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Quels sont nos objets porte-bonheurs ?
2 Quels sont nos objets porte-bonheur ?
Le matin, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : « Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures. » En e et, un zèbre sans rayures n’en est pas un.
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J’avais l’impression de ne pas avoir de points de repère et donc rien à o rir à la société, car je ne savais pas grand-chose de ma culture d’origine.
Ce matin-là, je ne faisais que penser à l’enfant qui m’avait rendu visite l’autre jour. J’avais même rêvé d’elle. Dans mon rêve, elle me racontait une autre histoire et, au moment où elle allait me montrer son visage, je m’étais réveillée. Comme un rituel matinal, j’ai appelé maman. Sa belle énergie remplaçait le café du matin. Elle semblait aller beaucoup mieux que la dernière fois que nous nous étions parlé…
Elle m’a raconté les histoires du quartier dans lequel j’avais grandi. Elle m’a expliqué que le ls de la voisine, celui qui avait fait
ses études au Canada, s’était ancé à la lle de maman Binta, une autre voisine. Comme d’habitude, c’était à maman que revenait le contrat de confectionner les vêtements des futurs mariés.
En Afrique, c’étaient de belles tenues traditionnelles que nous confectionnions pour de telles occasions. Ces dernières étaient portées durant la cérémonie de mariage ou pour de grands évènements.
Par exemple, en Afrique de l’Ouest, il était question d’un bazin blanc, un tissu composé de coton. C’était par la brillance de son tissu, son dessin et sa texture qu’on reconnaissait un bon bazin.
Au cours de la discussion avec maman, j’ai ressenti dans sa voix une petite inquiétude. — Mama, je sens quelque chose dans ta voix. Que ne me dis-tu pas ? — Je n’ai pas bien dormi, ma lle. Je me sentais très seule et j’avais mes terribles maux de tête habituels. Maintenant que je te parle, je vais beaucoup mieux.
Pour la réconforter, je lui ai suggéré de sortir de la maison la prochaine fois que cela arriverait. Ensuite, je lui ai dit de mettrela cassette de musique qu’elle aime tant, celle qui lui tient compagnie dans ses moments de solitude. Cette cassette, elle l’avait reçue de son père. Elle m’a annoncé que la radio était vieille et qu’entre-temps, elle avait cessé de fonctionner. Je lui ai promis de lui en acheter une autre et elle m’a répondu que de m’écouter lui procurait beaucoup de plaisir.
À un moment, je me suis demandé si je devais lui parler de ma rencontre de la veille avec l’enfant derrière le miroir. Je me suis dit que c’était trop tôt. Nous avons raccroché. Je suis retournée à mes occupations quotidiennes.
Pendant que je nettoyais la cuisine, j’ai repensé à l’enfant et à notre discussion. Était-ce réel ou avais-je tout inventé?
J’étais de plus en plus confuse. Pourtant, je pensais à elle tellement elle me magnétisait. Je me demandais ce qu’elle faisait.
J’ai repensé aussi à Maman et à son histoire de radio. J’en conservais de beaux souvenirs.
Lorsque j’avais 8 ans, j’assistais maman pendant qu’elle confectionnait des vêtements. Elle me demandait de lui ramener sa radio qu’elle aimait tant. Belle, grande, elle faisait vibrer tout le quartier. C’était un de nos moments préférés, passées ensemble où nous étions si proches.
Entre chaque morceau, elle me racontait une tranche de sa vie, ce qui me permettait de mieux la connaître. À travers ce qu’elle me disait, je réalisais la chance que j’avais parce qu’être son enfant était un réel privilège. Ces moments passés avec elle nous transportaient et nous transformaient mes frères et moi. La cassette que j’avais l’habitude de choisir racontait des histoires en langue africaine. Maman adorait me les traduire. C’était magique. Cet objet qu’était la cassette avait su se tailler une place de choix dans notre vie et nos cœurs. Elle avait été complice de nos moments heureux comme des plus tristes. Un véritable porte-bonheur. Quand j’y pense, j’en deviens nostalgique. Nous avons tous un objet particulier que nous considérons comme porte-bonheur, ou qui est le symbole d’une époque heureuse. Il devient donc pour nous un objet auquel on s’accroche, témoin ou outil d’un bonheur à trouver.
Cher lecteur, vous pouvez ici prendre le temps de vous rappeler le vôtre, de penser aux souvenirs que cela vous évoque ainsi que de vous remémorer la foi que vous avez accordée à ce porte-bonheur.
Le temps passait et, étrangement, l’enfant me manquait de plus en plus. J’étais couchée au sol, sur le tapis, pour l’attendre bien sagement. Hélas, elle ne se présentait pas. J’ai décidé de me servir un thé au gingembre bien chaud, que je savourais calmement en espérant un signe. Soudain, j’ai entendu quelqu’un tousser. C’était elle ! Elle toussait. C’était l’enfant derrière le miroir. J’étais si heureuse! De son côté, elle ne semblait pas bien.
— Aïe ! Aïe ! Cela pique. Je n’aime pas le gingembre.
