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Les réfugiés russes dans le cinéma de l’entre-deux-guerres en France

« Une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant en application de sa législation. » À la différence de la convention de Genève dont elle s’inspire largement, l’application de la convention de New York ne requiert pas, pour son bénéficiaire, l’existence de craintes en cas de retour dans le pays d’origine. Elle ne consacre par ailleurs aucun principe de non refoulement. Toutefois, la protection octroyée en vertu de cette convention reste limitée, de trop nombreux États ne l’ayant pas ratifiée. Le 28 septembre 1954, seize pays européens et sud-américains sont signataires de son acte final. En 2014, année du lancement de l’ambitieuse campagne « #IBelong » du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), visant à mettre fin à l’apatridie dans les dix ans, on comptait quatre-vingt-trois États parties à cette convention.

Copie manuscrite certifi ée conforme d’un certifi cat d’apatride établi par l’Ofpra en 1958 pour Jean Abboche.

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Pour prévenir les cas d’apatridie, d’autres dispositifs juridiques seront ensuite créés, comme la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, ou encore, pour le continent européen, la convention européenne sur la nationalité de 1997.

L’Ofpra n’a cependant pas attendu la ratification de la convention de New York de 1954 pour protéger des personnes en tant qu’apatrides. Les premiers cas enregistrés sont pour l’essentiel des ex-Polonais, et dans une moindre mesure des ex-Allemands, ex-Hongrois, ex-Autrichiens, ex-Grecs ou encore ex-Italiens. Nombreux sont alors ceux qui ont été privés de leur nationalité d’origine en raison de leur appartenance à une minorité discriminée, du fait de leurs liens supposés ou avérés avec l’ennemi, ou encore, si l’on

prend les exemples grec, libanais ou polonais, en raison de leur absence durable du territoire national. Se pose aussi la question des anciens ressortissants des États baltes n’ayant pas usé de leur droit d’option à la nationalité soviétique dans les délais impartis, alors qu’ils se trouvaient hors du territoire soviétique. Ceux-ci sont à l’époque considérés par les autorités françaises comme réfugiés et apatrides.

Si, à l’Office, les personnes originaires d’Europe occidentale et centrale sont majoritaires parmi celles reconnues comme apatrides jusqu’à la fin des années 1980, des situations diverses se présentent dès les années 1950 et 1960 : Biharis ; Indiens de la Réunion ; « citoyens du Royaume Uni des colonies » ne satisfaisant aux conditions d’accès à la nationalité française, puis, après les indépendances, personnes originaires des ex-colonies n’ayant pas opté à temps ou n’ayant pu bénéficier de déclaration recognitive ; populations israélites originaires d’Égypte ou encore d’Irak ne pouvant pas réintégrer les nationalités auxquelles elles avaient renoncé à l’après-guerre ou encore se voyant retirer leur nationalité au moment du conflit de Suez en 1956 ; anciens porteurs de passeports palestiniens ayant quitté la Palestine avant le 15 mai 1948 et la fin du mandat britannique ; ex-Harkis ; Turcs ayant servi dans l’armée française, ou encore ex-Turcs et Israélites non immatriculés arrivés avant la Première Guerre mondiale, non protégés par leurs consulats pendant la Seconde Guerre mondiale… Les problématiques sont nombreuses et variées et il est impossible d’en dresser un panorama exhaustif.

L’Office a ainsi été témoin de parcours de vie exceptionnels. Ce fut par exemple le cas de Roland Abdullah, placé sous protection

Certifi cat de réfugié apatride de Sarah Feinberg, 1962. Ci-dessus : Traduction d’un extrait du Journal Offi ciel du Royaume de Grèce du 7 novembre 1950, relatif à l’ordonnance royale prononçant la déchéance de nationalité de Georges Pourgalis.

En haut, à gauche : Extrait d’un courrier adressé à l’Ofpra par Georges Pourgalis.

