasbourg, cette frêle église blanche au clocher de guingois, au bout du quai des Bateliers. « On travaille presque exclusivement sur commande, détaille la sexagénaire. Et souvent pour la restauration de monuments historiques. » Parfois, ce sont également des particuliers qui montent à Hochfelden se fournir en matériaux de construction. En arrivant chez les Lanter, on peut d’ailleurs admirer tout l’étalage de leurs compétences, tuiles en queue de castor, tuiles émaillées, briques pleines et creuses, le tout entassées dans un joyeux bordel de poussière et de palettes de bois, en bordure des bâtiments. Financièrement, la fabrication de tuiles et de briques artisanales suffit à peine à
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faire tourner l’affaire familiale. Il y a une quinzaine d’années, le couple Lanter s’est donc diversifié, en se lançant dans la brique pilée. À peine sorties du four, les briques sont écrasées, moulinées puis tamisées, pour ressortir sous la forme d’une granuleuse poudre cramoisie, qui servira notamment à la construction de terrains de tennis en terre battue. « Mon fils développe aussi du terre-paille, un mélange de brique pilée, de sable et de paille, qui permet de produire un enduit semblable à du torchis. » Un produit de plus en plus plébiscité dans les constructions écologiques,
du fait de ses performances thermiques et acoustiques, et de son bilan carbone quasi nul. Un secteur porteur dans le domaine de la construction, qui devrait donner un nouvel élan à la briqueterie Lanter et lui permettre de faire perdurer la tradition locale de production de brique rouge. Briqueterie Lanter 5, rue de la Tuilerie à Hochfelden brique-lanter.com
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DOSSIER
En bonne compagnie Par Robin Schmidt, Fabrice Voné, Ludivine Weiss Photos Christoph de Barry
Comme un symbole du retour au travail manuel, les Compagnons du Devoir ont doublé leurs effectifs en quatre ans. À Strasbourg, l’institution a également le vent en poupe. D’autant qu’elle va bénéficier, début 2023, d’un nouveau centre de formation à Koenigshoffen adapté aux métiers d’aujourd’hui tout en conservant un attachement privilégié aux traditions, à l’entraide et à la transmission.
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DOSSIER
Julien Guenneugues, le prévôt.
Attention, maison sérieuse. Les Compa gnons du Devoir ont le vent en poupe. En quatre ans, leurs effectifs ont doublé passant, sur le plan national, de 5 500 à 11 000 futurs charpentiers, plâtriers, pâtissiers, couvreurs… Sans doute que la pandémie a révélé chez beaucoup de nouveaux attraits pour le travail manuel, tandis que l’apprentissage est devenu un enjeu central durant le premier quinquennat d ’Emmanuel Macron. Cette image redorée n’a pas ignoré la Maison de Strasbourg qui fait office de siège régional à cette association, fondée en 1941 et reconnue d’utilité publique. Rue de Wasselonne, le centre de formation (CFA) accueille aujourd’hui 586 élèves (CAP, Bac Pro, formation continue…). Parmi eux, certains sont pensionnaires dans le cadre
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du Tour de France qu’ils effectuent durant leur cursus. L’une des particularités des Compagnons qui se démarquent également par des rituels très solennels et un vocabulaire qui leur est propre. Ainsi, Julien Guenneugues occupe la fonction de prévôt, l’équivalent du proviseur que les élèves tutoient allègrement car il n’est guère plus âgé que la moyenne. Ce jardinier-paysagiste de formation, originaire de Bretagne, occupe le poste depuis août 2019. « Mon rôle, c’est de planifier la formation sur l’aspect réglementaire et de dynamiser la vie dans le CFA, dit-il. Je suis le point pivot entre les jeunes, les parents et les entreprises. » Ces dernières constituent un réseau sûr avec, bien souvent, d’anciens Compagnons à leur tête et qui jouent les courroies de transmission entre
les savoir-faire. « On se porte bien parce que l’artisanat et l’alternance ont aussi le vent en poupe en Alsace », poursuit-il. D’autant que les Compagnons du Devoir vont bientôt hériter d’une nouvelle vitrine avec un centre de formation flambant neuf à Koenigshoffen. Prévu pour début 2023, le site de 6 500 m 2 accueillera les nouveaux ateliers des pôles bâtiment, aménagement, bois, énergies, enveloppe et couverture, fer et goût. S’ajouteront un studio numérique, un FabLab, un espace de conférences ainsi que 57 logements supplémentaires. « On a opté pour la page blanche afin d’imaginer le centre de formation de demain plutôt que de réhabiliter par ci par là, ce qu’on fait depuis 30 ans », souligne Julien Guenneugues en référence à l’ancien moulin à farine que les Compagnons occupent depuis 1951 et qui se mue rapidement en usine occasionnant parfois quelques nuisances sonores pour le voisinage immédiat. « On ne cherche pas à gonfler nos effectifs mais du confort et de la technologie pour nos formations, c’est important d’être en phase avec nos métiers. » Ce qui ne les empêchera pas de rester farouchement attachés à leurs traditions. Que ce soit dans le contenu des enseignements où les apprentis en bâtiment, par exemple, ont encore des cours de dessin technique. À l’ancienne comme les cérémonies d’intronisation avec un dress code coloré et des cannes pouvant être gravées du surnom du Compagnon en rapport avec sa région d’origine. « Ce n’est pas du folklore, martèle le prévôt. Les symboliques dans nos cérémonies servent à apporter du sens à ce qu’on entreprend pour qu’on soit fier de notre engagement. Quand on fait le Tour de France [habituellement sur cinq ans, ndlr], c’est une centaine de Compagnons qui se mobilisent pour un seul jeune. » Une entraide, non dénuée d’un certain goût de l’effort, au service de l’excellence. F.V. Les Compagnons du Devoir 2, rue de Wasselonne à Strasbourg compagnons-du-devoir.com
Les symboliques dans nos cérémonies servent à apporter du sens à ce qu’on entreprend. Julien Guenneugues
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DOSSIER
Paroles de Compagnons Serena Favre Menuisière
Alaric Lorinquer Plombier
Laurine Pichot --> Plâtrière
« En sortie de collège, j’avais commencé un CAP en ébénisterie au Centre de formation des apprentis d’Eschau. C’était différent, un peu trop individualiste à mon goût. Chez les Compagnons, ce qui me plaît c’est leur univers, leur mentalité. L’esprit de communauté, le vivre-ensemble et le voyage [au travers du Tour de France, ndlr] c’est ce qui me convient le mieux. J’en apprends tous les jours sur moi. Bien que l’on soit entouré, on apprend à se débrouiller seul. Il y a beaucoup de valeurs qui sont importantes : le partage et l’entraide. Nos formateurs sont des anciens Compagnons. Ils ont aussi été à notre place et sont de bon conseil et à l’écoute. On découvre le métier sous toutes les formes. En entreprise, c’est une approche moderne. En formation, au contraire, on voit comment l’artisanat se faisait autrefois, traditionnellement. On touche à tout et on cherche à nous faire découvrir le métier sous tous les angles. On conjugue les nouvelles et les anciennes méthodes. » (R.S.)
« J’ai découvert les Compagnons sur le tard, et ça s’est super bien passé. Pendant mon stage de fin de DUT, je me suis rendu compte qu’être assis derrière un ordinateur ne me correspondait pas. Je me suis dit que ce serait sympa de faire autre chose, de concevoir, fabriquer. On s’engage avec des valeurs et le compagnonnage nous en transmet d’autres. On essaie de les appliquer tous les jours, pour atteindre un idéal, être une personne vertueuse. On cherche à transpirer la fraternité, la générosité, la discipline… Il s’agit de tenir à une rigueur de vie, à un juste milieu dans la vie de tous les jours. Il faut être organisé, strict, mais doux. Le compagnonnage représente tous ces enjeux. Il faut se remettre en question pour être meilleur, pour créer un monde plus viable. C’est notre engagement : tout ce qu’on nous a transmis, il faut le transmettre aux générations suivantes. » (R.S.)
« Être chez les Compagnons, c’est déjà un défi personnel mais c’est aussi l’envie de faire partie du compagnonnage à ma manière. Il y a le souhait de continuer à transmettre aux générations suivantes le métier, mais pas seulement. Il y aussi toutes les traditions et fêtes inhérentes aux Compagnons qui sont des supers moments et ça permet de se motiver lorsqu’on en a un peu marre des formations. Quand ça nous gonfle, le fait de se faire aider par les anciens permet de se remettre dans les clous, de s’accrocher ». (L.W.)
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DOSSIER
Pio Marmaï Plongée chez les Compagnons Propos recueillis par Fabrice Voné
Pio Marmaï joue le rôle d’un vitrailliste dans Compagnons, le film réalisé par François Favrat sorti en début d’année. Un retour salutaire au travail manuel pour le comédien strasbourgeois, féru de mécanique.
Comment vous êtes-vous retrouvé à interpréter Paul, le vitrailliste, dans le film Compagnons ? C’est un scénario que j’ai reçu juste après le premier confinement. Mon père était pote avec des Compagnons du Devoir à Strasbourg. J’ai un rapport au travail artisanal et manuel assez important à côté de ma carrière d’acteur comme lorsque j’avais un garage de moto pendant dix ans [Mr Pickles à Aubervilliers, ndlr]. Les Compagnons du Devoir défendent la transmission et l’excellence. Un truc qui me touche et qui me parle. Ce film se présente comme une immersion, était-ce également votre cas pour interpréter votre personnage ? Oui, c’était l’idée. On a tourné dans la maison des Compagnons de Nantes qui est l’une des plus grosses de France. J’ai bossé avec des vitraillistes en amont pour
essayer de savoir ce que ça représentait techniquement. Je n’ai pas la prétention de savoir faire un vitrail mais au moins de connaître la base des gestes. Et il y avait un aspect d’immersion car c’est un endroit qui est assez méconnu. Tout ce qui est lié aux cérémonies, aux rituels, aux symboliques. C’est quelque chose que je ne connaissais pas, mais comme tout ce qui m’est inconnu m’attire… Je ne sais pas pourquoi mais je trouve ça assez beau quand il y a des trucs antiques, qui appartiennent à un temps totalement révolu. Je vois un lien avec notre société qui est dans une efficacité non-stop et dans une ultra-accessibilité à tout en permanence. Là, il y a quelque chose qui est en contradiction qui m’a touché. Quel est le rapport au travail manuel lorsqu’on est acteur ? C’est complexe parce que c’est très rare qu’on vous demande de fabriquer quelque chose manuellement à l’écran. En tout cas de nous investir dans une dynamique de création pure et dure qui n’est pas uniquement liée à la langue, à l’écriture. Quand on est acteur, notre corps, c’est notre outil travail. Mais c’est vrai que là, c’est la première fois où je pouvais me projeter dans quelque chose qui ne m’appartient pas. En l’occurrence, je pouvais me projeter dans un vitrail, dans les couleurs et dans une matière, à savoir le verre. Un truc qui n’est pas uniquement lié à ce que je suis dans la vie. C’est assez agréable, ça place la concentration ailleurs que sur moi. Comment le film a-t-il été accueilli par les Compagnons du Devoir ? C’était assez bienveillant car c’est un milieu qui est très peu représenté. Ce n’est pas une posture mais les gens avec qui on a bossé ne se sont pas sentis trahis et j’en garde un souvenir très agréable.
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À tout juste 29 ans, la carreleuse Kelly Cruz, native de Strasbourg, cartonne sur les réseaux sociaux. À travers des vidéos la montrant dans son environnement de travail, elle s’engage à combattre lesclichés qui ont la vie dure.
Comment est née ton envie de t ravailler dans le bâtiment ? Depuis que je suis petite, j’aime bricoler. Je n’étais pas du genre à jouer avec des barbies, mais plutôt à construire des cabanes. Lorsqu’il a fallu choisir une orientation professionnelle, je suis allée en coiffure. J’aimais l’aspect concours, le fait de pouvoir être créative, mais je m’ennuyais beaucoup dans le quotidien des salons. Mon frère, comme mon père, était carreleur. Il me parlait sans arrêt de son métier. Mais après un accident, il a dû arrêter. Alors un jour, je me suis lancée, j’ai voulu reprendre l’entreprise familiale montée par mon père. J’ai réalisé un stage et ça m’a plu. Ton premier souvenir sur un chantier ? C’était à l’occasion de mon premier jour de stage. Mon père ne voulait pas que je fasse du carrelage. Il n’imaginait pas sa fille dans ce milieu. En espérant me dégoûter, il m’a fait décharger une palette de colle. Je me rappellerais toute ma vie de ce jour, et du lendemain matin, où chaque partie de mon corps me faisait mal. Mais je ne me suis pas plainte, et j’ai continué à me lever chaque matin pour aller travailler. Ta plus grande fierté ? Mon oncle, qui travaille aussi dans l’entreprise, m’a beaucoup formée. C’est une personne qui a vraiment pris le temps de m’apprendre le métier, sans jamais me rabaisser. Un jour, tard le soir, alors que nous étions sur un chantier, il m’a regardée fièrement et m’a dit : « Kelly, je vais faire de toi une grande carreleuse ». Aujourd’hui, quand je vois où j’en suis arrivée, ça me fait sourire de repenser à cette phrase. Il avait raison, il a fait ce qu’il fallait pour, et je l’en remercie. Ton outil favori ? La disqueuse, sans elle, on ne fait rien. 110k sur Instagram, 800k sur TikTok ! Quels avantages tires-tu des réseaux sociaux ? Au-delà de la publicité, j’ai réussi à créer grâce aux réseaux, une petite communauté de femmes qui travaillent dans ce milieu. Elles me donnent beaucoup de force, et je leur rends. On aime échanger, ça nous fait du bien à toutes. On se sent moins seule. Bien sûr, je sais que cette
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popularité sur les réseaux peut être éphémère. J’ai la tête sur les épaules à ce sujet. Donc tant que ça fonctionne, j’en profite. Comment, en tant que femme, faire sa place dans ce milieu ? Ça n’a pas toujours été facile. Contrai rement aux hommes, on doit toutes constamment prouver qu’on a aussi notre place dans le monde du bâtiment. Il m’est quelques fois arrivé que des clients soient sceptiques en me voyant. Mais je suis d’autant plus fière lorsqu’à la fin du chantier, ils réalisent qu’ils ont eu tort de penser ainsi. Par contre, lorsque je suis face à des clientes femmes, je sais qu’elles apprécient toujours. On partage le souci du détail. Des désillusions ? Le premier jour de mon BP Carreleuse, en cours, le professeur m’a regardée et m’a dit qu’une fille n’avait rien à faire dans sa classe. C’était la première fois que je me confrontais directement à ce type de réaction, mais ce n’était pas la dernière. Heureusement pour moi, j’ai un tempérament à ne pas me laisser marcher sur les pieds. C’est quelque chose qui m’a aidée. Alors que certaines remarques ou comportements auraient pu me décourager, à l’inverse, ils m’ont encouragée à me battre encore plus.
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Une dernière anecdote ? Il y a peu de temps, j’ai contacté le CFA dans lequel j’ai réalisé mon CAP. Ils étaient heureux de m’avoir au téléphone, et ils m’ont félicitée, car grâce à ces vidéos, de plus en plus de femmes s’inscrivent dans leur section. Ce travail que je fais sur les réseaux permet aux femmes qui ont peur de se lancer, de foncer. Il permet aussi à certains hommes d’entendre que nous avons aussi notre place dans ce milieu. Avoir un effet sur les mentalités, c’est quelque chose qui me rend très fière. Carrelage Cruz 14, rue Principale à Wingersheim-les-Quatre-Bans carrelage-cruz.fr
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L’actu des artisans Pour des futurs inspirants Le design s’invite sur le GR 53 Le GR 53, qui traverse en diagonale le Parc naturel régional des Vosges du Nord, vient de se doter de six cabanes de la gamme ÜTE, fabriquées à Lupstein. Ces nano-habitats de 5 m 2, ornés d’un liseré rouge qui renvoie au Rectangle rouge de l’itinéraire balisé par le Club Vosgien depuis 1897, ont été disposés entre Rott et La Petite Pierre. Ils servent d’abris pour les randonneurs tout en leur offrant des vues optimales sur la beauté des paysages ainsi que des renseignements sur les alentours. Une aire de bivouac comprenant toilettes sèches et pièce à feu a également vu le jour à Climbach, tandis que le site du Parc naturel régional dédié à la randonnée a fait peau neuve, avec de nouveaux parcours et un maximum d’informations utiles. (F.V.) parc-vosges-nord.fr
Inspirons les futurs possibles ! C’est l’intitulé des rencontres économiques qui se tiendront le mercredi 1er juin à 18h30 au Palais de la Musique et des Congrès, sur inscription. Outre des entrepreneurs, des universitaires et des élus de l’Eurométropole, Mathieu Baudin, directeur de l’Institut des Futurs Souhaitables, endossera le rôle de grand témoin. Il insufflera son optimisme en l’avenir en lien avec les enjeux du territoire pour des échanges et des regards croisés avec l’ensemble des intervenants. (F.V.)
Rencontres économiques, le 1er juin à 18h30 au Palais de la Musique et des Congrès à Strasbourg Inscriptions sur rdv-entreprise.com/ rencontres-eco2022/
Un monolithe devant la CMA D’une hauteur de 2,50 mètres et pesant près d’une tonne, impossible de le rater. Dans la continuité de son travail, présenté l’été dernier durant L’Industrie Magnifique à Strasbourg, Dorota Bednarek a « déposé » début mars son troisième monolithe devant le siège de la Chambre de Métiers d’Alsace à Schiltigheim. Une œuvre multi-sensorielle, composée de goudron, de copeaux de métaux, de verre cassé et divers produits industriels, réalisée avec des artisans alsaciens. Porteuse d’un message d’espoir, elle possède également la particularité d’être autonome grâce à l’énergie solaire qui génère une lumière scintillante et un son apaisant de va-et-vient des vagues. À voir jusqu’en mars 2023 ! (F.V.) cma-alsace.fr
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CONSTRUIRE | L’ACTU
Perle rare Le jeu de mots est facile et fait pourtant sens lorsqu’on parle de la nouvelle brasserie que Perle s’affaire à construire, non loin du Marché Gare à Cronenbourg. Christian Artzner et Anne Zanger, l’infatigable duo à l’origine de la renaissance de la brasserie en 2009, voulaient aller plus loin, et sur tous les points. Résultat : une brasserie écolo, un bar et un biergarten où l’on pourra déguster une ribambelle de bières (Perle n’étant jamais avare en nouveaux jus de saison et en créations goulues), profiter de concerts, de DJ sets et d’événements culturels en tout genre, laisser les enfants gambader, rencontrer des productrices et producteurs du coin, déguster des plats concoctés par des chef·fe·s invité·e·s… Bref, un lieu de vie comme on les aime. Ce qu’il et elle avaient en tête ? D’abord, accueillir leurs clients dans un univers qui leur ressemble, où l’on peut découvrir les coulisses de la brasserie et goûter le fruit de leur travail tout en convivialité, ensuite concevoir un outil de travail confortable pour leur équipe, et surtout, aller plus loin et affiner le processus de création des bières pour qu’il soit le plus propre possible. Cette nouvelle brasserie sera totalement vertueuse – elle dépassera largement les standards BBC en ayant notamment recours à la géothermie passive – : biomatériaux, dont de la paille, pour l’isolation, mélèze des Vosges pour la façade, chambre fraîche naturelle, chaleur générée par la fabrication venant chauffer le bâtiment, silo sur place pour stocker la matière première… Le bâtiment est réalisé par des artisans et entreprises du coin (dont Sertelet à retrouver page 58) et son ouverture est prévue pour le printemps 2023. Le top du top. (C.B.) Bière Perle ZI Plaine des Bouchers, 11, rue de l’Ardèche à Strasbourg biere-perle.com
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Stratiformes Par Myriam Commot Delon Photos Alexis Delon / Preview
Mémoire après mémoire, certains savoir-faire expriment une vibration commune pour l’humain et les mécanismes géologiques. À l’heure où le rythme des mutations nous incite à ralentir, ces quatre artisan.e.s et/ou artistes – entre techniques méditatives, traditions archaïques et réflexion fondamentale – nous prouvent que le temps manque (parfois), se partage (souvent) et s’expérimente (aussi).