L’air surpris, je l’ai interrogée : — Comment sais-tu que cela pique alors que je suis celle qui le boit ? — Tu as recommencé avec tes questions ! a répondu l’enfant sur un ton plus ferme sans être pour autant brusque. — Où étais-tu passée ? Je t’ai attendue toute la journée, lui ai-je dit en maugréant. — J’étais là, avec toi. Je t’ai entendue parler avec maman. Pourquoi est-ce que tu l’appelles maman, d’ailleurs ? Je préférais quand tu l’appelais Nènè. — Comment sais-tu que je l’appelais Nènè ? — Je le sais, c’est tout. Je sais aussi que tu lui as fait la promesse de lui o rir le bonheur. Mais, en grandissant, tu as choisi de lui écrire un livre sur le bonheur. Moi, de mon côté, je suis allée à la recherche du bonheur. — Ah oui ? Où ça ? — J’ai d’abord assisté au spectacle des idées. Ensuite, je suis allée voir la rivière de lait, celle-ci m’a suggéré de rencontrer le Temps.
Je l’ai écoutée attentivement, car j’avais l’impression que cette enfant avait une certaine sagesse et semblait connaître la vie, peutêtre même mieux que moi. Je l’ai questionnée avec curiosité. — As-tu nalement compris ce qu’est le bonheur ? Est-ce que tu as pu l’o rir à Nènè ? — Oui, j’ai compris le bonheur grâce à ma rencontre avec le Temps. Hélas, je suis restée coincée dans ce miroir trop longtemps. Avec le temps, j’y ai perdu ma valeur petit à petit. Je n’ai donc jamais pu retourner de là d’où je viens pour o rir le bonheur à maman.
Intriguée de ce qui avait bien pu se passer, j’ai demandé à l’enfant de me raconter sa quête du bonheur. J’ai cherché le plus grand miroir de la maison a n de pouvoir l’écouter avec une attention particulière.
Comme il était près du salon, je me suis assise devant avec mon thé et je l’ai écoutée attentivement. — Avant de te raconter ma quête du bonheur, j’aimerais à mon tour répondre à la question que tu as posée plus tôt : «Quel est notre objet porte-bonheur ?»
À mon âge, il est di cile d’être nostalgique d’un quelconque objet. Tous les jours, je pouvais jouer avec quelque chose de nouveau. Par exemple, je jouais avec des billes ou je fabriquais un cerf-volant. La nostalgie, c’est surtout pour les grandes personnes.
Pour ma part, plus qu’un objet porte bonheur, Nènè est le plus beau cadeau que j’ai pu recevoir au monde. Je suis si chanceuse d’être son enfant.
Chez nous, on dit Nènè. Dans d’autres langues africaines, vous pouvez aussi l’appeler Zaidi, Mama, Umi, Nma, Yayeboye. Ce sont là d’autres façons de dire maman selon les langues du pays.
Quand elle est triste, Nènè a l’habitude de dire: «Ne t’en fais pas mon enfant. Ce n’est rien. Cela ira.» Pour ma part, je trouve toujours un moyen de la faire sourire. Par exemple, lorsque je l’accompagnais au marché, je lui disais: «Regarde les tomates. Elles rougissent, car elles sont timides. Achetons-les. Elles seront contentes de rencontrer la famille de légumes que nous avons déjà dans le réfrigérateur.» Quelquefois, lorsqu’on traversait les rues, je l’interpellais sur des tas de choses. Par exemple, sur les poubelles : «Nènè, les poubelles du quartier m’ont con é leurs frustrations. Elles trouvent qu’on ne les valorise pas assez. Elles sont là, mais les gens continuent à jeter des ordures par terre. » Curieuse, je questionnais aussi : «Nènè, pourquoi les gens font-ils cela ? » Elle avait répondu que les gens ne sont pas su samment sensibilisés et qu’ils ne prêtent pas attention. Elle a toujours eu une façon particulière de répondre.
Parfois, lorsque je la regardais, j’avais l’impression d’y voir une profonde sagesse. Celle-ci n’était rien comparée à sa beauté. À mes yeux, elle était la plus belle femme au monde et je l’adorais.
Ses longs cheveux étaient d’un noir d’une ne brillance. Elle mettait du beurre de karité pour leur soin quotidien. Parfois, elle me laissait lui en étendre sur son dos et j’adorais faire ça. Nènè est issue de l’ethnie Peuhle, aussi appelée Foulani, Fulbhe, etc. C’est un peuple originaire de l’Égypte pharaonique qui est devenu nomade. On les retrouve le plus souvent en Afrique de l’Ouest. Brave et talentueuse, Nènè n’est pas grande de taille, mais son cœur est immense.
De plus, elle a le regard innocent, comme celui d’un enfant. Tout chez elle est magique. Je me souviens que mes frères et moi adorions la regarder faire la vaisselle. Les assiettes et les marmites étaient des instruments de musique tellement leur bruit était mélodieux à nos petites oreilles.
Quand il pleuvait et que Nènè était sous la pluie pour une quelconque raison, on avait l’impression que ses mouvements et ses gestes étaient comme des pas de danse et que le bruit des gouttes sur le toit applaudissait le spectacle. On aurait dit qu’elle dansait avec la pluie et cela nous enchantait.
Même si je l’entendais toujours, j’ai commencé à somnoler. Il était tard. L’enfant m’a dit au revoir et m’a promis de revenir un autre jour, sans me mentionner le moment précis comme la dernière fois. De toute façon, j’allais l’attendre et je savais qu’elle viendrait, comme le beau temps arrive après la pluie. Dans mon quotidien, être assise dans mon sofa avec mes migraines, c’était comme le temps de la pluie. Si jamais elle persistait, tout comme Nènè, je deviendrais sa cavalière. Je danserais avec elle jusqu’au retour de l’enfant. Quelle idée ! pensais-je en souriant mi-éveillée, mi-endormie. Je me suis endormie paisiblement sous le son de ses pas que j’entendais au loin, comme une douce mélodie qui me souhaitait bonne nuit.