Extrait de courrier du consulat algérien à Paris refusant la nationalité à un ex-harki.

Laissez passer de la République arabe syrienne pour un apatride d’origine arménienne.

Photographie d’identité de Roland Abdullah.

Page 3 du formulaire de demande d’asile de Roland Abdullah. le 4 juillet 1960 et enregistré comme apatride ex-palestinien, né le 16 août 1906 en Yougoslavie d’un père d’origine arménienne sujet de l’Empire ottoman. Survivant du génocide des Arméniens, déporté avec les siens à Deir-ez-Zor, puis déplacé à Alep et enfin à Damas, il s’installera finalement à Jérusalem après que son père, travaillant pour la régie du tabac, aura été muté sur place. Il accédera d’office au statut de citoyen palestinien puis rejoindra la France en 1932. La création de l’État d’Israël le privera de sa nationalité sans qu’il puisse accéder aux nationalités britannique ou jordanienne.

Parmi les protégés au titre de l’apatridie, on trouve aussi des enfants placés. C’est le cas, par exemple, de Siegfried Staniewski, né le 18 novembre 1919 en Allemagne de parents réfugiés vraisemblablement d’origine polonaise, entré en France en 1924 et pris en charge par l’assistance publique. Considéré comme « apatride technique » et non éligible par l’OIR en 1947, il sera protégé par le ministère des Affaires étrangères en 1949 en tant qu’apatride d’origine polonaise

puis finalement enregistré par l’Office sous la dénomination surprenante d’« apatride d’origine indéterminée ». Aujourd’hui encore, l’Office est amené à examiner les situations particulières de jeunes placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance dont l’origine est souvent difficile à déterminer.

Pendant longtemps, lors de l’instruction de ces dossiers par les agents de l’Ofpra, seule une preuve de perte ou de retrait de la nationalité d’origine était requise, sans que soient examinées les possibilités de réintégration ou d’accès à une autre nationalité. C’est en 1956 que l’Office enregistrera le plus grand nombre annuel de protégés au titre de l’apatridie, plus d’un millier. Par la suite, ils ne dépasseront jamais les quelques centaines par an, et seront même régulièrement moins de cent dans les années 1970. Ce chiffre augmentera de nouveau dans les années 1990, cette évolution étant consécutive à la chute de l’Union soviétique et à l’éclatement de la Yougoslavie, s’accompagnant de successions d’États.

Ci-dessus : Photographie d’identité de Siegfried Staniewski.

Ci-dessus, à gauche : Extrait du formulaire de demande d’assistance à l’OIR de Siegfried Staniewski avec l’analyse de l’officier d’éligibilité le considérant comme « non éligible » et « apatride technique ».

Au milieu des années 1990, l’Ofpra assure la protection d’environ 2 000 apatrides statutaires, contre un peu plus de 1 700 en début d’année 2022. Si leurs origines restent variées, les ex-Yougoslaves, ex-Soviétiques, Palestiniens ou encore personnes d’origine sahraouie sont actuellement les plus représentés.

L’apatride reste dans l’esprit du plus grand nombre une personne née en territoire étranger, plus probablement dans des contrées lointaines. Il est toujours largement confondu avec le déplacé, le réfugié, l’exilé.

Il est pourtant tout à fait possible de naître apatride dans son propre pays ou dans le pays où ses parents ont trouvé refuge, sans avoir au demeurant été soi-même amené à se déplacer. Les cas ne sont pas rares. Et si, en France, l’article 19-1 du Code civil permet à un enfant né sur son territoire de parents apatrides ou à l’enfant « né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu’il se voie transmettre la nationalité de l’un ou l’autre de ses parents » d’obtenir la nationalité française, de tels équivalents n’existent évidemment pas dans toutes les législations, outre que leur application peut parfois se heurter à certains obstacles.

Ci-contre : Demande de statut d’apatride d’une femme ne pouvant avoir la nationalité de son père marocain.