Œuvres textiles murales de Roxane Filser Les états chromatiques. À droite : Mélancolie espérante et à gauche : Lévitation enivrante, lin, teinture végétale, noyer (les encadrements étaient en cours de finissage lors de la prise 78 de vue)
Roxane Filser La Bîhe De ses études de sociologie et de sciences de l’éducation jusqu’à l’accompagnement de détenu.e.s, son travail artistique s’est toujours nourri du comportement humain et d’autres disciplines : « J’ai deux, voire trois activités. De toute façon, je suis incapable d’être mono-tâche ! Il me manque quelque chose à chaque fois. Le pourquoi, je le cherche encore… » Sa pratique | Spécialisée en teinture végétale – un savoir-faire qu’elle a appris auprès de Michel Garcia, la référence française –,
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et qu’elle pratique à La Bîhe, son atelier d’ennoblissement textile. C’est à la lecture de Carl Gustav Jung qu’elle a récemment orienté son travail de la couleur vers le pliage, la sphéricité et les mandalas : « Je me suis obligée de travailler le rond, chacun représentant un état d’âme. » Son médium ? Du lin français labéllisé Oeko-Tex provenant d’une manufacture vosgienne, longuement décati au savon de Marseille puis mordancé afin de préparer la fixation de la couleur. Viennent ensuite l’étape du shibori, une technique japonaise de teinture à
réserve par ligature sur tissu, et de la teinture avant d’aborder la phase du pliage. Des jeux de plis qui s’infléchissent en d’autres plis : « La genèse, c’est cette question du temps. Faire vite, ca ne m’intéresse pas. ». Son actu | La Foire Éco Bio Alsace à Colmar, du 26 au 29 mai — foireecobioalsace.fr la-bihe.com
PORTFOLIO
Camille Ancelin Petit Pallas « J’ai besoin de manipuler », une pratique viscérale pour cette jeune artisane bijoutière qui a obtenu un master 2 en design produit et un DNSEP en art-objet à l’atelier bijou de la HEAR avant de créer sa propre marque et d’enseigner le design et les arts appliqués. Sa marque | Petit Pallas a vu le jour en 2018, baptisée ainsi en référence à Pallas Athéna, la déesse des artisans, mais surtout à la femme rousse guerrière et androgyne du tableau de Gustav Klimt. La singularité de ses bijoux ? Un univers poétique, d’une beauté
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brute, parfois minérale, ne cherchant pas à cacher les traces des outils qui les sculptent : « J’en suis venue à interroger l’objet, et plus spécifiquement le bijou, sur sa fonction que je qualifierais “d’arme”, de protection, qui cadrerait les regards, qui serait un alter-ego poétique, c’est-à-dire une sorte de traduction, une interprétation des limites de soi. » Elle aime aussi les fêlures, venir dessiner avec la lame, traduire un projet de la 2D à la 3D, comme dans sa collection Floraison : « La fleur fleurit par le trait de ma scie, une certaine poésie se dégage de l’outil. »
— Atelier Cerbère 19a, rue de Molsheim à Strasbourg Boutique en ligne, actualité et prise de rendez-vous (retraits et commandes spéciales) petitpallas.fr
Magnifiant l’usure naturelle du temps et proche de l’esthétique brutaliste, sa dernière collection, Ruines, se décline en bagues et anneaux de différentes formes et largeurs, certaines piquetées de billes d’or (à droite), certains attachés à d’autre et à laisser libres comme des breloques : « Les anneaux ne sont pas soudés, c’est un mélange entre l’or et l’argent lors du travail de la flamme qui modifie la texture du matériau. Même le chalumeau est révélé, pour faire apparaître les irrégularités, arriver à une pièce unique. » 81
PORTFOLIO
Un inventaire expressif et organique, en grès émaillé inspiré par le végétal et la forêt, fait de vases, cruches et pichets aux subtiles palettes de gris verts. Repérage d’atelier : d’enjôleuses petites assiettes creuses en grès joliment dotées d’une « jupe », déjà adoptées par le restaurant strasbourgeois Utopie. 82
Jonathan Stab
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Céramiste, il ne s’intéresse pas moins à la vigne, au bois et au jardinage. D’ailleurs, tout ce qui touche au médium terre l’intéresse, une obsession qui était déjà omniprésente lors de son diplôme à la Haute École des Arts du Rhin : « Quand je suis sorti de la HEAR, j’avais besoin de vivre pour démarrer. Je travaille depuis la moitié de mon temps à la taille des vignes, je jardine aussi beaucoup… Tout cela était d’ailleurs dans la thématique de mon diplôme, qui avait à voir avec les plantes, l’évolution de l’agronomie – une obsession – et des pratiques agricoles. »
Son actu | Deux dates estivales pour découvrir sa production en grès émaillé, ainsi que celle en porcelaine, réalisées à quatre mains avec l’auteur et illustrateur Jonathan Daviau : du 24 au 26 juin, au marché des métiers d’art De toute matière à Turckheim, organisé par la Fremaa et lors du week-end du 3 et 4 septembre, au Marché des Potiers de Kaysersberg. > Contact pour une visite (sur rendez-vous) à son atelier partagé, La Hutte, situé dans le parc d’activité Gruber à Koenigshoffen : 06 31 50 60 76
Sa pratique | Elle demande un temps infini, car avoir la main ne s’improvise pas : « Le tour, c’est comme un instrument de musique, il y a de la création dans le geste, à la manière d’une chorégraphie. On rentre dans un état second. »
Instagram : @jonathan_stab
PORTFOLIO
Marine Chevanse Sa démarche artistique s’est acquise au fil de ses apprentissages en céramique à Antibes, en design d’objet et bijou contemporain à l’ENSA Limoges et lors de son DNSEP en bijou contemporain à la HEAR. Un travail délicat autour du geste, empreint de vibrations et de l’énergie spirituelle de la couleur, qu’elle traduit en bijoux, sculpture, peinture et écriture : « Je recherche comment saisir cette énergie, impalpable et imperceptible. » Sa pratique | Tout commence par la capture vidéo de gestes glanés : « La base de mon travail c’est la vidéo, c’est une matière brute. Par exemple, comme dans les tensions entre l’acteur et le spectateur liés au milieu sportif. J’associe ensuite une couleur à leur âme, liée à chaque énergie. C’est un travail
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d’enquête très instinctif. Je fais beaucoup de zooms, que je retraduis ensuite à l’atelier. Ces allers et retours s’autonourrissent. » Dans ses trois médiums de prédilection (bijou – avec lequel elle a débuté –, peinture et sculpture), le changement d’échelle est parfois une nécessité. Ses bijoux contemporains se révèlent en triangulaire (« Un trio d’acteurs : le porteur, le créateur, le regardeur ») et sont constitués de papier : « J’ai commencé avec des Post-it que j’ai superposés feuille à feuille ». Le pouvoir cinétique du papier a fait le reste. Dans ses broches, le papier – la vibration – est cerclé de zinc, un matériau qu’elle recouvre ensuite d’une patine pour se rapprocher au plus près des cieux basques (elle vit et travaille entre Strasbourg et Hendaye).
Son actu | Exposition À vos corps !, présentée par le collectif ViV, jusqu’au 5 juin au centre d’art Eleven Steens à Bruxelles elevensteens.com En résidence du 20 juin au 20 juillet au sein de l’association Quarante-sept deux - 47-2.fr — Salon Résonance[s] du 11 au 14 novembre 2022 avec le Collectif Brio salon-resonances.com marinechevanse.com
À gauche, broches en papier, zinc ou argent, 2022, série Les Rebus, celles qui se concentraient, et à droite, Les Rebus, bleu roi+canari, broche en papier et zinc, 2022 85
46 rue des Hallebardes 67000 Strasbourg | 03 88 32 43 05 | www.eric-humbert.com Sur rendez-vous mercredi et vendredi
Composition, Zones angulaires #�, Myriam Commot Delon — Photos Alexis Delon / Preview - www.preview.fr
Fabriquer
Aline Falco ENLUMINEUSE
Par Tatiana Geiselmann / Photos Klara Beck
Soigneusement rangées sur des étagères en bois, des dizaines de flacons de verre à l’étiquette vieillie s’alignent : gomme arabique, bolus arménien, caséine, fiel de bœuf. Dans un coin de la pièce, l’œil est attiré par un arc-en-ciel de poudres de toutes les couleurs. Aux murs, d’anciennes planches d’herboristerie à l’écriture gothique, de grandes affiches aux inspirations persanes, de petits médaillons d’animaux en tout genre. Bienvenue dans l’atelier d’Aline Falco, enlumineuse depuis plus de 20 ans. De la pointe de sa plume et de ses pinceaux, cette Strasbourgeoise de tout juste 40 ans crée des dessins et des lettrages sur du parchemin apprêté. Une pratique héritée des temps médiévaux et utilisée autrefois pour illustrer les manuscrits. « Enluminer, ça
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FABRIQUER | PORTRAITS
veut dire mettre en lumière, explique la quadragénaire. Ça vient de la feuille d’or qu’on applique sur certaines parties du dessin. » De l’or 23,75 carats (l’or le plus pur !), que la jeune Alsacienne appose sur ses esquisses selon les méthodes traditionnelles. Une fois la poudre d’or posée sur le parchemin, place à la peinture, là encore dans le respect des techniques anciennes. Toutes les couleurs utilisées sont issues de pigments naturels, des pigments minéraux comme le lapis lazuli pour le bleu outremer, des pigments végétaux comme le rouge un peu rosé de la laque de garance, et des pigments animaux comme le pourpre du murex. « Pour le liant, je prépare un mélange de gomme arabique, miel, fiel de bœuf et clou de girofle », une potion moyenâgeuse
spécifique à l’enluminure et au parchemin, cette peau animale qui, contrairement au papier, n’absorbe pas les couleurs. Toutes ces recettes et ces techniques, Aline Falco les a apprises par elle-même, en écumant les anciens traités d’art et en tâtonnant pendant des années jusqu’à atteindre la parfaite mixture. Aujourd’hui, l’artiste a à cœur de transmettre son métier centenaire. Membre de la Fremaa et des Ateliers d’art de France, elle anime régulièrement des stages au sein de son atelier strasbourgeois ou lors de salons, et donne des cours à l’université populaire de Strasbourg. Aline Falco Enluminures 21, rue des Ormes à Strasbourg alinefalco-enluminures.com
Yves Willmann TAPISSIER- DÉCORATEUR Par Emmanuelle Schneider / Photos Thomas Lang
À l’image des voltaires, crapauds, bergères et autres commodités de la conversation qu’il restaure, Yves Willmann recèle d’histoires à raconter. À quatorze ans, inspiré par son oncle tapissier-décorateur et soucieux de gagner son pain, il arrête ses études afin de débuter un apprentissage auprès de Rémy Schneider, maître-tapissier Meilleur ouvrier de France installé rue des Frères. « J’ai été à une école très dure et rigoureuse, mais c’était un bon maître. Il ne sortait que des bons éléments. » À une époque où le métier a le vent en poupe, Yves sort premier de sa promo et se voit embaucher par la maison Blanchard, tapissier par excellence rue des Juifs. À 19 ans, il se lance à son compte, achète une camionnette à trois francs six sous « il pleuvait à
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l’intérieur » et fait le tour des antiquaires qui lui fournissent du travail. « Adolescent, j’ai eu une machine à coudre avant d’avoir une mobylette. Mais grâce à cette machine j’ai pu m’offrir beaucoup plus », confie-t-il. Au fil du temps, Yves roule sa bosse, les sillons sur ses paumes en témoignent, il a travaillé dur pour en arriver là. Depuis 1998, sa boutique-atelier Palissandre apparaît comme le fruit d’un parcours où huile de coude, débrouillardise et talent n’ont jamais cessé d’être. Dans un vaste espace lumineux, Hélène, responsable et décoratrice offre un conseil personnalisé, dévoilant une sélection de lins, mailles, filets, satins et velours unis ou à motifs, de la gamme londonienne Designers Guild et allemande JAB. Au fond du magasin,
Yves s’affaire dans son atelier, confectionnant des rideaux sur-mesure ou redonnant vie à des héritages du passé. Attaché à l’art et aux techniques traditionnelles de garnitures, il manie avec dextérité carcasses, crin de cheval, sangles et ressorts. Un savoir-faire qui lui a valu de travailler pour le musée Grévin et le Palais Rohan. « C’est un métier magnifique lié à l’histoire de France, une vie entière à apprendre, à se remettre en question. » Fort d’une expérience de 45 ans, Yves transmet à son tour le métier à de jeunes apprenti(e)s, avec l’espoir de pérenniser un art ancestral qui a illustré toute sa vie. Maison Palissandre 26, rue des Bouchers à Strasbourg Instagram : @palissandrestrasbourg
DOSSIER
Réinventer les traditions Par Corinne Maix
Document remis / © Cyrille Fleckinger
En Alsace du Nord, deux savoir-faire s’entremêlent : la poterie et le verre. Si les deux disciplines n’ont pas grand-chose à voir et relèvent de visions et contraintes différentes, la même préoccupation semble les traverser : comment faire perdurer ces gestes et traditions ? Comment les transmettre voire les remettre au goût du jour ?
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Potiers d’Alsace L’art et la matière Le goût du fait maison et des consommateurs plus attentifs aux produits locaux remplissent à nouveau les carnets de commande des potiers alsaciens. Avec l’homologation de l’Indication Géographique Protégée, un ambitieux projet de Cité de la poterie et une génération de potiers ouverts aux collaborations créatives, la poterie alsacienne reprendrait-elle enfin des couleurs ?
Une terre argileuse, un pionnier venu de Rhénanie et des générations de potiers ont fait naître en Alsace un savoir-faire ancré dans les villages de Betschdorf et Soufflenheim. « Les potiers ont longtemps exploité les gisements d’argile le long de la Sauer et dans le village de Soufflenheim », explique A strid Wolfer, conteuse de l’épopée des potiers en Alsace, au Musée de Betschdorf. Des 60 ateliers d’antan, ne subsistent plus que douze entreprises de poterie, qui emploient une centaine de salariés et produisent 600 000 pièces par an. Parmi ces irréductibles potiers, on trouve aujourd’hui des artisans assez différents. Les plus traditionnels tournent encore l’argile locale et travaillent, seul ou à deux, de petites séries. D’autres ont parfois plus de quinze salariés et ont donné un tour plus industriel à leur production, tout en restant fidèles aux modèles traditionnels. « Il y a de la place pour tout le monde. Chacun doit avoir sa propre identité et son expression », martèle Pierre Siegfried, président des Potiers d’Alsace.
