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Le conte et moi
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé raconter des histoires oralement. Déjà petite, pour toutes les questions auxquelles je n’avais pas de réponses, j’en créais une de toutes pièces. Étant une artiste dans l’âme, pour chaque di culté, je me consolais dans l’écriture ou le dessin. Par exemple, un jour, je devais avoir 6 ans, alors que je vivais encore en Afrique, plus précisément en Guinée, ma mère voulait que je l’aide à préparer le repas. Je devais couper les oignons.
Pour échapper à cette tâche, je lui ai dit : «Nènè, les oignons sont tristes. Ils iront mieux dans une semaine. Rendus là, nous pourrons les cuisiner.» Donc, je créais des histoires pour chaque aspect de ma vie. Il y en avait même pour l’école. Je me souviens entre autres de la journée des parents. Ce jour-là, chaque enfant devait faire une courte présentation de ses parents. On pouvait entendre des enfants dire : «Mon père est médecin. Il soigne les personnes.» Ou bien : «Ma
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mère est architecte. Elle construit des maisons.» Quand mon tour est arrivé, je me souviens que j’avais dit que ma mère était couturière.
Je n’avais pas pu m’empêcher de leur dire qu’elle avait une machine à coudre, que j’avais baptisée Fatoumata, et que cette dernière racontait des histoires. Le lendemain, comme par hasard, ma mère avait reçu plusieurs commandes. Était-ce un miracle ou juste les mots et l’innocence d’un enfant qui avaient opéré comme par magie ?
De plus, dans les sociétés africaines, d’où je viens, le conte est une école vivante dont la mission est celle de transmettre les valeurs et l’histoire d’une génération à une autre. Très tôt déjà, maman nous racontait, à mes frères et moi, des histoires qui nous faisaient rêver. Nous faire voyager à travers les réalités du temps, voilà l’importance du conte, favorisant ainsi la connaissance de notre culture et élargissant notre imagination. Quand nous étions assis autour d’elle, juste avant de nous raconter, elle disait que le plus grand héritage qu’elle voulait nous léguer était ce qu’elle nous transmettait à l’oral depuis fort longtemps. Elle espérait qu’un jour, nous serions à notre tour capables de narrer à nos enfants aussi bien qu’elle le faisait depuis notre enfance. Aujourd’hui, avec un pas de recul, je comprends que la plupart de ses contes n’étaient rien d’autre que des enseignements qu’elle voulait nous transmettre et une façon de véhiculer un message important de l’école de la vie. Toute une école qui avait pour fonction de nous éduquer à la compréhension de la vie.
Maman voulait que je reprenne le relais de la narration. À la di érence des contes que j’avais entendus jusque-là, elle voulait que je puisse transmettre les enseignements que la vie m’apprendrait au fur et à mesure. Sans oublier, évidemment, de parler de là d’où je viens.
Doux continent aux multiples histoires, véridiques et fantasmées, vous l’aurez deviné, je viens de l’Afrique : le berceau de l’humanité, l’origine de l’histoire. Avec l’âge, les occupations et les nombreux
divertissements à l’ère du numérique, hélas, ce rituel du conte a presque perdu sa place. Les jeunes n’ont plus le temps d’écouter des histoires, étant toujours sur les réseaux sociaux. Certains parents, quant à eux, se sont presque déresponsabilisés de ce rôle de transmission orale.
Quelles en sont les causes spéci ques ? Elles sont nombreuses… À mon humble avis, il y a le rythme de la vie et la perte de contact avec l’enfant en soi.
En e et, avec le temps, la vie perd sa magie lorsque l’enfant en soi ne participe pas à sa construction. L’enfant est créatif, il vit d’imagination et ne s’inquiète pas du lendemain. Son innocence le protège des principales préoccupations de la vie et il se laisse facilement aller à la véritable magie. De ce fait, pour redécouvrir cet enfant, l’approche par le conte peut s’avérer être d’un grand apport. En ce sens, on peut dire que le conte est un outil d’éducation, de libération, d’expression et d’élévation de la personne que nous sommes. Parmi ses nombreux béné ces, il nous permet dans ses éléments constitutifs (lieux, personnages, chants, etc.) de tisser des liens, de renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe, d’augmenter notre estime de soi, entre autres. Dans les pages qui suivent, on découvre des histoires contées par l’enfant. Ces histoires donnent de précieux conseils, interrogent nos défauts et glori ent nos qualités, en passant par une ré exion sur la croissance personnelle, la spiritualité, l’estime de soi, le rêve et la gratitude. Ainsi, le conte par l’enfant, pour l’adulte que nous sommes, nous transporte vers un tout autre univers. Quel que soit votre parcours ou vos origines, vous pourrez vous y retrouver.
Dans ces pages, il y a forcément une phrase ou une pensée qui exprime une morale et qui saurait inspirer, motiver à aller de l’avant dans la pleine réalisation de vos rêves, même les plus fous… Ce que j’écris ici a été d’une grande aide pour ma mère. C’est pour cela que j’appelle cette partie du livre «Le livre de maman», pour que lorsqu’elle les entendra, elle se rappelle notre histoire, nos échanges
vécus, mais aussi toutes ces histoires que j’inventais pour la faire rire, donc tout ce qui faisait son bonheur. Et moi, il est là mon bonheur, de rassembler ici mon imaginaire d’enfant en souvenir d’elle, mais également pour servir d’autres mamans et leurs enfants.
Les soirs, par exemple, je me rappelle, lorsqu’elle ne réussissait pas à s’endormir à cause de ses terribles maux de tête, je lui contais une histoire pour l’apaiser. Alors, à son tour, comme une enfant, elle s’endormait paisiblement.
Chez nous, en Afrique, la formule d’ouverture d’un conte di ère selon le pays ou l’ethnie à laquelle on appartient. De ma grande mère, j’ai conservé le terme Taali-yoo, en langue africaine. Cette formule, le lecteur l’utilise avant de débuter son histoire. Ceux qui écoutent répondent par Taalaatee, qui est la réponse à l’appel du conte et qui peut vouloir dire en français Raconte.
-Taali-yoo signi e C’est l’histoire. -Taalaatee signi e Raconte.