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Carte des pays de provenance des réfugiés et apatrides protégés par l’Ofpra depuis 1952
celui-ci, il put fournir les renseignements qui débouchèrent sur le bombardement massif, en décembre 1943, de la base secrète de Peenemünde où étaient expérimentés les fameux V2 38. C’est encore grâce à ce réseau que les Britanniques connurent la disposition des bases de V1 39 dans la Somme. Bergier s’occupait des quelques postes émetteurs de Marco Polo à Lyon quand il fut arrêté par la Gestapo le 23 novembre 1943. Torturé, déporté, il sortit de Gusen en mai 1945.
On oublie trop souvent, pour se polariser sur les actions armées, plus spectaculaires, le travail de propagande qui fut essentiel dans la Résistance en général, mais aussi chez les étrangers et réfugiés. Les journaux clandestins dans toutes les langues furent légion. On fera un sort particulier à deux groupes et deux actions. Dans le cas de la presse juive, la question de l’information avait évidemment une importance particulière, car elle était un élément de la survie. On lui doit, ainsi, les premiers relais des informations entendues sur Radio Moscou qui, dès le 24 août 1941, deux mois après le déclenchement de l’opération Barbarossa, dénonçait « l’extermination du peuple juif ». « […] Pour les peuples opprimés, l’hitlérisme est synonyme d’esclavage, de persécution et de guerre ; pour nous, Juifs, il signifie extermination complète ». La section juive de la MOI se mobilisa. Comme elle se mobilisa encore, avant les 16 et 17 juillet 1942, pour prévenir un maximum de Juifs parisiens qu’une grande rafle s’annonçait. Et c’est dans le journal J’accuse, initié par la section juive, qu’on évoqua pour la première fois, en mars 1943, des opérations massives de gazage dans les camps d’extermination. Toujours dans la mouvance communiste, citons l’action menée par la MOI au sein même des troupes allemandes et italiennes.
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On s’attachera encore au rôle important des Espagnols dans la France libre. Ils furent quelque 10 000 à pouvoir quitter l’Espagne après les tout derniers combats pour rejoindre l’Afrique du Nord, où ils furent, pour la plupart, internés. Mais le débarquement anglo-américain en novembre 1942 permit bientôt de les intégrer dans la 2e DB de Leclerc. Sur les 16 000 hommes, on comptait quelque 2 000 Espagnols.
Quant aux Polonais, on n’en compta pas moins de 17 000 dans la Polish Air Force en Grande Bretagne. Beaucoup venaient de France, soit au moment de la retraite en 1940, soit en passant par l’Espagne.
Terminons par une résistance qui, longtemps, resta à l’arrière-plan de la mémoire collective, la résistance de sauvetage qui visa à sauver les Juifs de France de la déportation systématique voulue par les Allemands à partir du printemps et de l’été 1942. Nous évoquions les deux objectifs stratégiques constants de l’Occupant en France : sécuritaire et économique. S’ajouta alors la mise en œuvre de la Solution finale. Et l’on sait que l’État français accepta de cogérer cette déportation, comme en témoignent l’organisation de la rafle du Vel’ d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, puis, entre août et novembre – donc
38. Les fusées V2 sont les premières fusées opérationnelles ou missiles balistiques à être mises au point par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. 39. Le V1 est une bombe volante et le premier missile de croisière de l’histoire de l’aéronautique. Il est utilisé par l’Allemagne nazie contre le Royaume-Uni, puis également contre la Belgique.
avant l’entrée du premier allemand en zone sud –, la livraison de 10 000 Juifs étrangers de zone non occupée. Parmi les nombreux résistants qui participèrent au sauvetage de la majorité des Juifs de France, les étrangers furent nombreux. Dans les dossiers de l’Ofpra, on trouve ainsi la figure héroïque de Joseph Fisera qui s’était déjà engagé dans la division tchèque de l’armée française en 1939. Après la défaite, la mission diplomatique tchécoslovaque lui confia la responsabilité d’accueillir les réfugiés à Marseille. Il est surtout connu pour avoir organisé la sortie des camps d’internement et l’accueil d’enfants en les plaçant dans des familles d’accueil, ainsi que d’adultes en leur établissant de faux papiers. Il avait fondé un home pour enfants à Vence dans les Alpes-Maritimes et, avant le départ des troupes italiennes et donc l’arrivée des Allemands, il replia le home à Saint-Aignant dans la Creuse. En 1988 lui fut décerné le titre de Juste parmi les nations.