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Courts circuits Pour écouler leur production, les potiers mixent le plus souvent plusieurs circuits de vente : directement dans leur atelier, chez des revendeurs, parfois en grande distribution. Les produits les plus qualitatifs sont plébiscités par les plus grands chefs du monde. Jean-Louis Ernewein-Haas est fier de travailler pour 25 étoilés, amoureux de ses poteries qui durent une vie. Certains potiers écoulent sur les salons des gammes dédiées à la restauration ou aux amoureux de beaux objets. L’exportation, elle, est plutôt en berne et nécessiterait de chasser en meute, ce qui n’est pas dans la pratique des potiers. Tous ont trouvé une planche de salut dans la vente en ligne, surtout pendant la crise Covid, et un surplus de v isibilité sur les réseaux sociaux. « Après le premier confinement, je me suis sentie très isolée et j’ai compris la nécessité d’investir dans une boutique en ligne », confie Peggy Wehrling, qui produit une poterie très inspirée de l’art populaire. « C’est comme gérer une deuxième boutique, mais je ne
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Au musée de la poterie à Betschdorf, en juin 2019. Photo : Alexis Delon / Preview
reviendrais pas en arrière. Du travail de la boule de terre, en passant par les photos, jusqu’au dernier bout de scotch sur le colis, je suis sur tous les fronts. » Active sur les réseaux sociaux, elle rajeunit sa clientèle, à coup de publications soignées sur Instagram. « Cela me donne de la visibilité, génère des réservations et redonne même l’habitude à certains clients de venir sur place. » Les sœurs Lehmann, elles, ont fait le choix d’ouvrir leur propre boutique à Strasbourg. Elles y vendent leurs créations ornées de pois ou cerclées de décors floraux, mais aussi les poteries d’autres artisans des deux villages, qui proposent un style différent. « Nous avons repris la boutique de la rue des Frères il y a 3 ans. En termes de visibilité, c’est important de sortir de nos ateliers ! »
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ans l’atelier de la poterie Fortuné Schmitter, en juin 2019. D Photo : Alexis Delon / Preview
Il y a une volonté forte de pérenniser le savoir-faire potier pour préserver un artisanat emblématique. Christelle Isselé, conseillère d’Alsace du canton de Bischwiller
Enfin, une IGP pour les potiers d’Alsace Un peu piégée par les goûts des touristes, la poterie alsacienne s’est parfois enfermée dans une production qui s’est banalisée. Cigognes, bretzels, alsaciens en costumes décorent de nombreuses terrines, pas toujours fabriquées localement. Le « Made in
Alsace » a beaucoup souffert de la contrefaçon asiatique, évaluée à quelque 50 millions d’euros par an. « Certains revendeurs et grossistes ont sali notre image et cassé notre marché, en vendant à prix très bas de piètres contrefaçons », se révolte le président des Potiers d’Alsace. Depuis 2015,
il a porté la réflexion engagée avec Alsace Qualité sur une protection de ce patrimoine. Ils ont toqué à toutes les portes : les douanes, la répression des fraudes, l’INPI, les politiques... « En mars, nous avons enfin obtenu gain de cause, avec la nouvelle indication géographique « Poteries d’Alsace Soufflenheim / Betschdorf. » Désormais, les Chinois ne pourront plus produire les motifs emblématiques de l’Alsace. « Ce qui est protégé ne peut être importé. Sinon, les produits seront retirés de la vente et l’infraction sanctionnée ! » L’indispensable soutien politique Cette dernière décennie, la fermeture d’ateliers de potiers faute de repreneurs a sonné l’alerte d’une possible disparition de cet artisanat ancestral. La Communauté Européenne d’Alsace, très attachée à l’identité régionale, a constitué un groupe de travail pour réfléchir aux soutiens à apporter au secteur. Christelle Isselé, l’élue référente de ce territoire, suit ce projet qui lui tient particulièrement à cœur, puisqu’elle habite Soufflenheim. « Il y a une volonté forte de pérenniser le savoir-faire potier pour préserver un artisanat emblématique. » Après l’organisation d’un marché des potiers à Strasbourg en 2019, à Colmar en 2021, la collectivité mettra à nouveau sa logistique
De gauche à droite : — Pierre Siegfried, potier et président des Potiers d’Alsace. Document remis. — La potière de Peggy Wehrling. Photo : Cyrille Fleckinger
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au service d’un marché de 2 jours en 2022. « Cela permet de capter à nouveau la clientèle locale, qui a perdu l’habitude de se rendre dans les deux villages. » Un fonds d’innovation territoriale, le financement d’études, des outils de communication digitale illustrent différentes facettes de ce soutien à l’artisanat potier. D’autres institutions se mobilisent aussi en lançant par exemple des appels à projets. C’est le cas du Parc naturel régional des Vosges du Nord qui faisait le pari en 2018 de nouer un dialogue entre un artisan, un designer et un musée pour créer une collection de dix objets inédits à vendre dans ses musées. Innover avec des designers Sonia Verguet a créé pour l’occasion son pichet Métis, une poterie du quotidien, à la croisée de la porcelaine bourgeoise et de la vaisselle rurale. L’objet représente un beau succès commercial pour cette designer culinaire, très attachée à l’usage des objets et à l’évolution des traditions. Autrice du livre 100 Coolglofs qui propose 100 recettes originales pour utiliser autrement son moule à kouglof, elle milite pour tous les décloisonnements. « Toutes les familles alsaciennes ont un moule à kouglof ou une terrine à baeckeoffe dans leurs placards. Pour leur redonner envie de les utiliser, il
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faut inventer de nouvelles recettes, faire des pas de côté. » Mais derrière ces moules, il y a des potiers très attachés à leurs traditions, qui rechignent parfois à remettre en question l’esthétique et les usages de leur produits. « Le manque de temps, le manque d’envie et les difficultés de rapprochement entre artisans et designers freinent la remise au goût du jour de la poterie traditionnelle alsacienne », regrette Sonia. Avec l’association IDeE et une quinzaine de designers, elle essaie de faire bouger les lignes pour construire des ponts entre artisans, industriels et designers. Lors de deux workshops
La série Koug, initiée par l’association IDeE. Photo : Jésus S. Baptista
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annuels, ils planchent sur un objet ou un matériau local. Leur premier projet en 2007, baptisé Koug, avait donné naissance à 10 moules revisités. « Un seul potier, Pierre Siegfried, a accepté de produire le MiniKoug de Jean-Luc Weimar, qui a connu un grand succès commercial. » Depuis, il reste très ouvert à ces collaborations et a même fabriqué un lombricomposteur en poterie avec Ferdinand Fraulob, récompensé par une bourse Tango & Scan, qui soutient des porteurs de projet issus du secteur créatif. Mais alors où sont les freins à ces rapprochements entre artisans et designers ?
« Quand un potier sort de sa gamme esthétique habituelle, il a l’impression de ne pas connaître la clientèle, ni le réseau de distribution, explique Sonia Verguet. Pour que le dialogue s’engage et que la relation fonctionne, soit le potier se positionne comme fournisseur avec un cahier des charges précis, soit le travail est vraiment engagé à quatre mains. Là, la collaboration peut être énergisante pour les deux, elle permet à chacun de faire son métier de manière joyeuse, de ne pas s’ennuyer. »
Harmonie Begon, Jean-Louis et Jonathan Ernewein-Haas. Photos : Christophe Urbain
Une belle façon de faire projet Harmonie Begon partage, elle aussi, une belle histoire avec la poterie ErneweinHaas. Formée à la HEAR, elle a une vision « politique » de l’artisanat et du design et il était hors de question d’instaurer une relation hiérarchique entre le designer qui pense et l’artisan qui fait. « L’artisanat est une alternative locale, raisonnée et créative à une production d’objets standardisés. En tant que designers, nous sommes des outils pour aider à revisiter la tradition, avoir un impact sur de beaux objets et trouver des nouvelles clientèles. » Après sa rencontre avec Jean-Louis et son fils Jonathan, elle a travaillé à l’atelier de poterie, un peu comme une ethnologue, pour documenter toutes les étapes du travail. « C’est une poterie rurale, traditionnelle, utilitaire, qui se façonne avec de la terre locale. La poterie de Soufflenheim excelle en cuisine. Il faut la réintégrer à notre quotidien, pour faire perdurer le savoir-faire. » Avec sa vision très humble du travail de designer, qui se met au service du potier, elle a d’abord travaillé un mois à leurs côtés comme ouvrière potière. « Harmonie a de bonnes idées, elle a piqué ma curiosité. J’aime travailler avec elle, car elle sait prendre son temps, elle n’est pas arrivée avec des idées préconçues », explique Jean-Louis. Ensemble, ils ont décroché un
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financement Tango&Scan de 15 000 €, et mis en place une collaboration éthique, qui rémunère l’apport de chacun, en tenant compte des contraintes de coûts et de production du potier. Sous la marque À demain Maurice, Harmonie autoédite des produits en petites séries, qu’elle achète à la poterie Ernewein-Haas à tarif négocié, puis elle gère elle-même la commercialisation de sa gamme. Elle travaille à partir de moules existants et apporte ses idées sur les décors, les couleurs, la forme d’une anse. « Nous avons trouvé un équilibre, une relation de confiance, qui nous satisfaits tous les deux. » Deux modèles de cocottes, des plats à gratin, des bols, des tasses et sa dernière
création, les pichets parlants, séduisent une nouvelle clientèle dans quelques boutiques choisies. « Je cherche des revendeurs qui ont des valeurs et du sens, tels la Nouvelle Douane (pour sa proximité avec la cuisine), la Droguerie du Cygne (pour les beaux produits locaux), la boutique du Musée alsacien (pour le renouveau de la tradition)... » Riche de cette belle expérience humaine et professionnelle, Harmonie rêve de voir naître d’autres collaborations. « De telles initiatives doivent émerger d’un travail de terrain et pour qu’elles soient pertinentes, il faut demander aux artisans comment ils ont envie de travailler. Même si ça prend du temps ! »
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Ne pas tourner autour du pot Pierre Siegfried, le président des potiers d’Alsace, est aujourd’hui assez optimiste sur l’avenir. On parle d’une Cité de la Poterie, qui pourrait voir le jour à Soufflenheim d’ici fin 2025/2026. À ce stade de la réflexion, le projet est protéiforme et toutes les pistes sont sur la table avec des ateliers de poterie pour les particuliers et les scolaires, un centre de formation initiale et continue pour les potiers, un lieu de résidence d’artistes, un espace ressources avec une collection de poteries, d’outils et d’ouvrages, un espace de restauration pour boire et manger, une ouverture 7 jours sur 7 pour inscrire Soufflenheim dans les itinéraires touristiques… Cette vitrine de l’artisanat potier saura-t-elle répondre à tous les enjeux qui questionnent l’avenir de la poterie en Alsace : visibilité, débouchés et formation ? Sur le terrain, la réalité reste entachée par des fermetures d’ateliers, qui ne trouvent pas repreneurs. Ils ne sont plus que deux à Betschdorf. Il faudra rapidement se pencher sur cette question de la transmission des entreprises et des savoir-faire. Peggy Wehrling a connu ce poids sur ses épaules, quand elle a repris à 27 ans l’atelier de son père. « Je n’ai aucune envie d’imposer ça à mes enfants. Parce que c’est un métier où on travaille sans relâche. Il faut de la passion pour reprendre ce flambeau. Quand l’heure d’arrêter aura sonné, je n’aurai aucun frein à céder mon atelier à un jeune potier de talent, d’où qu’il soit. » Le dynamisme actuel qui agite le monde de la céramique, avec de jeunes créateurs qui n’hésitent pas à partager leur savoir-faire à des amateurs ou à des personnes en reconversion, pourrait faire naître des vocations et de beaux lendemains.
L’association potiers-alsace.com IDeE designers.alsace Tango & Scan Lancé par l’Eurométropole de Strasbourg et porté par Creaccro creaccro.eu Poterie Siegfried Burger et fils siegfriedburger.fr Poterie G. Wehrling et fille poterie-wehrling.alsace La boutique des soeurs Lehmann 3, rue des Frères à Strasbourg Poterie Ernewein-Haas alsace-poterie.fr Sonia Verguet soniaverguet.com La marque d’Harmonie Begon ademainmaurice.fr Grès au sel VS terre cuite Exposition au Musée de la Poterie à Betschdorf, jusqu’au 26.06.2022
Verre et cristal Le souffle et la taille Photos : Christoph de Barry
Autre tradition, même territoire. Dans les Vosges du Nord, l’univers du verre et du cristal fait aussi légion à travers, notamment, la Manufacture Lalique à Wingen-sur-Moder qui fête ses 100 ans.
Penser transmission et pérennisation, c’est aussi parler d’échange. À la Manufacture Lalique, on invite notamment des collégiens à découvrir sur place les métiers du verre, et on mise sur une présence dans les lieux d’apprentissage, comme le lycée Labroise de Sarrebourg. Lalique donne aussi sa chance à des jeunes sans qualification à la recherche d’une voie professionnelle, pour recruter chaque année une quinzaine de personnes et trois ou quatre alternants. En interne, l’école Lalique leur propose un parcours professionnel attractif pour fidéliser les futurs talents. Mentorés et tutorés par leurs ainés, ils deviendront peut-être de futurs Meilleurs Ouvriers de France (MOF). Lalique en compte sept dans ses rangs, un signe d’excellence rare. Jean-Claude Hertrich, 42 ans de carrière, fait partie de cette génération, où la passion du verre se transmettait en famille. « Mon père était souffleur de verre et il était toujours dans son travail, même à la maison. À 9 ans, il m’a emmené en cachette à l’usine et j’ai eu le coup de foudre pour le verre en fusion. C’est ce métier que je voulais faire ! Avec trois de mes frères, qui sont aussi devenus verriers, nous nous entraînions à la maison avec du miel et une aiguille à tricoter pour reproduire les gestes du souffleur. J’ai
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De gauche à droite : — Sablage du décor « Fougères » réalisé grâce à un cache de sablage spécifique pour ce flacon. © Karine Faby — Opération de sciage horizontal pour retirer la calotte de la carafe Wingen / © Karine Faby — Opération de retouche sur un vase Bacchantes incolore
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commencé à 14 ans sur un rythme d’alternance entre école et manufacture. J’ai appris sur le tas, avec les verriers et j’apprends encore tous les jours ! » Dans ce métier, c’est un état d’esprit de se transmettre entre verriers les gestes de porteur, de cueilleur et de souffleur de verre. Même si la pénibilité du travail tend à s’alléger, la tâche reste physique, et les rares femmes sont cantonnées aux pièces moins lourdes. Les gestes, eux, sont ancestraux, emprunts de grâce tandis que leur succession dessine un ballet, éclairé par le feu. « C’est une vraie difficulté de remplacer ceux qui vont partir en retraite, car on ne peut pas mettre un jeune verrier à la place d’un autre qui a 40 ans d’expérience. Atteindre le rang de souffleur de verre ne s’acquiert qu’après de longues années et après avoir exercé tous les autres métiers. » D’expérience, Jean-Claude sait détecter très vite un futur verrier. « Sa façon de regarder le verre, la précision de ses gestes, la persévérance sont des signes infaillibles. Mais c’est la passion qui fait tout ! » déclare celui qui a remporté en 2000 le concours de MOF dans la classe Verrerie Cristallerie / option Verre Chaud. « J’avais envie d’aller plus haut dans mon métier, de voir si j’étais capable de décrocher ce titre. Durant un an et demi, je n’ai pensé qu’à mon œuvre, c’était un engagement de tous les jours, weekends compris. Cela m’a ouvert des portes pour évoluer au sein de la manufacture.
Aujourd’hui, je suis technicien process verre chaud. Je travaille avec le Studio Design Lalique, pour étudier la faisabilité des nouveaux modèles. J’ai un attachement fort à la marque Lalique et à son exigence de qualité. Elle correspond bien à ma vision de ce métier magnifique ! D’une matière liquide, on crée des formes sublimes ! » Matthieu Muller, 40 ans, a décroché son titre de MOF en 2015, dans la classe Verrerie Cristallerie / option gravure-sculpture. Sa spécialité, c’est le verre froid et des pièces de cristal qui peuvent nécessiter jusqu’à 35 étapes. Pour lui aussi, ce métier est une histoire de famille. Son père était déjà tailleur sur cristaux. Après son CAP arts et techniques du verre au lycée artisanal de Bitche, il est embauché chez Lalique en 1998, où il apprend le métier de sculpteur sur cristaux. « Pour exercer ce métier, il faut une bonne vision, une bonne projection en 3D, une gestuelle précise, de la concentration, mais surtout la passion pour cette matière vivante : ça sonne, ça résonne, ça vibre ! » Il a consacré 600 heures à son chef-d’œuvre, pour transformer un bloc de cristal de cristal de 40 kg en une sculpture de renard de 4 kg. Au quotidien, il interprète les patrons (modèles) des designers Lalique. « Il faut être en osmose avec eux, comprendre et respecter leurs critères visuels, l’expression
d’un visage, des formes très précises. Chaque pièce est unique et nécessite de choisir les bons outils. » Sur son établi défilent des pièces d’art, des bijoux, des pieds de tables, des luminaires… Aucun jour ne se ressemble, d’autant que la maison Lalique se renouvelle sans cesse avec deux collections annuelles pour suivre les tendances en matière de formes et de couleurs et aller toujours le plus loin possible pour se démarquer des autres cristalleries. Dans ce métier, la formation dure toute la vie, avec une transmission des gestes par les aînés pour acquérir le savoir-faire propre à la manufacture. « Il faut a minima 3 ans d’apprentissage pour être au niveau. L’époque où les écoles avaient des contrats avec les manufactures, qui assuraient un recrutement dès la sortie de l’école, n’est pas si éloignée. Mais aujourd’hui, on est aussi ouvert à des profils plus variés. Il n’y a pas d’âge ni de profil type pour faire un bon graveur et l’engouement actuel pour les métiers d’art, permet d’être optimiste sur le renouveau de la profession. » lalique.com 100 ans de Lalique en Alsace du 18 juin au 6 novembre 2022 au musée Lalique musee-lalique.com
De gauche à droite : — Jean-Claude Hertrich — Matthieu Muller
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Travail de taille sur une petite panthère Zeila réalisée par Nicolas Lalluet.
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SIRET 530 661 511 000 10 - 03 88 410 650 -
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Sous l’impulsion de Silvio Denz, qui rachète l’entreprise en 2008, Lalique a trouvé un nouveau souffle. Ses investissements industriels en Alsace ont modernisé la production, entièrement rapatriée à Wingensur-Moder. L’embauche de jeunes formés par Lalique assure la relève des savoir-faire. Des collaborations avec des grands noms de l’art contemporain, tels Yves Klein, Damien Hirst, Zaha Hadid, Anish Kapoor, Terry Rodgers ou James Turrell, apportent un positionnement nouveau et un style singulier dicté par le directeur artistique Marc Larminaux. La diversification des activités de la Maison fait aussi partie de la stratégie, avec
un retour aux fondamentaux et à l’univers de l’art de vivre cher à René Lalique. Lalique s’appuie aujourd’hui sur six piliers dans l’univers du luxe : les objets décoratifs, l’art, le design d’intérieur, l’hôtellerierestauration, la parfumerie la joaillerie, qui attirent une clientèle plus jeune. Une stratégie payante, puisque la production de Wingen-sur-Moder s’exporte aujourd’hui dans 80 pays, avec 250 points de vente dont 34 boutiques en propre. 90% du chiffre d’affaires est réalisé à l’export, notamment aux ÉtatsUnis, en Angleterre et en Asie.
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Un nouveau souffle pour Lalique
Originaire de Strasbourg, parfumeur depuis 30 ans, Antoine Lie a travaillé pour l’industrie du luxe avant de reprendre son indépendance. Et de privilégier une démarche artisanale, en quelque sorte, puisqu’elle revendique authenticité, qualité des matières premières et respect du terroir.
Le goût des racines Antoine Lie démarre son parcours chez les mastodontes Givaudan et Takasago. Deux des dix grandes entreprises qui se partagent le marché de la parfumerie versant industrie. Et créent les parfums des marques de luxe (rares sont les parfumeurs maison)… Antoine Lie travaille alors pour Armani, Ralph Lauren, Versace ou Kenzo. Parallèlement, il suit dès 2008 quelques chemins de traverse, s’acoquinant avec les premières maisons « de niche ». Les perfumistas se souviennent de ses créations pour Comme des garçons, du pied de nez Rien et du sulfureux Sécrétions magnifiques pour État libre d’Orange, dont le nom vaut programme. En 2019, il prend son indépendance, crée Aloe - Antoine Lie Olfactive Experience. On le retrouve chez Eris, récemment chez les Indémodables, Maison Trudon… ou la Strasbourgeoise Serena Galini. Avec comme maître-mot la liberté de création et le goût des belles matières. Vous avez choisi d’être un parfumeur indépendant, à rebours de l’industrie. Comment avez-vous pris cette décision ? J’étais parfumeur dans de grandes maisons, j’ai occupé des postes importants. J’étais très content, des gens rêveraient de ce métier, mais je me suis demandé
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pourquoi j’étais là… J’ai eu une sensibilité aux odeurs très tôt. Vers 12-13 ans, j’ai lu un article sur le métier de parfumeur, quand ils parlaient de leur métier cela me faisait rêver, j’avais l’impression qu’ils étaient des artistes, inspirés par des histoires, des mythes, libres de créer, sans marketing. J’ai toujours cette vision-là. Mais quand j’ai intégré la parfumerie dans les années 80, c’est le moment où s’est opéré un gros changement. C’était devenu un business, et le parfum un produit de commodité. La créativité n’était plus le maître-mot, il s’agissait de vendre vite, bien, avec beaucoup de profit. Je suis un bébé de cette nouvelle parfumerie qui a vu arriver les tests consommateurs. Les gros groupes sont là pour faire du fric, ils sont obnubilés par les actionnaires et les chiffres mais ne se disent jamais qu’ils pourraient investir dans de belles matières… La qualité est souvent pitoyable dans les créations des marques de luxe, qui sont passées d’un parfum tous les cinq à six ans à un parfum par an, plus les flankers. En 1984, il y a eu 17 lancements de parfums. Aujourd’hui il y en a plus de 1 000. J’ai fini par dire non, je voulais faire les choses autrement, avec une certaine authenticité, prendre du plaisir et revenir à un parfumeur qui incarne sa création.
