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Patrick Carpentier La couleur seule présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen au travers du regard de Benoît Dusart
Les écrits, films, sculptures, installations et images de Patrick Carpentier sont autant d’essais de captures du temps, d’états ou de lieux. Sous ses aspects systématiquement épurés, le travail s’inscrit dans une poétique du creux, du pli et des interstices. La forme révèle ici l’absence ou le manque ; le silence et les vides concourent à la densité conceptuelle d’un propos qui, de l’anecdote à la grande histoire, dialectise la pensée aux formes. Son intervention dans le Musée des Beaux-Arts de Rouen s’inscrit dans une tradition qui, de Michel François à Steve Mc Queen, de Lawrence Weiner à Félix Gonzalez Torres (pour ne citer que ceux qui me viennent directement à l’esprit) attribue au spectateur la possibilité d’une prise en charge de leurs travaux. Par « prise en charge », j’entends la façon très pratique de répondre à l’invitation d’emporter avec soi une production qui ne s’activera réellement qu’à l’occasion de ses reconfigurations hors les murs. Il serait utopique de suivre chaque chemin pris, mais on peut s’amuser à imaginer le destin de chacune de ces images : écornées sur le trajet de retour, animant un espace de travail, exposées dans une cuisine, une chambre ou un salon, collées, punaisées, encadrées… rangées et parfois jetées. L’œuvre n’est pas une somme d’impressions mais un réseau d’usages et de réappropriations, irréductibles aux intentions de l’artiste. Les affiches réalisées pour ce projet, ainsi que la couverture de la revue,
sont constituées chacune d’un détail d’un tableau faisant partie de la collection du musée. Morceaux choisis à rebours d’une identification évidente des artistes et d’une mise en valeur des aspects les plus communément admis comme virtuoses. Recadrées et privées de leurs couleurs, ces images lorgnent vers l’abstraction et s’appréhendent telle une surface concrète, rythmée par les dégradés de gris et le pur tracé des formes. La présence très forte des bandes colorées tient à la fois d’un appât et d’une coupure, d’un assemblage disjonctif et arbitraire qui, littéralement, trouble et déroute. Autant de mises à distance jouant sur l’illusion et la fabrique des représentations. Par ces interventions, l’artiste invite à voir – de façon oblique mais radicale – la matière même de la peinture : une pure surface qui en appelle à toutes les projections subjectives : histoire et passion, lumière et profondeur… Plus qu’un détournement ou une recomposition picturale, ces affiches nous exposent, ne dévoilant rien d’autres que les liens qui nous unissent aux images, à l’engagement qu’elles appellent, à ce mystère qui, en deçà ou de delà de l’artifice, résiste à la raison. Patrick Carpentier - www.patrickcarpentier.be Graphisme, Isabel Debry, trois barres point www.troisbarres.com Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Patrick Carpentier La couleur seule 2021 Impressions couleur sur papier offset 84,1 cm x 59,4 D’après Gerard David, La Vierge entre les vierges, 1509, Rouen, Musée des Beaux-Arts Inv. MBA TD.1803.4 D’après Eugène Delacroix, Autoportrait, vers 1818, Musée des Beaux-Arts Inv. MBA 1893.3 D’après Élise Bruyère, Fleurs dans une corbeille, 1833, Musée des Beaux-Arts Inv. MBA TD. 1836.1