ARCHITECTURE ET APPROPRIATION EXPÉRIMENTATION ET LOGEMENT COLLECTIF EN FRANCE
Marius CAILLEAU Semestre Printemps 2021 Séminaire ACC - Architecture Contemporanéité Complexité Sous la direction de Frank VERMANDEL et Aleksey SEVASTYANOV Domaine « Conception » ENSAPL
SOMMAIRE REMERCIEMENTS .......................................................................................................................... 3 AVANT PROPOS ............................................................................................................................ 3 INTRODUCTION............................................................................................................................. 5
PARTIE I : L’APPROPRIATION : A LA RECHERCHE D’UNE DÉFINITION .............................................. 8 1. DÉFINIR L’APPROPRIATION ........................................................................................................................ 8 2. COMMENT L’APPROPRIATION INTERVIENT DANS L’HABITAT .................................................................. 12 3. HABITANT/HABITAT ................................................................................................................................. 18
PARTIE II : DES ANNÉES 50 A 80 : DE L’APPROPRIATION D’UN LOGEMENT STANDARD VERS LA NOTION D’UN CHEZ-SOI .............................................................................................................. 26 1. L’APPARITION DE LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LE LOGEMENT COLLECTIF ................................ 26 2. LOGEMENT ETOILE, JEAN RENAUDIE ....................................................................................................... 36 3. NEMAUSUS 1, JEAN NOUVEL ................................................................................................................... 42
PARTIE III : LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LES LOGEMENTS COLLECTIFS D’AUJOURD’HUI 48 1. LE LOGEMENT COLLECTIF D’AUJOURD’HUI ............................................................................................. 48 2. MACHU PICCHU, SOPHIE DELHAY ............................................................................................................ 60 3. ILOT 3H, BEATRIZ RAMO .......................................................................................................................... 69
CONCLUSION .............................................................................................................................. 76 OUVERTURE ................................................................................................................................ 78 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 80 ANNEXES..................................................................................................................................... 84
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REMERCIEMENTS
La rédaction d’un écrit conséquent, comme ce mémoire, a été pour moi une épreuve…. Cependant, aujourd’hui en fin d’exercice, je prends conscience de l’évolution de mon travail, condensé d’une année de recherches qui ont été riches, malgré le contexte actuel qui nous a limité dans nos échanges, visites, partages. Mon intérêt envers la notion d’appropriation a été un guide dans cette dernière étape d’études, que j'ai, parallèlement au mémoire, approfondie également dans le cadre de mon PFE. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Frank Vermandel, ainsi qu’à son assistant Aleksey Sevastyanov. Je les remercie de m’avoir encadré, conseillé et de m’avoir mené jusqu’à l’aboutissement de cet écrit. J’adresse mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et à toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions, ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions durant mes recherches, en particulier les habitants de la résidence Machu Picchu qui m'ont accueilli malgré ces temps de crise. Je remercie Hugo et Maud pour leur relecture attentive. Leur soutien inconditionnel et leurs encouragements ont été d’une grande aide. Enfin, je remercie ma famille et mes amis, pour leurs encouragements. Et en particulier ma mère pour ses nombreuses heures de relecture et de soutien, ainsi que ma cousine Domie. À tous ces intervenants, à je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude. Et merci Zoom. Bonne Lecture, Marius.
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AVANT PROPOS Je m’intéresse depuis l’enfance à la création, l'invention, l’utilisation des matériaux de récupération pour leur donner une nouvelle vie, et j’ai grandi dans un environnement où la créativité était constamment présente. Ma maison familiale a connu de nombreuses transformations, extensions, toujours dans le but de mieux vivre chez nous. Aussi c’est tout naturellement qu’au moment d’écrire ce mémoire je m’intéresse à la notion d’habiter, au mieux vivre chez soi, à l’appropriation… Dans le cadre de mes stages et de mes études, je me suis penché sur le logement collectif qui est le plus répandu et j’ai donc décidé de traiter de l’appropriation dans le logement collectif. On voit de plus en plus apparaître cette notion « d’appropriation » dans les ouvrages liés à l’habitat. Elle devient aujourd’hui un « phénomène de mode » où certains l’emploient plus pour le style que pour la forme. Les questionnements à ce sujet ne cessent de se renouveler dans notre société changeante. « Réduire le logement à un produit standardisé et déconnecté du projet, a pour conséquence de placer au second plan deux éléments fondamentaux de l’habitat : l’habitant et le contexte existant. Non qu’ils ne soient pas pris en compte, mais ils le sont d’une manière si abstraite et désincarnée, qu’ils en deviennent des critères purement quantitatifs. » 1 Comme l’explique l’architecte Ronan Lacroix, il devient primordial de retrouver la place de l’habitant ainsi que son contexte existant afin d’éviter des projets de logements prônant l’aspect purement quantitatif contre un aspect qualitatif. Les habitants ont besoin de changement pour fuir la standardisation grandissante. Les concepteurs proposent une évolution timide de cette notion dans la conception architecturale. Des expérimentations sont pourtant en cours de recherche, prenons l’exemple de l’architecte français Stéphane Rouault répondant à la journaliste Marie-Douce Albert du journal le Moniteur qui lui demande son opinion sur l’appropriation : « Il est devenu difficile de s’approprier son logement, d’y développer des usages non prévus. Alors nous nous interrogeons : Comment redonner une liberté d’habiter ? »2 Il est important de se questionner sur cette notion en perpétuel changement, afin d’en comprendre son évolution. Les logements collectifs doivent s’adapter aux manières de vivre de chacun tout en prenant en compte l’échelle du temps. L’idée d’un modèle architectural d’habiter universel reste une utopie. Il y a une multitude de manières d’habiter et de s’approprier son logement. Il faut prendre en considération la demande des habitants, mais aussi l’offre des concepteurs, et regarder les relations que les deux entretiennent. Il s’agit d’offrir un avenir meilleur au logement collectif, et de mettre en avant cette notion d’appropriation pour les habitants et les concepteurs.
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Ronan Lacroix, « Logement collectif, réflexion pour aujourd’hui et demain », Après-demain, vol. N ° 33, NF, no 1, Paris, Fondation Seligmann, 2015, p. 6. Marie-Douce Albert, « Nous devons débattre davantage de l’appropriation du logement par ses habitants », Le moniteur, 2019, en ligne, <https://www.lemoniteur.fr/article/nous-devons-debattre-davantage-de-l-appropriation-du-logement-par-ses-habitants.2065809>, consulté le 8 février 2021. 2
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INTRODUCTION « En Hollande on sent que la discussion se fait au niveau de chaque rue, au niveau de chaque pâté de maison alors que chez nous, en fait, tout est imposé. On n'a pas de possibilité de s'approprier les espaces comme on le voit ici en Hollande, où chaque espace de chaque personne est différent, où l'architecture essaie de s’intégrer. Chez nous c'est complètement différent, c'est du stockage plutôt que du logement. » 3 (touriste français) Au cours d’une visite à Amsterdam en 1979, le journaliste Hubert Knapp interroge un touriste français sur la façon dont il perçoit l’appropriation du logement aux Pays-Bas en comparaison de celle en France. Sa réponse est très claire : il n’y en a pas. Ce qui est le plus surprenant est que cette affirmation est encore exprimée par certains habitants de logements collectifs aujourd’hui dans le sondage que j’ai pu réaliser. Situé en Annexe 2 p.86-88 : Sondage Architecture et Appropriation. Aux Pays-Bas, l’habitant semble être la priorité du concepteur. Le témoignage évoque une idéologie du bienêtre. L’extérieur est investi par les occupants qui décorent et s’approprient le moindre espace, le transformant en jardin ou en terrasse grâce à du mobilier de jardin, des lanternes, des plantes… Deux oppositions sont à noter entre ces deux pays : d’un côté, le logement français est marqué par une limite franche entre l’intérieur, privé, et l’extérieur, public. De l’autre, les maisons hollandaises sont dénuées de rideaux, ce qui favorise la liaison entre intérieur et extérieur, ainsi que le partage entre les habitants d’un même quartier. Par le biais de ce mémoire, on cherche à comprendre comment la notion d’appropriation a gagné de l’importance dans le logement collectif en France, depuis son apparition dans les années 1950 jusqu’à aujourd’hui, d’abord par son aspect théorique puis son aspect pratique. Il s'agira d’appréhender quelles solutions ont été proposées par les architectes des années 1980, dont nous tirerons les enseignements, et par d’autres plus contemporains. Nous vivons dans une société composée individus aux besoins variés. La construction de logements collectifs intègre donc dès sa conception une contradiction : Comment dessiner un logement qui, à la fois, conviendrait à tous, et qui dans le même temps offrirait à chaque habitant la possibilité d’exprimer sa personnalité, son individualité, tout en s’adaptant aux différents modes de vie et à ses évolutions ? Est-il possible de réinterroger la liberté d’appropriation au sein du logement collectif tout en sachant que cette typologie continue de croître et constitue le lieu de vie majoritaire des Français ? Si différentes expérimentations ont été menées depuis les années 1970 à la suite d’un bilan négatif de la construction d'après-guerre durant les années 1950, force est de constater que le problème d’absence d’appropriation semble être récurrent. Comme l’explique la sociologue Jodelle Zetlaoui-Leger, « La notion d’appropriation est née à la suite d’une contestation de l’urbanisme d’après-guerre »4, dans un constat de mal être de l’habitant dans son logement. Il me semble que l’intention des concepteurs des années 1970, dans la mouvance de l'idéologie de l'époque, était bien réelle. Il était en effet question de mieux vivre ensemble dans un logement collectif tout en répondant au fort besoin de logement, mais aussi d’offrir un confort de vie grâce à la standardisation. L’utopie n'aurait-elle pas mené au résultat escompté ? Aujourd’hui cette question semble susciter de nombreuses interrogations, pour les concepteurs ainsi que pour les habitants.
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Hubert Knapp, « Les étoiles de Renaudie 1979 architecture innovante à Ivry et Givors logements collectifs HLM par Jean Renaudie : jardins suspendus, proximité des commerces aussi Aldo Van Eyck à Amsterdam, Piet Blom à Helmond, Kroll à Lens - Vidéo Dailymotion », Dailymotion, en ligne, <https://www.dailymotion.com/video/xw8k9m>, consulté le 8 février 2021. 4 Jodelle Zetlaoui-Leger, Qu’est-ce que l’appropriation ?, « Contribution scientifique et technique sur la notion d’appropriation dans les opérations d’aménagements urbains durable », 2012, p. 4.
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Il est donc intéressant de se poser la question suivante :
Comment la question de l’appropriation dans le logement collectif se renouvelle-t-elle aujourd’hui en France ? Pour répondre à cette question, je vais développer mes recherches en trois parties : La première partie sera consacrée à l’état de l’art : Dans un premier temps, je définirai la notion polysémique d’appropriation depuis son origine, à partir d’auteurs dans les champs linguistique, historique et surtout sociologique, puis, j'affinerai mes recherches théoriques sous l’angle de l’identification à un lieu en me penchant sur l’état du savoir théorique dans ce domaine Ensuite, j’aborderai de manière pratique le processus d’appropriation, et la relation habitant/habitat, par le biais notamment de témoignages photographiques ainsi que par l’analyse d’un sondage, me menant à plusieurs réflexions : - Cette notion permet-elle l’identification d’un habitant à son habitat ? - Quels avantages cette notion offre-t-elle au sein du logement collectif français ? - Comment passer d‘un simple habitat à un chez soi ? Apres avoir évoqué ce que constitue un « simple habitat » ainsi que le « chez soi », j’appréhenderai la notion de « confort » qui apparaît en lien avec le processus d’appropriation, première étape vers le développement de la notion de « bien-être » qui semble être une question plus contemporaine. Je m'appuierai sur différents architectes Friedensreich Hundertwasser, Le Corbusier, Claude Parent, Henri Gaudin ayant approfondi les relations du corps à l’espace dans la conception architecturale. A partir des travaux de plusieurs photographes spécialisés dans le logement, François Hers, Jean-Marc Tingaud, Hortense Soichet, je ferai l'analyse d’un témoignage photographique exposant le rapport de l’habitant avec son habitat, imageant ainsi la notion d’appropriation. Pour finir, je présenterai le sondage que j’ai réalisé, d’une part sur les réseaux sociaux, et d’autre part en le distribuant dans certaines entrées de logements collectifs de Lille. Ce sondage offrira un potentiel d’analyse permettant de définir les approches de l’appropriation vues par les habitants afin d’avoir une vision la plus rapprochée de la réalité.
La seconde partie sera consacrée aux premières expérimentations d’appropriation du logement collectif dans la conception architecturale dès les années 1970/1980 : Je procéderai en trois étapes pour traiter de l’apparition de cette notion dans le logement collectif: le constat d’une appropriation manquante, les demandes changeantes passant de la notion de confort au bien être, et une ouverture sur la réflexion. Pour cela je vais m'intéresser à la vision du logement collectif des années 50 prônant a priori une notion de confort mais ne prenant pas encore en compte la notion de bien être liée à l'appropriation de son chez soi. A partir de ce constat, je vais chercher à comprendre d'où vient la notion d’appropriation dans le logement collectif français et j'expliquerai mon choix de la notion d’appropriation à travers ce type d’habitat. Pour ce faire, je vais réaliser des rencontres avec les habitants, afin d’interroger comment une appropriation personnelle est possible dans un logement ou cette notion a été pensée en amont, et mettrai en relation les réponses obtenues avec l’intention initiale des concepteurs. La vision utopique des architectes de l’époque a engendré des expérimentations de l'appropriation semblant inatteignables. Quelles applications en a-t-il découlé ? Je vais donc présenter ces premières mises en pratique dans des projets architecturaux des années 70. 6
À la suite de ces prémices de l’appropriation, j’étudierai de manière plus approfondie deux cas d'étude plus médiatisés : - La résidence Casanova, appelée aussi « Les logements étoiles » de Jean Renaudie, à Ivry qui offrent une nouvelle spécialité à la dimension du logement et ou je me suis rendu pour visiter les logements et interroger plusieurs habitants. -
Le projet Nemausus de Jean Nouvel, à Nîmes, qui revendique la mise à disposition de davantage d’espace pour les logements collectifs et une ouverture sur l’extérieur, l’architecte y impose son style esthétique industriel brut. Comment ce projet interroge-t-il l'appropriation par les habitants ?
Enfin, dans un troisième temps, j’évoquerai le logement collectif contemporain afin d'observer comment la notion d’appropriation a été réinterrogée. Suite au confort, le « bien-être » recherché aujourd’hui, mène à l’émancipation vers de nouveaux types de conceptions. Nous étudierons premièrement l’évolution des attentes des habitants du logement collectif m’appuyant sur des textes sociologiques et architecturaux. Puis, pour mieux comprendre comment améliorer la notion d’appropriation dans le logement collectif, je m'intéresserai à l’avis des habitants : Quelles sont aujourd’hui leurs nouvelles attentes ? Pour répondre à ces questions de manière concrète, je ferai l’étude de deux projets contemporains ayant pris en compte cette notion d’appropriation au sein de logements collectifs contemporains : -
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Le projet Machu Picchu, de Sophie Delhay, situé à Fives, que j’irai visiter. Il propose une répartition libre des espaces au sein du logement, l’appropriation est aussi pensée sur le « vivre ensemble » dans les espaces collectifs et animations s’y déroulant. Le projet Îlot 3H, de Beatriz Ramo, en cours de réalisation à Ivry. Cette dernière répond à son constat d'insatisfaction actuelle des habitants quant à l’appropriation et à partir d’une étude anthropologique, elle propose une nouvelle façon d’habiter en lien avec les nouvelles catégories d’habitants. Son principe est que c’est le logement qui doit s’adapter à l’habitant et non l’inverse, ce qui permet un habitat sur mesure.
Dans chacun des projets analysés, je poserai les questions suivantes : - Quelles étaient les pensées du concepteur quant à la question d’appropriation ? - En quoi consiste la mise en valeur de la notion d’appropriation dans son projet ? - Quel a été le Processus d’appropriation par les habitants ?
Ce procédé d’analyse répétitif pour les différents projets me permettra de comprendre plus aisément par époque les différents processus d’appropriation proposés.
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PARTIE I : L’APPROPRIATION : A LA RECHERCHE D’UNE DÉFINITION 1. DÉFINIR L’APPROPRIATION A. Une notion énigmatique L’appropriation est un terme à la définition complexe et reste encore aujourd’hui mal interprétée, causant une difficulté de prise en compte que ce soit pour les concepteurs voire même pour les habitants. On trouve l’origine de cette notion en 1636, apparaissant pour la première fois en France dans l’ouvrage du Lexicographe Français Philibert, Monet Inventaire des deux langues français et latin. 5 L’appropriation y est définie comme « l’action de s'attribuer des biens ». 6 Cette notion est devenue aujourd’hui une définition générale, que l’on emploie couramment dans notre quotidien. Cependant, depuis sa première utilisation le sens de cette notion s’est complexifié, proposant des déclinaisons multiples, abordant des thématiques très variées. L’absence de compréhension de la définition ne serait-elle pas la raison des problématiques d’appropriation actuelles ? Comment cette notion est devenue si délicate à définir ? Comment faire pour que cette notion soit plus précise dans son emploi ? Nous pouvons commencer par préciser la thématique qu’elle aborde. Vincent Veschambre, géographe et professeur de sciences sociales, explique qu’aujourd’hui cette notion n'apparaît jamais comme centrale, qu’elle se rapporte toujours à différents domaines permettant de justifier son emploi et d’orienter son discours. « De manière significative, il n’y a pas d’entrée d’appropriation et à quelques exceptions près, elle n’est pas utilisée pour définir d’autres notions ».7 Il explique dans son texte, que cette notion se décline principalement en trois thématiques générales : « Géopolitique », « Habiter », et « Territoire ». Ici, c’est la notion d’habiter qui va principalement nous concerner et que l'auteur considère comme une qualification de l’espace qui n’est pas une fin en soi mais plutôt la mise en évidence des rapports de pouvoir, des conflits et plus largement de la dimension spatiale des rapports sociaux. Deux sociologues ont abordé la relation entre habitant et habiter au travers de leurs écrits. Je vais premièrement prendre appui sur l'écrit scientifique et technique de la docteure en urbanisme et aménagement de l'espace, Jodelle Zetlaoui-Léger dans le cadre des opérations d’aménagements urbains durables, en 2012.8 Dans son texte, elle tente une mise en définition de la notion d’appropriation. Elle y explique que l’étymologie du terme « Appropriation » est issue de deux verbes différents, ce qui cause dès le début une nuance importante : « Approprier », signifiant quelque chose qui est propre à un usage et « S’approprier » signifiant prendre possession, ainsi faire sien de quelque chose de neutre. Dans la notion de l’appropriation du logement les deux verbes entrent en jeu car il y a l’habitat qui est propre à un usage puis le fait de le rendre sien, ce qui développe la notion du chez soi et donc l’appropriation. Bien que les deux verbes n’évoquent pas la même chose, c'est l’ensemble de ce qu’ils dégagent qui crée le contexte d’une appropriation.
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Philibert Monet, Invantaire des deux langues, française et latine : assorti des plus utiles curiosité de l’un et de l’autre idiome, Paris, 1636, p. 94. CNRLT Centre national de ressources textuelles et lexicales : Définition APPROPRIATION, en ligne, <https://www.cnrtl.fr/definition/appropriation>, consulté le 1 mars 2021. 7 Vincent Veschambre, « La notion d’appropriation. dans Segaud (M.), Brun (J.), Driant (J.-C.), 2002. – Dictionnaire de l’habitat et du logement, Paris, A. Colin, 480 p. et dans Lévy (J.), Lussault (M.) (dir.), 2003. – Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin », Norois. Environnement, aménagement, société, no 195, Presses universitaires de Rennes, juin 2005, p. 115. 8 Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit. 6
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Dans le livre Chez soi : Les territoires de l'intimité de la sociologue Perla Serfaty Garzon, pour définir la notion d’appropriation, la sociologue s’appuie sur la notion de « possession » et « propriété » qui renvoient respectivement à l’aspect juridique et affectif. Elle la représente comme « l’adaptation de quelque chose à un usage défini ou à une destination précise »9. Ce qui s’explique par la modification d’un espace pour l’adapter à un usage défini par avance. Ces auteurs se complètent dans leurs mises en définition de la notion d’appropriation par la prise de position du corps dans un logement le rendant sien, créant ainsi une relation entre habitant et habitat. La notion d'appropriation semble selon cet apport historique être ancrée dans la culture de l'habitant, devenant un automatisme dans notre façon d’habiter. Souvent cette action devient un besoin nécessaire, de prendre possession d'un lieu, une sorte d'objectif de vie. Cependant malgré l'aspect naturel et automatique de cette notion dans notre conception de l'habitat, elle semble être requestionnée dans le logement collectif français. Comment cette notion qui semble si étroitement liée avec l'habitat en a-t-elle été dissociée ?
B. Ses origines Pour l’analyse des origines de cette notion je m’appuie une fois de plus sur l’écrit de Jodelle Zetlaoui-Léger. Dans son texte Qu’est-ce que l’appropriation ? 10, elle explique que la notion d’appropriation est née à la suite d’une contestation de l’urbanisme d’après-guerre, dans un constat de mal être de l’habitant dans son logement. Avec l’apparition des grands ensembles d’après-guerre on tend vers une standardisation du logement qui est à priori peu, voire non compatible aux personnalités multiples et aux différentes attentes qu’elles peuvent avoir de l’habitat, causant un conflit entre l’habitant et son habitat. Selon l’auteure, cette notion apparaît au cœur des problématiques de recherches et d’études depuis les années 50. Elle explique qu’au départ les recherches portant sur cette notion étaient principalement liées au milieu scientifique, mais « avec le temps, les psychologues, sociologues, architectes et urbanistes ont engagé à partir des années 60 des analyses sur la production de l’espace urbain et en particulier sur celle du logement ».11 Selon J. Zetlaoui-Léger, les principes fondamentaux des réflexions de l’appropriation de l’espace sont issus de la conceptualisation de l’idée d’habiter. Elle associe l’apparition des premières critiques de cette notion à l’apparition de l’architecture fonctionnaliste des grands ensembles. Plusieurs auteurs appuient cette idée. Pourtant, paradoxalement, on observe à travers ces recherches que dans les années 50, il y avait déjà un fort attrait pour la maison individuelle. L’utopie d’avoir chacun sa propre maison était ancrée dans la culture. Cependant les habitants se sont retrouvés face à des constructions massives de logements collectifs pour répondre à un fort besoin de logement rapide et moins cher, offrant un confort, qui pour l’époque était précieux, mais qui devient rapidement inadapté à la notion d’appropriation. Parmi les auteurs qui complètent la thèse de J. Zetlaoui-Léger, on trouve l’architecte Dominique Gauzin-Müller, qui retrace et explique l’engouement du logement collectif dans le contexte de sa création et des besoins auxquels elle répond : « L’habitat n’est pas unique, mais pluriel, profondément façonné par son époque et le lieu qui l’accueille. La forme imposée en France pendant les Trente Glorieuses, dans l’euphorie de l’essor économique,
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Serfaty-Garzon, Chez soi : Les territoires de l’intimité, Paris, Armand Colin, 2003, p. 14. Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit., p. 3. 11 Ibid. 10
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répondait à la pression de l’exode rural et d’un impérieux besoin de logements urbains à bas coûts. »12 Comme l’explique D. Gauzin-Müller dans le livre Repenser l’habitat : des alternatives, des propositions, la forme imposée dans le contexte d’après-guerre répond à une euphorie d’urbanisme dont l’objectif était de loger rapidement et moins cher. Cependant cette décision est contestable aujourd’hui avec le recul nécessaire et la contrainte de ce lourd héritage encore présent dans notre urbanisme contemporain. L’auteur s’exprime notamment sur l’apparition d’un discours critique face à l’urbanisme rationnel inspiré du mouvement moderne qui est défini par un passage progressif de la campagne à la ville dans un contexte de changements techniques sociaux et culturels. A priori, le choix de ce nouvel urbanisme, impliquant une répétitivité de logements, a été pensé par des concepteurs, sans réelle relation avec les habitants, qui seraient en demande d’habitat mieux appropriable et plus personnalisé. Des collectivités qui semblent effacer peu à peu l’individualité du logement cherchant à offrir un logement standard se sont créées malgré une forte demande de personnalisation. Cela paraît être la cause de la première problématique dans une recherche d’appropriation. Le philosophe Henri Lefebvre qui est cité dans le texte de J. Zetlaoui-Leger, l’exprime de cette manière : « Ce n’est pas le cas de l’espace fourni aux copropriétaires dans un ensemble : cet espace est rigide, dépourvu de souplesse. Les aménagements y sont impossibles, presque toujours interdits » 13 , étant toujours d’actualité aujourd’hui en France. Dans la plupart des récits que j’ai pu lire pour la réalisation du mémoire lié à l’appropriation architecturale, on note l’importance de la liberté dans son logement en oubliant les contraintes, et en ne voyant principalement que ses aspects positifs. La lecture de P. Serfaty-Garzon sur ce sujet amène à penser que l’origine de l’usage sociologique de l’appropriation est apparue à l’époque de Karl Marx. L’appropriation y est définie en rapport aux objets produits par l’individu, au mouvement qu’il crée autour de lui, à son pouvoir personnel de modifier les choses dans le lieu qu’il investit de sa présence et de son temps. L’appropriation y est associée à l’action sur le monde, au travail, mais à l’image d’un accomplissement individuel et personnel. L’aménagement de l’espace domestique revisité et requestionné par ces mouvements de pensées mènera à des recherches historiques et anthropologiques sur l’évolution des formes d’habitats. Toujours selon P. Serfaty-Garzon14, vers les années 60, d’autres pensées sur l’appropriation de l’habitat vont émerger, inspirées par des théories psychanalytiques, elles ont pour but d’établir des liens entre l’investissement du logement et la construction de la personnalité, tout en y intégrant les autres facteurs culturels et sociaux qui entrent en jeu dans les processus de l’appropriation. On en vient à se questionner : Comment l’appropriation correspond à l'identification à un lieu ?
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Mathias Rollot, Florian Guérant, Dominique Gauzin-Müller, Repenser l’habitat : Alternatives et propositions, Paris , 2018, p. 6. Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit., p. 3. 14 Serfaty-Garzon, op. cit. 13
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C. L’identification à un lieu Selon les écrits que j’ai étudiés de Jodelle Zetlaoui-Léger, dans le chapitre « L’appropriation, un processus d’identification personnelle ou collective à un lieu »15, j’ai retenu que la complexité de cette notion en faisait sa richesse mais nécessite que le terme « appropriation » soit interrogé à chaque fois qu’il est mis en avant. L’auteur nous explique qu’on en vient à se questionner sur « approprié par qui, ou à qui, à quoi, comment... ? »16. Il faut réussir à répondre à ces interrogations, pour permettre de comprendre l’identification au lieu. L’auteure cite Marc Augé, célèbre anthropologue français. Pour lui l’appropriation s’associe à un processus d’identification du lieu dans le temps, la notion s’applique donc dans la durée. On donne sens à un espace en le personnalisant à son image, générant ainsi des « lieux »17 . Cela permet d’une part, de le rendre plus familier, et ainsi développer un sentiment de sécurité. L’habitat est aujourd’hui de plus en plus indépendant face à l’habitant, selon J-Zetlaoui-Léger ce phénomène soulève de nombreux enjeux économiques, politiques, et identitaires. En parallèle, dans le livre La routine, Analyse d’une composante de la vie quotidienne à travers les pratiques d’habiter18, l’auteur Yves Chalas, sociologue et urbaniste explique que pour s’approprier un habitat on développe un enracinement. Comme pour Marc Augé, il met en évidence le fait que pour se sentir bien chez-soi, il faut s’y sentir protégé, connaître le lieu, marquer son territoire. Une fois ce processus mis en place, on peut ensuite avoir quelques habitudes qui deviennent, à force de les répéter, une routine. « La répétition et la routine devenant donc une certaine expression de l’habiter. Le temps permet aussi d’habiller l’endroit où l’on vit pour en faire un lieu à sa propre image ».19 Ici, les auteurs se complètent sur la nécessité pour la notion d'appropriation de se dérouler dans le temps. Sabine Vassart, maître-assistante et chercheuse au sein de l’unité de recherche du département social de la Haute École de Louvain en Hainaut, en propose un autre regard. L’extrait du livre Pensées plurielles, intitulé « Habiter » 20 présente le travail réalisé par Perla Serfaty. Selon elle la notion de « l’appropriation » renvoie à celle de « l’habiter » que nous définirons dans la seconde partie, celles-ci sont toutes deux liées. La notion d’appropriation est selon P. Serfaty indispensable dans notre relation à l’espace « L’appropriation renvoie au processus par lequel les lieux deviennent signifiants en raison des activités, du travail et des éléments d’attachement qu’ils contiennent »21. Elle ajoute qu’il ne s’agit pas seulement d’une possession d’ordre juridique mais aussi d’une possession « d’ordre moral, psychologique et affectif ».22 Elle y explique que l’appropriation sert à voir à travers un lieu comment l’habitant exprime son mode de vie. Elle définit trois types de comportement étudiés : Premièrement, « le contrôle »23, permettant de couper le contact avec l’extérieur, mis en place par l’intervention de différents types de frontières physiques ou symboliques créés par l’habitant. Puis le « marquage » ,24 qui vient affirmer notre présence par de légères interventions (nom sur la boites aux lettres, meubles, posters...). Et pour finir la « personnalisation »25, renforçant la personnalité qui sera exprimée à travers les différentes interventions sur l’habitat par l’habitant. 15
Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit., p. 2. Ibid. 17 Ibid. 18 Yves Chalas, La routine. Analyse d’une composante de la vie quotidienne à travers les pratiques d’habiter », Cahiers Internationaux de Sociologie, vol. 85, Presses Universitaires de France, 1988, p. 243. 19 Ibid., p. 245. 20 Sabine Vassart, Habiter, vol. no 12, De Boeck Supérieur, 2006, p. 10. 21 Ibid. 22 Ibid. 23 Ibid., p. 11. 24 Ibid. 25 Ibid., p. 12. 16
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2. COMMENT L’APPROPRIATION INTERVIENT DANS L’HABITAT A. Comment Habiter son logement grâce à l’appropriation? Selon Sabine Vassart « Perla Serfaty définit les caractéristiques fondamentales de l’habiter selon trois aspects principaux »26: L’instauration d’un dedans et d’un dehors, la question de la visibilité et du secret, et le processus d’appropriation. « L’habitat est le lieu dans lequel on réalise l’action d’habiter et où se développe notre intimité, on adapte notre logement à notre mode de vie, notre culture, notre personnalité. »27 Comme nous l’avons vu dans la première partie, la notion d’appropriation ne peut pas avoir de standard prédéfini a cause des demandes et besoins extrêmement variés en fonction des habitants mais aussi en lien avec les évolutions sociétales qui poussent à se questionner sur la notion de l’habiter : « Si l’habitat est produit, l’appropriation de l’habitat n’est pas un sous-produit mais l’aventure même de l’habiter »28. Cette citation de la sociologue Marion Segaud, exprime le fait que bien qu’on puisse acheter un logement, il faut y vivre pour ressentir une appartenance au lieu et y développer son appropriation qui, contrairement à l'habitat, ne s'achète pas. Dans son livre Anthropologie de l’espace29, elle exprime que la diversité est présente, il y a autant de manières d’habiter que d’habitants. On en vient donc à se demander ce que l’appropriation apporte en plus de la notion d’habiter pour l’habitant ? Habiter signifie selon le Dictionnaire Larousse « Avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre ». 30 Cette définition offre un succinct aperçu de ce qu’est habiter, mais la définition est plus complexe. Certains auteurs spécifiques permettent d’éclaircir cette notion. Les écrits de Heidegger et Bachelard ont été fondateurs dans les recherches de la relation entre l’habitat et l’habitant. Au 20ème siècle, ces auteurs ont analysé la relation entre soi et l’espace, qui semble être un prémices à la notion d’appropriation. Selon Heidegger le verbe « être » est la racine des termes bâtir, habiter, penser. Il précise que le verbe ne définit pas seulement le fait d’être physiquement dans un espace, il faut en plus s’y affirmer en le marquant de notre personnalité. Selon lui en construisant « notre habitat » on se construit « nous même », menant à un développement personnel, devenant un élément fondamental dans la condition humaine. On note ici l’importance de l’appropriation d’un lieu permettant de rendre sien un logement. Ce qui rejoint le précepte de Bachelard, lorsqu’il dit « Être un homme veut dire d’abord habiter » 31. Lors de ses réflexions il compare souvent l’homme à un animal, s’inspirant de travaux d’ethnologues dans le but de définir leur appareil méthodologique et conceptuel pour ainsi trouver des éléments de comparaison. Dans l’une de ses devises il explique que comme le mollusque l’homme doit habiter sa maison pour habiter son chez soi « Il faut vivre pour bâtir sa maison et non bâtir sa maison pour y vivre »32 Jodelle Zetlaoui-Léger, reprend ces auteurs en disant « Quels que soient les courants théoriques considérés, le recours à la notion d’appropriation de l’espace a pour origine une réflexion sur les interactions entre l’homme et le milieu dans lequel il vit. » 33 Nous avons donc encore une fois recours à la notion d’appropriation, dès la définition de l’habitat.
