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La Mer noire, témoignage littéraire sur les réfugiés géorgiens

Quand le genre et les violences dans la sphère intime deviennent des motifs de protection

Coralie Capdeboscq

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Rudolf Brzada, réfugié tchèque en France après la Seconde Guerre mondiale, avait été déporté à Buchenwald pour motif d’homosexualité. À son décès en 2011, il était d’ailleurs le dernier survivant connu pour la catégorie des « triangles roses ». Mais en 1950, lorsqu’il demande le statut de réfugié à l’OIR, c’est son pays d’origine qu’il met en avant, et le statut lui est accordé en tant qu’ancien déporté craignant avec raison le retour dans un pays passé sous le joug soviétique.

Réfugié politique ? Oui, mais pas seulement. La figure emblématique du militant contraint à l’exil, héritée des régimes totalitaires de la Seconde Guerre mondiale et incarnée depuis par les opposants à de nombreux régimes oppressifs, comme ceux des dictatures latino-américaines des années 1970, est ancrée dans la mémoire collective au point que les deux termes demeurent souvent indissociés. Pourtant, 70 ans après la création de l’Ofpra, le droit d’asile et la pratique de l’Office ont beaucoup évolué et répondent, en 2022, à des besoins de protection internationale très diversifiés. Les fondamentalismes religieux, les luttes interethniques, les conflits armés, les violences fondées sur le genre et celles qui renvoient à l’intime et à la sphère privée ont contribué à redessiner le profil du demandeur d’asile 73. En inscrivant à l’article 1A2 de la convention de Genève de 1951 qu’est réfugiée « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et ne pouvant ou, du fait de cette crainte, ne voulant se réclamer de la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, ses rédacteurs envisageaient-ils la situation d’un homosexuel originaire d’un pays où les personnes LGBT+ sont passibles de la peine capitale ? Celle d’une fillette africaine que sa famille entend faire exciser ? Celles de femmes fuyant un mariage forcé, ou refusant, plus largement, de se conformer aux normes qui leur sont imposées par la société de leur pays, ou exposées, si elles le regagnent, à la résurgence de violences conjugales sans pouvoir bénéficier d’une protection adéquate ?

73.Sauvé (Jean-Marc), vice-président du Conseil d’État, « 1952-2012 – Le juge français de l’asile, 60e anniversaire de la Cour nationale du droit d’asile », 29 octobre 2012.

Des cinq motifs prévus à l’article 1A2 de la convention de Genève, l’appartenance à un certain groupe social est le moins précisément défini. Comme les quatre autres motifs, il renvoyait à des persécutions par les États, singulièrement à celles des régimes communistes envers une classe sociale, telle que les koulaks. Il a été utilisé en France, pendant les premières décennies, pour les réfugiés du Sud-Est asiatique persécutés à raison de leur origine sociale ou de leur métier. Il faut attendre 2011 pour que le droit européen de l’asile 74, transposé dans le droit français en 2015 75, le définisse comme « un groupe dont les membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé de la personne qu’elle y renonce, et qui, cumulativement, est perçu comme différent par la société environnante du pays concerné ». Complexe, ce motif a longtemps été peu utilisé, et les

Extrait du compte rendu d’entretien en 1986 avec un réfugié cambodgien, qui évoque les persécutions des Khmers Rouges envers toutes les personnes éduquées, y compris des lycéens.

minorités sexuelles et les femmes exposées à des violences sexospécifiques ont davantage tardé à s’auto-identifier auprès de l’Ofpra. Ces questions ne sont pourtant pas ignorées dans les décennies précédentes.

Un sondage révèle que, en 1963, les femmes représentaient 35 % des réfugiés statutaires, avec de fortes différences selon les nationalités. Le critère du sexe, introduit en 1989 dans les statistiques, montre que, en 1990, 22 % des demandeurs d’asile étaient des femmes, et 31 % en 1993. Ce ratio est aujourd’hui d’environ 35 %. Ainsi, en 2021, les femmes et les mineures, accompagnées de leurs représentants légaux ou non, ont représenté 34,4 %

74.Article 10, §1, d), 1er paragraphe de la directive européenne dite Qualification 2011/95/ UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte). 75. Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

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