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Conte 1 : la cavalière de la pluie
La cavalière de la pluie
Je voudrais t’o rir un cadeau pour ta gentillesse. Je l’ai mis dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Taali-yoo ! Taalaatee Taali-yoo… Talaateyoo
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C’est l’histoire d’un village, d’une culture et d’une femme. Le lieu où s’est passée cette histoire, dont personne n’a jamais entendu parler jusqu’à présent, porte le nom de Mamou. À l’époque, le village de Mamou était le symbole parfait de joie de vivre. Tout le monde prenait plaisir lorsque jouaient kora, ûte pastorale et djembé (instrument de musique appartenant à la famille des tambours).
Chaque soir, tous les villageois se retrouvaient sur la place publique pour festoyer. Parmi ceux-ci, elle était là, cette superbe femme toujours joyeuse et elle dansait.
Avant chacune de ses prestations, les instruments de musique prenaient plaisir à la décrire. Pour la kora, ses yeux brillaient comme des étoiles. La ûte, quant à elle, trouvait que sa chevelure était noire comme la nuit et le djembé, lui, se contentait de rappeler que sa peau était aussi lisse que de la soie. De leur côté, les villageois trouvaient que ses formes étaient semblables à celle d’une guitare et qu’elle avait une allure de gazelle. Cette femme s’appelait Fouta Bobo. Belle comme la reine de Saba et douce comme une mère, elle aimait danser plus que tout au monde. On aurait même dit que sans la danse, elle n’aurait aimé rien faire d’autre puisque c’était sa véritable passion. Il y avait quelque chose de spécial chez cette femme. Lorsqu’elle dansait, on avait l’impression que ceux qui l’entouraient rajeunissaient et revivaient leurs plus beaux souvenirs. Parmi eux, il y avait le chef du village, un homme qui a rmait n’avoir aucun intérêt à s’amuser, danser ou faire de la musique. Il était trop sérieux et ne participait jamais aux joies et danses du village qui l’agaçaient au plus haut point. Voyant que la situation ne changeait guère, il a décidé d’interdire la danse, ainsi que les chants et la musique au village. La danseuse fut même chassée, comme une sorcière, et accusée d’être la cause du désordre dans le village avec ses pas de danse et ses instruments de musique.
Voilà! Au désespoir de tous, Fouta Bobo a été chassée du village pour avoir soi-disant troublé la paix, accompagnée, pour seuls amis, de son djembé, sa ûte et sa kora. Elle a quitté le village et, ne sachant où aller, s’est avancé vers la forêt. Lorsqu’elle est arrivée dans la forêt, épuisée de fatigue et distraite, elle a égaré par erreur ses amis, les instruments. Pauvres instruments ! Sans la danseuse, ils perdraient leurs pouvoirs magiques, eux aussi.
Depuis, dans le village de Mamou, les hommes se contentent d’aller au champ et les femmes passent leurs journées entières à la cuisine. Au désespoir de tous, tout est devenu trop sérieux, point de divertissement. Le soir, la place publique, qui était jadis un lieu d’ambiance, demeurait vide.
Par contre, tout cela n’était rien comparé au grave problème qu’allaient rencontrer les habitants du village de Mamou. Étrangement, depuis le départ de la femme, il avait cessé de pleuvoir! Depuis le départ des instruments de musique et de Fouta Bobo, la pluie avait cessé de tomber.
Évidemment, sans pluie, il n’y avait pas de récolte, rien à manger, rien à boire et donc pas de vie. Pauvre village! Ah! Pauvres villageois de Mamou ! Si seulement vous les aviez vus, si tristes et si désespérés. Ils mourraient de faim. Les enfants n’allaient même plus à l’école, car ils avaient trop faim et pas assez d’énergie pour étudier. Les femmes et les hommes avaient tellement prié. Si seulement vous les aviez vus, ils étaient devenus maigres à force de ne manger que les fruits secs qui leur restaient. Voyant cela, le chef du village a fait appeler les griots et leur a ordonné d’aller à la recherche de la pluie pour lui demander pourquoi il avait cessé de pleuvoir à Mamou. Les griots se sont donc mis en marche à la recherche de la pluie. Ils ont décidé de commencer par demander aux insectes, dont la porte-parole était Madame la fourmi YaQuoiMême. Celle-ci semblait encore plus inquiète qu’eux et leur a expliqué : « Hier, toute la communauté des insectes était présente à une réunion où nous avons parlé de la situation inquiétante du village de Mamou. Il faut absolument que la pluie revienne, car nous risquons tous de disparaître. Allez donc voir les arbres, on sait tous que les arbres attirent la pluie. » Ils ont donc quitté les insectes pour aller voir Iroko, le plus vieux des arbres.
