Interview nterview
Texte Mathieu Rosan
Image Marie Schuller
« ON EST TOUS LE CHELOU D'UN AUTRE » Trois ans après le succès de Cure, Eddy de Pretto revient avec un second opus intitulé À tous les bâtards. Avec des textes toujours parfaitement ciselés et une musicalité encore plus affirmée, le kid de Créteil poursuit sa quête identitaire à travers un album plus solaire et apaisé. À la convergence de différents univers musicaux, l’auteur et interprète français se met à nu et s’affirme comme l’un des artistes les plus talentueux de la scène francophone. Interview.
Ton nouvel album s’intitule À tous les bâtards. Il est justement dédié à tous les gens considérés comme bizarres, les « freaks », comme tu aimes à les appeler. Qu’est-ce qui t’a donné envie de leur rendre hommage en musique ? À travers toutes les histoires de cet album et du premier d’ailleurs, je parle de moi ; le chelou, le bizarre, l’étrange, le bâtard, le pédé, le moche… C’était un peu des attributs que j’entendais lorsque j’étais plus jeune et jusqu’à mon premier album. Du coup, c’était quelque chose d’important pour moi de pouvoir en faire une force en le réappropriant de manière positive. Retourner le sens de ces mots-là afin d’en faire une lettre personnelle et ainsi, avancer de la manière la plus positive possible. Il y a ici l’idée de se tourner davantage vers l’autre, notamment depuis le premier album où je me posais la question de savoir si j’étais normal ou non ; suis-je comme tout le monde ? Est-ce que je dois mettre un masque ? Suis-je différent ? Suite à Cure, beaucoup de gens m’ont envoyé des remerciements et des preuves d’amour afin de me rappeler que j’étais loin d’être le seul dans cette situation. Et forcément, dans mon deuxième album, j’ai eu cette envie de me tourner davantage vers ceux qui, comme moi, ne cochent pas toutes les cases. Surtout que la subjectivité vis-à-vis de la bizarrerie est très malléable selon moi. On est tous le chelou d’un autre finalement. Tu penses que l’album peut être une sorte de thérapie pour eux ? Tu sais, si ça fait du bien à certaines personnes, si ça bouscule, si ça questionne, si ça percute, et surtout, si ça crée des réactions de manière générale, ça ne peut que me rendre heureux. L’album est beaucoup plus solaire que le précédent. Tant dans les compositions que dans l'écriture des titres. On te sent plus épanoui et apaisé. Qu’est-ce qui a changé depuis Cure ? 26
J’ai grandi, je crois (sourire). Même si certains doutes persistent, les sujets ont évolué avec moi finalement. Je raconte ma vie avec un autre regard. Trois années ont passé depuis Cure, mais je continue d’évoquer des sujets de manière frontale. Pour moi, le challenge de cet album était de ramener plus de musicalité, de mélodie et un peu plus de voix à mes textes tout en restant dans ce que j’aime ; le verbe vif et direct ! Ma volonté était de trouver le meilleur moyen de lier la musicalité et la brutalité de certains mots. Il y a aussi un côté plus assumé dans ce que tu racontes. Comment tu l’expliques ? Cure t’as permis de t’assumer un peu plus ? À mort (rires) ! Lorsqu’il y a énormément de personnes qui te disent « merci d’être qui tu es » forcément, ça te fait du bien, ça t’aide à avancer et surtout, ça te donne envie de pousser ce que tu fais encore plus loin. Cela te donne la permission de croire en ce que tu es. Le chant prend également plus de place dans tes sons… Oui c’est vrai. Je suis mes envies. Dans mon premier album, j’avais davantage envie de scander les choses de manière un peu plus dense, un peu plus vive. Il y a beaucoup de choses qui se bousculaient dans ma tête. Les idées arrivaient sans vraiment de cadre sur le papier. Pour À tous les bâtards, j’ai le sentiment d’avoir mûri dans ma manière de partager ce que je ressens. Les mots viennent aussi plus facilement et ça m’a permis d’élaguer mon écriture. Il y a aussi une question de confiance en moi. Je ne pense pas que dans le premier album j’aurais pu faire des envolées vocales comme ici. Le but était de prendre des risques que je n’avais pas pris auparavant. Refaire le même album avec des sujets un peu différents, cela ne m’intéressait pas. Je voulais aussi me challenger tant vocalement que musicalement et donc l’album a pris une autre tournure que le précédent.