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Ibid. Ibid. 28 Caroline Buffoni, Marion Segaud Anthropologie De L’espace. Habiter, Fonder, Distribuer, Transformer , 2007, Armand Colin, vol. N° 162, Paris, 2009, p. 200. 29 Ibid. 30 Définitions : habiter - Dictionnaire de français Larousse, en ligne, <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/habiter/38780>, consulté le 9 mai 2021. 31 Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, France, Presses universitaires de France, 1972, p. 32. 32 Ibid. 33 Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit., p. 4. 27
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« En philosophie, l’approche phénoménologique des années 1950 conçoit l’habiter comme une expression de l’être (Heidegger, 1958), la maison devenant une sorte d’extension du corps et de la conscience humaine (Bachelard, 2012) » .34 Cette phrase issue du texte de l’architecte Charles Garnier résume les deux préceptes vus. Pour ces précurseurs Heidegger et Bachelard, c’est bien la relation entre l’habitant et l’homme qui permet de développer la notion « d’habiter », le logement est ici humanisé. « Au 1er siècle avant J.-C., Vitruve développe dans son traité d’architecture l’idée de la cabane primitive aux origines de l’architecture : bien que dépendant de l’activité de l'homme, la cabane est une réalisation naturelle et innée qui compte parmi les besoins primaires. C’est donc la relation entre l’homme et sa demeure qui permet l’habiter. ».35 C’est un espace qui est délimité, permettant d’établir son « chez soi ». Quand on s’approprie un lieu on met en relation son corps à l’espace en s'imprégnant physiquement, mentalement, mais aussi par les différentes actions qu’on lui soumet, cela permet de générer une histoire. Pour Nadia Leroux « L’habitat est à la fois le nid, l’habit, le repère ». 36 Cependant selon Pascal Amphoux et Lorenza Mondada, architectes et professeurs, la notion d’appropriation « ne concerne pas seulement le marquage ou les signes que l’occupant des lieux appose, mais aussi la façon de les poser ou de les reconnaître. ». 37 Ainsi la question du chez-soi et son attribution représentent un degré d’intensité changeant selon la période ou le lieu que s’approprie l’habitant. Plus clairement « Habiter » viendrait à s’approprier un espace défini créant une distinction entre l’intérieur et l’extérieur de ce lieu. P. Serfaty confirme cette réflexion en disant « Le chez-soi renvoie à la conscience que l’habitant se fait de sa propre intériorité ».38
B. L’élaboration d’un chez soi La notion d’habiter ne prend pas forcément en compte le fait de s'approprier un lieu puisque nous pouvons habiter un lieu sans se sentir forcément chez soi. Par exemple, nous pouvons habiter dans un hôtel durant une période de vacances sans forcément se sentir « chez soi », ou en s’appropriant l’espace et inversement. Comment au sein d’un logement pouvons-nous passer d’un simple habitat à un « chez soi » ? L’architecte Alain Sarfati exprime une potentielle solution, qui s’avère être urgente dans l’habitat « Moins la répétition, le tout pareil, sera perceptible plus le « chez soi » sera appréciable. Mais si on continue de concevoir les logements comme des « conteneurs », c’est la mort annoncée, non seulement de l’architecture mais du plaisir d’être « chez soi » »39 Comment passer d’un logement standard au « chez soi » en passant par cette notion d’appropriation ? Pour répondre à cette question je prendrai pour références 3 auteurs qui ont travaillé avec des approches complémentaires : Premièrement les écrits de Perla Serfaty permettent de définir la notion du chez soi en la décomposant, à travers le Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, sous la direction de Marion Segaud.40 Pour traiter de l’élaboration du chez soi je me suis particulièrement intéressé au chapitre « le chez soi : intimité entre repli et hospitalité ».
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SILAAM, « De l’habitat à la pratique : habiter ? Présentation », Anthropologie Aix-Marseille. Nadège Leroux, Qu’est-ce qu’habiter ?, vol. n° 97, Érès, 2008, p. 24. 36 Ibid. 37 Pascal Amphoux et Lorenza Mondada, Le chez-soi dans tous les sens, vol. 5, Colloquia/ Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 1989, p. 12. 38 Serfaty-Garzon, op. cit. 39 Alain Sarfati, « Logements, normes et uniforme... Uniformité », Universités d’été de l’architecture 2014, 2014, en ligne, <http://2014.universitesarchitecture.org/logements-normes-uniforme-uniformite/>, consulté le 8 mars 2021. 40 Marion Segaud, Jacques Brun et Jean-Claude Driant, Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, Paris, France, Armand Colin, 2003. 35
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Selon P. Serfaty « le « Chez » représente la préposition exprimant la relation à l’intérieur de soi, cet intérieur étant considéré comme le siège de phénomènes typiques. Le « Soi » renvoie à l’habitant, à sa maîtrise de l’intérieur, mais aussi à sa manière subjective d’habiter ».41 Ce qui amène à penser qu’il s'agit de traiter l'intérieur de soi à travers notre logement, reflétant une fois de plus la notion d’appropriation. « La notion de chez-soi intègre l’habitation et l’un de ses modes majeurs d’expérience, soit l’intimité. Le chez-soi, l’habitat et l’intimité dessinent les pôles d’un même champ d’intelligibilité, qui est celui de l’habiter »42 Selon elle, le chez soi correspondrait donc à habiter en intimité avec soi-même, plus précisément à développer mutuellement le logement et son identité. S. Vassart le résume en disant « qu’Habiter participerait à l’expression de soi, à la découverte et la fabrication identitaire de l’habitant. »43 L'élaboration du chez soi permet donc de constituer son identité qui évolue avec son habitant, car son élaboration s'exécute dans le temps, permettant de développer des habitudes, et ainsi sentir l’appropriation de son logement. Le second livre étudié est Être chez soi, être soi d’Agata Zielinski,44 je me suis référé à la partie « Domicile et identité : être chez soi, être soi »45. L’auteure explique qu’« Être chez soi, c’est d’abord être soi. ».46 Pour elle le chez soi correspond à un perfectionnement de la notion de l’habiter, il définit le fait d’être chez soi, mais surtout, ce que signifie être soi. Le fait de rester chez soi permettrait de conserver son identité puisque l’habitant et l’habitat dialoguent entre eux. Selon l’auteur « Ce qui constitue mon identité, c’est à la fois ce qui fait que je demeure le même, et ce qui fait que je suis moi et pas un autre, ce qui me distingue des autres : la singularité. »47 De cette manière le chez soi connaît une appropriation. Le constat est que nous évoluons dans le temps en fonction de nos « potentialités du temps ; ou au contraire, les effets subis du temps » 48. Ainsi le chez soi retranscrit notre évolution et devient le lieu de la sécurité. Nous établissons les limites de l’intime, développant ainsi notre autonomie, qu’il représente comme la capacité de « choisir par soi-même et pour soi-même ».49 Elle conclut en disant que l’attachement au chez soi se développe dans un travail continu, en s’adaptant, et en s’appropriant notre habitat. L’appropriation du chez-soi permet donc à l’habitant d’exister dans son intimité et de se retrouver avec lui-même, l'indépendance de l’individu est souvent rattachée à son lieu de vie personnelle, la liberté d’exister est conditionnée par l'influence de la sphère extérieure au logement, on en vient à être dépendant de la possibilité de se replier ou de partager un lieu qui nous appartient. Et pour finir le livre j’habite donc je suis, écrit par Fabrice Larceneux50 permet de mettre en valeur la qualité de l’individualité et de notre identité. Dans son texte il décrit la dimension identitaire, afin qu’il corresponde à un soi à délimiter et à sécuriser tout en le laissant connecté au contexte, passant par l’appropriation. L’auteur exprime une interaction entre l’individu et l’espace qu’il s’approprie, pour cela il décrit quatre objectifs indispensables pour y arriver : « délimiter, sécuriser, relier et rassurer ».51
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Serfaty-Garzon, op. cit., p. 65. Ibid. 43 Sabine Vassart, op. cit. 44 Agata Zielinski, Être chez soi, être soi. Domicile et identité, vol. juin, Cairn.info, Paris, 2015. 45 Ibid., p. 55. 46 Ibid. 47 Ibid. 48 Ibid. 49 Ibid. 50 Fabrice Larceneux, J’habite donc je suis, Etudes foncières, Compagnie d’édition foncière, Paris, 2011. 51 Ibid., p. 23. 42
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- Délimiter, « L'espace habité est un subtil équilibre entre intérieur et extérieur ». 52 Cependant l’auteur explique que le logement collectif aujourd’hui ne permet pas l’intimité espérée, générant des conflits avec le voisinage. Selon son étude, 85% des habitants estiment que les nuisances sonores et les appartements collectifs sont associés. - Sécuriser, « Dans une société où les questions de sécurité sont omniprésentes, le besoin de trouver sa place au sein d’un espace sécurisé »53. Il exprime ici le besoin pour chaque habitant de se sentir en sécurité dans un espace protégé et clôturé, mais que c’est avant tout une sensation qui reste présente malgré les protections apportées, car plus on cherche à montrer qu’on est en sécurité moins on s’y sent. - Relier, « Le choix d'un nouveau logement implique un lien avec une identité spatiale »54 Il exprime ici le besoin de se relier à une identité. L’auteur prend l’exemple d’une adresse considérée comme une marque permettant de définir l’habitat mais surtout de s’inclure dans un espace défini correspondant à un groupe social, renforçant le besoin du lien avec le voisinage. - Rassurer, « Un gain de sécurité et de sécurisation. Les bénéfices perçus de l’acquisition d’un actif tangible rassurent et donnent un sentiment de protection, permettent le confort et le développement de l’intimité. »55 L’aspect sécuritaire semble donc important dans la notion d’appropriation, il permet d'être rassuré, se sentir bien au sein du logement permettant le développement du confort.
C. Une notion de Confort On en vient à se poser la question : Le confort est-il la clé d’une meilleure appropriation ? Pour cela j’ai choisi d’évoquer le livre Du confort au bonheur d’habiter56, écrit par Yankel Fijalkow dans lequel il tente de répondre à la question : Comment les sciences sociales conçoivent-elle le bonheur dans l’habitat tout en les mettant en comparaison avec des modes de vie liés à leurs époques et leurs contextes ? A travers ce livre il définit quelles sont les valeurs de l’habitat qu’il met en comparaison avec ce qui est produit, pour voir les situations qui posent problème dans les logements collectifs aujourd’hui en France avec une remise en cause de l’habitat moderne. L’auteur explique que depuis le XXème siècle la qualité de l’habiter semble être remise en cause par la volonté d’association avec la notion de « confort »57 justifiant l’action des constructeurs et des politiques. De plus, cette notion de confort de l’habitat a fortement évolué depuis les années 50 dans la conception du logement. Dans son livre Y.Fijalkow détaille cette évolution : « Dans les années 1950, la notion de confort s’exprimait par la construction de tours et de barres équipées du confort moderne. Dans les années 1970 on considérait que le chauffage central relevait du confort. Aujourd’hui, celle-ci relève d’une grande diversité d’équipements contrôlant les ouvertures, l’énergie et les circulations. Que signifie cette évolution pour les habitants ? ».58 On en vient donc à se poser aujourd’hui la question : Qu’est-ce que l’habitant attend d’un logement contemporain ? Pour cela l’auteur se questionne sur l’insalubrité de quatre millions d’habitants encore mal logés, selon les pronostics de l’Abbé Pierre en 2016.59 Selon moi, ces derniers ont une attente très différente du confort du logement par rapport à ceux qui cherchent un logement toujours plus agréable. Cela repose sur une vision complexe et économique qui différencie l’appropriation en fonction de la condition sociale de l’habitant. 52
Ibid. Ibid. 54 Ibid. 55 Ibid. 56 Yankel Fijalkow, Du confort au bonheur d’habiter, Sociologie du logement, Paris, coll. « VI. Du logement à l’habiter », 2016. 57 Ibid., p. 98. 58 Ibid. 59 Ibid. 53
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Dans son analyse, Y.Fijalkow demande aux habitants de raconter leurs arrivées dans leurs logements tout en expliquant les transformations qu’ils y ont réalisées. Selon leurs récits il en dégage trois sous catégories du confort qu’il met en relation avec des témoignages, nous allons étudier les différents cas : Le confort hédonique60 Son origine vient selon le Dictionnaire Larousse du grec « hêdonê » qui veut dire plaisir, il représente un système philosophique qui fait du plaisir le but de la vie. Cette première catégorie représente donc de mettre en priorité le fait de « se sentir bien ». Selon Madame Etienne, habitante Parisienne « Le confort, c’est pouvoir se ressourcer quand on est chez soi, ne pas être importuné par le bruit. C'est se sentir bien, ne pas être importuné par les voisins, notamment les nuisances sonores ». On comprend que son habitat est considéré comme un refuge où elle peut couper avec le rythme oppressant de la ville tout en pouvant en profiter. De plus on comprend un besoin de se couper des autres, de s’en protéger. L’exemple de Mr Hubert illustre parfaitement ce choix « Ce que je crains c’est surtout les voleurs : le portail est ouvert, tout le monde rentre comme ça. Avant-hier on a eu le facteur, les éboueurs, ils rentrent directement à la porte comme ça. J’aimerais une caméra qui permette de voir la personne qui sonne et que je puisse décider de la faire rentrer ou non »61. On se renferme sur nous-même afin de ne pas se confronter aux autres par la peur, de plus en plus le logement se referme sur lui-même cherchant de nouveaux processus pour limiter le franchissement au détriment même de notre confort d’habitat, devenant une obsession. Le confort cognitif62 Par ce terme l’auteur exprime l’importance de l’évolution des logements à partir du 19ème siècle. En effet, la politique hygiéniste a permis la modernisation des logements, et ce depuis les années 50. On assiste à l’arrivée de la lumière, les salles d’eau, la modernisation de la cuisine avec ses équipements aménagés : « Au nom du confort, ils ont renforcé la cellule et la croyance de l’habitant à être maître chez lui, fier de ses équipements, témoin de sa réussite »63. Le luxe devient peu à peu d’être à la page des dernières nouveautés, le logement devient un lieu d’exposition et son habitant un « utilisateur ». « Le confort, c'est se sentir à l’aise, avoir tout ce que vous avez envie d’avoir comme produits ménagers, que tout soit facile, la télécommande pour allumer la tv ou les lumières, la facilité de la vie. Et aussi en essayant de faire attention aux consos d’énergie, d’eau etc. ». 64 Le témoignage de Catherine, future retraitée, nous exprime clairement le besoin de l’habitant de faciliter sa vie pour être à l’aise. Cependant ce besoin de consommation important, dans un logement collectif standardisé permettant d’améliorer le quotidien, favorise-t-il l’appropriation par ses habitants ?
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Yankel Fijalkow, op. cit. Ibid. 62 Ibid. 63 Ibid. 64 Ibid. 61
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Le confort conforme65 Conforme du latin « conformis », semblable est défini par ce qui correspond exactement à la norme, à la règle générale, à l'idéal social dominant. C’est la volonté de pouvoir mutualiser les habitats. Cependant nous allons voir que ce n’est pas le cas et qu’il y a encore un grand écart générationnel. Selon l'auteur, le fait de rendre son logement conforme pousse l’habitant à s’enfermer dans un confort de vie qui le conditionne à rester chez lui. Les logements collectifs deviennent des « machines à habiter » comme le disait le Corbusier. Cependant certaines personnes refusent cette évolution dans le logement. Par exemple Y. Fijalkow cite l’exemple des personnes âgées qui refusent les rénovations accrochées à l’histoire qu’ils ont pu accorder au bâtiment « le confort se niche dans des habitudes et des pratiques distinctives »66. Cela me fait penser au témoignage d’une femme âgée veuve dans le film de Guillaume Meigneux 67 sur la rénovation des appartements de la cité Bois le Prêtre qui lors d’une réhabilitation demanda à l’agence d’architectes Lacaton et Vassal de ne rien modifier comme pièces chez elle. En effet, elle avait une histoire dans chacune de ses pièces, par exemple la cuisine avait un carrelage au mur offert par son fils et elle préférait les garder au lieu d’améliorer son espace de vie car pour elle c’était son histoire qui rendait confortable le lieu. Le logement devient ainsi un lieu de mémoire. Cependant, les nouvelles générations se dirigent vers une autonomisation de l’habitat « acceptent de vivre selon un modèle fondé sur la tranquillité, la quiétude et la confiance à l’égard des machines » 68 Les maisons programmées deviennent une nouvelle notion d’un confort conforme aux nouveaux modes d’habiter. Nous avons donc plusieurs attentes décrites dans ces trois catégories, dans lesquelles on sent que l’habitant veut être maître de son logement, pouvant tout contrôler, avoir tout ce qu'il désire. Ceci est parfaitement illustré par ce paragraphe issu du livre, pour l’auteur « Non seulement les critères du confort ne sont pas hiérarchisables, mais ils sont modulables et négociables selon les valeurs des individus et leurs contextes sociaux ». 69 Autrement dit, il n'y a donc pas de généralités possibles, encore aujourd’hui dans la conception du logement. Cependant, la notion de confort comme nous l’avons vue avec Y. Fijalkow ne suffit pas à se sentir chez-soi, il faut ressentir cette sensation de bien-être. Selon l'anthropologue Jacques Pezeu-Massabuau,70 le bien-être s'établit sur trois niveaux complémentaires, mais différents : la notion de confort est liée au bien-être matériel, la paix intérieure liée au bien être moral, et pour finir la reconnaissance des autres liée au bien-être social. Une fois ses 3 niveaux réunis, l'habitant se sent enfin en cohésion avec son logement. Malheureusement il est rare que ses 3 niveaux soient acquis ce qui limite l'appropriation. Dans l’interview TEDx Des villes sensibles aux architectures subtiles, l’architecte Eric Cassar dit de bien faire attention à différencier la notion de confort de celle du bien-être, « Moi je préfère de loin cette notion de bien être, quand on est dans une cabane au milieu de la forêt, ou sur un bateau on est bien, pourtant ce n’est pas forcément confortable »71. Je pense qu’il exprime un message similaire qui vient appuyer le propos de J. PezeuMassabuau dans lequel l’habitant a une demande plus forte envers la notion de bien-être que celle du confort proposé.
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Ibid. Ibid. 67 Guillaume Meigneux, Documentaire: «Habitations légèrement modifiées», Paris, Celulo Prod & Interland Films, 2013, 76 min. 68 Yankel Fijalkow, op. cit. 69 Ibid. 70 Jacques Pezeu-Massabuau, Habiter: rêve image projet, Paris, France, 2003, p. 128. 71 TEDx Talks, Des villes sensibles aux architectures subtiles | Eric Cassar | TEDxLyon, 2015, 12:27. 66
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3. HABITANT/HABITAT A. Le corps et l’espace dans la conception architecturale Il faut apprendre à observer comment le corps influe dans l’habitat et inversement, la relation entre soi et l’espace. Cette notion d’appropriation semble rattacher le corps à l'espace dans l’objectif de personnaliser son logement. En architecture, les nouvelles manières de vivre, liées à l’évolution de la société, nécessitent des adaptations. Il y a donc bien un élan collectif, générant un processus d’appropriation. Dans cette évolution collective, nous avons tendance à vouloir tout généraliser et à rendre identiques nos coutumes, nos manières, nos lieux de vie, ce qui mène vers une standardisation de la société. Cependant je pense que tant que nous aurons la liberté « d’être » différents les uns des autres, la mixité du logement persistera pour exprimer nos différences. La personnalité a une importance cruciale dans la relation à notre habitat. J’en viens, pour conclure cet état de l’art, à me questionner sur l’habitat et l’habitant et la relation qu’ils génèrent. Le positionnement quant aux ressentis du corps m’évoque l’étude du chez soi au vivre ensemble réalisée par la direction générale de la cohésion sociale par une équipe de l‘ANCREAI en 2011 traitant de l’habitat des personnes avec TED 72 (Troubles Envahissants du Développement), public vivant souvent collectivement en institution : Un des points de consensus concerne l’importance de l’impact des singularités sensorielles sur le mode d’habiter des personnes avec TED quel que soit le type d’hébergement. L’importance du corps dans l’espace, et du lien qui se développe entre eux, est une question qui est en essor au cours du XXème siècle. Le logement collectif a été un grand sujet d’expérimentations. Nous verrons dans la suite des réflexions quelques exemples majeurs de cette époque. Friedensreich Hundertwasser Le travail de l’artiste et architecte Friedensreich Hundertwasser de son vrai nom Stowasser, né en 192873 en Autriche, aborde la notion d’appropriation sous l’angle de l’ouverture favorisant le lien social et redonne à l’habitant le pouvoir d’être chez soi. Il explique que contrairement à ce que l’architecture de son époque propose, chaque habitant doit être libre de s’approprier son logement lui-même. 74N’ayant pas de courant ou groupe prédéfini, il se forge lui-même son idéal en commençant par la peinture puis en continuant dans le domaine de l’architecture. Dans son manifeste de la moisissure contre le rationalisme dans l’architecture, il écrit « Notre habitat est comme une 3ème peau après la nôtre et nos vêtements, à travers notre chez soi nous Fig 1. Hundertwasser (Friedensreich), FIVE SKINS, dessin à l’encre de développons une continuité du corps et de l’esprit dans un espace physique qui MEN'S chine, Cologne, 296 mm x 210 mm, 1997 74 permet de nous identifier ».75 Cela explique qu’il faut considérer notre habitat et vient ensuite l’environnement social et l’identité et pour finir l’environnement écologique et humain, comme le présente le schéma ci-contre. Lors de ses réalisations architecturales, Friedensreich Hundertwasser cherche à « guérir les maisons malades, qui sont le miroir de l’homme»76. Précurseur dans l'architecture, cet homme avait déjà établi des solutions aux névroses de l’architecture moderne en proposant des bâtiments offrant des espaces végétalisés, aux formes remplies de couleurs, et courbes. De plus, il ajoute en 1970 un « droit à la fenêtre » autorisant l’habitant à 72
Autisme France, Autisme France - Autisme France, en ligne, <http://www.autisme-france.fr/>, consulté le 9 février 2021. Sylvia Ladic, Cours d’art : Friedensreich Hundertwasser, artiste écologiste engagé, 2015, en ligne, <https://e-cours-arts-plastiques.com/friedensreichhundertwasser-artiste-ecologiste-engage/>, consulté le 15 février 2021. 74 Friedensreich Hundertwasser, MEN’S FIVE SKINS, 1997, en ligne, <https://hundertwasser.com/en/applied-art/apa382_mens_five_skins_1975>, consulté le 22 mai 2021. 75 Ibid. 76 Ibid. 73
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intervenir lui-même sur sa façade permettant une intervention extérieure « Certains disent que les maisons sont faites de murs. Je dis qu'elles sont faites de fenêtres »77. Il s’agirait de proposer un projet où chacun a sa place selon ses envies en intérieur comme en extérieur. Sylvia Ladic explique que l’architecture se doit de respecter l’homme, car elle est le reflet de ses sentiments mais aussi de son âme. Hundertwasser en souhaitant guérir l’architecture malade, exprime que l’homme est prisonnier des lignes droites ne permettant pas un épanouissement. Il se considère comme le médecin de l’architecture à laquelle il rend sa santé par les courbes de ses bâtiments. Hundertwasser dit « Nous vivons aujourd'hui dans le chaos des lignes droites, dans la jungle des lignes droites. Que celui qui ne veut pas le croire se donne la peine de compter les lignes droites qui l'entourent et il comprendra car il n'arrivera jamais au bout. (...) Cette jungle de lignes droites qui nous enferment comme dans une prison, nous devons la supprimer. »78 Cet architecte invite ainsi à un espace plus esthétique où l’on se sentirait mieux et qui serait donc plus appropriable. Outre la dimension spatiale qu’il améliore, Hundertwasser conçoit également un progrès social et environnemental et compte parmi les pionniers de l'écologie sociale. Ce précurseur interroge des questions nouvelles pour son époque, il réinterroge l’architecture notamment en la mettant en relation à l'art, le corps, et les ressentis. La citation issue du livre Mouvements modernes en architecture de Charles Jencks publié en 1977 « On ne peut parler d'architecture que lorsque l'architecte, le maçon et l'occupant sont une unité, c'est-à-dire une seule et même personne »79, exprime qu’il y a un besoin de recréer un lien entre architecte, bâtisseur et habitant pour aboutir à une réalisation réellement co-construite et donc appropriable. Nous allons voir maintenant à travers le travail d’étude de Julie Cattant intitulé Le corps dans l’espace architectural 80, la présentation de trois architectes Français : le Corbusier, Claude Parent et pour finir Henri Gaudin, ayant tous réinterrogé la place du corps dans un environnement architectural. Pour introduire son travail, J. Cattant explique que « Le premier geste de l’espace architectural est d’accueillir nos corps humains. En leur offrant un espacement à habiter, il leur permet de s’abriter, de se mouvoir et de se rencontrer. L’homme et l’architecture s’affectent l’un l’autre. ».81 Pour que l’appropriation d’un logement soit rendue possible il faut que le corps et l’espace ne fasse plus qu'un. Mais comment faire pour que l’homme appréhende bien l’espace avec son corps ? C’est la question à laquelle ces architectes ont tenté de répondre. L’auteur explique que la relation entre le corps et l’espace doit être établie dans la conception architecturale puisque le corps intervient dans l’espace en modifiant l’atmosphère, comme nous le verrons dans les séries photographiques le corps a une importance dans l’habitat, on le ressent même quand il s’en va, il a laissé une présence. Elle cite le philosophe Benoît Goetz pour affirmer ses propos : « On dira alors que le mouvement en architecture est l’acte commun de l’édifice et du promeneur (de l’usager). Ce sont des gestes innombrables qui se répondent, qui se comprennent. Les gestes de l’architecture sont la masse des intentions enfouies dans un édifice comme une multiplicité de propositions d’habitabilité. » (Goetz, 2011 : 144)82 A travers cet extrait le philosophe explicite l’importance des gestes dans l’architecture qui pousse l’homme à vivre avec le corps. Le Corbusier Architecte mondialement connu, né en 1887. Protagoniste du mouvement moderne, il y introduit de nouvelles pensées (Fonctionnalisme, Purisme, Lien nature/architecture…). Le Corbusier repense la mesure de l’architecture, il réalise un outil de mesure intitulé le Modulor qui se réfère aux proportions du corps dans
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Ibid. Ibid. 79 Charles Jencks, Mouvements modernes en architecture, Bruxelles, Belgique, P. Mardaga, 1977, p. 78. 80 Julie Cattant, Le corps dans l’espace architectural, Le Corbusier, Claude Parent et Henri Gaudin, Paris, 2016. 81 Ibid., p. 31. 82 Ibid. 78
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l’objectif d’atteindre l’espace idéal. Ce système de mesure universel se base sur des proportions corporelles d’un homme de 1m83 créant une harmonie entre le corps et l’espace contrairement à l’abstraction des chiffres. Selon lui « Le mètre n’est qu’un chiffrage sans corporalité. […] Les chiffres du Modulor sont des mesures. Donc des faits en soi, ayant une corporalité. »83 On sent ici une volonté forte d’intégrer le corps dans l’espace « le Modulor me maintient dans le prolongement de mes membres, je demeure dans mon univers »84 Ainsi l’habitat devient la continuité du corps développant une relation entre eux, établissant les mises en mouvements, comme le montre le dessin de principe ci-dessous.
Fig 2. Le Corbusier , Le modulor, dessin de principes, 1954 85
Claude Parent Architecte théoricien, né en 1923. Il est le premier à générer la rupture avec le style moderniste. Il est reconnu pour ses expérimentations de la forme oblique à travers ses différents projets, voulant instaurer une discontinuité dans l’architecture par le basculement des volumes et la fracture du plan. 86 Il instaure dans ses recherches une relation entre le corps et l’espace instable et dynamique. Pour cela il met en place la « fonction oblique »87 avec le philosophe Paul Virilio, comme le présente le schéma ci-dessous. Ils veulent ensemble développer une architecture dans laquelle les verticales et horizontales sont remplacées par l’incliné et l’oblique. L’auteur reprend une citation de C. Parent «L’horizontale c’est la culture imposée [...] c’est la négation du caractère propre, c’est la réduction à la moyenne. La seule surface horizontale connue est celle de l’eau, et l’eau n’est pas parcourable par l’homme. » 88 (Parent, 1981 : 111-112). On comprend par-là que l’architecte souhaite remettre en cause des fondements pour repenser la relation du corps dans l’espace. Le sol en pente influe sur le corps différentes actions. Il n’a pas réalisé beaucoup de projets car la solution qu’il propose est jugée trop déconcertante. Cependant il a réussi à partager son idée remettant en question l’architecture rigide de son époque.
Fig 3. Parent (Claude), Dessin extrait du livre Entrelacs de l’oblique, Paris, 1981 87
Henri Gaudin Architecte, né en 1933. Il considère qu'il n'y a pas d'architecture sans engagement et que l'habitation n'est pas un objet consommable. Dans son travail il traite différents sujets sur la lumière, sur l'alliance d'éthique et de forme, de mémoire et de modernité. Henri Gaudin s'interroge plus largement sur le rapport de l'architecture et
83
Ibid. Ibid. 85 Le Modulor, en ligne, <https://www.lescouleurs.ch/fr/journal/posts/le-modulor-etre-proche-de-lhomme-valeur-premiere>, consulté le 22 mai 2021. 86 Frac centre, biographie Claude Parent, en ligne, <https://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/rub/rubauteurs-58.html?authID=143>, consulté le 10 mars 2021. 87 Ibid. 88 Julie Cattant, op. cit. 84
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de l'homme.89 Pour cet architecte la relation entre le corps et l’espace est indispensable, « il en est des corps comme des architectures ».90 Il explique que le corps et l’esprit sont indissociables tous deux saisis par l’espace architectural. Il s’intéresse dans ses études à la limite du corps qui devient un lieu d’interaction entre le corps et l’architecture, partageant un désir de se rencontrer et de se déformer. Il affirme que l’architecture nous affecte profondément « l’on n’habite pas sans être habité ». 91 Julie Cattant explique que chez ces trois architectes les relations entre le corps et l’espace questionnent notre mode d’appréhension de l’architecture. Elle déduit que « L’enjeu de l’architecture est de provoquer les mêmes émotions que celles qui touchent nos corps. Il ne s’agit pas d’imiter les formes corporelles, mais d’adopter la porosité de leurs limites, de retrouver la qualité de leurs interactions avec l’espace.»92. Aujourd’hui l’architecture se tourne vers de nouvelles expérimentations cherchant toujours à adapter au mieux le corps à l'espace notamment dans un aspect d’une prise en compte évolutive du logement avec son habitant mais aussi en stimulant tous les sens permettant un lieu de confort libre à une future appropriation.
B. Le témoignage de la photographie dans le logement Depuis une dizaine d'années, la notion d’appropriation s’empare des problématiques dans différents domaines, que ce soit l’architecture, la poésie, la photographie, la littérature… devenant une obsession générale. Dans l’album de Ben Mazué, le chanteur compositeur interprète un interlude où il définit lui-même sa vision d’habiter « Chez moi l’habitat, le lieu de vie c’est pas qu’un reflet de l'âme c’est un moteur, le moteur du moral, le berceau, le cadre dans lequel se construit notre humeur comme notre meilleur ami, toujours de bon conseil, toujours de bonne humeur »93 Dans cette phrase il exprime qu’il considère son logement comme une personne à part entière où il instaure un dialogue entre lui et son chez soi, afin de s'y sentir mieux. On sent à travers ce renouveau l’importance de l’habitat dans notre culture. Dans la photographie, le logement a été le sujet d’un grand nombre d’artistes. L’avantage de la photographie, c’est qu’elle peut raconter énormément de choses que l’on ne voit pas forcément, comme disait la photographe et scientifique Bérénice Abbott, « La photographie aide les gens à voir ». De plus, elle sera un appui pour les analyses sociologiques établies jusqu’à présent.
Fig 4. Gîrbovan (Bogdan), Photographies issues de la série 10/1, Bucarest, 2006 94
Lors de mes premières présentations sur le sujet de l’appropriation je m’étais intéressé au travail réalisé par Bogdan Gîrbovan un photographe Hongrois né en 1981. Sur le site internet PixFan dédié à la photographie j’ai trouvé un article écrit par Antony Barroux illustrant son travail. 95 Il travaille principalement en séries dans lesquelles il traite des problématiques relatives aux relations sociales. A travers sa série 10/1 visible ci-dessus, « Il invite le spectateur à entrer dans l’intimité des appartements d’un immeuble de l’ère soviétique ».96 L’artiste vit au dixième étage d’un immeuble comprenant des appartements 89
Jean-Christophe Bailly, Henri Gaudin, Paris, Norma Éditions, 2001, p. 10. Ibid., p. 221. 91 Ibid., p. 214. 92 Julie Cattant, op. cit. 93 Ben Mazué, Ben Mazué - La princesse et le dictateur (Live à L’Olympia) (Audio), 2020, 2:17. 94 Art magazine, « 10/1 by Bogdan Gîrbovan », Art Ctrl Del, 2018, en ligne, <https://www.a-c-d.net/10-1-bogdan-girbovan/>, consulté le 22 avril 2021. 95 Antony Barroux, « Bogdan Gîrbovan paysages intérieurs Bucarestois », Pixfan.com, 2016, en ligne, <https://www.pixfan.com/bogdan-girbovanpaysages-interieurs-bucarestois/>, consulté le 9 mars 2021. 96 Ibid. 90
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strictement identiques. Un jour il eut l’occasion de rentrer chez un voisin, une fois à l’intérieur il se sentait comme chez lui mais avec une appropriation complètement différente du lieu, ce qui lui donna l’idée de cette série de photos. « J’ai photographié l’intérieur de chaque appartement selon le même angle, afin de mieux illustrer le mélange des classes sociales, en présentant uniquement les différences d’aménagement et de décoration. Les pièces peuvent être considérées comme un tableau psychologique de ceux qui y vivent, reflétant leur histoire et leur rapport à l’époque actuelle. »97 A travers cette série on remarque beaucoup d’informations notamment les différences générationnelles « Les anciens locataires ont des appartements chargés de souvenir alors que les nouveaux venus, des jeunes pour la plupart ont des intérieurs spartiates. »98 Je trouvais ce travail pertinent pour m’aider à définir ce que les habitants pensaient de l’appropriation, mais surtout de la liberté d’action qu’ils se permettent lors du processus d’appropriation post-conception, passant du logement au chez soi. Danièle Meaux, professeur de photographie écrit le livre La photographie : médium d’une exploration du logement, espaces de syntaxes domestiques provisoires.99 Elle y décrit le logement comme « le lieu par excellence d’une appropriation domestique de l’espace »100 Pour ce faire, elle exprime le besoin de l’habitant à réaliser différents aménagements se rapportant à leurs habitudes quotidiennes personnelles. Dans son travail elle présente les séries de trois photographes qui s’intéressent à la photographie du logement, qui ont tous la volonté à travers leurs photographies de présenter la diversité des modes d’habiter sans leurs habitants. Ce choix permet de ne pas se focaliser sur une personne mais bien un ensemble, on perçoit les singularités de chaque aménagement, dévoilant certains processus d’appropriation. Ce qui m’a d’autant plus intéressé dans cette analyse c’est que l’ensemble des photographies présente une large évolution des années 80 à aujourd'hui. Elles seront donc témoins de l’évolution de la notion d’appropriation à travers le logement. François Hers (Intérieurs, 1981) Cette première série est réalisée à la demande des services officiels du logement social destiné à des études sociologiques. Dans son procédé photographique il emploie la même optique avec un flash direct qui permettait de donner à tous les éléments la même valeur. L’auteur exprime à travers cette série la conformité de l’ameublement montrant l’élan de consommation d’une gamme de produits standardisés. Cependant les éléments de mobilier et de décoration sont liés à l’époque. Fig 5. Hers (François) Photographie issue de la série Intérieurs, 1943, Belgique101
Jean-Marc Tingaud (Intérieurs, 1991) Ici, le travail est tout à fait différent, il s’intéresse à travers ses photographies à des détails. Il révèle l’importance de la « culture matérielle », soit la valeur d’objets mis en relation avec le corps. Il met en avant la culture, les traditions, et les goûts différents en montrant ce que les objets racontent, que ce soit des traces d’usures, les traces d’un corps, mettant en lumière l’intime et l’affectif à travers ses clichés.