Lorsqu’ils sont arrivés chez Iroko, celui-ci les a invités à prendre du thé. Les griots du roi étaient surpris et en colère de voir que ce
dernier avait de l’eau pour faire son thé, alors que leur propre chef n’en avait pas assez pour se laver. — C’est donc vous qui avez volé la pluie. Comment osez-vous? ont dit les griots en colère. — Connaissez-vous cet adage qui dit qu’après la pluie vient le beau temps ? Vous, les villageois de Mamou, semblez l’avoir oublié. Toutes les fois où la pluie est passée chez vous, vous n’avez fait que vous plaindre. Pas de pluie, pas de beau temps. Et comme chaque fois qu’il pleut, vous vous plaignez, et qu’en plus, vous avez banni la bonne humeur du village, elle a bien fait de vous oublier. Il ne pleut que là où il y a la joie et la bonne humeur.
Ces paroles étaient blessantes pour les griots, mais elles étaient justes. L’un des griots a questionné l’arbre dans l’espoir de mieux comprendre : — Où avez-vous donc trouvé de l’eau pour faire votre thé ? — Nous, les arbres de la forêt, nous n’avons aucun problème avec la pluie. Si j’étais vous, j’irais voir quelques membres de la famille de la pluie. Allez voir Kitoko, le soleil, Chikwangue, l’éclair et en n, Alloco, le vent. Ils en savent plus que nous sur le sujet.
Avant de reprendre la route, les griots ont accepté l’invitation de l’arbre à prendre le thé. Ils l’ont dégusté pleinement, eux qui n’en avaient pas bu depuis fort longtemps et ont fait la promesse à Iroko de ne pas en informer leur chef, de crainte qu’il ne s’en prenne à lui. Il les a remerciés, car si jamais cela se savait que les arbres avaient de l’eau jusqu’à en faire du thé, ils seraient tous abattus le lendemain et là, ce serait un autre problème que devraient subir les habitants du village de Mamou qui sou raient déjà assez avec l’absence de la pluie.
C’est ainsi que les griots ont pris la route vers Kitoko, le soleil, Chikwangue, l’éclair et Alloco, le vent, dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de la pluie. Ils ont marché des jours entiers et des nuits sans s’arrêter. Une semaine s’est écoulée, puis un mois et ils ont continué malgré tout à rechercher la pluie. C’était après avoir marché
trente-trois jours au total qu’ils sont en n arrivés chez Kitoko, le soleil. Ils lui ont dit : — Toi qui illumines nos journées. Toi qui es souvent présent lorsque la pluie nous rend visite, sais-tu pourquoi il ne pleut plus à Mamou ? — Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire à ce sujet. Prenez ce djembé que nous avons trouvé dans la forêt.
Je pense qu’il vous sera très utile. C’est un djembé bien étrange et mystérieux. Il raconte une histoire triste, celle d’une femme qui se sent terriblement seule, car elle a été chassée par ses proches. Il ne fonctionne peut-être plus mais vous sera utile, qui sait?
Les griots ont pris le djembé et poursuivi leur chemin. Ils ont marché des jours et des nuits en entier. Encore une fois, la semaine et les mois se sont écoulés à la vitesse de l’éclair. Toujours pas de pluie. Ils sont en n arrivés chez Chikwangue, le vent. Ils lui ont dit : — Toi qui si es avant que la pluie ne passe, sais-tu pourquoi il ne pleut plus chez nous à Mamou ?