Propos recueillis par Sylvia Dubost Photo Alexis Delon / Preview
Quels sont vos rapports à Strasbourg ? C’est ma ville, mes racines, mes références. J’ai grandi à l’Esplanade, dans les années 70, à une époque beaucoup plus insouciante. On pouvait partir des journées entières à vélo, on jouait à la Citadelle, à La Robertsau. J’ai été très structuré par les odeurs de nature. Entre six et treize ans, on partait tous les week-ends dans les Vosges avec des amis, et j’y ai énormément de souvenirs olfactifs, des odeurs brutes, très naturelles : terre, silex, pin, résine, fumée car on faisait des feux de camp. Dans mes créations, je sollicitais beaucoup ce type d’odeurs, très puissantes, très enracinées, comme le vétiver, le patchouli, les épices. Je ne raffole pas trop des fleurs, et en me remémorant ce que j’ai vécu dans mon enfance, je m’aperçois que j’étais très peu entouré de fleurs. La notion de terroir a-t-elle du sens en parfumerie ? Oui, absolument. Ce qui est très intéressant, c’est que dans ma démarche de devenir parfumeur indépendant, je me suis rapproché de producteurs indépendants. Je travaille avec l’Atelier français des matières, et grâce à eux je peux côtoyer des producteurs, des agriculteurs qui font pousser les plantes à parfum : lavande, sauge, immortelle… On s’est rendu compte
qu’il y avait une similitude entre le terroir des vins et des plantes à parfum. Selon l’altitude, l’orientation et l’irrigation, l’odeur de la lavande sera différente alors que les parcelles sont très proches. Le vétiver de Java est plus fumé, plus terreux que celui d’Haïti, considéré comme plus noble. Et on ne peut pas uniformiser la fleur d’oranger : le terroir ressortira toujours. C’est comme une carte d’identité. Dans les gros groupes industriels, on vous impose pourtant certains ingrédients. C’est comme si vous imposiez des produits à un chef… Vous avez travaillé avec la maison strasbourgeoise Serena Galini pour la création du parfum Égide. Il est lié à la ville : de quelle manière ? Mon rêve était de créer un parfum qui illustrerait Strasbourg. Dans les DNA, j’ai appris qu’il y avait ici une parfumerie artisanale, avec une approche différente. J’ai
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rencontré Isabelle Weiss [gérante de Serena Galini, ndlr]. Je suis partie de l’histoire de ce noble du xviie siècle, à l’époque de la peste et du choléra, qui a fait venir apothicaires et astrologues pour mettre au point un élixir de protection pour sa fille. Une preuve d’amour qui a de quoi inspirer un parfum ! Isabelle Weiss m’avait donné non pas la formule exacte, mais une liste d’ingrédients supposés composer cet élixir. Certains sont toujours présents en parfumerie, comme le thym, beaucoup d’épices, l’encens, le cuir. Je voulais parler d’une histoire vraie, qui a laissé des traces en termes d’ingrédients, dont je pouvais donner une interprétation, plus moderne. Égide, c’est le bouclier de Zeus. Un parfum qui vient de quelque chose d’authentique, pas d’un délire marketing, pour Strasbourg, pour l’Alsace, pour un endroit qui m’est cher et dont j’ai envie de me rapprocher.
Aloe Antoine Lie Olfactive Experience al-oe.fr Égide, parfum d’Antoine Lie, chez Serena Galini serena-galini.com
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Une histoire de fil Jusqu’en 1975, l’industrie textile était le premier employeur d’Alsace. La mondialisation et les délocalisations ont ensuite (presque) tout emporté sur leur passage. Soutenues par l’audacieux entrepreneur Pierre Schmitt, quatre entreprises ont su préserver ce patrimoine local et continuent de produire viscose, velours, tweed et lin, sur des machines vieilles d’un demi-siècle. Des étoffes désormais plébiscitées par de jeunes marques, soucieuses de renouer avec le savoir-faire français. Par Tatiana Geiselmann Photos Simon Pagès
En bordure de la commune d’Hirsingue, dans le Haut-Rhin, cachés derrière une rangée de cyprès, les locaux du groupe Philea Textiles nous replongent directement au siècle dernier : de longs bâtiments aux toits en dents de scie, ponctués de verrières en métal noir alignées autour d’une haute cheminée de brique rouge. La carte postale des ateliers usines du xxe siècle. Une fois passée la porte d’entrée, on perçoit le discret vrombissement des machines, semblable à un vieux train à vapeur, avec leurs cliquetis saccadés. Après un entrelacs de couloirs et de portes, on pénètre dans une vaste salle à la lumière douce, remplie d’étagères en métal bleu débordant de rouleaux de tissu. Debout dans un coin de la pièce, Pierre Schmitt est en pleine discussion avec un de ses employés. À sa tête, on comprend vite qu’il avait oublié notre rendez-vous. Mais malgré son planning chargé et les appels qui tombent sur son téléphone toutes les dix minutes, l’énergique chef d’entreprise prend le temps de s’asseoir avec nous pour revenir sur le passé de ce groupe qu’il a fondé en 1998.
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Redonner vie à la viscose « Je n’aime pas le gâchis », commence d’emblée le vif patron, pour justifier la folle aventure dans laquelle il s’est lancé il y a plus de 20 ans. À l’époque, Pierre Schmitt vient de quitter son poste de cadre chez DMC, l’emblématique entreprise mulhousienne de fils, dont les échevettes de coton mouliné remplissaient les tiroirs de nos grands-mères. À l’image de toutes les sociétés textiles de la région, le mastodonte alsacien délocalise, cumule les plans sociaux et déserte la vallée. « J’étais en totale opposition par rapport à ça », se remémore le natif de Rouffach, dont l’accent chantant ne laisse aucun doute. « Avec la rage chevillée au corps, j’ai décidé de relancer une filière tissu ici, dans le Haut-Rhin, en commençant par des tissus fantaisie féminins. » C’est la naissance de Philea, qui s’entoure de partenaires suisses, allemands, autrichiens et français, tous situés à moins de quatre heures de route de son siège social de Soultz-Haut-Rhin, pour produire une large gamme de viscose, cette « soie artificielle » solide et légère, fabriquée à partir de pulpe de bambou ou de bois. Pour se différencier de ses concurrents venus d’Asie, Philea mise sur la qualité : déjà dans le choix de ses fils, désormais certifiés FSC, un label qui garantit une gestion durable des forêts. Ensuite, lors du tissage : chaque mètre de viscose est soigneusement inspecté à l’œil nu pour déceler les éventuels accrocs, avant d’être envoyé au client. Les clients justement, ne tardent pas à repérer ce nouveau venu du monde textile. Les crêpes satinés de la jeune entreprise trouvent leur place dans les collections parisiennes de Sandro
et Gérard Darel, les reliefs scintillants du jacquard séduisent l’Allemand Hugo Boss, les mailles bi-strech s’intègrent à l’esprit sportswear de Lacoste. Aujourd’hui, un million de mètres de tissu sont envoyés chaque année à travers le monde pour intégrer les vestiaires de prêt-à-porter des grands couturiers. For t de ce premier succès, Pierre Schmitt n’entend pas s’arrêter là. En 2010, il apprend la liquidation d’un ancien fleuron du textile de la région : Velcorex, dernier fabricant français de velours, installé à Saint-Amarin dans le Haut-Rhin. Une entreprise vieille de deux siècles, fondée en 1828, « un bijou de technologie et de savoirfaire », selon son nouveau PDG, qui bataille pendant neuf mois pour sauvegarder la société et son parc machine. « Tout le monde me disait que j’étais fou, mais moi je leur
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disais que c’était eux qui étaient fous de laisser disparaître une expertise bi-centenaire. » Aujourd’hui, ce sont toujours les mêmes monstres de métaux qui avalent chaque jour des kilomètres de tissu pour les découper, les désencoller, les sécher, les brosser, les blanchir ou les teindre. Car c’est bien là l’atout indéniable de l’usine, que Pierre Schmitt a su déceler : Velcorex ne maîtrise pas que la fabrication du velours, la PME gère aussi toutes les étapes d’ennoblissement des écrus, les tissus à l’état brut. En furetant dans les archives du journal Le Monde, on se rend compte que cette technique était autrefois très répandue dans la région, comme le rappelle cet article du 23 février 1960, énumérant tous les savoir-faire textiles de l’Alsace « la filature, le tissage, le blanchiment, la teinture, l’impression, l’apprêt, la confection ».
Moins de dix ans après sa reprise, Velcorex est devenu le vaisseau amiral du groupe Philea. Trois à quatre millions de mètres de tissu sortent des entrailles de Saint-Amarin tous les ans, velours à grosses côtes, fines côtes, faux unis se déclinant dans un éventail de couleurs du terracotta, au kaki, en passant par le bleu denim. La connotation un peu vieillotte du velours de grand-père disparaît au profit d’un travail sur les textures, permettant son retour auprès de marques telles que Sessùn, Bash ou Sézanne.
Le tissage artisanal du tweed Autre tissu tombé en désuétude, le tweed va lui aussi retrouver ses lettres de noblesse grâce au groupe Philea. Dans les années 50, cette précieuse étoffe devient la marque de fabrique de Coco Chanel, qui l’utilise pour son iconique petite veste à la coupe droite, inspirée des uniformes militaires autrichiens et que porteront Brigitte Bardot et Jacky Kennedy. Parmi les fournisseurs historiques de la marque aux deux C, la société Tissage des Chaumes, installée sur les hauteurs de Sainte-Marie-aux-Mines depuis 1908. La maison de tissage artisanal est spécialisée dans le tweed fantaisie, qui intègre dans ses chaînes et trames (l’armure du tissu) des paillettes, des plumes, des rubans et des dentelles. Promise à la disparition par l’essor de la mondialisation,
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la PME est rachetée en 2005 par Catherine Malecki, ancienne designeuse de la boîte. Arrivée à l’âge de 21 ans dans l’entreprise, elle y reste 25, gravissant un à un tous les échelons jusqu’à la création. « Sur la trentaine de machines qu’il y avait à Tissage des Chaumes, j’en ai récupéré huit, chacune avec une spécificité : un métier jacquard, un métier gaze, des métiers à ratière sur lesquels on peut travailler 16 couleurs en trame [la trame, c’est le squelette du tissu et il comporte habituellement huit couleurs, ndlr] et un métier où on peut travailler les paillettes en chaîne et en trame », énumère la timide Alsacienne d’adoption. Derrière elle, les imposants engins tambourinent tels des métronomes à chaque passage du fil. Postés devant ces squelettes d’acier vieux de 50 ans, les tisserands surveillent le va-et-vient de la navette. Ils sont deux à maîtriser ce savoir-faire à Tissage des Chaumes : Jean-Christophe, tisserand de formation, arrivé il y a dix ans, et Éric, la nouvelle recrue. « C’est très artisanal comme travail, détaille ce dernier. Parce que ce sont de vieilles machines, on ne peut pas les laisser tourner toutes seules. » Comme pour lui donner raison, la navette de fil pailleté s’arrête subitement de passer de droite à gauche. Le brin vient de casser, il faut le reprendre à la main, l’attacher et relancer la mécanique. « Aujourd’hui, il n’y a plus d’école de tisserand en France, soupire Catherine Malecki. C’est très compliqué de recruter. » Difficile aussi de faire valoir la plus-value d’une étoffe élaborée de manière artisanale, dix fois plus chère que ses cousines industrielles. Si Tissage des Chaumes peut continuer de dérouler ses mètres de tweeds, c’est parce que Pierre Schmitt a intégré la petite maison de Sainte-Marie à son groupe en 2012. La rachetant pour un euro symbolique, l’entrepreneur y a vu « une belle histoire et des techniques ancestrales ».
Filer le lin Bis repetita l’année suivante, en 2013. La manufacture Emanuel Lang, installée à Hirsingue depuis 1856 et spécialisée dans les popelines de coton pour chemises haut de gamme, est placée en liquidation judiciaire. Une nouvelle fois, l’homme d’affaires alsacien déploie toute son énergie (et il en a beaucoup !) pour éviter la perte de ce patrimoine industriel local. À force de grèves, blocages d’usine, procès, recours et requêtes, il sauve in extremis la société séculaire et ses gigantesques machines promises à la vente aux enchères. Là encore, son pari fou se solde par une réussite, puisqu’aujourd’hui, de jeunes marques françaises comme Asphalte, Païsan, le Slip Français ou encore Bonne Gueule se tournent vers ce fournisseur pour élaborer leur dressing. Il faut dire que Pierre Schmitt a opéré un net virage après avoir repris l’usine, délaissant les fils de coton au profit de matières naturelles produites en Europe : lin, chanvre et ortie. « Le textile a été le moteur de la révolution industrielle, les matériaux biosourcés doivent être le moteur de la révolution écologique », martèle le sexagénaire, en nous faisant visiter les ateliers. Au pas de course, et presque à bout de souffle, on le suit au milieu des ourdisseuses (les machines qui permettent de construire le squelette d’un tissu, la chaîne), des métiers à tisser (celles qui rajoutent la trame du tissu, son corps) et des fileuses. Ces dernières viennent de Hongrie, il les a rapatriées il y a deux ans, pour remettre sur pied une filature de lin dans ses locaux de Hirsingue – la première de France. « Le lin, c’est une fleur éphémère pour une fibre éternelle, sourit-il, friand de citations qui claquent. Il pousse chez nous, capte le carbone dans les champs et peut remplacer la fibre de verre dans la construction. » Pour illustrer ses propos, il nous désigne les murs du bureau de création, tapissés de fins draps de lin écru, jouant le rôle d’isolant acoustique. « Ce qu’on veut, c’est pouvoir maîtriser la production du champ au consommateur. »
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Une démarche de circuit-court que l’on retrouve aussi dans les partenariats que noue l’entreprise. Depuis plusieurs années, Philea collabore avec l’école de chimie de Mulhouse et de Strasbourg, la HEAR (et notamment sa section design textile), la filière mode du lycée Jean Rostand de Strasbourg et l’ISTA, l’Institut supérieur textile d’Alsace. « On a besoin de travailler avec tous les acteurs de la filière, justifie Pierre Schmitt. Et notamment la jeune génération et son impulsion artistique. » Sa propre fille, Agathe, l’a d’ailleurs pris au mot, et se prépare à lancer, en septembre prochain, une nouvelle marque de prêt-à-porter, entièrement made in France, proposant des intemporels unisexes, confectionnés à partir des tissus des quatre entités du groupe. Son nom : Sème, comme un clin d’œil aux graines plantées par son père pour relancer l’industrie textile alsacienne et qui lui permettent aujourd’hui de faire éclore cette collection. philea.net velcorex.fr tissagedeschaumes.fr emanuel-lang.fr
Ce qu’on veut, c’est pouvoir maîtriser la production du champ au consommateur. Pierre Schmitt
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Derrière le rideau, elles et ils s’activent sans jamais que l’on ne note leur travail, seulement visible sur scène. L’artisanat a pourtant une place essentielle dans les coulisses des lieux de culture permettant la crédibilité des mises en scène. Certains métiers internalisés sont aujourd’hui menacés d’extinction à l’heure où de nombreux artisans partent à la retraite… Par Corinne Maix et Sylvia Dubost Photos Klara Beck
L’artisanat en coulisses
Solène Fourt
Costumière formée à l’École du Théâtre National de Strasbourg Qui ? Diplômée de l’École du TNS en 2017, Solène Fourt y a rencontré des metteur·euse·s en scène avec lesquel·le·s elle continue de travailler. Le décor Elle circule entre les répétitions, les achats qu’elle aime faire en friperie et l’atelier costumes, au premier étage, où l’on travaille toute l’année. « Une chance », à l’heure où les théâtres font de plus en plus appel à des sous-traitants. Vous faites quoi, ici ? Solène bénéficie parfois de résidences pour créer des costumes spécifiques. « Pour la création Chère Chambre [en 2021, ndlr], j’ai pu prendre des costumes au stock et essayer toute une palette de couleurs et de formes avec les interprètes. On n’a pas toujours ce
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temps : parfois, je commence à travailler sur photos. Cette rencontre m’importe car le costume est un support à leur interprétation. » Suivent « la phase des dessins » puis celle « des maquettes ». « Après, c’est un dialogue continu avec la metteuse en scène, les interprètes et l’atelier. » Ce qui l’anime C’est précisément ce travail collectif. « Avec l’atelier, j’entretiens un dialogue très technique : les couturières vont traduire mon dessin, me faire des propositions aussi. N’ayant pas une formation de technicienne, leur regard peut me faire dévier, c’est très intéressant aussi. » Le moment de stress « Un moment que j’aime beaucoup, à la fois stressant et joyeux, c’est celui des premiers essayages. Le dessin en deux dimensions passe en trois dimensions, on le voit sur un corps en mouvement, c’est assez émouvant. Tout va très vite : il faut décider des retouches, des directions. D’autres essayages
suivent mais le premier, c’est un moment un peu… consacré. » À quoi ressemblerait le spectacle sans elle ? « Je pense qu’il manquerait une cohérence d’ensemble. Sans personne pour centraliser les informations, c’est une charge qui retomberait sur les interprètes, parce qu’il faut bien qu’ils aient quelque chose sur le dos. Et l’habillement, ce n’est jamais anodin. Le vêtement absorbe tous les changements économiques, sociaux, politiques, culturels… S’habiller, c’est construire son image, mettre en scène son propre corps. C’est très fort. » Et incontournable. tns.fr
Patrice Coué Bottier à l’Opéra du Rhin Qui ? Patrice Coué est le dernier bottier rattaché à un opéra à fabriquer régulièrement chaussures et accessoires pour des créations. Car à l’Opéra du Rhin, tout est fabriqué en interne, rien n’est sous-traité. Le décor Au Grenier d’abondance, au bout du couloir après les ateliers costumes et perruques, des machines à coudre ultra-s olides et 3 000 paires de chaussures. Qu’il a mis deux ans à ranger et auxquelles s’ajoute une centaine de paires par an. Vous faites quoi, ici ? « Je m’occupe de chausser toutes les personnes qui sont sur scène, solistes, choristes et figurants. Par extension, je m’occupe aussi de tous les accessoires en cuir : ceintures, sacs à main… Certains sacs célèbres coûteraient le prix d’un spectacle, alors je les recrée ! Il
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y a quelques années, j’ai aussi fabriqué des armures de samouraï, plus souples qu’en métal et moins gênantes quand le soliste doit se rouler par terre ! Je fabrique ou customise. Il y a en moyenne 40 paires de chaussures sur un spectacle, et il faut gérer les budgets, alors si ça coûte huit euros, c’est mieux ! Je me sers aussi parfois de l’imprimante 3D, pour fabriquer des talons sur mesure par exemple. » Le moment de stress Cela m’est déjà arrivé de devoir fabriquer une paire de chaussures à la dernière minute. Parfois, je n’ai que deux jours, mais j’essaye toujours de terminer un bon quart d’heure avant la pré-générale [la première répétition en costumes, ndlr] ! Une fois, j’ai amené les chaussures à la soliste cinq minutes avant la répétition. » Ce qu’il aime ici « La variété. Ce n’est jamais la même chose, et cela n’arrive pas ailleurs, même dans le domaine de la chaussure de luxe sur-mesure.
