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Chère école de la vie… qu’apprend-on ?

3 Chère école de la vie… Qu’apprend-on ?

Aujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain : « Il est dur d’être pauvre, mais il est encore plus dur d’être seul. » En e et, à force de rester isolée de tout, je commençais à me sentir terriblement seule. D’autant plus que l’enfant ne venait que lorsque cela lui plaisait. Parfois, les journées de pluie semblaient interminables. On développe facilement cette tendance de tout remettre en question et donc de s’isoler petit à petit.

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Ce matin, j’ai eu une forte pensée pour maman. Elle me manquait de plus en plus. Récemment, elle m’avait annoncé qu’elle suivait des cours de français. Elle voulait apprendre à lire et écrire le Français maintenant qu’elle allait mieux. Comme cela, elle pourrait lire ellemême le livre que je lui avais promis. J’ai décidé de l’appeler. Au téléphone, pourtant, elle avait l’air d’être soucieuse.

Quand je lui ai demandé la raison, elle m’a répondu: «Si seulement j’avais étudié la langue française plus tôt, je t’aurais assistée dans tes

travaux scolaires.» Elle avait tort de penser cela, car lorsque j’étais au primaire, c’était elle qui m’aidait à réussir. La logique des travaux scolaires n’est aucunement liée à une question de langue.

Je me souvenais surtout de combien j’avais des di cultés à me concentrer. Pour y remédier, ma mère me racontait des histoires d’après la matière pour laquelle je devais réviser, ce qui m’aidait à tout coup. Pour les mathématiques, elle utilisait des bâtonnets. Dans ses histoires, les noms des personnages étaient des chi res. C’était sa façon de m’enseigner l’essentiel. Avec le temps, mes résultats scolaires s’étaient améliorés grâce à elle.

Une fois, le professeur de l’école m’avait demandé d’expliquer un exercice que j’avais réussi à mes camarades. Je m’étais précipitée vers lui pour lui susurrer à l’oreille : «Maman ne voudra pas venir pour raconter les histoires devant toute la classe.» Ce dernier, un sourire aux lèvres, m’avait répondu : «Je suis certain que toi-même, tu peux le faire.» Debout, devant la classe, j’avais alors raconté une des histoires de maman avec des personnages pour expliquer l’exercice.

Depuis ce jour, le professeur l’a instaurée dans ses techniques d’enseignement. Avant chaque cour, à tour de rôle, l’élève qui le souhaitait pouvait conter une histoire de son choix. Nous écoutions tous attentivement. Par la suite, en petits groupes, nous partagions notre compréhension de l’histoire et nous nous prenions parfois pour les personnages de celle-ci. À la n, le professeur nous expliquait alors les valeurs et les leçons qu’on pouvait en tirer, leur pertinence et les applications qu’on pouvait en faire dans la vie. C’était donc un peu grâce à moi, et surtout à maman, que l’outil du conte nous avait permis de renforcer nos liens dans la classe et d’apprendre autrement, tout en développant notre capacité d’écoute et de concentration. Cela avait permis d’augmenter la moyenne générale des notes de la classe. Grâce à ma maman, les cours étaient devenus plus faciles à intégrer pour les élèves, car le plaisir était au rendez-vous. À partir de ce moment-là, j’ai développé une relation particulière avec le conte.

Une histoire d’amour entre le conte et moi était ainsi née sur les bancs de l’école, en dehors également. Les tomates, les oignons, les poubelles, les casseroles, la pluie, je donnais vie à tout autour de moi pour interagir avec.