Fig 6. Tingaud (Jean-Marc), Photographie issue de la série Intérieurs, 1991, Paris102 97
Ibid. Ibid. 99 Danièle Méaux, « La photographie : medium d’une exploration du logement, espaces de syntaxes domestiques provisoires », Interfaces. Image Texte Langage, no 44, Université de Paris, Université de Bourgogne, College of the Holy Cross, décembre 2020. 100 Ibid., p. 80. 101 Danièle Méaux, loc. cit. 102 Ibid. 98
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Hortense Soichet (Intérieurs. Logements à la Goutte d’Or, 2011) Le travail de la photographe Hortense Soichet mélange une pratique photographique avec une étude sociologique, pour cela elle met en relation ses photographies avec des textes exprimant les ressentis de certains habitants. L’artiste s’intéresse au lien personnel que chacun développe avec son habitat, son outil : la photographie et la parole. Pour procéder, elle se focalise sur un terrain d’étude (zone urbaine/ périurbaine/ rurales…) et interroge les acteurs locaux qui créent la relation avec les habitats. En confrontant la photographie au texte on se projette dans les différentes appropriations vécues par les habitants. Fig 7. Soichet (Hortense) Photographie issue de la série Intérieurs, 2011, Paris103
Ces photos confirment ma première intuition selon laquelle le processus d’appropriation est indispensable pour l’habitant. Grâce à la photographie nous avons pu avoir un aperçu. Cependant nous manquons d’informations directes et pour combler ce manque, nous allons voir à travers un sondage la perception d’appropriation par les habitants.
C. Etude de l’habitant face à la notion d’appropriation – Sondage Malgré la difficulté d’obtenir des échanges directs dans la crise sanitaire actuelle, j’ai obtenu des réponses par le biais d’un sondage104 partagé sur les réseaux sociaux, mais aussi sur certaines entrées de logements collectifs de la ville de Lille, offrant un potentiel d’analyse permettant de définir les approches de l’appropriation vue par les habitants. L’entièreté du sondage a été retranscrite en Annexe 2 p.86-88 : Sondage Architecture et Appropriation. Nous allons en voir un résumé. Il m’a permis d’avoir une approche assez complète et des participations très diverses. La tranche d’âge a été de 20 à 70 ans dans différentes régions de France (voir même Polynésie) avec des professions très variées étant liées ou non au domaine de la conception. Pour commencer le sondage, j’ai proposé six citations de différents auteurs définissant leurs visions de la notion d’appropriation que j’ai utilisées comme références pour ce mémoire. Avec cette base de données j’ai demandé laquelle d’entre elles exprimait le mieux la vision de l’appropriation au sein du logement collectif. Les deux éléments qui sont le plus ressortis sont : « Notre habitat est comme une 3ème peau après la nôtre et nos vêtements, à travers notre chez soi nous développons une continuité du corps et de l’esprit dans un espace physique qui permet de nous identifier. » Hundertwasser 105 « L’habitat est le lieu dans lequel on réalise l’action d’habiter et où se développe notre intimité, on adapte notre logement à notre mode de vie, notre culture, notre personnalité. » Perla Serfaty 106 Dans ces deux citations, ce qui est mis en avant c’est le besoin de personnification du lieu à son image. Dans la question suivante je leur demande de donner leur propre avis sur l’appropriation dans le « logement collectif » les réponses sont ici assez mitigées. Certains évoquent l’impossibilité de s’approprier leurs espaces à travers cette définition : « Appropriation très restreinte », « Elle est presque inexistante », « On a peur d'y faire du bruit » « Appropriation ? collectif ? Deux notions qui me semblent contradictoires », …
103
Ibid. Marius Cailleau, SONDAGE ARCHITECTURE ET APPROPRIATION - Google Forms, en ligne, <https://forms.gle/qMrJ1BWSQwh5z5av5>, consulté le 9 mars 2021. 105 Sylvia Ladic, Cours d’art : Friedensreich Hundertwasser, artiste écologiste engagé. 106 Serfaty-Garzon, op. cit. 104
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D’autres expriment leurs manières de s'approprier ce genre d’espaces standardisés : « il doit être un miroir de soi », « personnification de son chez soi par son modèle culturel », « Pouvoir moduler l'espace comme chacun le souhaite », « rendre un logement neutre, à un logement à notre image », « pouvoir adapter un logement « type » voir « répétitif » à sa manière, selon ses préférences, son mode de vie » … Lorsque que l’on demande de noter sur 10 la satisfaction quant à l'appropriation de leurs logements, la moyenne s'effectue à 7 mais beaucoup répondent une note inférieur. De plus, à la question « est-il possible de s'approprier un logement collectif ? », il y a encore un certain nombre de réponses qui mettent en avant l’impossibilité de s’approprier l’espace se justifiant par le fait « qu’on peut difficilement modifier l'état existant », « la plupart des murs sont blancs avec des plans carrés », « tous les nouveaux appartements sont identiques »... Au contraire d’autres personnes prônent l'efficacité de l’appropriation actuelle, « Je pense que de par la typologie, il est tout à fait possible de rendre un logement appropriable », « en y installant ses repères spatiaux et mentaux », « par l’ameublement », « en investissant le lieu à notre manière », « En augmentant le nombre de seuils entre « strictement public » et « strictement privé » » ... J’ai interrogé sur ce qu’il faut faire pour passer d’un logement banal à un véritable chez soi, j’ai eu beaucoup de réponses identiques : « développer un rapport intérieur/extérieur » , « avoir des espaces modulables », « des espaces neutres »... Cependant d’autres réponses s’en distinguent : « offrir une richesse de matériaux », « travailler des jeux de matières et d’ameublement répondant aux demandes des utilisateurs », « que la forme de l'appartement incite à passer des moments conviviaux »... À priori, la matérialité et sa forme semblent être une piste contemporaine pour répondre à la notion d’appropriation. J’ai interrogé les actions qu’ils avaient réalisées pour passer d’un simple logement à leur chez soi : beaucoup de personnes m’ont répondu que c’était par un ajout de matière personnelle (photos, peintures, meubles…), d’autres réaménagent et jouent avec la spatialité du lieu, d’autres ont évoqué la temporalité, ou encore de le faire vivre pour y générer des histoires, y définir des espaces différents se référant aux moments vécus par les habitants dans un lieu. On peut se demander si l’architecte peut s’inspirer dans la conception des moments vécus par les habitants dans un lieu ? Pour la question suivante, « Est-ce que les habitants se sentent concernés par l’évolution de cette notion dans leurs logements depuis les années 50 ? »... Quelques retours qui mettent en avant le lien qu’il doit y avoir avec l’évolution sociétale et les modes de vie, mitigés entre une évolution positive et négative, en même temps que d’autres évoquent la standardisation grandissante. J’ai poursuivi le sondage en demandant si leurs logements s’inscrivaient dans une logique de « cage à lapin » et j'ai été surpris de voir encore des réponses positives à cette question, même si le nombre est assez faible. Heureusement une bonne partie des réponses expriment les avantages de leurs logements (Ancien style du début du siècle, immeuble à petite taille, ...) . Pour finir le sondage, j’ai proposé deux questions ouvertes. La première était de choisir, une des 3 images reprises du défi d’illustration présenté par les dessinatrices Sandrine Deloffre et Pénélope Bagieu, créatrices de la célèbre BD, Les Culottées, permettant de façon simple et illustrée de demander la meilleure vision de l’habitat par les habitants.
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Quelle est celle qui correspondrait le mieux à l’appropriation de leurs logements idéaux, chaque image avait été sélectionnée dans le but de présenter certains aspects :
Fig 8. Deloffre (Sandrine) et Bagieu (Pénélope), Illustrations réalisées dans le cadre d’un jeu, lancé par les créatrices de la BD « Les Culottées », en 2020 lors du confinement, disponible sur le site Creapills, que j’ai réutilisé dans le sondage sur la notion d’appropriation 107
Le logement sobre, le logement ouvert sur l'extérieur, le logement festif et vivant. Sans étonnement le logement sobre se limitant au nécessaire a été le moins sélectionné, je l’avais choisi car il correspondait selon moi le plus au logement collectif aujourd’hui.
Dans la deuxième question j’ai proposé une illustration de la vision d’appropriation, j’ai eu plusieurs retours en voici quelques exemples :
Fig 9. Illustrations que j’ai collectées dans mon sondage sur la notion d’appropriation, reflétant des représentation variées de cette dernière, allant de photos standard à des réflexions plus personnelles. 108
On se rend compte à travers ces choix qu’il y a un phénomène de mode dirigeant vers un besoin d’un confort esthétique assez mutualisé cependant certains choix semblent plus spécifiques sur leurs attentes.
L’état de l’art m’a permis de définir la notion d’appropriation. L’avis des principaux intéressés, à travers le sondage, met en avant la multiplicité des manières de s’approprier, propres à chacun. Nous allons voir à présent comment l’appropriation se concrétise dans le logement collectif français, afin d’observer comment elle apparait comme un élément majeur dans la conception architecturale. Les premières expérimentations d’appropriation du logement collectif voient le jour dès les années 1970/1980, en réaction à un manque de relation de l’habitant avec son habitat et permettent de passer d’un logement standard à un chez-soi.
107
Creapills, « Sur Twitter, ce challenge met au défi les illustrateurs d’imaginer leur espace de confinement idéal », par les dessinatrices Sandrine Deloffre et Pénélope Bagieu, 2020. 108 Marius Cailleau, SONDAGE ARCHITECTURE ET APPROPRIATION - Google Forms; Ibid.
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PARTIE II : DES ANNÉES 50 A 80 : DE L’APPROPRIATION D’UN LOGEMENT STANDARD VERS LA NOTION D’UN CHEZ-SOI 1. L’APPARITION DE LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LE LOGEMENT COLLECTIF A. Le constat d’un logement collectif sans appropriation Les besoins d'après-guerre étaient d’abord de trouver un logement, dans une période où nombre de populations se retrouvaient sans toit « Après la Seconde guerre mondiale, la politique de logement social, autrefois axée exclusivement sur le logement ouvrier, vise désormais à résoudre la pénurie généralisée d’habitations. Après 1945, la situation est en effet catastrophique : 45% des logements sont surpeuplés, et 10% de la population vit dans des locaux totalement insalubres. Pour répondre aux besoins urgents d’habitats neufs, la loi du 21 juillet 1950 accélère la construction de logements grâce aux primes et prêts à long terme du Crédit Foncier, et transforme les HBM en Habitations à Loyer Modéré (HLM), qui répondent à des normes de confort et de surface minimums. ».109 C’était avant tout une question de survie, une mise à l’abri, en somme redonner une sécurité d’habiter. Il faut rappeler que la notion d’appropriation est une notion plutôt contemporaine et les critères d’une société d’aujourd’hui ne peuvent être transposés à cette période passée. La Pyramide de Maslow des besoins créée par le psychologue Abraham Maslow qu’il présente dans le livre A Theory of Human Motivation, en 1943110, est une représentation pyramidale évoquant une hiérarchie des besoins de l’Homme. Lorsqu'un groupe de besoins est satisfait, un autre va progressivement prendre la place selon l’ordre hiérarchique suivant : besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d’appartenance et d’amour, besoins d’estime, besoins d’accomplissement de soi. Comme le présente le schéma ci-contre. Appliqué au logement, le besoin de sécurité évoqué ci-avant se situe au rang 2 de la pyramide. Celui-ci était primordial dans ce contexte d’après-guerre. Fig 10. Claude (Gaspard) Représentation de la Pyramide de Maslow, 2020, sur le site Scribbr111
Selon la pyramide, l'appropriation du logement pourrait constituer un besoin supérieur correspondant à l'accomplissement de soi et du « chez-soi ». L’article « Habitat & Architecture » reprend cette comparaison : « L’habitat est au cœur des préoccupations humaines : se placer soi-même et mettre sa famille à l’abri fait partie du deuxième étage de la pyramide de Maslow des besoins de l’homme. »112 Dans le texte de Gwenaëlle Legoullon, chercheuse du centre d’histoire sociale de l’université de Paris I intitulé Regard sur la politique du logement dans la France des années 1950-1960.113 Elle explique que les logements collectifs ont vu le jour après la guerre de 39/45 dans les années 50, et se sont développés à grande échelle : à la suite de l'appel de l'Abbé Pierre le 1er février 1954, l'État s'engage massivement dans l'effort de construction de logements, notamment sous la forme de logements collectifs. Il y a la volonté de reconstruire le pays et loger les familles de manière urgente dans les logements collectifs, servant à apporter une réponse rapide, peu onéreuse, à un grand nombre de personnes.
109
Notre histoire – AMSOM Habitat, en ligne, <https://amsom-habitat.fr/nous-connaitre/notre-histoire/>, consulté le 28 mars 2021. Abraham H. Maslow et David Webb, A Theory of Human Motivation, New York, 1943, p. 102. 111 Gaspard Claude, « La pyramide de Maslow », Scribbr, 2020, en ligne, <https://www.scribbr.fr/methodologie/pyramide-de-maslow/>, consulté le 22 mars 2021. 112 « Habitat & Architecture », Écologie humaine, 2013, en ligne, <https://www.ecologiehumaine.eu/habitarchi/>, consulté le 9 mai 2021. 113 Gwenaëlle Legoullon, Regard sur les politiques du logement dans la France des années 1950., 2006. 110
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Gwenaëlle Legoullon poursuit « La préférence pour le logement collectif était en tout cas largement partagée par les architectes et s’est donc retrouvée dans les programmes de construction du MRU (Le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme), et cela en contradiction avec les souhaits de la majorité des Français mallogés. Cela explique en partie le paradoxe entrevu un peu plus avant dans notre étude : le MRU tente de tenir compte des besoins des familles qu’il reloge en masse, tout en leur imposant des logements collectifs ».114 Dans ce contexte d'urgence nécessaire, les urbanistes se sont orientés vers une forme de standardisation qui a abouti aux immeubles barres que l’on connaît encore aujourd'hui. Le quartier des biscottes à Lille Sud en est une illustration. Lors de la reconstruction des années 50, le logement collectif a donc fait un bond extraordinaire en France. La construction de logements collectifs est régie par des codes optimisant les coûts de construction. Cependant, dans les années 70, des mouvements de contestation ont remis en question cette standardisation. Des courants de pensée ont commencé à aborder des questions différentes, des idées neuves revenant vers une appropriation du logement, les constructions des collectifs étant alors qualifiées de « cages à lapins » comme le présente l’article du journal La dépêche « HLM : La fin des cages à lapins » écrit par Yves Rouquette115 : « Cela fait plus de vingt ans qu'on ne construit plus de cages à lapins »116, constate l'architecte Dominique Druelle, enseignant à l'université de Paris IX. « Tout le monde a mis le pied sur la pédale. Aujourd'hui, on cherche à intégrer de petits ensembles dans les quartiers, et à favoriser une réelle mixité sociale »117. L’ouvrage collectif, expérimentation architecturale présente l’évolution du logement collectif en France : « La recherche de l'efficacité et de la rentabilité constructive n'était d'ailleurs pas indépendante d'une préoccupation pour les modes d'habiter, l'amélioration du confort (surface, lumière, chauffage, bains, matériaux) n'étant pas dissociée de celle de l'intimité (apparition de la bipartition jour/nuit)».118 On prend en compte de plus en plus dans la construction le bien-être de l’habitat, ainsi se développent les questionnements sur l’évolution de la prise en compte d’une appropriation par l’habitant. Le texte présente aussi l’évolution de la société, les changements de mœurs, l’évolution des normes sur la santé. Des conditions de travail ont entraîné une évolution de l’habitat pour s’inscrire dans cette modernité qui tend vers l’individualisation et la privatisation des pièces. Cela apporte un meilleur confort et des espaces d'intimité apparaissent. Par exemple, la salle de bain, qui n'était pas présente dans les logements auparavant, devient un espace privé qui fait émerger la notion d’intimité introduite dans les mœurs. Dans son livre, Logement collectif, réflexion pour aujourd’hui et demain 119 l’architecte Ronan Lacroix analyse l’évolution des conditions du logement collectif et évoque la responsabilité de l’architecte à produire des logements de qualité pour chaque habitant contrairement à une standardisation qui est de plus en plus présente dans l’industrie du logement collectif. Pour R. Lacroix « Le logement collectif est un système codifié regroupant un grand nombre d’acteurs »120 qui associe l'Etat, les collectivités, les promoteurs, ingénieurs et architectes. Il préconise la nécessité de repenser l’approche du logement et cite la revue « Architecture d’Aujourd’hui » qui publiait en 1985 un numéro qui relevait déjà les mêmes écueils. Toujours selon R. Lacroix, « Réduire le logement à un produit standardisé et déconnecté du projet a pour conséquence de placer au second plan deux éléments fondamentaux de l’habitat : l’habitant et le contexte 114
Ibid. Yves Rouquette, « HLM: La fin des cages à lapins », ladepeche.fr, en ligne, <https://www.ladepeche.fr/article/2000/06/11/78402-hlm-la-fin-des-cagesa-lapins.html>, consulté le 9 mars 2021. 116 Ibid. 117 Ibid. 118 Marion Segaud, Jacques Brun et Jean-Claude Driant, Expérimentation architecturale, Paris, France, Armand Colin, coll. « Dictionnaire de l’habitat et du logement », 2003, p. 53. 119 Ronan Lacroix, loc. cit. 120 Ibid., p. 6. 115
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existant. Non qu’ils ne soient pas pris en compte, mais ils le sont d’une manière si abstraite et désincarnée, qu’ils en deviennent des critères purement quantitatifs »121. Le logement collectif a pour objectif d’être « neutre » et ainsi de se vendre vite, rapidement, et peu cher. Ainsi l’appropriation apparaît comme une gageure dans ce type d’habitat, et on peut se demander quand celle-ci intervient dans une démarche d’occupation d’un logement collectif ? N’étant pas pensée dans les années 50 dès la conception on peut en déduire que l’appropriation ne se faisait qu’une fois l’habitant dans les lieux. Ce constat pourrait nous amener à conclure rapidement que l’architecte n’intervient donc aucunement dans l’appropriation, puisque les concepteurs ne peuvent pas à priori anticiper les diverses appropriations lors de la conception ne connaissant pas la maîtrise d’ouvrage. Cette notion se ferait donc à posteriori par l’habitant une fois qu’il emménage. Selon Y.Fijalkow, qui, nous l’avons vu en première partie, prône le confort de l’habitant: « en appartement collectif, le locataire doit bien souvent se contenter du confort de l'aménagement intérieur pour pouvoir s'exprimer. » 122Les logements collectifs nécessitent donc une appropriation post-conception lors de l’installation des habitants pour pallier cette réalité. L’accompagnement des habitants à l’appropriation de leur logement dans les collectifs était peu présent dans la reconstruction d'après-guerre, vues les priorités autres de l’époque, et ce jusqu’aux années 70 où sont apparues des formes d’investissement des lieux. A partir de ce constat, quelles ont été les réactions des concepteurs et des habitants face à ce problème de manque d’appropriation ? Ces derniers se sont-ils interrogés sur comment cette notion pourrait être appliquée en amont, dès le stade de la conception d’un projet collectif ? Peut-on imaginer une appropriation dès la phase de conception dans les logements collectifs français ?
B. Un besoin d’appropriation naissant chez les habitants et dans l’industrie du logement collectif dans les années 70 : Une réaction à un manque d’appropriation, du confort au bien-être Pour Yankel Fijalkow, il faut « déconstruire la notion de confort à l’aune de celle du bonheur d’habiter. Dans cette perspective, il propose de considérer aussi bien l’état de vulnérabilité résidentielle des quatre millions de personnes mal logées en France qui ne disposent pas de l’équipement sanitaire minimal (Fondation Abbé Pierre, 2016) que les aspirations des bien logés à la recherche de leur bien-être individuel comme les adeptes des maisons feng shui ou hygge (confortable et authentique)...». 123 L’attrait du logement collectif des années 50 outre l’urgence de mise à l'abri des populations, constituait par la notion de confort un attrait pour les habitants. Par la suite, c'est l’idée de « bien être » qui apparaît, le but étant de vendre vite et pas cher pour relancer l'économie et suivre la tendance à la consommation, le logement devenant une forme de « prêt à habiter » à l'instar du « prêt à porter ». L'appropriation se vit différemment selon les habitants et les différents habitats mais aussi selon l’époque et sa société. Le logement collectif a ses adeptes et ses opposants, le degré d'appréciation étant concomitant à l’appropriation possible. La demande pour des logements collectifs neufs ne cesse d’augmenter passant selon Yankel Fijalkow de 8000 habitants en 1954 à plus de 50 000 en 1966. « Dix ans auparavant, la crise du logement frappait surtout les habitants du village. Peu à peu, c’est aussi le grand ensemble qui est touché. Les modalités d’attribution des logements du grand ensemble créent ce paradoxe d’une ville qui ne cesse d’accueillir de nouveaux habitants, mais ne parvient pas à résoudre le problème de ses mal logés. » 124 Les habitants aimaient donc les logements collectifs, à leur apparition après-guerre. Ils représentaient le confort de la ville moderne. Lorsqu’à l’époque on interroge les habitants de grands ensembles sur ce qu’ils apprécient dans leur vie nouvelle, ils donnent un grand nombre de raisons pour expliquer leur attrait pour cette forme d’habitation.
121
Yankel Fijalkow, op. cit., p. 75. Yankel Fijalkow, op. cit. 123 Ibid., p. 78. 124 Ibid. 122
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Fig 11. Photographie de Sarcelle en 1961, Textes et images du grand ensemble de Sarcelles 1954, 2007, Villiers-le-bel 125
Sur la photographie ci-dessus, issue de l’article précédent, on voit que les nouveaux logements collectifs attisent la curiosité des futurs habitants. Elle reflète bien cette envie grandissante pour de nouveaux logements collectifs encore en construction. Dans son livre Vivre dans les grands ensembles126 le psychanalyste et psychologue René Kaës, présente la vie des habitants dans les grands ensembles : Ils ont besoin d’un temps d’adaptation au lieu et dans cette nouvelle forme d'habiter. « Les processus d’adaptation sont essentiellement lents. Ils s’effectuent dans les meilleures conditions, avec du temps »127 il note également l’attrait important des habitants vers les logements collectifs : « Lorsque l’on interroge les habitants de grands ensembles sur ce qu’ils apprécient dans leur vie nouvelle, on ne manque pas d’être frappé par l’abondance des raisons qu’ils donnent pour expliquer l’attrait qu’exerce sur eux cette forme d’habitation. » 128 L’auteur explique que certains évoquent le « confort supérieur » de leur nouvel appartement, pourtant dès le départ les améliorations sont réclamées : « l’amélioration de l’insonorisation », « une meilleure finition de détail », ainsi qu’une « meilleure protection contre le regard des autres ». Selon les habitants, on pourrait conclure que le logement collectif est généralement bien vu. Si les habitants apprécient le confort moderne, l’eau potable, la salle de bain dans chaque logement, les psychologues et médecins alertent dès les années 50 sur ce type d’urbanisation. Louis Caro dans « science et vie » de septembre 1959 écrit : « Quatre experts, un sociologue, un technicien, un économiste et un médecin, viennent de mettre à nu cette nouvelle plaie sociale, infiniment plus redoutable que celle des taudis et qui, par-delà les explications classiques de la misère et de l’abandon, tire son origine du fonctionnement même de la société contemporaine. C’est le mal du nombre, de la pénombre et du bruit ; le mal de l’espace mesuré, de la solitude impossible et du silence bafoué ; le mal des Grands Ensembles ».129 Cette notion de l’appropriation anticipée dès la conception a ainsi été explorée par plusieurs architectes avantgardistes, deux exemples majeurs en sont l’illustration : Les logements étoile de Jean Renaudie ainsi que Nemausus 1 de Jean Nouvel. Si j’ai sélectionné ces deux exemples c’est parce qu’ils me semblent tous deux porteurs d’un véritable projet de société, dans le sens où les architectes entendent apporter des réponses à des problématiques sociales et générer du changement grâce à leurs innovations.
125
Textes et images du grand ensemble de Sarcelles 1954-1976., Villiers-le-Bel, coll. « Les Publications du Patrimoine en Val de France ; n° 10 », 2007. René Kaës et Paul-Henry Préfacier Chombart de Lauwe, Vivre dans les grands ensembles, Paris, France, Les Ed. Ouvrières, 1963, 341 p. 127 Ibid. 128 Ibid. 129 Louis Caro, Sciences et Vie, no 0504, septembre 1959. 126
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Les architectes Renaudie et Nouvel suggèrent un projet de vie pour des habitants, ils vont au-delà de la fonction technique de l’architecture vers une réelle ambition sociale et humaine. Les habitants de ces logements deviendront acteurs de leurs habitats en se les appropriant. En termes d’application, des architectes ont pensé cette question d’appropriation par les habitants et des expérimentations ont eu lieu proposant des innovations telles que de nouvelles formes, une liaison entre intérieur extérieur, des espaces plus généreux, une conception avec les habitants pour les habitants…
C. Comment s’applique la notion d’appropriation dans le logement collectif, premières expérimentations utopiques des années 80 La contestation de ces grands ensembles voit le jour dès les premières années. Mais c’est à partir de 1968 et des événements sociaux qui secouent le pays que cette contestation va s’amplifier. Les habitants revendiquent leur place dans un logement reflétant leur individualité. Dans l'analyse Contre l’architecture en série, critique, utopie, et auto construction, mené par l’architecte Phoebe Clarke.130 Elle questionne le sens des grandes cités d’après-guerre et leurs impacts sur le ressenti des habitants qui perdent, à travers l’uniformité de logements identiques , leur sentiment d'indépendance et leurs différences dans leur appartenance au logement , l'appropriation personnelle semble difficile dans des logements où les formes architecturales se répètent, semblables, et sans originalité. P. CLARK explique que les différents acteurs concernés « Architectes, théoriciens, habitants, s’interrogent : dans ces cités nouvelles qui sortent de terre, où les logements identiques se succèdent, rangées « d’unités d’habitation » interchangeables, quelle place reste-t-il à l’individualité, à l’imprévu ? Comment combattre cette uniformisation ? »131. Grâce à leurs questionnements, leurs remarques et l'expression de leurs sentiments sur le sujet, ces contestataires remettent en question le modèle d’habitat collectif utilisé très largement dans la société moderne, encore aujourd’hui. Elle met en valeur l'importance de se réapproprier l’habitat, elle énonce la nécessité que l’habitant participe à la construction de son chez soi. Elle exprime le fait que les constructions des habitats collectifs sont si techniques et difficiles à conscientiser qu’elles éloignent l’habitant de la conception et de la création du logement. L’habitant exprime alors un sentiment d'incompréhension voire de rejet et il ne parvient pas dans ces conditions à être l’acteur privilégié de l’appropriation de son propre logement. L’habitant est vu davantage comme un consommateur plutôt qu’un être vivant dans un espace de vie qui lui correspond. Ces premières insatisfactions mettent en lumière l’impasse du modernisme architectural, au niveau des logements collectifs. L’ouvrage du sociologue Jean-Michel Leger, Derniers domiciles connus. Enquête sur les nouveaux logements 1970-1990132, présente les logements collectifs remis en question après la guerre grâce aux nouveaux modes de vie, cherchant ce qui change dans les manières d’habiter avec l'appui de certaines analyses architecturales ainsi que des témoignages d’habitants. Dans son livre, J-M. Léger exprime « qu'il est de tradition, en France, de considérer que l’on ne sait rien de la demande des habitants et que chaque projet se doit de proposer une réponse nouvelle au rapport entre architecture et société. Il n’est donc pas surprenant que chaque génération d’architecte ait projeté sa vision de la société ».133 Ainsi que « l'expérimentation telle qu'elle a été menée jusqu’à aujourd’hui doit assurer une remise en cause ».134
130
Phoebe Clarke, « Contre l’architecture en série, critique, utopie et auto-construction », Proteus, « Cahiers des théories de l’art », 2015. Ibid. 132 Jean-Michel Léger, Derniers domiciles connus: enquête sur les nouveaux logements, 1970-1990, Paris, France, Ed. Créaphis, 1990. 133 Ibid., p. 9. 134 Ibid., p. 15. 131
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Cela explique que jusqu'à la fin des années 60, un projet pédagogique visant à apprendre aux habitants à habiter est mis en place. Le rôle éducatif de l’architecte devient celui de montrer l’exemple. Il y a une volonté de prouver qu’il est possible d’innover en lien à l'évolution des pratiques de l’habitant notamment par l'expérimentation de nouvelles conceptions que nous verrons par la suite. A partir des années 80, un certain nombre d’architectes contestataires, (parmi eux, Vladimir Kalouguine, Lucien Kroll, Jean Renaudie, Jean Nouvel…) s'interrogent sur la notion d’appropriation. Les premières expérimentations de développement de la notion d’appropriation au sein du logement collectif en France peuvent être illustrées par le préambule du texte « Renée Gailhoustet et Jean Renaudie habiter des utopies et des réalités », de Yann Aubry : « La construction de logements, tout particulièrement d’habitat social, a été l’occasion pour certains architectes d’inventer puis de mettre en œuvre des projets emblématiques, prototypes d’utopies urbaines et sociales. Cette série illustre l’évolution et l’appropriation contemporaine de cette architecture brutaliste : les théories de l’habiter au défi des usages. »135 Dans l’article « le logement social, une utopie ? »136 L'architecte Sipane K-Hoh exprime la réponse à l’apparition massive de logements collectifs insalubres, contre lesquels le mouvement hygiéniste avait engendré des luttes afin de modifier les choses. « Dès lors, les logements sociaux se sont multipliés sous différentes formes, avec des matériaux divers, demeure une seule problématique : l’amélioration de l’habitat »137. A partir des années 70 la volonté est de permettre à l’habitant de se sentir mieux dans son habitat afin de permettre l’appropriation. Plusieurs architectes manifestent alors leur souci d’appropriation par les habitants dans les projets de l’époque. Ils vont donc mettre en place dans leurs futurs projets, dès la conception, différents procédés aidant l’habitant à développer au mieux l’appropriation de son chez-soi. Ils abordent la notion en fonction des attentes sociétales, nous allons voir plusieurs exemples au travers desquels je présenterai ces procédés selon le projet. J’ai sélectionné plusieurs expérimentations qui ont mis en avant l’habitant dans son habitat, ce sont des projets précurseurs pour l’époque qui proposent une nouvelle vision de l’architecture du logement collectif afin d'améliorer le confort de vie des habitants en se distinguant des réalisations produites en parallèle.
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Yann Aubry, « Renée Gailhoustet et Jean Renaudie habiter des utopies et des réalités », Revue Sur-Mesure, 2018, en ligne, <http://www.revuesurmesure.fr>, consulté le 9 mars 2021. 136 Sipane K-Hoh, Le logement social, une utopie ? | Détails d’Architecture, 2013, en ligne, <https://www.detailsdarchitecture.com/le-logement-socialune-utopie-2/>, consulté le 9 mars 2021. 137 Ibid.
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LUCIEN KROLL, LA MÉMÉ, 1960 Nom du projet : « La Mémé », Université Catholique de Louvain. Localisation : Woluwe-Saint-Lambert Architectes : Simone et Lucien Kroll Année de construction : 1970 Rapport à la notion d’appropriation : Conception avec les habitants Fig 12. Sauvaitre (Estelle), La mémé*- Kroll, Photographie de la façade de la Mémé, 2014138
La plaquette de présentation de l’exposition de 2016 à Bruxelles, relative à l’œuvre de Lucien et Simone Kroll présente le couple d'architectes : « L’œuvre de Lucien Kroll, avec son épouse Simone, résonne aux quatre coins du globe depuis plus de cinquante ans. La volonté de créer une architecture de participation, favorisant les conditions d’épanouissement du vivre-ensemble, au détriment de l’industrialisation du logement, a valu à cette grande figure une renommée internationale »139. Dans l’article « Lucien Kroll architecte engagé enragé » 140 de Guy Duplat du journal La libre, « Il considère que la recherche du « Sentiment d’habiter » est tout simplement impossible sans leur coopération collective. »141 Cependant, l’architecte explique que cette démarche post-68, a demandé beaucoup d'efforts, « Il a fallu secouer bien des pouvoirs et des institutions ». 142 L’article « Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien »143 de Valérie Oddos du journal France info met en avant leurs démarches : « Depuis 50 ans, il construit ou réhabilite des ensembles où les gens doivent avoir envie de vivre, des écoles où les enfants doivent se sentir bien. Il travaille avec sa femme Simone Kroll, qui intègre le végétal dans ses projets. » 144 Leur devise « Créer des choses où les gens sont bien ! » 145 Selon la journaliste Valérie Oddos, il prône un urbanisme animal qui propose des « Situations différentes à des habitants différents »146, des formes dites « vivantes » plutôt que des solutions « rationnelles », une architecture qui peut utiliser toutes les techniques et les matériaux dans le même bâtiment, à des étages différents, ce qui fait, selon les dires de l’architecte, « Un beau désordre constructif et un vrai quartier »147. Avec le projet « La mémé », L. Kroll propose une réflexion sur la flexibilité ainsi que l'évolutivité des plans afin de s’adapter au mieux aux attentes des étudiants.148 Il met en œuvre son projet suite aux contestations développées lors de mai 68, mettant notamment en valeur la prise de conscience de la jeunesse et leurs responsabilités politiques et sociales. Il propose un projet où l’habitant est le principal acteur, il participe dès la conception à la collaboration du dessin de son logement notamment dans son évolution future selon ses besoins.
