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MICI et voyages
« Vivre comme les autres enfants »
Le Dr Bruno Hauser est l’un des trois gastro-entérologues pédiatriques attachés au service de pédiatrie de l’UZ Brussel. Au sein de la « Young IBD Clinic », l’équipe traite une centaine de patients âgés de la naissance à 18 ans ; parmi ceux-ci, environ deux-tiers sont âgés de 12 à 18 ans, un tiers est âgé de 6 à 12 ans et une petite minorité a moins de 6 ans. L’équipe MICI comprend aussi une diététicienne, une infirmière sociale et du personnel infirmier chargé des études cliniques (c-à-d qui fournit un accompagnement dans les nombreuses études menées dans ce domaine). Un psychologue médical fait aussi partie de l’équipe MICI, mais malheureusement, aucun remboursement n’est prévu pour ses services. « Ce ne serait pourtant pas du luxe », estime le Dr Hauser, qui répond ci-dessous à quelques autres questions importantes.
En quoi les MICI de l’enfant se distinguent-elles de celles de l’adulte ? Dr Bruno Hauser : « Les enfants ne sont pas de petits adultes. Ils sont en plein développement à la fois mental et physique, et présentent la plupart du temps une forme de MICI plus sévère et plus étendue que les adultes. Naturellement, il est plus difficile d’expliquer les choses à de jeunes enfants. Ils ont parfois plus de mal à désigner les symptômes. À partir de l’âge de huit à onze ans, cela devient souvent plus facile, mais cela dépend surtout de la maturité de l’enfant. Pour autant, nous essayons de donner à chaque enfant suffisamment d’explications, ainsi qu’aux parents bien sûr. Les enfants sont par définition mineurs jusqu’à l’âge de 18 ans. Plus l’enfant est jeune, plus il incombe aux parents de prendre les décisions. Plus l’enfant est âgé, plus il détient ce pouvoir de décision. Dans tous les cas, nous essayons de voir l’enfant dans sa totalité, ce qui implique de tenir compte des parents. Nous traitons non seulement l’enfant, mais aussi les parents. » « Chaque patient est différent et nous devons considérer un grand nombre de facteurs distincts. Ce type de médecine personnalisée exige beaucoup d’énergie, mais est aussi très gratifiante. Enfin, toutes les décisions sont prises dans l’intérêt de l’enfant. Il faut parfois composer entre la volonté de l’enfant et celle des parents, mais en général, cela se passe plutôt bien. Les traitements sont adaptés en fonction du développement de la personnalité de l’enfant, de sa croissance, de sa puberté, de ses préférences, etc. Au fil des ans, on apprend à bien se connaître. Une relation amicale s’établit, qui dépasse la pure sphère médicale. Je suis une sorte de médecin de famille pour ces enfants, et donc également une personne de confiance. » « À partir de l’âge de 16 ans, les adolescents peuvent intégrer le service pour adultes, mais ils peuvent aussi rester chez nous jusqu’à l’âge de 18 ans. J’essaye toujours d’être présent au moment de la « transition », c’est-à-dire lors de la première « consultation de transition » avec le nouveau gastro-entérologue. J’ai été en contact pendant des années avec la plupart de ces enfants, il n’est donc pas question de rompre le lien avec eux de but en blanc. »
En quoi consiste la thérapie alimentaire fréquemment instaurée chez les enfants souffrant d’une MICI ? Dr Hauser : « D’une manière ou d’une autre, nous essayons de sensibiliser tous les enfants à l’importance d’une alimentation saine, qu’ils souffrent de MICI ou non. Mais la thérapie alimentaire à laquelle nous avons recours dans la maladie de Crohn n’est pas du même ordre. Il s’agit d’une alternative à un traitement par corticostéroïdes, elle ne provoque pas les effets indésirables nocifs associés à la corticothérapie. Pendant six semaines, les enfants reçoivent une alimentation entérale liquide, soit par voie orale, soit – s’ils ne parviennent pas à boire le produit – d’emblée par sonde gastrique. Il s’agit d’une poudre de lait spécialement conçue pour les enfants atteints de la maladie de Crohn, qui contient tous les nutriments dont les enfants ont besoin. Elle ne contient pas de lactose