Ci-dessous : Lettre du consulat général du Maroc adressée à l’Ofpra et certifi ant que la nationalité marocaine ne peut être transmise à un enfant né hors mariage d’un Marocain et d’une étrangère, 1969 (cette impossibilité a été levée au Maroc en 2007).

Plusieurs centaines de milliers d’apatrides seraient originaires du territoire européen, ce qui se reflète d’ailleurs dans les statistiques récentes de l’Office. Parmi eux, des membres de la communauté rom, mais aussi des porteurs d’« alien’s passport » installés dans les pays baltes, pour la plupart russophones, qui bénéficient certes de la protection officielle d’un État, mais qui se trouvent dans leur grande majorité dans l’impossibilité d’accéder à la nationalité de leur pays de résidence.

Au niveau mondial, il n’existe aucune statistique officielle permettant de dénombrer les personnes dépourvues de nationalité tant il est difficile de rendre visible l’invisible. Le HCR estime qu’ils seraient environ dix millions, dont plus de la moitié ne seraient pas identifiés, mais aussi qu’un enfant apatride naîtrait toutes les dix minutes sur la planète.

Tous n’ont évidemment pas accès à une procédure de détermination propre. En 2019, au niveau mondial, seuls dix-neuf pays, dont la France et quelques rares pays européens comme l’Italie et l’Espagne, disposaient d’une procédure claire et officielle de détermination du statut d’apatride.

En 2020, la Côte d’Ivoire est devenue le premier pays africain à s’être doté d’une telle procédure, symbole d’autant plus fort que le pays est aussi l’un de ceux qui comptent le plus grand nombre de personnes dépourvues de nationalité.

À l’évocation de la question de l’apatridie, toujours largement méconnue et qui ne fait irruption dans le débat public que de façon sporadique à propos de problématiques comme la déchéance de nationalité, ce sont toujours les mêmes interrogations qui reviennent. Comment peut-on, au xxie siècle, naître apatride, comment peut-on le devenir ? La question est complexe tant les mécanismes à l’origine de l’apatridie restent nombreux et protéiformes. Outre les questions de successions d’États, il existe toujours des conflits de lois sur la nationalité entre différents pays, des difficultés d’enregistrement des naissances, des questions de perte ou de déchéance, un manque de garanties juridiques dans certaines législations qui peuvent aussi être incorrectement appliquées… Mais aussi, toujours, des discriminations fondées notamment sur l’appartenance ethnique et le genre. En 2020, dans vingt-cinq pays était encore maintenue une législation ne permettant pas à la femme de transmettre sa nationalité à ses enfants au même titre que l’homme. Au Liban, par exemple, de nombreux enfants naissent apatrides, faute pour leur mère de pouvoir leur transmettre sa nationalité, y compris quand leur père est apatride ou de nationalité indéterminée, membre de la communauté palestinienne, Maktoum al-qaid et qaid al-dars dont la naissance n’a pas été enregistrée…

L’apatridie d’aujourd’hui n’est plus l’apatridie d’hier. La situation des ex-Allemands, ex-Polonais ou encore ex-Roumains est en effet résolue. Mais d’autres, qui ont fait irruption au sortir du second conflit mondial, ou même avant, restent préoccupantes, comme celle des Indiens karanes de Madagascar, de certaines populations nomades, ou encore des emblématiques Palestiniens. Des problématiques nouvelles ont également émergé, comme celle des Sahraouis, celle largement médiatisée des Rohingyas, ou encore, plus récemment, celle des ex-Dominicains d’origine haïtienne.

Un siècle exactement après la création du passeport Nansen, l’apatridie reste incontestablement un problème d’actualité et un enjeu politique et sociétal majeur.

Déclaration d’une apatride Nansen d’origine russe qui revendique son apatridie comme une nationalité. Irène Anissimoff, 1948.