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Estelle Sauvaitre, La Mémé * – Kroll – Voir en Vrai, en ligne, <https://voirenvrai.nantes.archi.fr/?p=775>, consulté le 9 avril 2021. Architecture in Belgium A+, Atelier D’Architecture Simone & Lucien kroll, Bruxelles, Belgique, coll. « BOZAR », 2016. 140 Guy Duplat, « Lucien Kroll, architecte engagé, enragé », LaLibre.be, 2016, en ligne, <https://www.lalibre.be/culture/arts/lucien-kroll-architecteengage-enrage-576ab5b535705701fd8c73c8>, consulté le 9 avril 2021. 141 Ibid. 142 Ibid. 143 Valérie Oddos, « Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien », Franceinfo, 2015, en ligne, <https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/architecture/lucien-et-simone-kroll-construire-pour-que-les-gens-soient-bien_3345627.html>, consulté le 19 avril 2021. 144 Ibid. 145 Ibid. 146 Ibid. 147 Ibid. 148 Site de la Mémé à Woluwe-Saint-Lambert — Patrimoine - Erfgoed, en ligne, <http://patrimoine.brussels/news/site-de-la-meme-a-woluwe-saintlambert>, consulté le 9 avril 2021. 139
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Dans ce projet l’architecte propose, en travaillant avec les étudiants, un bâtiment entièrement modulable, des murs jusqu’aux façades comme le montre les illustrations ci-dessous :
Fig 13. Sauvaitre (Estelle), La mémé*- Kroll, illustrations, dessin d’un plan schématique et photographie de la maquette expérimentale menant à la réalisation du principe architectural visant à améliorer l’appropriation. 149
De plus, il ouvre la participation du projet également aux ouvriers, puisqu’il propose aux maçons de réaliser deux statues dans le bâtiment, favorisant ainsi leur implication, un hommage qui sera repris dans de nombreux projets contemporains. La pensée de l’architecte pousse l’habitant à participer à l'entièreté de la réalisation, permettant de développer des habitats appropriés et diversifiés en lien direct à leurs habitants, contrant les idées de standardisation de son époque, notamment ici où l’aspect de « ruine savante a été conçu comme une provocation face à la rigidité des cliniques universitaires situées en face ». 150 Dans la présentation du projet, on apprend que celui-ci a notamment inspiré l’architecte autrichien Hundertwasser, qui a conçu par la suite la Hundertwasserhaus à Vienne (1983-1986). Selon la revue CLARA Architecture et Recherche, deux étudiants en architecture Lucas Brusco, Martial Résibois proposent une interview de Lucien Kroll en février 2014 151. Dans cet entretien, Il revient sur ses débuts et l’évolution de sa réflexion. L. Kroll considère que « L’habitation est une action, non un objet. »152 Pour Lucien Kroll la participation s’inscrit selon lui dans le droit à la ville : « …le droit à la ville se manifeste comme forme supérieure des droits : droit à la liberté, à l’individualisation dans la socialisation, à l’habitat et à l’habiter. Le droit à l’œuvre (à l’activité participante) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit à la propriété) s’impliquent dans le droit à la ville » 153Il appuie sur le fait que « La participation est une approche qui ne semble pas toucher beaucoup d’architectes car cette démarche est souvent considérée comme marginale et reste marginalisée. »154 Concernant la participation il va jusqu’à s’appuyer sur la philosophie pour étayer son concept : « Dans la pratique de l’architecture participative, nous étions parmi les rares architectes à demander au clientusager de travailler avec nous à son affaire. Cela produit une architecture qui « parle le langage de l’habitant », mêlé au nôtre. Nous rejetions les styles trop personnels et formalistes pour atteindre une certaine complexité accessible, banale et naturelle : nous l’avons retrouvée surtout dans les textes magnifiques du philosophe français Henri Lefèbvre, mais nous n’avons lu que bien plus tard son ouvrage « Le Droit à la Ville » et ses complexes vivants qui nous ont tranquillisés. Il visait merveilleusement l’attitude de tous les intervenants à la construction de logements groupés, pour différencier au mieux les habitants futurs. »155
149
Estelle Sauvaitre, La Mémé * – Kroll – Voir en Vrai, en ligne, <https://voirenvrai.nantes.archi.fr/?p=775>, consulté le 9 avril 2021. Site de la Mémé à Woluwe-Saint-Lambert — Patrimoine - Erfgoed. 151 Lucas Brusco et Martial Résibois, « Lucien Kroll », CLARA, vol. 5 , Hors-série, no 1, Éditions de la Faculté d’Architecture La Cambre Horta, 2014. 152 Ibid. 153 Ibid. 154 Ibid. 155 Ibid. 150
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À la fin de citation, il est question de la réappropriation des bâtiments par une seconde génération d’habitants, n’ayant pas connu la participation fondatrice du lieu. Ces derniers ne se sentent pas du tout investis par l’aspect communautaire du projet et L. Kroll illustre ce phénomène, en expliquant que cela l’a conduit au tribunal, les nouveaux habitants voulant faire annuler des usages communs. Ce qui questionne sur la durabilité de ce type d’expérimentation.
Cette illustration ci-dessous présente l’un de ses projets d’habitat collectif, reflétant la philosophie de son travail : partir d’un existant, rencontrer ses habitant, et les faire approprier leurs logements.
Fig 14. Kroll (Lucien) Coupes présentant l’évolution du projet « Un quartier à humaniser : Enfin chez soi… » une réhabilitation de logements préfabriqués, à Berlin-Hellersdorf, Allemagne, en 1994 156
156
« L’anti-spectacle de Lucien et Simone Kroll- AMC Architecture », AMC Archi, en ligne, <https://www.amc-archi.com/photos/l-anti-spectacle-delucien-et-simone-kroll,1718/lucien-kroll-enfin-chez-soi.11>, consulté le 20 avril 2021.
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VLADIMIR KALOUGUINE, RESIDENCE KALOUGUINE, 1971 Nom du projet : Résidence Kalouguine Localisation : Angers Architecte : Vladimir Kalouguine Année de construction : 1971 Nombres de logements : 219 logements dans 9 immeubles Rapport à la notion d’appropriation : Imagine de nouvelles formes d’habitat Fig 15. Amouroux, Crettol et Monnet, Guide d'architecture contemporaine en France, 1972, Paris157
La résidence Kalouguine 158 , réalisée par l’architecte Vladimir Kalouguine en 1971, pour la ville d’Angers. Ce dernier a gagné le concours du PAN (programme d'architecture nouvelle). Ce concours a été organisé par le ministère de l'Équipement et du logement en 1971, avec pour sujet : « une architecture nouvelle pour les HLM collectives »159. Les changements sociétaux sont de plus en plus pris en compte dans un fonctionnement participatif des architectes. Le projet propose plus de 200 appartements aux formes biomorphiques (c’est-à-dire s’inspirant de la nature) éparpillés sur un grand terrain de deux hectares et demi. Il propose à travers ce projet un nouveau style d’HLM révolutionnaire dans leur conception, se confrontant à la standardisation en offrant des logements tous différents les uns des autres, comme le montre le plan ci-contre. Fig 16. Jannin (Louis) Carte postale représentant le plan du Rez de Chaussée du logement exprimant les formes courbes accentuées dans le projet, édition OffsetColor Adia, 1972, Angers 160
Le documentaire présente l’architecte Vladimir Kalouguine qui incarne une architecture nouvelle après mai 68, il refuse l'orthogonalité lui préférant des architectures courbes. L’architecte considère son projet comme des habitations dans lesquelles on va se retrouver caché, les habitants expriment le sentiment d’habiter dans un logement de « Schtroumpfs »161, représentatifs d’une architecture sculptée. Ce projet a une vocation écologique, il a été pensé avec les habitants selon une approche personnelle de chaque logement en s’adaptant à leurs attentes sur l’appropriation, en proposant différentes solutions (Appartement Louis 15, moderne, intermédiaire...) comme le présentent les captures vidéo ci-dessous.
Fig 17. Capture d’écran du reportage, Destination ouest : la cité Kalouguine à Angers, présentant divers intérieurs162
« Ils pourraient évoquer par certains côtés l’habitat alvéolaire des troglodytes de la vallée de la Loire. Ils constituent de toute évidence un repère urbain dans ce quartier sans caractère particulier au point de déterminer en eux-mêmes un monument. Par la rupture qu’ils opèrent avec l’architecture ordinaire des barres et des tours de ce type de programme réalisé à cette époque, ils ont retenu l’attention des auteurs de l’exposition Modernitépostmodernité organisée au Centre Georges-Pompidou en 1981. »163 157
Liaudet David, « Architectures de cartes postales: incroyable Kalouguine », Architectures de cartes postales 1, 2010, en ligne, <http://archipostcard.blogspot.com/2010/05/incroyable-kalouguine.html>, consulté le 22 avril 2021. 158 Denis Leroy, « Reportage : Destination ouest : la cité Kalouguine à Angers », France 3 Pays de la Loire, 2019, en ligne, <https://france3regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/maine-et-loire/angers/destination-ouest-cite-kalouguine-angers-1622149.html>, consulté le 14 avril 2021. 159 Ibid. 160 Liaudet David, « Architectures de cartes postales ». 161 Ibid. 162 Denis Leroy, « Destination ouest ». 163 Dominique Letellier-d’Espinose et Olivier Biguet, Résidence Kalouguine, POP : la plateforme ouverte du patrimoine, Minister de la culture, 1999, en ligne, <https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA49006319>, consulté le 14 avril 2021.
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2. LOGEMENT ETOILE DE JEAN RENAUDIE A. La pensée du concepteur En Juillet 1968 il décide de quitter l’agence qui l’emploie afin de fonder la sienne, suite à différents désaccords. Son travail repose principalement sur la conception de logement social ainsi que l’aménagement urbain sous la notion de la complexité. Sa première mission fut le projet de rénovation du centre de la ville d’Ivry sur Seine, qu’il réalisa en collaboration avec l’architecte Renée Gailhoustet. Rapidement le projet eut un grand succès notamment dans l'intégration de formes novatrices. Cela l'amènera à réaliser d’autres projets de grande ampleur qui le mèneront dix ans plus tard à l'obtention du Grand Prix National d’Architecture du Ministère de la Culture. Fig 18. Photographie du portrait de l’architecte Jean Renaudie 164
Jean Renaudie est cité comme l’un des premiers opposants face aux méthodes de production pour les villes nouvelles ainsi que les grands ensembles des années 1950-60. Il s 'oppose à la standardisation ainsi qu’aux modèles reproductibles et la systématisation de l’architecture en réalisant une variété et diversité au sein de ses logements collectifs, notamment par « un usage renouvelé de la géométrie » 165 . L’architecte pratique une architecture de la « découverte » alternant entre des imbrications fonctionnelles et une géométrie complexe qui lui permet de développer un modèle d’habitat offrant une différenciation des espaces ainsi qu’une socialisation entre les individus. Il est considéré comme un « infatigable militant d’un mieux-vivre pour tous »166 Dans l’objectif de développer d’éventuelles « solutions d’architecture », Renaudie lie les notions d’architecture et d’urbanisme contredisant des projets de logements collectifs détachés de leur contexte environnant, il s’appuie sur l’esthétique de « Complexité » développée par le biologiste François Jacob « À partir de la répétition et de la combinaison de formes géométriques, se dessinent des configurations nouvelles et hétérogènes de logements aux accents brutalistes destinées à répondre à la diversité humaine et qui s’adaptent aux besoins de chacun. » 167 On note ici la volonté de l’architecte de se différencier des productions architecturales de son époque dans l’objectif d’offrir un meilleur cadre de vie pour ses habitants tout en s’adaptant aux attentes de chacun, ainsi il offre une possibilité renforcée de l’appropriation de l’habitat par ses habitants. Nous allons voir au sein du projet des logements étoiles de Paris comment il met en pratique ses pensées et si celles-ci offrent réellement ce qu'il prétend.
164
Biographie: Jean Renaudie, en ligne, <http://jeanrenaudie.fr/>, consulté le 19 avril 2021. Ibid. 166 Ibid. 167 Ibid. 165
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B. Présentation du projet Nom du projet : Les Étoiles de Renaudie « Casanova » Localisation : Ivry-sur-Seine Architectes : Jean Renaudie et Renée Gailhoustet Année de construction : 1972 Nombres de logements : 82 Fig 19. SIAF, photographie historique, Cité de Archives d’architecture du XXe siècle 168
Rapport à la notion d’appropriation : Imagine de nouvelles formes d’habitat168 l’architecture et du patrimoine,
Nous avons expliqué qu'après la seconde guerre mondiale la France avait connu une crise du logement. Une réponse rapide a été apportée sous forme de grands ensembles et autres « cages à lapins » une expression qui est souvent reprise par l’architecte au cours de ses interviews. Au début des années 1960, débute la réflexion quant aux alternatives possibles à ces solutions insatisfaisantes, comme celle réputée encore à ce jour, proposée par les architectes Jean Renaudie et Renée Gailhoustet à Ivry sur Seine en centre-ville. Les étoiles de Renaudie représentent un grand ensemble de différents logements collectifs, reprenant la même logique sur l'ensemble des opérations. Pour mieux comprendre je vais m’appuyer sur la présentation du fascicule « les étoiles », qui doit son surnom en référence aux pointes triangulaires qui rayonnent depuis une trame orthogonale :169
Fig 20. Renaudie (Jean), Plan du premier étage de la résidence Casanova, Collection FRAC Centre-Val de Loire / Don Renée Gailhoustet, 1970, Paris 170
Le paragraphe s’appuie sur le fascicule de présentation du projet « Les Etoiles » de Jean Renaudie170, c'est en 1969 que débute la rénovation du centre-ville d’Ivry sur Seine, connu comme un lieu privilégié d’expérimentation architecturale et urbaine des architectes Renée Gailhoustet et Jean Renaudie qui rejettent les précédentes expériences d'urbanisme des années 60 notamment la méthode du zonage, ainsi qu’aux constructions linéaires hiérarchisées qui génèrent selon eux des cités dortoirs. Ils proposent donc un nouveau quartier ou tout s'interpénètre à la verticale comme à l’horizontale, que ce soient les activités, commerces, cheminements, logements… Le projet offre une grande expérimentation sur de nouvelles façons d’habiter, en rupture aux traditions des grands ensemble d'après-guerre, ce qui lui a valu son grand succès dans les années 70 et qui reste encore aujourd’hui au cœur des questionnements d’appropriation du logement pour de nombreux concepteurs. Les architectes, peuvent être qualifiés « d’architectes engagés »171 puisqu’ils inaugurent de nouvelles formes du bâti travaillant la matérialité brute du béton, l’imbrication de géométries ainsi que la mise en relation des espaces mutualisés et privatifs. Pour ce faire, ils n'hésitent pas à lier les savoirs, mutualisant ainsi les connaissances de différents métiers dans leur conception, développant le dialogue entre les architectes, urbanistes, paysagistes et habitants.
168
Cité de l’architecture, Ensemble d’habitations Danielle Casanova, 2017, p. 5. Ibid. 170 « Les Etoiles de Jean Renaudie », CAUE 94, 1971, en ligne, <https://www.caue94.fr/media/download/9727>, consulté le 20 avril 2021. 171 Ibid. 169
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Pour Jean Renaudie « l’angle droit symbolise l’ordre et l’entassement », 172 l’architecte va donc proposer une alternative en offrant une nouvelle forme comme nous avons pu le voir avec l'expérimentation des cités Kalouguine où la courbe est mise en avant. Ici l’architecte va contrer la linéarité en privilégiant le triangle à la forme rectangle qui développe dans ses plans de logement une complexité qu'il compare à celle de l’espace urbain ainsi qu’aux diverses personnalités qui vont s'approprier les lieux. Dans des appartements aux surfaces réduites, en étendant la forme rectangulaire, la dimension d’angle à angle permet « jusqu’à des longueurs de 15 m »173, offrant une sensation de grandeur. « Tous les appartements sont différents et s’imbriquent les uns dans les autres, incitant leurs occupants à une appropriation créatrice ».174 Dès la conception il se met en rupture délibérée avec les « cages à lapins » des grands ensembles, les étoiles ne comptent pas, à de rares exceptions près, deux logements identiques, ce qui, selon Renaudie, devait favoriser leur appropriation. Dans un interview, il explique que « Dans l’utilisation que nous faisons de notre logement, il y a une part qui est ouverte et qui nous laisse une liberté de répondre. C'est cette dernière qui est déterminante pour la recherche des solutions d’architecture. »175. Comme nous pouvons le voir en plan, les formes produites sont extrêmement variées ce qui permet de mieux s’adapter en fonction des attentes diversifiées des habitants qui peuvent revendiquer un appartement unique. Renaudie pense que l’architecture doit permettre l’expression des différences tout en répondant à la diversité humaine, car selon lui l’architecture a « le rôle de satisfaire la diversité humaine ». 176En comparant un plan ordinaire standard des années 70 avec le plan proposé par Renaudie on se rend rapidement compte que ce qu’il propose détourne la dimension réduite de par l’utilisation non ordinaire de formes géométriques permettant une sensation de grandeur face à l'étroitesse des plans initiaux. Ici, il propose des espaces larges en profondeur avec des formes variées permettant la création de terrasses et patios en relation aux logements, il impose une grande importance aux espaces extérieurs offrant des espaces lumineux en relation avec la nature poussant l’habitant à vivre dans un lieu plus agréable prenant en compte une vie se déployant aussi à l'extérieur, ce qui est une nouveauté pour les logements sociaux. Renaudie met en avant l’usage de ces terrasses-jardins dans un prolongement de l’habitat qu’il considère comme un espace de transition entre l’espace privé et l’espace public permettant grâce à leurs formes et leurs imbrications un contact qui se développe entre les voisins. « Cela permet aux habitants de vivre l’architecture en favorisant la relation sociale, développant les relations entre les habitants par la construction »177. Dans le livre de Jean Michel Léger, Derniers domiciles connus,178 l’auteur exprime que lorsque le passé ne fonctionne plus on peut le changer et ainsi transformer nos styles de vie. Pour conclure cette analyse de l’appropriation du projet de Renaudie, je souhaite présenter le travail d’Anne Debarre dans le livre de l'anthropologue, « Quand les architectes exposent des intérieurs habités Représentations d’un dialogue entre architecture et anthropologie ? ». 179 L’auteure présente des propositions contemporaines de logements sociaux qui mettent en avant leurs habitants, notamment dans leurs différences et leurs besoins à être acteurs de leurs lieux de vie, elle évoque des opérations des années 70, telles que le logement étoile. Elle présente le projet comme un travail qui complexifie et individualise les formes inscrites dans une trame triangulaire qui permettent de générer des espaces inattendus diversifiés qui favorisent l'appropriation. Elle le cite en se rapportant au fait que l’architecte produit « Un terrain favorable à l’utilisation des potentialités de chacun », répondant à « des besoins inattendus, imprévus c’est à dire non normalisables, quand les espaces du logement leur en donnent la possibilité ».180
172
Ibid. Ibid. 174 Andrew Ayers, Les « étoiles » d’Ivry-sur-Seine, p. 4. 175 Hubert Knapp, « Les étoiles de Renaudie 1979 architecture innovante à Ivry et Givors logements collectifs HLM par Jean Renaudie ». 176 Sabrina Bresson, « Du plan au vécu : analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social », Theses, Université de Tours, 2010, f. 14. 177 Jean-Michel Léger, op. cit. 178 Ibid. 179 Anne Debarre, « Quand les architectes exposent des intérieurs habités. Représentations d’un dialogue entre architecture et anthropologie ? », Journal des anthropologues, vol. 134‑135, no 3‑4, Charenton-le-pont, Association Française des Anthropologues, 2013, p. 79‑108. 180 Ibid. 173
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Fig 21. Michèle Leger (Jean), Derniers domiciles connus - Enquête sur les nouveaux logements, Photographie de la résidence Casanova181
Elle explique que l’architecte n'hésite pas à associer son travail à des photographies d'intérieurs, comme nous le voyons ci-dessus, ce sont les premiers à réaliser ces analyses post conception permettant de voir l’interaction développée entre leurs propositions architecturales et la façon dont les habitants se l'approprient. Les photos des logements réalisés par les architectes à l’issue de l’installation des habitants viennent démontrer la réussite de leur ambition d’appropriation par ces derniers. Au-delà d’une simple volonté, A. Debarre explique que les architectes, Renée Gailhoustet et Jean Renaudie, vont avoir le souci de démontrer le bien-fondé de leur travail en venant illustrer l’appropriation des habitants par des photos qu’ils prennent eux-mêmes. L’implication de ces architectes dans le projet dépasse les actions classiques d’un architecte, ou urbaniste lambda, s'immisçant dans le quotidien des habitants pour améliorer leur confort de vie proposant un projet qui aborde le social en prônant une volonté du vivre ensemble et du bien-être qui correspond aux pensées urbanistiques du XXème siècle. Ces logements semblent encore aujourd’hui s’adapter aux demandes contemporaines comme le montre ces photographies :
Fig 22. Biaugeaud (Jean), Photographies d’intérieur des logements de la résidence Casanova, archives municipales d’Ivry sur Seine182
C. Processus d’appropriation par les habitants Le processus d’appropriation des habitants dans ce projet est très innovant pour l’époque. Comme nous l’avons vu, les architectes proposent une nouvelle forme en plan triangulaire se délivrant de la forme carrée, réalisant ainsi des appartements très variés, avec de nombreuses façades ouvertes sur de grandes terrasses initiant une nouvelle façon de l'habiter où on vient prendre en compte l'extérieur qui est en continuité sur plusieurs niveaux facilitant l'échange entre voisins... de bien nombreuses qualités que les habitants semblent apprécier. Nous allons voir grâce à différents témoignages ce qui en découle vraiment.
181
Jean-Michel Léger, op. cit., p. 46‑138. Meriem Chabani, « Revisit: Les Étoiles d’Ivry, Paris, France, by Jean Renaudie and Renée Gailhoustet », Architectural Review, 2019, en ligne, <https://www.architectural-review.com/buildings/revisit-les-etoiles-divry-paris-france-by-jean-renaudie-and-renee-gailhoustet>, consulté le 22 avril 2021. 182
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L’analyse du processus d’appropriation est présentée à travers l’étude de la sociologue Sabrina Bresson, Architecture et lien social. Les « étoiles » de Renaudie à Ivry-sur-Seine.183 Elle présente le projet expliquant qu’en 1968 suite aux mouvements protestataires du peuple la restructuration de la ville prend un tournant décisif ouvrant une réflexion sur l’habitat collectif, plus qu’une réflexion architecturale mais bien un « parti-pris idéologique ».184 Elle explique qu’il y a eu une discussion entre architectes, élus, gestionnaires, et habitants pour repenser « La façon dont on peut parvenir à favoriser l’appropriation par les habitants et l’expression des individualités, tout en préservant la vie collective, voire même en construisant du lien social »185. L’architecte Renaudie propose des réflexions innovantes sur l’habitat qui semblent répondre aux attentes des habitants « Il est évident que la personnalité de Renaudie et les idées qu’il défend trouvent une certaine audience auprès de la ville, ... ses conceptions architecturales et urbanistiques s’y expriment dans des formes à la fois audacieuses et innovantes, qui ont fait du centre d’Ivry un incontestable laboratoire d’idées sur l’habiter ».186 S. Bresson présente la qualité architecturale et urbanistique de Jean Renaudie, ce dernier prônant une architecture qui a le rôle de satisfaire la diversité humaine tout en permettant l’expression de nos différences. Il s’oppose donc selon l’auteure au déterminisme architectural ne souhaitant pas imposer des modes de vies par des formes ou plans trop contraignants. « Renaudie affiche la volonté de rompre avec les modèles traditionnels des grands ensembles et tente de parvenir à un compromis entre habitat collectif et logements individuels »187Dans son analyse du projet en rapport à la notion d’appropriation, elle distingue 3 catégories de populations liées à 3 vagues de peuplement du projet : La première qui correspond à l’arrivée des primo-habitants dès 1972 appelé « Convaincus »188 qui désigne les habitants restant dans le logement depuis le début ce qui montre qu’ils se « sont sentis bien et qu’ils ont adhéré au modèle d’habitat proposé ». 189 Puis vient, une seconde vague dans les années 1980-90 les « Captifs »190 qui n’ont pas choisi ces logements, bloqués par des contraintes économiques. « Il s’agit d’une période transitoire dans leur parcours résidentiel car ils aspirent à quitter au plus vite le parc social » .191 Et pour finir la dernière vague plus contemporaine dans les années 2000, qu’elle nomme les « adeptes », qui ont insisté pour obtenir une place dans cet immeuble grâce à une connaissance antérieure « Ces habitants disent que c’est pour la qualité de l’architecture et du cadre de vie qu’ils ont choisi ce bâtiment».192 Je vais particulièrement m'intéresser à la première vague qui correspond à une demande d’appropriation en lien à son époque. S. Bresson explique que ses habitants ont produit un discours spécifique sur l’architecture sachant mettre en valeur sa conception « ils tiennent des propos qui relèvent d’une perception avertie sur les formes, les volumes, ou la lumière dans les logements, ils savent dire la qualité des espaces. Et surtout, ils savent la mettre en scène dans la façon d’aménager l’espace et de s’approprier les lieux. » 193 vivre dans ces logements a visiblement développé chez eux un intérêt pour comme le dit l’auteure « une sensation d’habiter autrement »194, qui participe à la valorisation de leur habitat. Afin de compléter l’analyse sociologique je me suis intéressé au documentaire « Mon quartier c’est ma vie »195 une enquête réalisée par J.C. Bergeret en 1977. J’ai pu avoir plusieurs retours d’habitants traitant de leur notion d’appropriation dans les logements me replongeant dans le contexte historique qui s’adapte aux pensées de l’architecte.
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Sabrina Bresson, Architecture et lien social. Les « étoiles » de Renaudie à Ivry-sur-Seine, « Maison des Sciences de l’Homme « Villes et territoires » », mars 2008. 184 Ibid. 185 Ibid. 186 Ibid. 187 Ibid. 188 Ibid. 189 Ibid. 190 Ibid. 191 Ibid. 192 Ibid. 193 Ibid. 194 Ibid. 195 J.C Bergeret, Reportage : "Mon quartier c’est ma vie : Les étoiles de Renaudie", 1977.
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Au travers de quatre interviews réalisées par J.C. Bergeret, on s’aperçoit que l’appropriation des logements de Jean Renaudie ne va pas de soi, tout au moins au premier abord. Les visiteurs et habitants sont, dans un premier temps, interpellés par la forme inhabituelle des pièces, puis à l’usage les personnes apprécient les nombreuses ouvertures, le lien avec l'extérieur et les « recoins » qu’offrent les coins pour l’isolement, allant même jusqu’à parler de sentiment de grandes surfaces. Si l'appropriation est évidente pour certains, d'autres s’habituent moins, les configurations multiples permettent une appropriation personnalisée. Le jardinage et la communication avec les voisins sont favorisés par les terrasses extérieures. Les habitants estiment que l’architecte a pensé à eux dans la conception, les considérant comme des « complices »196. Renaudie estime en effet que : « Les habitants doivent être acteurs et non plus spectateurs » 197 et s’approprier le logement à leur guise. Certains habitants regrettent que certaines pièces trop étroites ne permettent l’installation de leurs meubles ou l’installation d’un lit simple uniquement, toutefois ce projet « Aborde le social en prônant une volonté du vivre ensemble et du bien-être des habitants qui correspond aux pensées urbanistiques du XXème siècle. » 198 Dans les interviews199, que vous pouvez retrouver synthétisés en Annexe 3 p.89, les habitants disent apprécier : - Les aspects extérieurs : relation aux terrasses, apprendre à jardiner, vivre avec les saisons - Les formes multiples : angles brisés, volumes, nombreuses ouvertures, multiplicité des plans - Habitants mis en avant : acteurs et non spectateurs, choisir un logement adapté à leur goût. Parmi les aspects négatifs200, nous notons : - Nouvelles formes : peu appropriables, non standard, bloque l’évolutivité - Formes trop contraintes : nombreux angles, peu aménageables, certaines pièces trop petites - Problème d’intimité : beaucoup d’ouvertures, vis à vis direct. À travers les présentations on se rend compte que cette nouvelle expérimentation n’est pas à la portée de tous, certains n’arrivent pas à s’approprier ces nouvelles formes alors que d’autres ne peuvent plus s’en passer. Ce projet demande pour l'époque une nouvelle façon de concevoir le logement dans un aspect plus communautaire. En effet encore aujourd’hui on ressent une vie en communauté. Lors de ma visite j’ai particulièrement été marqué par le fait que les habitants décorent leur hall d’entrée commun comme le montrent les photos ci-après ce qui marque une appropriation réussie et collective qui dépasse les limites intérieures du logement :
Fig 22. Photographies personnelles, Sas d’entrées dans les logements de la résidence Casanova, à Ivry sur Seine, visite du 12 septembre 2021
Vous trouverez en Annexe 4 p.90 un reportage photographique synthétique de ma visite.
196
Ibid. Ibid. 198 Ibid. 199 Ibid. 200 Ibid. 197
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3. NEMAUSUS 1 DE JEAN NOUVEL A. Les pensées du concepteur Jean Nouvel s’oppose à l'héritage de la Charte d'Athènes, ainsi que l’ordre des architectes, il est connu comme un architecte militant prônant un renouveau architectural en France, pour cela il cofonde le mouvement « Mars 1976 » 201, et participe à la création du Syndicat de l'architecture afin de défendre un nouveau courant architectural. Cependant il n'a pas de style architectural attitré, il attribue à chaque projet un regard nouveau naissant d’un dialogue avec l’environnement du projet, afin de créer un bâtiment unique. Fig 23. Photographie de l’architecte Jean Nouvel 202
En complément de l’architecture, J. Nouvel découvre le monde du théâtre et de la mise en scène, qu’il appliquera dans son travail avec des recherches scénographiques dans la gestion de l’espace « Il travaille de manière intensive pour créer et faire valoir un langage architectural où la lumière, l’espace et le contexte sont rois. » il s'intéresse aussi à l’importance des textes et des mots dans le livre Derniers Domiciles connus, Jean Michel Leger le considère comme un architecte « Bâtissant avec les mots », appartenant à ce qu’il appelle « l’architecture d’auteur, travaillant ses projets d’abord avec les mots et les révélant à travers la matière ».203 Dans un article du journal le Moniteur, la journaliste Catherine Sabbah fait le rapprochement avec son passé artistique qui renaît dans sa pratique architecturale « Derrière sa générosité d'architecte, Jean Nouvel conserve sa vision d'artiste, à laquelle il faut adhérer pour habiter ses bâtiments : des murs en béton brut sur lesquels figurent encore - ou ont été rajoutées - les indications de chantier ; l'interdiction de les peindre, d'obturer les immenses fenêtres de rideaux fleuris… »204 On sent un aspect autoritaire dans sa conception architecturale relevé par plusieurs auteurs, notamment Jean Michel Léger qui affirme que l’architecte impose son style architectural qui offre une grande qualité spatiale mais qui n’est pas compatible à tous, et le site « J'espère bien que certains auront horreur de mes logements et qu’alors on leur donnera la possibilité d’aller accrocher ailleurs leurs rideaux et leurs petits trucs cucul la praline ».205 L’auteur oppose la pensée de l’architecte Jean Nouvel avec celle de l’architecte Yves Lion, qui disait « Je suis très gêné par l’idée d’aller embarrasser la vie des gens par ma propre esthétique (1987) »206 qui n’impose pas une esthétique dans ses projets architecturaux. On peut notamment assimiler cette réflexion avec celle des architectes Lacaton et Vassal qui proposent un style architectural neutre offrant aux futurs habitants, la possibilité d’un aménagement post construction pensé dès la conception que nous étudierons dans la Partie 3. Cependant, Jean Nouvel prône le bien être des habitants en repensant la qualité du logement, «Le petit logement a souvent été symbole d’oppression »207 pour lui, le confort des habitants est une priorité qui ne peut être réalisée que par l'agrandissement des lieux de vie ainsi qu’une neutralité dans l'aménagement comme nous allons le voir dans le projet de Nemausus « L’essentiel à mes yeux est d’agir sur la nature du logement, afin que les gens aient envie de vivre là où il sont, en leur offrant de l’espace ».208
201
Jean-Michel Léger, op. cit. « Biographie: Jean Nouvel », Ateliers Jean Nouvel, en ligne, <http://www.jeannouvel.com/jean-nouvel/>, consulté le 5 mai 2021. 203 Jean-Michel Léger, op. cit. 204 Catherine Sabbah, « Nemausus Le nouveau logement social », Le moniteur architecture, septembre 2001. 205 Jean-Michel Léger, op. cit. 206 Ibid., p. 13. 207 Laurent Duport, « Laissez-vous conter Nemausus », Villes et Pays d’art et d’histoire, 2007, p. 12. 208 Richard Copans et Stan Neumann, documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80, Nîmes, coll. « RADAR », 1995, 51:17. 202
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B. Présentation du projet Nom du projet: Nemausus 1 Localisation: Nîmes Architecte: Jean Nouvel Année de construction : 1985 Nombres de logements : 144
Fig 24. Fessy (Georges), Photographie du projet Nemausus 1, Nîmes 211
Rapport à la notion d’appropriation : Propose des dimensions plus grandes que les standards 209 Le projet Nemausus, doit son nom à une référence à la divinité de la source Nîmoise, et faisant écho à l’univers maritime évoquant une « métaphore navale et métaphore industrielle qui se mélangent pour générer cette révolution de l’habitat social ».210 Il s’implique dans un programme de conception et d’usage de l’habitat ayant pour réflexion l'amélioration du logement collectif pour le bien-être de ses habitants des années 80, « Le projet a pour objectif de repenser la production de logement en mettant en avant ce qui constitue sa qualité ».211 Il est devenu aujourd’hui un emblème de la ville de Nîmes, « Visité par des touristes du monde entier, il fait partie du patrimoine de la ville ». 212 Il reçoit en 2008 le label « Patrimoine du XXe siècle » 213 institué en 1999 par le ministère de la culture et de la communication. Le bâtiment offre une nouvelle réflexion sur l'appropriation des habitants ainsi que leur confort de vie, en travaillant une dimension expérimentale proposant plusieurs partis pris architecturaux. Et ce, notamment, en « Offrant plus d'espace au même prix, ... ainsi que proposer aux locataires une nouvelle façon d’habiter, leur fournir un espace de vie plus conforme à de nouvelles règles de conduite » 214 Dans le dossier thématique de l’article Premier plan215, paru en 2017 traitant des innovations architecturales à travers la recherche et l'expérimentation, Jean Nouvel est interrogé sur l’habitat de Nemausus comme une expérimentation qui tente d'offrir plus de place aux logements. Quand le journaliste demande à l’architecte quelle est la genèse du projet, il répond qu’il n'avait pas eu l'occasion dans sa carrière de réaliser des logements HLM, lorsque la proposition lui a été faite il a pris le parti de développer de grands logements au même prix. Selon lui la quantité d’espace est un « critère esthétique, un critère de belle vie ».216 Pour Jean Nouvel, « un beau logement, c'est un grand logement : une belle pièce, c'est une grande pièce ». 217 La notion d'habitable est essentielle : la principale qualité d'un appartement est sa taille, il faut offrir plus d'espace à vivre à l'usager. « Les deux priorités de Jean Nouvel dans cette réalisation ainsi que dans sa production de manière générale sont : l’espace et la lumière. »218 La première priorité est donc une volonté d’offrir plus de place, son objectif est de proposer des logements de plus grandes surfaces « environ 30% à 50% de superficie de plus que les opérations normalisées »219, mais avec la particularité de réussir à construire au même prix que les logements standard. Il propose dans ce projet diverses dimensions de logements avec une sélection de plans d'aménagements variés, par exemple des quatre pièces en triplex de 116m², aujourd’hui la surface normée d’un quatre pièces est descendue à 73m².
