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ENQUÊTE

VOYAGE DANS L’EXTRÊME DROITE Avec les interviews de Fatou Diome et d’Ugo Palheta CHANGEMENT CLIMATIQUE POUR L’AFRIQUE, IL EST ENCORE TEMPS SÉNÉGAL LA DÉMOCRATIE ZOOM LIBERTÉS CARICATURISTES, USEZ DE VOS CRAYONS ! BUSINESS MINES : LES NOUVEAUX TRÉSORS AFRICAINS

DOCUMENT MOBUTU, LE MACHIAVEL DU GRAND FLEUVE

LA FRANCE FRACTUREE

RÉÉLU, LE PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON FAIT FACE À UN PAYS PROFONDÉMENT DIVISÉ, PEUPLÉ D’« ARCHIPELS ANTAGONISTES », AVEC UNE EXTRÊME DROITE À DES NIVEAUX HISTORIQUES. LA CINQUIÈME PUISSANCE MONDIALE DOIT SE RÉINVENTER POUR S’OUVRIR UN AVENIR.

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L 13888 - 428 H - F: 4,90 € - RD Fra n ce 4 , 9 0 € – Af ri q u e d u S u d 49, 9 5 ra n d s (t a xe s i n cl .) – A l g é ri e 32 0 DA – A ll e m a g n e 6 , 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0


J’ai été recruté et formé dans mon pays.

SC BTL-0 /2 - Crédits photos : © Patrick Sordoillet.

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N O U S FA I S O N S B I E N

plus Q U E D U T R A N S P O R T E T D E L A L O G I S T I Q U E


édito PAR ZYAD LIMAM

LA FRANCE FRACTURÉE Emmanuel Macron… Tout de même, quel stupéfiant personnage. Un Rastignac des temps modernes, ambitieux, courageux, à la fois sincère et cynique, un pur produit de la méritocratie, capable de jongler à l’infini avec les concepts, un homme sans parti, jamais élu, et qui a pris de court tout le système politique français en 2017 pour devenir le plus jeune président de l’histoire de la République. Un chef sans véritable idéologie, adepte du « en même temps », penchant souvent à droite, plus rarement à gauche, écologique par idéal, sans l’être vraiment dans la pratique. Un chef qui se veut dans l’action, loin des saveurs et des délices de la politique politicienne, comme l’aimaient un Jacques Chirac ou un François Mitterrand… Un président décidé à rompre avec le poids de l’histoire, en particulier dans sa relation avec l’Afrique, à changer de génération, quitte à froisser les ego et les susceptibilités. Quitte aussi à beaucoup promettre (le discours de Ouagadougou), sans véritablement parvenir à inverser la donne. Un chef d’État finalement peu expérimenté qui affrontera au cours qu’un quinquennat brutal des crises majeures, systémiques, qui auraient pu l’emporter : celle des Gilets jaunes, véritablement soulèvement du peuple d’en bas, celle de la pandémie de Covid-19, celle enfin de la guerre, avec l’invasion de l’Ukraine et la menace aux portes du pays… Et puis, la France ne l’aime pas, ce Rastignac justement, trop jeune, trop souriant, trop brillant, trop sûr de lui, « arrogant » donc. Ici, c’est le pays de l’égalité, fortement inscrite dans les gènes, depuis la Révolution de 1789. On n’aime pas ce qui dépasse, et ce qui se distingue. La France est rétive, éruptive, complexe, difficile à gouverner. Et voilà pourtant que ce président au bout du rouleau, impopulaire, que l’on dit apolitique, est réélu, plutôt confortablement (58 %), repoussant à lui tout seul, et une fois encore, le danger d’une prise de pouvoir par le Rassemblement national AFRIQUE MAGAZINE

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de Marine Le Pen, explosif mélange entre l’extrême droite et la mayonnaise populiste… L’homme est habile, on ne demeure pas au pouvoir par hasard, il a du talent, mais la tâche qui l’attend pourrait paraître insurmontable. Pour toute une partie de l’opinion, la France est un pays fini, en voie de déclassement, un pays envahi, un pays ultralibéral, limite antisocial. La vérité ou les vérités relatives ne changent rien à cette analyse à la hache. Oui, vivre en France, ce n’est pas le bonheur pour tous, ce n’est pas le monde idéal. Personne ne sous-estime le besoin de modernisation et de mise à niveau de pans entiers du système, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité sociale, les retraites. Mais personne n’est d’accord sur la méthode et les objectifs. Et tout le monde finit par oublier, que même affaibli, ce système reste l’un de plus généreux et les plus efficaces au monde. La redistribution fonctionne tant bien que mal et, là encore, mieux que presque partout ailleurs, mais l’anxiété est générale. Les revenus de la très grande majorité des Français sont fragiles avec un salaire médian modeste (un peu en dessous de 2 000 euros), ce qui rend inabordable pour la plupart de vivre dans les grands centres urbains dynamiques. La question du pouvoir d’achat est posée pour une grande partie des classes moyennes et populaires. Question devenue d’autant plus urgente que la guerre en Ukraine provoque des secousses sismiques sur les marchés de l’énergie, de l’alimentation, de certaines matières premières stratégiques pour l’automobile, la construction… Le défi écologique bouleverse une jeunesse qui se demande dans quel monde brûlé elle vivra. La mondialisation a provoqué une délocalisation massive des emplois industriels. Cette même mondialisation accentue les fractures territoriales, avec des villes à l’avant-garde de la technologie, de l’innovation et des services, et d’autres qui dépérissent dans des territoires de seconde division, entourées de campagnes qui se dépeuplent… 3


L’incessante polémique sur l’immigration, largement factice et instrumentalisée par l’extrême droite, cache en réalité un débat autrement plus critique, celui d’un pays fracturé, qui perd son unicité, son sens du vivre-ensemble, son identité partagée. La France, « ce vieux pays d’un vieux continent », comme disait Dominique de Villepin, est en plein bouleversement, et la désorientation est générale. Pour reprendre le travail remarquable de Jérôme Fourquet*, paru en 2019, nous faisons face à « l’archipel français », où les habitants vivent sous un même drapeau, mais comme s’ils étaient sur des îles différentes, déconnectées les unes des autres, séparées par la mer. Les grandes matrices traditionnelles du vivre-ensemble ont explosé : la culture catholique tout d’abord, le cadre communiste/ouvriériste ensuite, les médias rassembleurs (comme les grandes chaînes de télévision)… Le cartésianisme scientifique et la démocratie représentative sont affaiblis par le relativisme, les théories du complot, les réseaux sociaux, les simplifications à outrance. La destruction de ces matrices traditionnelles laisse place à l’individualisme, au particularisme, couplé à l’esprit de clan, à des groupes aux intérêts divergents. Avec des forces particulièrement structurantes : la sécession des élites et celle des populations immigrées. Les élites vivent dans un monde à part géographique, intellectuel et philosophique. Elles créent une grande partie de la richesse, elles se désolidarisent sans véritablement s’en rendre compte. Gentrification et carrés VIP s’imposent un peu partout. La rupture avec les classes populaires est consommée. On ne porte plus les mêmes prénoms, comme le souligne le travail de Jérôme Fourquet. Quant à la population immigrée d’origine arabo-musulmane (mais pas que), elle opère un formidable repli sur soi, conservateur et religieux. Elle tente de construire un Fort Knox culturel et identitaire. Les jeunes se marient de plus en plus entre eux. On sort de moins en moins de son quartier, ou des villes et régions où l’on peut se retrouver nombreux… La politique elle-même s’adapte à ces fractures. Les grands partis ne sont plus représentatifs des intérêts des électeurs. De nouvelles grilles s’appliquent et s’affrontent dans un formidable chacun pour soi : « gagnant » ou « perdant », mondialisation ou souverainisme, Europe ou nation, grande ville ou périphérie, urbain ou rural, jeune ou retraité, etc. 4

Voilà le paysage. Avec un Emmanuel Macron, président réélu d’une nation sens dessus dessous, d’un pays profondément divisé, constitué d’archipels antagonistes, avec une extrême droite et une gauche populiste à des niveaux records. Il va falloir pour lui et pour tous, se réinventer, retrouver un chemin commun, un minimum de vivre-ensemble. Peut-être faudrait-il alors justement rappeler quelques-unes des vérités ou des vérités relatives françaises. Rappeler que si la France est à bout de souffle, (elle n’est pas la seule), elle reste une grande nation. Elle a des ressources. La France de 2022, avec ses 67 millions d’habitants, reste l’un des 10 pays les plus riches du monde (entre la 5e et la 7e place selon les calculs, à la même hauteur que l’Inde et son 1,3 milliard d’habitants…). C’est l’une des toutes premières puissances militaires, nucléaires et diplomatiques (près de 160 ambassades, juste derrière les États-Unis et la Chine). Elle dispose d’un AFRIQUE MAGAZINE

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AMMAR ABD RABBO/ABACA

Le président Emmanuel Macron au Champ-de-Mars, à Paris, le soir de sa victoire, le 24 avril dernier.

réseau d’infrastructures quasiment inégalé. C’est l’un des pays les plus créatifs, l’un des tout premiers en matière d’investissement direct étranger. La France, c’est aussi un formidable soft power culturel, qui rayonne aux quatre coins du monde. Son PIB par habitant s’élève tout de même à près de 45 000 dollars par an (28e rang mondial). C’est la nation (avec le Danemark) qui consacre le plus de budget à la protection sociale. Ses dépenses publiques sociales représentent 31 % de son PIB (pas si mal pour un système supposé ultralibéral…). Lors de la pandémie de Covid-19, les mécanismes massifs de chômage partiel et d’aide aux entreprises ont protégé des millions de personnes et d’emplois… Le chômage baisse. Ah oui, et l’équipe de foot est championne du monde en titre. Et Paris accueillera les Jeux olympiques en 2024. Et plus de 50 millions de visiteurs étrangers viennent chaque année profiter des plaisirs de cette triste contrée… Et Paris est l’une des toutes « premières » capitales globales, au même titre que Londres ou New York. AFRIQUE MAGAZINE

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Et enfin, last but not least, on y fait encore beaucoup de bébés, ce qui reste un formidable signe de vitalité et de confiance dans l’avenir ! Et puis, sur l’immigration, ce triste serpent de mer de la pensée d’extrême droite, soyons clairs : la France a toujours été un pays d’immigration. Plus peutêtre que tout autre pays européen. Les Français, y compris les plus blancs « d’entre eux », sont le produit d’un immense brassage de gènes, de cultures et d’identités. Selon des études qui se recoupent, on peut estimer que deux personnes sur cinq sont issues de l’immigration sur trois générations. Disons 40 % des Français. Les immigrés, au sens légal et statistique, censés selon certains nous envahir de l’intérieur ou de l’extérieur, représentent aujourd’hui un peu moins de 10 % de la population. On est loin de la submersion. La France est la France, et qu’on le veuille ou non, elle est diverse, multiple, complexe, métissée. Ça devrait être une force. ■ *L’Archipel français : Naissance d’une nation multiple et divisée, Seuil, 2019.

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ÉDITO La France fracturée

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TEMPS FORTS

par Zyad Limam

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VOYAGE DANS L’AUTRE FRANCE par Cédric Gouverneur

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Le vote de la colère

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Ugo Palheta : « L’extrême droite a gagné la bataille des idées »

ON EN PARLE

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C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

À Dakar, une biennale tout feu tout flamme PARCOURS Samira Sedira

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par Astrid Krivian

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par Emmanuelle Pontié

CE QUE J’AI APPRIS Hassane Kassi Kouyaté

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LE DOCUMENT Mobutu, le Machiavel du grand fleuve

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par Cédric Gouverneur

VINGT QUESTIONS À… Abdoulaye Nderguet

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Fatou Diome : Les complexes coloniaux dont certains ne guérissent pas… par Astrid Krivian

par Astrid Krivian

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P.08

par Astrid Krivian

C’EST COMMENT ? Non au palu !

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par Emmanuelle Pontié

Il est encore temps ! par Cédric Gouverneur

Sénégal : La démocratie Zoom par Hussein Ba

62

par Astrid Krivian

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Croque-moi la liberté par Emmanuelle Pontié et Catherine Faye

Tierno Monénembo : « Mettre des mots sur la douleur »

P.30

P.46

ENQUÊTE

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LA FRANCE FRACTUREE

RÉÉLU, LE PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON FAIT FACE À UN PAYS PROFONDÉMENT DIVISÉ, PEUPLÉ D’« ARCHIPELS ANTAGONISTES », AVEC UNE EXTRÊME DROITE À DES NIVEAUX HISTORIQUES. LA CINQUIÈME PUISSANCE MONDIALE DOIT SE RÉINVENTER POUR S’OUVRIR UN AVENIR. Fra n ce 4 , 9 0 € – Af ri q u e d u S u d 49, 9 5 ra n d s (t a xe s i n cl .) – A l g é ri e 32 0 DA – A ll e m a g n e 6 , 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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PHOTO DE COUVERTURE : ALAIN GUICHOT/DIVERGENCE

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03/05/2022 01:04

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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ZOHRA BENSEMRA - RAPHAËL LAFARGUE/ABACA - ERIC LE GO/ONLYWORLD.NET

par Astrid Krivian


FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin

llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

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CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE - GADO - JEAN-LUC BERTINI/PASCO - RUE DES ARCHIVES/AFP

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Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

Le lithium et autres nouveaux trésors africains Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo : « Nous allons assister à un retour du protectionnisme » Le Groupe OCP s’implique en Côte d’Ivoire Les prix alimentaires sous tension

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

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par Annick Beaucousin et Julie Gilles

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TBS GROUP/Afrique Magazine 235 avenue Le Jour Se Lève 92100 Boulogne-Billancourt Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ

par Cédric Gouverneur

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Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

BUSINESS

VIVRE MIEUX Myopie : Une épidémie mondiale sans virus ni contagion Du sport pour doper sa fertilité Les bienfaits des méthodes corps-esprit Diabète : Du nouveau côté prévention

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : mai 2022.

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.

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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

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Le Musée des civilisations noires sera l’un des sites de l’événement.

À DAKAR, UNE BIENNALE TOUT FEU TOUT FLAMME

ZOHRA BENSEMRA/REUTERS - DR

ART

L’un des plus importants RENDEZ-VOUS AFRICAINS revient avec une programmation dédiée à l’énergie créative.

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C’EST L’UN DES ÉVÉNEMENTS culturels les plus attendus de l’année : la 14e édition de la biennale de l’art africain contemporain de Dakar, initialement prévue en 2020, s’ouvre ce 19 mai avec un programme élargi et revu. Entre l’exposition internationale, intitulée « I Ndaffa #/Forger/Out of the Fire », et un off plus foisonnant que jamais, avec plus de 200 lieux impliqués, les visiteurs auront la possibilité de découvrir des œuvres d’art aux quatre coins du Sénégal. Les 59 artistes de la sélection officielle, originaires de 28 pays d’Afrique et de la diaspora, présenteront des travaux sur le thème de la forge, du feu pour imaginer un nouveau monde, alors que le off se veut une fête créative hors norme, après deux ans de pandémie. Dessins, installations, peintures, photographies, sculptures, sons, vidéos et œuvres textiles, mais aussi rencontres professionnelles, visites pédagogiques, hommages et projets spéciaux : les initiatives culturelles animeront particulièrement la vie de la capitale, où l’enthousiasme est palpable. Le projet « Doxantu » (« promenade » en wolof) investit par exemple la corniche ouest avec des œuvres monumentales. Une façon de toucher un public plus large et de littéralement faire sortir l’art dans la rue. ■ Luisa Nannipieri BIENNALE DE L’ART AFRICAIN CONTEMPORAIN, Dakar

(Sénégal), du 19 mai au 21 juin.

biennaledakar.org

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ON EN PARLE ESSAI

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ

Pour Fatou Diome, il est urgent de faire face aux menaces identitaires et de porter haut les valeurs citoyennes.

Ibeyi

LA MUSIQUE OU LA VIE !

Le R’n’B des jumelles franco-cubaines est CHAMANIQUE… Nouvelle démonstration avec Spell 31. ELLES SONT NÉES SOUS UNE BONNE ÉTOILE, celle d’une mère aimante, Maya, et d’un père icone de la musique cubaine et membre du Buena Vista Social Club, Anga Diaz. Lorsque celui-ci disparaît prématurément, elles sont seulement âgées de 11 ans. Pour le garder auprès d’elles, elles décident alors d’approfondir les instruments qu’elles étudient déjà. Si Naomi excelle au cajon, Lisa-Kaindé, elle, impressionne par sa voix céleste. Lorsque sort leur premier album, Ibeyi, en 2015, c’est une révélation. Aujourd’hui, Spell 31 confirme leur osmose artistique, vibrant d’une pop inclassable, entre hip-hop, soul et R’n’B, convoquant leurs ancêtres africains et cubains, acceptant l’omniprésence des morts mais aussi la puissance de l’amour – y compris celui qui lie viscéralement ces jumelles, dont le métissage originel ne cesse de nourrir leur art. Mais elles n’en oublient pas pour autant de nous faire danser ! ■ Sophie Rosemont IBEYI, Spell 31, XL Recordings. 10

Albin Michel, 198 pages, 14 €. S AGA H I S T O R I Q U E

LE DESSOUS DES CARTES

Le deuxième volet de la trilogie de Gilbert Sinoué, dont le héros principal demeure toujours le Maroc. APRÈS 32 ROMANS historiques sur la région du Moyen-Orient, l’écrivain et scénariste égyptien, de langue française, consacre une trilogie à l’histoire du Maroc depuis les Berbères. Un an après la parution du premier volume, L’Île du Couchant, couvrant la période de 1672 à 1727, le deuxième volet nous emmène de 1808 à 1912, dans la région du « Bec de canard ». De fait, ce territoire, qui marque la frontière de l’Afrique centrale, excite la convoitise des puissances coloniales. Notamment la France, qui, depuis Napoléon, cherche à étendre sa suprématie sur le royaume. Dans ce livre en forme d’épopée va donc se dérouler une formidable partie d’échecs. Une fresque historique très documentée et enlevée, grâce au talent de conteur et de passeur d’intrigues de l’auteur du Livre de saphir (1996). ■ C.F. GILBERT SINOUÉ, Le Bec de canard,

Gallimard, 320 pages, 21 €.

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SULEIKA MULLER - DR (3)

SOUL

ELLE LES APPELLE les serpents à sonnette. Les loups. l Ceux qui, depuis des années, lui envoient des lettres anonymes. Qui sont allés jusqu’à lui faire livrer chez elle un cercueil gravé à son nom. Tous ceux qui menacent le vivre-ensemble, et pour qui la question identitaire rime avec séparer et non pas rassembler. Cinq ans après Marianne porte plainte !, déclaration d’amour à la France et coup de colère face aux incohérences du pays des droits de l’homme, l’écrivaine franco-sénégalaise revient avec un autre essai engagé [voir son interview pp. 40-43]. À l’orée de la nouvelle élection présidentielle, elle fustige les identitaires étriqués et les opportunistes victimaires. Ces voix redoutables qui monopolisent le débat politique. « De la droite décomplexée, dit-elle, nous sommes passés, sans intermède, à l’extrême droite sans complexes. » Si les loups rôdent désormais aux portes du pouvoir, il est plus que jamais urgent de défendre haut et fort les valeurs républicaines. ■ Catherine Faye FATOU DIOME, Marianne face aux faussaires,


BÉCHIR BEN YAHMED, UN AN DÉJÀ

MÉMOIRES

BRUNO LEVY POUR JA - DR

Le FONDATEUR DE JEUNE AFRIQUE nous a quittés le 3 mai 2021. Il nous laisse, entre autres, une passionnante autobiographie parue en octobre dernier. IL EST PARTI le jour de la liberté de la presse, à l’aube, victime du Covid-19, et il avait 93 ans. Tout au long de la dernière décennie de sa vie, BBY a travaillé sur ses mémoires, soucieux de transmettre, de raconter, et de maîtriser aussi son propre récit, son aventure de journaliste, de patron de presse audacieux et parfois aventureux, d’homme politique également, de tracer son roman personnel, celui d’un homme toujours en quête de liberté d’action. BBY était entier, il ne louvoyait pas, il assumait réussite et échec, d’où le titre de ses mémoires, J’assume. On y retrouve un Béchir Ben Yahmed tel qu’en lui-même, subjectif dans certains de ses choix, mais fortement lucide et objectif sur les affaires de l’Afrique ou du monde, avec ce regard unique, cette capacité à décrypter les lignes de force. On est à la fois dans le récit, l’autobiographie, la grande fresque historique. On replonge AFRIQUE MAGAZINE

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dans l’enthousiasme du soleil des indépendances (avec un récit particulièrement riche sur la Tunisie), on retrouve la fresque de l’Afrique contemporaine avec ses grandeurs et ses désillusions, on se confronte aux conflits d’Orient, aux enjeux géopolitiques de la planète. Au fil des pages, on rencontre Habib Bourguiba, Houphouët-Boigny, Che Guevara, Lumumba, Senghor, Foccart (avec cette relation si particulière entre deux destins a priori opposés), Alassane Ouattara (un véritable ami), François Mitterrand, Omar Bongo… Le texte nous quitte sur une réflexion intime sur l’identité, la spiritualité, la foi et la fin du chemin. Un livre passionnant, l’histoire d’une vie à part, et la fresque du temps qui passe. ■ Zyad Limam BÉCHIR BEN YAHMED, J’assume : Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, éditions du Rocher,

528 pages, 24,90 €.

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ON EN PARLE

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MUSIQUE

Coco Em NAIROBI DANCING

PADDY GEDI - DR

Avec son premier EP, l’hypnotique Kilumi, la productrice s’annonce comme l’une des nouvelles valeurs sûres de la SCÈNE ÉLECTRO KENYANE. C’EST AUTOUR du tambour que la kilumi, danse traditionnelle kenyane du peuple kamba, s’articule. Et c’est autour des beats que Coco Em construit sa musique. Y résonne d’ailleurs la voix de la chanteuse Ndunge Wa Kalele. « Chaque fois que je l’écoutais chanter, je me sentais connectée à mon peuple. J’ai été étonnée lorsque ma mère m’a appris que les solistes étaient traditionnellement des femmes », confie celle qui fut remarquée sur la scène des Trans Musicales de Rennes ou des Nuits d’Afrique de Montréal. Depuis 2016, elle s’illustre en tant que DJ, s’étant fait connaître sur Facebook et ayant acheté son matériel sur eBay. Fort de sept pistes appelant autant à la danse qu’à la contemplation, Kilumi mixe avec habileté trap et house, sur un terrain sonore africain. Du côté des invités, on compte MC Sharon, Wuod Baba, Sisian & Kasiva, ou encore Ndunge Wa Kalele… L’attachement de Coco Em à Nairobi n’est pas feint. Elle y a d’ailleurs créé le collectif féminin Sim Sima : « Je voulais proposer un espace sûr pour les producteurs, particulièrement les femmes qui commencent leur parcours musical, afin de partager leur création

auprès des professionnels de l’industrie. Au moment de la pandémie, j’ai décidé de déplacer les activités de Sim Sima en ligne et d’en développer davantage le concept afin d’y inclure l’enseignement de la musique électronique. » Depuis, elle a réussi à obtenir un financement de Music In Africa et a organisé ses premiers ateliers avec d’autres musiciennes. Tout en travaillant sur ce premier EP, qui inaugure le début d’une carrière discographique soumise à de multiples (et excitantes) variations : « Il initie mon voyage dans la production musicale, l’exploration de ce que je suis et de qui je veux être en tant qu’artiste. » ■ S.R.

COCO EM, Kilumi,

InFiné.

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ON EN PARLE

OUMOU SANGARÉ, Timbuktu,

World Circuit.

SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ Dope Saint Jude Higher Self, Yotanka

Née et élevée au Cap, désormais installée à Londres, Dope Saint Jude s’illustre dans le rap queer depuis une dizaine d’années, et, après avoir œuvré en collectif, se produit désormais en solo. Ce nouvel EP, le réussi Higher Self, exprime son amour pour son pays, ses origines, ses valeurs, et la manière dont elle a décidé de mener sa vie. Sans se soucier des contraintes patriarcales, et avec un groove du tonnerre !

❷ Leyla McCalla Breaking The Thermometer, Anti-/Pias

LA DIVA EST DE RETOUR Son FORMIDABLE NOUVEL ALBUM marie la tradition ouest-africaine avec les paradigmes folk et blues. Imparable !

C’EST ENTRE LE MALI, LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS que le nouvel album de la plus belle voix de Bamako a été confectionné. Et il résonne au gré de la variété des décors, entre instrumentation traditionnelle d’Afrique de l’Ouest – le kamele n’goni en tête, joué par son complice Mamadou Sidibé – et la guitare slide chère au blues. Qu’est-ce qu’être une femme dans un monde soumis à d’incessants bouleversements, des guerres aux pandémies ? Comment rester la tête haute face au joug masculin ? À 54 ans, célébrée par Beyoncé et Aya Nakamura, forte de trois décennies de carrière, la reine du Wassoulou n’a plus rien à prouver du point de vue artistique, mais ne se repose pas pour autant sur ses lauriers et persiste à interroger les failles de nos sociétés. Ses chansons aux rythmiques envoûtantes et aux mélodies ourlées d’or, telles « Sarama », « Kêlê Magni » ou « Wassulu Don », redonnent foi en ces temps troubles. ■ S.R. 14

❸ Ablaye Cissoko

& Cyrille Brotto Instant, Ma Case/Absilone

Quand la kora du chanteur sénégalais Ablaye Cissoko rencontre l’accordéon du multi-instrumentiste français Cyrille Brotto, il en résulte Instant. Loin de toute esbroufe, l’album résonne juste et longtemps, grâce à ses 10 titres passionnants. Chacun des musiciens témoigne de longues années d’expérience musicale, mais aussi d’une foi dans l’art comme dans les cieux. ■ S.R.

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DR - HOLLY WHITTAKER - DR (3)

OUMOU SANGARÉ VO I X

Comme elle nous l’a toujours prouvé en musique, la folkeuse new-yorkaise n’oublie pas qu’elle est l’enfant d’un couple de migrants et activistes haïtiens : sur le terreau sonore afro-caribéen de ce nouvel album, on entend de l’anglais mais aussi du kreyòl. Si Breaking The Thermometer est intimiste, Leyla McCalla s’entoure de la chanteuse Mélissa Laveaux, du bassiste Pete Olynciw, du batteur Shawn Myers ou encore du guitariste Nahum Johnson Zdybel. Superbe.


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Alicia Da Luz Gomes et Stéphane Bak incarnent de jeunes Bamakois de 1962.

