Turcs ou Persans : la mode européenne pour l’Orient aux XVIIe–XVIIIe siècles par Nicolas Ducimetière Fondation Martin Bodmer
Sous le règne du Roi Soleil, comme sous celui de son successeur le Bien-Aimé, la France s’était prise d’intérêt pour les questions orientales, à l’image du reste de l’Europe. Le siège et la bataille de Vienne en 1683 avaient montré que les armées ottomanes pouvaient toujours faire une incursion profonde en Europe, ce qui ne manquait pas de faire frémir la cour et la ville dans de nombreux pays, mais aussi de provoquer l’intérêt des contemporains. Comme l’opéra L’Enlèvement au sérail de Mozart (commande de l’empereur Joseph II), quelques œuvres littéraires témoignent de cet engouement. Un siècle plus tôt déjà, la tragédie Bajazet de Racine (1672) avait fait naître toute une série de pièces à sujet turc : rompant avec ses ouvrages précédents, le célèbre dramaturge avait mis en scène une intrigue complexe et tortueuse dans l’atmosphère des harems, entremêlant pouvoir politique et passions amoureuses pour s’achever dans une « grande
tuerie » (dixit le compte rendu de Madame de Sévigné ). À la fin de la pièce, le grand vizir Acomat et la moitié de ses soldats cherchent Bajazet, frère du sultan Amurat, pour le porter sur le trône. On apprend au même moment que la sultane Roxane, qui a poursuivi son beau-frère de ses assiduités, a été poignardée : le sultan avait été informé de la trahison de sa favorite. Dans les combats contre les soldats fidèles au souverain, Bajazet trouve finalement la mort lui aussi, après une résistance héroïque face à de nombreux soldats. Le vizir propose alors à la princesse Atalide, qui aimait Bajazet, de partir pour « quelque autre contrée », mais la jeune femme, désespéré, se donne la mort sur scène. À l’inverse de ces « petits meurtres en famille » (des fratricides d’ailleurs habituels du côté de la Sublime Porte), le drolatique Bourgeois Gentilhomme de Molière (1670) tournait en ridicule les prétendues cérémonies et titres turcs, employés dans un jeu de dupes pour introniser le gentilhommâtre Monsieur