car celui-ci n’est pas toujours bien digéré au stade précoce de la maladie, mais elle contient par contre certaines substances qui luttent contre l’inflammation intestinale. Quotidiennement, l’enfant reçoit, par petite quantités à la fois, 1,5 à 2,5 litres tout au long de la journée et/ou de la nuit, ce qui correspond à 1500 à 2500 calories. La quantité à administrer à l’enfant est calculée par la diététicienne. Pour améliorer le goût, on peut éventuellement rajouter un peu de poudre de cacao. Entre les administrations, seuls les liquides purs, comme le thé et le bouillon, sont autorisés. Le but est de mettre l’intestin au repos et d’obtenir une prise de poids. Si l’enfant ne parvient pas à boire cette alimentation, elle sera acheminée vers l’estomac via le nez à l’aide d’une sonde. À l’hôpital, on apprend aux enfants comment utiliser cette sonde à domicile. En soi, ce n’est pas difficile : on lui donne éventuellement une pompe à emporter à la maison, qui permettra d’administrer le lait dans la sonde sur un certain laps de temps, ou bien le lait peut être injecté au moyen d’une seringue. En cas de toux ou de vomissements, il arrive que la sonde ressorte ; il faut alors la replacer. Normalement, la sonde peut rester en place pendant six à huit semaines. Si la thérapie alimentaire fonctionne, on observe déjà les résultats au cours des deux premières semaines, ce qui est bien sûr motivant pour le patient. Si la thérapie échoue, poursuivre le traitement pendant quatre semaines supplémentaires est pénible pour le patient. Chez les enfants et les adolescents, la thérapie est au moins aussi efficace que les corticostéroïdes, et a l’avantage de ne pas être associée aux effets secondaires de ces derniers. Chez les adultes, la thérapie alimentaire fonctionne moins bien. Après six semaines, nous réduisons progressivement la thérapie alimentaire et nous réintroduisons prudemment une alimentation « normale », sur une période de deux semaines, pour ensuite évoluer complètement vers une alimentation ordinaire. Au cours des premières semaines ou des premiers mois, nous administrons encore souvent une alimentation entérale en complément, lorsque l’enfant doit encore prendre un peu de poids. Dans tous les cas, il faut énormément de volonté pour suivre ce traitement, que l’enfant boive le lait lui-même ou qu’il lui soit administré par sonde. Je suggère toujours de promettre un beau cadeau à l’enfant s’il parvient à tenir le coup pendant ces huit semaines. Cela l’aide souvent à maintenir sa motivation. »
Quel est le risque de troubles de croissance en cas de MICI ? Dr Hauser : « La croissance est perturbée par divers facteurs ; en tant que pédiatres, nous y sommes très attentifs. La cause peut être l’inflammation intestinale, avec pour résultat une moindre assimilation de certains nutriments. Les enfants atteints de MICI ont également tendance à moins manger, ont des maux de ventre, de la diarrhée, ... On se retrouve alors dans une spirale négative. Tout d’abord, l’enfant cesse de prendre du poids, et si cette situation persiste suffisamment longtemps, il arrête aussi de grandir. Heureusement, l’inverse est vrai aussi : lorsque l’enfant va mieux, il commence d’abord par grossir, puis il grandit à nouveau. »
Quelles perspectives peut-on offrir aux enfants et adolescents souffrant de MICI ? Dr Hauser : « Nous ne sommes pas en mesure de guérir la maladie, mais nous pouvons généralement faire en sorte que ces jeunes puissent accomplir les mêmes activités que les autres enfants, qu’ils puissent à nouveau fonctionner, manger, faire du sport, aller à l’école comme les autres. Il m’arrive même de devoir en modérer certains, leur apprendre à écouter leur corps, parce qu’ils veulent tout de suite se donner à fond, alors que physiquement ils ne sont pas encore prêts. Par ailleurs, de nombreuses autres études ont été réalisées ces dernières années chez des enfants atteints de MICI, de sorte que des médicaments qui fonctionnent bien chez les adultes peuvent désormais être utilisés chez les enfants.»
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