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La mystérieuse lettre
8 La mystérieuse lettre
En me réveillant le lendemain, il n’était plus question de proverbe. C’était le moment de poser des actes concrets pour ajuster ma vie.
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L’enfant manquait à l’appel depuis des jours qui me semblaient être des mois. Cela faisait trop longtemps que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Elle me manquait terriblement et ce n’était pas en attendant qu’elle se manifeste que je comblerais le vide qu’elle avait créé dans mon univers par son absence. J’ai donc décidé de faire comme si elle était là et de lui parler. J’allais l’appeler Bobo Djina, ce qui veut dire «enfant esprit».
En arrosant la plante que j’avais achetée pour elle, comme je le faisais maintenant chaque matin, je lui ai parlé :
— Bobo Djina, ta plante pousse. Je l’arrose chaque matin pour étancher ses soifs de la nuit. Parfois, je la sors avec son pot sur le balcon pour lui faire prendre l’air.
En faisant la vaisselle et le ménage, j’ai raconté à Bobo Djina ce que je voulais faire de ma journée et je l’ai avisée de mes rendez-vous. — Bobo Djina, je vais sortir faire des courses et pro ter pour aller faire un câlin à Muse. J’ai tellement hâte de lui parler de toi.
En cherchant ce que je devais porter, j’ai demandé à l’enfant quelle couleur choisir, si je devais inventer une combinaison ou si je m’habillais de manière classique. — Bobo Djina, je pourrais faire un mélange de bogolan et de soie. Qu’est-ce que tu en penses ?
Parallèlement, les appels avec maman ont diminué, car mes journées étaient maintenant remplies. J’avais repris la routine. Que dire ? J’avais recommencé à travailler. En plus, plusieurs aspects de ma vie s’étaient améliorés comme par enchantement. Par exemple, je m’étais inscrite à un cours de psychologie à l’université pour comprendre davantage mes émotions et comment y faire face. Je m’étais inscrite à la gym pour garder la forme physique.
Ce matin, après mon cours à l’université, j’ai décidé de discuter avec mon professeur, un psychologue renommé. Je lui ai parlé de ma rencontre avec l’enfant dans l’espoir qu’il me donnerait des conseils judicieux. Ce dernier m’a expliqué : «Peut-être que cette enfant derrière le miroir dont tu parles n’est rien d’autre que ton enfant intérieur. En chaque adulte vit un enfant qui ne demande qu’à être écouté. Lorsqu’il est oublié et refoulé, il peut se manifester par la maladie, une situation di cile ou une fatigue physique et morale extrême. Comme tous les enfants, il ne demande qu’à être aimé et faire partie de notre vie, qu’on l’accueille ou non. En étant à l’écoute de ses besoins, tu sauras comment guérir ses blessures a n qu’ensemble, vous bâtissiez une relation de con ance fondée sur l’amour réciproque, le respect, la tolérance et l’ouverture d’esprit de
vous accepter l’une et l’autre.» Mon professeur n’avait pas tort en totalité. Cela dit, je n’irais pas jusqu’à penser que l’enfant derrière le miroir était moi-même.
Dans mes souvenirs, je n’avais pas eu une enfance facile alors que pour elle, il en était tout autrement. L’enfant derrière le miroir semblait si sûre d’elle, alors que j’avais longtemps manqué de con ance en mes pleines capacités. Elle était même brave et déterminée. C’était bien le contraire de l’enfant que j’avais été à l’époque. Je suis revenue à la réalité en entendant la voix du professeur qui ne m’avait pas quittée. — Cette enfant et toi avez besoin l’une de l’autre, a-t-il dit avec une certaine compassion. — Comment faire ? Elle ne me parle plus depuis des semaines… — Il te faut réparer ce qui a été brisé entre vous, mais aussi soigner ses blessures.
Théoriquement, tout cela était bien beau, mais dans la pratique, il en était autrement. Alors, j’ai questionné à nouveau mon professeur : — Par où commencer ? — Commence par lui demander pardon, a-t-il conclu en toute simplicité avant de retourner à ses occupations.
J’ai remercié mon professeur pour ses précieux conseils, semblables à ceux de ma mère, concernant le pardon.