209
Laurent Duport, loc. cit. Ibid. 211 Ibid. 212 Ibid. 213 Ibid. 214 Ibid. 215 PUCA, L’innovation architecturale à travers la recherche et l’expérimentation : « Némausus : expérimenter pour donner plus d’espace », « Plan Construction et Architecture », 2016, p. 13. 216 Ibid. 217 Richard Copans et Stan Neumann, documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 218 Laurent Duport, loc. cit. 219 Ibid. 210
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Cependant pour réaliser son objectif de prix faible, l’architecte propose une « architecture pauvre ramenant les systèmes constructifs au plus simple »220, Jean Nouvel utilise des matériaux industriels détournés pour l’usage architectural : « l’emploi d’un bardage métallique, tôle perforée en guise de garde-corps pour voir le paysage en transparence, portes de garage permettant l’ouverture du séjour sur la terrasse. » 221 Faisant preuve d’ingéniosité, j’ai notamment retenu l’usage de ces portes qui sont habituellement dédiées aux portes de casernes de pompier représentant 8% du coût total du projet, ce qui est cher mais permettant ici une paroi complètement rétractable pour favoriser un étalement du logement sur l'extérieur sur une terrasse de grande dimension : 15m² avec de 2 mètres de large exposé Sud qui a rapidement séduit les habitants en en faisant une grande qualité architecturale comme le montre la photographie.222 Cette terrasse répond à une demande importante de l'époque d’une reconnexion du logement à l'extérieur comme nous avons pu le voir avec le projet de Renaudie. Fig 25. Agence Jean Nouvel, Photographie du projet Nemausus 1, Détail sur la porte du garage, Nîmes223
Malheureusement, bien que la construction ait coûté moins cher, la location quant à elle reste calculée sur les mètres carrés produits du logement, « les habitants payent donc de 30 à 50 fois plus cher que dans une HLM traditionnel, plus grand, plus cher, plus difficile à louer »224 devenant donc aujourd’hui un prototype impossible, et restera une expérimentation utopiste des années 80 ce qui répond aux attentes de l’architecte « Cela m’est égal de me tromper avec mon époque je ne cherche pas à faire une architecture intemporelle, mon désir le plus grand c’est qu’en voyant Nemausus on dise c'étaient les années 80 ».225 Une autre qualité qu’offre ce projet : la flexibilité interne du logement. Jean Nouvel invente le « loft social, modulable et polyvalent » 226 . En voyant le plan, on remarque que dans son aménagement les logements s’articulent avec de grands espaces autour du bloc central comprenant les éléments fixes (sanitaires, gaines, escalier, rangements) ce qui permet par la suite une modularité complète limitant le cloisonnement des pièces et qui « exprime une dimension commune et invite à une utilisation collective »227. Le logement est traversant sur un axe Nord/Sud permettant une double exposition favorisant une implantation spatiale avec les pièces de vie dans la partie Sud, comprenant de nombreuses ouvertures offrant lumière et air dans l’ensemble du logement, comme le montre les plans ci-dessous :
Fig 26. Michele Leger (Jean), Derniers domiciles connus - Enquête sur les nouveaux logements, Plan d’un logement de Nemausus228
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Richard Copans et Stan Neumann, documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. Ibid. 222 Ibid. 223 « Ateliers Jean nouvel, projet Nemausus », Ateliers Jean Nouvel, en ligne, <http://www.jeannouvel.com/projets/nemausus/>, consulté le 22 avril 2021. 224 Ibid. 225 Ibid. 226 Laurent Duport, loc. cit. 227 Richard Copans et Stan Neumann, documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 228 Jean-Michel Léger, op. cit., p. 85. 221
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Dans le livre Derniers domiciles connus, une partie a retenu mon intention, « Qui doit réparer ? »229 On y apprend qu’avant ce projet, aucun architecte n’avait eu la permission du maître d’ouvrage pour exprimer ses intentions architecturales donc la volonté était de laisser le bâtiment brut avec le béton apparent à l'intérieur des logements, qui n’est pas un choix économique mais un choix culturel « Le fruit d’une volonté décorative délibérée, laissant la sensation particulière d’un édifice encore en construction proposant son propre langage esthétique de chantier » 230 , avec par exemple des signalétiques rouges et blanches présentes sur les escaliers et les portes d’entrée, ou encore à certains endroits des marques réelles ou ajoutées des ouvriers, comme le montre la photographie. Ce choix esthétique est revendiqué par l’architecte comme un projet toujours en évolution « Jean Nouvel imagine ce projet d’évolution en ayant toujours le souci de « répondre à une question posée », celle du confort des habitants. »231 Fig 27. Agence Jean Nouvel, Photographie du projet Nemausus 1, Détail sur le langage architectural du projet, Nîmes232
La particularité de ce projet était l’interdiction formelle faite aux habitants de venir recouvrir les murs laissant le logement tel qu’il était livré, un document engageant le locataire devait être signé dès la location. L'objectif pour les promoteurs était de conserver le logement intact pour favoriser une meilleure rotation dans des logements « standardisés » ne permettant aucune appropriation physique sur l’édifice et ne laissant pas les locataires indifférents. « On savait que le béton apparent était considéré par les « puritains » comme le matériau d’une vérité à enseigner au peuple, mais ce goût ne leur est pas réservé, puisque J.Nouvel l’a imposé à l'intérieur des appartements de Nemausus 1, à la grande colère des habitants »233. Cependant, lors de la conception l’architecte a appliqué une variation dans la couleur des rideaux en fonction des typologies d’appartement (bleu, vert, jaune et rouge), cherchant à lier la fonction de protection de l’intimité à un « esthétisme minimal »234 qui permet une appropriation par les habitants qui depuis l'extérieur pouvaient facilement indiquer et repérer leurs logements en revendiquant leur appartenance. Nous allons voir à présent comment le projet a été perçu par ses habitants, comment se le sont-ils approprié ? Comment ont-ils répondu à l’exigence du laisser tel quel ? ainsi que leurs ressentis.
C. Processus d’appropriation par les habitants Les logements proposent de grandes surfaces, des typologies différentes, de grandes terrasses ensoleillées en connexion au salon, de grandes salles de bain avec fenêtres, un grand apport de lumière naturelle et des jeux de doubles et triples hauteurs, ... De bien nombreuses qualités que les habitants savent apprécier. Cependant son appropriation demeure complexe, de par une consigne de contraintes interdisant aux habitants de recouvrir les murs les obligeant à subir le choix esthétique imposé par l’architecte, pensé sous son aspect décoratif et pratique face à une succession de différents locataires. Cependant, on lit dans le livre Derniers domiciles connus235 que lors d’une émission radio l’architecte a qualifié son acte de provocation, laissant dans le bâtiment le sentiment que les logements ne sont pas finis. Les habitants perçoivent cette intention de l’architecte comme un logement « pas gai, pas joli, dégueulasse, ça choque on dirait une cave, difficile à chauffer »236. 229
Jean-Michel Léger, op. cit. Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 231 Laurent Duport, loc. cit. 232 « Ateliers Jean nouvel, projet Nemausus ». 233 Jean-Michel Léger, op. cit., p. 9. 234 Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 235 Jean-Michel Léger, op. cit., p. 64. 236 Ibid. 230
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Mais nous allons voir que les locataires se sont rapidement rebellés et se sont appropriés les lieux autant qu’ils le pouvaient, ce qui s’est avéré un réel succès comme l’explique Jean Michel Léger « Ici les interventions des locataires ont vu améliorer le confort de vie. » 237 modifiant l’aspect du logement par l’utilisation de divers matériaux recouvrant l’aspect brut initial du logement pour se l'approprier. De plus, les espaces entièrement libres sont très mal vécus par les habitants, j’ai remarqué pour certains un manque d’intimité causé par un manque de seuil entre l’espace public et l’espace privé, arrivant directement sur la partie cuisine. Pour l’habiter on remarque à travers les différentes photographies que les habitants sont venus cloisonner les espaces selon leurs besoins. Ce qui remet en question la volonté première de logement à moindre coût au regard des travaux supplémentaires à appliquer par les habitants pour pouvoir s’approprier les lieux. « Les grandes surfaces de Nemausus sont certes bonnes à prendre, mais on peut regretter que les plans des logements se contentent d’agrandir le plan-type sans offrir une diversification des espaces, sachant que ce que les habitants demandent, ce n’est pas tant des mètres carrés en plus que des espaces spécifiques : lingerie, bureau, pièce de bricolage, deuxième salle de bains, chambre d’ami, tous ces espaces qui sont difficilement aménageables à Nemausus. »238 La phrase issue de la conférence de Jean Michel Léger à l'École d'architecture de l'Université de Montréal, exprime le principe d’appropriation des habitants qui est parfaitement mis en valeur dans le documentaire : « Malgré les difficultés qu’il y a à s'attaquer à du béton sur de si grands volumes, les locataires y sont allés armés de moquette, de papier peint, de lambris et de revêtements adhésifs, ils ont monté des cloisons, bouché des couloirs, dissimulé des escaliers. Ils ont installé des rideaux et choisi leurs interventions à la mesure de leur quotidien et de leurs moyens, et dans ce combat de longue durée, bien-sûr ils ont gagné ! »239 Ce qui se contredit avec la volonté de l’architecte bien fondée, j’ai repris une phrase marquante du livre Derniers domiciles connus qui exprime la pensée de l’architecte face à ceux qui ne s’appropriaient pas « son œuvre » comme il le souhaite : « J'espère bien que certains auront horreur de mes logements et qu’alors on leur donnera la possibilité d’aller accrocher ailleurs leurs rideaux et leurs petits trucs cucul la praline ».240 Fig 28. Copans (Richard) et Neumann (Stan), Capture vidéo, du documentaire : Nemausus 1, une HLM des années 80, présentant l’appropriation par les habitants des fenêtres avec l’application de divers rideaux 241
Au fil des années les appartements de Nemausus, sont devenus les appartements du possible, qui appellent sans cesse à l’invention et à l’imagination et suscitent l’esprit créatif des hôtes. Cet univers d’espace veut être le lieu de la « liberté d’appropriation absolue » 242 . Comme l’appuie cette citation : « Le volume compte aussi pour beaucoup dans cette conquête de l’espace : les hauteurs de plafond sont si importantes dans certains appartements que des locataires en ont joué en installant balançoires ou paniers de basket ! Jolie appropriation de cette invitation à la créativité… »243 L’esthétique industrielle qu’impose Jean Nouvel dans les logements de Nemausus semble laisser un avis mitigé pour ses habitants, comme nous l’avons vu, il ne s'adapte pas à de nombreux habitants qui se sentent obligés de s’approprier les lieux par un ajout de matière comme le montre les photographies ci-après. Cependant il y a aussi des habitants qui sont séduits par les intentions architecturales proposées par l’architecte, les grands volumes, les grandes terrasses et cette expression de modernité qui crée une rupture avec le style des années 80, marquant la fin d’une époque en reprenant tous les points positifs qu’elle avait pu offrir. Dans la vidéo précitée
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Ibid. Jean Michel Léger, « « Le logement collectif : architecture remarquable et critères d’usage », conférence à l’École d’architecture de l’Université de Montréal », http://jeanmichelleger.free.fr/choses-ecrites/detail.php?id=10322, 2011, en ligne, <http://jeanmichelleger.free.fr/chosesecrites/detail.php?id=10322>, consulté le 9 mai 2021. 239 Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 240 Jean-Michel Léger, op. cit., p. 62. 241 Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 242 Laurent Duport, loc. cit. 243 Ibid. 238
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on entend que certains locataires sont fiers d’avoir laissé intacts les murs de leurs logements, comme à l’origine, conservant l’âme du Nemausus et la volonté initiale de l’architecte de ne pas changer la décoration originelle.
Fig 29. Copans (Richard) et Neumann (Stan), Capture vidéo : Nemausus 1, une HLM des années 80, Présentant l’appropriation des habitants montrant avec le même cadrages différentes appropriations possibles 244
Un dispositif supplémentaire vient accompagner l’appropriation des habitants, ce sont les circulations extérieures, Jean Michel Leger les présente comme « espace de jeux pour les enfants ; lieu de rencontre entre locataire d’un même étage, la coursive est souvent utilisée comme un véritable prolongement de l’espace habitabilité : elle remplace parfois la terrasse, inutilisable lors des grosses chaleurs de l’été » 245 On se rend compte qu'elles aussi sont une continuité du logement. Notamment avec l’intervention de l'architecte présenté dans le documentaire. Les gardes corps inclinés n'étaient pas acceptés pour une question de sécurité, l’architecte ne voulant pas les redresser il a proposé d’intégrer une assise tout du long qui a rapidement été appropriée par les habitants de l’immeuble, qui en ont fait un banc public, illustré ci-contre.246 Fig 30. Copans (Richard) et Neumann (Stan), Capture vidéo : Nemausus 1, une HLM des années 80, Présentant les gardes corps247
Pour conclure cette analyse j’ai retrouvé dans l'interview de Jean Nouvel déjà citée une question posée à l’architecte qui était de savoir « Quel est le regard des habitants sur l'opération ? » 248, ce à quoi l'architecte répond que de son titre il n'était peut-être pas le mieux placé pour avoir un point de vue critique, « Mais quand je me promène à Nîmes, je me promène de façon assez décontractée. Je ne suis pas agressé. Les gens qui ont choisi de vivre là-bas sont des gens qui adhèrent à ce principe de supplément d'espace »249. Il conclut sa réponse en ajoutant que ce qu’il trouve amusant dans ce bâtiment c’est que les habitants se sont approprié les lieux à leur manière et sont contents d’y vivre, « faire plus grand, on ne voit pas pourquoi ça ne plairait pas ! »250.
Cette seconde partie nous a éclairé sur les premières expérimentations d’appropriation utopiques du logement collectif des années 1970/1980 : Malgré la volonté de quelques pionniers, il semblerait que la place de l’habitant soit restée modeste bien que répondant aux attentes de l’époque. Ces expérimentations constituent encore aujourd’hui des références pour les concepteurs contemporains. Nous allons aborder maintenant la notion d’appropriation dans les logements collectifs d’aujourd’hui, en intégrant l’évolution de ce type d’habitat ainsi que les nouveaux modes de vie des habitants amenant à l’émancipation vers des types de conceptions actualisés.
244
Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. Jean-Michel Léger, op. cit., p. 55. 246 Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 247 Richard Copans et Stan Neumann, Documentaire: Nemausus 1, une HLM des années 80. 248 PUCA, loc. cit. 249 Ibid. 250 Ibid. 245
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PARTIE III : LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LES LOGEMENTS COLLECTIFS D’AUJOURD’HUI 1. LE LOGEMENT COLLECTIF D’AUJOURD’HUI A. Une image changeante du logement collectif L’appropriation est une nouvelle notion qui apparaît dans le logement collectif à partir des années 80, au niveau de la conception architecturale, mais qui aujourd'hui a pris une ampleur considérable, tant pour les habitants que pour les concepteurs. Le logement collectif contemporain hérite de la culture des grands ensembles d'aprèsguerre, qui se base sur les principes de la Charte d'Athènes251, qui énonce les grands principes du fonctionnalisme en architecture. L’appropriation n'était alors pas au cœur des problématiques. Comme François Dubet l’écrit dans son livre Les Quartiers d’exil : « les constructions précitées situées en périphérie de ville, sont devenues pour nombre d’entre elles des ghettos, concentrant les populations les plus pauvres et les minorités ethniques »252. Cependant, à partir des années 80, la notion d’appropriation préoccupe et prend place dans la conception du logement. Les architectes ont en effet tiré les enseignements des erreurs du passé des grands ensembles pour concevoir les constructions actuelles, et leurs propositions se traduisent par de nouveaux types d’habitats collectifs contemporains différents. Selon L'architecte Dominique Gauzin-Müller 253 « Si, des logiques de rendement économique à courte vue résultent des villes sans âme, se dégradant rapidement, véritables désastres écologiques et financiers, niant l'esthétique et le « vivre ensemble », quelles expérimentations, quelles réflexions permettent aujourd'hui d'imaginer des issues aux problématiques écologiques, politiques, sociales, voire philosophiques, engendrées par l'omniprésence d'un habitat uniforme qui se répercute, tant dans les banlieues que dans les villes nouvelles ?».254 Les auteurs proposent d'envisager des pratiques et des visions d'un monde pouvant intégrer les disciplines architecturales, urbaines et environnementales en créant de nouvelles manières de « faire avec les lieux, les habitants et les habitudes en place pour porter un nouveau regard sur les paysages et les identités qui composent notre habitat par-delà les frontières du simple logement. »255 Dans la fin de son analyse « qu’est-ce que l’appropriation ? »256, Jodelle Zetlaoui-Léger juge cette notion trop large, et l’a donc déclinée en d’autres thématiques venant spécifier divers aspects de l’appropriation : « La notion d’appropriation s’est déclinée en d’autres notions connexes comme celles de ségrégation / agrégation spatiale mais aussi de détournement et de réappropriation, mettant en évidence la capacité des habitants à redéfinir les usages et l’organisation d’un espace qui ne leur convient pas » 257 . Cette analyse rejoint le projet étudié Nemausus de Jean Nouvel, conçu sous une logique rationaliste, étrangère à la culture de l’habiter qu'avaient les personnes qui se sont réappropriés les lieux. Ensuite, Jodelle Zetlaoui-Léger aborde les modalités d'interaction avec l’environnement : « Comment sont aujourd'hui questionnées les problématiques de continuité et de rupture dans la transformation des modes d'habiter à travers la question de l’appropriation ? »258 L’auteure explique une possibilité d'appropriation favorisée par diverses expérimentations mais précise que celle-ci peut conduire à la dérive d’une appropriation par certains groupes sociaux excluant les autres habitants. « Si la notion d’appropriation a émergé dans la recherche urbaine en désignant un rapport positif de l’individu à son environnement lui permettant d’être et d’habiter en s’affranchissant des contraintes techniques d’une 251
Le Corbusier et Congrès international d’architecture moderne-CIAM, La charte d’Athènes, Paris, France, 1941. François Dubet et Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Paris, France, Éditions du Seuil, 1992, p. 45. 253 Mathias Rollot, Florian Guérant, Dominique Gauzin-Müller, et al., op. cit. 254 Ibid., p. 6. 255 Ibid., p. 6. 256 Jodelle Zetlaoui-Leger, op. cit. 257 Ibid., p. 5. 258 Ibid., p. 6. 252
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production normalisée, elle est aussi apparue progressivement avec une connotation plus négative. La mainmise de groupes sociaux sur certains territoires pour y imposer leur loi voire y développer des pratiques délictueuses sont analysées comme des formes d'appropriation nuisibles, s’organisant au détriment des autres habitants ».259 J. Zetlaoui-Léger aborde enfin les modes de déplacement et d’habiter comme ayant un impact sur leur environnement et s’interroge sur l’orientation à apporter à priori ou la liberté à laisser en ce domaine. « Se pose alors la question de la façon dont on perçoit la construction des relations entre l’homme et son milieu. »260 Guy Tapie présente quant à lui dans Sociologie de l'habitat contemporain, Vivre l'architecture, 261 en quoi certains projets architecturaux et urbanistiques contemporains, et surtout les pratiques des habitants, sont le reflet d’évolutions importantes de nos modes de vie. Dans l’interview « La résidence sécurisée témoigne de l'échec du vivre-ensemble »262 du journal Le Monde, Guy Tapie est questionné sur la sociologie de l'habitat contemporain, il exprime à travers cet interview que l’habitat rêvé du XXIème siècle tend vers une montée de l’individualisme : « Les motivations pour choisir son habitat aujourd'hui sont davantage guidées par l'individualisme que par le vivre-ensemble. »263 Selon lui, le logement collectif tente de répondre aux attentes modernes de l’habitat, il ajoute que « La société moderne a besoin de vivre l'habitat comme un espace à soi, sécurisant psychologiquement, dans lequel on exerce son libre arbitre. Si après la guerre on cherchait le confort, désormais, on est en quête de bien-être. Le domicile devient une base de repli où l'on crée ses propres repères et d'où l'on part explorer le monde. »264 Il imagine pour le XXIe siècle des logements « proches les uns des autres, dotés de terrasses ou de petits jardins qui allient individualité et vie collective, ils doivent s'installer dans l'imaginaire comme des formes hybrides et des alternatives à la maison individuelle ».265 Enfin Yankel Fijalkow, évoque la priorité d’aujourd’hui qui est devenue le bien-être et rejoint ainsi les pensées de Guy Tapie comme l’exprime cette citation issue de son livre Du confort au bonheur d’habiter : « Néanmoins, la qualité de l’habiter a trop souvent été associée à la notion de confort qui, depuis le milieu du XXème siècle justifie l’action des constructeurs et des politiques. Or, si la réponse équipementière à la question sanitaire était alors adaptée, le bonheur d’habiter contemporain s’inscrit dans une perspective plus large. Dans les années 1950, la notion de confort s’exprimait par la construction de tours et de barres équipées du confort moderne. Dans les années 1970 on considérait que le chauffage central relevait du confort. Aujourd’hui, celle-ci relève d’une grande diversité d’équipements contrôlant les ouvertures, l’énergie et les circulations. Que signifie cette évolution pour les habitants ? »266
B. « L’Habitant » contemporain Pour comprendre l’évolution de l’appropriation au sein du logement collectif contemporain, il est intéressant d’observer les changements de modes de vie qui se sont produits ces dernières décennies, en prenant en compte l'actualité sociétale mais aussi les habitudes individuelles. Dans le livre Initiation à l’architecture, à l’urbanisme et à la construction 267 de l’urbaniste Florent Herouard, l’auteur propose une réflexion sur l’habitat contemporain « Alors que prolifèrent les études sur le logement ou
259
Ibid. Ibid. 261 Guy Tapie, Sociologie de l’habitat contemporain: vivre l’architecture, Marseille, France, Éditions Parenthèses, 2014. 262 Marie Godfrain, Guy Tapie : « La résidence sécurisée témoigne de l’échec du vivre-ensemble », en ligne, <https://www.lemonde.fr/mactu/article/2014/08/01/guy-tapie-la-residence-securisee-temoigne-de-l-echec-du-vivre-ensemble_4464997_4497186.html?fbclid=IwAR3M82KzGAtaiIAtkTYxUGP19hW6QLJ6yLCbroLm7O8PJ3TBcvzUrYf5LA>, consulté le 1 mai 2021. 263 Ibid. 264 Ibid. 265 Ibid. 266 Yankel Fijalkow, op. cit. 267 Florent Herouard, Initiation à l’architecture, à l’urbanisme et à la construction: l’essentiel pour aborder le logement et l’habitat, Antony, France, Editions le Moniteur, 2017. 260
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sur les types d’habitat, la multiplication des études sur l’habiter pourrait favoriser l’amélioration des situations les plus précaires par une prise de conscience des professionnels et des politiciens » .268 Comme nous l’avons vu dans la première partie, avec Bachelard qui énonce « Qu’il faut vivre pour bâtir sa maison et non bâtir sa maison pour y vivre »269 ici, l’auteur cite le philosophe Thierry Paquot270 qui lance un appel aux architectes et urbanistes pour qu’ils prennent conscience de cet état de fait. Une meilleure connaissance des modes d’habiter, leur permettrait peut-être de mieux comprendre leur propre habitat et ainsi tendre vers la constitution d’espaces favorisant l’expression du bien-être en lien avec la société contemporaine. Pour mieux comprendre l’évolution familiale le reportage « 1999 Evolution famille française » 271 diffusé sur France 2, le 07 juillet 1999, représente cette évolution en 3 périodes : Les années 50 représentant les familles nombreuses «40% des foyers comptent 3 enfants et plus, maman ne travaille pas et tout le monde vit sous le même toit ». Puis arrivent les années 70, il y a une revendication de liberté individuelle « On rentre dans un modèle familial où chacun va vouloir sa vie à lui », on apprend qu’en quelques années tout change, la contraception se généralise en 1967 réduisant le nombre d’enfants par famille, créant le noyau familial « standard », soit deux parents deux enfants… De plus, la femme quitte le foyer pour aller travailler « La femme a modifié la cellule familiale et redéfini la place de l’homme, la place de chacun est en redéfinition ». Puis viennent les années 90, avec une grande augmentation du nombre des divorces « un tiers des couples mariés se sépare en France ». On constate en parallèle une diminution du mariage laissant place aux unions libres « 13% des familles sont dites monoparentales, mais d’autres familles se recomposent » créant de nouvelles cellules familiales plus complexes : la famille tribu « C’est l'avènement d’une nouvelle famille, unie par nécessité pour résister à la crise »272. Le livre de Pierre Merlin, intitulé La famille éclate, le logement s’adapte273 dans lequel il tente de répondre à la question « La politique du logement doit-elle répondre à toutes les situations, accueillir les divers modes de vie familiale, favoriser la fluidité du parc de logements, contribuer à la renaissance de l'urbanité ? »274 Pour cela il présente l'évolution des familles, résumée dans l'émission analysée, cependant il complète avec de nombreuses informations, en appuyant davantage sur le fait que le logement doit s’adapter aux nouveaux modes de vie pour répondre aux attentes des habitants, justifiant une meilleure appropriation de leur chez soi. En effet, selon P. Merlin de multiples crises vont impacter nos nouvelles manières d’habiter conduisant à une cohabitation croissante, la diminution des grandes familles, l’internalisation des actions liées aux loisirs, créant des activités et des comportements non synchronisés au sein du logement. Il explique que la famille n'est plus un arbre car elle évolue aujourd’hui de manière rapide et complexe : « ses transformations ne sont plus à l'échelle des siècles, ni même à celle des générations, mais à celle de quelques années. Le cycle de vie traditionnel était linéaire : mariage, naissance et éducation des enfants, essaimage de ceux-ci, vieillesse. Il tend à s'y substituer des cycles complexes, composés de cycles incomplets, sans régularité »275 Il explique que le logement doit donc aujourd’hui prendre en compte cette flexibilité familiale et s’adapter au changement de comportement déviant le schéma traditionnel comme « la cohabitation et la décohabitation de jeunes couples, la montée de la divortialité et la fragilité des couples, mariés ou non et pour finir le comportement des personnes âgées qui aspirent surtout à conserver leur cadre de vie. »276 Depuis ces dernières décennies les modes de vie ont beaucoup évolué, ce qui nécessite de revoir la distribution de l'intérieur du logement pour « proposer des espaces plus adaptés à de nouvelles formes de groupe 268
Ibid., p. 95. Gaston Bachelard, op. cit. 270 Thierry Paquot, Un philosophe en ville: essais, Gollion (Suisse), Suisse, Infolio, 2016, p. 237. 271 Institut National de l’Audiovisuel-Ina.fr, « Evolution famille française », Ina.fr, en ligne, <http://www.ina.fr/video/CAB99028576>, consulté le 2 mai 2021. 272 Ibid. 273 Pierre Merlin, La Famille éclate, le logement s’adapte, Paris, France, Syros-Alternatives, 1990. 274 Ibid., p. 23. 275 Ibid. 276 Ibid. 269
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domestique » à des modes d'interaction entre les personnes qui sont en évolution. L'habitat doit pouvoir s'adapter aux « rythmes actuels de la vie quotidienne, à des formes de loisir, de travail et de consommation en mutation. » 277 Le rôle de l'architecte est donc de pouvoir imaginer des hypothèses différentes qui viennent proposer un logement qui s'adapte aux habitants actuels et dans le futur. Comme nous l’avons constaté, la structure familiale a extrêmement évolué en un siècle, je suppose que la notion d’appropriation est remise en question en lien avec son époque. Cela est notamment dû, selon Ronan Lacroix,278 à la déconnexion avec l’habitant lors de la conception, il explique que les logements collectifs mis en œuvre aujourd’hui ne semblent plus correspondre à l’évolution des modes de vie contemporains. « En pré définissant le logement de manière si figée, nous enfermons l’ensemble de la population dans un modèle limité et homogène de mode de vie. Or la réalité à laquelle il renvoie n’est pas en lien avec la diversité des pratiques, des modèles familiaux, des cultures que regroupe la population française. Nous participons ainsi à générer un sentiment de frustration dans l’ensemble de la population qui peine à s’épanouir au sein même de son propre foyer. »279 Il exprime donc « l’urgence de la révision de notre processus de fabrication de l’habitat. »280 En reprenant le livre collectif Repenser l’habitat, je m'intéresse ici à la partie écrite par l’architecte Florian Guérant, il tente de répondre à la problématique suivante « Nous est-il possible alors d’imaginer une façon d’envisager le logement autrement, afin d’ouvrir d’autres possibles ? » 281 Il explique que les logements sont entrés dans une standardisation de conception basée sur le principe typologique et qu’il y a une équation complexe dont le tout doit accueillir et faciliter des pratiques habitantes qui ne sont pas entièrement prévisibles. « Dans des sociétés dans lesquelles la conception du foyer traditionnel – couples et enfants – se délitent pour laisser place à un ensemble plus varié de situations – familles recomposées, étudiant, jeune adulte célibataire ou personne âgée… - le renouvellement de la typologie des logements constitue une quête difficile qu'entreprennent quelques architectes, promoteurs et bailleurs courageux. »282 Il poursuit en détaillant : « Les T1 feront 28 mètres carrés, les T2 45 mètres carrés, les T3 64 mètres carrés, les T4 78 mètres carrés et les T5 92 mètres carrés. Les proportions de répartition de ces appartements seront de 5 %, 20 %, 45 %, 25 % et 5 %” ainsi que les attentes des promoteurs immobiliers et les normes imposées. « Les logements répondront aux normes d’accessibilité PMR (personnes à mobilité réduite) définissant quasiment les dimensions des pièces humides, chambres et entrée.» 283 Il complète son propos sur les réglementations : « Les normes et standards fixés, répondant à des préoccupations légitimes, ne doivent pas non plus conduire à dissoudre l’essence même du travail de l’architecte : créer des espaces à vivre, des lieux aisément appropriables, où les usages peuvent ainsi se combiner et s’alterner. L’un des enjeux environnementaux et économiques d’aujourd’hui est aussi – on oublie souvent de le dire – de construire plus petit et plus compact, mais sans que la qualité spatiale n’en souffre. »284 Il conclut donc qu’il faut penser autrement « Nous ne pouvons deviner comment nous vivrons dans cinquante ou cent ans, quels seront nos modes de vie ou nos besoins. Cependant nous pouvons partir de l’hypothèse que certains besoins existeront toujours, car ils persistent dans l’histoire et que nous ne serons toujours pas tous identiques. Il nous faut donc concevoir des lieux d’habitation qui répondent à une certaine universalité, et en même temps, proposent diverses spécificités qui toucheront plus l’un ou l’autre, avec une ouverture à des appropriations possibles. ».285 Il y a donc eu un changement dans les demandes des habitants liées à l’évolution sociétale.
