La Ronde # La revue d’art contemporain des musées de la Métropole Rouen Normandie

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64 Partenariat AFRICA2020 La Clairière d’Eza Boto

Malala Andrialavidrazana Figures présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen au travers du regard de Florence Calame-Levert

Une photographie du temps long En amont de la série Figures, initiée en 2015 et dont les matrices sont des atlas géographiques anciens, Malala Andrialavidrazana a longtemps cheminé de par le monde. Elle en a fait le tour et consacré plusieurs années à l’exploration des rives de l’Océan Indien. Ses cheminements – l’artiste récuse le terme « voyage », lequel prête trop à malentendu –, sont la vraie matière première de son travail. Ils visent à rencontrer les populations des classes moyennes, celles des travailleurs, celles de l’angle mort de tout voyage justement. Une gageure qui s’apparente à une bataille parfois : gagner la familiarité du jour le jour. Ainsi, les photographies de cette période témoignent d’un quotidien et, par là même, de quelque chose de très profond1 (ECHOES). Comment représenter une société ellemême très diversifiée, s’interroge l’artiste. Dans une démarche visant également à déconstruire les stéréotypes, il est essentiel que ses images n’en deviennent pas à leur tour… Une part des photographies de cette période sont ce qu’elle appelle des « Paysages d’intérieurs ». Ce sont des vues de l’intérieur des habitations, avec murs, cloisons et rideaux pour horizons, mobilier et tapis pour lignes de fuite. On y découvre des espaces de repos et de partage où figurent les accessoires de la structuration du temps, les lieux clos de la mémoire familiale, ceux de l’intimité et de la vie qui s’y déploie… à l’abri. Et on assiste à une sorte de miracle : l’artiste en levant le voile essentialise aussi la pudeur. À travers l’usage qu’elle en fait, l’artiste exprime sa volonté d’utiliser la photographie autrement. De s’installer. De prendre le temps. De déconstruire les stéréotypes certes, mais de tâcher aussi de se réconcilier avec l’image, sans en être dupe pour autant. Les images et le régime qu’elles sous-tendent ont été les grands complices

de la domination dont les peuples autrefois colonisés sont encore aujourd’hui souvent les cibles, justifie Malala Andrialavidrazana. Elle ajoute : « L’image et la photographie sont des outils qui ont servi le pouvoir... On peut manipuler les gens avec l’image ; c’est plus fort que les mots ». Au cours de ses voyages, pas d’instants volés donc ; mais, fondamentalement, des instants offerts. Ceux de l’hospitalité - parfois durement gagnée -, de l’écoute et du regard attentifs. Ceux de l’échange véritable. Une photographie de la profondeur et du temps long où se déploient les obligations de donner, de recevoir et de rendre. Une photographie qui vaut pour ce qu’elle engage, pour ce qu’elle construit entre les protagonistes et dont les images sur papier ne sont que ce qui reste de moments de grâce – mais aussi de troubles, de malentendus ou peut-être encore de réconciliations –, et sans doute pas le but ultime. À cette période de sa vie, la photographie a été pour Malala un moyen pour générer de l’espace et du temps communs. Là, ont pu naître, se développer et se cristalliser de précieuses expériences. Dans le même temps, elle aura affiné la question de l’usage de l’image dans une histoire politique longue, globale, et son rôle au sein des processus de domination sociale et coloniale notamment.

Dedans et dehors « Je suis née à Madagascar, au sein d’une famille malgache de la bourgeoisie moyenne. En 1983, j’avais douze ans. Nous sommes arrivés en France. Nous y rejoignons mon père, exilé politique. Du jour au lendemain, mon statut a changé : jusqu’alors fille de médecin d’Antananarivo, je suis devenue une enfant d’immigrés de la banlieue parisienne » résume malicieusement Malala.

Sa culture, aujourd’hui, est faite de tout cela : un riche patrimoine culturel malgache, une éducation reçue pour partie à Madagascar puis en France, une jeunesse européenne de la fin du XXe siècle, un côté rebelle, une fascination pour les musiques post-punk et new wave, des études d’architecture et des cours d’anthropologie à Paris, des voyages de par le monde, une vie de femme artiste qui revendique liberté et indépendance, une volonté de s’amuser malgré tout et un père à travers l’exil et le combat politique duquel elle perçoit le monde encore aujourd’hui. La richesse de son histoire et la pluralité de son éducation, cette capacité d’être ici en même temps qu’ailleurs, ainsi qu’une ferme volonté d’action lui donnent la maîtrise du décentrement du monde. Tour à tour et en même temps dedans et dehors, elle sait tirer de cette position singulière une acuité, une facilité pour débusquer les a priori, pour reconnaître, analyser et comprendre les stéréotypes, contextualiser et relativiser.


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