LE TEMPS DE L’ESPOIR

MATTEO SEVERI/AGAT FILMS - DR - MATTEO SEVERI/AGAT FILMS

Dans un Mali tout juste décolonisé, l’histoire d’une jeunesse qui croyait aux vertus du socialisme… ET DU TWIST. « QUAND UN RÉALISATEUR comme lui vient faire ce film, tu comprends que c’est un film que les Africains eux-mêmes auraient dû faire… » constate, admiratif, le Sénégalais Demba Dièye, assistant réalisateur de Robert Guédiguian dans le bonus du DVD de Twist à Bamako (sorti en salles début janvier). Le cinéaste français à l’accent marseillais et homme de gauche revendiqué y explique qu’il « reste foncièrement universaliste » et peut donc s’identifier au héros de son film, un jeune Malien des années 1960. Samba, fils d’un riche commerçant de la capitale, est un militant convaincu du régime socialiste qui s’installe au départ des Français. Son idéal révolutionnaire est contrarié par les intérêts économiques de sa famille, le pouvoir des chefs de village très conservateurs, mais aussi par l’attirance pour les musiques occidentales : Claude François et Les Chats sauvages font danser la jeunesse du Bamako de 1962, habillée à la mode de Paris et de Londres, et immortalisée par les photographies de Malick Sidibé. Une joie de vivre fidèlement recréée… au Sénégal, car il était impossible pour une production française de tourner au Mali pour des raisons de sécurité. Mais les trois villes choisies (Thiès, Podor et Saint-Louis) pour figurer la capitale de l’époque font illusion grâce au travail conjoint AFRIQUE MAGAZINE

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des équipes françaises et sénégalaises (le film est coproduit par Karoninka, d’Angèle Diabang). Le long-métrage est parfois démonstratif, l’histoire d’amour qui se greffe aux débats politiques un peu artificielle et l’allusion finale aux migrants d’aujourd’hui un peu déroutante, mais il montre avec talent et humanisme tous les espoirs d’une génération à l’heure des indépendances africaines. ■ Jean-Marie Chazeau TWIST À BAMAKO (France-Sénégal), de Robert Guédiguian. Avec Stéphane Bak, Alicia Da Luz Gomes, Issaka Sawadogo. En DVD. 15


ON EN PARLE CINÉMA

COUP DE FOUDRE À KINSHASA Pour son premier rôle sur grand écran, DADJU S’OFFRE UN RETOUR TRIOMPHAL au pays de ses origines et une love story un peu lisse… DADJU TÊTE D’AFFICHE au cinéma dans son propre rôle : ce maître du R’n’B francophone a trouvé en Nils Tavernier le réalisateur à même de lui façonner son Coup de foudre à Notting Hill version kinoise. Le fils de Bertrand Tavernier – toujours très engagé au Sénégal, où il avait assisté enfant au tournage du chef-d’œuvre anticolonialiste de son père, Coup de torchon (1981) – s’est glissé dans les rues de Kinshasa pour capter l’authentique ferveur suscitée par le chanteur franco-congolais à chacune de ses apparitions. Sans lésiner non plus sur les images de drones montrant les artères de la capitale de la République démocratique du Congo. Il faut dire que la réalisation épouse à la fois les codes du clip, de la comédie romantique et de la télénovela. L’argument est d’ailleurs assez mince : un chanteur célèbre s’éprend d’une jeune fille désirée par un autre homme, puissant promoteur immobilier vivant dans une luxueuse villa. La confrontation entre les deux ne sera pas centrale pour autant. Le film s’applique d’ailleurs à déconstruire les clichés virilistes, même s’il s’essaye un peu poussivement à la course-poursuite en voitures (sur pistes,

pas dans Kinshasa, dommage !). Il met ainsi en valeur les femmes : Ima, étudiante environnementaliste studieuse, qui préfère s’occuper des arbres que de faire du shopping, incarnée par Karidja Touré – l’une des adolescentes dans Bande de filles (2014), de Céline Sciamma –, et la propre mère de Dadju (la seule à s’exprimer en lingala), responsable d’une association qui vient en aide aux femmes victimes de violences sexuelles, soutenue de longue date par le chanteur. Dommage que ces aspects féministes mais aussi écologiques soient si peu exploités par le scénario. Les seconds rôles peinent en outre à exister. Mais les fans ne seront pas déçus, certains aspects documentaires permettant d’approcher l’intimité du chanteur, en répétition, en concert. Et l’image donnée de l’Afrique est résolument moderne : des femmes volontaires, des hommes qui connaissent le succès, et une morale romantique en diable, qui n’est plus l’apanage des pays riches, montrant que l’argent ne peut pas tout acheter… ■ J.-M.C. IMA (France), de Nils Tavernier. Avec Dadju, Karidja Touré, Djimo. En salles.

DR - JAN MALAISE

La réalisation épouse à la fois les codes du clip, de la comédie romantique et de la télénovela.

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L I T T É R AT U R E

Sulaiman Addonia

Le champ des possibles

IAIN MASTERTON/ALAMY - DR

Dans ce roman à contre-courant, l’Érythréen célèbre L’AMOUR SOUS TOUTES SES FORMES. Un feu, et un espoir, dans l’insupportable réalité.

SULAIMAN ADDONIA, Le silence est ma langue natale,

La Croisée, 272 pages, 20 €.

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ON DIT QUE LES PLUS BELLES FLEURS jaillissent des décombres. L’amour et la sensualité parfois aussi. En temps de guerre, ils prennent des formes inespérées, défiant le chaos. C’est cette volupté sans chaînes qu’explore l’auteur des Amants de la mer Rouge (2009), l’histoire d’un amour interdit en Arabie saoudite, traduit dans plus de 20 langues. Dans son second roman, fruit de dix ans d’exploration de l’être et d’un détricotage subtil des tabous et des codes, l’Érythréen, qui a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan, défie les zones de retranchement et d’épanouissement de la condition humaine. À l’aune des lascives Baigneuses, du peintre Edgar Degas, et de textes fondateurs de Tayeb Salih, Georges Bataille ou Pier Paolo Pasolini, qui l’ont inspiré pour l’écriture de ce récit, ses personnages ont leur propre idée de la sexualité et de ce que le désir signifie pour eux. Principalement, la farouche Saba, son frère muet, Hagos, deux jeunes réfugiés qui ont fui leur pays en guerre, et Jamal, dont les paroles étourdissantes résonnent encore en refermant le livre : « Je veux atteindre l’orgasme en mangeant ton orgasme. » En chamboulant les codes du masculin, du féminin, de la sexualité même, chacun réenchante, à sa manière, la réalité d’un camp de réfugiés. Une « symphonie aux notes humaines complexes, composée par des gens ordinaires », selon les propres termes de l’auteur. Mais au-delà de questionner la nudité, l’intimité ou la liberté des corps, Sulaiman Addonia, qui vit aujourd’hui à Bruxelles – où il a créé le festival littéraire Asmara-Addis (In Exile) –, va encore plus loin : il redécouvre la puissance du silence. Un langage universel et un espace défriché, sans identité, ni religion, ni morale, peut-être le lieu le plus vrai pour se trouver enfin. Le seul moyen de libérer son esprit et d’y accueillir le voyage le plus sincère vers soi et vers les autres. ■ C.F. 17


ON EN PARLE

SÉRIE

LA COUR EN COULEURS

Golda Rosheuvel (au centre) incarne la reine Charlotte d’Angleterre, aïeule d’Elizabeth II.

Nouveau carton d’audience pour La Chronique des Bridgerton, Q saga en costumes pimentée d’un CASTING MULTIETHNIQUE…

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LIAM DANIEL/NETFLIX - DR

L’UN DES PLUS GROS SUCCÈS de Netflix de cette année est aussi celui de la puissante productrice afro-américaine Shonda Rhimes, créatrice de Grey’s Anatomy. La seconde saison de cette adaptation d’une série de livres sentimentaux, situés dans l’Angleterre d’il y a deux cents ans, confirme son talent pour insuffler de la couleur jusque dans les livres d’histoire. Dans cette chronique pop et sexy des mariages arrangés de l’aristocratie britannique, la réalité historique est bousculée pour coller aux représentations du XXIe siècle, mais avec un fond authentique. Ainsi, la reine Charlotte d’Angleterre est incarnée par une actrice noire (Golda Rosheuvel), mais cette aïeule d’Elizabeth II avait bien une ascendance africaine, via une branche de la famille royale portugaise ! Un métissage rare à Londres à cette époque, que cette version télévisée démultiplie avec des acteurs noirs portant costumes et perruques. Et dans ces nouveaux épisodes (au nombre de huit), ce sont deux sœurs indiennes tout juste arrivées de Bombay qui attirent les convoitises… ■ J.-M.C. LA CHRONIQUE DES BRIDGERTON (saison 2), de Chris Van Dusen. Avec Jonathan Bailey, Simone Ashley, Golda Rosheuvel. Sur Netflix. I

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Dans sa dernière collection, l’incontournable cuir – qui se décline en végan et en végétal – rencontre le denim, la dentelle et le mohair.

MODE

INIYE TOKYO JAMES

Le styliste Iniye Tokyo James.

LE RÉSILIENT

DR (4)

Le designer, en lice pour le PRIX LVMH 2022, se fait un devoir de produire ses créations à Lagos. TOUT JUSTE NOMMÉ parmi les finalistes du prix LVMH 2022, Iniye Tokyo James n’en est pas à sa première collection, ni à son premier défilé sur les passerelles de la haute couture. Avec sa marque Tokyo James, lancée en 2015 à Lagos, il s’est déjà fait remarquer à Londres et à Milan, où il a notamment présenté sa dernière ligne, « Resilience ». Un nom rendant hommage aux efforts accomplis pour propulser son style sur la scène internationale et se faire une place dans l’industrie de la mode. Le designer, qui est né à Londres et y a grandi, avant de partir à Lagos, a dû faire face, entre autres, aux préjugés du milieu lorsqu’il a choisi d’implanter son atelier au Nigeria : « Pour moi, c’était une façon de rendre quelque chose à la communauté, mais aussi l’occasion de changer la perception des produits qui arrivent d’Afrique. Inverser la narration. » Ses créations, de grand impact visuel, retravaillent les coupes traditionnelles du streetwear de luxe pour en faire des silhouettes audacieuses. Inspiré par le « vibrant sens de la mode » de sa famille nigériane et par la variété des styles dans AFRIQUE MAGAZINE

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les rues londoniennes, il imagine ses pièces comme des « terrains de jeu où se rejoignent des mondes différents ». Elles célèbrent la singularité des individus et mettent en valeur ce qui nous unit en tant qu’êtres humains. Dans cette collection, où l’incontournable cuir – qui se décline en végan et en végétal – rencontre le denim, la dentelle et le mohair, le styliste appuie sa philosophie à travers le motif de la grenouille (« opolo », en yoruba). L’animal est un symbole de résilience et une métaphore de l’humanité : « Chaque pays a sa grenouille, même l’Arctique. Elles sont toutes différentes, mais c’est la même espèce. » Les couleurs brillantes de la collection évoquent également les grenouilles, et les détails ruchés rappellent la peau rugueuse de certains crapauds. Des looks associés à des accessoires inattendus, comme les lunettes Puffer, en faux cuir orange, bleu ou encore vert citron, ou le sac Ata Rodo, inspiré du piment nigérian. ■ L.N. tokyojames.co.uk 19


ON EN PARLE Ci-contre, Imaan in Da Shop, Hassan Hajjaj, 2020. Ci-dessous, Composition, Mohamed Chebaa, 1974.

EXPO

L’ENVERS DU DÉCOR « Untitled #11 » de la série The Tree House, Khalil Nemmaoui, 2010.

« L’AUTRE HISTOIRE : L’ART DU MODERNISME MAROCAIN », Cobra Museum, Amstelveen (Pays-Bas),

jusqu’au 18 septembre. cobra-museum.nl 20

Au pays de Rembrandt, une autre manière d’explorer L’ART MODERNE MAROCAIN, ses réalités, sa sensibilité et ses quêtes. L’ÉMERGENCE DU MODERNISME MAROCAIN coïncide avec celle du mouvement Cobra, dans l’Europe de l’après-guerre. Ce n’est donc pas un hasard si le musée d’art moderne néerlandais expose une centaine d’œuvres de plasticiens majeurs de la scène marocaine, dont 44 issues de la collection du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, à Rabat, complétées par des œuvres d’artistes contemporains du royaume et d’Europe. Des œuvres incontournables de pionniers, tels que Chaïbia Talal ou Jilali Gharbaoui, qui témoignent d’une créativité libre et sensible. Plus encore, c’est l’énergie inventive et engagée qui saisit. À l’aune du dynamisme des artistes Cobra, pour qui la spontanéité et l’aventure collective prenaient le dessus, loin des normes et des conventions de l’Occident. Imaginée et conçue par l’écrivain, journaliste et poète maroco-néerlandais Abdelkader Benali, l’exposition nous raconte l’histoire de l’art marocain moderne, de l’indépendance en 1956 à nos jours. Ici, les clichés de Fatima Zohra Serri entrent en résonance avec les œuvres d’Amina Rezki ou les odalisques de Lalla Essaydi. Là, Wafae Ahalouch explore des symboles plus enfouis, invoque la baraka. Partout, le Maroc se dessine. Au fil des œuvres. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE

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A F R O B E AT

PIERRE KWENDERS Entre Kinshasa et Montréal

KIM LANG STUDIO - DR

Le DJ ET MUSICIEN QUÉBÉCOIS d’origine congolaise revient avec un album sexy et entraînant.

CHEZ AFRIQUE MAGAZINE, on suit de près le parcours de cet originaire de Kinshasa, qui a quitté sa ville natale pour Montréal en 2001. Sous l’influence de la fameuse « sagacité » de Douk Saga, il a construit un corpus musical remarquablement cohérent, entre acoustique et synthétique, pop occidentale et vision afro, soul et funk, pop et rumba congolaise. Depuis 2014, il œuvre au sein de Moonshine, un collectif pluridisciplinaire qu’il a fondé. Avec José Louis and the Paradox of Love, il interroge la question amoureuse et la quête existentielle en anglais, en français, en lingala, en tshiluba et en kikongo. Rien que ça ! Avec des titres comme « Kilimanjaro », « Coupé » ou « Papa Wemba », Pierre Kwenders nous fait rêver, danser, réveille nos désirs et notre joie d’être au monde. Oui, la musique adoucit les mœurs, et la qualité des invités le confirme d’autant plus : Sônge, Win Butler d’Arcade Fire, Ngabo, King Britt… ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE

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PIERRE KWENDERS, José Louis and the Paradox of Love, Arts & Craft.

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ON EN PARLE

DESIGN

GIKOMBA STYLE Suave Kenya transforme les vêtements destinés à engorger les décharges du pays en ACCESSOIRES COOL et colorés.

Chaque sac est unique et réalisé à partir de tissus de seconde main.

DR (2)

CETTE MARQUE DE SACS et d’accessoires uniques, réalisés à partir de tissus de seconde main, est très appréciée par les jeunes Kényans à la mode. Elle naît à Nairobi en 2013, dans un petit atelier du centre-ville, sur une idée de Mohamed Awale, qui n’a alors que 24 ans et sort à peine de l’université. C’est justement pendant ses études que le jeune entrepreneur, passionné par le concept d’upcycling, commence à customiser ses propres sacs. Client régulier du marché de Gikomba, l’un des plus importants marchés informels d’Afrique de l’Est, il y puise l’inspiration et les matières premières pour créer des accessoires colorés et contemporains à des prix accessibles. Aujourd’hui, il a développé un réseau de marchands et de tanneurs de confiance, qui lui fournissent des vêtements en denim, en cuir ou encore en kitenge imprimé, sélectionnés parmi les tonnes d’habits d’occasion qui arrivent chaque jour dans le pays et qu’ils n’arrivent pas à écouler. Déconstruits puis retravaillés, ces tissus se transforment en sacs de voyage, en pochettes, en sacs à bandoulière ou encore en porte-documents chics et décontractés. ■ L.N. suavekenya.com

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Au mur, des œuvres d’Ana Zulma, alliances de photographie et de dessin.

Ci-contre, Chocos de Babi, Cédric Tchinan Kouassi, 2021.

GA L E R I E

DÉAMBULATIONS URBAINES

DR

Un voyage tant visuel que méditatif au cœur de l’ART CONTEMPORAIN IVOIRIEN. DES AVATARS AUX APPARENCES SPECTRALES d’Ezan Franck aux œuvres recyclées à base de tongs d’Aristide Kouamé, en passant par les photographies documentaires ultrasensibles de Ly Lagazelle, cette exposition collective à la 193 Gallery met à l’honneur la scène ivoirienne. Au fil d’une sélection d’œuvres de huit artistes, elle explore la vie de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan (« Babi », en langage populaire), que les locaux surnomment « la ville douce ». Une vie urbaine, débordante de beautés et de contradictions, où l’humain côtoie la poésie et l’effervescence. S’interroge et se cherche. Au sous-sol de la galerie, Peintre Obou a d’ailleurs conçu sa ville : une installation immersive représentant les façades des habitations anarchiques du quartier Liberté. Une allégorie. Mais à Babi, il y a aussi la nature, omniprésente, à préserver. En déambulant dans la forêt de meubles de Jean Servais Somian, dans un parcours presque spirituel, on découvre ainsi des fragments de vie en refuge, portés par la brise poétique d’Ana Zulma. Alors, peu à peu, le voyage se fait introspectif. Et joyeux. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE

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Le Plateau, Peintre Obou, 2021.

« BABI EST DOUX », 193 Gallery, Paris (France),

jusqu’au 28 mai. 193gallery.com

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ON EN PARLE

LES INFLUENCES NIPPONES S’INVITENT À TABLE

Ci-dessous et ci-contre, l’Iloli, basé à Casablanca, avec son comptoir pour observer l’art des chefs.

DEUX ADRESSES pour voyager sans quitter l’Afrique.

INSTALLÉ À DAKAR depuis 2016, Le Beluga propose une cuisine fusion d’inspirations péruvienne et japonaise dans une ambiance chaleureuse et cosmopolite. À la carte, on retrouve poissons, crustacés, fruits et légumes frais déclinés d’après des recettes qui mélangent des influences européennes, africaines et asiatiques. Comme les tiraditos, les sashimis péruviens, ou le cheviche, cette spécialité de poisson cru mariné très aimé en Amérique latine, savamment revisités par le chef. Pour une expérience plus conviviale, la maison conseille de poser plats et entrées au centre de la table et de partager tataki de thon aux truffes, risotto de morue noire et autre cassolette de fruits de mer. Atmosphère plus zen chez Iloli, à Casablanca. Dans ce restaurant épuré, harmonieux et ultracontemporain, on met à l’honneur le savoir-faire nippon, reprenant le concept du comptoir ouvert sur la cuisine pour observer l’art des chefs. Et l’on crée des recettes innovantes et authentiques avec ce que le Maroc offre de meilleur. Voici donc le sushi de sardine : le chef le sert avec du gingembre, surprenant une clientèle habituée à le griller au charbon de bois. À côté des plats aux saveurs méditerranéennes, Iloli 24

propose des classiques nippons, comme les tempuras ou le ramen fait maison – des nouilles jusqu’au bouillon et aux toppings –, et applique les méthodes de cuisson japonaises aux produits locaux. La chair tendre et fondante du bar grillé façon Masta (le nom du chef) se dévore avec toutes ses écailles, devenues très croustillantes. Un vrai régal. ■ L.N. groupelaparrilla.com/beluga / iloli-restaurant.com

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DR (3) - PATRICK DURAND

SPOTS

Le Beluga, installé à Dakar depuis 2016, propose une cuisine fusion d’inspirations péruvienne et japonaise.


ARCHI

LE CAP-VERT EN UNE MAISON Un projet qui invite locaux et touristes à renouer avec la nature et la culture de L’ARCHIPEL.

LA CASA D’POÇO est un nouvel espace multifonctionnel de cinq étages, situé dans le quartier historique de Mindelo, ville principale de l’île São Vicente, au Cap-Vert. Le cabinet berlinois Heim Balp Architekten, qui a signé le projet, rend hommage à la nature et à la culture de l’archipel avec un bâtiment hybride, que ce soit au niveau de l’architecture ou des usages, capable de « favoriser un profond sentiment d’appartenance, de fierté et de communauté ». La façade côté rue mélange par exemple la pierre, incontournable sur l’île, à des finitions et panneaux en bois d’acajou. Visuellement plus chaleureux, les brise-soleil sont aussi un clin d’œil à la culture de l’accueil de São Vicente, cœur battant du carnaval cap-verdien. Quant à la façade postérieure avec ses balcons en cascade, elle évoque les sommets luxuriants de l’île voisine de Santo Antão – principalement cultivés en terrasses – et permet de stocker l’eau de pluie vers une citerne, en prévision de la saison sèche. Pensé pour un usage mixte et mutualisé, le bâtiment accueille une salle d’exposition, mais aussi des logements privés pour les Capverdiens et des chambres d’hôtes pour les touristes. La cuisine collective et les bancs installés dans la cour intérieure invitent à la rencontre : à l’abri de la chaleur, on y partage un moment de détente et d’interconnexion culturelle. ■ L.N.

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heimbalp.com

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PARCOURS

Samira Sedira

L’AUTRICE ET COMÉDIENNE FRANCO-ALGÉRIENNE signe un quatrième ouvrage saisissant, Des gens comme eux. Inspiré d’un effroyable fait divers, il a reçu le prix Eugène Dabit du roman populiste 2021, qui soutient la littérature engagée. par Astrid Krivian

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a voix est posée, le phrasé savamment rythmé, les mots ciselés. Dans l’effervescence du festival Le Livre à Metz, temps fort de la scène littéraire, Samira Sedira captive l’auditoire. Elle lit un extrait de son dernier roman, Des Gens comme eux, librement inspiré de l’affaire Flactif, tuerie d’une famille survenue en Haute-Savoie, en France, en 2003. Une plongée dans la complexité de l’âme humaine pour tenter de comprendre les rouages menant à la barbarie. « Le rôle d’un auteur est d’éclairer les ténèbres, d’offrir un peu de compréhension de l’humanité », détaille l’écrivaine. Ce fait divers, « rupture dans l’ordre des choses », concentre à ses yeux tensions sociales, raciales, jalousie, rapports de force. « Aucun article n’a mentionné la dimension raciste du crime, pourtant vérifiée par la suite. Ce couple aisé, mixte, qui affichait leur forte assise sociale, était un objet désirable, envié, détesté. » Née en Algérie en 1964, arrivée en France à quatre mois, Samira Sedira grandit à la Seyne-sur-Mer, en Provence. L’écriture est une « vieille compagne » pour elle. Avec ses sœurs, elle dévore les livres, et noircit ses cahiers d’histoires qu’elle invente : « Adolescentes, éduquées selon la tradition, on sortait peu. On s’évadait par la lecture. » Après le bac, sur les bancs de la faculté des langues où elle s’ennuie ferme, elle découvre la magie du théâtre au sein de la troupe universitaire. À travers le jeu, l’étincelle jaillit : elle qui peine à exister dans une famille nombreuse est enfin regardée. Sous les feux de la rampe, elle se sent puissante. La scène libère ses émotions muselées, legs de ses parents immigrés relégués au silence. Diplômée de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Étienne, elle incarne les grands textes (Beckett, Koltès, Shakespeare, tragédies grecques…) sur les tréteaux de France pendant vingt ans. Jusqu’au jour où tout s’arrête. Le téléphone ne sonne plus. « C’est la cruauté du métier : il vous enlève soudainement tout ce qu’il vous a donné. » L’indépendance chevillée au corps, elle fait alors des ménages Des Gens comme eux, pour subsister. Elle passe de la lumière à l’ombre, de la visibilité de l’actrice admirée éditions du Rouergue, à l’invisibilité de l’agente d’entretien. « J’ai alors compris que l’on est défini par notre 144 pages, 16,50 €. travail, notre statut social. Je n’étais plus qu’un corps, pétri de douleurs, de fatigue. » C’est pourtant cette épreuve qui lui ouvre les portes de la littérature et de ses origines. Faisant surgir une mémoire enfouie, l’exil de ses parents algériens, cela lui permet de comprendre en profondeur leur vécu, leur condition. « En endossant leur costume social, je me sentais plus proche d’eux. » Son père, ouvrier, arrivé seul en France dans les années 1950, logé dans des habitats insalubres, et sa mère, venue le rejoindre, déchirée par la plaie vive du déracinement. Tous deux enjoints à raser les murs. Elle prend alors la plume et signe L’Odeur des planches (2013), interprété ensuite sur scène par Sandrine Bonnaire. « J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. Je veux dire mon envie d’exister, dans mon pays, la France, et faire résonner le silence de mes parents. » ■


SABRINA MARIEZ

«J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration.»


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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

NON AU PALU ! Le 25 avril, c’était la journée mondiale de lutte contre le paludisme. L’occasion de faire le point sur un fléau majeur qui frappe en priorité le continent africain depuis des décennies, avec un lot de chiffres effarants, que l’on avait presque oubliés pendant les années Covid. Mais ce fut surtout l’occasion de constater plusieurs embellies qui s’annoncent. Enfin. Depuis 2019, plus de 1 million d’enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi ont reçu une ou plusieurs doses du premier vaccin antipaludique au monde : le RTS,S (ou Mosquirix). Il devrait rapidement être utilisé chez davantage de petits. L’Organisation mondiale de la santé estime que, déployé à grande échelle, le liquide pourrait sauver la vie de 40 000 à 80 000 enfants supplémentaires chaque année. Autre progrès majeur : la généralisation en Afrique depuis quelques années des campagnes de chimioprévention du paludisme saisonnier, ciblant les petits âgés de 3 à 59 mois, a permis de protéger 11,8 millions d’entre eux. Enfin, la distribution de moustiquaires imprégnées et les opérations de pulvérisation d’insecticides à effet rémanent se sont intensifiées. Car on dénombrait encore 241 millions de cas de paludisme dans le monde en 2020, ainsi que 627 000 décès. Et 95 % des cas et 96 % des décès ont eu lieu en Afrique. Principalement chez les enfants. Alors, certes, on se doute que Big Pharma s’investit avec moins d’entrain dans la recherche de solutions pour les patients issus de zones « pauvres ». Mais tout de même, on peut se demander comment de tels chiffres peuvent encore exister. Chaque pays d’Afrique accueille, depuis des décennies, des dons de moustiquaires traitées, à grand renfort de cérémonies de remerciement… Les vaccins, pour la plupart, sont mis à disposition par des organisations humanitaires mondiales, du type Gavi ou autres. C’est bien. Mais il faudrait peut-être que les gouvernements des pays concernés mettent la priorité absolue sur la question, primordiale, du palu, augmentent les budgets de leur ministère de la Santé, investissent eux-mêmes dans la recherche, prévoient des lignes budgétaires dédiées pour acheter, distribuer, soigner… Cette maladie (due à un moustique !) peut facilement être éradiquée, tous les spécialistes le disent. En République centrafricaine, la malaria est toujours, et encore, la première cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans. Il faut que ça s’arrête. Sans une volonté politique locale forte, le combat piétine et les progrès avancent à pas de fourmi. Alors, oui, il y a enfin un vaccin. De l’espoir. Mais il faut aller plus vite. Au nom des enfants d’Afrique. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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VOYAGE DANS L’AUTRE FRANCE

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RAPHAEL LAFARGUE/ABACA

Des sympathisants du Rassemblement national le soir de la défaite de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, à Paris, le 24 avril dernier.