Suivant les conseils de mon enseignant, j’ai décidé de rédiger une lettre d’excuses destinée à l’enfant derrière le miroir. J’allais me prêter au jeu et lui écrire à cette enfant qui «se trouvait en moi» et qui, pourtant, m’ignorait depuis. Si jamais elle nissait par réapparaître, je lui lirais la lettre. Et ce jour, peut-être ferions-nous connaissance et deviendrions-nous de véritables amies qui ne se quitteraient plus. J’ai donc pris un stylo et du papier et je me suis mise à écrire seulement avec mon cœur :
«Chère enfant qui vit en moi
Bobo Djina,
Je n’ai pas qu’un vague souvenir de toi. Surtout après tous les périples que tu m’as racontés. Mais par exemple, je ne me souviens plus vraiment si tu préférais jouer avec les poupées ou grimper aux arbres. Tu changeais tout le temps d’idées. À la fois active et créative, tantôt ici et tantôt là. Un jour, c’était bleu et un autre jour rose. Que dire ? À toi toute seule, tu étais tout un univers! J’ai peine à croire comment tu as pu survivre à toutes les persécutions que tu as subies. Qu’en ce moment même, tu te trouves quelque part, peut-être égarée au plus profond de ma personne ou enfermée dans un miroir par ma faute, me rend perplexe. Mais tu es là, je le sais. Je t’ai parlé et je t’ai écoutée. Je t’écris ces quelques mots, pour te demander pardon. Pardon pour ce que tu as subi, la sou rance, les mauvais traitements et l’abandon. Pardon pour n’avoir pas été considérée telle que tu étais, de t’être sentie mal lorsque rien n’allait bien. Dans ma demande de pardon, je voudrais t’exprimer tout mon amour, puis ma gratitude à ton égard et toute mon admiration. Sans ton courage précoce et ton intelligence, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui. Parce que tu as été forte tout au long de mon enfance, parce que tu as inventé des contes pour me préserver de la peine, tu m’as permis de grandir en m’apprenant la résilience. Grâce à toi, je n’ai plus peur d’exister, je n’ai plus peur d’être ce que je suis. Si ma lettre te semble bizarre et décousue, sache que je l’ai écrite avec le cœur. J’ai tant à te dire encore et si peu de place pour t’écrire ce soir. Sache que je t’aime. Pardonne-moi, chère enfant. Je suis vraiment désolée d’avoir refusé ton aide et de t’avoir enfermée dans un miroir malgré moi. Pour tous les matins du monde, tous les soirs du monde. Pour tout ce que le temps peut encore nous o rir, je te supplie, pardonne-moi…
Pardonne-moi :
D’avoir subi des intimidations à l’école sans réagir et de t’avoir fait pleurer.
D’être tombée follement amoureuse et de t’avoir oubliée.
D’avoir ri et pro té des plaisirs de la vie et de t’avoir ignorée.
D’avoir laissé l’enfant créative et insouciante pour devenir l’adulte occupée et préoccupée.
D’avoir cru les histoires de TOUT LE MONDE et non les tiennes, alors que s’il y avait une seule personne qui voulait mon bien, c’était toi.
De n’avoir pas saisi la chance que tu m’o rais et de m’être égarée en suivant tout le monde.
Dans ma valise des essentiels que je devrais emporter dans tous mes voyages, je voudrais t’y retrouver pour ne plus jamais vivre sans toi. Si là où il y a l’amour, il y a le pardon, je veux te dire, ma chère enfant, que je t’aime d’un amour inconditionnel.
Signé, l’autre toi. »
Après avoir ni d’écrire ma lettre d’excuses, je me suis demandé où je pourrais la déposer si jamais elle décidait de venir la lire pendant que je n’étais pas là ou pendant que je dormais. J’ai choisi de la poser à côté de la plante, sa plante. J’ai plié la lettre et l’ai posée sur les petites branches qui poussaient déjà sur cette plante que j’arrosais chaque matin avec bienveillance. Comme ça, elle serait bien visible. J’ai éteint les lumières et je suis partie me coucher. Écrire cette lettre m’avait un peu soulagée, mais en même temps, tous ces souvenirs et toutes ces situations que je lui avais in igées malgré moi me rendaient triste. Des sanglots étaient déjà dans ma gorge quand mon téléphone a vibré.
C’était maman! Elle m’appelait encore une fois au bon moment, comme si elle me ressentait à distance. — Ma lle, je viens de faire un rêve bizarre qui m’a réveillée en sursaut. Je t’ai vue seule sous un arbre. Tu pleurais et je voulais te parler et te prendre dans mes bras, mais je n’y arrivais pas. Qu’est-ce qui ne va pas ? Je suis ta mère, je peux tout ressentir par rapport à toi et ce n’est ni un ni deux océans qui vont me séparer de toi. Alors, je t’en supplie, explique-moi. — Oui, maman. Je sais que tu sais tout et entends tout. Tu as toujours été une véritable magicienne.
Rien qu’à l’entendre, j’avais le sourire aux lèvres. Sa voix me réconfortait. Maman était dé nitivement une magicienne. Je lui ai expliqué que j’avais perdu une amie très chère à mes yeux. Inquiète, elle m’a demandé : — Que lui est-il arrivé ? — Elle a disparu. Elle ne me parle plus. Avant, je n’avais que toi. Aujourd’hui, je l’ai elle aussi. Elle me tient compagnie lorsque cela ne va pas.
Maman, avec un soupir, m’a consolée : — J’ai d’abord cru que ton amie était décédée. Ne t’en fais donc pas. Je suis certaine qu’elle reviendra bientôt. Mais, tu sais, l’amitié la plus importante, c’est avec soi-même. Mets là en pratique et tu verras qu’elle opérera vraiment ! C’est d’elle que tu as besoin d’abord. Je ne veux pas te voir comme dans le rêve à pleurer toute seule. D’accord ?
Sur ces mots, elle m’a dit au revoir. Je me suis donc endormie paisiblement sur les dernières paroles de maman : « L’amitié la plus importante, c’est celle avec soi-même. » Elle avait toujours raison. Je devrais commencer par là. En sombrant dans les bras de Morphée, j’ai murmuré à moi-même : « Demain, tout commence. »