Il était présentement 20 heures et l’enfant me manquait terriblement. Elle ne s’était pas encore pointée au cours des derniers jours. Nos conversations étaient devenues de plus en plus intéressantes au fur et à mesure que le temps passait. J’avais parfois du mal à saisir le sens de certaines de ses phrases, comme lorsqu’elle avait dit : « Tu commences à te souvenir. Bientôt, tu te souviendras peut-être de moi.» Cela avait éveillé toutes sortes d’émotions en moi, mais j’ignorais encore pourquoi. Chose certaine, les histoires qu’elle me racontait me faisaient du bien, tel un baume sur mon cœur. J’éprouvais de moins en moins de di cultés à m’endormir. L’autre soir, par exemple, j’ai apprécié lorsqu’elle a dit qu’on pouvait avoir plus d’une mère si on le désirait. D’après elle, une mère, ce n’est pas seulement la personne qui donne la vie, mais aussi toutes celles qui prennent soin de nous comme le ferait une mère.

Toutes ses femmes sont là pour guider, conseiller et prêter une épaule chaleureuse pour pleurer et essuyer nos larmes. Toutes celles qui s’inquiètent quand il le faut et encouragent également quand il est nécessaire.

Ce sont ces personnes que nous rencontrons sur notre chemin et qui nous procurent a ection et amour quand le vide s’installe.

L’enfant avait bien raison sur ce point. Sa sagesse me surprendra toujours. Ce soir-là, à la place du thé au gingembre, je me suis préparée un jus de feuilles d’Hibiscus communément appelé «jus de bissap» ; une façon de prendre soin de l’enfant que le gingembre faisait tousser. Pour nommer ce jus, il existe di érentes appellations dans le monde entier. Les plus répandues sont les suivantes :

agua de Jamaica au Mexique, foléré au Cameroun, Ngai Ngai au Congo, etc.J’aime mon jus de bissap sucré. J’allais prendre le temps de le boire en espérant que se manifesterait à nouveau cette fameuse enfant qui était derrière le miroir. J’étais si curieuse de connaître la suite de son histoire.

Peut-être qu’elle nirait aussi par me dire comment nous nous connaissions, elle et moi, comment elle pouvait à la fois être moi tout en étant à part, pourquoi j’étais capable de l’entendre me parler et répondre à mes questions. Justement, je venais d’entendre quelqu’un parler dans ma tête. Le jus de bissap faisait son e et. Cette voix, j’en étais convaincue, c’était la sienne. Elle m’a parlé. — Merci pour le jus de bissap, s’est exclamée l’enfant, toute joyeuse. — Attends de pouvoir le goûter. Tu pourras me remercier après, lui ai-je dit avec humour. — Cela fait si longtemps que je suis enfermée dans ce miroir. Je commence à être fatiguée. Je t’en prie, aide-moi à sortir d’ici. Il faut que j’aille retrouver Nènè. Elle ne va pas bien, a dit soudainement l’enfant avec tristesse. — Pour lui o rir le bonheur. C’est cela ? lui ai-je demandé amicalement. — Oui, entre autres. — Le bonheur. Puisque tu l’as rencontré, à quoi ressemble-t-il ? — Je te répondrais à condition que tu m’aides à sortir du miroir. Je ne veux plus être enfermée de la sorte. En échange, je veux être avec toi et t’accompagner dans ton cheminement. Si tu me laisses sortir, je te promets de t’aider à écrire le livre que tu veux o rir à Nènè.

Même si j’ignorais encore comment j’allais m’y prendre pour la sortir de là, je me suis engagée envers elle d’un ton solennel pour l’aider à sortir de sa cachette.

— Marché conclu. Parle-moi alors de ta quête. Par où a-t-elle pu bien commencé ?

L’enfant a commencé à me raconter. Encore une fois, plus je l’écoutais, plus je me laissais transporter.