L’extrême droite navigue sur le sentiment de déclassement, d’anxiété identitaire, d’incompréhension des changements du monde. Sans véritables réponses politiques et sociales, la prise du pouvoir par les « populistes », un jour ou l’autre, dans cinq ou dix ans, ne relève plus de la science-fiction. par Cédric Gouverneur, Emmanuelle Pontié et Astrid Krivian AFRIQUE MAGAZINE

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’est devenu la routine : pour la troisième fois en deux décennies, l’extrême droite s’est hissée au second tour de l’élection présidentielle française. Et pour la troisième fois, le « tout sauf Le Pen » a fonctionné, malgré l’abstention de nombre d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon, frustrés que le leader de La France insoumise doive se contenter de la troisième marche du podium. Absente du second tour, la gauche espère se rattraper aux élections législatives des 12 et 19 juin prochains, et imposer une cohabitation au président tout juste réélu. Elle n’est pas la seule, puisque le Rassemblement national (RN) sera lui aussi bien présent… Emmanuel Macron l’emporte donc, mais avec « seulement » 58,55 % des suffrages, contre 41,45 % pour Marine Le Pen. Scrutin après scrutin, l’écart se resserre. En 2017, le candidat d’En marche avait engrangé deux fois plus de voix que celle du Front national (FN) : 66,1 % contre 33,9 %. Et en 2002, Jacques Chirac avait laminé Jean-Marie Le Pen : 82,21 % contre 17,79 % ! Surtout, cette fois-ci, la fille de ce dernier a rassemblé derrière elle pas moins de 13,3 millions d’électeurs : 2,7 millions supplémentaires qu’en 2017, et presque trois fois plus que son père en 2002. L’élection présidentielle est une compétition hyperpersonnalisée, souvent présentée dans les médias comme « la course à l’Élysée ». Depuis la claque monumentale du 21 avril 2002 et l’arrivée surprise au second tour de Jean-Marie Le Pen, la classe politique française a pris acte des scores vertigineux de l’extrême droite. Mieux, elle a appris à en user : confiants dans la solidité du « front républicain », les candidats misent sur le fait qu’une fois parvenu au second tour, l’adversaire du clan Le Pen sera certain de l’emporter… Un pari extrêmement risqué, la Constitution interdisant à Emmanuel Macron de se représenter pour un troisième mandat. Marine Le Pen est relativement jeune – elle est née en 1968 : sa victoire en 2027 ou en 2032 est tout à fait envisageable. Le vote Le Pen est solidement ancré au pays de Voltaire. Et s’est « décomplexé » : les électeurs de « Jean-Marie » ne s’en vantaient guère, du fait des dérapages racistes, voire nazis, du sulfureux patriarche ; ceux de « Marine » assument davantage leur choix, en famille, devant les amis ou les collègues… Le 24 avril dernier, elle a remporté 28 départements, contre seulement deux (Pas-de-Calais et Aisne) en 2017. Plus surprenant : elle est en tête dans tous les territoires d’outre-mer ! Ses nouveaux électeurs semblent faire fi de l’histoire du Rassemblement national, nouveau nom depuis 2018 du Front national (FN), créé en 1972 par Jean-Marie Le Pen et une poignée de nostalgiques de la collaboration et de l’Algérie française. Pour preuve : Marine Le Pen a remporté la majorité des suffrages à Izieu, village isérois pourtant traumatisé par la déportation à Auschwitz, en 1944, de 44 enfants juifs qui y étaient cachés. Elle a aussi récolté deux tiers des suffrages à Fourmies, ville ouvrière du Nord, symbole des luttes sociales, où neuf grévistes ont été abattus le 1er mai 1891… 32

La classe politique française a pris acte des scores vertigineux de l’extrême droite. Et elle a appris à « en user »… Jusqu’à quand ? L’Assemblée nationale française, où siègent 577 députés.

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Le vote de la colère

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n marge de la victoire d’Emmanuel Macron au soir du second tour de la présidentielle, un résultat est tombé comme un couperet : celui des cinq départements d’outre-mer, tous unis (et très largement) en faveur de la candidate du RN, Marine Le Pen. Le parti d’extrême droite a engrangé 69,6 % en Guadeloupe, 60,87 % en Martinique, 60,7 % en Guyane, 59,57 % à la Réunion et 59,1 % à Mayotte. Au premier tour, les quatre premiers avaient choisi un autre vote « contestataire » en offrant entre 40 et 56 % des voix à Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise, parti champion de la gauche avec près de 22 % des voix au niveau national. Au final, un double message de rejet sans appel venu de ces terres lointaines françaises, qui avaient pourtant massivement voté pour Macron en 2017. Et qui aussi, en 2002, avaient choisi à 93 % Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen. Les raisons de la colère sont multiples. D’abord, le refus du vaccin anti-Covid et du pass sanitaire obligatoire, forçant le 30 décembre dernier 1 000 soignants à être suspendus en Guadeloupe. Avec son lot de manifestations violentes qui ont suivi, réprimées par le GIGN (autre motif de violent mécontentement). Enfin, l’affaire du chlordécone, ce pesticide toxique utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993, dont les responsables, en procès depuis 2006, ont bénéficié d’un arrêt des poursuites (et d’un probable non-lieu)… révélé le 5 avril dernier. Soit cinq jours avant le premier tour, selon un malheureux hasard d’agenda. Mais au-delà de ces motifs, le malaise des départements d’outre-mer, entretenu par une histoire particulière douloureuse, un éloignement géographique du pouvoir central et un lot de problématiques spécifiques à leurs territoires, est à la fois plus grand et plus complexe. Ils se pensent les grands oubliés du système et sont vent debout contre le pouvoir de Paris, les visites électorales agrémentées de colliers de fleurs, « le mépris et l’arrogance » du candidat Macron aussi. Leurs problèmes sont réels. Pour la seule Guadeloupe, un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec 17 % de chômage, 25 % de taux d’illettrisme et des soucis récurrents d’approvisionnement en eau potable… Emmanuel Macron devra donc compter dans les cinq prochaines années avec leur profond ressentiment. Espérons que ses mots, « Je suis votre obligé », prononcés lors de son discours de victoire – destiné aussi aux Français n’ayant pas voté pour lui –, seront suivis d’effets concrets pour ces départements. ■ Emmanuelle Pontié

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Comment expliquer cet essor ? La France lepéniste est celle de la désindustrialisation, du déclassement social des petites communes du Nord, du Centre et de l’Est. La France des centresvilles aux boutiques fermées, des déserts médicaux, des frais de carburant qui amputent le pouvoir d’achat. La France des maisons avec jardin où l’on se méfie de la cité HLM voisine (et de ceux qui y vivent)… Les attentats djihadistes (265 morts sur le sol français depuis janvier 2015) ont aussi pu favoriser les amalgames, éroder le socle républicain, et contribué à faire basculer certains électeurs à l’extrême droite. Cette France des perdants de la mondialisation – admirablement dépeinte dans les romans de Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2018) – n’intéresse plus la classe politique traditionnelle. Pour la gauche sociale-démocrate (qui se montre incapable d’appréhender la problématique de l’insécurité), ce sont des « beaufs » et des « fachos » : en mai 2011, le think tank Terra Nova, proche du Parti socialiste, conseillait même à la gauche de délaisser les ouvriers blancs – perçus comme d’indécrottables réactionnaires – pour se focaliser sur les jeunes, les femmes, les diplômés et les minorités… Et pour la droite classique (dont les politiques de dérégulation libérale fragilisent les plus précaires, les moins diplômés), ce sont des « losers » : en septembre 2018, Emmanuel Macron avait tancé un jeune horticulteur au chômage, lui conseillant de « traverser la rue » pour trouver du travail. Le président de la « start-up nation » s’adresse, lui, à une autre France : celle qui, au contraire, a confiance en elle comme en l’avenir… « Le RN/FN se nourrit parfaitement de l’imaginaire du ressentiment », écrivait sur Twitter, au lendemain du second tour, le photojournaliste Vincent Jarousseau, auteur de plusieurs livres sur la France lepéniste. Ce ressentiment « est un moteur puissant dans des territoires qui ont été abandonnés depuis des décennies ». La majorité des soignantes qu’il a rencontrées « ont voté pour Marine Le Pen : toutes considèrent que les professions qu’elles exercent ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Les questions d’insécurité et d’immigration ne font pas partie de leurs préoccupations ». Cette France est aussi celle des rondspoints où campaient les Gilets jaunes, mouvement social qui a fait trembler l’Élysée à l’hiver 2018-2019. Le paradoxe est qu’Éric Zemmour – qui a terminé à 7 % des voix, avec quelques pointes dans les quartiers huppés – aura réalisé l’exploit de contribuer à la dédiabolisation de sa rivale : comparée au polémiste, dont l’absence totale d’empathie confine parfois à la cruauté, Marine Le Pen, qui prend ses électrices dans ses bras et clame son amour des chats, paraît plus modérée. Ceci étant, même si les dérapages racistes se font plus rares au Rassemblement national, ce serait une tragique erreur d’oublier que ce parti appartient à la sphère idéologique de l’extrême droite, qui englobe Poutine, Trump, le Brésilien Bolsonaro, le Hongrois Orban ou encore le parti polonais Droit et justice (PiS). Derrière le vernis social, le substrat idéologique, demeure la restauration fascisante d’une identité nationale fantasmée, blanche, chrétienne, épurée des influences perçues comme invasives. ■ Cédric Gouverneur AFRIQUE MAGAZINE

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La France lepéniste est celle de la désindustrialisation, du déclassement social des petites communes du Nord, du Centre et de l’Est. AFRIQUE MAGAZINE

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Meeting du RN, à Reims, le 5 février dernier.

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UGO PALHETA « L’extrême droite a gagné la bataille des idées »

Auteur d’ouvrages sur le fascisme et le racisme, le sociologue décrypte l’ascension d’une mouvance autrefois marginale et devenue omniprésente dans le champ politique. propos recueillis par Astrid Krivian

AM : Pour la troisième fois en vingt ans, l’extrême droite s’est retrouvée au second tour de l’élection présidentielle française. Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, vient de réaliser le score le plus élevé de cette famille politique, avec plus de 13 millions de voix. Comment l’analysez-vous ? Ugo Palheta : Ce succès ne repose pas tant

ou la même religion. La xénophobie et l’islamophobie ont été banalisées, pas seulement dans les discours, mais aussi à travers des mesures politiques, notamment menées par le gouvernement d’Emmanuel Macron, comme la loi Asile et immigration pour restreindre les flux migratoires, ou la loi séparatisme, ciblant les musulmans. De même, alors que les évolutions en matière de délinquance sont très contrastées, avec plutôt une baisse des violences les plus graves sur plusieurs décennies, les « grands » médias et le personnel politique ont surfé sur le discours anxiogène de l’insécurité pour imposer des lois de plus en plus répressives. Tout cela a donné du crédit à la vision du monde et aux propositions de l’extrême droite. En imposant ses thèmes (immigration, islam, sécurité…) au cœur du débat public, ainsi que sa rhétorique (« ensauvagement », « islamo-gauchisme »…), l’extrême droite a-t-elle gagné la bataille des idées ?

Là encore, elle domine sur ce terrain non pas par la qualité intrinsèque de ses idées, mais en raison de la pénétration de celles-ci dans une grande partie de la droite, notamment sur la force de ses idées ou l’habileté de son sous Nicolas Sarkozy, et une partie de la gauche. personnel politique. Il procède principalement Défaire le racisme, affronter Ministre de l’Intérieur du gouvernement socialiste du fait qu’une partie du centre-gauche et de le fascisme, Ugo Palheta et de François Hollande, Manuel Valls se vantait la droite, mais aussi des médias dominants, Omar Slaouti, La Dispute, ainsi d’expulser plus de migrants que la droite. a contribué à crédibiliser et à respectabiliser 168 pages, 12 euros. La gauche institutionnelle, notamment le Parti les propositions de ce parti. Le résultat de socialiste (PS), a bien souvent joué la carte identitaire et cette présidentielle est le produit de plusieurs décennies de sécuritaire quand elle était au pouvoir. Si l’extrême droite politiques qui ont accru la précarité, le chômage et la misère, a gagné la bataille des idées, c’est donc en bénéficiant de qui ont affaibli les solidarités collectives dans les entreprises complicités actives dans le monde politique et médiatique. et dans les territoires, et qui ont intensifié la concurrence Bien sûr, elle a construit des canaux pour diffuser son entre les salariés sur le marché du travail. Chacun est idéologie, notamment sur Internet – ce que l’on nomme amené à regarder l’autre comme un concurrent, voire un la « fachosphère ». Mais elle a aussi profité des médias de adversaire, notamment s’il n’a pas la même couleur de peau 36

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aître de conférences à l’université de Lille, actuellement en délégation à l’Institut national d’études démographiques, le sociologue Ugo Palheta est notamment l’auteur de La Possibilité du fascisme : France, la trajectoire du désastre, et vient de cosigner Défaire le racisme, affronter le fascisme avec Omar Slaouti. Membre de l’Observatoire national de l’extrême droite, il livre son analyse sur la poussée historique de ce courant, lequel a réussi à imposer ses idées dans les champs politiques et médiatiques en France ces dernières décennies.


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Marine Le Pen a rassemblé derrière elle pas moins de 13,3 millions d’électeurs.

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grande audience, où son idéologie est de plus en plus présente. Éric Zemmour [polémiste et candidat du parti d’extrême droite Reconquête, ndlr] occupe ainsi à lui tout seul un espace médiatique énorme, beaucoup plus par exemple qu’une organisation de 700 000 membres, comme la Confédération générale du travail (CGT), ou que l’ensemble des intellectuels féministes, antiracistes, etc. Cela pourrait paraître étrange, mais cela semble finalement passer pour évident… Cette omniprésence médiatique va des chaînes de télévision privées (CNews notamment), où des membres de ce courant ont leur rond de serviette dans certaines émissions, jusqu’aux médias du service public (comme le débat organisé sur France 2 entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur). Cela contribue-t-il à banaliser son idéologie ?

Visant à dédiaboliser le RN, Marine Le Pen veille à lisser son image, allant jusqu’à faire des selfies avec ses chats…

Ce processus de normalisation avait commencé avec son père, Jean-Marie. De nombreux reportages le montraient dans des situations du quotidien, avec sa famille, ses filles, sa femme, mais la peopolisation de la vie politique n’était pas aussi poussée qu’aujourd’hui. Celle-ci joue effectivement un rôle important dans cette banalisation de l’extrême droite et dans la dépolitisation des enjeux, des programmes, des projets. Une partie des médias ont été très complaisants à l’égard de Marine Le Pen, et il faut bien dire que, sans eux, sa stratégie de dédiabolisation n’aurait jamais pu être couronnée de succès. En proférant des propos violents et xénophobes, Zemmour a-t-il permis à Le Pen de jouer la carte sociale ? Elle a en effet axé sa campagne sur le pouvoir d’achat, reléguant ses idées de préférence nationale en arrière-plan.

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Avec son parti Reconquête, l’éditorialiste Éric Zemmour a remporté 7 % des votes.

L’affrontement entre les deux candidats n’est-il finalement qu’une façade ?

Il y a un double processus qui a abouti au renforcement de l’extrême droite, de son influence électorale, politique, médiatique, intellectuelle. D’un côté, on a assisté à une normalisation : Marine Le Pen a eu besoin d’élargir son influence en s’adressant à l’électorat de la droite traditionnelle, mais aussi à certaines couches sociales qui étaient autrefois ancrées à gauche. Elle a ainsi réussi à se respectabiliser. Dans le même temps, s’est opérée une extrémisation de la droite. Sarkozy dans les années 2000, Zemmour aujourd’hui, ont cherché à gagner des franges de l’électorat du RN/FN en adoptant agressivement une politique nationaliste, ultrasécuritaire, raciste, cherchant même à doubler Le Pen sur la droite. La jonction de ces deux processus a abouti à un élargissement de l’espace électoral de l’extrême droite. Pour ce qui est du pouvoir d’achat, sa ligne consiste à relier le pouvoir d’achat à des considérations xénophobes. Profitant de la désespérance sociale et de l’affaiblissement des solidarités collectives, Le Pen fait valoir à ses électeurs que pour améliorer leurs conditions de vie, il faudrait s’en prendre à d’autres : les étrangers. En 2002, avant le second tour, le président sortant Jacques Chirac avait refusé de débattre avec son adversaire, Jean-Marie Le Pen. Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il débattu avec Marine Le Pen en 2017 et en 2022 ?

Avec l’installation dans le champ politique de l’extrême droite et sa normalisation médiatique, on voit mal comment le personnel politique pourrait refuser de débattre avec Le Pen AFRIQUE MAGAZINE

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Oui. Certains médias adorent ces provocateurs racistes ou masculinistes, dont ils savent que les propos vont être relayés, retweetés, comme Zemmour. Mais plus profondément, il y a toute une partie des élites médiatiques et politiques qui sont acquises à des idées toujours plus droitières et réactionnaires. Cette adhésion idéologique a également été très visible dans cette campagne présidentielle. À droite, la candidate Valérie Pécresse a repris à son compte la thématique du « grand remplacement » [théorie complotiste et raciste avancée par l’écrivain français Renaud Camus selon laquelle une population non-européenne voudrait intentionnellement venir remplacer la population française, ndlr]. Avec son parti Reconquête, Éric Zemmour a élargi les bases de l’extrême droite, réussissant à l’implanter dans des territoires aux populations aisées, où ni le Front national ni le Rassemblement national n’étaient parvenus à s’installer électoralement. C’est la marque d’une dérive : comme la politique des gouvernements successifs s’est largement droitisée, rapprochée des positions de l’extrême droite, celle-ci apparaît mécaniquement moins extrême.


aujourd’hui. En un certain sens, ce n’est pas elle qui s’est républicanisée, mais la République qui s’est lepenisée. Le FN était autrefois présenté comme un parti anti-démocratique, extérieur à la République ; aujourd’hui, vu ce qu’ont fait les gouvernements depuis vingt ans en matière sécuritaire, migratoire ou vis-à-vis des musulmans, le RN apparaît pour beaucoup comme le parti qui veut aller le plus loin dans le sens des politiques actuelles.

hostiles au projet néolibéral du président Macron ou à ses lois liberticides et islamophobes pourraient constituer un front. La fonction du racisme, c’est de diviser ceux qui pourraient faire reculer ces politiques s’ils étaient unis.

En quoi observez-vous une fascisation de l’État ?

Oui. L’hostilité vis-à-vis des musulmans est un héritage du racisme colonial français. Ce dernier a muté, prend des formes différentes, s’adapte à une situation qui n’est plus coloniale à proprement parler. Zemmour a nommé son parti Reconquête, vocable qui emprunte à la fois à la tradition coloniale et à celle des croisades. Certains politiques parlaient aussi de « reconquérir » les « territoires perdus de la République » : typiquement un langage colonial ! Cette logique est très présente dans ce processus de diabolisation des populations issues de l’immigration postcoloniale. On les considère comme dangereuses. Cette perception saturée de stéréotypes coloniaux a été promue par l’extrême droite, mais également par d’autres acteurs au cours des dernières décennies. Ce cocktail idéologique autour de l’islam, de l’immigration, surprend même certains de nos voisins européens. Le pays traverse de profondes crises (sociales, sanitaires, écologiques), et le personnel politique débat une grande partie du temps de l’islam, lequel est loin d’être la préoccupation principale des Français.

L’adoption de certaines lois liberticides (comme celles liées à la sécurité globale ou au séparatisme), la gestion très autoritaire de la crise sanitaire ou encore la brutalisation du maintien de l’ordre pendant le mouvement des Gilets jaunes, témoignent de cette fascisation. Des dispositifs de l’État d’urgence sont passés dans le droit commun et font désormais partie du registre ordinaire d’intervention de l’État (perquisition administrative, assignation à résidence, fermeture de lieux de culte…). Des organisations comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), ou encore le collectif Palestine vaincra ont été dissoutes sur la base de motifs très vagues. Les mosquées peuvent être fermées sous prétexte que des imams dénoncent une islamophobie d’État. Depuis les attentats islamistes des années 1990, on a également empilé des lois antiterroristes qui n’ont pas permis de prévenir la vague d’attentats de 2015, mais qui ont clairement restreint les libertés publiques et les droits démocratiques, renforçant l’arbitraire d’État, et donnant toujours plus de pouvoir et d’autonomie à la police. Pensez-vous, comme la sociologue Kaoutar Harchi, que la pensée néolibérale et la pensée raciste ont besoin l’une de l’autre ?

« En un certain sens, ce n’est pas Le Pen qui s’est républicanisée, mais la République qui s’est lepenisée. »

Oui, dans une certaine mesure, même s’il y a des variations selon les contextes nationaux. Quand il entre en crise, qu’il fait face à des résistances populaires, le néolibéralisme est tenté de jouer la carte autoritaire mais aussi raciste, identitaire, la logique du bouc émissaire. Les gouvernements peuvent le faire d’autant plus aisément qu’ils s’appuient sur les structures raciales de la société, ancrées dans les mentalités et dans les pratiques institutionnelles, telle la police par exemple. C’est particulièrement vrai pour une vieille puissance impériale en déclin comme la France, où le racisme est profondément enraciné, du fait de quatre siècles et demi d’esclavage, de colonialisme, puis de néocolonialisme. Ce discours qui prétend que la nation serait menacée par des minorités communautaristes, séparatistes, fait diversion face aux difficultés politiques et à la crise sociale, mais c’est aussi un moyen de diviser l’adversaire : ces citoyens mobilisés, AFRIQUE MAGAZINE

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Le RN est la continuité du FN, parti cofondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, lequel a combattu pour l’Algérie française. La présence de l’extrême droite témoigne-t-elle d’un passé colonial pas encore soldé ?

L’extrême droite s’inscrit dans une tradition française très ancienne, depuis la Révolution française, en passant par Charles Maurras et Philippe Pétain.

Il y a une présence longue et centrale de l’extrême droite dans le champ politique français, avec des courants très réactionnaires et violents. Après l’Italie, la France est l’un des pays européens où l’extrême droite a réussi à renaître le plus précocement après la Seconde Guerre mondiale. En Allemagne, des groupuscules néonazis violents ont commis des assassinats plus nombreux qu’en France dans les années 1980-1990, mais au niveau électoral, l’extrême droite outre-Rhin demeurait très faible, jusqu’à l’émergence de l’Alternative pour l’Allemagne (AFD). En France, au début des années 1980, l’extrême droite est parvenue à renaître électoralement, politiquement, et un peu sur le terrain. Elle s’appuie sur les crises sociales et politiques que le pays traverse depuis des décennies, mais aussi sur le racisme colonial qui n’a jamais disparu. Cela explique en partie qu’elle ait pu renaître aussi facilement, en utilisant ce fonds colonial et antisémite. Le RN est aussi l’héritier de cette histoire. ■ 39


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FATOU DIOME LES COMPLEXES COLONIAUX DONT CERTAINS NE GUÉRISSENT PAS…

Dans son essai Marianne face aux faussaires, l’écrivaine franco-sénégalaise s’élève contre la dérive du débat politique en France. Elle déconstruit le discours des identitaires et rappelle les valeurs humanistes, universelles. propos recueillis par Astrid Krivian

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nstallée en Alsace depuis 1994, l’écrivaine a observé la dérive du discours politique français au fil des années : depuis la « fracture sociale » de Jacques Chirac, à l’« identité nationale » défendue par Nicolas Sarkozy, jusqu’au « grand remplacement » avancé par Éric Zemmour. Après son essai Marianne porte plainte !, publié au moment de l’élection présidentielle de 2017, Fatou Diome signe Marianne face aux faussaires. Sans se départir de son humour ni de son style imagé, l’autrice du Ventre de l’Atlantique rappelle les valeurs humanistes et les principes républicains aux identitaires et aux idéologues d’extrême droite. Face à ces esprits étriqués, elle défend la complexité et la richesse de l’identité, l’ouverture et le dialogue des cultures. Révoltée par la stigmatisation de la population musulmane au nom de la laïcité, elle s’insurge aussi contre les militants dévoyés, ces « faux bergers ». Dénonçant les accords iniques entre l’Europe et l’Afrique, elle appelle aussi les jeunesses africaines à prendre leur destin en mains et à se libérer du passé. AM : À qui s’adresse la question posée dans votre dernier essai, Marianne face aux faussaires : « Peut-on devenir français ?» Fatou Diome : À ceux qui pèsent et soupèsent

Certains individus violents refusent votre légitimité, votre liberté d’expression. Vous mentionnez dans votre ouvrage des lettres d’insultes, des menaces de mort dont vous avez été la cible après la publication de Marianne porte plainte ! en 2017…

« Les racines d’un être humain ne font pas de lui l’otage de son berceau. »

la nationalité de ceux qui ne leur ressemblent pas. Aux yeux des identitaires, il n’est pas possible de devenir français, car ils limitent la France à la terre, au sol. Pour moi, la France incarne l’ouverture au monde, le dialogue des cultures. Je défends ce que j’aime dans ce pays, qui m’a accueillie et fait rêver : la Constitution, les lois et les valeurs de la République démocratique qui font de moi une Française. Sans elles, je n’aurais pas eu la légitimité de prendre la parole en tant que citoyenne. Je participe à la vie sociale et politique du pays où je vis : 40

ayant les mêmes droits que les autres citoyens, j’ai aussi les mêmes devoirs. Lors des campagnes électorales, étant en désaccord avec certaines choses, mon devoir moral est d’agir à ma mesure, de combattre pour les valeurs de la République française, lesquelles sont d’ailleurs universelles. La nationalité n’est pas une ethnie, encore moins une couleur de peau, c’est un ensemble de valeurs auxquelles on adhère. Souscrire à la Constitution française ne signifie donc pas que je renie celle du Sénégal – les deux étant d’ailleurs très semblables.

J’ignore à qui s’adressent ces gens [rires]. Je ne me sens pas concernée par leurs insultes, comme « Tu es en France pour profiter des allocations ! » Que ce soit en France ou au Sénégal, je n’ai jamais vécu tel que l’imaginent ces êtres aveuglés de préjugés. J’ai toujours travaillé, payé mon loyer rubis sur l’ongle. Peut-être que ceux qui m’envoient ces lettres vivent justement de ces aides, d’où leur peur de les perdre. Qu’ils n’aient crainte, ce n’est pas moi qui leur ôterai le pain de la bouche ! Pourquoi certains n’acceptent pas le fait que vous soyez franco-sénégalaise ?

Je l’ignore. Il faudra pourtant qu’ils s’y fassent ! Je n’ai pas à choisir entre les deux pays. Ma culture française est en moi, tout comme ma culture sénégalaise m’habite. Je n’ai pas à le démontrer, c’est un état de fait, je me contente de le vivre. J’ai eu la chance d’être élevée par mes grands-parents, donc de connaître l’Afrique traditionnelle, historique, celle de mes ancêtres, mais les racines d’un être humain ne font AFRIQUE MAGAZINE

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pas de lui l’otage de son berceau. On n’est pas des baobabs ni des cocotiers ! Les racines se situent dans la tête, on les transporte partout avec soi. Je me sens très sérère au cœur de l’Alsace, et pleinement française au Sine-Saloum. C’est une chance de voir son identité se ramifier, d’envelopper d’autres humanités. Certains semblent n’y voir que complexité, mais, pour moi, le tout compose une richesse de l’âme.

