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Textes Sarah Braun
note sur 5
LA FOLIE DE MA MÈRE ISABELLE FLATEN
« LES ANNÉES 70 CORRESPONDENT AU DÉBUT DU FÉMINISME, CERTES, MAIS À L’ÉPOQUE, LES HOMMES DÉTENAIENT ENCORE LE POUVOIR » LA FOLIE DE MA MÈRE, ISABELLE FLATEN ED. LE NOUVEL ATTILA
L’incipit s’ouvre sur une anecdote, une scène très banale du quotidien et pourtant tellement révélatrice du lien si particulier qui unira à jamais l’autrice et narratrice, Isabelle Flaten, à sa mère dont elle raconte la folie dans son onzième roman. « Une dame me propose un yaourt. Elle a l’air gentille. Je plonge la petite cuillère dans le pot. La dame m’arrête : on dit merci maman. J’ai trois ans et je découvre que j’ai une mère. » À propos de cet extrait, Isabelle Flaten nous confie en effet qu’il s’agit certes de son premier souvenir avec sa mère, mais qu’il résume à lui seul tout le propos du livre : cette mère restera toujours une étrangère pour sa fille.
« CE LIVRE EST UNE LETTRE QUE JE LUI ADRESSE » À partir de ce souvenir augural – raconté au présent comme le reste du livre – l’autrice déroule le fil de sa vie. L’enfance, insouciante, mais où s’amoncellent déjà de sombres nuages, avec la mort prématurée du « père ». La mère, enseignante, perd pied ; le père lui, n’est pas regretté : « il ne m’adressait pas la parole mais des
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torgnoles ». De lui, l’autrice dira pourtant « qu’il est le grand absent » du roman, mais aussi sa cause. L’enfant est ballotée d’une grand-mère à une autre, déménage, suit la mère tant bien que mal dans ses errances. « J’étais ton fruit mi-figue mi-raisin, tout à la fois ta victoire et ta croix. » Années 70, la narratrice est adolescente, elle évolue désormais au milieu des fréquentations de sa mère. La parole se délie, le sexe n’est plus caché, la faute à Simone de Beauvoir. La mère oublie le père et accumule les conquêtes : Alexei, Paul… Grand bonheur dans leurs bras, fracas dès lors qu’ils ne sont plus là… Les années passent, les hauts et les bas s’accumulent. « À l’aube de la cinquantaine, tu es méconnaissable. Invivable. Une toxine qui gangrène chaque instant. » De fantasque et bohème, la mère devient dure, perverse à son insu : elle est malade. Une première tentative de suicide, des neuroleptiques, des hauts et des bas, un mensonge découvert. La douleur, jusqu’à l’issue. Fatale, forcément. Entre aveux déchirants et lettre ouverte, ce roman n’en demeure pas moins un chant d’amour, ou plutôt interroge l’amour et le rapport à l’autre. À la question « Aime-ton ses parents envers et contre tout », Isabelle Flaten nous répondra qu’elle ne peut parler pour les autres, mais qu’elle n’a jamais douté de l’amour de sa mère.