C’est sûr que lorsque je fabrique 25 paires de bottes en feutre, j’en ai un peu marre, mais ça dure un mois et c’est fini. » À quoi ressemblerait le spectacle sans lui ? « Malheureusement, il ne serait pas foncièrement différent… Si les choristes avaient tous des chaussures noires, cela ne se verrait pas. Mais il y a quand même beaucoup de choses qu’un prestataire extérieur ne peut pas faire. Et il ne faut pas oublier que la scène a une pente de 10%, alors les chaussures, c’est très important ! » operanationaldurhin.eu
L’actu des artisans
Perles à facettes À Strasbourg, l’atelier de bijouterie et de joaillerie Hammaecher Sipion se démarque par ses créations sur-mesure, réalisées à la carte et souvent à partir de matières originales comme le diamant brun cognac. Si on entre dans la saison des alliances, l’établissement propose également des perles Hanashinju – qui se traduit par « Perle fleur » en japonais – dont la particularité est de présenter des facettes. Une prouesse réalisée en 1992 par Kazuo Komatsu et aujourd’hui perpétrée par son fils, pour un rendu définitivement lumineux. (F.V.) Atelier Hammaecher Sipion 4, rue des Serruriers à Strasbourg hammaecher-sipion.fr
Trois jours de fête pour l’artisanat
Les facteurs d’orgues en congrès à Strasbourg en 2023 Strasbourg accueillera le prochain congrès mondial des facteurs d’orgues, du 20 au 26 août 2023. Méconnus ou oubliés, ces artisans ont contribué à l’essor et à la pérennité de la musique dans les abbayes, églises et cathédrales. Il y a aujourd’hui en France environ 65 facteurs d’orgues en exercice pour entretenir et restaurer 8 700 orgues recensés, dont 1 590 classés au titre des Monuments Historiques. Ce rendez-vous proposera des conférences, des concerts et des visites dans toute l’Alsace et en Lorraine, avant de s’achever au Musée Unterlinden à Colmar. (F.V.)
L’atelier de Régine Ouvert en décembre 2020 dans un corps de ferme d’un petit village du Kochersberg, L’Atelier de Régine rassemble les créations d’une trentaine d’artisans dans un espace au charme fou. Au printemps et à l’automne, elle propose des brunchs avec sa sœur Margot, ainsi que des ateliers créatifs pour adultes. À cocher sur vos agendas : le 11 juin, création d’une décoration murale et, le 25 juin, création d’un attrape-rêve. (F.V.) L’Atelier de Régine 4 rue de Marlenheim à Fessenheim-le-Bas regine-s.com
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Trésors cachés à Uttenhoffen Un lieu unique et coloré se niche à Utten hoffen au cœur du Pays de Niederbronn-lesBains : les Jardins de la Ferme Bleue. JeanLouis Cura et Alain Soulier y cultivent un art de vivre riche en rencontres et découvertes. Créateur de jardins et de paysages, Jean-Louis Cura entretient le jardin labellisé Jardin Remarquable, ouvert au public. Alain Soulier s’adonne à la création d’abatjours sur-mesure : classiques, romantiques, baroques ou contemporains, tout est permis (sur rendez-vous). (R.S.) Les Jardins de la Ferme Bleue 21, rue Principale à Uttenhoffen jardinsdelafermebleue.com
Trois jours, trois sites, trois ambiances. La Fête de l’artisanat se déroule les 10, 11 et 12 juin au Château du Haut-Kœnigsbourg, au siège de la Chambre de Métiers d’Alsace à Schiltigheim et au Centre routier d’Altkirch. L’occasion de découvrir ou redécouvrir la diversité des métiers de l’artisanat mais aussi de révéler des vocations. Pour les plus sportifs, il y aura l’Arti’Run, une course de 5 kilomètres à Schiltigheim, le dimanche 12 juin. (F.V.) Les 10, 11 et 12 juin au HautKœnigsbourg, à Schiltigheim et à Altkirch
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FOCUS
DE LA NOTORIÉTÉ À LA VISIBILITÉ Par Fabrice Voné Photos Christoph de Barry
Quelle visibilité pour les artisans ? Plusieurs pistes s’offrent à eux, que ce soit au travers de labels et de marques qui les valorisent par le biais d’événements en tout genre ou par une maîtrise des réseaux sociaux. Mais comment la tradition peut-elle s’accommoder de la digitalisation au quotidien en fonction d’une activité déjà bien prenante ?
La chocolaterie Antoni vient de souscrire à la marque Artisan d’Alsace.
Salons Made in Elsass, Journées européennes des métiers d’art proposées par la Fédération des métiers d’art d’Alsace (Fremaa), lancement de la marque Artisan d’Alsace par la Chambre de métiers, multiplication de labels allant du Meilleur Ouvrier de France aux Entreprises du Patrimoine Vivant, sans même parler du hors-série que vous tenez entre les mains, les occasions de mettre en valeur les savoir-faire artisanaux ne manquent pas. Surtout en Alsace qui peut faire figure de pionnière dans ce domaine. En 1998, Strasbourg intègre d’ailleurs l’association Villes et Métiers d’Art, créée six ans plus tôt. Ce label qui invite à « l’authenticité et à l’excellence, récompense la politique mise en œuvre pour préserver, valoriser, et promouvoir les savoir-faire, parfois multiséculaires, des métiers d’art dans la métropole ». Aujourd’hui, le réseau regroupe 96 collectivités, pour un total de 602 communes, qui bénéficient de ses outils de promotion et de communication. Aussi bien en interne qu’en externe au service d’une politique touristique à destination du grand public.
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« Faire partie du réseau favorise le partage d’expérience et cela permet à nos adhérents de gagner du temps. Et le temps, c’est de l’argent pour les collectivités », souligne Christophe Poissonnier, délégué général de l’association. Cela se caractérise par un afflux de candidatures. Parmi celles qui sont en cours d’examen, Guebwiller, pour sa tradition céramique, et Wingen-sur-Moder pour sa tradition verrière. « C’est un label qui attire le public », fait savoir Véronique Brumm, directrice du Musée Lalique dont la manufacture fête cette année son centenaire. Ou la parfaite occasion de faire rimer l’excellence avec l’appartenance.
jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre de métiers d’Alsace en visite au laboratoire de la chocolaterie Antoni à Avolsheim.
Artisan d’Alsace La Chambre de Métiers lance sa marque Soixante-sept ans que la famille Antoni attendait cela. À l’ombre des cerisiers, le trafic reste dense sur la D422 reliant Soultz-les-Bains à Molsheim en passant par Avolsheim. Des véhicules blindés sur des remorques, renvoyant inconsciemment au conflit russo-ukrainien, des travailleurs pressés ainsi que des touristes plus ou moins perdus défilent devant la chocolaterie familiale. En ce lundi 9 mai, les fêtes de Pâques sont passées et l’enjeu est autre au bord de la Route des Vins. Pour la première fois de son histoire donc, l’entreprise accueille des élus. À savoir JeanLuc Hoffmann, président de la Chambre de Métiers d’Alsace, venu certifier la marque Artisan d’Alsace, et Philippe Meyer, député LR de la 6 e circonscription du Bas-Rhin. Pour une découverte de cet espace fraîchement rénové qui abrite douze salariés répartis entre le laboratoire à l’étage et le rez-de-chaussée dédié à la vente directe avec un coin épicerie proposant aussi bien des confitures que des liqueurs. Comme un
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clin d’œil aux savoureuses griottes d’Antoni qui ont fait la renommée de l’entreprise et qui figurent toujours en bonne place sur le logo historique. La visite s’inscrit dans le cadre du lancement, en février, de la marque Artisan d’Alsace par la Chambre de Métiers d’Alsace en partenariat avec l’Adira et la CEA. C’est en parcourant le numéro mars-avril du Monde des artisans que les chocolatiers ont décidé d’adhérer à ce dispositif destiné à « promouvoir et valoriser la diversité et la richesse des savoir-faire de l’artisanat alsacien ». Plus d’une centaine de sociétés en ont déjà fait de même. « Depuis la crise sanitaire, on voit que les consommateurs n’achètent plus comme avant. Aujourd’hui, même si nous sommes dans des métiers différents, quelque chose doit nous réunir car nous sommes tous des artisans et que nous avons cette même façon de penser en Alsace : qualité du produit et satisfaction du client avant de songer au tiroir-caisse », argumente Jean-Luc Hoffmann qui cible davantage les entreprises que le produit. Pour intégrer cette communauté naissante, il convient d’avoir trois ans d’activité et de répondre à sept des dix critères de sélection (performance économique, bienêtre des salariés, performance environnementale, ancrage territorial, performance digitale, transmission des savoir-faire,
approvisionnement et circuits de vente de l’entreprise, qualification professionnelle, implication dans la profession, fabrication et service clients). Ensuite, le dossier passe entre les mains d’un comité d’accréditation composé de membres de l’Adira, de la CMA ainsi que des représentants des organisations professionnelles concernées. Pour l’heure, les bénéficiaires héritent d’un kit de communication avec le logo Artisan d’Alsace déclinable à l’envi. D’ici cet été, un site internet propre à la marque verra le jour avant d’autres opérations de communication à destination du grand public. Un complément aux pratiques habituelles de la chocolaterie d’Avolsheim en matière de visibilité. « On communique via Facebook et dans les DNA à Noël et à Pâques. Mais depuis le Covid, on a réduit notre budget pub », souligne Céline Antoni, qui incarne la troisième génération de l’entreprise. « Notre meilleur pub, c’est le bouche-à-oreille avec nos clients qui parlent de nous », renchérit Bernard, son père. En rejoignant Artisan d’Alsace, c’est un peu comme si la famille s’agrandissait. cm-alsace.fr
Manon Vénéra De fil en aiguille Pas facile de concilier son smartphone avec des ciseaux et des aiguilles. Manon Vénéra, brodeuse de baskets, en a encore fait récemment le triste constat depuis son atelier de broderie, sis dans son appartement à Strasbourg lorsqu’elle n’assure pas de permanence au Générateur, la boutique de créateurs de la rue Sainte-Madeleine (se regrouper pour proposer un espace de vente mutualisé est d’ailleurs aussi un moyen de se rendre visible et accessible). « Je n’avais rien posté sur Instagram depuis deux semaines et là quelqu’un me demande si j’exerce toujours mon activité ? Sur le coup, cela m’a fait mal au cœur car je bosse comme une malade », raconte cette créatrice qui relooke et personnalise des baskets à la demande sous la marque by M.V. Le comble, c’est que la communication fut au centre de son précédent métier lorsqu’elle était à Paris et travaillait à la promotion d’événements pour une grande enseigne culturelle. Aurait-elle tout oublié au moment de sa reconversion en se consacrant à sa passion et à un travail exclusivement manuel ? « Communiquer sur son propre projet, ce n’est pas pareil que lorsque
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c’est son métier. Là, il y a de l’affect et je ne suis pas collée aux réseaux sociaux toute la journée. Je pourrais le faire le soir dans mon lit, mais non, stop !, explique-t-elle. La communication est essentielle mais c’est compliqué de dégager du temps dans ton quotidien de création. » Résultat, son site internet est au point mort depuis quelques mois alors qu’elle aurait largement de quoi étoffer sa vitrine. En décembre, à la demande d’Adidas, elle brode les crampons d’Antoine Dupont, le demi de mêlée et capitaine du XV de France, fraîchement désigné meilleur joueur du monde avant de contribuer au Grand Chelem réalisé par les Tricolores à l’issue du Tournoi des Six-Nations. Dans la foulée, elle réalise une paire pour Chilly Gonzales, dont elle est fan, à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Heureusement, son souhait d’être épaulée par une stagiaire est en passe d’être exaucé. « Je trouve intéressant d’avoir un regard extérieur. Et je sais que cette personne aura plein de choses à m’apporter, ne seraitce que sur les réseaux sociaux », dit-elle.
Reste à bien définir les objectifs selon Manon qui croule sous les commandes. « Il suffit de se poser les bonnes questions. C’est vrai que je pourrais avoir envie de communiquer à fond sur la marque mais est-ce vraiment un besoin ? Il suffit juste que les bonnes personnes me suivent sur internet et ce qui m’importe, c’est de donner de la crédibilité au projet. » Un pari déjà gagné. Instagram : @by_mv Chez Le Générateur 8, rue Sainte-Madeleine à Strasbourg generateur-strasbourg.fr
Marmelade Une fin en compote
C’était l’une des belles histoires ayant émergé de la crise sanitaire. Celle de Quentin Seyeux, fondateur de Marmelade qui s’était lancé avec sa cagnotte d’étudiant, au guidon de son vélo-cargo en bois, dans la livraison de produits locaux au domicile des Strasbourgeois dès 2018. En fédérant une centaine de producteurs sur sa plateforme, il a largement contribué à la valorisation des circuits courts. Au point de se développer à grande vitesse, de recruter jusqu’à cinq salariés et d’investir, en septembre 2021, l’ancienne Boutique Culture, à l’angle de la rue Mercière et de la place de la Cathédrale pour un bail de 11 mois dans un espace largement dévoué à l’artisanat. « Il s’agit d’un test grandeur nature afin de savoir si ce lieu de vente est complémentaire de notre boutique en ligne », indiquait à l’époque Quentin dans les colonnes de Zut Strasbourg.
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Bien loin d’imaginer une seconde que « tout s’écroule[rait] en six mois ». En effet, le 21 mars, sa jeune entreprise dépose le bilan. Conséquence d’une baisse subite de 50% des commandes sur son site que la boutique physique n’a pu endiguer en générant un chiffre d’affaires assez marginal. « Je pensais qu’elle allait nous servir de vitrine pour communiquer autour de notre service de livraisons. Sauf que les Strasbourgeois ne vont quasiment jamais place de la Cathédrale. On arrivait juste à payer le loyer alors que j’y passais 70 heures par semaine. Mais bon, il fallait essayer », estime Quentin. S’il reconnaît « avoir appris énormément de choses durant cette période », le trentenaire dresse ce constat lapidaire. « Avec le déconfinement, les gens ont repris leurs habitudes d’aller au supermarché. On sait aussi qu’ils ne sont pas allés davantage chez les producteurs ou sur les marchés. Forcément, le contexte lié à l’inflation ne nous a pas aidés. Les consommateurs font plus attention à la façon dont ils dépensent et le réflexe livraison a surtout bénéficié aux enseignes de la grande distribution », poursuit-il.
En même temps, la situation de Marmelade n’est pas un cas isolé. À Nantes et Paris, d’autres sociétés du genre ont aussi plié boutique, scellant pas mal d’illusions quant au fumeux monde d’après. « On peut quand même être super fiers de tout ce qu’on a fait, cela a apporté beaucoup de choses aux producteurs de la région », souligne Quentin. De la visibilité notamment mais aussi une prise de conscience « sur le fait qu’on puisse faire ses courses directement chez les producteurs, qu’il se passe plein de choses ici avec de la bonne qualité. Et que ce n’est pas forcément plus cher que d’aller en supermarché ». Entre la naissance d’une euphorie et quelques erreurs juvéniles, il a depuis retrouvé du travail en tant que chef de projet pour la start-up HopLunch qui livre des plats de restaurants dans les entreprises de l’Eurométropole sans avoir totalement abdiqué dans ses projets d’entrepreunariat. À l’inverse, le site de Marmelade a été racheté et réactivé par l’un de ses anciens concurrents, une entreprise de Besançon, qui n’a pas abandonné cette chouette idée de livrer local aux locaux.
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Pourquoi Taxi13 dans l’Eurométropole ? Une filiation avec les Bouches-du-Rhône ? Un hommage à peine voilé à la saga cinématographique produite par Luc Besson ? Nullement, il convient de remonter aux origines de la société, créée en 1912, pour trouver une explication un rien téléphonée. « À Strasbourg, le 13 avait été attribué aux taxis au même titre que le 12 correspondait aux renseignements », raconte Hakim Kerboub, président du groupement depuis six ans. Derrière leurs écrans, la dizaine de standardistes gère, 24 heures sur 24 et 365 jours par, an le flux des appels à destination des 200 chauffeurs de la flotte. Un chiffre en baisse depuis que la société a laissé de côté le transport médicalisé. « Vous ne pouvez pas faire les deux », indique le président.