ASTRID DI CROLLALANZA

Vous vous situez d’une façon métaphorique sur ce trait d’union, cette passerelle entre vos deux nationalités ?

Ce trait d’union est très symbolique, car aucun de ces deux mots ne suffit à dire qui je suis. Pour certains, je suis une Française, mais à un degré moindre. Pour d’autres, au Sénégal, c’est presque insupportable d’entendre que je suis franco-sénégalaise : « Tu es née ici, donc tu es sénégalaise, un point c’est tout ! » Le fait est que ni les uns ni les autres n’ont à définir mon identité à ma place. Mon cœur sait mieux que quiconque en qui et en quoi je me reconnais. Et je ne veux ni dissocier ni renier les pans de ma vie. Les identitaires se trouvent ici comme là-bas et se nourrissent mutuellement de leurs antagonismes. Dès que vous parlez de l’Europe en bien, certains Africains vous traitent de « vendu ». Et en France, quand vous assumez votre attachement à vos origines, les nationalistes vous soupçonnent de manquer de loyauté envers votre pays d’adoption. Tout comme la liberté, la binationalité a son prix, affronter les loups des deux rives en fait partie. Vous faites souvent référence aux enseignements transmis par votre grand-père, qui était pêcheur. Il demeure votre boussole, votre phare ?

Oui. Il m’a appris à négocier les vagues. Quand deux barques se croisent, disait-il, chacune ignore le contenu AFRIQUE MAGAZINE

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de l’autre. Or, certains humains essaient toujours de cataloguer, d’assigner une identité dès le premier coup d’œil. L’apparence physique suffit-elle pour deviner la culture ou la nationalité d’une personne ? Nous, binationaux, nous nous situons à une intersection, celle du dialogue des cultures. À la fois d’ici et d’ailleurs, nous vivons les confluences, incarnons l’addition. Mais les esprits fermés comprendront-ils un jour que la multiple appartenance, elle aussi, est une identité ? Qui sont les faussaires face à Marianne ?

Les identitaires, les racistes, les nationalistes, les esprits étriqués qui détournent les lois par idéologie et les faux bergers, ceux qui s’autoproclament guides et se servent de la religion pour manipuler les esprits, mais aussi les propagateurs du militantisme dévoyé, usurpateurs de nobles causes. Ceux-là, au lieu d’œuvrer pour une franche libération, ils vous assignent un éternel statut de victime, au nom de l’histoire. Un être qui cultive le malheur des autres pour exister n’est assurément pas un guide ! Nous avons eu de vrais modèles dans les luttes antiracistes, comme Martin Luther King ou Nelson Mandela, emprisonné vingt-sept longues années en raison de ses convictions. Pourtant, quand il a accédé au pouvoir, il a mené une politique de pacification et de réconciliation de la société sud-africaine et prôné une nation arc-en-ciel. Il faut comprendre les malheurs de l’histoire, c’est-à-dire les analyser, les placer dans leur contexte et, surtout, éviter les anachronismes. Il s’agit de considérer la réalité actuelle, réfléchir ensemble à la façon d’améliorer les choses. C’est cela mon combat. Étudier l’histoire doit servir à nous réconcilier, à trouver une solution afin que, plus jamais, les drames passés ne se reproduisent. Chercher seulement 41


POUVOIRS

des coupables ne changera rien à notre condition. Alors, au lieu de s’épuiser à lutter contre des fantômes, luttons pour des idées utiles : la liberté, l’égalité de tous, la fraternité, le dialogue social, la paix entre les peuples, une quête universelle qui transcende les frontières et reconnaît notre humanité commune. Cette démarche-là me semble plus sensée que de détailler nos blessures, gratter des plaies historiques et faire saigner les cœurs indéfiniment. Ce qui développera l’Afrique, c’est une prise de conscience fière, déterminée, solide et pragmatique. Les ennemis d’hier sont les partenaires d’aujourd’hui, et l’invective n’aide dans aucune négociation, au contraire, c’est une arme de perdant. Si ce passé ne passe pas, n’est-ce pas aussi parce que demeurent un néocolonialisme, une emprise des puissances occidentales sur le continent, causes de profondes inégalités ?

J’ai choisi ma manière de lutter justement parce que j’ai conscience de la situation. On peut dénoncer les injustes accords de partenariat, ces contrats léonins actuels entre l’Europe et l’Afrique, sans être obligé de rabâcher trois siècles d’esclavage, de colonialisme, etc. Qui peut manquer d’arguments, avec les éléments économiques et scientifiques disponibles ? Nul besoin de se référer à la colonisation pour souligner que l’abaissement des taxes douanières en Afrique, voulu par l’Europe, ne sert qu’à étendre le marché européen et qu’il s’agit là d’une injustice qui écrase les agriculteurs et les entrepreneurs africains. Ce système étouffe le marché local et vassalise les peuples. Il maintient l’Afrique en état de fonctionnement minimal et de consommation maximale, mais pas en état de production suffisante pour son autonomie. Lutter contre cette situation n’est-ce pas plus urgent, plus essentiel que de rivaliser de sermons contre les coupables de la colonisation ? Cette dernière a des conséquences, il s’agit d’y remédier. On n’a pas besoin de haïr les autres pour construire sa dignité. On peut se battre sans battre les autres, disait mon grand-père. Mettons-nous au labeur et laissons les historiens faire leur travail. Pour un peuple, saisir la tragédie de l’histoire, ce n’est pas s’en émouvoir à perpétuité, c’est œuvrer en sorte que sa reproduction soit impossible. On ne peut pas réparer certaines blessures, cependant, se respecter, œuvrer à la reconquête de sa dignité, voilà la meilleure réponse à toute histoire douloureuse ! Quel message adressez-vous aux jeunesses africaines ?

Ce millénaire doit aussi être le leur. Je ne peux que répéter ceci : le ressentiment retient, freine, réduit les possibles, libérez-vous-en et croyez en votre potentiel. N’écoutez pas ceux qui vous martèlent que votre avenir est oblitéré, ceux-là véhiculent une mentalité de perdant. Il faut un peu d’espoir et de la confiance en soi pour avancer. Ceux qui cultivent l’aigreur alourdissent les jeunes d’amertume. Cette jeunesse doit retrouver la foi en l’avenir, le plaisir de rêver, de se projeter vers le meilleur d’elle-même. Rendons-lui 42

sa fierté, son honneur et, surtout, un imaginaire positif. Que l’on ne vienne pas me dire que je donne des leçons, je ne fais que partager mon expérience et ce qui m’a aidée à vivre. Le combat africain ne doit pas devenir un happening permanent de militants dévoyés, qui leurrent les autres pour se faire valoir. On n’est pas obligé de n’avoir que l’Afrique comme unique sujet de débat, sous prétexte que l’on est africain, la couleur n’est pas une compétence. Pourquoi faut-il toujours se revendiquer militant pour exister ? Depuis le combat de la négritude, on se croit obligé de s’engager en politique dès lors que l’on a le baccalauréat. Libérerons-nous de ce résidu de complexe colonial, il y a tant de manières de servir son peuple. Quel conseil donneriez-vous à un jeune Sénégalais pour l’encourager à rêver et à se réaliser dans son pays ?

On peut décider de qui l’on veut être, à la mesure de ses possibilités. Ce n’est pas facile, mais cette intention peut vous porter. Pardon, je ne prétends pas que ça marche pour tout le monde, mais cette motivation me semble salutaire, c’est ce qui m’a sortie de la galère : les études et la ténacité. J’ai exercé de multiples petits boulots, avec acharnement, aussi dur que je le pouvais, car plus je rêvais à mes projets, plus je redoublais d’efforts. Mais à chacun de fixer son échelle. Les banquiers vous diront que les gains sont à la mesure des risques pris par l’investisseur [rires] ! Pour tout humain, il faut du courage pour affronter sa condition existentielle. Et si les circonstances peuvent être terribles en Afrique, elles sont parfois pires en Europe, regardez le nombre de personnes sans domicile fixe… En Afrique, dormir dans la rue est extrêmement rare, il y a toujours un membre de la famille pour vous héberger ; les proches, en général, se sentent concernés par votre sort. Comment analysez-vous cette banalisation de l’extrême droite en France ces dernières décennies ?

Une digue s’est rompue. La gauche s’est autorisée à reprendre certaines thèses portées par l’extrême droite, comme le fameux projet de loi sur la déchéance de nationalité, grave erreur du gouvernement socialiste de Manuel Valls… Comment cette gauche peut-elle ensuite prétendre combattre les idées du Rassemblement national ? Ils se sont discrédités, à force de se promener sur des terrains thématiques qui n’appartiennent pas historiquement à leur bord politique. Ils ont mis le Parti socialiste en miettes. Pour les Français venus d’ailleurs, la gauche était un refuge naturel. Certes ! Mais au point d’obéir aux injonctions de la droite extrême ? Eh bien non ! Déçus, beaucoup ont pris le large et poursuivent leur combat librement. Que vous inspire cette tactique de Marine Le Pen pour se construire une image de femme politique « normale » ?

Elle a beau essayer d’adoucir son image et poser autrement sa voix, nous ne sommes pas dupes. À lire son programme, les droits de l’homme sont, dirait-on, inventés AFRIQUE MAGAZINE

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pour les lémuriens ! Comme sa droite radicale est acquise, elle tient désormais un discours pseudo-social pour endormir son monde. Mais elle ne sait même pas comment financer ses mesures, à part confisquer les minima accordés aux étrangers. Alors, la Marine-marchande-de-haine peut-elle devenir une Marine-marchande-d’amour ? Envoyez cette question à Nostradamus ! Désigner un bouc émissaire, l’étranger en l’occurrence, est-ce une tentative pour détourner l’opinion publique des inégalités profondes causées par le système capitaliste ?

On préfère opposer les faibles, la société populaire occidentale, à celle venue d’ailleurs, en particulier, des tropiques. Ainsi, les puissants peuvent continuer à régner sans se remettre en question. Les pauvres d’ici doivent se sentir menacés par ceux venus d’autre part. Les nationalistes et les idéologues d’extrême droite font le jeu du capitalisme, car, en opposant les misérables, ils sabotent la possibilité d’une Internationale des prolétaires, solidarité pourtant nécessaire à l’amélioration de leur sort. Ici comme ailleurs, ce sont toujours les couches sociales les plus défavorisées qui paient les pots cassés du capitalisme. En Occident, les plus démunis qui sont séduits par l’extrême droite doivent comprendre que migrants et réfugiés souffrent pareillement qu’eux des conséquences du même système. Tant que la redistribution des richesses mondiales ne se fera pas équitablement, des populations continueront de fuir les zones de précarité pour aller vers les îlots de richesse. L’Europe n’est pas vraiment exemplaire en matière d’accueil des réfugiés…

« Qu’est-ce qui pose problème : l’immigré ou sa couleur de peau et sa religion ?»

Qu’est-ce qui pose problème : l’immigré ou sa couleur de peau et sa religion ? La question mérite d’être posée. Qu’a-t-on fait pour les réfugiés irakiens et libyens dont le pays a été saccagé ? Et, d’ailleurs, par qui ? Ceux-là mêmes qui les repoussent aux frontières ! Il faut soutenir et secourir tout le monde. La France a récemment organisé l’accueil des réfugiés ukrainiens, et c’est très bien, mais pendant ce temps, d’autres arrivés depuis des années n’ont toujours pas de toit ni obtenu le statut de réfugié. Un député [Jean-Louis Bourlanges, du Modem, ndlr] a même osé parler d’immigrés de « grande qualité » ! Ainsi, certains de ses semblables ne sont, à ses yeux, que du matériel bas de gamme ! C’est du racisme primaire et stupide. Cependant, gardons-nous des amalgames, ces personnes au verbe nauséabond n’expriment que leur propre idéologie et ne représentent absolument pas tous nos compatriotes. Vous dénoncez également l’hypocrisie de l’aide humanitaire que l’Europe verse à l’Afrique…

L’Europe adore donner des leçons au monde, d’un air supérieur. En France, les identitaires se gargarisent de ce AFRIQUE MAGAZINE

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discours : « On aide constamment l’Afrique ! » Cette hypocrisie doit être démontée. Les impôts des Français ne vont pas dans la poche des Africains ! Ils permettent de maintenir un système perverti, qui considère encore l’Afrique comme une extension du domaine de la puissance occidentale. Quand l’Europe aide, soi-disant, des entreprises du continent, celles-ci sont obligées d’acheter leur matériel de pointe à l’Europe, elles restent donc une clientèle captive. Il n’y a pas ou très peu de transfert de technologie. En cas de panne de ces machines, elles paient encore l’ingénierie du fournisseur, qui règne sur son domaine lucratif comme un chef de canton de l’époque coloniale. C’est ça, aider l’Afrique ? Réparer ou remplacer un scanner en panne dans un hôpital sénégalais prend des mois… Pendant ce temps, les femmes peuvent mourir de leur cancer du sein. Tout ça pour des histoires de brevet, de propriété intellectuelle, de sous ! On préfère laisser mourir les habitants du tiers-monde plutôt que de faire du transfert de technologie un moteur du développement. Cela permettrait pourtant de produire des médicaments, des pièces techniques nécessaires et de s’assumer vraiment. L’autonomie, c’est aussi d’acquérir la compétence scientifique et technique. Mais non, on maintient l’Afrique en état de dépendance, sous tutelle. Une tutelle profitable à l’Europe, qui se garde bien d’en parler. Ce n’est pas éthique. Que proposez-vous pour sortir de ce système ?

Tout vrai dirigeant africain devrait avoir pour ambition de casser ce cercle vicieux. Quand on interdit à ces pays de fabriquer certains médicaments à cause de brevets, qu’ils aient l’audace de les produire, au nom du droit au soin de leur peuple. Oui, les inventeurs ont droit à leurs gains, mais les morts ne font pas des clients ! Alors, est-il plus important de respecter un brevet que de sauver des vies ? Certains pays du Sud ont eu raison de produire les médicaments contre le sida qui leur étaient inaccessibles, sans quoi leurs populations seraient encore en train de mourir faute de trithérapie. Et en parlant d’aide, la somme d’argent envoyée par les immigrés vers leur pays d’origine est nettement plus élevée que l’aide que l’Europe dit accorder à l’Afrique. Rendre l’immigration plus facile, plus cadrée, mieux organisée pourrait permettre à l’Afrique de se passer de cette aide. On pourrait aussi imaginer, par exemple, qu’à la place, les pays européens acceptent de rétrocéder 20 à 30 % des impôts des immigrés et des binationaux à leur pays d’origine : cela constituerait une plus importante rentrée de devises et nous épargnerait le mépris constant des nationalistes qui s’obstinent à croire l’Afrique sous perfusion, alors que ses ressources fortifient les pilleurs. ■ 43


CE QUE J’AI APPRIS

Hassane Kassi Kouyaté LE METTEUR EN SCÈNE BURKINABÉ

met en lumière l’illustre auteur malien dans son spectacle Le Fabuleux Destin d’Amadou Hampâté Bâ, présenté en mars dernier au festival Africapitales, à Paris. propos recueillis par Astrid Krivian Dans ma famille, nous sommes griots de père en fils et de mère en fille depuis 1235. Mon père était acteur, j’ai baigné dans le théâtre. Comme dit le proverbe, il est difficile que l’oiseau vole et que ses petits rampent. Je jouais déjà dans le ventre de ma mère, sur son dos, puis à côté de mes parents… Je faisais mes devoirs au milieu des répétitions.

J’ai étudié le commerce, car il fallait apprendre un métier. Ça m’a servi pour la création de structures. Ainsi, à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, j’ai fondé le festival international de contes, de musique et de danse Yeleen, le centre culturel et social Djéliya, la Maison de la parole, ainsi que le Salon international du livre de jeunesse et de la littérature orale. Ce sont des lieux d’échange, d’information, de formation, d’expression pour aider à la création et à la diffusion. En tant qu’aînés, nous devons tracer et baliser le chemin pour la nouvelle génération. Comment vivre ensemble si l’on ne connaît pas nos histoires, nos racines ? Il faut regarder l’histoire dans les yeux. Nous ne sommes pas responsables des actes de nos aïeux, mais nous en sommes les héritiers. Les enfants ne connaissent pas les fondamentaux, le legs de ces grandes dames et grands hommes dont les œuvres appartiennent à l’humanité, au Tout-Monde. Leur grandeur atteint l’universel. À travers le théâtre documentaire ou historique, je travaille autour de Suzanne Césaire, Sony Labou Tansi, Kateb Yacine, Miriam Makeba, Amadou Hampâté Bâ… Ce dernier disait : « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. » Amadou est une bibliothèque qui n’a pas brûlé. J’ai encore beaucoup à apprendre de lui. Le théâtre est une agora pour porter ces sujets sur la place publique, afin de susciter l’intérêt. Je travaille pour l’humanité, et non pas pour être consacré « grand » metteur en scène.

Le Fabuleux Destin Je dirige le festival Les Francophonies, des écritures à la scène, d’Amadou Hampâté Bâ, à Limoges, afin de faire découvrir les artistes francophones. Il s’agit de désenclaver, compagnie Deux temps trois mouvements. de faire éclater la consanguinité de la création théâtrale française. Et de l’enrichir avec la singularité de créateurs issus d’autres continents, lesquels nous apprennent à dire le monde autrement, par d’autres fenêtres, nous éclairent différemment sur nos faits de société. La bêtise, l’amour, la haine, la gentillesse, la sagesse… sont les choses les plus partagées au monde. Mais on ne les aborde pas à travers le même angle. C’est pour cela que je ne parle pas de « la » francophonie – façon hégémonique de globaliser les choses, qui les appauvrit – mais « des » francophonies, car les imaginaires diffèrent selon les territoires. ■

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DR

Mes spectacles témoignent de mon syncrétisme artistique. Je suis le produit de la tradition mandingue des griots – qui comprend la musique, le conte, l’histoire, le proverbe – et du théâtre occidental traditionnel, moderne et contemporain. À l’heure du numérique, j’inclus aussi les images sur scène. Je suis à l’écoute de la vie. Je suis de l’oralité, de l’écrit, du visuel, de la musique. Je me définis comme un zèbre, où le noir et le blanc sont bien dessinés, ils s’éclairent mutuellement. Je convoque l’un ou l’autre selon mes besoins.


ALAIN LEROY/SAIF IMAGES

«Nous ne sommes pas responsables des actes de nos aïeux, mais nous en sommes les héritiers.»


IL EST ENCORE TEMPS!

environnement

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ERIC LE GO/ONLYWORLD.NET XXXXXXX

L’impact du réchauffement climatique s’amplifie sur le continent. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié le 4 avril, nous empresse d’agir afin d’inverser la tendance avant 2025. Ce qui laisse environ un millier de jours pour se retrousser les manches… La bonne nouvelle est que des solutions existent. Et que l’Afrique dispose de nombreux atouts pour les déployer. par Cédric Gouverneur

Le site de Dead Vlei, dans le désert du Namib, en Namibie. Les arbres y sont morts, mais avec la sécheresse, ils ne se décomposent plus.

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ous nous trouvons à la croisée des chemins », indiquait dans un communiqué le 4 avril dernier le Sud-Coréen Hoesung Lee, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en rendant public le rapport du groupe de travail 3, Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change*. La situation est grave, mais elle n’est pas désespérée. Les experts du GIEC se disent un peu agacés des raccourcis de certains médias qui, début avril, ont titré sur les « trois années » pour encore habiter « un monde vivable », telle une ultime ligne droite avant la fin du monde, comme dans un film catastrophe hollywoodien. La réalité est plus nuancée : « Je vous confirme que cet intervalle de trois années, qu’on a lu et entendu ici et là, n’est pas cohérent avec le contenu du rapport », nous explique l’un de ses coauteurs, Franck Lecocq. Le directeur du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement a coordonné le chapitre 4, consacré à la réduction des émissions carbone, avec entre autres les chercheurs zambien Julius Daka et sud-africain Harald Winkler. « Nous expliquons qu’il faut baisser drastiquement les émissions pour que leur pic soit atteint en 2025, sinon l’objectif d’un réchauffement à 1,5° C se trouvera hors de portée. Les défis qui se trouvent devant nous sont suffisamment immenses et anxiogènes, inutile d’en rajouter ! » tempère-t-il. Car sans action drastique, les émissions de gaz à effet de serre pourraient entraîner à la fin du siècle un réchauffement de 3,2° C, aux impacts dantesques… Il n’en demeure pas moins qu’« en prenant les bonnes décisions aujourd’hui, nous pouvons garantir un avenir vivable ». Les prochaines années seront « décisives », estime le GIEC : « Durant la période 20102019, les émissions mondiales annuelles moyennes de gaz à effet de serre étaient à leur plus haut niveau dans l’histoire de l’humanité, mais leur rythme d’augmentation a ralenti. » Désormais, « pour limiter le réchauffement à 1,5° C », les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront atteindre leur pic vers 2025, « puis diminuer de 43 % d’ici à 2030 ». Ensuite, « la température planétaire se stabilisera lorsque les émissions de dioxyde de carbone seront ramenées à une valeur nette de zéro ». Cette fameuse « neutralité carbone » que l’Union européenne aspire à atteindre à l’horizon 2050. Le continent, encore faiblement industrialisé, émet peu de gaz à effet de serre : 4 % des émissions globales de dioxyde de carbone selon les estimations du GIEC. Sans comparaison avec les 23 % de l’Amérique du Nord, les 16 % de l’Union européenne 48

ou les 12 % de l’Asie du Nord-Est… Il se trouve cependant sur la ligne de front du réchauffement. La série de calamités endurées par l’Afrique australe, dévastée tour à tour par des épisodes de sécheresse et de déluge, constitue autant d’indices dramatiques : le 11 avril, dans la province du KwaZulu-Natal (côte est de l’Afrique du Sud), des inondations sans précédent ont coûté la vie à environ 450 personnes. Selon le service météorologique sud-africain, les pluies torrentielles ont été amplifiées par le changement climatique. Depuis janvier, l’Afrique australe a été frappée par pas moins de trois cyclones et deux tempêtes tropicales, selon une étude du World Weather Attribution. Les États africains situés dans l’hémisphère nord ont quant à eux subi pour environ 38 milliards de dollars de dégâts à cause de la désertification lors de la seule année 2020, d’après l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). « Le risque est que l’extrême vulnérabilité climatique mette en péril les progrès socio-économiques réalisés sur le continent et son développement durable », indique le récent rapport de l’agence, Renewable Energy Market Analysis : Africa and its Regions**. Le Mozambique en constitue un tragique exemple : selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture AFRIQUE MAGAZINE

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YANN ARTHUS-BERTRAND/HEMIS.FR

Deux tiers des villes africaines courent « un risque extrême », du fait des menaces d’inondations, conséquences du réchauffement couplé à leur croissance chaotique et à leurs infrastructures inadaptées. Lagos est l’une d’entre elles.

(FAO), 70 % des habitants pâtissent désormais des sécheresses et des inondations qui alternent dans ce pays lusophone, dont le relèvement économique lors de la décennie 2000, après un quart de siècle de guerre civile, avait pourtant été qualifié de « miracle »… « L’agriculture est particulièrement vulnérable au choc climatique, qui va frapper de plus en plus les rendements, les moissons et le bétail », ajoute l’IRENA. Le Maroc connaît ainsi sa pire sécheresse depuis quatre décennies. Selon le ministère de l’Agriculture, le phénomène devrait s’intensifier d’ici 2050, du fait d’une baisse de la pluviométrie de 11 % et d’une hausse des températures de 1,3°. Deux tiers des villes africaines courent « un risque extrême », selon un rapport du cabinet britannique de conseil en stratégie Verisk Maplecroft, du fait du réchauffement, couplé à leur croissance chaotique et à leurs infrastructures inadaptées : Lagos, Kinshasa, Dakar, mais aussi Monrovia ou Bangui… Sans compter que le lac Tchad « rétrécit, alors que sa population explose », comme l’a résumé le président nigérian Muhammadu Buhari. Les conséquences du réchauffement sont également sécuritaires : l’essor des djihadistes de Boko Haram n’est pas sans rapport avec la paupérisation des riverains du lac… AFRIQUE MAGAZINE

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Nous émettons 4 % des émissions globales de CO2, mais nous sommes sur la ligne

de front. UNE ACTION CLIMATIQUE TANGIBLE

La bonne nouvelle est que des solutions existent. Le GIEC souligne même que « la portée de l’action climatique devient de plus en plus tangible » : « Les mesures prises dans de nombreux pays me rendent optimiste, n’hésite pas à écrire Hoesung Lee. Plusieurs politiques, réglementations et instruments du marché se révèlent efficaces. Si nous les appliquons systématiquement, à plus grande échelle et de manière plus équitable, ils pourront contribuer à réduire radicalement les émissions et à stimuler 49


ENVIRONNEMENT

l’innovation. Dans tous les secteurs, nous disposons de solutions pour les réduire au moins de moitié d’ici 2030. » « Les politiques climatiques en place couvrent déjà 56 % des émissions mondiales, nous précise Franck Lecocq. Le potentiel est là pour les diminuer de moitié à l’horizon 2030, pour un coût inférieur à 100 dollars la tonne de CO2. Nous avons toute une panoplie d’options à notre disposition. » « Le continent africain est dans sa phase initiale de développement », a rappelé à nos confrères de Jeune Afrique Youba Sokona, vice-président malien du GIEC et ex-directeur du Centre africain pour la politique en matière de climat (créé en 2010 par l’Union africaine, la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies et la Banque africaine de développement). « Ce désavantage constitue un avantage énorme sur le chemin de la transition. » Et d’expliquer : « Nos systèmes énergétiques sont en phase de construction, il faut en profiter pour les orienter vers des systèmes décarbonés et renouvelables. » Ce que les économistes appellent le leapfrog (« saut de grenouille » en anglais). Exactement comme l’irruption technologique du téléphone mobile avait été mise à profit par le continent, dans les années 2000, pour sauter l’étape du branchement téléphonique filaire, devenue technologiquement obsolète. Ces solutions consistent en premier lieu au déploiement à grande échelle des énergies renouvelables, dont les coûts se sont vus quasiment divisés par 10 en une décennie ! « Une baisse de 85 % du prix de l’énergie solaire, d’autant pour les batteries ion-lithium, et de 55 % pour l’éolien », précise Franck Lecocq. Cela se traduit par une forte hausse de leur déploiement. Certes, sur les 2 800 milliards de dollars investis dans les énergies renouvelables à travers le globe entre 2000 et 2020, 2 % seulement l’ont été en Afrique, selon les calculs de l’IRENA. Mais 10 fois plus l’ont été dans la dernière décennie : 55 milliards entre 2010 et 2020, contre 4,8 milliards entre 2000 et 2010. Rien qu’entre 2016 et 2019, rappelle l’agence internationale, « le solaire a permis à 8,5 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne d’accéder à l’électricité ». Mais il n’en demeure pas moins que cette croissance « est encore loin de ce qu’elle devrait être ». Sur un continent où le taux d’électrification n’est que de 46 % (contre 33 % en 2010), la généralisation de l’équipement en énergies renouvelables sera tout bénéfice, promettant « des gains substantiels en matière de PIB, d’emplois et de bien-être ». L’agence souligne que les investissements dans le renouvelable sur le continent sont très inégalement répartis. Quatre pays seulement en cumulent les trois quarts : le Maroc (où se trouve l’un des plus importants parcs de panneaux solaires au monde, Noor Ouarzazate), l’Égypte, le Kenya et l’Afrique du Sud. « Le résultat de politiques et de mécanismes de financement aptes à capter les investissements », juge l’IRENA. Autre déséquilibre : les trois quarts des dispositifs producteurs d’énergies renouvelables sont fabriqués dans seulement quatre pays industriels, à savoir les États-Unis, l’Allemagne, la Chine et le Japon. Le risque est clairement de reproduire, dans le 50

La centrale thermo-solaire d’Ain Beni Mathar, dans le nord-est du Maroc. Le pays connaît sa pire sécheresse depuis quatre décennies.