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Monique Eleb et Philippe Simon, Le logement contemporain: entre confort, désir et normes, 1995-2012, Bruxelles, Belgique, Mardaga, 2013, p. 134. Ronan Lacroix, loc. cit. 279 Ibid. 280 Ibid. 281 Mathias Rollot, Florian Guérant, Dominique Gauzin-Müller, et al., op. cit., p. 8. 282 Ibid. 283 Ibid., p. 21. 284 Ibid., p. 85. 285 Ibid., p. 24. 278
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C. Émancipation vers de nouveaux types de conceptions Les concepteurs ont élaboré de nouveaux types d’habitats répondant à une nouvelle société et à de nouveaux modes de vie. Dans le livre derniers domiciles connus, Jean-Michel Léger exprime « Après une folle décennie (7080) d’innovation dans la conception du logement qui a vu naitre le pire comme le meilleur, l’abandon des recherches sur la cellule fait apparaitre comme des nouveautés l’agrandissement des cuisines et l’éclairage naturel de la salle de bains. Les architectes s’excusent de présenter des cellules « classiques », qui sont effectivement plus conformes à la moyenne des usages mais qui, compte tenu de la baisse de qualité de leur réalisation, constituent une régression. »286 L’agence d'architecture Lemerou fondée en 1999 à Paris, se concentre sur la fabrique du logement. À l'occasion de leur 20ème anniversaire, ils interrogent, à travers une exposition, ce qui reste d’espace de liberté dans l’habitat. Je me suis basé sur l'article « Nous devons débattre davantage de l’appropriation du logement par ses habitants »287 du journal numérique le Moniteur dans lequel ils remettent en question cette nécessité de libre appropriation des habitants de leurs habitats. Grâce à sa longue expérience dans le domaine de l’habitat collectif, l’agence propose un regard critique sur la production actuelle : « Le premier des constats est que la surface des logements s’est beaucoup réduite. Si bien que des fonctions annexes, qui ne sont ni dormir, ni manger, ne trouvent plus leur place. Par exemple, les gens qui aiment faire du bricolage n’ont plus d’espace pour cela. D’autant que nous avons observé un phénomène de standardisation puissant. Il est devenu difficile de s’approprier son logement, d’y développer des usages non prévus. Alors nous nous interrogeons : comment redonner une liberté d’habiter ? »288 Ils invitent à requestionner cette notion qui selon eux devrait être bien davantage débattue et saluent le travail de Sophie Delhay ayant poussé ses réflexions, proposant une nouvelle expérimentation de l’habitat collectif que nous analyserons par la suite. Aujourd'hui, selon les écrits de Monique Eleb dans son livre Entre conforts, désir et normes, le logement contemporain289, on apprend que la production de logements collectifs est de plus en plus soumise à l'application de normes et réglementations limitant les expérimentations, cela influence grandement la production architecturale tout en renforçant la standardisation de l’habitat. La notion d’appropriation du logement collectif contemporain semble limitée et plus complexe à atteindre, notamment par l’application de ses nouvelles normes, freinant les expérimentations contemporaines à se limiter à copier un standard normé qui ne correspond plus aux attentes modernes. Comme l’affirme l’architecte Ronan Lacroix dans son livre Logement collectif, réflexion pour aujourd’hui et demain290, les architectes se limitent à reproduire les mêmes plans, les mêmes propositions architecturales. La question de l’habitat et son habitant passent au second plan, car il y a diverses contraintes à appliquer qui ne semblent plus trop laisser de place à la modification de modèles préconçus engendrant une privation de liberté à laquelle les concepteurs doivent se confronter. Pour ce faire, certains architectes contemporains acceptent de relever le défi de mettre l’habitant au premier plan dans le processus de conception, cherchant une manière de proposer de nouvelles façons de concevoir. Pour m’informer de ces évolutions, je me suis intéressé à la conférence La conception du logement : nouveaux modes de vie, nouvelles typologies 291 qui s'est déroulée à la cité de l’architecture et du patrimoine le jeudi 21 286
Jean-Michel Léger, op. cit., p. 8. Marie-Douce Albert, loc. cit. 288 Ibid. 289 Monique Eleb et Philippe Simon, op. cit. 290 Ronan Lacroix, loc. cit. 291 Martin Lepoutre, « Conférence : La conception du logement : nouveaux modes de vie, nouvelles typologies », cite de l’architecture, 2019, en ligne, <http://www.citedelarchitecture.fr/fr/evenement/la-conception-du-logement-nouveaux-modes-de-vie-nouvelles-typologies>, consulté le 30 avril 2021. 287
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novembre 2019. Présentée par l’architecte Martin Lepoutre, elle réunissait les cinq architectes : Gricha Bourbouze, Sophie Delhay , Matthias Heinz , Charles-Henri Tachon , Jean-Paul Jaccaud présentant leurs différentes recherches sur l’évolution du logement collectif contemporain. Ils requestionnent la place de l’appropriation en mettant l’habitant au premier plan dans les conceptions futures, pratique encore trop peu présente en France en comparaison de nos voisins Suisses pour qui la question est déjà au centre des priorités. La conférence sera plus amplement décrite en Annexe 5 : page 91-92. A la fin de la conférence les questions s'ouvrent vers le public afin de le questionner sur « Comment voyez-vous le logement de demain ? » Les participants questionnent : « Ne serait-ce pas plus intéressant d'intégrer l’habitant dès la conception? » Les architectes répondent à cela que c’est très complexe aujourd’hui en tant qu’architecte concepteur de logements collectifs d’atteindre les habitants, contrairement à une demande de logements privés. Gricha Bourbouze s’exprime en disant « la question du logement collectif c’est une question plus complexe elle intègre la question de l’usage mais multiplié, standardisé, idéalisé et potentiellement évolutif. Donc nous en général, c’est très naïf mais on conçoit nos logements pour nous en faisant en sorte qu’on ait envie d’habiter ce que l’on conçoit ». La conférence se conclut avec ces mots « Le logement collectif c’est le laboratoire de l’architecture plus que jamais »292. L'architecte Patrick Bouchain ouvre à une réflexion sur la mise en avant de l’homme dans son habitat, bien que ce soit dans une vision d’habitat social individuel ; il reprend des principes de participation que nous avons vus avec l’architecte Lucien Kroll, ces derniers ont d’ailleurs collaboré ensemble.
292
Ibid.
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PATRICK BOUCHAIN, CONSTRUIRE ENSEMBLE LE GRAND ENSEMBLE 293 L'architecte, urbaniste Patrick Bouchain a pratiqué avec l'agence Construire, qu'il a fondée en 1986, une architecture qu’il revendique « HQH » (« Haute Qualité Humaine ») 294. Dans l’article écrit par Michel Guerrin295 dans le journal Le Monde, il est surnommé « L’architecte qui aime les gens ». On y apprend que dès le début de sa carrière, il a repensé la construction pour essayer de faire autrement. Il est à la fois un pionnier de la réhabilitation d’anciens lieux industriels qu’il transforme en lieux culturels, et un apôtre de la construction participative : Pour lui, l’architecte ne doit pas imposer son « geste » mais travailler avec le commanditaire, les occupants, les gens et animateurs du quartier. Il est notamment connu pour les différents espaces culturels qu’il a conçus comme : Le lieu unique à Nantes, la Condition publique à Roubaix, le Channel à Calais. Il a écrit en partenariat avec les architectes : Loïc Julienne, Nicole Concordet, Sébastien Eymard, Chloé Bodart et Denis Favret l’ouvrage Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement 296 qui m'a permis de faire une grande partie de l’analyse de son travail. Cet ouvrage cherche à démontrer que l'acte de bâtir la ville aujourd'hui est une affaire de spécialistes, n'impliquant pas les premiers concernés : les habitants, ceux à qui sont destinées les constructions sont exclus du processus d’élaboration : « Passifs, ils subissent leur logement comme une fatalité. Le désenchantement qui qualifie le parc locatif social en est une conséquence. C'est en partant de ce constat alarmant qu’est née cette tentative de réinventer la production et la gestion de l'habitat collectif. Convaincu du potentiel civique d'une participation des citoyens à son élaboration, les acteurs du grand ensemble proposent ni plus ni moins une mise à plat d'une partie des normes et des habitudes qui freine aujourd'hui les évolutions de la construction ».297 Ils expérimentent en conséquence une autre façon de produire et de gérer l'habitat social. L'équipe est convaincue du potentiel civique des citoyens pour participer à une réflexion commune cherchant à répondre aux deux questions : Comment mieux vivre ensemble ? Comment faire pour inclure dans la fabrique des villes les enjeux environnementaux, autrement que par des lois ? Dans la préface, Patrick Bouchain énonce qu'en France 7 millions de personnes vivent avec moins de 800 € par mois et 13 millions de personnes vivent dans des logements sociaux où nulle appropriation n’est autorisée. Il refuse de croire qu'en démolissant une partie des grands ensembles, on va créer du lien social par une nouvelle architecture. Il considère comme un gâchis la démolition des logements sociaux et propose, comme il l’a fait dans le quartier du chemin vert de Boulogne sur mer, de les réhabiliter avec les habitants. Il sauve ainsi des maisons de la démolition et travaille avec les habitants à leur restauration. Il milite pour une méthode collaborative avec habitants, ouvriers, architectes, permettant de définir une action collective, Pour ce faire, une architecte de son équipe est allée vivre avec les gens dans leur quartier à Boulogne sur mer pour la rénovation de 60 maisons locatives sociales rue Delacroix, plateau du chemin vert et a réfléchi avec eux à leurs besoins individuels. Sa méthode est la suivante : Partir d’un bâtiment existant, faire participer les futurs occupants ou encore contourner les normes. C’est l’objectif du « Permis de faire »298, article de la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » promulguée en juillet 2016 qui permet aux architectes d’expérimenter en dérogeant à certaines règles car ils sont moins limités par les normes. Le Permis de faire est un article de la loi « liberté de création » dont l'idée principale est que toute œuvre commencée doit être terminée pour être jugée. 293
Patrick Bouchain, Construire ensemble le grand ensemble: habiter autrement, Arles, France, Actes Sud, 2010. Biographie : Patrick Bouchain, Frac centre, en ligne, <https://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/bouchain-patrick-58.html?authID=411>, consulté le 2 mai 2021. 295 Michel Guerrin, « L’architecte qui aime les gens », Le Monde.fr, 10 octobre 2014. 296 Patrick Bouchain, op. cit. 297 Ibid., p. 8. 298 Ibid., p. 29. 294
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La Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine énonce : « Une ambition nouvelle pour l’architecture, en rappelant l’enjeu de la qualité architecturale, qui constitue le cadre de vie des Français, et en prévoyant une possibilité de dérogation limitée et encadrée aux règles d’urbanisme pour les projets de création architecturale »299 « L'article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) prévoit qu’à titre expérimental et pour une durée de sept ans, les personnes publiques (Etat, collectivités territoriales, organismes HLM, sociétés d'économie mixte et sociétés publiques locales) peuvent, pour la réalisation d'équipements publics et de logements sociaux, déroger à certaines règles de construction dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles ». 300 Le travail de réhabilitation sur un bâtiment existant permet de nombreuses améliorations menant à une réappropriation de la part des habitants. De plus cette démarche s’inscrit dans une dimension écologique de revalorisation de la surface bâtie afin de limiter l’étalement urbain. Nous avons vu le travail appliqué sur de la maison individuelle facilitant le cas par cas, cependant d’autres architectes relèvent le défi d’intervenir sur des logements collectifs. Nous allons voir l’exemple de Lacaton et Vassal qui ont établi différents procédés permettant l’intervention sur des grands ensembles, avec un exemple fortement médiatisé la Tour bois le prêtre s’inscrivant dans la même démarche que Patrick Bouchain, centrée sur la question : Pourquoi détruire au lieu de valoriser le bâti existant en prenant en compte l’avis des habitants ? Aujourd’hui la notion d’appropriation est au cœur des problématiques de l’habitat contemporain prônant le bien-être de l’habitant. Nous allons voir deux projets d’architectes contemporains traitant cette nouvelle notion dans le processus de conception dans les années 2000. Ils font partie des pionniers qui revendiquent le droit à l’appropriation par les habitants. Ce qui m'intéresse ici, c’est de traiter deux sujets différents : -
Le projet d'une réhabilitation d’un ancien logement collectif de la Tour du bois le prêtre des architectes Lacaton et Vassal, visant une meilleure appropriation par ses habitants, entraînant la valorisation de leur qualité de vie. Ce principe de réhabilitation sur l’existant de Patrick Bouchain est ici appliqué à un logement collectif.
-
Le projet d’une construction neuve, celle des architectes Champenois et Hauvette proposant le projet d’Eden square.
299
LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine - Dossiers législatifs - Légifrance, en ligne, <https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000030857456/>, consulté le 2 mai 2021. 300 Permis de faire : l’expérimentation issue de la loi LCAP est en marche, mai 2017.
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Lacaton & Vassal, Projet de Rénovation Tour Bois-le-Prêtre Nom du projet : Rénovation Tour Bois-le-Prêtre Localisation : Paris Architectes : Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal Année de construction : 2011 Rapport à la notion d’appropriation : Réhabilitation d’un existant301 Fig 31. Boureau (David), Tour Bois-Le-Prêtre, Druot et Lacaton
& Vassal, Photographie vue d'ensemble, 2011, Paris 301
Les projets de réhabilitation de Lacaton et Vassal lors de l'exposition Habitarium 302 à la condition publique de Roubaix en 2018. L'une des problématiques relevées lors de cette exposition était « Que faire avec les grands ensembles ? » Cette partie de l’exposition présente l’histoire des grands ensembles expliquant qu’ils avaient été initialement imaginés dans les années 1950 afin de répondre à la crise du logement d'après-guerre et aux besoins des collectivités comme nous avons pu le définir dans la partie précédente. Ces bâtiments sont devenus des monuments symboles d’une génération et l’enjeu de débats et de polémiques posant aujourd’hui un certain nombre de questions : Reprenant les questionnements énoncés dans l’exposition Habitarium précédemment présentée « Comment rénover plutôt que détruire ? Comment être ensemble dans un grand ensemble ? Comment tirer leçon des erreurs du passé et construire des logements collectifs et sociaux qui délèguent à leurs habitants une meilleure maîtrise d’usage et d’appropriation des lieux ? »303 Ils ont donc présenté le travail des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal qui sont tous deux fortement opposés à la politique de démolition-reconstruction des grands ensembles de logements collectifs. Ils ont proposé plusieurs projets de réhabilitation d’anciennes cités en s'intéressant à la transformation d’un patrimoine existant. À la Cité Tour Bois-le-Prêtre à Paris, 100 logements d’habitations ont été métamorphosés et sont devenus le point de départ de nouvelles façons d’habiter et de vivre dans la ville. « Leurs imaginaires de transformation invite à un changement de regard sur les grands ensembles de logements sociaux » 304 . Les constructions historiques présentent certaines caractéristiques de l'état existant, intéressantes mais à réinterroger. Ils vont réaliser plusieurs projets partant du même principe. « Le projet consiste en la transformation radicale des conditions de confort et d’habitabilité des 100 logements de l’immeuble occupé. La tour construite en 1962 par l’architecte Raymond Lopez, développe sur 50 m de hauteur, 16 niveaux desservant chacun 4 ou 8 logements. »305 Les architectes proposent un agrandissement des appartements par l’ajout d’extensions chauffées, de jardins d’hiver et de balcons grâce à la création de nouveaux planchers sur toute la périphérie de la tour, qui permettront d’agrandir la surface. Les modifications visent à améliorer le confort, la lumière naturelle et les vues dans les appartements et de réduire significativement la dépense énergétique de chauffage d’environ 50% causée par les anciennes façades. Le défi est de laisser les habitants dans leurs logements durant le temps des travaux. « Cette nouvelle organisation des surfaces et des améliorations techniques précises permet d’adapter l’offre locative en répondant par la création de nouvelles typologies aux besoins des familles » 306 améliorant ainsi la notion d'appropriation au sein d'un immeuble existant où cette dernière n'était pas valorisée.
301
« Equerre d’argent 2011 / lauréat - druot et lacaton vassal - réhabilitation de la tour d’habitation bois-le-prêtre- AMC Architecture », AMC Archi, en ligne, <https://www.amc-archi.com/article/equerre-d-argent-2011-laureat-druot-et-lacaton-vassal-rehabilitation-de-la-tour-d-habitation-bois-lepretre,21>, consulté le 22 mai 2021. 302 La condition publique, Dossier de Presse, Habitarium, La Condition Publique, 2018. 303 Ibid., p. 22. 304 Ibid., p. 24. 305 Frederic Druot, Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal, Transformation de la tour bois le prêtre, PARIS 17, p. 2. 306 Ibid.
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Fig 32. Lacaton (Anne) et Vassal (Jean-Philippe), Documents de présentation du projet de transformation de la Tour Bois le Prêtre, Paris, 2011
Fig 33. Ruault (Philippe) , Photographie de l’appropriation par les habitants, Paris, 2011
Ces illustrations collectées sur le site de l’agence mettent en valeur le processus de réhabilitation du bâtiment existant afin de proposer une nouvelle appropriation. Cette dernière est rendue possible par un traitement en façade et une requalification des espaces existants. Dans le film documentaire Habitations Légèrement Modifiées307 de Guillaume Meigneux qui présente le témoignage de différents habitants qui révèlent, par la lente mutation de ces lieux de vie chargés d’histoires, l’attachement que nous entretenons tous avec nos intérieurs et le rapport à l’appropriation du chez soi. Le témoignage le plus marquant est celui d’une femme âgée, doyenne de la tour, Mme Hamdaoui âgée de 95 ans vivant dans son logement depuis la construction de la tour. Ne faisant plus qu’un avec son logement, elle a dû abandonner ses habitudes pendant cette rénovation qui, au premier abord, ne l’enchantait pas du tout « Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Y'a que les balcons qui sont bien, c’est tout, mais le reste c’est pas bien »308. Cependant, une fois la transformation faite, elle a réussi à se réapproprier le lieu en mettant en usage le jardin d'hiver où elle passe la plupart de son temps. « Toute la journée je me bronze (rire) »309.
307
Guillaume Meigneux, Documentaire. Ibid. 309 Ibid. 308
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Christian Hauvette et Pierre Champenois, EDEN SQUARE Nom du projet : EDEN SQUARE Localisation : Chantepie Architectes : Christian Hauvette et Pierre Champenois Année de construction : 2012 Rapport à la notion d’appropriation : Plan libre d’appropriation Fig 34. Foucher-Dufoix (Valérie) , Vue de la serre depuis la coursive du premier étage, Chantepie, 2017 310
Pour ce projet, j’ai collecté mes informations dans l’article de Valérie Foucher-Dufoix et Laetitia Overney issu des cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère 311 , portant sur l’étude du projet, un immeuble bioclimatique de 87 logements organisés autour d’une serre végétalisée, dans l’agglomération de Rennes. Le projet de l’Eden Square propose une expérimentation de l’habitat afin de s’adapter au plus proche des attentes de l’habitant contemporain, en répondant au besoin d’intimité dans un collectif, tout en offrant la possibilité d’appropriation des habitants, sans attribuer de fonctions aux pièces ; laissant ainsi la possibilité aux habitants d’adapter le logement à leurs attentes. Dans la présentation du projet les architectes nous livrent « Nous avons conçu ce bâtiment pour le XXIème siècle, comme une utopie sociale et écologique. Le grand jardin bioclimatique central est autant une machine passive de climatisation qu’un bonheur à vivre partagé par tous. »312 Dans la description ils proposent un texte dans lequel on se projette facilement dans l’univers du projet où on sent que l’appropriation se fait dès l’entrée du bâtiment constituant la prémisse du chez-soi qui s’ouvre sur l'extérieur créant un seuil entre la rue et son entrée : « Accéder à son logement est une promenade au travers de strates végétales exotiques. On peut caresser les feuillages en empruntant ces passerelles suspendues à hauteur de canopée. Ici un logement traversant c’est avant tout un séjour double orientation : jardin protégé d’un côté, calme bucolique de Chantepie de l’autre. Le toit, grand pont en bois avec vue sur les environs, est aussi une promenade, un chemin de ronde autour de la verrière qui dessert l’étage des duplex. » 313 V. Foucher-Dufoix et L. Overney tentent à travers leur article de répondre à la problématique « Comment les habitants vivent et perçoivent-ils réellement le projet ? »314. L’article s’appuie sur une enquête sociologique réalisée entre 2017 et 2019, auprès des habitants de l’immeuble. La méthode utilisée s’inscrit dans la continuité des travaux relatifs au logement collectif de Jean-Michel Léger dans son livre Derniers domiciles connus 315 . Ici les architectes démontrent comment le plaisir d’habiter ces espaces tient avant tout à l’expérience sensorielle, à l’agrément du parcours, aux performances thermiques, au confort des logements et à leur liberté d’appropriation, sans pour autant générer de vie collective particulière. « La situation est vécue très différemment entre les habitants qui peuvent choisir pleinement la destination des pièces donnant sur serre »316
310
Valérie Foucher-Dufoix et Laetitia Overney, « Habiter sur serre à Eden Square. Un espace collectif tempéré à l’épreuve de ses habitants », Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, no 6, Ministère de la culture, novembre 2019. 311 Ibid. 312 « Chantepie 87 logements bioclimatiques », Champenois Architectes, en ligne, <http://www.champenoisarchitectes.fr/projects/chantepie-87logements-bioclimatiques/>, consulté le 4 mai 2021. 313 Ibid. 314 Valérie Foucher-Dufoix et Laetitia Overney, loc. cit. 315 Jean-Michel Léger, op. cit. 316 Valérie Foucher-Dufoix et Laetitia Overney, loc. cit.
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317
Fig 35. Lavayssière (Julie) , Relevé habité, illustration des interview menées sur l’appropriation du projet par ses habitants, Chantepie, 2017
319
L’article318 présente une restitution de deux appartements afin d’en démontrer la liberté d’appropriation par ses occupants, visible ci-dessus. « Dans la première illustration, la chambre donnant sur serre est bien perçue comme sombre mais devient dans la plupart des cas la « pièce en plus » grâce à la sous occupation du logement. Elle est utilisée comme chambre d’appoint, bureau, dressing ou encore débarras. » 319 L’habitant témoigne en justifiant son choix de disposition : « C’était dommage de se mettre dans l’ombre. On a hésité parce que la personne d’avant avait son lit côté serre. Et le bureau de l’autre côté. Nous, on a inversé ! (Jeune couple, T3, 2e étage) »320. Il y a donc ici une volonté d'améliorer la notion d'appropriation au sein du logement grâce à cette liberté d’action dans le choix des pièces, aidant au bien-être de ses habitants ayant tous des envies variées. « Un autre jeune couple désigne clairement le séjour et son balcon, très investi avec de nombreux aménagements, comme la véritable pièce de vie, avec cette « ouverture sur l’extérieur (...) plein Sud », contrastant avec le « côté sombre » réservé au débarras sur serre. Un choix que vient confirmer cet autre locataire : « C’est une pièce en plus dans laquelle on se fout un peu de comment c’est rangé. On ne vit pas de ce côté en fait » (jeune homme vivant en couple, T3, 1er étage). »321 Cependant il ne faut pas toujours tirer de généralités car dans d’autres cas étudiés, la pièce sur serre a été choisie comme chambre principale, surtout pour « son calme », comme le montre la seconde illustration.
317
Valérie Foucher-Dufoix et Laetitia Overney, loc. cit. Ibid. 319 Ibid. 320 Ibid. 321 Ibid. 318
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2. MACHU PICCHU DE SOPHIE DELHAY A. Les pensées du concepteur Sophie Delhay 322 s’intéresse à l’appropriation dans ses créations principalement ancrées dans le domaine du logement social. Dans une société où la conception du foyer traditionnel évolue comme nous l’avons vu précédemment, Sophie Delhay prend une place importante dans l'expérimentation contemporaine du logement collectif en France. Elle obtient notamment le prix d’équerre d'argent, catégorie habitat en 2019 pour son projet de la résidence Quadrata, constitué de 40 logements sociaux modulables et comprenant un espace partagé dans la ville de Dijon. Dans ce projet elle a appliqué la plupart des expérimentations qu'elle avait menées jusqu'alors, créant ainsi un projet complètement abouti plaçant l'habitant au cœur de l'habitat. J'ai choisi pour mon étude le projet Machu Picchu situé à Fives pour y mener une enquête auprès de ses habitants.
Fig 37. Photographie de l’architecte Sophie Delhay 322
Dans l'interview de l'École spéciale d'architecture qui a eu lieu le 11 mars 2019, l'architecte présente sa manière de travailler ainsi que ses pensées quant à l’architecture, lors d’une conférence nommée « Le logement espace de liberté ».323 Elle commence par présenter des images qui font sens pour elle dans l'architecture. L'une de ses premières images est une photo détaillée d’un tissu en dentelle. Elle explique que dans l'architecture du logement collectif particulièrement, il y a un programme très détaillé, avec une multitude de pièces à connecter les unes aux autres. Elle compare donc son travail d’architecte à celui d’une tisseuse qui doit travailler dans le détail et constituer un motif qui tienne la route malgré toutes les difficultés qu’elle va rencontrer dans le projet. Puis elle présente une illustration de l'architecte Yamamoto qui parle de l’évolution de la société. Elle explique qu’aujourd'hui, quand on est architecte, on est confronté à des programmes de logements qui sont issus d'une idée de la société des années 60. Les différentes typologies correspondent à des familles traditionnelles, alors qu'aujourd'hui en fait la société évolue et les générations deviennent donc plus complexes et inconnues, et surtout inadaptées comme nous l’avons vu dans la partie liée à l’évolution de l’habitant. Sophie Delhay concentre son travail sur les usages de l’architecture prônant un objectif aussi bien social qu'environnemental, dans un contexte où la fabrication du logement se tourne vers un regroupement domestique « Puisqu’il faut resserrer les logements sur le territoire, comment faire aussi pour que la densité devienne une valeur positive pour l’habitant ? »324 Elle explique que dans ses projets elle va orienter ses choix dans une dimension de partage plutôt que d'importer des limites, car il faut que la ville soit en continuité avec le logement et inversement. Pour cela elle s'intéresse à la notion du « vivre ensemble » comme levier pour ses projets liant les proximités entre les différentes dimensions qui relient le paysage, la ville et l’architecture.
322
Biographie: Sophie Delhay, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/636-2/>, consulté le 5 mai 2021. Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay , l’École Spéciale, coll. « Champs Critiques », 2019, 01h05, Journée thématique « Cycle de l’Usage ». 324 Alice Bialestowki, loc. cit.p. 66. 323
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Sophie Delhay travaille l’aspect collectif sous différentes échelles : La grande échelle correspondant au territoire et la petite qui concerne le logement. Pour S. Delhay la fabrication du logement s’oriente aujourd’hui vers une demande de plus en plus collective : « stimulée par l’aspect pluriel du regroupement domestique »325 Elle cherche à adapter son architecture à une société contemporaine changeante devenue « multiple, mouvante, protéiforme. » Selon elle, « Le logement doit pouvoir rendre possible une multitude de réalités évolutives qui nous font sortir de la standardisation ».326 Elle ajoute « J’aime que les logements soient interprétables par les habitants, qu’ils déclenchent quelque chose qui s’appellerait l’appropriation, quelque chose qui déclencherait le désir et la liberté d’habiter »327 La notion d’appropriation est omniprésente dans son travail prônant le bien-être de ses habitants; elle se questionne notamment sur le fait de redonner de l'individuation dans des habitats collectifs, elle justifie: « Je ne peux imaginer le « vivre ensemble » que si l’intimité est rendue possible ».328 Sur le site de son agence, la description parle d’elle-même: « J’aime que les logements soient interprétables par les habitants, qu’ils déclenchent quelque chose qui s’appellerait l’appropriation, l’invention, la rencontre, le multiple pour soi et avec les autres. Quelque chose qui déclencherait le désir et la liberté d’habiter. » 329
325
Ibid. Ibid., p. 71. 327 Alice Bialestowki, loc. cit. 328 Ibid. 329 Biographie: Sophie Delhay. 326
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B. Présentation du projet Nom du projet : Résidence Jeanne Leclerc "Machu Picchu" Localisation : Fives, Lille Architecte : Sophie Delhay Année de construction : 2014330 Rapport à la notion d’appropriation : Liberté spatiale et espace collectifs
Fig 38. Lanoo (Julien) , Vue de la façade de l'immeuble haut côté espace public, Fives, 2015 331
La Résidence Jeanne Leclerc, aussi connue sous le nom de « Machu Picchu » est le premier projet réalisé en livraison indépendante, elle y applique toutes ses intentions générales que nous avons pu voir dans la partie précédente, elle met en avant la participation de l’habitant pour l’appropriation. Dans la conférence de l’école d’architecture, Sophie Delhay présente son projet : « C’est la première fois qu’on faisait un collectif si haut” 331 elle se questionne donc : Comment peut-on habiter en hauteur en proposant des espaces partagés ? Comment étaler notre habitat vers l'extérieur afin de s’approprier son logement ainsi que les parties communes dans une volonté d’équité, pour que ceux qui habitent en bas puissent aussi profiter de la vue d’en haut ? « Partager une relation à son territoire pouvait enrichir l'expérience de l'habiter, faire en sorte qu’on habite au-delà de son logement ». 332 Pour cela elle développe une rue extérieure couverte qui n'était pas comprise dans le programme mais qu’elle a réussi à appliquer en simplifiant la construction. Cette rue se développe le long du bâtiment permettant de monter étage par étage en accédant aux logements par des coursives extérieures passant par plusieurs espaces collectifs, considérés comme le point fort du projet. Sur le site de l’agence, on peut lire la description suivante « En offrant un parcours inédit du public à l'intime, de la rue à chez soi, le projet invite à rendre possible ce qui n'est souvent qu'une promesse, et propose plus que des logements collectifs : des situations à vivre, partagées à l'échelle du foyer, de la résidence, du quartier et de la ville, qui trouvent leur aboutissement sur la terrasse partagée de l'immeuble le plus haut, panorama et belvédère à la fois qui fédérera les habitants dans une vision commune. » 333 Selon l’anecdote de l’architecte334, c’est d'ailleurs cette intention qui a justifié la sélection du projet au concours retenant l’attention du bailleur car elle représentait pour lui une opportunité d’expérimenter une nouvelle forme d'appropriation extérieure pour ses locataires. Il a apprécié cette intention quant aux relations humaines, car selon lui les habitants se renferment de plus en plus sur eux même, dans leurs logements, développant des problèmes sociaux qui engendrent la violence, les dépressions, l’enfermement, ... Qu’il espérait voir disparaître grâce à la présence de ces 6 terrasses, dédiées à différentes activités spécifiques créant un parcours rythmé et vivant pour les habitants. Il explique qu’il ne pensait pas que le métier d’architecte pouvait traiter des à-côtés comme les relations de voisinage, de la possibilité d’habiter au-delà de chez soi et ainsi apporter des réponses à ces questions sociales. Cette remarque laisse perplexe face à l'évolution des possibles dans le logement collectif Français, car elle symbolise le manque de communication entre les différents acteurs de la construction requestionnant le rôle de chacun.
330
« 53 logements et espaces partagés - Sophie Delhay architecte - nominée à l’équerre d’argent 2014 - AMC Architecture », AMC Archi, en ligne, <https://www.amc-archi.com/photos/53-logements-et-espaces-partages-sophie-delhay-architecte-nomine-a-l-equerre-d-argent-2014,1015/53logements-et-espaces-partag.2>, consulté le 12 avril 2021. 331 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 332 Ibid. 333 Machu Picchu - Sophie Delhay Architecte, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lofiv/>, consulté le 5 mai 2021. 334 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay.
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Fig 39. Delhay (Sophie), Plans du RDC à la terrasse partagée, parcours collectif du "vivre ensemble" 335
Les espaces collectifs des logements de Sophie Delhay, sont pensés avec des espaces extérieurs partagés, afin d’offrir un réel vivre ensemble visant l’appropriation extérieure par les habitants. Le service gestionnaire de SIA Habitant a proposé différents ateliers de travail ouverts aux services d’habitat de la mairie ainsi qu’à des associations de quartier pour définir au mieux les usages ainsi que la gestion des parties communes impliquant ainsi un dialogue direct avec les futurs habitants « Le projet avait pour objectif une participation collective, « Faire ensemble est une condition de fabrication du vivre ensemble. ». 336 Cependant l’architecte explique lors de la conférence, les inquiétudes des représentants de la mairie quant à ces espaces, qui seront selon eux rapidement inutilisés et dégradés. L’agence a donc démontré la variation et la qualité de ces différents espaces à l’aide de petites cartes d’usages, il y a eu des ateliers tripartites (architecte, maître d’ouvrage, mairie) créés pour traiter de cette question d’appropriation par les habitants. La conclusion exposée a été que le maître d’ouvrage a proposé durant 2 ans différentes activités pour lancer cette appropriation et de laisser ensuite les habitants continuer seuls. 337 Avec les associations de quartier, plusieurs projets d’usage ont été proposés : au R+1 un espace de rencontres et débats accueillant un écrivain public, au R+2 un cinéma de plein air en été, au R+3 un espace sportif, au R+4 une galerie d’exposition, au R+5 un espace de prêt de livres aménagé en mobilier mobile et des lectures de contes par la médiathèque du quartier, au R+6 le festival « Ici et ailleurs » de la maison de la photographie comme le montre les différentes illustrations ci-contre. Fig 40. Delhay (Sophie), Photomontages des différentes ambiances selon les terrasses, illustrations de son concours.338
L’architecte a donc pris le parti de développer des espaces extérieurs collectifs, à défaut de proposer des espaces personnels à chaque logement, un parti pris prônant l’esprit d’une société se dirigeant vers une dimension collective appropriée par les habitants. Cet extrait de l’article AMC exprime clairement la volonté architecturale mise en place, « La société ancienne mettait en avant les valeurs traditionnelles dans une dimension familiale, cependant la société contemporaine évolue vers une standardisation et une individualisation. Dans ce projet l’architecte tente une reconnexion entre les habitants d’un même collectif, pour partager des espaces communs ».339 335
Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives », Sophie Delhay Architecte, en ligne, <http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/libreappropriation/libre-approp_lofiv-2/>, consulté le 12 avril 2021. 336 Alice Bialestowki, loc. cit. 337 Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 338 Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives ». 339 Alice Bialestowki, loc. cit.