À l’école de la vie, je n’étais et je n’ai toujours été qu’une enfant. Quand je t’ai entendue te poser la question pour savoir ce qu’on apprend à l’école de la vie et que j’ai écouté ta réponse, j’ai trouvé que tu avais répondu pour nous deux sans le réaliser encore toimême. Cependant, sache que l’enfant que je suis n’a pas eu besoin d’aller dans une école appelée la vie. Autour de moi, tout était vie et enseignements. Il y avait Nènè, puis les idées… Ah les fameuses idées! Elles sont si malines celles-là, si tu savais. Tu m’as demandé de te parler de ma quête du bonheur. Mais qu’est-ce que le bonheur ? C’est là, la vraie question. Il m’a fallu tenter de le découvrir avant de vouloir l’o rir à Nènè. Donc, un jour, j’ai pris la décision de questionner mes idées. Elles se multipliaient tellement dans ma tête que je voulais y trouver des réponses. Elles et moi avions l’habitude de converser. Elles devaient connaître ce qu’est le bonheur. Dans mon imagination, elles avaient produit un spectacle qui s’intitulait : «Il est là mon bonheur.» Je le connaissais ce spectacle. Je l’avais vu plusieurs fois, mais je ne le comprenais pas tout à fait.

Dans celui-ci, les idées présentaient plusieurs scènes. Je vais te décrire celles-là : la mode, la culture, les personnes inspirantes. Avant chaque scène, l’animateur, Monsieur Micro, vêtu d’une veste de couleur indigo, faisait une entrée majestueuse. Les idées, elles, étaient habillées de multiples façons, comme on peut en trouver en Afrique.

Des matières et des couleurs di érentes qui s’harmonisent si bien une fois assemblées. Du tissu bogolan du Mali à l’odeur du lépi de la Guinée, en passant par le pagne wax en Côte d’Ivoire, des bijoux de perles et de cauris du Togo et, en n, le tissu kente du

peuple Ashanti au Ghana. Il y en avait pour tous les goûts. Au-delà d’un simple spectacle, c’était l’art, la culture et l’histoire de tout un continent ainsi ouvert au monde qui s’ouvrait à moi. Je revois ce groupe d’idées, décorées de bijoux dont les couleurs semblaient en harmonie avec leurs états d’esprit. Était-ce cela le bonheur ? Cet élan de spontanéités qui se mélangent pour faire un ensemble cohérent. Les idées de ce spectacle dé lent, font voyager, transportent et inspirent. Elles éduquent en vérité au sujet de l’Afrique, là où est née l’histoire de l’humanité, le berceau d’une multitude de peuples et de traditions dont les valeurs sont communes : la solidarité, le partage et l’entraide.

Pour la deuxième scène, c’était au tour de la culture de se présenter à moi. Les idées avaient habillé sur scène une petite table avec du Ndop, un tissu emblématique du Cameroun qui était utilisé autrefois pour habiller les loges des rois pendant les cérémonies o cielles. À cette table, les hôtes devaient donc être importants. On leur avait servi du thé de Kinkéliba. Les idées avaient surnommé cette rencontre le Kinkéliba des écrivains. Les rois étaient les plumes des traditions de plusieurs époques. Plusieurs plumes ont alors pris place sur la scène à leur tour. Elles se sont levées l’une après l’autre pour s’o rir un Kassala, une tradition orale qui célèbre l’identité de la personne qui s’exprime. Ces écrivains devaient se présenter ainsi pour mettre à la fois en avant leurs prouesses et leurs états de service, tout en décrivant di érents univers rencontrés dans leurs parcours. Ainsi, on voyageait avec eux dans plusieurs espaces et instants. C’est la poésie guerrière, engagée, apanage des illustres personnages en Afrique qu’elle représentait.

En n, la troisième scène était dédiée aux personnes inspirantes qui ont existé et qui ont édi é beaucoup de gens. Les idées ont dressé le portrait de quelques-unes d’entre elles. Cette scène se nommait la parade des absents. C’était un dé lé de gens qui ont marqué l’histoire du berceau de l’humanité. Ainsi, dans cette parade, il y avait des héros traditionnels tels que Soundiata Keita, le roi de l’empire mandingue

au Mali, des héros modernes tels que Nelson Mandela, le promoteur de la paix, sans oublier des reines, héroïnes, guerrières et femmes che es qui ont, elles aussi, marqué l’histoire de leurs peuples. Abla Pokou, par exemple, la reine qui avait sacri é son ls pour sauver son peuple et qui était devenue par la suite la fondatrice du peuple baoulé en Côte d’Ivoire.