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Les solutions consistent en premier lieu au ABDELHAK SENNA/AFP

déploiement

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à grande échelle des énergies renouvelables. 51


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ENVIRONNEMENT

Souleymane Bachir Diagne «Notre Terre est une» Nous payons au prix fort les impacts d’un réchauffement climatique auquel nous n’avons que peu contribué. Le philosophe sénégalais en appelle donc à une plus grande solidarité internationale, sur le principe du « pollueur-payeur ». propos recueillis par Cédric Gouverneur

à l’esprit. Le continent ne contribue au réchauffement climatique que de façon marginale, mais les impacts des gaz à effet de serre concernent la planète en sa totalité. L’Afrique souffre autant, sinon davantage, que les autres continents. Notre Terre est une, donc les actions exercées localement ont des conséquences globales. En témoigne la désertification : le désert avance de 10 centimètres par heure ! L’édification de la Grande muraille verte figure parmi les priorités de l’Union africaine. Mais ce projet devrait logiquement être l’œuvre du monde entier, puisque la désertification est également la conséquence des émissions globales de gaz à effet de serre. Un investissement massif et international dans cette muraille verte est une question de justice. C’est le principe du pollueurpayeur : qui détruit doit payer. D’autant que l’ériger sera à l’avantage de chacun : améliorer la respiration de notre planète permet, à tous, de mieux respirer. Le modèle de développement véhiculé en Afrique a longtemps été celui d’une croissance continue, d’un « rattrapage » par rapport aux pays du Nord. Or, il devient impensable que l’Afrique suive la même trajectoire industrielle, extrêmement polluante, de l’Inde ou de la Chine. Comment assurer un développement qui soit durable ?

Le discours n’est plus au « rattrapage » : chacun a désormais conscience que le développement n’a

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de sens que s’il est à la fois total et durable. Que la croissance ne peut être uniquement macroéconomique. L’idée fait donc son chemin, comme nous l’avons vu en novembre dernier à la COP26 de Glasgow, où la jeunesse africaine était très mobilisée (malgré les difficultés d’obtention des visas…). Le modèle « extractiviste », la conception linéaire du développement sont en train d’être battus en brèche, en Afrique comme ailleurs. Il faut penser, ensemble, un modèle qui soit autre, avec des entreprises ayant une responsabilité Une parcelle de la Grande muraille verte, à la périphérie de Walalde, dans le nord du Sénégal.

sociale, des politiques publiques qui tiennent compte des paramètres environnementaux, et une société civile jouant un rôle de plus en plus important, comme en ce moment pour l’aménagement du port autonome de Dakar. Ce développement durable n’est-il pas un retour aux sources ? Après tout, la monoculture est une importation occidentale : l’agroforesterie était la norme avant le choc colonial.

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EDOUARD CAUPEIL/PASCO - ZOHRA BENSEMRA/REUTERS

AM : L’Afrique n’émet que 4 % des gaz à effet de serre, mais elle subit de plein fouet les impacts du réchauffement climatique. N’y a-t-il pas là une formidable injustice ? Souleymane Bachir Diagne : Ce mot vient en effet aussitôt


C’est en cela que le modèle de développement est en passe d’être décolonisé. La colonisation a signifié la « mise en valeur » du continent, au seul profit évidemment de la métropole coloniale, avec des routes conduisant des mines ou des plantations jusqu’aux ports… Aujourd’hui, on envisage le développement de façon holistique afin de sortir, enfin, du modèle colonial. La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), nouvellement mise en place et encore embryonnaire, va améliorer le commerce entre États, l’Afrique va sortir de cette extraversion, de la monoculture, et se considérer dans sa totalité. Le paradoxe est que les investissements polluants se poursuivent…

C’est le capitalisme dans toute sa logique de « court-termisme » : il ne met jamais en avant l’intérêt général. Remarquez que les investissements polluants se font désormais davantage loin des regards et des opinions publiques occidentales (Ouganda, Mozambique…). Mais la conscientisation de l’opinion publique montre que rien n’est jamais loin des yeux. Puisque, de toute façon, les impacts climatiques sont globaux. C’est le même principe que pour la vaccination contre le Covid-19 et ses inégalités : on se rend bien compte que tant que le monde entier n’est pas vacciné, de nouveau variants peuvent apparaître et revenir, comme des boomerangs, dans les pays riches bien vaccinés ! Il importe donc d’être vigilant à la fois chez soi, et au loin. Au Sénégal, l’opinion publique est de plus en plus vigilante et s’oppose à cette logique de court-termisme. Mais c’est évidemment plus difficile dans d’autres pays… Le grand combat actuel entre démocratie et autoritarisme passe donc, aussi, par la défense des enjeux écologiques. Tout ceci nous ramène à l’interdépendance du monde…

Le réchauffement climatique et la pandémie nous obligent à prendre conscience de notre interdépendance. Le virus s’est moqué de nos frontières, il a conquis le globe en quelques jours, il nous a rappelé que nous avons tout intérêt à nous comporter comme une seule et même humanité. La solidarité nous est imposée par la nature des défis auxquels nous sommes confrontés : au Brésil, Jair Bolsonaro exploite l’Amazonie comme si elle était sa propriété ! Le président brésilien n’a pourtant pas le droit de prendre en otage le poumon vert de la planète, notre bien commun ! Mais aujourd’hui, le tribalisme renaît. Le choc des nations crée de nouvelles configurations géopolitiques, la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales contre la Russie accélèrent la démondialisation du globe : les économies vont s’orienter différemment, en blocs qui se referment sur eux-mêmes et qui sont la négation du bien commun, la négation de la nécessité de répondre à ces défis globaux. ■

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secteur du renouvelable, le modèle économique mortifère qui a tant nui aux États producteurs de pétrole : se contenter d’exporter des matières brutes, sans les transformer, pour ensuite importer les produits manufacturés finis, au détriment du développement endogène… Selon le Bureau international du travail, les énergies renouvelables représentent 12 millions d’emplois à travers le monde, mais seulement 300 000 à 350 000 sur le continent. Y fabriquer les panneaux solaires et les éoliennes à destination des Africains est une voie à suivre : « Investir dans la transition énergétique crée deux à cinq fois plus d’emplois que d’investir dans les énergies fossiles, a calculé l’IRENA. Les énergies renouvelables peuvent créer 5 millions d’emplois en Afrique d’ici 2030. » La spécialisation interrégionale de chaque État dans un segment de la chaîne de valeur peut être une solution : « Les pays africains disposent de forces complémentaires. » Dans le sous-sol de l’un, les minerais, chez le voisin, les capacités industrielles, chez un troisième, les routes commerciales et les ports… Une douzaine de fondations philanthropiques et de fonds divers font déjà la promotion des énergies renouvelables sur le continent : la fondation Ikea, la fondation Rockefeller, Africa Renewable Energy Fund, Beyond the Grid Fund for Africa, Clean Technology Fund, Green Climate Fund, Energy Transition Acceleration Financing Platform, ou encore Scaling Solar. L’IRENA insiste sur la nécessaire implication des pouvoirs publics et de ces organisations non gouvernementales et fondations philanthropiques : dans les zones rurales, où les foyers disposent de très peu de revenus et les commerces locaux de peu d’actifs, « investir sera toujours trop risqué pour les banques locales ». Au Togo et au Rwanda notamment, les États subventionnent l’achat de panneaux solaires par les particuliers. À noter enfin qu’inciter les ménages ruraux de se doter de fours solaires pour remplacer le charbon de bois permettra d’améliorer la santé publique (ces feux de cuisine étant source d’infections respiratoires), tout comme de lutter contre un autre facteur du réchauffement : la déforestation. L’IMPORTANCE DE LA GRANDE MURAILLE VERTE

Le meilleur auxiliaire de l’homme contre le réchauffement climatique demeure la nature, et sa photosynthèse captatrice de CO2. À ce propos, que devient la Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel ? Cette ambitieuse initiative lancée en 2007 par l’Union africaine, avec notamment l’appui de la Banque mondiale et de la FAO, a entrepris de planter un corridor végétal sur 8 000 kilomètres de long et 15 kilomètres de large, entre Dakar et Djibouti, à travers 11 pays. Selon un rapport de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD) établi en septembre 2020, 4 % des objectifs ont été atteints. Seuls le Sénégal et l’Éthiopie ont réellement avancé. Le rapport pointe comme responsable de ce demi-échec « l’insécurité » qui règne dans la bande sahélienne et « l’inconstance des bailleurs de fonds »… Pourtant, là où le couvert végétal a été réhabilité, la CLD relève qu’environ 120 000 emplois ont été créés et que la faune est revenue. À terme, la Grande muraille 53


ENVIRONNEMENT

verte pourrait séquestrer 250 millions de tonnes de CO2. Mais cela nécessiterait une sécurisation du territoire et des investissements estimés par la CLD à 4,3 milliards de dollars par an… Autre point de fixation : les villes africaines, souvent congestionnées par la circulation, et que l’extension chaotique, sans véritable plan d’urbanisme, rend souvent propices aux glissements de terrain en cas d’inondations – comme Kinshasa –, voire à la submersion maritime, pour celles situées en bord de mer et qui se sont étendues aux dépens de zones naturelles protectrices, comme la mangrove – telle Lagos. Dans les mégapoles, les défis paraissent gigantesques. Le GIEC propose des pistes de réflexion : « Il faut rapprocher emploi et logement afin de diminuer la demande en transports, construire des bâtiments peu émetteurs de CO2, lutter contre les îlots urbains de chaleurs… », énumère Franck Lecocq. En dépit des efforts de l’industrie, la production de ciment demeure fortement émettrice en CO2 : une solution pourrait être de le remplacer par des matériaux africains traditionnels, mieux adaptés à la chaleur, tels que les blocs de terre compressée. L’idée est de construire des bâtiments à bilan carbone nul, puis à faible consommation énergétique. Le coauteur du rapport du GIEC suggère également aux responsables de s’appuyer sur les habitants : « Il faut faire confiance au tissu associatif et aux initiatives locales qui existent déjà, par exemple pour la collecte des déchets ou la gestion de l’eau. La non-coordination du niveau national et des échelons locaux constitue souvent une barrière à la diminution des émissions », met-il en garde. Aussi, « la transition bas-carbone ne peut se faire indépendamment des autres aspects de la vie : santé, éducation, logement. Et souvent, la baisse des émissions a des impacts positifs dans d’autres domaines. La baisse de la pollution urbaine a évidemment des conséquences sur la santé. Idem, permettre aux gens de travailler pas trop loin de leur domicile apporte un confort de vie. C’est notre message aux décideurs : diminuer les émissions de CO2 participe au bien-être général des populations. Climat et développement sont complémentaires. » La coopération internationale entre les villes et leurs échanges d’expériences peuvent ainsi s’avérer très bénéfique. VERS UN MONDE BAS-CARBONE ?

La transition énergétique pourrait cependant s’avérer davantage douloureuse pour les pays producteurs de pétrole. Dans une dizaine d’États, les hydrocarbures représentent environ 60 % de la valeur des exportations. « Il est essentiel de sortir au plus vite des énergies fossiles : charbon, puis pétrole, puis gaz naturel », annonce Franck Lecocq. « Si les centrales à charbon existantes et en projet perdurent, leurs rejets rendront inatteignables l’objectif d’une limitation du réchauffement à 2°C… Il va falloir les fermer, avec des conséquences économiques et sociales importantes. Tout l’enjeu de la transition est que les gens concernés puissent trouver leur place dans un monde bas-carbone. » C’est le moment de changer : en décembre dernier, le bureau Afrique centrale de la Commission économique des Nations unies pour 54

l’Afrique a pressé les pays de la zone – dont certains exportent le pétrole du golfe de Guinée – de « mettre à profit le potentiel en énergies renouvelables de la région afin d’accélérer leur diversification économique ». « Il faut faire en sorte que soient redirigés au plus vite les investissements vers les domaines bas-carbone », analyse Franck Lecocq. Or, les investissements dans les énergies fossiles, encore davantage rentables, se poursuivent sur le continent, comme les récents projets de Total en Ouganda. La mobilisation citoyenne et associative parvient cependant à faire reculer les investissements dans le charbon en Afrique (20 milliards de dollars investis dans des centrales – souvent chinoises – ont été annulés ces dernières années)… Et ce, au grand dam des autorités parfois : ainsi, le président ougandais Yoweri Museveni s’en prend vertement à ses citoyens opposés aux financements du groupe français Total et à leurs impacts sur le réchauffement et la biodiversité… Mais globalement, la prise de conscience des enjeux environnementaux demeure trop faible sur le continent, sauf exceptions (tel le Rwanda, pionnier mondial de la lutte contre le plastique, dès 2006). La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a également son rôle à jouer : « La coopération internationale est importante afin de maximiser le potentiel de réduction des émissions, comme en évitant que les industries polluantes se déplacent de façon opportune vers des pays où la législation est moins contraignante », pointe Franck Lecocq. Un bémol cependant : « Au GIEC, nous avons une vision nuancée des accords commerciaux internationaux, car ils peuvent également constituer un frein s’ils limitent les capacités individuelles des États à formuler des politiques climatiques, par exemple en protégeant au contraire les investissements étrangers polluants dans les énergies fossiles. » Reste que cette inéluctable transition énergétique vers un monde bas-carbone a besoin de financements importants. « Clairement, les investissements actuels sont nettement insuffisants aux montants estimés – jusqu’à sept fois inférieurs dans le cas de l’Afrique. Du fait des impacts du Covid-19, le financement climat pourrait même avoir décru. Nous aurions besoin de 250 milliards de dollars par an, mais attention aux chiffres : ce n’est pas tant un problème de disponibilités des ressources que de rediriger ces ressources. L’enjeu majeur réside dans la mise en place de politiques permettant de diminuer les risques sociaux des investisseurs, d’accroître l’épargne domestique et l’attrait pour les projets bas-carbone. Cela va au-delà de la question du climat et implique de nombreux aspects de la vie sociale », nous précise Franck Lecocq. « L’atmosphère est une et indivisible », souligne le vice-président du GIEC Youba Sokona à Jeune Afrique. Elle devrait être considérée comme « un bien public mondial ». ■ * Version complète disponible en anglais sur le site Internet du GIEC : ipcc.ch. ** Version complète disponible en anglais sur le site Internet de l’IRENA : irena.org.

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Lancé le 5 mars dernier à Pikine, le concept « Jokko ak Macky » a pour objectif de faire échanger le chef d’État sénégalais avec la jeunesse du pays via la célèbre plate-forme de visioconférence. Stratégie présidentielle ou réél rétablissement de connexion ? par Hussein Ba

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SÉNÉGAL

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n homme politique avisé, le président Macky Sall est-il en train de tirer profit du momentum favorable déclenché par le couronnement du Sénégal à la Coupe d’Afrique des nations de football ? En effet, le sacre des Lions de la Téranga crée une nouvelle osmose entre le président et une grande partie de la jeunesse, comme en témoigne le spectacle des foules spontanées agrippées aux grilles du Palais, scandant « Prési ! Prési ! »… Le contraste est saisissant avec les images de mars 2021, quand des groupes de jeunes déterminés déferlaient dans les rues de la capitale pour exiger la remise en liberté de l’opposant Ousmane Sonko, alors en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie nationale. La crise consécutive à l’affaire « Sweet Beauty » – née de l’accusation de viol portée contre le leader du Parti patriote sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) par une masseuse du nom d’Adji Sarr – avait secoué les fondations, pourtant solides, de l’État. Ce fut pour le président une alerte rouge, politiquement parlant. Aussitôt après la tempête qui en a surpris plus d’un, il a multiplié les initiatives en direction de cette jeunesse confrontée au chômage massif et au mal-vivre social. Un Conseil présidentiel pour l’insertion et l’emploi des jeunes a été organisé le 22 avril 2021, à l’issue duquel a été annoncé l’octroi d’une enveloppe de 450 milliards de francs CFA au programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion des jeunes « Xëyu Ndaw Ñi » pour la période 2021-2023. D’après les chiffres officiels, celui-ci a généré 46 334 emplois dans des secteurs tels que l’environnement et le cadre de vie, la santé, le tourisme, la sécurité, le service civique national et l’animation socioéducative. Malgré ce succès, les jeunes n’ont eu de cesse de déplorer la méthode de gestion mise en œuvre, caractérisée selon eux, par une constante déconnectivité avec le sommet de l’État. La question de la jeunesse est devenue une menace politique – certains diront une bombe sociale. Partout sur le continent africain, des initiatives se multiplient pour prendre en charge cette question devenue fondamentale pour la stabilité des États. C’est le cas par exemple du Togo, où l’organisation d’un forum présidentiel de la jeunesse avait été envisagée. Il était censé se tenir les 20 et 21 avril 2021, mais après une phase de rencontres tenues en amont dans les différentes régions du pays, le grand rendez-vous entre le chef de l’État et sa jeunesse avait été renvoyé aux calendes grecques. Sans la moindre explication. Tout le contraire de l’expérience sénégalaise en cours. Dans la foulée de l’euphorie de la victoire sportive, Macky Sall a décidé de prendre le taureau par les cornes en inventant un concept de dialogue direct avec la jeunesse : l’idée de « Jokko ak Macky » (« Échanger avec Macky » en wolof) est de mettre en présence directe, via la plate-forme de visioconférence Zoom, le président de la République, l’administration, avec ses hauts cadres, et des jeunes d’une localité choisie. 58

La nouvelle trouvaille du chef de l’État est inédite et non dénuée d’intérêt. Lors d’un conseil des ministres en mars dernier, Macky Sall a précisé qu’il avait placé « la proximité avec les populations et le dialogue constructif […] au cœur de la gouvernance publique ». Un sacerdoce qui passe, selon lui, « par une écoute permanente des citoyens ». En dépit des risques de pesanteurs techniques ou de possibles dérapages et couacs inattendus liés à l’organisation de telles rencontres, l’exercice est mené jusqu’ici avec bonheur, et la participation des jeunes ciblés – comme leur engagement dans l’inventaire de leurs préoccupations – dépasse même les objectifs. Devant le président, les représentants de cette jeunesse exposent leurs doléances sans complexe et avec objectivité. Les ministres et les directeurs de sociétés nationales et d’agences publiques sont appelés tour à tour à apporter des réponses ou des éclairages aux sollicitations et interpellations. Un exercice qui se déroule sans tabou ni filtre. Il arrive aussi que le président donne des instructions séance tenante ou qu’il fasse un arbitrage idoine en direct. Ce dialogue inédit se fait en wolof. Au début de chaque nouvelle séquence, le monitoring de l’exécution des instructions présidentielles précédentes est présenté au public. Les jeunes sont ravis mais vigilants. Au fil des séquences, on découvre à travers leur élan et leurs doléances l’agenda de l’émergence économique chère au président. C’est ainsi que celui-ci prend connaissance en direct de certaines situations comme, par exemple, l’existence à quelques centaines de mètres du Palais d’habitats précaires où vivent des compatriotes dans des conditions dramatiques. Mis devant le fait accompli, le premier des Sénégalais se veut réactif pour être à la hauteur des demandes. UN VÉRITABLE SUCCÈS

Démarré le 5 mars dernier à Pikine, en banlieue, le concept « Jokko ak Macky » a invité des jeunes d’autres quartiers de l’agglomération dakaroise (Dakar-Plateau, Parcelles Assainies, Keur Massar) et de Kolda, capitale régionale au sud du pays. Partout, les attentes ont été nombreuses, les interventions tirant parfois en longueur, mais le jeu en vaut la chandelle, de l’avis même des participants. Ainsi, pour le lancement, le président a échangé, depuis son domicile dakarois, avec une jeunesse regroupée à l’Arène nationale, quatre heures durant. Parmi les questions évoquées, celles liées aux lancinantes problématiques de l’emploi et de la formation professionnelle. Ou encore des sujets portant sur l’insécurité, le sport, l’artisanat, les infrastructures culturelles, la protection de l’environnement et le cadre de vie. Dans ses réponses, Macky Sall a mis en avant les contraintes liées à une démographie galopante et une urbanisation anarchique, et promis un plan spécial de développement du AFRIQUE MAGAZINE

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XOSE BOUZAS/HANS LUCAS

Ce sont les jeunes qui sont ciblés par cette initiative. Ici, des élèves de l’établissement CEM Joseph Félix Corréa, à Guédiawaye, à l’ouest.

département. Rappelant au passage l’existence de mécanismes de financement comme la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ), qui a octroyé 5 milliards de francs CFA pour l’entrepreneuriat et l’employabilité à Pikine, ainsi que « les quotas de recrutement des jeunes dans les domaines de l’assainissement et du cadre de vie au sein du projet Xëyu Ndaw Ñi ». Le succès du concept est sans équivoque. Quelques jours seulement après les échanges entre le président de la République et les jeunes de Kolda, le 8 avril, les demandes ont été satisfaites en moins de deux semaines. Ainsi, le 22 avril, le district sanitaire de Vélingara a reçu du matériel médical du ministère de la Santé et de l’Action sociale : extracteurs d’oxygène, lits d’hospitalisation, de gynécologie et d’accouchement, chariots, coins nouveau-nés, entre autres équipements destinés à améliorer la prise en charge au niveau du pavillon d’hospitalisation, de la maternité et de la salle de tri du centre de santé de la localité. Toutefois, au fur et à mesure du déroulement du programme émerge un défi conceptuel qui se décline en plusieurs interrogations : les doléances massives présentées au fil des séquences ne risquent-elles pas de submerger les capacités limitées et immédiates de l’État et de son chef ? Les résolutions ponctuelles des dossiers épineux en public par le président luimême ne risquent-elles pas de déprécier la chaîne de l’autorité administrative et gouvernementale ? AFRIQUE MAGAZINE

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Un exercice qui se déroule sans tabou ni filtre. Il arrive que Macky Sall donne des instructions ou fasse un arbitrage. Devant cette réussite qui installe, incontestablement, un nouveau type de rapports plus francs entre Macky Sall et la jeunesse, longtemps privée d’un dialogue direct avec les plus hautes autorités, des critiques – timides, il est vrai – ont interprété ce concept comme une stratégie pour combler le vide laissé par les tournées économiques du chef de l’État à l’intérieur du pays. En face, on assiste à un branle-bas chez une partie de 59


SÉNÉGAL

Les Lions de la Téranga après avoir remporté leur première Coupe d’Afrique des nations, à Yaoundé, au Cameroun, le 6 février dernier.

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Ce concept est une innovation ingénieuse appelée à être un cas d’école, à l’heure de l’influence exponentielle des réseaux sociaux. Quoi qu’il en soit, le concept du président est une innovation ingénieuse appelée à être un cas d’école, à l’heure de l’influence exponentielle des réseaux sociaux en Afrique. Sa montée en puissance et son succès fulgurant auront-ils un impact électoral tangible ? Les législatives prévues au mois de juillet prochain sont-elles trop proches pour apprécier sa portée électorale ou donneront-elles un premier aperçu ? La vraie ligne de mire ne serait-elle pas l’élection présidentielle de 2024 ? Cette initiative aidera peut-être à déchiffrer les intentions réelles de Macky Sall vis-à-vis de cette échéance cruciale. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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THAIER AL-SUDANI/REUTERS

l’opposition, sortie de sa torpeur par l’initiative présidentielle, mais le réveil semble bien tardif tant l’idée a une bonne longueur d’avance. C’est ainsi que le Pastef d’Ousmane Sonko est à l’origine du concept rival « Taggatoo ak Macky » (« Faire ses adieux à Macky »), démarré le 16 mars dernier, avec pour but principal de mobiliser la jeunesse autour du slogan : « L’aprèsMacky commence dès aujourd’hui ! » Là également, il s’agit de donner la parole aux jeunes, mais d’une manière différente. Cependant, force est de reconnaître que ce dernier ne rencontre pas encore l’engouement escompté pour une raison objective : alors que « Jokko ak Macky » recense les préoccupations et les doléances des jeunes pour leur apporter des solutions immédiates – ou au moins proposer des alternatives –, « Taggatoo ak Macky » se caractérise par un lynchage en règle de la gouvernance du président. Néanmoins, certains observateurs, tout en saluant la pertinence de l’initiative, estiment que le schéma gagnerait à différencier, dans le format de présentation, les questions spécifiques conjoncturelles de celles structurelles du développement. Selon les mêmes observateurs, l’accent devrait être mis sur les préoccupations particulières de la jeunesse, notamment la question de l’emploi, des loisirs et de la culture, afin d’éviter de donner l’impression d’un conseil des ministres ambulant, évoquant des dossiers globaux, avec des ministres très souvent sur la défensive.



ENGAGEMENTS

GADO TANZANIE-KENYA

C’est l’un de ses thèmes de prédilection : la liberté de la presse. Ce Tanzanien d’origine, installé au Kenya, est membre fondateur de Cartooning for Peace and Democracy [voir son interview pp. 66-67].

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engagements

CROQUE-MOI LA LIBERTÉ Les rencontres Cartooning for Peace and Democracy réunissent à Nairobi, du 6 au 29 mai, des dessinateurs de presse, venus d’Afrique et du monde entier. par Emmanuelle Pontié

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l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, les rencontres Cartooning for Peace and Democracy prennent leurs quartiers à Nairobi, du 6 au 29 mai. L’objectif : sensibiliser le grand public au dessin de presse et à la démocratie en Afrique. À l’origine du projet, l’association Cartooning for Peace, présidée par le dessinateur français Kak. Créée en 2006 à l’initiative de Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, et du célèbre Plantu, qui fit la une du Monde pendant des années, elle réunit un réseau international de talents engagés, qui luttent avec leur crayon pour la liberté d’expression, les droits humains et le respect mutuel entre les populations de différentes cultures et croyances. À l’heure où les principes de démocratie vacillent et où la liberté d’expression est mise à mal dans plusieurs endroits du monde, le rendez-vous de Nairobi, à travers des conférences, des ateliers-rencontres et l’organisation d’une formation à l’intention des enseignants et des dessinateurs de presse nationaux et internationaux, s’adresse d’abord à la jeunesse. Pour une prise de conscience plus forte sur ces questions fondamentales du monde contemporain. Par l’humour et la dérision, dans la justesse d’un trait. ■ Cartooning for Peace and Democracy, Alliance française de Nairobi (Kenya), du 6 au 29 mai. cartooningforpeace.org #cartooningforpeaceanddemocracy

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ENGAGEMENTS

MEDDY TANZANIE

Membre de l’organisation Cartoon Movement, ce dessinateur de presse publie dans divers journaux tanzaniens, mais aussi dans Courrier international ou sur le site de RFI.