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Ce projet aborde donc la question du « vivre ensemble » mettant en relation deux barres de logements par un jardin central assurant une reconnexion à l'échelle du quartier s’ouvrant sur la rue de Lannoy. Citant une seconde fois l’article, « Bien au-delà de la simple échelle des cellules, ce sont plus largement celles de la résidence et du territoire alentour qui sont interprétées pour accroître le lien social et le confort d’habiter ».340 Les deux bâtiments comprennent en tout 53 appartements traversants permettant de profiter d’une double orientation, proposant 3 types de typologies allant du T2 au T3. Dans la conférence S. Delhaye explique qu’elle avait eu un programme très précis détaillant toutes les dimensions au préalable, cependant elle a pris le parti de les mutualiser « On pousse la porte et on arrive directement dans une pièce ».341 Les plans sont donc organisés à partir d’une grande pièce traversante dite de « jour » d’environ 28m² étant considérée libre d’appropriation avec les espaces d’eau qui eux sont fixes au centre et les « espaces aménageables » de part et d’autre, laissant au locataire le choix de sa répartition pour les pièces de son appartement. « Le logement est interprétable, à l’envie des habitants »342. Le projet s’oppose à la logique du logement collectif « prêt à habiter » qui ne permet qu’un usage unique face à la qualification des espaces selon des typologies fixes. Ici l’invitation à la transformation du lieu pousse à s’investir dans la conception de son logement, l’habitant est maître de l’appropriation spatiale. L’occupation d’un logement se réfère à son évolutivité tout comme l’homme il évolue, se pratique, se transforme, ... tout en lui permettant une évolution d’usage réinterrogeant les espaces qu’il pratique en fonction de ses besoins, comme le montre les différents aménagements proposés ci-dessous.
Fig 41. Delhay (Sophie) , Plans de différents aménagements, Projet du Machu Picchu343
Le premier espace dès l’entrée, est pensé libre d’appropriation, il peut être utilisé comme un coin repas, un bureau, une salle de jeu pour enfant, ... Et le second plus large pour un espace séjour qui met en enfilade la fenêtre de la chambre et celle du séjour pour faire un large panoramique sur l'extérieur. Ces larges ouvertures sont appliquées de manière à conserver le contact du corps avec l'extérieur. La volonté est confirmée par l’architecte « Dès la porte franchie, on embrasse du regard toute l’épaisseur de l’immeuble jusqu’à la fenêtre panoramique, une vaste baie de 2,15 mètres par 4,2 mètres. » 344 On retrouve cette volonté commune d’un contact de l’habitant avec son contexte et l'extérieur environnant comme dans les projets de J. Renaudie et J. Nouvel mais qui s’adapte ici à une vocation collective. 340
Ibid. Ecole Spéciale d’Architecture, Conférence : Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. 342 Ibid. 343 Sophie Delhay, « Libre appropriation, Logements Fives ». 344 Ibid. 341
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À travers ce projet on sent que l’enjeu dans la société actuelle n’est pas de traiter la mixité comme une fin en soi, mais plutôt de tendre vers une flexibilité des espaces et offrir des possibilités de transformation de ceux-ci. Elle cherche à travers son travail à montrer qu’il est possible, par la liberté d'usage et la polyvalence des espaces, de mettre en place une mixité, et donc du vivre ensemble, en donnant un maximum de liberté et d’espaces aux habitants dans l’univers commun comme privé à s’approprier. Nous allons voir maintenant, grâce à une étude que j’ai réalisée à l’aide d’un sondage pour questionner les habitants, leurs visions de l'occupation de ce logement collectif dit « innovant ».
C. Processus d’appropriation par les habitants Pour ce projet, j’ai pris l’initiative d’aller directement sur place interroger les habitants sur leurs manières de s'approprier leurs logements. Après avoir installé des affiches pour avertir de ma venue, je me suis rendu sur place l'après-midi du samedi 17 avril 2021, afin de réaliser un « porte à porte » avec une liste de questions prédéfinies comme le montre le questionnaire avec les retranscriptions placées en Annexe 6 : p.93-97. Malgré le contexte actuel, j’ai pu réaliser 10 entretiens grâce aux habitants qui m’ont ouvert leurs portes et que je remercie. Ci-après le résumé des réponses obtenues à mes dix questions : A la première question posée : « Pensez-vous que la notion d'appropriation est possible au sein d’un logement collectif? », 9 personnes sur 10 ont répondu oui et une non. Etonné par la seule réponse négative, j’ai questionné Ashraf qui m'a expliqué que la cause de sa réponse venait de l’insonorisation mal faite dans la construction, et le nombre croissant des habitants devenant trop nombreux en est la raison ce qui impacte son confort, frustrant son appropriation. Il ajoute qu’au début la cohabitation était plutôt correcte entre les habitants, jusqu’au jour où les logements ont commencé à se remplir. Le logement qu’il avait tant idéalisé sur papier se transformait peu à peu. Au fur et à mesure, le bruit est devenu compliqué, le silence n’était plus respecté, selon lui le projet aurait pu fonctionner s'il ne prenait pas en compte tant de logements qui menaient à une individualisation des habitants, il y a trop de monde pour que les contacts se créent. Cependant le constat me paraît quand même assez positif, puisque qu’au sein du projet Machu Picchu, sur mon échantillon, 90% des habitants pensent que l'appropriation est rendue possible. A la seconde question posée : « Comment s’applique-t-elle dans votre logement ? » Pour 5 d’entre elles, l'appropriation passe par le fait de personnaliser son logement : Cela représente le fait que chacun doit aménager en y « mettant ses affaires » et en appliquant une « Décoration à son goût » (2 personnes), elles ont présenté divers exemples : mettre ses photos, mettre des affiches, ses meubles, en repeignant, … Pour Nathalie, la notion d’appropriation s’applique lorsque le logement permet de faire « une différence entre la partie individuelle et la partie collective », ce qui permet selon elle de renforcer l’intimité de l’habitant, amenant au confort d’un « chezsoi », elle apprécie notamment la ruelle intérieure qu’elle emprunte fréquemment permettant, selon elle, de créer des seuils d'intimité entre la rue et son logement. Selon la famille Alabbasi, la priorité était que le logement soit bien isolé, ce que la mère de famille trouve indispensable notamment avec ses enfants. Je n’ai eu qu’un retour, celui de Clawrence, qui a fait le choix de laisser tel quel l’appartement, se sentant bien dans cette neutralité, comme dirait Ashraf « Chacun fait ce qu'il veut dans son logement ».
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A la troisième question posée : « Que pensez-vous de la disposition de votre appartement, êtes-vous satisfait » ? Les réponses étaient partagées de manière égale. 5 personnes ont estimé avoir eu le choix de la disposition des pièces, voici leurs ressentis : « c 'est nous qui avons choisi où est-ce que nous mettons notre chambre, notre salon, tout ça », « Oui, de base c’est vraiment une salle avec des pièces, mais vraiment vide, juste blanc. Et ensuite on a mis et on a installé nos chambres. », « Oui j’ai trouvé ça bien (La liberté d'appropriation) ». Ces retours mettent en valeur la liberté d’appropriation que propose Sophie Delay par le libre-choix des fonctions attribuées aux pièces. Chaque personne avait une attribution particulière pour la pièce dite libre à l’entrée il y avait des bureaux, espaces de rangements, salle de jeu pour enfant … Cependant certains auraient préféré un espace plus grand car la petite taille limite la diversité des fonctions. En contrepartie, 5 personnes s’estiment insatisfaites, certaines revendiquent de ne pas avoir eu le choix, car la disposition de l’appartement ne permettait pas les typologies spéciales, par exemple les appartements d’angles: « Non ça a été imposé », « Pièces prédéfinies selon leurs fonctions », « ça a été fait sur plan avant qu'on construise la résidence, on était venus, il mettait les plans il y a ça, ça, ça vous voulez, vous voulez pas». D’autres n’ont pas su quoi faire devant cette liberté d’appropriation, perplexes de ne pas avoir un logement « standard », questionnant par exemple la cuisine centrale et ouverte : « On aurait bien aimé changer la cuisine et la pièce du fond, la cuisine au centre ça sent dans tout l’appart ». A la quatrième question posée : « C’est vous qui l’avez décidé ou elle était déjà présente à votre arrivée? » Venant compléter la précédente question, 8 personnes ont estimé avoir choisi et 2 non. Comme je l’ai expliqué dans la question précédente, il y a des typologies spéciales qui n’ont pas pu offrir la liberté d’agencement qu'offrent les autres appartements. Cependant, selon les habitants, les surfaces des pièces sont agréables à vivre, lumineuses, et facilement aménageables. A la cinquième question posée : « Ressentez-vous une différence entre un logement standard et le vôtre? » Trois personnes estiment que non, pour certains, il n’y a pas de changement notable entre un logement collectif standard et le leur. D’autres remettent en question les espaces collectifs mis en place dans le projet au détriment d’espaces privés. Ashraf quant à lui, m'a exposé ses inquiétudes quant au bâtiment, qui avait été construit rapidement posant des problèmes de dégâts des eaux, dévalorisant son habitat et les habitats voisins, freinant leur sensation de bien-être et d’appropriation du logement. A la sixième question posée : « Que pensez-vous des espaces communs partagés ? Sont-ils utilisés pour les fêtes de voisins, expositions, projection de film… comme l’avait énoncé l'architecte ? » Ces espaces n’étaient pratiquement pas utilisés. Dans les entretiens, j’ai eu beaucoup de retours similaires, m’expliquant que les terrasses avaient été utilisées au début mais que depuis peu elles étaient délaissées, les personnes interrogées en parlent aujourd’hui au passé : « Oui on se connaît. Dans le temps il mettait des films ». Les programmes culturels proposés ne correspondent pas aux attentes des habitants ne leur donnant pas l’envie de s’investir dans la communauté, de plus aucun équipement n’est installé, ne permettant pas le développement d’appropriation de ses habitants. A la septième question posée : « Auriez-vous préféré des espaces privés ? » En lien avec les réponses précédentes, beaucoup m'ont répondu qu’ils auraient aimé disposer d’un espace individuel préférant avoir leur propre espace plutôt que l’espace perdu par les terrasses collectives. Il se crée chaque été un jardin partagé développant les relations de voisinage, autour du jardinage, favorisant cette volonté du « vivre ensemble ». A la huitième question posée : « Êtes- vous satisfait de votre logement donnez une note sur 10? » Quatre 10/10 - un 9/10 - un 8/10 - trois 7/10 - un 6/10 - un 5/10 - un 0/10. On constate que la majorité des habitants sont satisfaits de cette expérimentation. « Finalement, l’appropriation collective s’est faite sans les habitants, c’est peut-être pour ça que ça n’a pas accroché ? » La question du faire avec revient une fois de plus comme indispensable à l’appropriation, elle semble être une piste importante à prendre en compte dans de futures expérimentations. 66
De plus j’ai remarqué lors de ma venue, plusieurs interventions participant selon moi à une meilleure appropriation du logement que je vais retranscrire avec l’appui de mon reportage photographique :
Appropriation des coursives
Fig 42. Photographies personnelles, Appropriation des coursives, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
L’appropriation des coursives par les habitants permet de marquer un seuil avant d'entrer dans le logement, cela compense certainement l'absence d’une entrée marquée dans les logements. Malheureusement, comme nous pouvons le voir c’est majoritairement en bout de coursives que les appropriations sont le plus visibles afin d’éviter un encombrement du passage, cependant certains arrivent à optimiser l’espace pour y installer des assises, plantes, rangements... Couleurs des boîtes aux lettres Les boîtes aux lettres ont attiré mon attention, contrairement à un hall d’appartement standard avec une rangée de boîtes aux lettres blanches, celles-ci proposent 4 gammes de couleurs (jaune, gris, noir, blanc…) une légère intervention qui permet malgré tout de rompre avec la monotonie des halls standard et favorisant selon moi une appropriation dès l’entrée, on imagine facilement un habitant dire : « Ma boite aux lettres c’est la jaune du haut, tu peux pas la louper ! ». Fig 43. Photographie personnelle, Couleurs des boîtes aux lettres, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
Trace des ouvriers sur le mur De nombreuses empreintes de mains sont présentes éparpillées sur l’ensemble du bâtiment, j’ai appris dans l’une des conférences de Sophie Delay, qu’elles représentent les empreintes des ouvriers ayant participé à la construction, afin de cacher les traces de banchage du béton. Cette inclusion de l’ouvrier qui, en plus de rendre unique le bâtiment, me fait penser à la participation du maçon que nous avons relevée dans le projet La Mémé de Lucien Kroll. Fig 44. Photographie personnelle, Trace des ouvriers sur le mur, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
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Dessins à la craie sur les murs de béton Lors de l’arrivée au dernier étage, j’ai constaté sur les murs de béton monochrome, d'étranges silhouettes dessinées à la craie, j’ai immédiatement eu l’image des films, où les enfants dessinent sur les murs sous les cris des parents, mais ici je me suis dit, « et pourquoi pas ? ». En effet, le bien-être des enfants est une priorité. Ils étaient fiers de me montrer leurs dessins, sur une façade neutre on voit directement quels sont leurs appartements. De plus l’intervention n’est pas définitive et permet d'être réitérée en continu, la craie pouvant s'effacer. Fig 45. Photographie personnelle, Dessins à la craie sur les murs de béton, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
Jardin collectif Dans ma première interview, j’ai discuté avec un petit groupe d’habitants réunis au bout du jardin collectif. A l’heure du café les jours de beaux temps, les voisins sortent une table et s'installent pour discuter ensemble. Une fois fini, le jardin reprend sa forme initiale, cependant on remarque des marques d’appropriation restantes : Un micro-onde, quelques mobiliers, une réserve d’eau pour planter quelques légumes la période d’été bien que ça ne soit plus vraiment d'actualité selon les habitants. Fig 46. Photographie personnelle, Jardin collectif, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
Jardins individuels D’après les différents échanges que j’ai eus avec les habitants, ils sont très satisfaits d’avoir un espace extérieur privatif lié à leurs logements, notamment avec le confinement qui s'est produit l’année dernière, ils sont devenus un lieu à vivre que beaucoup d’autres habitants envient. On remarque avec l’appui de cette photo différents aménagements créant une continuité de leurs logements sur l'extérieur, offrant une qualité de vie supplémentaire.
Fig 47. Photographie personnelle, Jardins individuels, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
Rue couverte Pour clore cette analyse, bien que comme nous l’avons vu les espaces de terrasses extérieures ne soient plus utilisés par les habitants comme le proposait le logement de base, j’ai remarqué en repartant, que l’espace du rez de chaussée était approprié par les enfants des différents logements qui viennent y jouer et ranger leurs vélos. Même si son usage est éphémère, c’est devenu une « cabane sous ma maison » selon les dires de l’imaginaire de l’enfant que j’y ai croisé. Fig 48. Photographie personnelle, Rue couverte, Projet du Machu Picchu, Fives, 17 avril 2021
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3. ILOT 3H DE BEATRIZ RAMO A. Les pensées du concepteur L’agence STAR est encore peu connue en France, la vidéo de la conférence de Beatriz Ramo dans le centre d’architecture de LUCA au Luxembourg 345 présente son expérience, son travail, et l’explication complète du projet de rénovation de la ville de Paris, Îlot 3H que nous verrons par la suite. La plupart des informations utilisées sont issues de cette vidéo. Au début l’agence n’avait pas de clients, ils ont donc réalisé de 2007 à 2011 beaucoup de concours ouverts dans lesquels ils ont eu l’occasion de remporter plusieurs prix, leur permettant une autonomie mais surtout une multitude d’expérimentations, cherchant à s’adapter à une société en continuel changement, qui ne trouve pas sa place dans les propositions contemporaines. Fig 49. Photographie de l’architecte Beatriz Ramo 346
Les logements proposés aujourd’hui aux habitants soulèvent une question de qualité et de durabilité. Beatriz Ramo pense que l’habitat, pour être durable, devrait pouvoir s’adapter aux changements de façon de vivre et aux évolutions des modes d’habiter. Dans un développement des modèles urbains, Beatriz Ramo va prendre en compte la dimension intérieure des logements en cherchant à requestionner la conception de l’architecture qui selon elle, n’est plus adaptée à la société d’aujourd’hui, en commençant par essayer de comprendre le problème à la base qui demeure le logement « Imaginer une ville résiliente, c’est la penser à sa plus petite échelle, l’habitat ».347 Elle termine sa conférence en disant : « Je termine simplement avec cet article écrit par Sybille Vincent, un journaliste qui écrit pour Libération, un journal français, il résume avec une phrase pas forcément spectaculaire mais très juste « Et si l’habitat de demain s'adaptait au mode de vie d'aujourd'hui ? » C'est tout ce qu'il faut aujourd'hui pour révolutionner le logement, pas le révolutionner de manière fantastique, extravagante, ce sont vraiment les petites choses qui vont faire les grandes révolutions »348 Cela exprime parfaitement sa manière de penser cette notion d’appropriation où on conçoit un logement qui doit s’adapter à son habitant.
« Le logement est à la fois un morceau de territoire et le territoire le plus petit, et c’est au quotidien que nous le « vivons » ... Standardisé et perçu sous ses dimensions normatives et quantitatives, il devient une sorte de container impersonnel de chiffres habillé par des façades plus ou moins photogéniques. Son intérieur n’est plus interrogé. »349
À travers ses projets, l’architecte va donc essayer de recréer du lien entre l’habitant et l’habitat en diversifiant au maximum les logements, comme par exemple dans la présentation de son projet « Manzana 5 »350 dans lequel l’agence a pu expérimenter une recherche complexe en façade mais surtout une liberté totale dans l’aménagement du logement, en proposant 105 logements différents sur 168 au total, ce qui montre qu’il peut y avoir une diversité de l’habitat au sein d’un collectif dense.
345
LUCA Luxembourg Center for Architecture, BEATRIZ RAMO - STAR STRATEGIES + ARCHITECTURE, REVOLUTIONNER LE LOGEMENT, 2020, 1:17:15. STAR strategies + architecture – Rotterdam | Beatriz Ramo, en ligne, <https://st-ar.nl/about/beatriz-ramo/>, consulté le 10 mai 2021. 347 « Modèles urbains de demain : penser à sa plus petite échelle », Demain La Ville - Bouygues Immobilier, 2016, en ligne, <https://www.demainlaville.com/beatriz-ramo-imaginer-une-ville-resiliente-cest-la-penser-a-sa-plus-petite-echelle-lhabitat/>, consulté le 19 avril 2021. 348 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 349 « Modèles urbains de demain : penser à sa plus petite échelle », « Modèles urbains de demain ». 350 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 346
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B. Présentation du projet Nom du projet : Ilot 3H Localisation : Ivry sur Seine Architecte : Beatriz Ramo Année de construction : Projet en cours Rapport à la notion d’appropriation : Nouvelles typologies
Fig 50. Perspective du projet en cours par l’agence STAR 350
Je me suis inspiré pour cette partie de la conférence et du condensé d’information que j’ai pu retrouver dans l’article Libération « Logement : au fur et sur mesure »351 par Sibylle Vincendon publié le 27 décembre, ainsi qu’au magazine AMC. 352 Ce projet propose une conception qui est réfléchie directement avec l’habitant, afin de penser au préalable des évolutions possibles pour lui, en faisant un logement sur mesure dans un collectif. Je comparerais ce type de conception au travail de réhabilitation, un travail réalisé par l’architecte, main dans la main avec l’habitant, pour repenser le logement d’aujourd’hui. Dans le plan de réaménagement de la ville de Paris, le quartier d’Ivry-Port, de nombreux objectifs sont énoncés. Selon le site de la ville, le projet propose un programme mixte et équilibré avec une requalification des espaces publics, ainsi que la création de nombreux espaces verts. Il annonce une revalorisation et un développement de 10% d'équipements publics, 50% d’activités économiques, et pour finir 40% de logements favorisant la mixité sociale, « Environ 5 500 logements seront créés sur le périmètre de la ZAC Ivry Confluences, ce qui fera évoluer la population du quartier en passant de 10 000 à 16 000 habitants à horizon de 2025 ».353 Le programme résidentiel proposé cherche à créer une nouvelle ligne d’horizon et à offrir des plans d’appartements innovants. Les questions techniques sont anticipées dès la conception qui intègre d’emblée les scénarios futurs de transformation. Beatriz Ramo choisit de candidater en France à la suite de la crise en Espagne et le manque de projet au Pays Bas, en France elle avait la possibilité d'appliquer ses principes théoriques de manière rapide en ayant une connexion directe avec les personnes qui prennent les décisions. 354À la suite d’une crise du logement, le Grand Paris fait une grande demande de construction de logements, cela génère énormément de questions sur l’habitat pour le rendre meilleur malgré une forte demande, une taille de logement de plus en plus petite, des loyers de plus en plus chers… De son point de vue extérieur à la France, l’architecte revient sur de nombreux points qui bloquent l'avancée de l’expérimentation et l'amélioration du logement collectif en France, par exemple la réglementation qui crée à force trop de limites, l’architecte énonce par exemple les lois sur l’accessibilité PMR qui passe de 5% à 100 %, limitant l’ingéniosité des plans. Elle explique qu’aux Pays-Bas, en Espagne, et en Suisse les projets de concours présentés s'intéressent pratiquement essentiellement aux plans produits, alors qu’en France il y a une sorte de standardisation qui s’est créée, car les plans ne changent pas. Elle présente les plans dit « classiques » pour ne pas dire standardisés qui n’évoluent pas contrairement aux façades, qui elles, connaissent une grande inventivité selon ses mots : « c’est la façade où l’architecte a l'opportunité d'exposer sa créativité et c’est des fois tellement exagéré que ça montre l’envie et le besoin de faire quelque chose »355.
351
Sibylle Vincendon, « Logement: au fur et sur-mesure », Libération, en ligne, <https://www.liberation.fr/france/2015/12/27/logement-au-fur-et-surmesure_1423133/>, consulté le 19 avril 2021. 352 « Exposition : Réver (cités) à la Cité de l’architecture- AMC Architecture », AMC Archi. 353 Ville d’Ivry-sur-Seine, « Ivry Confluences », Ville d’Ivry-sur-Seine, en ligne, <https://www.ivry94.fr/164-21/fiche/ivry-confluences.htm>, consulté le 8 mai 2021. 354 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 355 Ibid.
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Partant de ce constat, elle se demande « Comment on peut trouver toujours le même plan alors qu’on a une diversité de ménages qui sont de plus en plus variés »356 appuyant ses propos avec un graphique qui montre que 27% des ménages restent « classiques » (un couple et deux enfants), cependant la société actuelle, demande une grande diversité dans leurs aménagements pour répondre à des demandes de plus en plus changeantes, les colocations, les personnes âgées vivant seules, les étudiants, .... Elle va donc procéder à une étude anthropologique très poussée pour comprendre quelles sont les attentes du logement approprié de la société contemporaine. Elle rejoint en cela les pensées de l’architecte Patrick Bouchain qui écrit dans Construire ensemble le grand ensemble « La famille nucléaire, qui a servi de modèle au logement social, n'existe plus. Si tous ces changements ne sont pas pris en compte, c'est encore une fois une ville contraire à la réalité qui va se construire ». 357 Pour ce faire l’architecte va s’inspirer de la coupe de Bertall parue en 1845, qui illustre la vie parisienne du 19ème siècle, elle explique dans la conférence qu’à travers cette illustration d’un bâtiment auquel on a retiré la façade on comprend l’organisation complexe et toute la richesse d’appropriation des appartements par les habitants ainsi que le fonctionnement spatial. 358 Ici les étages représentent les classes sociales selon une hiérarchie, avec un escalier permettant un dialogue entre elles et des rencontres possibles. 359 360
Fig 51. Bertall, Coupe d’une maison parisienne, Gravure de Lavieille publiée dans Le Diable à Paris. Paris et les Parisiens, « revue comique », Jules Hetzel éditeur, Paris, 1845. 359
Fig 52. Ramo (Beatriz), « Coupe d’un immeuble parisien - situation actuelle », (basée sur la recherche : "L’Intérieur de la Métropole") , STAR stratégies + architecture, Paris, 2015 360
Beatriz Ramo fait le constat qu’aujourd’hui le logement est ramené à une standardisation due à de nombreuses normes, réglementations et contraintes du marché. Cependant en retirant une façade à un bâtiment « Nous découvrons un univers fascinant de modes de vie tous différents et changeants, qui témoignent de la grande mutation de la société actuelle ».361 La coupe devient son outil de prédilection dans la conception du projet, 356
Ibid. Patrick Bouchain, op. cit., p. 3. 358 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 359 Bertall, Coupe d’une maison parisienne (1845) | Revue Captures, en ligne, <http://revuecaptures.org/image/coupe-d%E2%80%99une-maisonparisienne-1845>, consulté le 10 mai 2021. 360 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 361 Sibylle Vincendon, « Logement ». 357
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comme le montre les illustrations ci-dessus. A travers on y lit énormément d'informations très claires et facilement compréhensibles par tous, s’inspirant d’un principe de bande dessinée. Cet outil lui permet dès la conception de penser le projet dans sa globalité comme avec un Tetris venant adapter les différents agencements selon l’usager. Elle va donc analyser un logement en partant de la composition des pièces intérieures et en observant comment les habitants s'approprient les lieux, afin de comprendre au mieux leurs attentes. Dans sa conférence elle dit : « Il faut penser le logement à partir de l’habitant, de ses modes de vie, créer un logement flexible, et évolutif, qui déterminera l’ensemble architectural, et non un habitat contraignant dans lequel devra s’adapter l’habitant. »362 l’aspect extérieur du bâtiment devient secondaire. « Nous analysons les différents appartements, pour voir comment les ménages doivent faire des acrobaties pour s’adapter au logement, alors que c’est l'aberration la plus grande aujourd’hui, est ce que ce n’est pas le logement qui doit s’adapter à l’habitant et pas l'inverse ? »363 À travers ses représentations l’architecte communique le projet en montrant ce qui se passe « à l’intérieur », ce qui lui permet de repenser le logement en plans et en coupes, ainsi la façade devient le reflet de l’agencement interne, en donnant une certaine lecture des espaces. Chaque scénario offrant une diversité incomparable en comparaison à d'autres types de construction de logements collectifs « standard », ici il semble qu’on cherche à atteindre le sur-mesure. Cependant cela demande une grande organisation prenant un large temps de conception, afin de répondre aux diverses demandes menant à une cohabitation et à une décohabitation. L’architecte repense la façon de concevoir l’habitat dans la conférence, elle explique que « les 358 logements programmés sur l’îlot 3H ne seront pas des logements stéréotypés. Aux traditionnels T1, T2, T3 mesurant en général 32 m2, 42 m2, et 62 m2 »364 Elle va plutôt proposé des « T1+» et des « T2+» proposant des surfaces intermédiaires, mieux adaptés aux familles recomposées ou aux parents célibataires. De plus elle tient à éviter la traditionnelle séparation jour/nuit qui place automatiquement les chambres parents et enfants côte à côte. Dans ce projet elle propose des espaces plus autonomes, avec leurs propres salles d’eau. L’architecte explique « Une indépendance privilégiée lorsque les enfants deviennent des adolescents, et qui facilite les cohabitations non familiales, entre personne âgée et aidant, par exemple. » De plus, elle propose ainsi des logements avec un agencement évolutif qui faciliterait ainsi la sous-location d’une chambre à un étudiant une fois les enfants partis du foyer voire même une re-division de l'appartement. Cette proposition de logements évolutifs permettrait de répondre aux besoins changeants de la population contemporaine, cependant cela vient à inverser complètement la chaîne de production du logement questionnant quant au coût de ce genre d'opération qui semble être le seul frein pour ce type de projet. A cela l’architecte répond « Diviser un logement ne sera pas si complexe d’un point de vue technique. Les surcoûts de construction sont extrêmement faibles, autour de 4 500 euros par habitation. Il s’agit surtout d’une question d’anticipation et d’organisation. ».365 La notion clé de ce genre de projet est donc « Anticipation et organisation » qui ne correspond pas actuellement aux demandes de logements où on attend des réponses rapides et les moins chers possibles.
362
LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. Ibid. 364 Ibid. 365 Ibid. 363
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C. Processus d’appropriation pour les habitants Comme le projet n’est pas encore réalisé, j'ai choisi de présenter ici, non pas comment les habitants s'approprient le logement, mais les différentes possibilités pensées dès la conception, afin d'améliorer la notion d’appropriation pour ses habitants. Je vais reprendre ici l’article du journal libération « Logement : au fur et surmesure »366qui illustre les différents cas de propositions en le complétant avec les informations récoltées lors de la conférence « Star strategies + Architecture : Révolutionner le logement »367 qui se déroule en 2017 dans le centre d’architecture du Luxembourg LUCA. Le constat que fait l’architecte est qu’il n’y a pas d'évolution dans la conception architecturale proposant les mêmes aménagements que dans les années 50 face à une société qui ne cesse d’évoluer. « Comment on peut toujours trouver le même plan alors qu’on a une diversité de ménages qui est de plus en plus variée » Elle présente un graphique qui montre que 27% des ménages restent classiques, alors que la société actuelle offre un panel beaucoup plus complexe, ce qui demande une grande diversité dans les aménagements que ce soit le travail à domicile, les colocations, les personnes âgées, ... « L’agence a recensé une quinzaine de modes d'occupation possibles contre seulement un seul proposé par les promoteurs, toujours les mêmes partout ». 368 Selon l’architecte aujourd’hui « Dès qu'on sort de la famille type, le logement devient pénible et peu approprié. … C’est pour rompre avec ces mauvaises habitudes que la société d’économie mixte du Val-de-Marne, la Sadev 94, a demandé aux architectes de Star d’élaborer, pour la ville d’Ivry, un programme d’habitation enfin adapté à la vie des gens. » 369 L’agence a donc le rôle de repenser l’habitat moderne, pour rendre une appropriation plus adaptée, en fonction des attentes changeantes des habitants. Le journaliste explique que 7900 logements doivent être construits sur une quinzaine d'années dans la ville d’Ivry « Au vu de telles quantités, le directeur opérationnel de la Sadev 94, Djamel Aït-Aïssa, a estimé qu’il était urgent de réfléchir sur l’habitat. Avant de constater que, dans le métier, à peu près aucun opérationnel ne le faisait ».370 De plus en plus de promoteurs imposent des modèles tout prêts, ici l’agence propose un nouveau modèle à sa façon. Pour cela, elle va questionner les différents besoins de la société contemporaine et essayer de convenir d’un appartement sur mesure. Dans la conférence 371, l'architecte présente tous les nouveaux aménagements proposés en répondant à des attentes plus particulières et pour chacune de ces situations, elle illustre avec le principe de coupe proposant une image compréhensive. Le projet comporte une réelle dimension humaine : A partir d’histoires vraies, ils dessinent des logements existants et montrent ainsi comment on pourrait améliorer le quotidien des habitants. Il ne s’agit plus de « caser les habitants dans des boîtes »372 L’agence Star propose diverses solutions je vais en présenter deux exemples repris de l’article du journal : Le T3 super adaptable : un couple âgé cohabite avec son fils revenu à la maison Le premier exemple présente le cas d'Anthony, à 28 ans il est chômeur n'ayant plus le moyen de payer son logement, il décide de retourner chez ses parents habitant dans un T3 « standard » de 60m². Cependant cette disposition ne permet plus une cohabitation « La promiscuité du T3 ne gênait pas quand Anthony était enfant. Elle est intenable maintenant qu'il est adulte. » 373
366
Sibylle Vincendon, « Logement ». LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 368 Sibylle Vincendon, « Logement ». 369 Ibid. 370 Ibid. 371 LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. 372 Ibid. 373 Sibylle Vincendon, « Logement ». 367
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Standard
Adapté 374
Fig 53. Ramo (Beatriz), Coupe d’un appartement parisien T3 super adaptable – mise en situation, (basée sur la recherche : "L’Intérieur de la Métropole") , STAR strategies + architecture, Paris, 2015 374
Avec la proposition d'aménagement que propose l’agence d’architecture STAR+ la disposition devient optimale dans un logement de 63m² avec les chambres de part et d’autre et la pièce de vie au centre « Leurs rythmes de vie, différents, ne posent plus de problème »375 De plus, une fois la chambre libre, les parents pourront sous-louer la chambre pour un étudiant, sans difficultés. Le T5 évolutif, occupé par une veuve de 70 ans : Voici un autre cas de figure présenté, il est très courant dans la ville de Paris selon l’architecte. Il représente une personne veuf/ve ayant un appartement T5 de 95m² devenu surdimensionné pour son usage devenant de plus difficile à entretenir. La surface habitable est devenue trop large pour elle dans un contexte de demande croissante de logement. Cet exemple met en situation Josette femme veuve de 70 ans, « Son dernier fils essaie de la convaincre de louer une chambre à un étudiant ou de déménager. Mais Josette ne se voit pas partager sa salle de bains. Et encore moins quitter le quartier au bout de trente-cinq ans. »376 Standard
Adapté377
Fig 54. Ramo (Beatriz), Coupe d’un appartement parisien T5 évolutif – mise en situation, (basée sur la recherche : "L’Intérieur de la Métropole"), STAR strategies + architecture, Paris, 2015 377
La proposition de l’agence permet d’anticiper ce genre de situation en achetant un T5 conçu au préalable pour être scindé en deux, permettant une fois seul de réaliser des travaux de séparation établis lors de la conception. La création d’un nouvel accès et d’une nouvelle cuisine sont ainsi possibles avec un temps de travaux extrêmement court ce qui permet à l’habitant de garder un espace de 62m² pour elle : « elle a gardé le salon des réunions de famille, sa chambre, sa cuisine et l'espace pour recevoir ses petits-enfants. »378 Ce réaménagement a permis de laisser une partie de son logement en location pour un jeune étudiant.