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La pandémie a généré une baisse d’activité pour la profession. « Une période compliquée. On sort de ça et on rentre dans une guerre, soupire-t-il. Cela rend la vie plus difficile pour tout le monde et cela annonce l’augmentation de tout, dont le carburant. C’est devenu compliqué pour les chauffeurs, c’est du bénéfice en moins à la fin du mois. L’avenir ? On le voit difficile. Pas que pour nous mais pour tout le monde. Vous savez, nous on dépend des autres. Et s’ils n’ont pas d’argent » C’est justement là qu’intervient l’essence même de service pour ces artisans. Leurs savoir-faire ? « C’est la qualité de la prestation. Quand on transporte des personnes, c’est tout un art. Il faut être ponctuel, faire attention à la conduite. Mettre un client en sécurité, ce n’est pas comme une
pizza dans un coffre. C’est un métier de services qu’on doit faire à la perfection. » Cela n’empêche pas l’innovation pour Taxi13 qui propose des solutions d’e-booking auprès des entreprises et des hôtels et vient de développer sa propre application. Mais les clics ne remplaceront jamais les histoires propres à ce milieu. « On accouche dans un taxi, des histoires d’amours s’y créent, il y a de la vie », relate M. Kerboub. Et tant qu’il y a de la vie… taxi13.fr
Armelle Bouvier
RESTAURATRICE DE MEUBLES Par Tatiana Geiselmann / Photos Klara Beck
Il y a dans votre cuisine ce vieux vaisselier au pied cassé, avec sa porte droite qui grince, son flanc maculé de griffures et son auréole marron foncé sur le plateau, vestige d’une tasse de thé posée à la hâte. On sent bien qu’il n’est plus dans la fleur de l’âge, mais bon, impossible de vous en séparer : c’est le vaisselier de votre enfance, celui dans lequel votre grand-mère rangeait ses confitures maisons et les biscuits du goûter. Ce vaisselier, c’est exactement le genre d’objets qu’Armelle Bouvier adore restaurer : « Mon métier, c’est de l’affectif, que les meubles aient de la valeur ou non, ça n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est la valeur sentimentale. » Originaire de Moselle, la pétillante soixantenaire s’est installée à Strasbourg
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il y a 15 ans, après un long séjour à Berlin. « J’étais architecte d’intérieur, mais je rêvais de travailler dans le bois. » Une formation de restauratrice et deux déménagements plus tard, la voilà donc qui ouvre son atelier dans le quartier du Port du Rhin, avant de migrer à la Meinau, près de la plaine des Bouchers. « Avant de récupérer un meuble, je me déplace toujours chez mes clients, pour voir le meuble dans son environnement. » Retour ensuite à l’atelier pour des heures passées à le bichonner. « J’aime tous les types de meubles, qu’ils soient anciens ou non, en bois massif, plaqués, laqués, qu’il y ait des parties en métal ou en corne. » Selon la composition du meuble et selon son âge, Armelle Bouvier n’utilisera pas les mêmes techniques. « Je
m’appuie toujours sur les savoir-faire de l’époque : pour une bonnetière contemporaine, je vais travailler avec de l’huile, pour un secrétaire en acajou, je partirais plutôt sur un vernis gomme laque, pour des réparations sur une armoire ancienne, je vais utiliser des colles réversibles, comme de la colle de poisson, etc. » Une multitude de compétences que la Strasbourgeoise d’adoption souhaite pouvoir transmettre. Elle propose parfois à ses clients de restaurer eux-mêmes leur meuble, sous ses conseils avisés et au sein de son atelier. De quoi rendre hommage à mamie et à son vaisselier fatigué. Acajou Restauration 8, rue Leitersperger à Strasbourg acajou-restauration.com
Robert Arbogast
RÉPARATEUR D’ÉQUIPEMENTS AUDIOVISUELS Par Lucie Chevron / Photos Christophe Urbain
Dans le sud du quartier Neudorf, à proximité du collège-lycée Jean Monnet, est installée depuis 25 ans une discrète petite boutique de réparation d’équipements audiovisuels. À l’intérieur, trônent de multiples téléviseurs, enceintes, chaînes HiFi, amplificateurs et platines vinyles plus ou moins récentes. Partout où l’on pose les yeux, des dizaines d’appareils. Une véritable caverne d’Ali Baba. Robert Arbogast a commencé sa carrière en 1972, comme apprenti spécialisé en télévision chez Wolf Musique. Une institution désormais d isparue. Après son CAP, il intègre cette même entreprise et y restera durant plus de deux décennies, avant que la boutique ne soit obligée de réduire ses effectifs pour raisons économiques. Lui vient alors
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l’envie de s’installer à son compte. Ainsi a ouvert en 1997, A. Robert TV, dont la réputation n’est plus à faire dans le quartier, et plus largement dans la capitale alsacienne. Depuis, il ne compte pas ses heures pour satisfaire sa clientèle. Chaque matin depuis toutes ses années, il tient à se déplacer chez les particuliers. « Rencontrer les personnes chez elles, voir leurs intérieurs, entrer dans leur intimité, ça crée du lien. » Et parfois, ce sont de véritables trésors qu’il déniche. Sur une petite table, un amplificateur Pioneer de 45 ans d’âge en parfait état. « Un appareil tout à fait extraordinaire. » Ce qu’il regrette : la disparition de son métier due à l’absence de formation. « Les personnes de ma génération sont les dernières à avoir été formées. Aujourd’hui, il
m’est impossible de prendre des apprentis, parce que je ne peux leur apporter que la pratique, et non la théorie. » Qu’à cela ne tienne, tant qu’il le pourra, il continuera à travailler, apporter son savoir-faire, pour rendre service. Robert TV 146, rue de Bâle à Strasbourg aroberttv.site-solocal.com
Et la lumière fut ! Alain Soulier, créateur d’abat-jour aux Jardins de la Ferme Bleue.
PHOTO : SCHMITT L.
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Soie, shantung, étoffes précieuses ou non habillent les châssis construits uniquement sur mesure. •
Pièces uniques ou petites séries.
• Reconstitution, restauration, créations contemporaines, formes recherchées des abat-jour destinés à des lampes anciennes ou actuelles.
SUR RENDEZ-VOUS 21 RUE PRINCIPALE, UTTENHOFFEN 03 88 72 84 35 — JARDINSDELAFERMEBLEUE.COM
Thomas Hampé-Kautz TRANSFORMATEUR DE VÉLOS Par Aurélie Vautrin / Photos Thomas Lang
La mécanique, Thomas Hampé-Kautz en connaît un rayon. Pareil pour l’électronique. Ajoutez à cela un côté geek assumé, une conscience écolo affirmée et huit kilomètres à faire en vélo matin et soir pour se rendre à son travail, et vous aurez le point de départ de l’aventure Ohm & Watt. « Il y a deux ans, j’ai découvert sur internet qu’il existait des kits pour transformer un vélo classique en vélo électrique. J’ai tout de suite adoré l’idée. » Seulement comme souvent, l’internet moderne propose du très bon comme du très mauvais, et l’installation de la chose n’est pas des plus aisées – pour peu que l’on ne soit pas trop bricolo. Mais lui l’est ! Alors lassé de son ancien job, poussé par l’envie d’être son propre patron et porté par des parents jeunes retraités ultra
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motivés, le trentenaire se lance dans une nouvelle aventure : une start-up qui offrirait une solution clé en main pour motoriser les deux-roues selon les besoins. « Tout a commencé dans mon garage. Aujourd’hui, la boutique-atelier vient de fêter sa première année d’existence, et les carnets de commande sont pleins. » Car quelque soit le type ou la forme du vélo, Thomas Hampé-Kautz a une réponse à apporter : kit de motorisation dans la roue ou dans le pédalier, autonomie de 40 à 100 km, capteurs sur les freins pour couper l’assistance électrique… « C’est important de montrer que ce n’est pas du bricolage à la va-vite : on propose un vrai service avec des pièces choisies avec soin. Les batteries par exemple sont fabriquées sur mesure ici-même, et recyclées par la suite
à plus de 80%. En sortant de l’atelier, votre vélo est devenu un vrai vélo à assistance électrique, parfaitement aux normes et homologué. Et ce, pour la moitié du prix d’un vélo neuf, et en plus vous avez fait un geste pour la planète en réutilisant votre ancien vélo. » À présent, Thomas Hampé-Kautz rêve d’une autre boutique sur Nancy, et pourquoi pas développer tout ce qui est énergie solaire ou éolienne… Affaire(s) à suivre ! Ohm & Watt 25, route du Polygone à Strasbourg ohmetwatt.com
LE GAVEUR DU KOCHERSBERG F E R M E NON N EN M AC H E R Eleveur & Gaveur - Foie Gras d’Alsace Spécialités de Canard - Fabrication Maison Vente à la ferme - Asperges d’Alsace
Vente à la ferme Du lundi au samedi de 8h30 à 12h et de 13h à 19h sauf lundi 18h30 et samedi 17h 14 route de Hochfelden à Woellenheim — 03 88 69 90 77 gaveur-kochersberg.fr
Chez SPIP, 60 000 appareils photos ont été diagnostiqués, les vitrines débordent d’argentiques et de numériques à vendre, l’atelier empile pièces détachées, outils et trésors en attente d’être rafraîchis ou vendus. Alain Pettmann est gardien d’une mémoire photographique et d’un savoir-faire qui se perd : la réparation d’appareils photo. Il cherche aujourd’hui à transmettre.
Souvenirs, souvenirs Par Cécile Becker Photo Christophe Urbain
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Alain Pettmann s’en amuse, ces deux fidèles petites chiennes Olympe et Ondine, jamais bien loin de ses basques : « La boutique porte plusieurs surnoms donnés par les clients : la caverne d’Ali Baba ou la taverne d’Ali Baba, c’est selon. Pourtant, je ne sers pas de bières. » Passé ce moment chez SPIP – abréviation pour Société de photographies industrielles et publicitaires, autant qu’un hommage à Spirou –, il n’aura pas fallu une heure pour que les réactions pleuvent après une simple photo de la boutique postée sur nos réseaux sociaux personnels : « Ouah, mais c’est où ça ? » « Aaaah, ce cher Alain » « La caverne d’Alspip Baba ». Bingo. Impossible de rester de marbre devant la passion sans borne, la gentillesse du patron et cette profusion d’appareils photographiques de tout poil et toute époque. Les photographes du coin et de Navarre passent toutes et tous par ici dès que leur appareil fait des caprices. Dans l’arrière-boutique qui lui sert d’atelier, Alain Pettmann fait tout simplement des miracles. Le seul dans le Grand Est et bien
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au-delà : aujourd’hui des clients n’hésitent plus à passer une journée en voiture pour venir le voir et sauver leur outil de travail... 56 années plus tôt (il en a 66 aujour d’hui), il monte son premier labo photo noir et blanc, il est déjà passionné par les reliques qu’il trouve dans le grenier de ses parents – son père dépannait radio, télévision et matériel hi-fi et était photographe amateur. Il fait ses propres recherches pour comprendre ; une curiosité innée qui le mènera à démonter et remonter des appareils photo. Alors qu’il se destine à devenir vétérinaire et que tout l’y pousse, dont cette prétendue voie royale des études encore et toujours préférée par les parents, la photographie le rattrape. Il monte un dossier pour l’école des Gobelins et passe son brevet de technicien photographie : « J’y suis allé au culot avec mon book et mes petites jambes, et je suis entré tout de suite en troisième année. Mais je m’en foutais du diplôme, tout ce que je voulais, c’était apprendre. » Il trime en tant que photographe pour des entreprises, se fait rattraper par l’armée – dont il gardera probablement rigueur et persévérance – puis se lance avec un associé en 1979. SPIP était née : un service de photo et un autre, dédié au traitement et à l’exploitation des images. Un an après l’ouverture, le service de réparation arrive. « Il y avait les prises de vue et le travail de labo la journée, le soir, je faisais des réparations sans compter mes heures. » Forcené, il finit par se séparer de son associé, du labo et de la prise de vue et installe sa petite entreprise à domicile, dans une ferme à Viebersviller : « J’en avais marre de réclamer l’argent, je me suis concentré sur la réparation. C’est là que j’ai commencé à accumuler du matériel. » La boîte tourne très bien et ses savoir-faire commencent à se faire savoir jusqu’au temple de la photographie d’alors, Meyer et Wanner à Strasbourg, qui lui soustraite les réparations, comme d’autres. « À l’époque, il y avait 65 magasins dans l’est, j’ai fait plusieurs milliers de réparations sans jamais me lasser. Si je n’y arrivais pas,
je recommençais, je n’ai pas baissé les bras souvent. » Alors que la fin de l’âge d’or commence à se faire sentir à l’aube des années 2000, il ne rechigne pas à s’intéresser aux appareils numériques et s’installe ici, à Phalsbourg. Les fermetures successives des boutiques spécialisées, d’une tristesse portant le nom de l’industrialisation, et les collections privées lui permettent de récupérer des lots, des stocks, des « épaves » qui passent toutes entre ses mains pour revivre ou constituer un stock de pièces détachées – certains appareils revenant systématiquement avec les mêmes pannes sont en revanche en sérieuse voie de disparition. Pas besoin de chercher, les choses viennent à lui. Aujourd’hui, l’achat et la revente constituent 2/3 de son chiffre d’affaires, dopé par un regain d’intérêt pour les vieilles pièces. Côté réparation, il n’a jamais changé son fusil d’épaule et refuse de prendre ses client·e·s pour des idiot·e·s : 10 € le devis quand d’autres n’hésitent pas à facturer dix fois plus. C’est que monsieur a des principes. D’ailleurs, alors qu’il a passé l’âge de la retraite depuis deux ans, il ne demande qu’une chose : transmettre et trouver repreneur·euse. Il avait un peu fini par perdre espoir avant qu’un client ne lui propose de diffuser une annonce sur les réseaux sociaux. Depuis, Alain Pettmann a reçu une vingtaine de candidatures dont seulement trois ont sérieusement abouti : « Il faut trouver la perle rare : la personne suffisamment curieuse, investie, qui ait envie de faire perdurer ce savoir-faire, de fouiller, comprendre, d’y passer du temps. » Attaché à toute cette histoire, plus particulièrement à l’histoire de la photographie, et à son stock qu’il se refuse « à revendre sur Ebay », Alain Pettmann ne choisira pas n’importe qui, tout en s’engageant fermement à s’investir pour former la relève. À bon·ne entendeur·rice. SPIP 25, route de Sarrebourg à Phalsbourg spipphoto.com
DOSSIER
Passion lunettes Par Lucie Chevron Photos Alexis Delon / Preview
L’artisanat de lunetterie à l’époque contemporaine ? Un savoir-faire oublié sous l’influence de l’industrie de l’optique. Mais survivent encore d’irréductibles passionnés pour réveiller et perpétuer ces pratiques manuelles, gage de qualité. Tour d’horizon.
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Clément Lunetier Artisanat mon amour En passant les portes des ateliers de Clément Lunetier, à Eckbolsheim, impossible de ne pas entendre en fond les machines rugir. Rien d’étonnant quand on sait que chaque monture ouvragée dans ces murs demande des dizaines d’étapes de fabrication, huit heures de travail et sollicite huit collaborateurs en production. L’histoire commence en 2014. Ben jamin Decarreau et Vincent Flachaire, les deux associés fondateurs, sont opticiens de formation. Souhaitant renouveler et dynamiser leurs carrières, ils se lancent dans la fabrication artisanale de lunettes. Dans leur boutique située place de Zurich, les deux acolytes achètent et installent des machines de découpe. Là-bas, ils vont fabriquer et vendre leurs premières paires. Entre leurs mains, leur toute première création, une simple mais coquette lunette en bois clair. Petit à petit, le projet s’agrandit. D’un m 2 d’espace de fabrication, ils passent à 300m 2. Et désormais, l’équipe ne compte pas moins de 13 personnes, dont Thibault Picand, responsable commercial et nouvellement associé, qui se joint à nous pour la visite des lieux.
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Le souci du détail Si la partie administrative est gérée par Vincent Flachaire, la créativité, c’est pour Benjamin Decarreau. Il a appris la fabrication en autodidacte, un « gros défi » pour ce dernier. Très curieux et en recherche constante de connaissance, il s’est longuement essayé au prototypage numérique et au maniement des machines. Dans les ateliers siège encore, en guise d’objet mémoriel, leur toute première presse, petit objet à manivelle en métal permettant le placage, première étape de la fabrication. Après l’usinage et la découpe sur fraiseuse numérique, l’intervention manuelle intervient. « La difficulté de notre façon de faire, est qu’il n’existe que des solutions industrielles pour fabriquer des lunettes, et non individuelles. On a dû créer et détourner des outils. » Sur une satineuse, appareil soustrait à son utilisation originelle, ils viennent poncer la matière, avant de la façonner à la main. Plus loin, dans une petite pièce retranchée, quatre gros tonneaux en bois tourbillonnent. À l’intérieur de ces engins au système analogue au tambour d’une machine à laver, une véritable recette de cuisine : buchettes de bois, nylon, pierres ponce, coquilles de noix, noyaux d’olives, etc. « En s’entrechoquant pendant plusieurs heures contre ces abrasifs, les montures vont être polies ou poncées. Cette étape nommée tribofinition, c’est un véritable savoir-faire. »
DOSSIER
Les étapes sont encore nombreuses : gravures, finitions sur touret à polir pour donner de la brillance, façonnage des branches, rhabillage, assemblage, envoi. Une exigence à tout point de vue rendue possible par la recherche coopérative au sein de l’équipe et des savoir-faire artisanaux transmis le plus souvent oralement. Une lunette unique pour tous La philosophie est claire : sortir des sentiers battus pour proposer un objet unique. Dans un premier temps, ils se passionnent pour le bois, qu’ils s’amusent à mixer avec d’autres matériaux tels que le mélaminé (dérivé du bois), et même des grains de café. « On a eu à cœur de proposer des collections qui soient différentes, avec un axe commun, qui était que puisqu’on maîtrisait le système de production, on avait la capacité de modifier les dimensions de la
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lunette. » Chez Clément Lunetier, les paires sont confectionnées à l’unité. « On travaille comme dans un restaurant, avec des bons de commande et zéro stock. » Une logique qui permet aussi de personnaliser les montures en termes de matériaux, de coloris et de taille. À ce jour, ils dénombrent trois collections bi-matières, chacune proposant huit essences de bois différentes (du merisier, de l’érable ou encore du noyer), 25 couleurs de mélaminé, et un nombre incalculable de formes. Impressionnant lorsque l’on apprend qu’environ 12 000 paires sont produites ici chaque année, dont 3 000 sont des modèles uniques. Le seul élément non fabriqué directement sur place : les branches en métal produites en France. Une dynamique éco-responsable qui se retrouve dans le recyclage des chutes de matière, retournées au fabricant pour réutilisation.
Plus que des opticiens, plus que des fabricants, Clément Lunetier est également une marque. Et ils en sont fiers. Aujourd’hui, ils travaillent avec plus de 350 distributeurs à travers le monde, originaires de France, d’Allemagne, de Belgique, et jusqu’au Canada et aux États-Unis. « En travaillant sur un système de lunettes personnalisées, fabriquées à l’unité, notre objectif était aussi de remettre les clients, c’est-àdire les opticiens, au centre de l’expérience. Cette structuration leur rend leur pouvoir de prescription, leur offre de sortir de la vente simple de lunettes en l’état. Ils sont aussi là pour conseiller. » Une aventure humaine avant tout autre chose. 50, rue de Zurich à Strasbourg clementlunetier.com
La Lunetterie La créativité à l’œuvre Vincent Delmulle est opticien indépendant, mais pas seulement. Ancien élève de l’École Supérieure d’Optique de Strasbourg, il débute sa carrière au sein de grandes chaînes d’opticiens, avant de souhaiter s’établir à son compte. Fin 2015, il s’installe au 2, rue de l’Épine, dans cette petite ruelle silencieuse presque hors du temps, loin du brouhaha urbain, située entre la place Gutenberg et le Musée Alsacien. Rapidement, son envie d’offrir des montures davantage qualitatives et de répondre à des demandes souvent difficiles à solutionner, le conduisent à faire ses premiers pas dans l’artisanat. « J’ai commencé avec de petites réparations, jusqu’au jour où un client est venu me demander une paire de lunettes orange qu’il ne trouvait pas ailleurs. » Après une première année faite de tests, s’essayant de longues heures à l’art du geste artisanal, il se lance officiellement.