VICTOR NDULA KENYA

Il publie quotidiennement à Nairobi dans The Star. Membre de l’organisation Cartoon Movement, il a reçu le premier prix du concours de dessins de presse Nations unies/Ranan Lurie.

GLEZ BURKINA FASO BRANDAN AFRIQUE DU SUD

Brandan Reynolds vit au Cap. C’est une star dans son pays, où il publie un dessin quotidien dans le Business Day depuis 2002.

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Dessinateur, chroniqueur, parolier, l’ancien directeur délégué de l’hebdomadaire satirique Le Journal du jeudi, Glez, collabore, entre autres médias, à Afrique Magazine.

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CELESTÉ KENYA

Première dessinatrice éditorialiste d’Afrique orientale et centrale en 2011, Céleste a commencé à faire des caricatures politiques dans le People Daily. Elle a cofondé Karakana Online, une entreprise sociale gérée par des artistes défendant la création.

GAYO TANZANIE

En 1985, il crée la bande dessinée Kingo, puis fonde son magazine du même nom en 1994. Aujourd’hui, il réalise des courts-métrages et des émissions de télé grâce à son studio de production, Gaba Art Center.

POV MADAGASCAR

William Rasoanaivo a fait ses débuts en 1997 dans le quotidien Midi Madagasikara, dans lequel il est toujours journaliste et chargé des dessins pour les pages culture et société. Il travaille également pour des journaux mauriciens.

ZOHORÉ CÔTE D’IVOIRE DILEM ALGÉRIE

Ali Dilem, célèbre pour sa liberté de ton qui lui a valu une soixantaine de procès, a reçu une vingtaine de prix internationaux.

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Il s’est fait un nom en publiant ses dessins dans Fraternité matin et a fondé l’association de bédéistes Tache d’encre. Aujourd’hui, il est à la tête de Go Media, qui publie divers magazines humoristiques.

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ENGAGEMENTS

Gado « Il est essentiel d’écouter les autres »

Interview

À 52 ans, c’est l’un des caricaturistes politiques les plus subversifs. Cartooning for Peace and Democracy le met à l’honneur ce mois-ci. propos recueillis par Catherine Faye

S

es dessins, truculents et incisifs, dépeignent la politique du continent, les tabous, la corruption, l’état du monde. Le caricaturiste politique subversif Godfrey Mwampembwa, alias Gado, est né à Dar es Salam en 1969. Nommé l’une des 100 personnes les plus influentes d’Afrique par New African en 2014, il a publié ses caricatures dans le Daily Nation (Kenya), le Sunday Tribune (Afrique du Sud), le Monde et le Courrier international (France), le Deutsche Welle (Allemagne), le Washington Times (États-Unis) ou encore le Japan Times (Japon). Son cheval de bataille : les libertés fondamentales et la démocratie. AM : À quel moment vous êtes-vous intéressé au dessin ? Gado : Très jeune, j’ai commencé à croquer. Voyant que j’avais un

bon coup de crayon, ma mère, qui était enseignante, m’a permis de faire quelque chose de cette passion, en m’encourageant. Comme mon père d’ailleurs, un employé de l’agence nationale du tourisme, à Dar es Salam. Et puis, en grandissant, j’ai eu un appétit particulier pour l’actualité, les affaires internationales, ce qui se passait autour de moi. La presse, les livres d’histoire, mais aussi les émissions télévisées, comme celles de la BBC, m’ont peu à peu construit et ont forgé cet esprit engagé que j’ai commencé à faire valoir dans mes dessins, dès l’âge de 15 ans, puis dans mes premières publications, en freelance, pour des journaux et des magazines d’actualité, tel Newsweek. En 1992, un an après le début de mes études à la fac, j’ai été remarqué par le Daily Nation et embauché dans sa déclinaison régionale, The East African. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai quitté la Tanzanie pour le Kenya et Nairobi, où je réside encore. Depuis toutes ces années d’engagement dans la presse, qu’est-ce qui vous porte ?

Incontestablement, la curiosité. Je suis fasciné par l’histoire, les questions sociétales, la géopolitique… Mais aussi par les mathématiques ! À l’époque, j’ai même pensé devenir ingénieur ou architecte. Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre. De comprendre le monde. Les ateliers et les conférences que j’anime sont d’incroyables sources d’échange et d’enseignement. Il est essentiel d’écouter les autres : c’est la base de la liberté d’expression. Et aussi de se dire que l’on peut toujours faire mieux. 66

Quel est le rôle de la caricature, de l’illustration, par rapport à la photo ou au texte ?

Le pouvoir de la caricature, c’est l’humour. En exagérant une vérité, en la déformant, elle crée une connivence avec le public. Sa force réside aussi dans sa simplicité et le fait qu’elle est compréhensible au premier coup d’œil. C’est pour cela que l’on attaque vivement les caricaturistes, par le biais d’intimidations, de poursuites judiciaires, d’interdictions de publier, ou pire encore, en les assassinant. Cette possibilité de tourner en ridicule et de parodier les puissants comme les situations alarmantes permet de défendre des convictions comme la liberté d’expression, l’attachement à la paix, la défense des droits civiques, des minorités, la protection de la planète… Par le rire, le sourire ou la moquerie, on crée un impact. Les gens se mettent à en parler. D’ailleurs, la caricature existe depuis l’Antiquité : on en a trouvé sur des vases grecs, sur les murailles de Pompéi également. Maintenant, ce sont les sites Web et les réseaux sociaux qui les diffusent… Voyez-vous une différence ou plutôt une synergie entre un coup de crayon et un mot ?

Je vois les deux en fait. En plus de dessiner, je lis et j’écris beaucoup. Je pense que nous avons une mémoire visuelle aussi forte pour une image que pour une phrase, un texte. Les deux combinés créent une potentialisation inouïe. D’ailleurs, je travaille en ce moment à une bande dessinée. Un grand projet dont je ne peux pas encore parler pour l’instant. Vous êtes très engagé pour la défense de la liberté de la presse. Quel constat faites-vous ?

Il y a quelques années, nous pensions que quelque chose allait dans le bon sens, mais nous nous sommes trompés. Trump, Poutine, les dictateurs… ne cessent de prouver que nous sommes loin de la liberté d’expression et que la démocratie est en danger. L’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015, en est une terrible illustration. Il faut rester extrêmement vigilant, notamment avec les médias et les réseaux sociaux, où tout et n’importe quoi peut être dit. L’intox, le matraquage d’informations tendancieuses mettent les sociétés dans un état de grande fragilité. Le manque de culture historique aussi, car elle affaiblit la pensée. Il est capital de comprendre le passé et d’en tirer des enseignements. AFRIQUE MAGAZINE

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Pour offrir une vision objective de l’actualité dans vos dessins, comment vous informez-vous ?

J’ai bien sûr quelques secrets, mais le plus important est d’être sans cesse en éveil et de croiser les informations, qu’elles proviennent de la presse écrite, audiovisuelle, des réseaux sociaux ou de contacts. Je reste très sélectif et prudent. Il est également essentiel de prendre le pouls des gens, en allant à leur rencontre. J’écoute ce que me disent mes proches, les personnes rencontrées ici et là, dans la rue, au marché, les patrons de bars… Les gens, ce qu’ils vivent et ressentent, sont au cœur de l’actualité. Mon travail est de mettre un miroir en face de la société. Pour nous, caricaturistes, illustrer ce qui se passe dans le monde est donc à la fois excitant et inquiétant. L’une de vos caricatures de l’ex-président tanzanien Jakaya Kikwete, parue en janvier en 2015 dans The East African, a fait scandale et vous a posé pas mal de problèmes. Pouvez-vous en parler ?

tenu aux Nations unies, à New York, à l’initiative de Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, et de Plantu, journaliste caricaturiste au Monde. C’est de ce colloque qu’est née l’initiative Cartooning for Peace (Dessins pour la paix), un réseau international de plus de 220 dessinateurs de presse engagés, originaires de 54 pays, qui se battent, avec humour, pour le respect des cultures et des libertés. L’idée est d’organiser des ateliers, des conférences, des festivals ou encore des expositions, mais aussi d’aller dans les écoles et les prisons, pour échanger sur les thématiques que nous défendons ou dénonçons : la liberté d’expression, les droits humains, les conflits armés, les menaces climatiques, les disparités Nord-Sud, la censure ou les tabous. Cette année, le festival propose à Nairobi tout un programme autour de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, et dans le contexte de l’élection présidentielle kenyane d’août. Les périodes électorales sont souvent marquées par l’influence des réseaux sociaux, la désinformation…

Il s’agit d’un dessin où je le représente en empereur romain décadent, à moitié nu, ivre et mangeant du raisin dans la main de l’une des sept femmes libertines qui l’entourent. Chacune d’elles représente l’une des insuffisances de l’homme d’État, comme autant de péchés capitaux : incompétence, corruption… Une façon pour moi de dire l’indicible. Mais là, ni une ni deux, The East African, dans lequel la caricature était parue, a été interdit de publication en Tanzanie, et moi mis à la porte pour insolence, après un quart de siècle de bons et loyaux services. Même si cela m’a ensuite valu une année de congé sabbatique, c’est le risque du métier. Et pas question de me museler. Un autre de vos dessins, « Émissions et sécheresse », dénonce une problématique environnementale…

Autoportrait de Gado.

C’est un sujet complexe et fondamental auquel on ne prête pas assez attention. Le réchauffement climatique, la dégradation de la planète, doivent être dénoncés plus énergiquement qu’ils ne le sont. Pour ce dessin, j’ai choisi de représenter un gardien de troupeau africain et ses vaches squelettiques au milieu du désert. L’homme regarde avec défiance un avion dans le ciel qui traîne derrière lui une bannière publicitaire, avec cette inscription : « Stop aux émissions de CO2. Il faut sauver l’avenir. » Une façon de rappeler que nous, les Africains, ne sommes pas les plus gros pollueurs. Et une satire à la fois amusante et amère pour rendre à César ce qui appartient à César. La paix et la liberté d’expression sont deux de vos thèmes de prédilection. L’édition 2022 du festival Cartooning for Peace and Democracy, dont vous êtes membre fondateur, se déroule ce mois-ci à Nairobi. Pouvez-vous nous en parler ?

Un an après la polémique des caricatures de Mahomet, parues en 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, un premier colloque intitulé « Désapprendre l’intolérance » s’était AFRIQUE MAGAZINE

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C’est la raison pour laquelle nous souhaitons sensibiliser le public qui participera aux masterclasses et aux conférences à toutes ces questions relatives à la démocratie en Afrique, aux fake news, à la propagande, à la stratégie du mensonge, au muselage de la presse et aux violences faites aux femmes. Notre objectif est ensuite de prolonger l’initiative en Tanzanie et en Ouganda. Nous nous adressons au grand public, et surtout à la jeunesse, à qui nous conseillons de s’impliquer dans la vie politique. Jour après jour. C’est fondamental pour son avenir. Quel regard portez-vous justement sur l’avenir de la planète et de l’humanité ?

Je suis de nature optimiste. J’ai appris que rien n’est jamais figé. Tout bouge et se transforme. Même dans les pires situations, il est possible de s’en sortir. Certes, la démocratie est en recul dans le monde. Avec une montée en puissance des systèmes autocratiques et l’érosion des normes démocratiques. La pandémie de Covid-19 a également entraîné de nouvelles restrictions des droits dans de nombreux pays, et les élites politiques et économiques continuent à vouloir protéger un système clientéliste et corrompu. C’est un combat difficile. Mais j’y crois et cela me porte plus que jamais dans mon engagement. Par le dessin de presse et la caricature, j’apporte ma contribution à cette lutte qu’il ne faut lâcher sous aucun prétexte. J’aime cette citation, de 1934, du journaliste et historien des religions suédois Torgny Segerstedt, surtout connu pour sa lutte courageuse et obstinée contre le nazisme : « La liberté de penser et d’exprimer sa pensée est au-dessus de tout. C’est le souffle vivant de l’humanité. » ■ 67


JEAN-LUC BERTINI/PASCO

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Tierno Monénembo rencontre

« Mettre des mots sur la douleur » L’écrivain guinéen signe une œuvre puissante sur la quête de mémoire. À travers le destin brisé de ses héroïnes, son dernier roman Saharienne Indigo explore les blessures causées par la répression sanglante du régime de Sékou Touré. propos recueillis par Astrid Krivian

L

e quatorzième ouvrage de Tierno Monénembo, Saharienne Indigo, lève le voile sur une page sombre et trop méconnue de l’histoire guinéenne contemporaine. De nos jours, à Paris, dans le Quartier latin, deux femmes, Véronique Bangoura, guinéenne, et Madame Corre, française, se rencontrent, échangent, parfois vivement. Au fur et à mesure, elles découvrent qu’elles ont en commun un destin profondément meurtri par la dictature et la répression sanglante d’Ahmed Sékou Touré. Pendant les vingt-six ans de son règne, de 1958 à 1984, opposants réels ou supposés ont été détenus, AFRIQUE MAGAZINE

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torturés, exécutés dans les geôles du camp Boiro, à Conakry. Selon plusieurs ONG, 50 000 victimes y auraient péri. Quête des origines, sur les traces d’une histoire familiale décimée par un régime tortionnaire, ce roman haletant exhume les plaies de la mémoire de ses héroïnes, comme celle collective d’un pays. Né en 1947 à Porédaka, l’écrivain a fui la dictature en 1969, s’exilant au Sénégal puis en Côte d’Ivoire. Étudiant la biochimie en France dès 1973, il enseignera en Algérie, au Maroc et aux États-Unis. Il signe son premier roman, Les Crapauds-brousse, en 1979. L’ensemble de son œuvre (Les Écailles du ciel, Grand prix littéraire d’Afrique noire 1986, ou encore Le Roi de Kahel, prix Renaudot 2008) a été couronné du Grand Prix de la francophonie en 2017. 69


RENCONTRE

AM : En quoi le destin de vos deux héroïnes symbolise-t-il celui de la Guinée ? Tierno Monénembo : Liées par la douleur guinéenne, ces deux

Cette page sombre de l’histoire demeure-t-elle un non-dit dans le pays, un « interdit collectif » pour reprendre vos mots ?

Les Guinéens peinent à briser le silence sur cette page sombre, comme vous le dites. C’est un peu leur tabou. Les rares anciens détenus qui vivent encore évitent d’en parler, car la douleur demeure vive. Et si les veuves et les orphelins continuent d’exiger en vain la réhabilitation de leurs parents, la pudeur les empêche de s’étendre sur les conditions abominables de leur détention et de leur disparition. Le camp Boiro, c’est notre douleur collective, le non-dit de la société guinéenne. Ces victimes sont « des morts sans sépulture, des victimes emmurées dans le silence », comme vous l’écrivez…

des mots. Une fois que l’on met des mots sur la douleur, elle devient supportable. « La mémoire est une arme », dites-vous, car l’objectif de ce régime était d’effacer celle des hommes…

Mon roman est un combat pour la mémoire des victimes. Le but réel des dictateurs est de vous supprimer. Dans ces camps, on vous torture, on vous fait souffrir, mais en même temps, on fait en sorte que vous n’existiez plus. Pour vous supprimer définitivement, ils tentent d’effacer toute mémoire, ils essaient d’imposer l’amnésie collective. Le souvenir est dangereux : il entretient l’espoir, et surtout, il permet de témoigner. Les criminels n’aiment pas laisser des traces, ils font tout pour les effacer. C’est ce qui s’est passé en Guinée, les tortionnaires se sont arrangés pour que personne ne se souvienne de leurs crimes. Ce déni de la mémoire vaut aussi pour Auschwitz et pour les camps de concentration soviétiques… Tous ces systèmes se ressemblent. La dictature est de même nature, qu’elle soit en Sibérie, en Allemagne, en Guinée, au Cambodge ou au Chili. Vous-même avez fui le régime de Sékou Touré en 1969…

Les dictatures produisent toujours deux choses : des prisonniers politiques et des exilés. J’ai quitté la Guinée en 1969, comme 1 à 2 millions de mes compatriotes, sur une population d’à peine 6 millions de personnes à l’époque. Dans les pays voisins (Sénégal, Côte d’Ivoire…), les Guinéens sont aujourd’hui très nombreux. Les gens sont partis en masse. Ce n’était pas un choix individuel, mais un destin collectif. Cet exode a eu des conséquences durables : beaucoup de villages sont dépeuplés. Et les femmes sont plus nombreuses que les hommes, puisque nombre d’entre eux ont pris le chemin de l’exil.

Oui. Engourdie par son passé, la Guinée a un mal fou à bouger les lèvres. Mon pays Saharienne Indigo, Le Seuil, 336 pages, 20 euros. ploie sous un silence lourd, un silence malsain. Aucun pays ne peut avancer sans solder les comptes du passé, surtout quand il est aussi lourd à porter. Consacré héros de l’indépendance, Ahmed Ce passé, les Guinéens doivent s’en occuper maintenant, avant Sékou Touré est devenu un bourreau par la suite. qu’il ne devienne un boulet. Pour moi, l’hygiène de la mémoire C’était mon héros, au début ! Les héros sont souvent des est devenue plus urgente, plus vitale que les enjeux du fer et salopards… « Malheureux le pays qui a besoin de héros », de la bauxite. Saharienne Indigo ne dénonce pas seulement les écrivait Bertolt Brecht. En Afrique, on sait en fabriquer, de atrocités de Sékou Touré, il exprime aussi et surtout le besoin façon gratuite en quelque sorte. Sékou Touré a joué un rôle d’une mémoire assainie. Je l’ai écrit pour dire aux gens : regarmajeur dans l’indépendance guinéenne, mais c’est aussi un dons notre passé en face, sinon pour nous réconcilier avec lui, tyran, le bourreau du camp Boiro. Ces deux faces font partie du moins, pour parvenir à le supporter. Il est difficile d’envide la mémoire collective de mon pays. En rebaptisant l’Aérosager l’avenir si l’on n’assume pas son passé. Pour cela, il faut port international de Conakry de son nom, le colonel Mamadi 70

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femmes sont des victimes collatérales du système Sékou Touré. Française, Madame Corre a vu son mari pendu, et on lui a retiré son enfant. Guinéenne, Véronique Bangoura a perdu ses parents au camp Boiro. Les rapports d’Amnesty International estiment que ce camp de détention aurait fait 50 000 victimes. Celui-ci peut être vu comme une Internationale de la répression. On n’y comptait pas que des Guinéens, mais aussi des Français, des Sénégalais, des Belges, des Ghanéens, des Ivoiriens, etc. La Guinée a vécu des choses terribles au temps de Sékou Touré. Des choses que les anciens détenus ont beaucoup de mal à exprimer. Il n’est pas facile de faire état de la douleur et de l’humiliation. Les conséquences de ce genre de traumatisme sont faciles à deviner : on se tait une fois pour toutes, et on se ronge de l’intérieur. J’ai voulu raconter le camp Boiro à travers le destin de ces deux femmes, ces deux personnages de roman, ces deux victimes collatérales. Il me semble que la violence est mieux rendue quand on s’éloigne de la brutalité des faits, et que la fiction dit davantage que le compte rendu.


Tous ces espoirs portés par les leaders indépendantistes, luttant contre l’impérialisme, sont-ils déçus aujourd’hui ?

Que ce soit en Guinée, au Ghana, en Algérie ou ailleurs, l’Afrique n’a pas manqué de régimes prometteurs. La malédiction du continent vient de l’obsession du pouvoir personnel. En Algérie par exemple, pays que je connais très bien, où j’ai longtemps vécu, j’ai pu observer de près les conséquences de ce maléfice. Si seulement ses dirigeants avaient suivi ce magnifique mot d’ordre inventé dans les maquis : « Un seul héros, le peuple ! » Mais non, chacun a voulu tout obtenir pour lui seul, sans contrôle, sans contre-pouvoir ni contrepartie… Le pouvoir concentré dans les mains d’une seule personne, voilà tout le drame de l’Afrique ! Votre roman évoque un « tiers-monde au romantisme révolutionnaire » dans les années 1960…

C’est une formule poétique, une belle idée, mais l’expérience politique est différente. La vie est beaucoup moins belle que la poésie – domaine de l’incantation, du rêve. La réalité est toujours sordide. La politique relève du vécu, de la triste réalité, de la vie humaine. En Afrique, on sait aujourd’hui que ces gouvernants qui nous avaient promis le paradis dans les années 1960 nous ont apporté l’enfer. L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit le célèbre adage. Vous faites également référence aux révoltes pour une justice sociale en Occident à cette même période, notamment Mai 68 en France. Quel souvenir en gardez-vous ?

PHILIPPE LEDRU/AKG-IMAGES

Le camp Boiro, à Conakry, le 9 avril 1984.

Doumbouya [président de la transition depuis son coup d’État contre Alpha Condé en septembre 2021, ndlr] a profané les fosses communes des victimes du camp Boiro, qui n’ont jamais eu de tombe. En plus, son acte est illégal. Un putschiste n’a aucune légitimité à baptiser ou débaptiser un édifice public. Apparenté à la famille de Sékou Touré, il l’a fait pour une raison sentimentale. Commençons par réhabiliter les victimes, par juger le tyran ! Célébrer tout de suite le « héros », sans même une petite pensée pour ses victimes, c’est légitimer la barbarie. AFRIQUE MAGAZINE

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Mai 68 fut un moment formidable, une envolée lyrique. La politique est restée au stade de l’intention poétique, elle ne s’est pas traduite par un exercice du pouvoir. C’est pourquoi ma génération éprouve de la nostalgie pour cette période, un regret. « Il est interdit d’interdire », « Sous les pavés la plage »… ce sont de très beaux slogans ! Nous étions libres de penser, de vivre ce qu’on voulait, comme on le voulait… Mai 68 a agi sur les esprits, non pas sur les réalités politiques et sociales de la France. Elle n’en avait pas les moyens. Mais tout de même, ces mouvements ont un peu décoincé la société : la jeunesse a eu sa place, elle qui n’en avait pas jusqu’alors. Aujourd’hui, les 71


RENCONTRE

jeunes pensent que leurs droits sont un fait naturel, or c’est un acquis historique. De même, les femmes ont obtenu plus de droits, alors qu’elles en avaient très peu. Mai 68 fut le point culminant d’un phénomène mondial des années 1960, avec les hippies aux États-Unis. La jeunesse clamait son ras-le-bol, son envie d’exister, de s’exprimer, à travers des slogans, le rock, les voyages aussi… Les jeunes du monde entier ont commencé à se parler, à se rencontrer. Que percevez-vous chez les Guinéens aujourd’hui ? Quelles sont leurs aspirations, leur conscience politique ?

La conscience politique des jeunes est très faible, voire inexistante, car ils sont soumis à la dure loi de la survie. Les conditions de vie sont extrêmement difficiles, l’éducation est à terre, il n’y a pas d’emploi. Les jeunes ne cherchent qu’une seule chose : foutre le camp. Quitte à mourir dans les ventres de requins en Méditerranée, partir vers l’Europe, les États-Unis, pour devenir éboueur ou manutentionnaire. C’est un peu l’ambition d’un Guinéen aujourd’hui. Comment en serait-il autrement ? La situation économique est tellement catastrophique, il n’y a pas d’avenir. Les jeunes sont blasés, ils savent plus ou moins ce qu’il se passait avant, et n’attendent pas grand-chose de la vie politique. Ils cherchent à fuir la catastrophe.

« L’art embellit les choses. Et l’humain se nourrit de beauté, pas seulement d’air, de nourriture. Si la vie est à peu près supportable, c’est parce que le monde est beau. »

Mais le nom « Guinée » n’a pas été déchiré, d’après vous…

En effet. Quand je vois ce qui se passe au Mali, avec lequel nous avons des liens très forts à tous points de vue (culturel, humain, ethnique…), j’ai l’impression que le mot « Mali » est chiffonné aujourd’hui. L’existence même du pays est remise en cause. La Guinée a connu de nombreux problèmes, mais pas de guerre civile, ni de mouvement de sécession. Nous sommes protégés du djihadisme pour l’instant. Une lueur d’espoir demeure donc. Malheureusement, nos dirigeants sont tellement stupides ! Le peuple a soutenu le colonel Doumbouya le 5 septembre dernier. S’il avait eu un peu d’intelligence politique, il aurait sauvé le pays et serait devenu une grande figure de l’histoire moderne guinéenne. Mais il a raté son destin ! Baptiser l’aéroport de Conakry du nom de Sékou Touré dans ces conditions-là, ce n’est pas qu’une idiotie politique, c’est aussi un contresens historique !

Pour cela, il faut déjà fortifier la cohésion à l’intérieur des territoires, et consolider les liens affectifs, sentimentaux, culturels, avec les voisins… Tous les dirigeants africains ont contribué à éloigner les ethnies les unes des autres, voire à les opposer. L’unité commence chez soi. Et malheureusement, les regroupements régionaux ne fonctionnent pas toujours. La CÉDÉAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a plus ou moins évolué, on a un passeport commun maintenant, une assurance commune. Il est temps de créer un visa CÉDÉAO pour favoriser le tourisme. Toutes les organisations panafricaines ne sont que des repaires de bêtes politiques, une sinécure où des fonctionnaires grassement payés distillent des discours ennuyants. Il faut repenser l’unité, car on ne croit plus à ce mode de fonctionnement.

Croyez-vous encore à l’unité du continent ? Comment le panafricanisme peut-il s’incarner aujourd’hui ?

Dans votre roman, vous citez Dostoïevski : « La tyrannie est une habitude. » Malgré la barbarie, la cruauté humaine, comment trouver un sens à la vie ?

Le panafricanisme ne me quittera jamais. Pour moi, la Guinée, c’est le village, le pays, le vrai, c’est l’Afrique. Hélas, on ne s’y est pas bien pris pour réussir l’unité. Le panafricanisme nécessite des idées, des techniques, des méthodes. Mais les discours ont pris le pas sur les faits. D’abord, un gouvernement continental d’entrée de jeu n’est pas réalisable. Il faudrait construire pas à pas, à partir de bases concrètes, de faits réels. On n’a pas créé de connexions fortes entre nous : des infrastructures routières, des moyens de communication, des compagnies aériennes capables de tous nous relier… Pour l’instant, le panafricanisme demeure un mot creux, un idéal romantique. Commençons par créer de bons ensembles régionaux.

Depuis que le monde est monde, la vie est un enfer. Mais il faut toujours trouver des raisons de vivre et d’espérer. Ainsi, je mentionne le mythe de Sisyphe. Comme l’écrivait Albert Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux. Nous devons tous nous imaginer heureux. Pourtant, nous sommes de pauvres Sisyphe, en train de pousser un tonneau au sommet d’une montagne, lequel dégringole et nous force à recommencer. Si nous avons inventé le mot « bonheur », c’est bien que nous sommes obligés d’y croire. Et si jamais ce bonheur n’existait pas, nous devons au moins pouvoir supporter la vie. Même si elle ne gagne jamais, mon héroïne Véronique Bangoura se bat sans cesse.