Kiraz, l’apatride qui inventa les “Parisiennes“

Aline Angoustures

Extrait de la demande de protection et photographie de Kiraz destinée à son certificat d’apatride.

Edmond Kirazian, dit Kiraz, est né au Caire le 25 août 1923 dans une famille francophile d’origine arménienne. Il est prénommé Edmond en hommage à Edmond Rostand. Dès 17 ans, et déjà sous le nom de Kiraz, il devient dessinateur politique pour des journaux égyptiens. Il vient une première fois à Paris en octobre 1946 avec un passeport égyptien, puis s’y installe en 1948.

En juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser décide la nationalisation du canal de Suez, qui débouchera sur la crise de l’automne 1956 et l’expulsion des ressortissants français et britanniques, ainsi que des Juifs. Dès le mois d’août 1956, Kiraz adresse à l’Ofpra une demande de statut d’apatride motivée par le refus du consulat égyptien de renouveler son passeport, mais aussi par son propre refus de rentrer en Égypte du fait de « la xénophobie » – ce sont ses termes – qui frappe également les chrétiens.

C’est au moment où il devient apatride que Kiraz invente la « Parisienne ». Dessinateur de presse depuis plusieurs années, il était tombé amoureux de la capitale dont il croquait les détails du décor : réverbères, colonnes Morris, terrasses des cafés. Il admire, observe et dessine les Parisiennes, qu’il compare à des « libellules ». Il les représente comme de gracieuses créatures longilignes, avec des yeux immenses, nonchalantes et passionnées par la mode. Ces « Parisiennes » entrent dans la légende au début des années 1960 dans les pages du magazine Jours de France (1959-1987). On les retrouvera ensuite dans Gala, Paris Match et d’autres encore. Elles feront aussi les beaux jours de la publicité dans les années 1990, pour les campagnes de marques comme Renault, Perrier, Canderel, Monoprix…, et plus tard, pour le lancement de Paris Plages par la mairie de Paris.

Kiraz est décédé à Paris le 11 août 2020. Beaucoup de ses dessins ont été publiés en recueils, essentiellement aux éditions Denoël.

Dessins de Kiraz publiés dans Jours de France du 4 juillet 1972.

Le timbre de l’année mondiale du réfugié en 1960

En 1960, 15 millions de réfugiés sont encore dans des camps ou sans solution de réinstallation dans un pays d’accueil et la convention de 1951 relative au statut des réfugiés n’est en vigueur que dans un peu plus de vingt pays. Aline Angoustures

Pour la première fois dans l’histoire de l’Union Postale Universelle (UPU), soixante-dix gouvernements émettent, le 7 avril 1960, des timbres sur le thème des réfugiés, symbolisé par un arbre déraciné. Parmi les États participants figuraient onze pays d’Afrique, vingt pays des Amériques, dix-neuf pays d’Asie et vingt pays d’Europe ; au nombre des pays restés en retrait, figuraient en particulier les pays du bloc soviétique d’alors. La date de l’émission simultanée est marquée par des messages de chefs d’État, des expositions et des articles dans la presse de tous les pays. L’opération permet de recueillir des fonds pour les réfugiés, gérés, en France, par le Comité français pour l’Année mondiale du réfugié créé à cette occasion.

La France a émis ce timbre avec des gravures d’Albert Decaris (19011988), l’une représentant l’arbre déraciné et l’autre une femme fuyant la guerre et la destruction. Alors président de l’Académie des beaux-arts, il est considéré comme l’un des grands dessinateurs et graveurs de timbres-poste, avec environ 600 timbres réalisés. Le timbre est ici reproduit sur la carte postale philatélique à partir d’une gravure du même artiste.

Enveloppe « 1er jour » d’émission du timbre de l’année du réfugié reproduisant l’arbre déraciné. DR. Carte postale philatélique « 1960, année mondiale du réfugié », Gravure d’Albert Decaris, Édouard Berck, éditeur d’art, 6 place de la Madeleine, Paris 8e .

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