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Depuis, il restaure, personna lise et fabrique sur-mesure des lunettes, selon les demandes de ses clients. « J’aime le fait de pouvoir habiller un regard, en concevant une lunette qui s’adaptera harmonieusement à la taille et à la forme d’un visage, mais aussi à la personnalité de chacun. » Ses matériaux favoris ? L’élégante corne de buffle issue d’une logique de recyclage, ou encore l’acétate de cellulose, une matière durable et agréable lorsqu’elle est portée, offrant d’innombrables coloris et motifs, et permettant de réaliser des inserts stylistiques. Du bois, de la dentelle, toutes les envies sont permises. « Faire parler la créativité en allant au-delà du noir et de l’écaille de tortue traditionnelle, croiser les matières, les formes, c’est stimulant. » Quant aux innombrables chutes, pas question de les jeter. Au contraire, il les conserve pour d’autres travaux, et développe depuis peu
une collection de boucles d’oreilles faites à partir de ces reliquats de matière. S’il possède un atelier au sous-sol de son magasin, c’est pourtant au sein même de sa boutique, sur une imposante table de bois posée au centre de la pièce, que Vincent Delmulle aime tailler dans la matière. À travers les gigantesques baies-vitrées qui composent la façade de La Lunetterie, les passants peuvent assister à cette exigeante chorégraphie manuelle. Chaque paire lui demandant entre huit et seize heures de travail. Et bientôt, il espère lancer sa propre collection 100% locale, composée de matériaux fabriqués en France et de charnières conçues à Strasbourg. 2, rue de l’Épine à Strasbourg Instagram : @lalunetterie_strasbourg
DOSSIER
La Fabrique à Lunettes Lionel Salmon fondateur Plus jeune, rêviez-vous de devenir opticien ? Déjà au lycée, j’aimais la physique, et j’étais bon dans cette matière. Assez naturellement après mon bac, j’ai eu envie d’approfondir ces compétences. Je suis allé en médecine et en école d’optique. En 2003, j’avais seulement 25 ans, et j’ouvrais mon premier magasin situé boulevard d’Anvers, aujourd’hui revendu. En 2014, j’ai ouvert la première « Fabrique à Lunettes » à Kilstett, puis en 2020 dans le quartier de l’Esplanade. Et enfin, en mars dernier, celle rue des Frères, que j’adore. Qu’aimez-vous par-dessus tout dans votre métier ? Mon moteur, c’est le relationnel. Être auprès des clients, les conseiller. Ça passe par beaucoup de bienveillance. Mon but est toujours de trouver le produit le
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plus adapté aux besoins d’une personne, à ses envies, à ses goûts, et à son budget évidemment. Pour cela, il est nécessaire d’être dans l’empathie, de se mettre à la place de la personne en face de soi. On va beaucoup s’intéresser aux habitudes de vie pour être en mesure de savoir quel produit est le plus adéquat. Votre rapport à l’objet ? La qualité et l’esthétique comptent énormément, que ce soit dans les matériaux de la monture et des verres, mais aussi dans la fabrication même de la lunette. Il est important d’offrir un objet qualitatif, qui tienne dans la durée. On travaille beaucoup avec les grandes marques de mode, avec des créateurs espagnols et américains, ainsi que des designers. Pour les verres, on préfère, pour les mêmes raisons, les verriers de proximité de France et d’Allemagne. « La Fabrique à Lunettes », pourquoi ? On a ce côté artisanal parce qu’on adapte les verres dans les montures directement en magasin. Tout est détouré et monté sur
place. C’est quelque chose de très technique, qui demande de la minutie, mais le résultat est aussi bien meilleur à la fin. Cet aspect, c’est aussi la passion du métier qui nous guide vers une forme d’exigence à l’égard de nos clients. Aujourd’hui, vous gérez trois boutiques. Quel manager êtes-vous ? Mes équipes sont très importantes pour moi. C’est un peu comme une deuxième famille. Il y a un vrai travail de transmission. Je recrute souvent des apprentis ou de jeunes opticiens parce que je prends un réel plaisir à les accompagner, à leur transmettre tout mon savoir-faire. C’est passionnant. Mon but, c’est aussi de leur passer le flambeau. — Boutique Strasbourg Centre 4, rue des Frères à Strasbourg — Boutique Strasbourg Esplanade 8, rue de Londres, Centre commercial Esplanade — Boutique Kilstett 1, rue de l’Industrie à Kilstett lafabriquealunettes.fr
Optique des 4 vents Comme à la maison Cécile Ehret et Julie Grandjean se sont rencontrées autour d’une passion commune, celle de l’optique. En 2005 et 2009, elles intègrent respectivement, et en tant qu’apprenties, l’Optique des 4 vents. Immédiatement, l’alchimie se crée entre les deux collègues devenues amies. Quelques années plus tard, en 2020, elles rachètent, ensemble, le magasin de leurs débuts. À l’intérieur, la décoration chaleureuse de style colonial donne le ton. Ici, on se sent « comme à la maison ». Une divine bibliothèque vitrée en bois exotique, un vieil établi de menuisier, des chaises raffinées en osier, un grand nombre de plantes : l’artisanat dans les moindres détails. Et, dans l’atelier situé au cœur de la boutique, une meule à main de quarante ans d’âge pour tailler les verres, un chalumeau pour les soudures, un tour à polir pour raviver les couleurs, matifier ou faire briller une monture, etc. Dans cet espace, Cécile répare et Julie fabrique. Tandis que Cécile s’épanouit dans la gestion quotidienne de leur entreprise
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et le contact humain, Julie est la créative de ce duo complémentaire et synergique. Petite déjà, elle adorait bricoler des choses. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est lancée, il y a sept ans, dans la fabrication artisanale de montures en acétate de cellulose. « Travailler la matière, la toucher, est quelque chose que j’affectionne particulièrement. J’aime imaginer puis produire des formes qui sortent de l’ordinaire, choisir des coloris et des motifs originaux ». Un art qui lui permet aussi de s’exprimer librement. Dessin, vectorisation sur machine à commande numérique, finition à la main, c’est aux côtés de leur ancien patron, « ce grand technicien », puis en autodidacte, qu’elle a appris à maîtriser tous ces savoir-faire. Son outil favori ? Le grattoir, un petit outil manuel, analogue à une lime à ongle, qui permet de réaliser de délicates finitions. À terme, l’idée est aussi de créer une petite collection toute en formes, couleurs et empiècements détonants, dans la lignée de ce qu’elles vendent et prônent depuis
toujours : qualité, originalité, caractère, et fabrication française. De véritables œuvres d’art sculptées. Chez Optique des 4 vents, la devise du « comme à la maison » imprègne jusqu’aux relations avec le client. À l’inverse de la démarche classique, là-bas, le système basé uniquement sur la prise de rendez-vous offre une véritable expérience personnalisée. Une approche instinctive qui permet « de prendre le temps qu’il faut, d’aller au bout des choses. Parfois, sur un salon, on voit une monture, et on sait déjà qu’elle sera parfaite pour cette personne. Et souvent, après avoir écouté et échangé avec quelqu’un, c’est la première monture qu’on lui propose qu’il ou elle finira par choisir. » 35, route de Bischwiller à Schiltigheim optiquedes4vents.fr
DOSSIER
Carole Marmet
Jean-Michel Bloch
D’autres adresses à lunettes Optique Jacques Marmet Carole Marmet
Eye Tech Optic Jean-Michel Bloch
Chez Optique Jacques Marmet, on aime les belles choses. Les beaux matériaux, les verres d’une belle qualité taillés directement sur place, les finitions irréprochables, avec une affection particulière pour les créateurs français et la fabrication artisanale. Montés dans les années 1980 par Jacques Marmet, aujourd’hui à la retrait, les deux magasins sont désormais dirigés par sa femme, Carole Marmet. L’essentiel pour cette dernière ? Que chaque client ressorte avec une paire d’un bel ouvrage, confortable, et qui colle à une personnalité. Si « le premier concept est de voir », la lunette est aussi « un accessoire de style ». Et, ce qu’elle aime plus encore ? Le relationnel. Entrer dans l’une des sublimes et élégantes boutiques Optique Marmet, c’est faire l’expérience de la prévenance dans toute sa sincérité.
Jean-Michel Bloch est opticien depuis 32 ans. L’un des derniers à avoir été formé à la fabrication artisanale de lunetterie. Dans sa petite boutique aux sobres coloris et lignes épurées, située rue du Faubourg de Saverne, il détoure les verres, et répare encore de temps à autre les lunettes de ses clients. Ses trois mots d’ordre : satisfaire sans condition sa clientèle, proposer de beaux produits, et rendre accessible à tous des confections de belles qualités. En un clin d’œil, et quelques tâtonnements, il sait identifier les failles ou les réussites d’un article. Les formes et les matières sont multiples, de quoi assouvir toutes les envies. Et désormais, son nouveau péché mignon : le bois. Une matière de prestige qu’il souhaite démocratiser auprès des grands comme des petits budgets.
7, rue de l’Église à Strasbourg 9, rue des Hallebardes à Strasbourg .optique-marmet.fr
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25, rue du Faubourg de Saverne à Strasbourg eye-tech-optic.fr
La coiffure sans greenwashing
Optique de la Licorne
Optique de la Licorne Elisabeth Derisoud et Anne Debes Une histoire de famille. Elisabeth Derisoud et Anne Debes sont deux sœurs. Depuis 31 ans, elles dirigent et exercent au sein de l’Optique de la Licorne. Plus tard, Elisabeth espère voir sa fille reprendre la boutique. À l’intérieur, la décoration au carrefour de l’art nouveau et de l’art abstrait reflète une philosophie, un état d’esprit. Du sol aux montures, des formes en tout genre et de la couleur, emblèmes de la vivacité et de la gaieté. Chez elles, on aime les lunettes de caractère, sans jamais oublier la qualité. D’ailleurs, la valorisation du savoir-faire français est un élément essentiel de leur identité, qui se retrouve autant dans les choix de montures proposées que dans l’exercice même de leur métier. Au second étage du magasin, elles sculptent dans le verre et soudent le métal, pour toujours être en capacité de répondre aux besoins de leurs clients. Le petit + : ces deux opticiennes de passion ont fait de la vision enfant leur spécialité. 36, rue de la 1re Armée à Strasbourg optique-licorne.com
n.f. Petit repère strasbourgeois, où se mêlent calme et créativité, 100% naturel, proposant des coupes architecturales* ainsi que des explosions de poudres de plantes tinctoriales. * technique travaillant la géométrie dans l’espace pour être sans effort de coiffage.
7, rue Jacques Peirotes, Strasbourg · 03 88 75 05 16 lapoudrierestrasbourg.com
Historienne de l’art et gemmologue, Julie Schon-Grandin expertise les bijoux anciens afin de déterminer leur origine et leur authenticité. Dans les vitrines de sa boutique située rue du Chaudron, bague de charme Belle Époque, saphir entouré de diamants et pendentif camée Napoléon III se côtoient, promesses d’un voyage chargé d’histoire.
Dans l’écrin Propos recueillis par Emmanuelle Schneider Photos : Thomas Lang
Quel est le rôle d’un gemmologue ? Après mes études en histoire de l’art, j’ai fait une formation de gemmologue afin de savoir authentifier les pierres en termes de matières précieuses et d’être en mesure de déterminer le contexte historique d’un bijou en fonction de la forme des matériaux utilisés, de leur style... Je suis directement au contact de particuliers qui viennent m’apporter des pièces sans savoir parfois ce dont ils ont hérité. Mon travail est d’expertiser les bijoux et de les estimer d’un point de vue financier. Nous les achetons pour les revendre en seconde main ou nous les mettons en dépôt vente. Comment est né votre attrait pour cet univers ? Pendant mon enfance, mes parents me traînaient dans tous les salons d’antiquaires de France et de Navarre. J’ai toujours aimé l’art, les choses anciennes, visiter des châteaux... mais c’est à quinze ans, en lisant un roman d’Henri Troyat qui parlait de commissaires-priseurs et de ventes aux enchères que j’ai eu le déclic. L’aspect musée me semblait trop académique, je
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voulais voir l’objet d’art tous les jours, le toucher. Après la licence, j’ai trouvé une école privée à Paris, j’ai fait un stage d’une année à Drouot et ça a été la révélation. J’ai vu l’envers du décor, comment monter une vente aux enchères de A à Z, tous les dimanches j’allais traîner mes guêtres au Louvre des antiquaires où il n’y avait que des marchands de bijoux anciens. L’année suivante mon maître de stage m’a dégoté un stage chez un expert en bijoux et ça ne s’est plus arrêté. J’ai pu conjuguer cette passion avec mon goût pour les choses anciennes. Tout s’est imbriqué. La pierre précieuse synthétique étant de même composition chimique, de même structure atomique et de même apparence visuelle que sa contrepartie dans la nature, pourquoi acheter une pierre naturelle ? Les pierres synthétiques existent depuis la fin du XIXe siècle. Actuellement, le diamant de synthèse inonde le marché. C’est problématique, je pense que nous allons en voir revenir beaucoup en seconde main d’ici quelques temps, mais il est hors de
question pour moi de vendre des pierres synthétiques. J’estime que l’intérêt de la bijouterie et de la joaillerie est de pouvoir mettre en forme ce que la terre nous offre. Le diamant se forme au centre de la Terre à de très hautes pressions et de très fortes températures. Recréer ces conditions en laboratoire, nécessite des machines qui consomment énormément d’énergie. Dans l’aristocratie ou la très haute bourgeoisie, le bijou ne durait pas, on faisait monter des pierres au goût du jour et quand la mode était passée, on démontait les pierres et on les remontait dans un autre style. Ça va dans la logique de l’écologie que de récupérer ce qui a déjà été créé. En quoi les bijoux anciens vous attirent-ils ? Ils ont une histoire. Le bijou ancien est nettement plus intéressant que tout ce qu’on peut faire aujourd’hui. Je pense que du point de vue stylistique, on a créé les plus beaux bijoux entre 1780 et 1980, tandis qu’aujourd’hui, on est dans une espèce de standardisation du bijou qui me désole. Excepté dans la très haute joaillerie, mais ce
Antiquités Schon-Grandin 9, rue du Chaudron à Strasbourg
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sont des pièces réservées aux gens extrêmement riches ou aux musées. Au XIXe siècle, il y avait une richesse fascinante de styles, de formes, de créations, comme on n’en verra peut-être jamais plus. Mon métier est de déterminer l’époque d’un bijou et je trouve ça fabuleux. Lorsqu’on m’amène une pièce, dès le premier regard je pense à un contexte historique et pour l’authentifier plus précisément il me faut chercher quelles pierres ont été utilisées, comment elles sont taillées... Aujourd’hui, il y a un grand écart entre la très haute joaillerie qui fait des choses fabuleuses, qui travaille sur place et à la main, qui ne délègue pas en Chine et des marques tout-venant qui fonctionnent car elles jouent sur le marketing alors que leurs bijoux ne sont pas de qualité. Heureusement, de talentueux petits créateurs s’installent. Il faut soutenir leur profession.
Pensez-vous que les rapports à l’artisanat ont changé ces dernières années ? On le voit mais c’est encore frileux, tant qu’on continuera à acheter de la fast fashion et du fast bijou, il y aura la présence de rouleaux compresseurs. Je pense cependant que le Covid a joué un rôle : depuis deux, trois ans j’accueille de plus en plus de 25-30 ans. Ils veulent promouvoir l’artisanat local et il y a forcément aussi une logique économique dans le fait d’acheter de la seconde main. Lorsque je vois la jeune génération soucieuse d’acquérir une pièce française qui a été réalisée il y a 50 ou 100 ans, je me dis que tout n’est pas perdu.
L’actu des artisans
Visa pour l’image Tous les deux ans, la CCI Alsace Eurométro pole (avec le soutien de l’Eurométropole de Strasbourg) récompense commerçants, hôteliers, restaurateurs et prestataires de service « pour la qualité du design intérieur et extérieur de leur point de vente ». Le concours vise également à mettre en valeur le talent des professionnels du design et de l’aménagement des lieux de vente puisqu’il récompense systématiquement un binôme commerçant / concepteur. Cette année, la stratégie de transition écologique des candidats sera également prise en compte par le jury. Attention, la clôture des inscriptions au concours Commerce Design est fixée au 31 mai. La remise des trophées aura lieu le 12 juillet. (F.V.) commercedesignstrasbourg.com
Roule toujours On a quasiment tous eu un voisin qui, un jour, s’est mis en tête d’acheter une vieille Citroën DS noire à l’autre bout de la France, avant d’y installer une galerie pour y caser ses skis en bois, direction le Gaschney au-dessus de Munster dans le 6-8. Une sortie immortalisée via Instagram jusqu’à la panne et la relégation vers le télé-travail et les transports en commun. Heureusement, il y a Fabrice Reithofer, apôtre du vintage et du cambouis, pour éviter de sombrer dans ce genre de subites tragédies automobiles. Fondateur de l’association Rétrorencard, il organise une bourse d’échanges de pièces de véhicules anciens du 23 au 25 septembre à Lipsheim, après deux éditions à Hoerdt, autour de trois principes fondamentaux : « Collectionner pour sauvegarder, restaurer pour rouler, chiner pour se rencontrer. » (F.V.) bourse-lipsheim.fr
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De l’horizontalité de la coiffure Avouons que le jeu de mots n’est pas évident. Jusqu’à ce que la phonétique s’en mêle à force de se tirer les cheveux à propos de La Poudrière, salon de coiffure ayant « pigment » sur rue dans le quartier de la Krutenau depuis l’an dernier. La Poudrière s’inscrit avant tout dans la zénitude, à l’image des tirets qui réunissent le couple de gérants : Lucie-Carmela et Jean-Jérôme. Une horizontalité qui trouve son prolongement dans une philosophie éco-responsable réfléchie, genre éloge de la lenteur. Au point de se demander si la vue fournie depuis le bac à shampooing ne deviendrait pas la carte postale de demain. (F.V.) lapoudrierestrasbourg.com
Le 22 refait le match avec Zut Située à Neudorf, la galerie Le 22 rassemble, depuis presque trois ans, artistes et artisans de tous horizons et parfois autour d’une même thématique. Après l’incontournable cathédrale de Strasbourg en 2021, Chantal Delarchand, la maîtresse des lieux, a imaginé mettre en lumière les savoir-faire de son réseau autour du football. D’une logique toute mathématique lorsqu’on révise nos tables d’addition puisque 11+11 = 22. Parmi les sélectionnés, on retrouve, entre autres, l’illustrateur Olivier Deichtmann, le sérigraphe Guy Tinsel, le peintre Louis Rosenthal et (un peu d’auto-promo), Chicmedias, la société éditrice de Zut qui a réalisé deux hors-séries autour du Racing Club de Strasbourg sous l’intitulé « Un seul amour et pour toujours ». Au nom du collectif, nous serons présents avec le photographe Christoph de Barry et Christophe Lavergne, directeur du studio de création Restez Vivants !, titulaires indiscutables de cette collection. À noter que la totalité des fonds sera reversée à l’association Femmes de Foot fondée par Sabryna Keller. (F.V.) Du 3 au 8 juin à la galerie Le 22 22, rue de la Grossau à Strasbourg Facebook : Boutique Le 22
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FOCUS
L’ARTISANAT AU PLURIEL· LE Par Déborah Liss Photos Pascal Bastien
Pourquoi n’imagine-t-on que des hommes chez les carreleurs et que des femmes sur les marchés de créateurs ? Dans l’artisanat comme ailleurs, la société reste (en partie ?) pétrie de représentations. Si certains clichés reflètent la réalité d’un secteur encore segmenté, des bouleversements sont en vue. Décryptage.