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Écrire vous aide-t-il à supporter le réel ?

Bien sûr. C’est la meilleure manière ! La fiction, l’art embellissent les choses. Et l’homme se nourrit de beauté, pas seulement d’air, de nourriture. Si la vie est à peu près supportable, c’est parce que le monde est beau. Si Dieu existe, c’est parce qu’il y a la beauté. Partout où il y a beauté, il y a création ! Et qu’y a-t-il de plus beau qu’une femme, qu’un enfant, qu’un arbre ? La beauté est là pour nous motiver. Votre écriture est-elle née de l’exil ?

Oui, l’exil m’a mené à l’écriture. Au moment le plus sombre de l’histoire de la Guinée, quand la dictature de Sékou Touré avait atteint son apogée, j’étudiais la biochimie en France, à Lyon. Dans ma chambre universitaire, j’écoutais les informations à la radio : chaque jour, on arrêtait et exécutait des gens, des voisins, des parents, des amis… J’étais touché directement. En exil, je me sentais impuissant. J’ai alors commencé à noter des phrases dans un cahier, pour donner naissance à mon premier roman, Les Crapauds-brousse.

grands chanteurs africains. J’écris souvent bercé par la flûte peule ou la kora mandingue, deux beaux instruments qui reposent l’esprit et poussent à l’inspiration. Comment démocratiser l’accès au livre sur le continent ?

Les jeunes ont envie de lire. Mais ils n’ont pas les moyens d’avoir des ouvrages, car ils coûtent trop cher. On trouve très peu de librairies, très peu de bibliothèques… Mais c’est fait exprès ! Les livres sont dangereux. La plupart des dictateurs font tout pour marginaliser ce domaine : l’écrivain, le papier, l’encre, la plume, la bibliothèque, la librairie… Car un lecteur réfléchit. Or, ces autocrates ont besoin de militants qui applaudissent, pas de citoyens qui réfléchissent. Lisez-vous les jeunes plumes africaines ?

Oui. Je reçois beaucoup de manuscrits, je fais des remarques, j’encourage. Surtout les jeunes filles, qui ont beaucoup de choses à dire. Qu’est-ce qui vous a poussé à retourner vivre dans votre pays natal, il y a dix ans ?

Vous avez vécu dans différents pays d’Afrique, en Europe, aux États-Unis… Qu’avez-vous appris sur les routes du monde ?

L’exil, c’est la déchirure, la rupture avec le berceau. Mais c’est aussi la délivrance : on est libre, on est seul, mais seul au milieu des autres, dans le vaste monde. J’ai eu la chance de rencontrer des gens de toute sorte dans plein de pays. J’ai une petite idée de la planète sur laquelle je vis. Découvrir le monde, c’est découvrir les autres humains. Le grand écrivain suisse Nicolas Bouvier, auteur de L’Usage du monde, le dit bien : dans un pays, il faut d’abord rencontrer ses habitants. Discuter avec eux, goûter le plat local, se frotter un peu à la langue, écouter leur musique, leur poésie… Voyager, c’est partager des choses essentielles avec des gens que l’on a plaisir à rencontrer.

Sékou Touré (à gauche), aux côtés de Félix Houphouët-Boigny (au centre), au Congrès du Rassemblement démocratique africain à Bamako, en 1957.

ARCHIVES JEUNE AFRIQUE-REA

Pourquoi un écrivain est-il un homme perdu, à vos yeux ?

Nous sommes tous des êtres perdus. Mais l’écrivain sait que se perdre n’est pas forcément négatif. Car on cherche toujours à se retrouver, avec les autres, dans les autres. C’est là que l’on trouve le vrai sens de la vie. Quelle place tient dans votre vie la musique guinéenne, patrimoine mondial inestimable ?

C’est elle qui m’a aidé à vivre loin de mon pays. Elle m’a servi de cordon ombilical et a un peu atténué la douleur de l’exil. J’ai beaucoup écouté Sory Kandia Kouyaté, l’un des plus AFRIQUE MAGAZINE

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Je voulais revenir chez moi, vieillir ici, faire le bilan ici, mourir ici. Chez moi, on raconte que les vieux éléphants reviennent toujours mourir sous l’arbre qui les a vus naître. J’aime me promener dans Conakry. Quand j’ai quitté le pays, la capitale comptait 200 000 habitants. Maintenant, sa population s’élève à 3 millions et demi ! C’est donc une ville à découvrir pour moi. Même s’il n’y a pas de trottoir, que la circulation est chaotique, je marche. Je me rends dans les « lieux », c’est-à-dire les bars, les maquis, où se passe une bonne partie de l’intrigue de Saharienne Indigo. Je m’assois sous les cocotiers et m’abandonne à la rêverie, la méditation, la réflexion, en regardant la mer. ■ 73


LE DOCUMENT

Mobutu, le Machiavel du grand fleuve La biographie du dictateur zaïrois (1965-1997) par Jean-Pierre Langellier, ancien correspondant en Afrique du Monde, est publiée en poche. Un portrait haletant et sans concession. par Cédric Gouverneur

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obutu » signifie « poussière » en ngbandi… La mégalomanie du « maréchal-président » qui s’est rebaptisé Mobutu « Sese Seko » (« l’éternel »), et même « le grand léopard », fait peut-être écho à l’insignifiance de son patronyme. Né en 1930, à Lisala (Congo belge), de père inconnu, Joseph-Désiré Mobutu est dans sa jeunesse un garçon courageux, travailleur et d’une grande intelligence, qui parvient à entreprendre une carrière de journaliste, malgré le quasi-apartheid de la colonisation belge, soucieuse de juguler au maximum l’ascension sociale des Congolais. Il devient l’ami d’un certain Patrice Lumumba… « Une amitié sincère au départ, explique à Afrique Magazine Jean-Pierre Langellier. Mais il y a un moment où la vanité de Mobutu et sa corruption l’ont emporté. » Lorsque Lumumba, chef du premier gouvernement du Congo indépendant, est arrêté, Mobutu, devenu le grand ami de la CIA, « aurait pu le sauver, mais il ne l’a pas fait… Il a fait preuve d’un cynisme absolu ». Ivre de puissance, le putschiste lit Le Prince du philosophe florentin de la Renaissance Nicolas Machiavel. « L’ancien journaliste devient un orfèvre de la désinformation », note Jean-Pierre Langellier. Le tyran tend des pièges à ses ennemis, puis, au terme de procès d’opérette, les fait exécuter, parfois en public, toujours avec un luxe de cruauté : « Son message aux Congolais : “J’ai le pouvoir de vie ou de mort sur chacun de vous.” Cela effraye la population, et c’est le but recherché. » Appâté par une fausse promesse d’amnistie et de réconciliation, le chef rebelle Pierre Mulele commet l’erreur de

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rentrer au pays : il est torturé, découpé en morceaux, et ses restes jetés dans le fleuve… Il faudra attendre les années 1980 pour que l’opposition, épouvantée, ose bouger. Bruxelles, Paris et Washington ferment les yeux : c’est la guerre froide, l’Union soviétique avance ses pions sur le continent (Angola, Mozambique…). Peu importe la brutalité et l’incompétence de Mobutu, tout ce qui compte est que le Zaïre (nom du pays entre 1971 et 1997) échappe aux communistes. L’homme à la toque en peau de léopard pratique avec assiduité la corruption à grande échelle, pillant AFRIQUE MAGAZINE

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Mobutu, Jean-Pierre Langellier, Perrin, 504 pages, 11 €.


RUE DES ARCHIVES/AGIP

Cérémonie officielle de prise de pouvoir du colonel Joseph-Désiré Mobutu le 12 décembre 1965. Deux femmes, à genoux, lui essuient ses chaussures.

sans vergogne les ressources du pays, potentiellement l’un des plus riches du continent. Mieux : le président kleptocrate incite chacun à faire de même. C’est le fameux article 15 (imaginaire) de la Constitution, inventé par la rue : « Débrouillez-vous. » « L’un des slogans du parti unique, le Mouvement populaire de la Révolution (MPR), était “Servir oui, se servir non”, rappelle Jean-Pierre Langellier. Or, Mobutu faisait exactement l’inverse ! La corruption était le carburant du mobutisme. » Soutenu jusqu’à la dernière minute, et même jusqu’à la nausée, par l’Élysée et la Françafrique, Mobutu tombe en mai 1997. Sur la piste de l’aéroport de Gbadolite, son avion décolle sous les tirs des insurgés : on découvrira six impacts de balles sur une aile ! En exil au Maroc, cette « poussière » qui se voulait « éternelle » succombe d’un cancer quelques mois plus tard, en septembre. Au cimetière de Rabat, le mégalomane repose dans une sépulture des plus discrètes, sous les initiales « MSS ». ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Extraits Joseph et Patrice C’est l’époque où Mobutu et Lumumba se voient beaucoup, notamment dans les locaux de L’Avenir. Pierre Davister se souvient : « Que de fois n’ai-je pas vu Mobutu corriger les textes de certains discours ou articles de Lumumba, et il me semble l’entendre encore lui dire doucement : “Patrice, cela ne change rien au fond du problème et au fond des revendications du MNC, mais c’est moins violent et plus acceptable !” » Et il ajoute : « Patrice Lumumba venait d’ailleurs souvent consulter Mobutu et il faut croire que l’entente entre les deux hommes était absolument parfaite, car il n’était pas rare que Lumumba me déclare : “Demandez ce que vous voulez savoir à Joseph. Il connaît tous mes projets et il est bien au courant.” » 75


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Mort sans sépulture

Les pendus de la Pentecôte

Lumumba reste détenu. Et très dangereux aux yeux de ses adversaires. Aucune prison ne semble assez sûre pour le garder. Plus de la moitié du pays échappe à l’ANC, qui vient d’être défaite au Kivu. Un autre événement incite les nombreux ennemis de Lumumba à en finir vite avec lui : l’imminente installation à la Maison Blanche, le 20 janvier, de John F. Kennedy. Ne dit-on pas que le jeune président élu envisage de favoriser la libération de Lumumba ? À cette date, la CIA a d’ailleurs renoncé à l’assassiner.

En ce jeudi 2 juin 1966, l’aube se lève sur l’une des plus sinistres journées du long règne de Mobutu. Une journée d’effroi qui va frapper les esprits et pétrifier les cœurs. Une journée lugubre où la peur s’emparera du Congo, et s’y installera pour longtemps. Avant l’aurore, une marée humaine commence à cheminer vers la grande place de Kinshasa. Le peuple a été ameuté par la propagande officielle. La journée est chômée. Comme un corps dont le sang aurait afflué en son cœur, la ville paraît tout entière rassemblée sur ce terrain en friche situé près d’un pont. Ailleurs, les rues sont désertes, les magasins fermés, la circulation est nulle. On estime la foule à quelque trois cent mille personnes. C’est le plus grand rassemblement de l’histoire du Congo. Tous les yeux sont braqués sur le centre de la place où se trouve une estrade surmontée d’une potence. Des camions bondés de soldats attendent. Une fanfare joue des marches militaires. Soudain, le bourreau apparaît, revêtu d’une étrange robe noire, les traits dissimulés sous un ample capuchon, noir

Une grossière mascarade

Il est urgent de transférer le prisonnier ailleurs. Au Kasaï ? Au Katanga ? Qu’importe. Ici ou là, une mort quasi certaine l’attend. À Bruxelles, on opte pour le Katanga. Le 16 janvier, le ministre d’Aspremont Lynden ordonne le transfert. Mobutu, informé, joue les Ponce Pilate et laisse faire. Il ne participe pas à la mise au point technique de l’opération, logiquement confiée à Victor Nendaka. À l’aube du 17, Lumumba, M’polo, ministre de la Jeunesse, et Joseph Okito, vice-président du Sénat, victimes d’un stratagème, sont escortés vers Moanda, puis jetés sans ménagement dans un DC-4 où prennent place deux de leurs ennemis jurés, les « commissaires » Jonas Mukamba et Ferdinand Kasadi, originaires du Kasaï. Dans l’avion, ces accompagnateurs infligent des sévices cruels aux détenus. L’équipage belge proteste puis, écœuré, s’enferme dans le poste de pilotage. À Élisabethville, la tour de contrôle est avertie de l’arrivée des « trois colis précieux ». L’appareil atterrit en bout de piste, loin des casques bleus. Tshombe, qui a accepté le transfert à contrecœur, et son Le 4 décembre 1960, le Premier ministre Patrice Lumumba traverse Léopoldville redoutable ministre de l’Intérieur, dans un camion de l’armée, après son arrestation. Il sera fusillé le 17 janvier 1961. Godefroid Munongo, sont prévenus. Les dirigeants katangais se réunissent et prennent la fatale lui aussi. Il gravit, le premier, l’escalier menant à la platedécision. Un peloton d’exécution est désigné, qui accomplit forme de la potence. Il domine la scène de toute sa stature. sa sinistre tâche, le soir même, en pleine savane. Tshombe et Le drame qui s’annonce s’est noué trois jours plus tôt. Munongo assistent à l’exécution en présence de quatre Belges, Au matin du 30 mai, lundi de Pentecôte, Mobutu, la voix un commissaire de police, Frans Verscheure, et trois officiers, vibrante de colère et d’émotion, adresse au peuple un Julien Gat, François Son et Gabriel Michels. Lumumba est message radiodiffusé : « Cette nuit, un complot dirigé contre le dernier à être mitraillé, à 21 h 43. Il a 35 ans et n’est resté ma personne et le nouveau régime a été ourdi par quelques au pouvoir qu’à peine deux mois et demi. Le rideau tombe politiciens irresponsables. Ils ont été arrêtés et seront traduits sur le premier acte du Congo indépendant. en justice pour haute trahison. Ce complot a été déjoué grâce à la vigilance et à la loyauté des membres de l’Armée nationale congolaise. » Il invite ses compatriotes à garder leur « calme » 76

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et leur « sang-froid » pour démontrer leur fidélité au régime et leur désapprobation à l’égard de ces traîtres « poussés par l’appât du gain ». Et il ajoute : « Faites confiance à la justice. » Qui sont ces « traîtres » ? Trois d’entre eux, Jérôme Anany, Emmanuel Bamba et Alexandre Mahamba, ont été ministres dans le gouvernement de Cyrille Adoula. Le quatrième, Évariste Kimba, était le chef du dernier gouvernement civil avant le coup d’État. Bamba est en outre le fils spirituel du prophète Simon Kimbangu, fondateur de la plus influente Église indépendante chrétienne du Congo, de type messianique, qui regroupe quatre millions de fidèles. Le kimbanguisme, persécuté à l’époque coloniale, est une puissance redoutée du pouvoir. Bamba, adepte de la non-violence, a passé plus de dix ans dans un camp de concentration avant l’indépendance. Cet homme charismatique s’est opposé avec courage au coup d’État. Qu’ont-ils à se reprocher ? Pour l’essentiel, une extrême imprudence, et rien de plus. Ils sont tombés dans un piège machiavélique tendu par le général-président dont ils ont sous-estimé la perfidie. ❋❋❋

Ni à droite, ni à gauche, ni au centre C’est l’époque où le chef de l’État commence à bouffir d’orgueil. Il parle de plus en plus souvent de lui-même à la troisième personne, commentant avec un faux détachement les paroles et les actes du « général Mobutu ». « Le peuple congolais et moi-même, déclare-t-il, sommes une seule et même personne. » En septembre 1967 paraît, sous sa signature, un ouvrage intitulé Le Gouvernement légitime. Sa couverture s’orne d’un portrait de Mobutu aux côtés de l’effigie de… Jules César. Rentrant d’un sommet de l’OUA où il a été chaudement applaudi, Mobutu confie à un proche : « À ce moment-là, j’ai senti monter en moi l’odeur du chef. » L’ivresse du pouvoir grise cet homme encore jeune, ardent, ambitieux et pugnace. « Je rends coup pour coup », dit-il à son médecin personnel, l’Américain William Close. Sur les photos officielles, il a fière allure en grand uniforme blanc, au premier rang de ses ministres qui posent en redingote, leur chapeau melon à la main. Il est si sûr de son autorité qu’il peut partir en voyage trois semaines à l’étranger sans craindre qu’elle ne soit contestée en son absence. Il impose peu à peu une autocratie, une dictature qui se prétend « éclairée », où chaque corps social doit rejoindre de gré ou de force le giron du MPR. Les fédérations de jeunesse et d’étudiants se regroupent au sein de la Jeunesse du Mouvement populaire de la révolution (JMPR). Les syndicats perdent toute autonomie en fusionnant dans un syndicat unique, l’Union nationale des travailleurs congolais (UNTC). Le Manifeste est AFRIQUE MAGAZINE

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clair : « Le syndicat ne doit plus affronter la politique du gouvernement, mais l’appuyer. » Le droit de grève est suspendu. Les ministres eux-mêmes se plient aux désirs du Bureau politique. Le gouvernement n’est, selon la littérature officielle, qu’un « organe d’exécution » des décisions de l’« organe de conception », le Bureau politique. Dans les provinces, une autorité duale, administrative et partisane, suscite une kyrielle de conflits. Mobutu règle le problème en faisant des gouverneurs les chefs régionaux du MPR. ❋❋❋

Crépuscule en solitaire Il est environ 16 heures, ce vendredi 21 mars 1997, lorsque l’avion qui ramène Mobutu de Nice s’immobilise au ras du tapis rouge sur l’aéroport de Kinshasa. La porte de l’appareil s’ouvre, mais personne n’en sort. Vingt minutes s’écoulent. Interminables. Rien ne se passe. Les dignitaires incrédules rebroussent chemin vers le salon d’honneur. Finalement, Mobutu descend de la passerelle, d’une démarche hésitante, au bras de son épouse. Ses bras et ses jambes ont souffert du voyage. Il a fallu les masser. Amaigri, il a les joues creuses, les cheveux clairsemés. Trois mois plus tôt, il rentrait en triomphe au pays. Cette fois, il revient sans gloire, en catimini. Nulle foule en liesse dans les rues pour l’accueillir. Sa longue limousine noire file à vive allure. Le cortège s’attire des huées, des sifflets. Ce même vendredi, Kisangani attend son « libérateur », Kabila. La troisième ville du pays est tombée six jours plus tôt dans les mains de l’AFDL. Une marée humaine déferle sur l’aéroport, chantant, dansant, transpirant. La foule exhibe fièrement ses banderoles : « Adieu à la dictature de Mobutu ! » « Soyez le bienvenu, papa Kabila ! » Ou encore : « Le fils de Chirac est mort, maintenant nous sommes libres ! » À peine débarqué, Kabila s’engouffre dans une voiture, sous escorte militaire. Personne, ou presque, ne l’a vu. Mais tout le monde est content. Le lendemain, Mobutu apparaît quelques minutes sur la terrasse de sa résidence du camp Tshatshi. Il s’adresse, de sa voix caverneuse, à un groupe de journalistes étrangers : « Je m’appelle Mobutu. Je suis rentré pour m’occuper non pas de la fortune de Mobutu, comme vous l’écrivez de temps en temps, mais des intérêts supérieurs du Zaïre, c’est-à-dire notre unité et notre intégrité territoriales. » Il est accompagné du vice-président sud-africain Thabo Mbeki. Mobutu sait sa situation désespérée. Les rebelles poursuivent leur marche inexorable. Kabila se montre intraitable. Lors d’un meeting à Kisangani, il exclut tout cessez-le-feu en préalable à une éventuelle négociation. Laquelle, dans son esprit, ne peut porter que sur un seul objet : le départ de Mobutu, qu’il réclame avec constance. Il annonce en outre l’interdiction des partis politiques dans les régions sous son contrôle. ■ 77


BUSINESS Interview

Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo

Le Groupe OCP s’implique en Côte d’Ivoire

Les prix

alimentaires sous tension

Le lithium et autres nouveaux trésors africains

L’explosion des cours ouvre des perspectives nouvelles, notamment en matière d’industrialisation. En particulier pour tous les minerais concernés par les exigences du développement durable. par Cédric Gouverneur

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’historique du cours du lithium donne le vertige : il y a une décennie, une tonne de ce minerai valait un peu moins de 4 500 dollars. Il y a cinq ans, en 2017, elle dépassait les 12 000 dollars. Et aujourd’hui, elle frôle les 80 000… « Le prix du lithium a atteint des niveaux insensés ! » a tweeté Elon Musk le 8 avril, en commentant ces chiffres. Le patron des voitures électriques Tesla estime que sa société « pourrait devoir se lancer dans l’exploitation minière et le raffinage directement, à grande échelle, à moins que les coûts s’améliorent ». Même si le cours de ce minerai avait chuté à 6 800 dollars en 2020 78

du fait du choc pandémique et de la considérable mise entre parenthèses de l’économie mondiale, la tendance à long terme est clairement à la hausse. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la demande mondiale en batteries lithium-ion pour véhicules électriques va, au minimum, décupler dans la prochaine décennie, en raison notamment de la transition énergétique et de la lutte globale contre les émissions carbones. La Commission européenne planifie même l’interdiction des véhicules dits « thermiques » (essence et diesel) à l’horizon 2035. L’avenir appartient clairement aux véhicules sans carburant : selon

le cabinet Jato Dynamics, les ventes de voitures électriques ont plus que doublé entre 2020 et 2021 (+108 %), avec 4,2 millions de véhicules écoulés, contre 2 millions l’année précédente. Rien qu’au premier trimestre 2021, il s’en est vendu autant que durant toute l’année 2017… En tête du palmarès 2021 se trouve l’américain Tesla (900 000 voitures vendues), puis l’allemand Volkswagen (480 000) et le sud-coréen Hyundai-Kia (227 000). Nul doute que la forte hausse des prix des carburants, provoquée par le conflit en Ukraine depuis fin février, devrait conforter les acheteurs de véhicules électriques dans leur choix et séduire les hésitants…

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Une usine fabriquant des batteries au lithium pour les voitures électriques, à Nankin, dans l’est de la Chine, en mars 2021.

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BUSINESS de minerais – depuis l’invasion de et la maigre probabilité du risque l’Ukraine la mettent sur la touche… d’accident nucléaire dans une centrale, Afin de se substituer au géant russe comparée à la certitude et à l’urgence désormais persona non grata auprès de la catastrophe climatique à venir en des Européens et des Américains, cas d’absence de baisse des émissions l’Afrique du Sud a annoncé, dès mars, de CO2… L’Association nucléaire l’accroissement de sa production mondiale prévoit donc une forte hausse de titane (nécessaire notamment de la demande globale en uranium, à la fabrication de d’environ 73 000 tonnes L’État qui mise pots catalytiques, qui en 2021 à plus de diminuent la nocivité 93 000 tonnes en 2030. le plus sur cette des gaz d’échappement). Les pays africains au hausse durable Les producteurs de sous-sol riche en minerais est la République gaz du continent africain pourraient ainsi figurer démocratique vont également tirer parmi les bénéficiaires avantage des sanctions : de ce nouveau contexte du Congo. l’Union européenne énergétique. D’autant que entend réduire sa dépendance les sanctions occidentales qui frappent énergétique au gaz russe (40 % la Russie – autre important producteur de ses approvisionnements). Le 7 avril 2022, le patron de Tesla lors de l’inauguration de la nouvelle méga-usine Quelques jours après l’invasion de la marque, à Austin, au Texas. en Ukraine, le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio et les responsables de la compagnie d’hydrocarbures Eni se sont rendus en Algérie afin de rencontrer le président Abdelmadjid Tebboune et de négocier l’achat auprès du groupe pétro-gazier public Sonatrach « de quantités supplémentaires de gaz et les concrétiser dans les meilleurs délais ». Mais l’État africain qui mise le plus sur cette hausse durable est la République démocratique du Congo (RDC), deuxième producteur de lithium du globe, derrière l’Australie, avec 132 millions de tonnes en réserve dans son sous-sol. À près de 80 000 dollars la tonne, le potentiel laisse songeur, et les autorités de Kinshasa ne cachent pas leurs ambitions : le président Félix Tshisekedi a appelé ses « homologues à saisir l’occasion qui s’offre [au] continent de construire ensemble l’industrie de la batterie électrique », en présence du chef d’État zambien Hakainde Hichilema, lors du DRC – Africa Business Forum,

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BOB DAEMMRICH/ZUMA PRESS/REA

Or, chaque batterie de voiture contient environ 80 kilos de lithium. La transition énergétique crée donc les conditions d’une progression durable, et sur le long terme, des cours des matières premières désormais indispensables à ces nouvelles énergies « décarbonées » : non seulement le lithium, mais également le cuivre, le cobalt, le nickel ou le manganèse, utilisés pour les panneaux solaires photovoltaïques ou les éoliennes. Sans oublier l’uranium : la filière nucléaire travaille à « verdir » son image, considérablement dégradée depuis la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima, le 11 mars 2011. Ses défenseurs avancent comme arguments ses faibles rejets de gaz à effet de serre


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organisé par la présidence en novembre dernier à Kinshasa, avec notamment le soutien de la Banque mondiale et de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique [voir l’interview de Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo, pages suivantes]. « La RDC est la destination la plus compétitive au monde pour installer des usines de fabrication de batteries », a rappelé Tshisekedi. En effet, selon une récente étude de BloombergNEF, réalisée par Kwasi Ampofo, responsable du département métaux et mines du cabinet américain, ériger ces sites industriels en RDC coûterait trois fois moins cher que de le faire aux États-Unis ou en Chine, et deux fois moins qu’en Pologne, qui plus est avec une empreinte carbone moindre du fait du potentiel hydroélectrique du géant d’Afrique centrale. La société minière australienne AVZ Minerals et le fabricant chinois de batteries CATL s’intéressent donc au plus grand gisement de lithium au monde, situé à Manono (dans le sud-est du pays). L’histoire a tendance à se répéter : au début du XXe siècle, rappelait récemment Ed Cropley, journaliste spécialiste des questions énergétiques à l’agence Reuters, le pionnier de l’automobile américain Henry Ford avait pris soin d’assurer ses approvisionnements en prenant le contrôle effectif de plantations d’hévéas et de mines de charbon. Il lui semble ainsi « logique » que Musk s’intéresse de plus en plus aux gisements africains… La RDC, qui au fil des décennies a acquis le surnom peu enviable de « scandale géologique », devra cependant affronter – et vaincre – ses sempiternels démons (corruption, gabegie et mal-gouvernance) si elle veut parvenir à attirer sur son sol les usines des énergies de ce futur « décarboné », riche d’opportunités. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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LES CHIFFRES 20 millions

3,6 %

SOIT LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE QUE PRÉVOIT LA BANQUE MONDIALE POUR L’AFRIQUE EN 2022 (CONTRE 4 % L’AN DERNIER).

3 millions de tonnes par an, c’est la capacité de la plus grande usine d’engrais du continent, que vient d’inaugurer le groupe Dangote à Lekki, au Nigeria.

de personnes sont menacées par la sécheresse dans la Corne de l’Afrique.