Nous avons voulu émailler notre récit de personnages et des actions qu’ils purent mener dans la Résistance. Nous avons le sentiment d’avoir été à la fois trop rapide et trop partiel, mais ces figures et ces engagements illustrent la place cruciale tenue par les réfugiés et, au-delà, les étrangers dans la Résistance française. On ne peut dire la part des réfugiés qui choisirent de suivre ce chemin. Ils furent à l’évidence en proportion bien plus nombreux que la population française, même si cela resta toujours une minorité. Que retiendrons-nous du sens de leur engagement ? On a vu que la situation fut souvent complexe. La lutte contre les nazis coulait de source, mais quels
Vence. Maison d’accueil chrétienne pour enfants réfugiés durant la seconde guerre (MACE), créée et dirigée par Joseph Fisera. En faisant venir dans cette maison des enfants détenus internés, il sauve 82 enfants juifs de la déportation. Devançant l’arrivée des Allemands, en septembre 1943, il sauvera la vie des enfants et des éducateurs en les évacuant vers la Creuse. L’image est l’une des pages d’un album réalisé lors de l’inauguration de l’école.
José Ester Borras, réfugié espagnol, entre dans la Résistance dans le réseau Ponzan-Pat O’Leary. Arrêté, survivant de Mauthausen, il fonde et préside la Fédération espagnole des déportés et internés politiques (FEDIP). Il travaille à l’Ofpra entre 1955 et 1974.
Le commandant Pat O’Leary (alias du belge Albert Guérisse) était chef du réseau qui porte son nom, connu pour être le plus grand réseau d’évasion actif en France. Il témoigne ici de l’engagement dans la Résistance de José Ester Borras. objectifs poursuivaient-ils ? Où se tournaient les regards ? Vers l’Espagne ou vers la Pologne comme on a pu le constater ? Pour partie sans doute, mais ce qu’on retiendra de ces années d’engagement, de combat, c’est une forme de convergence identitaire. La diversité était bien là, mais seul l’anachronisme interdit de voir qu’alors ces identités multiples se combinèrent.
On n’oubliera pas non plus que, dans nombre de cas, ces étrangers contribuèrent grandement à la libération du territoire français, mais ont été, pour la plupart, pourchassés, traqués, filés, arrêtés par une administration française travaillant au service de l’occupant allemand. Ce chiasme restera comme une tache indélébile sur le régime de Vichy.
L’Ofpra est donc bien inséparable de cette expérience singulière de la résistance des réfugiés en France. Mais ceux qui ont fait l’institution, dans la suite des actions d’entre les deux guerres ont aussi joué un rôle crucial pendant la guerre. La protection des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale est, en elle-même, une restauration des principes républicains et l’affirmation de l’obligation de protéger les réfugiés. On pense à Marcel Paon, délégué du Haut Commissariat de la Société des Nations (SDN) pour les réfugiés en 1940, puis à la tête du Bureau chargé des intérêts des apatrides (BCIA) qui prend sa suite en 1942. Citons aussi l’action de Léon Julliot de La Morandière, membre du conseil d’État, à qui l’on doit les deux ordonnances sur l’entrée et le séjour des étrangers, d’une part, et sur la nationalité, d’autre part 40. Au-delà de ce principe, lorsque l’Ofpra est mis en place, on retrouve dans ses effectifs des acteurs de la résistance des réfugiés. On peut citer Henry Monneray, de son vrai nom Heinrich Meierhof, premier jurisconsulte de l’Ofpra, aidant d’abord au passage clandestin d’aviateurs alliés en Espagne, avant de rejoindre lui-même, via l’Espagne, la France libre et le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), après avoir été interné près de deux ans en Espagne. Avant d’occuper son poste il travaillera auprès de René Cassin pour le ser-
40. On renverra à l’article séminal de Patrick Weil, avant plusieurs ouvrages, « Racisme et discrimination dans la politique française de l’immigration : 19381945 / 1974-1995 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 47, 1995, p. 77-102 ; à Alexis Spire, Étrangers à la carte : l’administration de l’immigration en France, 1945-1975, Paris, Grasset, 2005 et à l’ouvrage de référence de Dzovinar Kévonian Réfugiés et diplomatie humanitaire ; les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publication de la Sorbonne, 2004, ainsi qu’à son article « Diplomates et juristes face à la question de la protection des réfugiés en France. Du Bureau chargé des intérêts des apatrides de Vichy à la mise en place de l’Ofpra (1942-1955) », in Réfugiés et apatrides Administrer l’asile en France (1920-1960), Kévonian Dzovinar, Angoustures Aline, Mouradian Claire (Dir), PUR, 2017.
vice de recherche des crimes de guerre ennemis. Enfin, il faut mentionner les officiers de protection polonais ayant participé à la résistance au sein du POWN, comme Jean Maleczynski, Bohdan Samborski et Wieslaw Dabrowski, ou les officiers de protection espagnols, parmi lesquels José Ester
Borras, membre du groupe d’évasion de Francisco Ponzon Vidal, puis du Comité international clandestin du camp de Mauthausen. Imbrication il y eut bien, et l’action de l’Ofpra est bien marquée en sa naissance même par cette geste héroïque.
Ci-contre : Certifi cat de réfugié de l’offi cier de protection de la section polonaise Bohdan Samborski.
Ci-dessous : Traduction conforme par l’OIR de la carte de décoration de guerre de Bohdan Samborski, combattant dans la POWN, offi cier d’éligibilité de l’OIR puis offi cier de protection de la section polonaise de l’Ofpra.