La Ronde # La revue d’art contemporain des musées de la Métropole Rouen Normandie

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56 Partenariat AFRICA2020 La Clairière d’Eza Boto

John Akomfrah All That is solid présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen au travers du regard d’Yves Chatap

L’autre histoire Depuis le début des années 1980, John Akomfrah CBE (Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique) explore l’archive sous toutes ses formes. Cet artiste né au Ghana a fait de l’image une matière primordiale au service d’une réflexion sur les questions de mémoire, de temporalité, d’identité culturelle et de post-colonialisme. Membre fondateur du Black Audio Film Collective (1982-1998), il développe depuis ses débuts un travail filmique mêlant fiction et documentaire dans un système de fabrication fait d’images d’archives, de textes, de sons et de mises en scène. Cette maîtrise des concepts de la pensée afropolitaine lui a permis d’engager notre imaginaire dans des univers oniriques où règne une poésie révélatrice d’enjeux sociétaux. L’œuvre All That Is Solid est un essai photographique dont la temporalité et l’espace s’inscrivent dans une multiplicité de possibles sur un territoire même fictionnel. Tout au long du film, il règne dans cette ville, très certainement d’après-guerre et en pleine reconstruction, un sentiment de mouvement permanent non loin de rappeler le tumulte dans lequel nous sommes enrôlés au quotidien. Ce monde industriel symbolisé par ses flots d’images, parfois troubles, montre son pouvoir tout en révélant à quel point notre regard est aliéné. Nous sommes pris par un flux d’images incessant, mais que retient notre mémoire ? À travers cet essai, le réalisateur met en abîme des capacités de notre mémoire à provoquer le souvenir. Tout au long, il est question de mises en abîme des mémoires occultées, car elles sont le reflet de tous les préjugés sur tout voyageur. Il est bien difficile de se débarrasser des illusions, fantasmes et connotations refoulées lorsqu’on investit un lieu nouveau. On pourrait presqu’y voir un clin d’œil à ce combat intérieur, entre attraction et

répulsion de la ville, que mène le héros Banda tout au long du roman Ville cruelle tant on y retrouve une certaine matérialisation de la migration et l’exil. Grâce à ce temps trouble, symbole de l’aventure et du lointain, John Akomfrah nous incite à regarder un monde en cohésion, un quotidien, mais avec un sens critique afin de prendre en considération les errances, visibles ou invisibles, des individus. Les déplacements forcés, des migrations volontaires, concourent au modelage de nouvelles identités de ces centres urbains. « Discourir », « narrer », « réciter », des termes aujourd’hui ne renvoyant qu’au musellement ou à la propagande. Nous sommes trop souvent enclins à la fabrication des discours excluant l’expérience migratoire, alors qu’elle est le symbole même de notre universalité. De nos jours, l’image en tant que document relève d’une attention particulière. Car qu’elle soit fictionnelle ou documentaire, elle conserve tout récit apte à construire des récits communs plus inclusifs. Comment construire ces péripéties en nous détachant d’allégories impérialistes parfois chimériques  ? L’engagement de John Akomfrah pour les questions d’identité passe aussi par un modelage des images de la puissance dominante pour leur conférer une transculturalité historique. L’artiste accorde une rigueur à interpeller passé, présent et futur dans le seul objectif de forger de nouveaux discours, d’autres mondes dirons-nous. Le noir et blanc, au-delà de son caractère apocalyptique, s’impose comme l’ataraxie de nos mélancolies (nostalgies). Il apporte une valeur particulière à l’œuvre : celle de permettre à chacun d’y apposer sa propre expérience du déplacement, tout en démystifiant toutes les formes d’oppositions dominant/dominé, féminin/masculin... Un sanctuaire voué au silence telles des statues figées par le hurlement des méandres

de l’histoire. En racontant l’histoire de populations transbordées et devenues un autre peuple sur un nouveau territoire, John vient contredire tout lieu commun sur l’appartenance et ses avatars. Mais que se passerait-il si nous sortions de ce brouillard ? John Akomfrah le réinterprète par ces atmosphères à la fois hypnotiques et poétiques tout en révélant presque les secrets d’un arrière-pays intimiste, grâce à des images. Mongo Béti lui aussi faisait d’évènements de sa jeunesse des récits dans lesquels son imaginaire nous télescopait dans une nouvelle réalité. Mais ce n’est qu’une métaphore de notre rapport à la mémoire des individus mais aussi des lieux, et surtout d’un futur pour sûr incertain. Isoler All That Is Solid dans des géographies ou des régionalismes ne serait que pure erreur car seule compte, ici, l’acceptation de l’hybridité de notre monde globalisé.


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