L’ITALIE DÉPENDANT À 45 % DU GAZ RUSSE, LE PREMIER MINISTRE FAIT LE TOUR DES PRODUCTEURS AFRICAINS POUR DIVERSIFIER SES APPROVISIONNEMENTS : ÉGYPTE, ALGÉRIE, CONGO, ANGOLA, MOZAMBIQUE…

Depuis le début du conflit en Ukraine, le cours du pétrole tourne autour de 100 dollars le baril, mais certains experts envisagent une hausse à 150 dollars. 81


BUSINESS

Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo ÉCONOMISTE À LA CEA

« Nous allons assister à un retour du protectionnisme » La hausse sur le long terme du cours des minerais indispensables aux énergies renouvelables bouleverse la donne industrielle. Économiste à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo répond à nos questions.

propos recueillis par Cédric Gouverneur 82

AM : La demande mondiale en minerais nécessaires aux batteries électriques et aux énergies renouvelables ainsi que les sanctions occidentales contre la Russie créentelles un contexte plus favorable aux pays producteurs africains ? Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo : Les sanctions

occidentales contre la Russie auront des conséquences positives et négatives sur l’Afrique, qui possède 12 % des réserves mondiales de pétrole, 12 % des réserves de gaz naturel, plus de 80 % des métaux du groupe du platine, et plus de 40 % de l’or. La guerre a rendu beaucoup de matières premières plus chères, entraînant un renforcement des devises des exportateurs du continent, qui feront probablement partie des grands vainqueurs, car la flambée des prix se prolongera. À court terme, les pays producteurs d’énergies fossiles sont les plus grands gagnants : le prix du pétrole fluctue énormément, atteignant 139 dollars le baril à la mi-avril, soit 30 % de plus qu’au début de l’invasion. Ce boom bénéficie à plusieurs exportateurs, dont le Nigeria, l’Algérie, l’Angola et la Libye. Les pays qui possèdent

les réserves de gaz les plus profondes au monde (Nigeria, Algérie, Égypte, Tanzanie, Mozambique) pourraient remplacer les approvisionnements russes en Europe. Bénéficier de cette opportunité nécessitera qu’ils relèvent les défis en infrastructure en accélérant des plans – vieux de plusieurs décennies – de construction de pipelines d’exportations. L’un des moyens consiste à ouvrir le secteur aux capitaux privés. Il faudrait aussi des contrats à long terme pour garantir un approvisionnement important en Europe, étant donné que le gaz servira d’énergie de transition pour encore quelques années. La Russie étant un important producteur de métaux précieux et rares, les sanctions occidentales à son encontre devraient amener les grandes entreprises américaines, comme Apple, à trouver de nouveaux fournisseurs. Le continent abrite ainsi d’importantes réserves de cuivre et de cobalt, de diamants, d’uranium, de fer, de manganèse, de bauxite ou encore de lithium… Le Rwanda est par exemple le plus grand exportateur de tantale au monde, métal indispensable dans les smartphones, les réacteurs nucléaires,

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les pièces d’avions et de missiles, certains appareils chirurgicaux, etc. Ces États devraient voir leur solde courant s’améliorer, et les entreprises minières peuvent s’attendre à des bénéfices exceptionnels. Mais pour consolider ces gains et les utiliser afin de financer le développement durable, il faudrait remédier à la faiblesse des structures de gouvernance, ainsi qu’au risque élevé des investissements sur le continent. Elon Musk envisage que Tesla fasse de l’extraction de lithium, et Bloomberg estime que construire des usines en République démocratique du Congo (RDC) pour le transformer sur place coûterait moins cher qu’aux États-Unis ou en Chine. Comment réunir les conditions de cette industrialisation ?

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La RDC est particulièrement bien placée pour occuper une position de leader dans l’industrie de la transition énergétique. Mais en tant qu’exportateur de matières premières toujours bloqué dans la phase d’extraction et de traitement p des minéraux, ce pays se trouve cependant au bas de la chaîne de valeur

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qui est conservée localement, tout en mondiale des batteries et des véhicules renforçant la compétitivité des PME électriques, ne capturant actuellement locales et la création d’emplois décents que 3 % de la valeur mondiale totale. pour les jeunes. Par exemple, presque tout le cobalt qui y est extrait est exporté vers la Chine Le secteur minier sur le continent ne ou la Belgique pour être affiné, avec des se distingue ni par sa transparence avantages économiques insignifiants ni par sa bonne gouvernance : pour le pays. Le développement l’exploitation des diamants du sur place d’une chaîne Botswana (avec son fonds souverain de valeur (production de Pula) peut-elle être précurseurs, fabrication un modèle ? de cellules de batterie, L’Afrique doit se doter assemblage de cellules et dès à présent de mécanismes Certains pays fabrication de véhicules permettant la bonne électriques) permettrait gouvernance et l’utilisation devraient à l’Afrique de gagner voir leur solde efficiente de cette manne une plus grande part financière que représente courant du marché des batteries l’exploitation de ses réserves, s’améliorer, et de véhicules électriques à l’image du fonds souverain et des énergies les entreprises Pula, créé en 1993. Sa renouvelables. Pour gestion est confiée à la minières construire une chaîne Banque du Botswana pour peuvent d’approvisionnement assurer sa solidité juridique s’attendre à nationale, les pays et ses transactions. Cette du continent doivent dernière évalue les besoins des bénéfices intensifier leurs exceptionnels. en réserves internationales investissements dans les primaires (investies dans infrastructures et élaborer les politiques le portefeuille de liquidités) pour atteindre ses principaux objectifs. et les cadres réglementaires nécessaires n investissements, Les actifs excédant ce qui est nécessaire afin d’attirer des investisseme pour l’adéquation des réserves sont mettre à niveau les compétences compéten main-d’œuvre investis à long terme en consultation disponibles et fournir la main avec le ministère des Finances et de nécessaire. Pour ce faire, la CEA C gouvernement la Planification du développement. vient de lancer avec le gouve d’excellence Le gouvernement investit directement de la RDC un centre d’exce dans le fonds Pula, et ses actifs spécialisé dans la formation formati et la sont comptabilisés dans le compte recherche avancée sur les le batteries, Lubumbashi. d’investissement gouvernemental. à l’Université de Lubum intégration Les spécifications légales de ces Une meilleure intégr africains activités sont détaillées dans la loi. des producteurs afr batteries Les fonds souverains dans les pays de minéraux de ba producteurs, de type hybride, allient dans les chaînes de valeur contribuera la stabilisation économique et l’épargne, mondiales cont catalysent la bonne gouvernance et non seulement à la la transparence fiscale. Gouverner en réalisation des objectifs développement collaborant avec la société civile devrait de développem aider le continent à éviter, cette fois, la durable et élargira éla malédiction des matières premières. ■ la part de la rrichesse

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BUSINESS

Récolte de cabosses de cacao à Man, à l’ouest du pays.

Le Groupe OCP s’implique en Côte d’Ivoire L

e CEO d’OCP Africa, filiale du Groupe OCP, Mohamed Anouar Jamali, et le ministre ivoirien de l’Agriculture et du Développement rural, Kobenan Kouassi Adjoumani, ont signé le 28 mars à Abidjan, en présence du Premier ministre Patrick Achi, un protocole d’accord-cadre de partenariat visant à favoriser la transformation de l’agriculture du pays. « La présente signature d’une convention de 84

partenariat s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du deuxième Programme national d’investissement agricole (PNIA 2), une déclinaison du programme stratégique Côte d’Ivoire 2030 », a précisé Kobenan Kouassi Adjoumani. Présentée en novembre dernier, la Vision 2030 est une stratégie de développement qui définit des leviers prioritaires afin de booster les potentiels du pays et créer de la valeur ajoutée

dans les secteurs de l’agribusiness, du textile, de l’habitat, du numérique, du tourisme et de la culture. L’ambition est de créer 8 millions d’emplois d’ici 2030, de doubler le revenu par habitant et de diviser par deux le taux de pauvreté. Prévue pour une période initiale de deux années renouvelables, cette coopération entre la Côte d’Ivoire et le Groupe OCP comportera trois accords spécifiques : la création de 30 centres de service AFRIQUE MAGAZINE

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ZIV KOREN/POLARIS/STARFACE

Le géant marocain des phosphates a signé un partenariat stratégique avec les autorités pour développer les chaînes de valeur agricoles dans le pays.


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agricole de nouvelle génération, une cartographie numérique de la fertilité des sols, et une coopération d’OCP avec le Projet de promotion du riz local (lancé en 2014 dans le nord du pays pour relancer la production, la transformation et la commercialisation du riz paddy). Ce partenariat a pour ambition l’amélioration de la gouvernance des chaînes de valeur agricoles et des ressources animales et halieutiques, et le développement de la recherche tout comme de la formation. L’objectif est de renforcer la compétitivité de ces chaînes de valeur agricoles, ainsi que d’améliorer leur insertion dans les chaînes de valeur mondiales. Le ministère de l’agriculture ivoirien espère qu’« il s’en suivra un accroissement des revenus agricoles de 60 à 80 % d’ici 2030 ». Le CEO d’OCP Africa, Mohamed Anouar Jamali, a indiqué que deux autres accords devraient suivre : l’un sur la diffusion des bonnes pratiques agricoles auprès des coopératives féminines, l’autre sur la mise en place d’un mécanisme pour l’accompagnement et le support des start-up ivoiriennes, dans le but de favoriser les investissements en agribusiness dans le pays. Une école numérique de l’agriculture, la « digital farmer school », doit voir le jour : adossée à une ferme expérimentale, elle aura pour objectif « la formation d’excellence des jeunes en agribusiness et en agri-tech », a précisé le CEO, ajoutant que « cette école, qui sera le premier noyau en Côte d’Ivoire de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), fera l’objet d’un sixième accord spécifique ». Fondé en 1920, le Groupe OCP est le premier exportateur de phosphate brut, d’acide phosphorique et d’engrais phosphatés dans le monde. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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L’indice FAO des prix des huiles végétales a grimpé de 23,2 % entre février et mars.

Les prix alimentaires sous tension

La guerre en Ukraine provoque une inflation massive des cours et des produits.

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ela se confirme, et c’est très inquiétant : l’Ukraine et la Russie représentant 30 % des exportations mondiales de blé, le conflit entre les deux nations slaves, déclenché le 24 février, impacte fortement les cours. Établi par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’indice des prix des produits alimentaires a atteint en mars une moyenne de 159,3 points, son plus haut niveau depuis sa création en 1990 : dans le détail, l’indice FAO des prix des céréales a grimpé de plus de 17 % entre février et mars, et celui des huiles végétales de 23,2 % (l’Ukraine étant le premier producteur mondial d’huile de tournesol). La guerre vient s’ajouter à d’autres facteurs de hausse : l’indice

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FAO du prix du sucre a ainsi grimpé de 6,7 % (du fait notamment de la hausse du réal, la monnaie du Brésil), celui de la viande de 4,8 % (en raison d’une épidémie de grippe aviaire en Europe), et celui des produits laitiers de 2,6 % – une hausse de 23 % en un an (du fait de l’augmentation de la demande, notamment sur les marchés asiatiques). Selon la FAO, 14 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim à cause du conflit et de ses conséquences. En outre, 125 millions de personnes à travers le monde dépendent du Programme alimentaire mondial (PAM) pour se nourrir, or, la moitié du blé de ce dernier provenait d’Ukraine, dont la production agricole est paralysée par la guerre… ■ 85


VIVRE MIEUX Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

MYOPIE UNE ÉPIDÉMIE MONDIALE SANS VIRUS NI CONTAGION

LES CHIFFRES SONT INQUIÉTANTS. POUR FREINER LA PROGRESSION FULGURANTE DE CETTE ANOMALIE DE LA VISION QUI SERAIT LIÉE À NOTRE MODE DE VIE, IL FAUT AGIR DÈS L’ENFANCE.

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victimes de complications pouvant menacer la vue, et même conduire à la cécité : décollement de la rétine, glaucome – qui les touche deux fois plus [voir encadré] –, cataracte précoce, maladies de la macula (zone centrale de la rétine)… Ces complications peuvent survenir chez les myopes forts à un âge encore jeune, vers 40 ou 50 ans. LES SOLUTIONS POUR RÉDUIRE LE PHÉNOMÈNE

La myopie est souvent liée à des facteurs héréditaires. Mais concernant l’épidémie actuelle, les études mettent en cause les nouveaux modes de vie, avec un manque d’exposition à la lumière naturelle (sans elle, le globe AFRIQUE MAGAZINE

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EN 2010, ON COMPTAIT 2 MILLIARDS de myopes dans le monde. Aujourd’hui, ils sont près de 3 milliards, et à l’horizon 2050, ils devraient être plus de 5 milliards, soit la moitié de la population mondiale ! Due à un allongement excessif du globe oculaire, la myopie affecte la vision de loin. Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme sur cette « épidémie » car elle est loin d’être anodine. Il s’agit d’un véritable problème de santé, puisque cette affection ne se résume pas au port d’une correction optique. Sur les 5 milliards de myopes en 2050, 10 à 20 % souffriront de formes graves. De fait, les myopes forts (à partir de -5 ou -6 dioptries) sont plus à risque d’être


oculaire des enfants s’allonge trop vers l’arrière) et la vision de près sollicitée de plus en plus tôt. Pour les spécialistes, la meilleure prévention chez les enfants est de privilégier les activités en extérieur : deux heures minimum par jour, pour profiter de la lumière naturelle et en même temps solliciter la vision de loin. Parallèlement, il est conseillé de réduire les activités prolongées en vision de près et de faire des pauses durant celles-ci. Enfin, il faut réaliser des dépistages réguliers chez l’ophtalmologiste, notamment un vers 3 ans, et un autre vers 6 ans. Et consulter lorsqu’un enfant se plaint de ne pas voir au tableau, de voir flou, et rapproche de ses yeux ses livres. En traitement, il existe maintenant des moyens pour freiner la myopie chez les plus jeunes. Plus tôt ils sont mis en œuvre, plus l’évolution de celle-ci sera ralentie. Il peut s’agir de l’orthokératologie, qui consiste, à partir de 7 ou 8 ans, à porter la nuit des lentilles rigides remodelant la cornée. Cela corrige la myopie la journée sans port de lunettes, freine son évolution et évite les complications des myopies fortes. Le port journalier de lentilles souples est également possible pour réduire la myopie. Il existe d’autre part des verres freinateurs : ceux-ci réduisent la croissance de l’œil et empêchent l’évolution du trouble visuel. Leur port est recommandé entre 6 et 12 ans. Autre stratégie : un collyre à base d’atropine instillé une fois par jour. Il a une action sur les parois du globe oculaire, limitant son élongation, et peut être administré à partir de 6-7 ans, pendant une année, avant de faire un bilan. Si la myopie est stabilisée, il peut être poursuivi deux ans. Et si elle ne l’est pas, il peut être proposé de combiner traitement et verres. Quant à la chirurgie, possible à l’âge adulte sauf contre-indications, elle ne diminue pas la taille du globe oculaire et ne réduit donc pas le risque de complications. Même opéré, il faudra se faire suivre. ■ Julie Gilles

Attention au glaucome !

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es myopes y sont plus sujets, et l’hérédité est également un facteur de risque. Dû à une pression intraoculaire trop élevée, et pouvant rester sans symptôme durant des années, il passe souvent inaperçu. Il faut donc le dépister, sinon le glaucome non traité détériore peu à peu le nerf optique : il dégrade la vision périphérique, puis la vision centrale, pouvant conduire à la cécité. L’abaissement de la pression oculaire en utilisant des collyres, lasers ou traitements chirurgicaux est le seul moyen de stopper ou freiner la progression de la maladie, qui reste insuffisamment dépistée. À partir de la presbytie (vers 45 ans), il est capital de consulter régulièrement un ophtalmologiste : pas uniquement pour renouveler sa correction optique, mais aussi pour un contrôle de la pression intraoculaire et un examen du fond d’œil et du nerf optique, à même de détecter le glaucome, qui devient plus fréquent avec l’âge. ■ J.G.

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DU SPORT POUR DOPER SA FERTILITÉ L’ACTIVITÉ PHYSIQUE LA BOOSTE, QUE CE SOIT CHEZ L’HOMME OU CHEZ LA FEMME. AVOIR UNE PRATIQUE SPORTIVE régulière est bénéfique sur plusieurs plans si l’on veut concevoir plus facilement un bébé. En premier lieu, cela aide à lutter contre le surpoids. Chez l’homme, celui-ci peut entraîner un déséquilibre hormonal ainsi que nuire à la fonction érectile. Et chez la femme, il peut affecter la qualité des ovaires. Ensuite, quand on fait du sport régulièrement, on mange en général plus sainement, donc avec un apport optimal en nutriments. Or, ceux-ci influent sur le bon équilibre hormonal chez les deux sexes. Enfin, l’activité physique évacue le stress, lequel réduit souvent drastiquement les chances de procréation. Chez l’homme, il risque ainsi d’entraîner une baisse de la production de testostérone, avec pour conséquences possibles une diminution de la libido et un dysfonctionnement érectile. Il peut également réduire le volume du sperme, tandis que le sport, lui, booste sa concentration en spermatozoïdes. Et chez la femme, le stress peut retentir sur la régularité des cycles et bloquer l’ovulation. Si l’on veut booster sa fertilité, toute activité physique est donc bénéfique ! ■ Annick Beaucousin 87


VIVRE MIEUX

POURQUOI A-T-ON LA PAUPIÈRE QUI TREMBLE ? IMPOSSIBLES À MAÎTRISER, CES TRESSAILLEMENTS SONT DÉSAGRÉABLES, MAIS BÉNINS !

LES BIENFAITS DES MÉTHODES CORPS-ESPRIT MÉDITATION, YOGA, HYPNOSE… CES DISCIPLINES QUI PEUVENT NOUS AIDER À ALLER MIEUX. NOMBRE D’ÉTUDES LE MONTRENT : ces activités font du bien et permettent de consommer moins de médicaments – et donc de limiter leurs effets secondaires s’il y en a. Les médecins eux-mêmes ne sous-estiment pas l’intérêt de ces méthodes et, pour beaucoup, les conseillent dorénavant. Pour s’y mettre, à défaut d’un professionnel à proximité de chez soi, on peut s’aider d’applis ou de vidéos sur Internet.

• La méditation : elle a une action bénéfique sur les douleurs, procure ainsi un meilleur sommeil, et permet de diminuer la prise d’antalgiques. La pratiquer régulièrement peut aussi amoindrir le stress et améliorer le bien-être.

• Le yoga : il a fait l’objet de très nombreuses publications scientifiques concernant les douleurs notamment, comparant ses bienfaits tantôt à ceux des médicaments, tantôt à ceux de la kinésithérapie, ou encore à ceux d’une activité physique. Et aucun doute, le yoga soulage toutes sortes de douleurs : maux de dos, rhumatismes, maux intestinaux… • L’hypnose : elle a fait ses preuves pour lutter contre les addictions, car elle favorise la création de nouveaux automatismes cérébraux. Côté sommeil, elle permet de diminuer le temps d’endormissement et les réveils nocturnes.

CES BRÈVES SECOUSSES sont provoquées par de petites contractions involontaires d’un muscle de la paupière. Mais que l’on se rassure, il s’agit d’un phénomène totalement bénin ! Lorsque celui-ci se répète, un déficit en magnésium peut en être la raison : de fait, des muscles manquant de ce sel minéral fonctionnent mal et se tendent, en particulier au niveau de la paupière. La solution ? Revoir son alimentation pour avoir de meilleurs apports en magnésium : favoriser les céréales complètes (pain complet, pain de seigle, riz complet) et consommer des aliments qui en sont riches, tels que légumes secs, fruits oléagineux, cacao… Les poissons et fruits de mer en apportent aussi un peu, tout comme les légumes verts. Et rien n’empêche de faire en plus une cure avec un complément alimentaire. Autre cause possible de ces tressaillements : un manque de sommeil ou un excès de stimulants comme la caféine, favorisant un état d’hyperexcitabilité des fibres musculaires. Dans ce cas-là, c’est son hygiène de vie qu’il faut revoir. Enfin, l’excès de stress est aussi avancé comme pouvant être coupable. Mais ici, on rejoint un peu le problème du magnésium : en effet, le stress augmente l’élimination urinaire de ce dernier, donc favorise une carence. D’où le conseil habituel de se supplémenter dans cette circonstance. Et il faut également essayer d’éloigner les tensions, en s’octroyant des moments pour soi qui permettent de « souffler » : musique, danse, chant, balades en plein air, méditation, et autre activité relaxante… ■ A.B.

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• La cohérence cardiaque : basée sur une respiration lente et régulière, cette méthode aide à dissiper ses angoisses, à mieux gérer son stress. Elle peut empêcher l’installation d’un stress chronique, avec tous les effets néfastes sur la santé que celui-ci peut avoir. La cohérence cardiaque peut également protéger des maladies cardiovasculaires. ■ J.G. AFRIQUE MAGAZINE

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En bref Spécial hommes

Les chaussettes connectées de la marque Siren surveillent la température et préviennent les inflammations.

◗ À 40 ans, âge charnière, il est important de prendre soin de son corps. Ce livre donne les clés pour aider à prévenir les premiers signes de vieillissement de l’organisme chez l’homme, en adoptant une bonne hygiène de vie et en faisant du sport pour sa condition physique. Au masculin : Sport, santé, bien-être après 40 ans, par le Pr Fabien Doguet et Jean-Marc Delorme, Flammarion, 19,90 euros.

DIABÈTE : DU NOUVEAU CÔTÉ PRÉVENTION

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LES ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES PERMETTENT DE FORMIDABLES AVANCÉES POUR ÉVITER LES PLAIES DU PIED. CHEZ LES PERSONNES diabétiques, les plaies du pied sont toujours une complication fréquente et majeure, conduisant encore trop souvent à des amputations. Pourquoi ces plaies surviennent-elles ? Au fil de l’évolution de la maladie, à cause d’une atteinte des vaisseaux, le pied est incorrectement vascularisé, et la cicatrisation se fait mal : un simple bobo peut ainsi tourner en inflammation et infection. De plus, l’excès de sucre dans le sang peut provoquer une atteinte des nerfs, avec une diminution ou une perte de sensibilité au niveau du pied : une lésion peut ainsi passer inaperçue et parfois rapidement évoluer. Faute de bonne sensibilité, il est donc conseillé de bien surveiller ses pieds et de consulter devant la moindre blessure, ou un changement de coloration de la peau. Parallèlement à cela, un podologue peut donner des conseils pour ne pas « agresser » ses pieds (par exemple, porter des chaussures sans risque de frottement). Mais ces mesures préventives ne sont pas toujours correctement mises en place. AFRIQUE MAGAZINE

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D’où l’intérêt de nouvelles approches qui ont été présentées en mars dernier au congrès annuel de la Société francophone du diabète : il s’agit de technologies digitales qui permettent de limiter le risque d’apparition de plaies chez les malades. Ainsi, des objets connectés, comme des semelles capables de repérer les zones d’hyperpression et d’alerter sur le risque par l’intermédiaire de montres connectées, ont été présentés. Autre exemple d’innovation : des tapis peuvent détecter une différence de température entre les deux pieds d’une personne diabétique, cette différence étant un marqueur de risque de survenue de plaie dans les 40 jours à venir. Grâce à ces dispositifs, on peut ainsi anticiper avant l’apparition de la plaie, avec les mesures de prévention qui s’imposent : soins de pédicurie, mise en place d’un chaussage adapté, etc. Par ailleurs, une autre technologie est en développement : la télésurveillance à distance, permettant la télétransmission de photographies d’une plaie par une infirmière à domicile et un suivi pour s’assurer de l’évolution favorable. ■ A.B.

Sucre et nouveaux réflexes ◗ Consommé en excès, le sucre est aujourd’hui devenu un problème de santé majeur. Ce guide en expose les conséquences (obésité, diabète, maladie du soda…), explique d’où vient l’augmentation du sucre dans l’assiette, et donne des conseils pour parvenir à en réduire sa consommation selon ses besoins. En finir avec le sucre, par Claire Ricard, Larousse, 13,95 euros.

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« Rêve », car il permet de transformer le monde. C’est la porte de l’espoir, l’horizon de nos enfants.

9 Prodigue ou économe ? J’aime à m’engager pour l’avenir. Pour cela, il faut savoir s’investir, sans dépenser pour dépenser.

10 De jour ou de nuit ?

Abdoulaye Nderguet Surnommé le ROSSIGNOL DU TCHAD, il fait vibrer les racines africaines du blues avec les musiciens du BEX’Tet. Une voix puissante et apaisante. propos recueillis par Astrid Krivian

Le retour aux sources dans mon village à Bedaya, au sud du Tchad. Je m’y rends en voiture, puis je finis le trajet à pied ou en charrette à bœufs.

3 Le dernier voyage

que vous avez fait ?

Une tournée africaine : Lomé, Ouagadougou, Conakry, Bamako, Kinshasa, Kisangani, Luanda et N’Djamena.

5 Un morceau de musique ?

Regarder un film de science-fiction. On s’évade ainsi de la dictature du quotidien.

13 Votre extravagance favorite ? La marche ! En ville, les gens se demandent pourquoi je ne me déplace pas en voiture. Mais j’aime le contre-pied.

15 La dernière rencontre

qui vous a marqué ?

L’un de mes oncles paternels, au village. Du haut de ses 92 ans, il tissait le séko, une clôture circulaire en paille fixée sur du bois. Pourrais-je faire la même chose à son âge ?

16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? La viande grillée. L’Âme du blues, Abdoulaye Nderguet et le BEX’Tet, Go Musick/L’Autre distribution.

« Carmina Burana », de Carl Orff. En me désignant la porte de l’enfer, il me rappelle à quel point la vie est précieuse et fragile.

6 Un livre sur une île déserte ? Au Tchad sous les étoiles, de Joseph Brahim Seid. Il montre la beauté du désert parsemé d’oasis, telles des îles perdues.

7 Un film inoubliable ? Dune, de Denis Villeneuve. Une alerte sur la cause du dérèglement climatique, dont nous ressentons déjà les effets. 90

12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ?

Éleveur. Ce désir ne m’a pas quitté. J’élevais des chèvres à 10 ans. Puis la guerre a éclaté, et j’ai perdu mon bétail.

2 Votre voyage favori ?

Mon chapeau.

Facebook, alias « Face de bouc » [rires] ! La communauté est très active, et je réponds à tous mes amis.

quand vous étiez enfant ?

Une radio, pour rester en éveil, relié au monde, même la nuit.

toujours avec vous ?

11 Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ?

14 Ce que vous rêviez d’être

1 Votre objet fétiche ?

4 Ce que vous emportez

De jour pour mes obligations – je me lève tôt. Et de nuit pour mes inspirations, quand je compose et écris.

17 Votre plus beau souvenir ? La première fois que mon papa nous a emmenés au village.

18 L’endroit où vous aimeriez vivre ? Addis-Abeba sonne dans ma tête comme un jardin enchanté.

19 Votre plus belle déclaration d’amour ? Les retrouvailles avec ma femme et mes enfants, après un éloignement professionnel.

20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne

de vous au siècle prochain ?

Que j’étais un acteur pour la paix dans le monde. Je viens en effet d’être nommé ambassadeur pour la paix au Sahel par l’ONG Afric’ompetence. ■ En concert le 7 mai à Ouagadougou (Burkina Faso).

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PASCAL TRÉHET - DR

LES 20 QUESTIONS

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