Ces personnages étaient des monuments qui méritaient d’être célébrés à travers le temps pour ne jamais être oubliés, d’autant plus que souvent, par souci de modernité ou de di érence, nous nous étions séparés d’eux et il était temps de se réconcilier avec eux.

C’était cela le spectacle des idées. À chaque fois que je voulais apprendre quelque chose de nouveau, il me su sait de fermer les yeux et je pouvais prendre part au spectacle de mes idées. Elles semblaient venir d’un univers lointain pour prester dans ma tête. De cet univers, j’étais persuadée qu’il y avait toutes les réponses à toutes les questions qu’on pouvait se poser. Un jour, peut-être que moi aussi, je pourrais monter sur scène pour inspirer des gens à mon tour.

Cette récréation des idées faisait-elle partie du bonheur ou semblait-elle aller partout sans contrôle ? À quoi me sert-elle ? Ce sont là ces mémoires porteuses de réponses que je veux rassembler pour faire le bonheur de Nènè ! Non, elle mérite quelque chose de plus ! Alors, il me fallait aller plus loin que le spectacle des idées pour le trouver. J’ai alors pris la décision d’aller demander à mon amie la rivière de lait. Elle était remplie de connaissances, elle aussi. Le lait de la vie, la rivière qui coule d’ici et là, abreuvant des terres sur son passage pour les fertiliser. Peut-être qu’elle pouvait me renseigner avec clarté puisqu’elle a tant coulé et tant nourri des territoires distincts. Alors, rendez-vous avec la rivière de lait.

Quelle imagination cette enfant ! Où avait-elle appris tout cela ? Dans le miroir où elle disait être enfermée ? De plus en plus curieuse, je l’ai bombardée de questions.

— Qui es-tu exactement ? Tu m’intrigues au plus haut point. Il y a une certaine sagesse dans ce que tu dis. Pour ton âge, c’est surprenant.

Sans même y ré échir, elle m’a répondu spontanément : — Je suis toi. Tu es moi. Ensemble, nous sommes.

Cette manière de me répondre était si désarmante et, en même temps, sa réponse restait énigmatique… J’oubliais qu’elle ne répondait pas toujours aux questions avec simplicité. Elle répondait sans vraiment répondre. Elle répondait et suscitait plus de questions encore. — Quand tu dis, lorsque tu avais 6 ans, cela veut-il dire que tu en as beaucoup plus maintenant ? Quel âge as-tu ? lui ai-je demandé en toute simplicité. — J’ai le même âge que toi.

Elle m’a répondu avec enthousiasme alors que je n’en étais pas du tout convaincue vu que sa voix semblait si jeune. Donc, j’ai insisté… — Comment cela se peut-il ? Tu as une voix d’enfant ! me suis-je exclamée, étonnée. — Ce n’est pas ma voix. C’est mon cœur qui te parle depuis le début. Le cœur ne vieillit pas. Il est le même jusqu’à la mort.

J’ai eu du mal à saisir le sens de ce qu’elle venait de dire, mais je savais que quelque chose de mystérieux était sur le point de s’éclaircir tout doucement. Prise de fatigue, j’ai pourtant commencé à m’endormir. Comme à son habitude, elle m’a gentiment dit au revoir et m’a fait la promesse de revenir un autre jour, sans spéci er lequel. Elle le savait sûrement maintenant que, dèle à mes habitudes, je l’attendrais impatiemment comme la chenille attend le jour d’être papillon. Si elle ne venait pas vite, j’essaierais de m’envoler vers le spectacle des idées, avec l’espoir de la croiser.

Ce soir-là, je me suis endormie avec, comme chaque fois qu’elle s’en allait, la douce mélodie du bruit de ses pas qui s’éloignait et qui me souhaitait bonne nuit.

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