Au lieu de leur sou er la réponse à l’oreille, le vent s’est mis à tourbillonner avant de répondre à ses visiteurs : — Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire. Prenez cette ûte que nous avons autrefois trouvée dans la forêt. Elle vous sera d’une grande aide. C’est une ûte bien étrange. Elle raconte une histoire triste, celle d’une femme qui se sent terriblement seule depuis qu’on l’a chassée de son village. Elle ne fonctionne plus, mais vous sera peut-être utile, qui sait?
Malgré la fatigue, les vaillants messagers du chef ont décidé de tenter une ultime chance auprès de l’éclair. Ils ont marché des jours et des nuits, durant une semaine, puis un mois, lorsqu’ils sont en n arrivés chez Alocco, l’éclair. — Toi qui nous as jadis tant e rayés a n qu’on apprenne à respecter la pluie, sais-tu pourquoi il ne pleut plus chez nous à Mamou? ont demandé les griots, désespérés et au bord de l’épuisement.
— Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire. Mais prenez cette kora que nous avons autrefois trouvée dans la forêt, vous ne le regretterez pas. C’est une kora bien étrange. Elle raconte une histoire triste, celle d’une femme chassée de son village. Elle ne fonctionne plus, mais vous sera peut-être utile, qui sait?
Une nuit, déçus et fatigués, les griots ont commencé à se demander s’il n’était pas mieux de retourner à Mamou.
Au moins, malgré la famine du peuple, ils seraient réunis. C’est à ce moment même que quelque chose de mystérieux s’est produit. La Nuit s’est adressée à eux. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. Elle s’est adressée à eux en ces mots : « Mes amis, ne désespérez pas. Dans quelques instants, une vieille femme recouverte d’un voile passera près de vous. La longueur de son voile est comme celle d’un euve. Parfois, lorsqu’elle joue avec le vent, on peut apercevoir ses cheveux. Ils sont verts et également tou us comme les feuilles d’un arbre. Aussi mystérieuse qu’un hibou, elle a des pattes puissantes et musclées. Elle s’en sert souvent pour chasser. Elle a tellement passé du temps dans la forêt que sa peau est semblable aux écorces d’un arbre. Faites ce qu’elle vous demandera pour le bien de votre village, car en elle réside la solution à vos problèmes ainsi que la clé de vos inquiétudes.» La Nuit n’eut même pas le temps de nir que la mystérieuse femme apparue comme par enchantement devant les griots qui n’y croyaient toujours pas leurs yeux. Comme quoi la nuit porte conseil!
Au départ, les griots, après avoir entendu toute la description de la femme, ont été e rayés. Ils se sont cachés derrière un arbre pendant un moment dans l’espoir de se protéger. Voyant que la femme ne bougeait toujours pas, l’un d’eux, le plus courageux, a pris la parole : — Nous avons besoin de vous, ma bonne dame, lui a-t-il dit en la suppliant du regard. — Pourquoi donc ? a-t-elle demandé, surprise. N’êtes-vous pas les griots du village sans pluie ?
Les griots se sont regardés d’un air étonné, mais ils savaient que la vieille femme devait savoir quelque chose qu’eux ignoraient encore. Ils ont donc décidé de la ramener auprès du chef de Mamou. C’est ainsi que les griots et la vieille femme ont marché et marché des jours et des jours, ne prenant même pas le temps de se reposer la nuit. Ils ont marché une semaine, puis un mois. Un beau jour, ils sont en n arrivés à Mamou. Sans tarder, elle a demandé au chef du village de réunir tous les villageois sur la place publique.
Le chef, en regardant la femme droit dans les yeux et croyant avoir compris comment faire venir la pluie au village, s’est exclamé d’un ton enjoué qui ne lui ressemblait pas : — Que le djembé résonne ! Que le son majestueux de la ûte nous fasse voyager! Que la mélodie de la kora adoucisse les cœurs!
Hélas, à sa grande tristesse, il a constaté qu’aucun des instruments n’exécutait les ordres, car ils avaient perdu leurs pouvoirs magiques d’antan.