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d’entreprises familiales. Par ailleurs, la reconversion est une voie de plus en plus empruntée par les femmes pour entrer dans l’artisanat.
Le monde de l’artisanat reste, en général, un bastion masculin : 89% des salariés du secteur sont des hommes et trois entreprises artisanales sur quatre ont des dirigeants masculins (Les entreprises de proximité au féminin, étude et chiffres clés, par l’Union des entreprises de proximité et l’Institut supérieur des métiers, mars 2019). Une entreprise sur quatre est donc dirigée par une femme. La féminisation du secteur est en marche : en 2019, elles sont 300 000 dirigeantes et, en tout, 730 000 femmes dans l’artisanat. Leur nombre a tout simplement doublé en 30 ans. Elles sont par exemple de plus en plus nombreuses dans les métiers de la fabrication (leur part est passée de 20% en 1984 à 36% en 2017), et de plus en plus d’apprentis sont des apprenties. D’ailleurs, le Grand Est est la région où la part d’apprenties est la plus importante dans l’alimentation (35,9% des effectifs contre 30% au niveau national). De manière générale, certains secteurs se féminisent au regard du recrutement et de l’entrée en formation : s’il n’y a que 4% de boulangères, elles sont maintenant 33% dans les formations boulangerie-pâtisserie. Et malgré les 3% de dirigeantes dans le secteur du BTP en 2015, les formations en peinture du bâtiment accueillent en moyenne 12% de jeunes filles. Les femmes ont aussi toujours été présentes dans l’artisanat en tant que conjointes collaboratrices (84% des conjoints collaborateurs sont des conjointes). Et si, longtemps, certaines corporations étaient réservées aux hommes, si l’image « peu féminine » ou la pénibilité de certains métiers comme couvreur ou maréchal ferrant ont pu décourager les femmes d’y accéder, certaines s’en emparent de plus en plus. Notamment dans le cadre
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Mixité n’est pas égalité Mais le souci de transparence nous oblige à pointer que ces exemples sont minoritaires : le choix des métiers et des formations reste encore très sexué. L’artisanat d’art est certes un milieu quasi paritaire, les hommes sont ultra majoritaires dans le travail de métaux (94%) ou la réparation de machines (96%). L’équipe de l’Institut des métiers à l’origine de l’étude sur les entreprises de proximité au féminin explique que « lors des choix d’orientation, le poids des représentations et des préjugés encore très répandus [...] restreint les choix de formation aux métiers traditionnellement féminins, comme les soins à la personne (soins de beauté, coiffure) ou la fleuristerie ». Et pour celles qui osent le passage vers « un métier d’homme », les obstacles et inégalités restent de mise. Yvonne Guichard-Claudic, sociologue reprenant les travaux d’un colloque sur le genre des métiers explique : « On note souvent dans l’expérience décrite par les femmes une tension entre les efforts pour se conformer au modèle masculin d’activité (prouver que l’on est aussi compétente que les hommes) sans céder sur la “féminité” des apparences, tout en sachant rester à distance des sollicitations sexuelles, celles-ci constituant en elles-mêmes une forme de mise à l’épreuve avec laquelle il faut savoir composer. » Et, comme partout, les inégalités salariales sont criantes : dans les entreprises de moins de 20 salariés des secteurs de proximité, les femmes gagnent en moyenne 13,2% de moins que les hommes. Certains artisans, à l’image des couturiers drag-queens James et ViviAnn, estiment carrément que le monde de l’artisanat est « macho ». Roland Pfefferkorn, sociologue strasbourgeois, soulève que les femmes arrivées dans des secteurs masculins doivent faire face à une division sexuée du travail au sein même du métier (Des femmes chez les sapeurs-pompiers, Roland Pfefferkorn, Cahiers du Genre, L’Harmattan, 2006). Nathalie Hummel, ferronnière continue par exemple, d’être prise pour la commerciale de la boîte. Pratiques et relationnel Les hommes qui font le chemin inverse ne doivent pas faire face aux mêmes challenges. Yvonne Guichard-Claudic pointe
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notamment le « soupçon concernant leur orientation sexuelle ». Éric Glintzboeckel, qui a fondé la marque de cosmétiques pour hommes Le Bain du Roi, a remarqué les réactions particulières des hommes rencontrés dans les salons : « Beaucoup se tournent vers ma chargée de communication, car ils pensent que ça ne peut être qu’elle à la tête d’une marque de cosmétiques. Et quand elle les oriente vers moi, certains peuvent avoir l’air un peu gênés de parler de produits de beauté avec un autre homme. » Le genre du professionnel aurait-il donc une influence sur la manière de faire le métier et sur la relation client ? Oui, analyse Éric, car il note aussi que les hommes de plus de 50 ans sont plus à l’aise avec lui, un homme de leur âge, quelqu’un qui leur ressemble. James et ViviAnn (Benjamin et Cédric au civil) ont décidé d’accueillir leurs client·e·s en drag, et constaté que cela facilitait la mise en confiance des jeunes femmes, mais aussi des hommes qui ne se retrouvent pas dans le vêtement de marié traditionnel. Il s’agirait donc de dépasser les clichés et de revoir certaines images d’Épinal…
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Nathalie Hummel 1 Ferronnière et précurseuse Nathalie Hummel ne devait pas reprendre la ferronnerie de son père Paul Muller, et, en même temps, tout l’y prédestinait : « Je suis née un an avant la création de l’entreprise en 1972, je suis là-dedans depuis toute petite. Mais ce n’était pas un métier “féminin”, alors mes parents voulaient que je fasse un bac de compta. » Elle se rend compte que ça ne l’intéresse pas du tout, et que la forge continue à lui faire de l’œil. « Mon père a vu que je n’avais pas peur, il m’a poussée, il m’a formée. » 30 ans plus tard, c’est elle la maîtresse des lieux : un immense atelier et un garage aménagé, à côté de la maison familiale à Scherwiller. De grands portails sont entreposés en face de la réserve de barres de fer. Le produit fini regarde la matière première. Le mari de Nathalie est au meulage, le son est strident. Il l’aide pour dégrossir et former les pièces, mais la forge, c’est elle. Malgré les idées reçues, tenaces : « J’ai vraiment dû faire face aux clichés il y a quelques années, et encore aujourd’hui, certains croient que je suis la commerciale. »
James et ViviAnn du Fermoir-de-Monsac 2 Artisan·e·s de bienveillance Ils se sont lancés il y a un an pour réaliser leur rêve d’enfant : créer des robes de mariées. Benjamin et Cédric ont décidé que leurs personnages drag, James et ViviAnn, feraient partie intégrante de leur activité.
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Nathalie construit ses pièces de A à Z, elle prépare un dessin en taille réelle, puis choisit les barres de fer, les coupe et les chauffe au feu de forge. Quand il est à bonne température (« entre jaune et blanc ! »), le fer est frappé pour obtenir la forme désirée. Après, il peut passer au marteau-pilon pour une empreinte, ou à la cintreuse. Et il y aura le soudage et l’assemblage. « C’est rare de tout faire soi-même. Mais c’est notre métier. Acheter des pièces pour souder, ça ne nous intéresse pas trop. » Comme le montrent ce portail aux branches et feuilles d’olivier délicates, façonnées par elle-même, ou ce lion qu’elle a réalisé et incrusté comme un blason. Des clients de toute la région font appel à elle pour leurs portails, des grilles de protection pour les fenêtres, ou encore des rampes d’escalier. « C’est un métier passionnant, ça change tous les jours », sourit-elle. À force, ce sont les enfants et les petits- enfants des premiers clients de son père qui lui font confiance. Ces dernières années, elle a dynamisé l’activité en assurant l’automatisation des portails. Sans renoncer aux savoirs et outils ancestraux : les machines sont historiques, les gabarits qu’elle utilise encore pour la
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cintreuse ont été créés par son père. Et surtout, elle prend toujours le temps du travail bien fait : « Je travaille à la commande, et pièce après pièce. Un portail peut me prendre de 15 jours à deux mois. » Ce dont elle est le plus fière, c’est « d’arriver chez les gens pour la première fois, où il n’y a rien, et de pouvoir, après deux-trois passages, installer un objet fini ». Elle sait que les clients, en général, « sont contents ». « Parce qu’on y met du cœur. » Ferronnerie Muller 18, route de Kientzville à Scherwiller 06 78 39 16 07
Pouvez-vous présenter votre projet en quelques mots et nous dire pourquoi avoir choisi les robes de mariées ? James C’était un rêve de gosse. J’avais une grande famille, j’ai assisté à beaucoup de mariages, et j’attendais toujours la robe avec impatience ! Et puis, j’ai fait celle de ma sœur il y a deux ans… Il se trouve que Cédric (ViviAnn) avait aussi fait celle de sa sœur, et il avait travaillé dans la mode. On s’est rencontré par hasard et on a décidé de lancer notre boîte. ViviAnn On fait des tenues de marié·e·s sur-mesure, en suivant le souhait du ou de la cliente, du dessin au produit final, en passant par les essayages. On voulait répondre à une problématique présente dans le monde du mariage : comment s’habiller quand on sort du carcan habituel ? Alors, naturellement, on a lancé notre premier défilé en juin 2021, avec des femmes de notre entourage. Il se trouve que certaines d’entre elles étaient handicapées, âgées, en surpoids… Vos clientes sont-elles alors des personnes queers et des personnes qui sortent de la norme ? ViviAnn En fait, pas forcément. On a eu notre premier couple gay tout récemment d’ailleurs ! Pour nous, il est normal d’accueillir tout le monde, et les gens viennent parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils veulent en prêt-à-porter. Notre premier client était un homme hétéro fan de black metal, à qui on a fait une demi-jupe et une cape. C’était le choc des cultures à la première rencontre ! Sinon, cela va du mariage à thème médiéval au kimono, en passant par une robe plus traditionnelle pour un mariage à l’église. La mariée voulait simplement une robe qui lui corresponde totalement.
Pourquoi intégrer le drag dans votre activité ? Fallait-il avoir un alter ego féminin pour travailler dans la couture et mettre à l’aise les clientes ? ViviAnn Il s’agissait plutôt de faire vivre nos valeurs, tout simplement. Ben (James) voulait qu’on accueille en drag pour montrer qu’être soi-même, ça ne peut faire que du bien. Et on se rend compte que les clientes osent davantage se dévoiler avec les personnages qu’avec Cédric et Ben en civil. Les mamans, les marraines et les copines adhèrent aussi ! Et les futures mariées se sentent plus libres d’assumer leur féminité. Récemment, une cliente voulait quelque chose de classique, une robe cocktail… avant de nous glisser qu’elle voulait quand même qu’on mette en valeur ses fesses ! Pouvez-vous évoquer votre parcours dans les métiers artisanaux et la réaction de votre entourage par rapport à ce métier considéré comme « féminin » ? ViviAnn Je crois que Ben et moi avons toujours été des garçons différents [rires] ! Mon entourage a été plutôt bienveillant. Je suis parti de Kingersheim à 15 ans pour faire un bac arts appliqués à Strasbourg, puis je suis allé à Paris pour un BTS Design de mode. J’ai trouvé le milieu très dur, pas très ouvert. Revenu en Alsace, j’ai été coiffeur pendant 8 ans. Quand on s’est lancés, mes parents n’ont pas été étonnés : je faisais déjà des robes de mariée à mes poupées Action Man. James Moi, je me suis mis à coudre très tôt, je faisais des robes à ma sœur et ma mère tous les ans. Quand j’ai voulu faire un cursus de stylisme, mes parents ont eu peur de ce milieu trop inconnu. J’ai été chocolatier chez Pierre Hermé pendant 9 ans. J’ai quitté mon job pour créer cette boîte, mais ma famille a été super contente pour moi !
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Le drag ou une expression de genre différente et l’artisanat font-ils bon ménage ? ViviAnn On se rend quand même compte qu’on évolue dans un milieu, pas celui de la couture mais de l’artisanat en général, qui est encore assez macho. Quand on va à la Chambre des métiers, on détonne : on fait un métier « de femme », et on le fait en drag ! James L’artisanat reste effectivement très masculin, surtout dans les métiers de bouche. ViviAnn Mais pour revenir au drag, en fait, c’est très lié aux compétences manuelles : maquillage, couture, perruques et coiffure, il faut être touche-à-tout. Et avec l’atelier, on essaye de s’inscrire dans l’artisanat local, on passe beaucoup de temps à la mercerie du Bain aux plantes. La gérante nous connaît et adhère au projet. Bref, on veut montrer que l’artisanat, ça peut être fun ! James & ViviAnn du Fermoir-de-Monsac 14, Grand’Rue à Strasbourg jvdufermoirdemonsac.com
« Le poids des représentations et des préjugés encore très répandus restreint les choix de formations traditionnellement féminins... » Enquête de l’Institut supérieur des Métiers
Emma Pieters Vannière heureuse Si on vous dit « vannier », vous pensez peut-être aux yéniches, ces « nomades blonds du Ried » (D’après le titre d’un livre de Rémy Welschinger, 2014, L’Harmattan), surtout des hommes, qui tressaient l’osier au xxe siècle. Mais la profession vit une mutation, et Emma Pieters en est emblématique : la jeune femme a seulement 25 ans et s’est tournée vers la vannerie après une « première vie ». Après une licence d’anthropologie, la voilà artisane depuis un an et demi, elle découvre le métier par hasard, dans une boutique en Charente-Maritime, à un moment où elle allait devenir maman et pensait à se mettre à son compte. On échange autour d’un thé, dans son jardin à Boersch, qui est aussi son lieu de travail. Les tiges de saule jonchent le sol, c’est sa matière première, comme le châtaignier ou le noisetier. Elle tenait à faire une activité qui respecte l’environnement : « Je récolte à la main, à moins de 20 km à la ronde, par exemple chez des retraités qui ne peuvent plus tailler leur arbre. » Ensuite, elle revient aux gestes ancestraux : avec sa
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serpette, elle coupe les pointes. Avec la batte, elle tasse. Avec le poinçon, elle crée l’espace entre deux brins pour en faire passer un troisième. Elle ne travaille que sur commande et donne vie à des paniers, caisses de rangement, têtes de lit, supports floraux, ou même bannetons pour faire lever la pâte des boulangers. « On peut tout faire en vannerie, c’est génial », se réjouit-elle. Elle fait aussi des réparations, et propose des ateliers pour transmettre sa passion aux habitants du coin. « Ce métier, c’est une découverte avec moi-même. Je fais travailler mes mains et mon cerveau, et il y a du relationnel », analyse-t-elle, rayonnante. Emma a un talent presque naturel. C’est sa formatrice de l’école nationale de vannerie en Haute-Marne, où elle a suivi des formations courtes, qui le dit. « Elle me disait que j’avais le sens du détail. Et j’avançais plus vite que tout le monde. Quand j’ai fait mes premiers paniers ajourés, les autres élèves me disaient : “comme t’es douée !” » À l’école, justement, elle constate que les filles constituent la majorité des promotions : « La société est en train de changer, et ça bouge aussi dans la vannerie. » Elle se demande seulement si les femmes « passent le cap de la création d’entreprise ou si elles se cantonnent à l’activité loisir »…
Son objectif à elle, à terme, c’est de « percer en tant qu’artisan d’art » (le choix du masculin vient d’elle). Au moment de notre rencontre, elle pensait aux œuvres qu’elle allait faire pour les Journées Européennes des Métiers d’Art, à l’occasion desquelles l’illustre ébéniste David Seltz l’a invitée à venir exposer chez lui : « Ce que je préfère, ce sont les luminaires et les lustres. J’adore les jeux de lumière créés par la matière. » Vannerie Emma Pieters 9, route de Saint-Léonard à Boersch vannerieemmapieters.fr
L’objet artisanal de Jean Roger Un objet artisanal raconte le travail de l’artisane, de l’artisan autant que celle ou celui qui le possède. À travers un objet, c’est toute une relation qui se déploie et se raconte. Le client Jean Roger est ingénieur en électronique, grand fan de couteaux qui ne rate jamais une occasion de se glisser dans les ateliers d’artisan·es ou de vigneron·nes (son autre passion). L’artisan Nicolas Palmade est né en Corse et a débarqué en Alsace, dans le Kochersberg, en 2016 pour occuper un poste d’ingénieur. Trois ans plus tard, patatras, sa passion du bricolage le rattrape et l’envie lui prend de se lancer dans la coutellerie qui allie le travail du bois et du métal. Il se forme en autodidacte et s’installe dans les anciens locaux de la Coop à Furdenheim. La rencontre Jean Roger connaissait le père de Nicolas Palmade, en amateur de coutellerie, il s’est intéressé à son travail, lui a commandé un premier couteau Damas pour l’aider à se lancer, avant de penser à un ensemble de couteaux de table. L’objet « Avec ma femme, on souhaitait avoir 12 couteaux de table. J’ai donné carte blanche à Nicolas parce que j’avais envie qu’il se fasse plaisir. Nous en avons beaucoup discuté et il nous a proposé tout un tas de belles idées : d’abord la forme des couteaux, ensuite 12 couteaux faits, chacun, avec une essence de bois différente sourcée en Corse, puis la boîte. » Le rituel « Depuis que j’ai la boîte, fin 2020 je crois, je l’ai sortie une bonne dizaine de fois. À chaque fois qu’on reçoit du monde
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La boîte à couteaux du coutelier et forgeron Nicolas Palmade Propos recueillis par Cécile Becker Photo Dorian Rollin
– il faut que ces couteaux servent, ce n’est pas une vitrine ! –, j’ouvre la boîte et les invités choisissent l’essence de bois qu’ils souhaitent. » Sa vision de l’artisanat « Pour moi, c’est de l’art parce qu’il y a toujours de la création. Cette boîte de couteaux, j’estime que c’est une œuvre. Mais ce que j’aime particulièrement, c’est discuter avec la personne qui crée
l’objet, qui travaille, qui le fabrique. J’ai la même démarche avec le vin, je préfère acheter chez le vigneron. C’est important pour moi. Derrière un objet, il y a du travail, de la réflexion, du temps passé. » Atelier La Bigorne – Nicolas Palmade 2, rue de la Mairie à Furdenheim nicolaspalmade-coutelier.fr
Photo non contractuelle, suggestion de présentation.
L’ART du détail
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