À la place, ceux-ci se sont plutôt mis à raconter une histoire triste à l’ensemble des villageois réunis, celle d’une femme qui pleurait la perte de ses amis, les instruments. Touchée par l’histoire, l’étrangère qu’avaient ramenée les messagers du chef a embrassé les instruments et leur a susurré à l’oreille : «Vous êtes capables. » Les instruments, en symbiose, ont demandé à l’étrangère de danser pour eux a n de leur témoigner toute sa gratitude et réa rmer son amitié.
Elle s’est exécutée naturellement, elle qui avait la danse et le rythme dans le sang depuis toujours. Animée par le rythme du djembé, le son majestueux de la ûte et séduite par la douce mélodie orchestrée par la kora, elle dansait encore et toujours de plus belle, comme si le temps ne s’était jamais arrêté. À chaque mouvement, elle rajeunissait et tout autour d’elle reprenait en n vie. Ses pas de danse racontaient l’histoire du village de Mamou d’autrefois, du temps où le peuple était joyeux.
Lorsqu’elle levait les mains au ciel, les feuilles des arbres prenaient part au spectacle en s’envolant dans les airs. Lorsqu’elle frappait des mains, nuit et jour s’alternaient. Ce jour-là, elle a dansé les émotions des villageois. Elle a dansé leurs tristesses face à la situation. À chaque mouvement brusque de son corps, cela voulait dire qu’elle dansait la colère du chef du village.
En n, comme une toupie, elle tournait ses reins pour danser l’espoir. Sa danse a duré des jours. Aussi mystérieux que cela puisse paraître, les instruments jouaient tous seuls. Ils étaient maîtres de leurs propres talents, bien qu’on eût dit qu’ils étaient rattachés à l’étrangère.
Elle dansait encore et encore, comme si elle n’avait jamais cessé de danser de sa vie. Elle continuait de danser et virevoltait dans tous les sens, et voilà que le ciel s’est mis subitement à changer de couleurs, pour le plus grand bonheur de tous.
À ce moment, savez-vous ce qui s’est passé? Il s’est mis à pleuvoir, mais une pluie di érente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Une pluie sucrée, une pluie de lait et pleine d’émotions. Certains villageois sont partis chercher des gobelets et se sont mis à boire comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant, tout en acclamant le beau spectacle de l’étrangère qui leur rappelait quelqu’un, mais sans toutefois pouvoir l’identi er concrètement. « Qui était-ce ? » se demandaient-ils, mais à ce moment-là, ils avaient trop faim pour y ré échir sérieusement. Au même instant qu’il s’était mis à pleuvoir avec abondance, des centaines, voire des milliers de bananes plantains, ont poussé comme par enchantement.
Les villageois sont partis cette fois-ci chercher leurs plus belles marmites pour recueillir ce cadeau du ciel d’une valeur inestimable à leurs yeux. Pendant ce temps, d’autres revivaient leurs plus beaux souvenirs à travers les pas de la danseuse qui leur rappelait de plus en plus quelqu’un de familier. Elle continuait de danser, encore et encore.
Soudain, le chef du village est entré, lui aussi, dans la danse, ce qui en étonnait plus d’un à cause de son air sérieux habituel. Tout le monde dansait allègrement. Ils dansaient à nouveau, puis dansaient des pas jusqu’à l’in ni. Les villageois étaient contents. Tous riaient et d’autres pleuraient de joie. La femme, voyant que même le chef du village avait rejoint la danse, avait en n laissé tomber son voile. Des voix se sont exclamées en découvrant que c’était Fouta Bobo, la danseuse du village, l’amie des instruments de musique et, en n, la cavalière de la pluie.
Ce jour-là, les villageois et le chef du village ont compris que la vie ne se résumait pas seulement aux travaux champêtres, mais aussi à des pas de danse au village.
Depuis, tous les instruments du monde racontent une histoire. Laquelle connaissez-vous? Tendez l’oreille et écoutez leur douce mélodie et rythme endiablé. Peu importe, après la pluie, le beau temps et quand les deux s’entremêlent, cela crée un arc-en-ciel…