374
Sibylle Vincendon, « Logement ». Ibid. 376 Ibid. 377 Sibylle Vincendon, « Logement ». 378 Ibid. 375
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Beatriz Ramoz impose en plus 8 principes 379 dans le futur projet afin de correspondre au mieux aux attentes modernes aidant à s'approprier le logement : Un séjour modulable : permettant de venir fermer ou ouvrir le séjour afin de l'agrandir en cas de changement temporaire (fête de famille, accueil d’un proche…) Une pièce en plus "l'alcôve" : Une pièce non définie, pour des besoins permanents divers (bureau, salle de musique, coin lecture, buanderie...) Un Plug/ balcon Refermable : une pièce donnant sur l'extérieur mais qui peut être refermée pour offrir une continuité des pièces à vivre. Une Cuisine flexible : qui a la possibilité d'être ouverte ou fermée, permettant de gérer les problèmes d’odeurs et d’intimité du logement. Une maison des enfants : un espace différencié entre celui des parents et celui des enfants permettant d’offrir un espace intime au deux en toute autonomie. Des chambres indépendantes et autonomes : cela permet de pouvoir à l’avenir sous louer l’espace sans être impacté dans le logement quotidien voire même de faciliter le développement de colocation. Des rangements intégrés (pour optimiser l’espace) : Ici vient l’idée d’optimiser l’espace en proposant de grands rangements intégrés au mur permettant d’agrandir les espaces de vie. Une chambre d’ami : Ce nouveau concept se développe de plus en plus dans les projets contemporains : Il s'agit d’avoir un espace commun à tous les appartements qu’on peut louer et/ou avoir un espace réservable pour accueillir des proches. Tous ces principes mis en œuvre dans le projet devraient voir le jour sous peu, chaque appartement a été assigné à une famille au plus près de ses attentes, cependant il faudra attendre quelques années pour savoir si cette proposition est réellement une révolution pour le logement collectif moderne et son appropriation… Je pense que la réponse proposée dans ce projet correspond aux évolutions auxquelles s’attendent les habitants des logements collectifs contemporains. On en vient à se questionner comment faire mieux que ce qu'elle propose pour s’adapter à une société changeante ? Alors que le projet est pensé sur mesure pour répondre à nos attentes modernes, est-ce la seule solution pour concevoir l’architecture de demain ? « Architecture. Divorce, chômage, vieillesse… Et si l’habitation de demain s'adapte au mode de vie d’aujourd’hui ? C’est le pari fait à Ivry, où des appartements adaptés et adaptables doivent être construits ». 380
Nous avons vu dans cette troisième partie différentes expérimentations actuelles, complétant les premières propositions vues en partie 2. Le tout est reclassé dans un tableau en Annexe 1 p.84-85 Ces projets contemporains nous ont permis d’observer le renouvellement de l’appropriation au sein du logement collectif, s’adaptant à une société changeante et intégrant les besoins des habitants qui évoluent au cours de leur vie. La rencontre réalisée auprès des habitants du projet Machu Picchu recentre la question autour des premiers concernés qui mettent en avant la complexité de cette notion toujours en requestionnement.
379
LUCA Luxembourg Center for Architecture, Conférence Beatriz Ramo, LUCA. « Des logements adaptés aux nouveaux modes de vie », Servir le Public, 2016, en ligne, <https://www.servirlepublic.fr/2016/02/des-logementsadaptes-aux-nouveaux-modes-de-vie/>, consulté le 8 mai 2021. 380
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CONCLUSION « LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES … HABITANTS » Au début de ce mémoire de recherche, je suis parti de la problématique suivante : Comment la question de l’appropriation dans le logement collectif se renouvelle-t-elle aujourd’hui en France ? J’ai commencé par définir cette notion complexe et polysémique avec l'appui de différents textes sociologiques, dans un cadre théorique. Cela m’a permis d’avoir une base réflective pour la suite de mes recherches afin de connaître le sujet d'étude dans sa complexité. Puis, j’ai cherché depuis quand cette notion était apparue dans les logements collectifs. Nous avons vu qu’à la naissance des logements collectifs, marquée par l’arrivée des grands ensembles d'après-guerre, la notion d’appropriation était quasi inexistante, le contexte amenant les concepteurs et les architectes à réaliser des logements dans un temps court et à prix réduit. Cependant cette notion d’appropriation était déjà acquise par les habitants. Nous avons constaté qu’il était possible de s’approprier un logement collectif standard puisque l’habitant réalise une appropriation post conception avec l’application d’actions physiques et mentales. Si l'appropriation n’est pas pensée au préalable dans la conception, j’ai constaté qu’elle s’opérait quand même a posteriori généralement de deux manières : -
Par l’histoire : Avec le temps, l’installation dans le logement, le quartier. Par la matière : Par l’ajout de meubles, décoration, identité
Depuis les années 80, la préoccupation des concepteurs se tourne, selon les différentes études d'expérimentations analysées précédemment, vers l’application et la prise en compte d’une appropriation améliorée pour les futurs habitants, dès la conception du projet. Après ce travail de recherche, il apparaît que l’appropriation permet l’identification d’un habitant à son habitat, ainsi qu’une meilleure intégration individuelle des personnes au sein des logements collectifs et une meilleure relation entre voisins. Force est de constater que si la notion commençait à prendre sens pour tous durant les années 80, l’appropriation, dès la conception, mis à part quelques exemples emblématiques comme celui de Lucien Kroll, prônant la participation en amont des projets, les choses n’allaient pas de soi : En effet, la logique des grands ensembles qui n'envisageaient pas l’appropriation perdurait, les normes de construction en constante évolution freinaient les expérimentations, et le maintien de modèles obsolètes par les promoteurs constituaient autant d’obstacles à une possible évolution. L’effort de ces architectes a permis de mener aux expérimentations contemporaines, elles sont encore aujourd'hui présentées comme des modèles à suivre, comme nous avons pu le voir dans les conférences étudiées. Ce qui nous amène aux expérimentations mettant en valeur la notion d’appropriation aujourd’hui. Cependant la question aujourd'hui reste : Comment faire pour améliorer l’appropriation au sein du logement collectif Français ? Dans la plupart des retours d'échanges que j’ai eus avec des architectes et étudiants sur le sujet, ces derniers répondent à cela : Que les choses ne changeront pas, ce sont des standards qui sont appliqués, alors pourquoi les changer ? Ils délèguent la responsabilité aux promoteurs, et maîtres d’ouvrages qui imposent des programmes et des normes trop excessives. Patrick Bouchain fait partie des architectes qui ont œuvré pour faire changer cet état de fait. Il explique dans l’ouvrage Construire ensemble le grand ensemble : « J'habite comme je suis, et mon habitat projette ma réalité sociale et culturelle. C'est en ce sens qu'il faut entendre la nécessaire réglementation du logement « social » : Permettre aux différences de s'exprimer plutôt que de reproduire le même modèle. »381 Patrick Bouchain aborde ici l’obligation de prendre en compte la différence et la contrainte de la norme qu’il a cependant réussi à contourner en contribuant à la promulgation de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) Le « permis de faire », l’expérimentation issue de cette loi marque le passage d’une culture de la règle à une culture de l’objectif afin de contribuer à l’amélioration de la qualité du cadre de vie. 381
Patrick Bouchain, op. cit., p. 6.
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Aujourd’hui, à travers les projets recensés, la conception de l’appropriation au sein du logement collectif semble donc se renouveler et se tourner vers la notion de « flexibilité » dans une société en mouvance perpétuelle qui demande une meilleure liberté d’expression et d’appropriation. Dans la production du logement collectif français, l’avis des habitants a trop souvent été mise de côté. Aujourd’hui il faut répondre à une multitude de demandes changeantes pour permettre l’appropriation : « Pour suivre les évolutions de ma vie, j'ai besoin de modifier mon logement pour me réapproprier mon lieu de vie. Mon regard évolue sur mon habitat et c'est pour cette raison que pour m'y sentir bien, des changements sont nécessaires de temps en temps. »382 Extrait du sondage sur la notion d’appropriation, réponse de Maud Dupont Decaëns. Aujourd’hui, les projets d’architecture proposent une évolutivité de l’habitant avec son habitat. Pour cela, il existe des projets qui proposent de nouveaux systèmes en identifiant et requalifiant les différentes entités qui composent le logement collectif : système constructif, cloisonnement, cuisines et sanitaires… visant à une liberté de répartition des usages dans le logement sans devoir se conformer aux typologies imposées devenues aujourd’hui inadaptées. Cependant ce système propose une vision qui n’est pas encore acquise par certains habitants confrontés à des typologies imposées. Pour une transition plus douce, je remarque que ce problème est de plus en plus solutionné par l’ajout d’une pièce ; un espace supplémentaire au logement qui n’est pas défini, comme nous avons pu le voir appliqué dans le projet de Eden square ainsi que dans celui du Machu Picchu. En plus, à cette notion de flexibilité vient s’ajouter un besoin grandissant pour l’acquisition d’un espace extérieur contigu au logement. Pour les architectes Gaëlle Hamonic et Jean-Christophe Masson, les espaces extérieurs participent fortement à une bonne appropriation de leur logement par les habitants. « Aujourd’hui, de nombreuses personnes aspirent à vivre dans un habitat individuel. Les raisons de ce désir sont multiples mais deux paramètres reviennent toujours : le premier est celui de l’identité de son logement, son « chez soi » et le deuxième, c’est pouvoir déjeuner dehors, avoir un rapport direct avec l’extérieur et posséder son propre sol. Ces envies doivent être intégrées à l’échelle des appartements dans un immeuble collectif. C’est en offrant ici des logements et des espaces extérieurs multiples et variés dans leurs typologies que nous répondons à cette quête d’identité, d’appropriation et de différenciation dans le collectif ».383 La période actuelle que j’aborde ci-après en ouverture mets en exergue cette aspiration à un espace extérieur.
La notion d’appropriation est donc toujours au cœur des débats dans l’architecture. Il y a d'ailleurs l’exposition « Regards croisés » qui va se dérouler le printemps 2021 au Bazaar St Sauveur à Lille. Elle y présentera des projets traitant de la notion d’appropriation principalement au travers des projets de Lacaton et Vassal ainsi que la photographe Hortense Soichet. J’espère y trouver la confirmation que l’appropriation est en marche grâce à une plus grande participation des habitants au débat dès la conception.
382
Marius Cailleau, SONDAGE ARCHITECTURE ET APPROPRIATION - Google Forms. D’Ile-de-France LES CAUE, Observatoire de la qualité architecturale du logement en Ile-de-France Les évolutions dans la conception et la fabrication de logements en Île-de-France, novembre 2016. 383
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OUVERTURE IL EST TEMPS D’AGIR… J’aimerais ouvrir la réflexion sur la crise sanitaire actuelle qui a généré un élan de remise en question dans le « confort » du logement par ses habitants. Lors du confinement nous avons été contraints de vivre constamment chez nous, ce qui a occasionné un requestionnement de notre manière d'habiter notre logement, avec de nouveaux usages qui sont venus transformer notre quotidien. La crise sanitaire vient questionner notre rapport à l'habitat. Depuis un an déjà nos modes de vie ont changé, nous avons dû apprendre à être des habitants confinés, cela a été une épreuve pour plus d’un. Le débat commence déjà à faire sens dans la conception architecturale de demain. L'agence d’architecture MCBAD publie un article « La ville idéale n’existe pas, seule la ville sur mesure existe »384 dans lequel les architectes se questionnent sur les conséquences qu’implique le Covid répondant à la problématique « Le confinement aura-t-il l’effet d’un mal pour un bien dans la libération de la conception de l’habitat ? » Les auteurs expliquent que le confinement a permis de faire la redécouverte de l'expérience d’habiter son logement « enfermé dans nos logements nous avons pu mesurer les liens étroits qui existent réellement entre nos cellules de vie avec la ville ». Ils remettent ainsi en question la production de logements collectifs aujourd'hui « La production du logement en France répond à une trilogie destructrice de l’espace d’habitation. Les normes généralisées, les techniques standardisées et l’économie des coûts de construction tuent depuis des années la conception d’un habitat libre et adapté à nos usages. »385 Leur constat explique que la conception du logement collectif en France est devenue un standard type se mettant à contre-courant de nos nouveaux modes de vie. Il faut donc profiter de ce constat pour faire changer les choses « La priorité de l’habitat doit redevenir un lieu d’émancipation de vie dans toute sa diversité et ainsi proposer des espaces adaptés aux usages des habitants. »386 En continuité de cette recherche, j’ai trouvé l’article « Le télétravail remet en cause la symbolique de l'habitat »387 dans lequel le journaliste Erick Haehnsen du journal les Echos interview Guy Tapie sur l’impact de la crise sur les attentes du logement pour les français, il parle notamment de l'impact réel du télétravail sur l’habitat « Il change les modalités d'appropriation des espaces de vie puisqu'une grande partie de la population a fait l'expérience du télétravail chez soi. » 388 L'appropriation qui est en constante évolution cherchant à s’adapter aux exigences d'une société changeante. Guy Tapie met en avant les inégalités sociales qui ont été mal vécues lors du confinement « En temps normal, on accepte les contraintes urbaines (logement moins grand et moins bien éclairé…), à condition de pouvoir sortir dans les parcs et jardins, les bars, les lieux culturels. »389 L’appropriation de son logement se fait donc aussi par ce qui l'entoure afin d’en améliorer le bien-être de l’habitant.
384
Architectes Urbanistes MCABAD, La ville idéale n’existe pas, seule la ville sur mesure existe.. , Et demain on fait quoi ? , Pavillon de l’Arsenal, en ligne, <https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11705-la-ville-ideale-nexiste-pas-seule-la-ville-sur-mesure-existe.html>, consulté le 30 avril 2021. 385 Ibid. 386 Ibid. 387 Erick Haehnsen, « Le télétravail remet en cause la symbolique de l’habitat », Les Echos, 2020, en ligne, <https://www.lesechos.fr/thema/changer-deregion/le-teletravail-remet-en-cause-la-symbolique-de-lhabitat-1248855>, consulté le 30 avril 2021. 388 Ibid. 389 Ibid.
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Depuis la Covid-19 « On réinterroge la densité du logement collectif en réfléchissant à la qualité des espaces autour des bâtiments. »390 La qualité du logement commence à prendre plus d'importance que la quantité. On en vient à intervertir les deux notions dans la conception future d’un chez soi. Pour conclure sur cette question, je souhaite m’appuyer sur l'article d’Elodie Suigo qui explique que « L'architecture peut créer d'autres conditions de vie en cas de nouveau confinement et c'est malheureusement probable »391. Elle fait l’interview de Jean Nouvel à qui elle demande quel est le futur du logement en France pour assurer le bien-être des habitants. Il répond : « Je me suis battu souvent et longtemps pour qu'on fasse des logements sociaux plus grands et je pense à ceux qui sont confinés dans des appartements tout petits avec des petites fenêtres. Je pense aussi aux normes thermiques qui font des toutes petites fenêtres, aux gens qui ont des appartements très peu en relation avec l'extérieur. J'espère quand même qu'une expérience comme celle-là peut arriver à faire comprendre un certain nombre de choses et à vivre autrement après. »392 On a vu également avec les enseignements de Lucien Kroll et de Patrick Bouchain que la participation des habitants et des acteurs locaux (mairie, associations…), dès la phase de conception, enrichit l’appropriation des habitants, qui plus est dans un contexte de lien social favorisé. Cependant, bien que l'intention soit portée par l’architecte au départ, on constate que si le projet d’appropriation des espaces collectifs notamment n’est pas animé par la suite, ça ne fonctionne pas, comme dans l'exemple du projet Machu Picchu : tant que les animations étaient programmées il y a eu une participation mais dès que le relai a été laissé aux habitants, l’utilisation de ces espaces s’est arrêtée... Aussi il faudrait prévoir un après-construction d’emblée dans la conception avec tous les acteurs du quartier, en envisageant dès le départ l’animation de cet espace, avec une répartition des rôles de chacun et la recherche des financements nécessaires. Pour clore, j’aimerais reprendre la citation issue de l’article « Les évolutions dans la conception et la fabrication de logements en Île-de-France » 393 résumant mon propos, étant le dilemme questionnant la notion d'appropriation au regard d’un standard dans le logement collectif Français. « La conception et la fabrication du logement constituent un monde de paradoxes : le logement doit être à la fois générique et spécifique, permettre l’intime et le collectif, il doit permettre la stabilité mais aussi être évolutif. Cela génère une grande diversité de positionnements, tant de la part des maîtres d’ouvrage que des maîtres d’œuvre. Cependant, ces divergences ne sont pas contradictoires et témoignent avant tout de préoccupations sur les évolutions à venir du logement, en lien avec une évolution des modes de vie et des préoccupations environnementales. Dans le contexte métropolitain, comment le logement peut-il évoluer pour répondre à la fois aux désirs d’intimité et de vivre ensemble ? »394
390
Ibid. Elodie Suigo, « Jean Nouvel : L’architecture peut créer d’autres conditions de vie en cas de nouveau confinement et c’est malheureusement probable », Franceinfo, 2020, en ligne, <https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-d-elodie/le-monde-d-elodie-jean-nouvel-je-pense-auxconfines-dans-des-appartements-tout-petits-avec-des-petites-fenetres_3885331.html>, consulté le 30 avril 2021. 392 Ibid. 393 D’Ile-de-France LES CAUE, loc. cit. 394 Ibid. 391
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Vidéographie : -
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ANNEXES 1/ SYNTHÈSE DES DIFFÉRENTS PRINCIPES D’APPROPRIATION ÉTUDIÉS Cette synthèse permet de voir l’évolution de l’approche architecturale de la notion d’appropriation des années 80 à aujourd'hui étudiées dans le mémoire:
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2/ SONDAGE ARCHITECTURE ET APPROPRIATION
1a- Laquelle de ces citations expriment le mieux votre vision de l'appropriation ? -
"Notre habitat est comme une 3ème peau après la nôtre et nos vêtements, à travers notre chez soi nous développons une continuité du corps et de l’esprit dans un espace physique qui permet de nous identifier." Hundertwasser - "Moins la répétition, le tout pareil, sera perceptible plus le « chez soi » sera appréciable. Mais si on continue de concevoir les logements comme des « conteneurs », c’est la mort annoncée, non seulement de l’architecture mais du plaisir d’être « chez soi »" _Alain Sarfati - "L’habitat est le lieu dans lequel on réalise l’action d’habiter et ou se développe notre intimité, on adapte notre logement à notre mode de vie, notre culture, notre personnalité." _Perla Serfaty - "Si l’habitat est produit, l’appropriation de l’habitat n’est pas un sous-produit mais l’aventure même de l’habiter" _Marion Segaud - "L’appropriation ne concerne pas seulement le marquage ou les signes que l’occupant des lieux appose, mais aussi la façon de les poser ou de les reconnaître." _Amphoux et Mondada - "Chez moi l’habitat, le lieu de vie c’est pas qu’un reflet de l’ame c’est un moteur, le moteur du morale le berceau, le cadre dans lequel se construit notre humeur comme notre meilleur ami toujours de bon conseil toujours de bonne humeur" _Ben Mazué
1b- Comment définissez-vous l’appropriation au sein du logement collectif ? (Le définir en une phrase) - « S'approprier son appartement c'est le meubler et le décorer de manière à avoir des repères, ressentir un bien-être, se sentir en sécurité, comme un oiseau dans son nid. » - « un miroir de soi : doit refléter ce que nous sommes, nous aimons, mais aussi notre tempérament » - « Pour ma part, l'appropriation du logement collectif se définit par trois grands éléments, la décoration, l'espace et la luminosité »
2a- Comment l’appliquez-vous à votre logement ? (Donnez au moins 3 exemples) -« Plantations, décoration, agencement de l’espace » -« Bouger les meubles de places, afficher des choses au murs, construire des meubles en carton lorsqu'il en manque » -« Le décorer, le faire vivre (musique, soirées, apéro), donner un sens ou un contexte »
2b- Selon vos exemples précédents, notez votre satisfaction face à l'appropriation de votre logement et votre manière de l'habiter? (sur une échelle de 1 à 10)
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2c- Qu’est ce qui est indispensable pour vous, afin de passer d'un logement "banal" à un véritable "chez soi"? (Dans du logement collectif locatif)
3a- Pensez-vous que l’appropriation d’un appartement est possible au sein d’un logement collectif ?
3b- Si oui, comment ? -« Plantations, décoration, agencement de l’espace » -« Bouger les meubles de places, afficher des choses au murs, construire des meubles en carton lorsqu'il en manque » -« Le décorer, le faire vivre (musique, soirées, apéro), donner un sens ou un contexte »
3c- Si non, pourquoi ? -« Les murs blancs, le plan carré, les mêmes matériaux, ... tous les nouveaux appartements sont identiques, il y a juste la place de la porte d'entrée et la vue à la fenêtre qui change. Comment peut-on se sentir dans un chez soi unique quand tous les appartements se ressemblent ? » -« En location, on ne peut rien y faire, un trou dans le mur et c'est la cata ! » -« Collectif et appropriation me semblent contradictoires. »
4- Pensez-vous que la question de l’appropriation a connu une évolution dans le logement depuis les années50? -« Je ne crois pas. En traversant les époques, les codes d'appropriation d'un logement demeurent les mêmes. » -« Oui et non puisque les logements restent toujours agencer de la même manière. » -« Je pense qu'il y a dû y avoir des efforts de fait surtout ces derniers temps, pour que les logements ne ressemblent plus à des blocs, ou des bâtiments tous moches et pas fonctionnels »
5a- De plus en plus de promoteurs se tournent vers une production de logement simple et répétitif (similaire à des « cages à lapins »), afin de loger le plus de monde, pensez-vous échapper à cette logique ?
5b- Si oui, Comment? -« J'ai besoin de vivre dans un logement plus grand» -« J'ai habité dans des appartement plus anciens et donc plus atypiques dans le plan » -« Trouver des vieux bâtiments à rénover... ou trouver des solutions d'ouverture de façade sur les bâtiments cage-à-lapin »
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7- Pensez-vous que lors de la conception de votre logement, que le concepteur a pris en compte la notion d’appropriation ?
8- Certains concepteurs ont pris en compte la notion d'appropriation par les habitants dans leurs conceptions de projet. Voici 4 exemples, veuillez les classer dans l'ordre qui vous paraît le plus efficace pour répondre à cette question (Ex Autre: 3-4-1-2 )
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1- Jean Nouvel, Nemausus: Propose des espaces plus larges au même prix (Retirant certain second œuvre) 2- Jean Renaudie, Logement étoile: Propose de nouveaux espaces en plan 3- Sophie Delhay, Libre appropriation: Modularité du plan, qui s’adapte à l’évolution du foyer 4- Beatriz Ramo, Ilot 3H: Réfléchis directement avec l’habitant, afin de penser au préalable des évolutions possibles
9- Selon vous laquelle de ces 3 images définit-t-elle le mieux l'appropriation de votre logement idéal? (Source : https://creapills.com/twitter-dessin-coronamaison-challenge-confinement-20200319)
Le logement sobre, se limitant au nécessaire
Le logement solitaire, calme et ouvert sur l'extérieur
Le logement accueillant, festif et vivant
10- Pouvez-vous illustrer votre vision de l'appropriation d'un logement collectif? (ou donner une photographie, texte, citation... décrivant votre manière d'approprier votre logement)
Avez-vous des commentaires à ajouter ? Merci Lien : https://forms.gle/daHuQp9BktD3GLpw9
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3/ RETRANSCRIPTION DOCUMENTAIRE Hubert Knapp: « Les étoiles de Renaudie 1979 architecture innovante à Ivry et Givors logements collectifs HLM par Jean Renaudie - Vidéo Dailymotion », Dailymotion, en ligne, <https://www.dailymotion.com/video/xw8k9m> Dans les interviews, j’ai relevé les aspect positifs et négatifs face à l’appropriation du logement par ses habitants: les habitants disent apprécier notamment :
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Les aspects extérieurs : La relation au jardin qui permet de s’y sentir bien et d’avoir un lieu de vie « formidable » ou encore on peut faire dans cet immeuble des choses formidables grâce aux terrasses, on prend le temps d’apprendre à jardiner, en vivant avec les saisons, « c’est peut être grandiloquent ce que je vais dire mais ici j’ai l'impression d’avoir trouvé un sens à vivre », … la terrasse permet d’amener de la vie dans le logement, ainsi que la mise en relation avec les voisins ». Sur cette question Renaudie répond : « Je mesure l’importance de la terrasse, elle change énormément de choses dans l’habitat, pour l’habitant, elle permet de ne pas se sentir directement dans le vide, elle permet la mise en intimité ou une mise en connexion » Les formes multiples avec un partage des coins qui permet de s’isoler en étant libre dans chaque pièce. Les formes qui offrent des angles brisés qui choquent à priori, mais les habitants n’ont eu aucun mal à vivre dedans, grâce à la sensation de grande surface, les nombreuses ouvertures, qui génèrent des coins et des recoins que les habitants peuvent habiter
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Il y a une appropriation qui se fait dans ces bâtiments qui est très rapide, « on met les choses en place, on se l'approprie et on se sent dedans comme un poisson dans l’eau ».
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La multiplicité des plans qui permet une appropriation multiple, « il faut simplement trouver l’appartement qui convient à notre vision de l’habitat ».
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Un habitant estime : « Nous ne sommes pas des numéros. Ici les gens sourient, et le sourire manquait au lieu où je vivais avant. Mr Renaudie a fait quelque chose à mon sens de merveilleux, il a pensé à ceux qui allaient l’habiter donc nous avons un allié et un complice » Sur cette question Renaudie répond : « Les habitants doivent être acteurs et non plus spectateurs » L’architecte veut produire des espaces non prédéfinis, des « non-espaces », qui pourraient laisser les usagers libres de s’approprier les lieux à leur guise. Concernant les volumes et les angles : Les pièces à vivre sont agréables, le fait qu’elles soient biscornues, avec des angles, que les chambres soient petites sont de faux problèmes » un autre exprime : « Une cuisine c’est carré, une chambre aussi, alors j’ai fait des tas de dessins pour caser mes meubles et tous mes anciens meubles sont rentrés ! » les étoiles constituent encore une référence à l’heure actuelle : « Restent aujourd’hui, quarante à cinquante ans plus tard, un modèle en typologie d’habitat qui est passionnant, que ce soit pour le confort, l’habitabilité, l’appropriation, le partage des espaces communs. Cette personne regrette : « En France, l’âge de l’expérimentation utopique est tristement révolu »
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Parmi les aspects négatifs, nous notons : -
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Au départ que plusieurs des habitants ont des difficultés à ce changement de formes, à ces propositions différentes offertes par l’architecte parmi eux une femme ne s’y plaisait pas, « c’était très laid, tout était livré tel quel », elle n’arrivait pas à se l’approprier, choquée par la forme « bizarroïde » qu’offrait le bâtiment face à la forme carrée des pièces standard, (mais cela s’est amélioré par la suite). Une autre femme s’exprime plus en lien avec l’environnement et la nature son refus d’être en ville : « je ne vis pas bien ici, on vit les uns sur les autres, trop grand ensemble, je voudrais plus d’espace, plus de liberté, vivre mieux, vivre dans la verdure… » L’auteur de l’interview présente les sondages réalisés avec des habitants. De nombreux retours concernent notamment les pièces trop étroites, comme les chambres d’enfants n’offrant l’espace que pour un lit simple et ne permettant pas de penser l’évolution du logement « Par exemple mon fils, dans sa chambre, on ne peut mettre qu’un lit une place, donc quand il voudra inviter sa fiancée à la maison [rires], alors je ne sais pas comment on fera là, on sera obligés de faire des chaises musicales de chambres, ou aménager le bureau en chambre, enfin on se débrouillera quoi. » D’autres critiquent les nombreux angles ne pouvant pas installer leurs meubles, des logements trop ouverts sur l'extérieur ne permettant pas l’intimité avec les vis à vis « En fait j’ai mis des rideaux ici parce que quand on dormait dans cette chambre ça me permettait de… ben j’aimais pas trop que les gens d’en face me voient dans mon lit quoi. » Le projet propose un idéal de vie, imposant une façon de vivre qui change d’une standardisation et qui de ce fait ne s’applique pas à tout le monde. « Y’a des gens qui sont venus là par hasard parce qu’on leur a attribué un logement et puis qu’ils n’aiment pas du tout hein ! »
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4/ ANALYSE PHOTOGRAPHIQUE PERSONNELLE : PROJET LOGEMENT ÉTOILE Promenade dans le projet de Jean Renaudie, A la recherche de l’appropriation de ses habitants :
Au détour d’une rue, des formes nouvelles jaillissent, des façades peu ordinaires recouvrent le paysage,
Sous les arcades de béton brut se dessine des lignes, offrant des aménagements, les formes se complexifient
En prenant de la hauteur on se rend compte de la complexité de la forme, appropriée par quelques habitants
Depuis sa construction le béton a vieilli, les arbres ont grandi, mais les habitants restent conquis.
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5/ RETRANSCRIPTION AVEC MES COMMENTAIRES DE LA CONFÉRENCE La conception du logement : nouveaux modes de vie, nouvelles typologies qui s'est déroulée à la cité de l’architecture et du patrimoine le jeudi 21 novembre 2019. Présentée par l’architecte Martin Lepoutre, elle réunissait les cinq architectes : Gricha Bourbouze, Sophie Delhay , Matthias Heinz , Charles-Henri Tachon , Jean-Paul Jaccaud La conférence commence par la lecture d’une citation de l’architecte Michael Alder issue du livre Typology+395 écrit en collaboration par les architectes Autrichiens : Markus Kuntscher, Peter Ebner, Ulrike Wietzorrek, Roman Höllbacher et Eva Herrmann, présentant une centaine de projets de logements à travers le monde. « Quand je conçois une maison je pars des espaces intérieurs que je ne peux pas toujours définir, ils peuvent être utilisés de manière différente et ce qu’ils seront exactement c’est l’habitant qui le découvrira, autrement dit la vie à l'intérieur de ses murs fait aussi partie de l’architecture »396. Cette citation explique qu’on peut difficilement penser par avance l’appropriation de l’habitant étant donné la complexité que chaque être renferme. Les architectes Français et Suisses discutent des différences entre leurs pays concernant la liberté d’appropriation qui doit être pensée dès la conception, davantage inscrite dans la pratique Suisse. Plusieurs questions y ont été abordées : Quelles réponses contemporaines les architectes tentent-ils d'apporter à ce dilemme ? Comment donner plus de modularité et d'autonomie aux pièces? Comment trouver un juste équilibre entre ouverture et intimité, entre pièces communes et pièces individuelles ? Comment créer de la marge pour des usages incertains, ponctuels, tout en entrant dans les budgets de plus en plus serrés des maîtres d'ouvrage ?... Toutes ces problématiques répondent à l’objectif clé de ce mémoire : Comment améliorer la notion d’appropriation dans la conception des logements collectifs. L’architecte Charles Henri Tachon commence sa présentation en expliquant sa vision de pensée de l'architecture contemporaine: Selon lui, l'adaptation de notre logement au mode de vie contemporain constitue une grande préoccupation actuelle. Il explique que même les promoteurs proposent des logements où la liberté d’appropriation prend place plutôt que les produits qu’ils ont conservés durant des années. Les logements standard n’étant plus adaptés à la demande des clients, ils s’interrogent sur comment innover afin de correspondre au mieux aux nouvelles manières d’habiter. Le texte de présentation des cycles de conférence vient appuyer ce propos : « À ce premier challenge s'ajoute la raréfaction du foncier et l'augmentation du prix de la construction, en partie liées aux exigences accrues en matière de confort thermique et d'isolation. Les normes d'accessibilité ne sont également pas le moindre des soucis des architectes qui travaillent sur le logement collectif, gonflant certains espaces de services et de circulation au détriment des pièces à vivre. Une situation en partie assouplie dans certains cadres spécifiques qui offrent à travers l'expérimentation un ensemble de réflexions alternatives pour améliorer une production et une offre de logements qui peut apparaître comme stéréotypée. »397 Même si l’architecte explique que paradoxalement certains habitants s’approprient très bien les logements proposés aujourd’hui, comme ceux appartenant au style Haussmannien, il se questionne alors « Comment ça se fait que nos modes de vie ont tant évolué ? » Il présente à la suite un plan de l’architecte Philippe Gaso qui réinterprète le dispositif Haussmannien en l’adaptant à la société contemporaine, avec une cuisine ouverte et les circulations en façades. Puis présente le travail de Yves Lion et François Leclercq, quant à eux, ont mené une réflexion pour apporter plus d’espace dans moins de surface, pour inventer la bande active, configurée comme une concentration centralisée et linéaire des pièces humides, la bande active se situe au cœur de l’appartement, grâce à l’ajustement du plan de façade et à la profondeur de l’immeuble. Cela permet de libérer l’espace et de l’utiliser de manière plus libre : L’organisation des pièces est alors revue pour prendre en compte les notions d’intimité et d’appropriation.
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Peter Ebner, Eva Herrmann, Roman Röllbacher, et al., Typologie+: Innovativer Wohnungsbau, 1er édition, Basel ; Boston, Birkhauser, 2009. Ibid., p. 10. 397 Ecole nationale supérieur d’architecture de Nancy, Focus thématiques des mois précédents - Focus thématique - Documentation -, en ligne, <http://www.nancy.archi.fr/fr/focus-thematiques-des-mois-precedents.html#Mars%202020>, consulté le 1 mai 2021. 396
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Charles Henri Tachon soulève la question, que nous avons déjà abordée, de la standardisation primant sur la qualité du logement : « Les plans devenus standard, ne sont plus réinterrogés, on réfléchit plus qu'à l'aspect esthétique du bâtiment ». Face à ce constat, l’architecte propose de repenser le logement en plan, en arrêtant de proposer des typologies mais en offrant des pièces aux dimensions relativement équivalentes sans leur donner d’attributions à l’origine. Cette méthode laisse l’habitant, libre arbitre de son appropriation, lui permettant de choisir en fonction de ses besoins. Cependant étant donné les habitudes prises par les concepteurs, il semble difficile de se détacher des standards proposés depuis des années. Dans ses réalisations, l’architecte tente de s’en approcher en offrant une sensation de grandeur et en travaillant sur l'enchaînement des pièces, jouant sur l’effet de perspective ou un autre projet. Il travaille également sur les hauteurs, permettant d’offrir des volumes différents mais qu’il qualifie "d'exceptionnels''. Il salue le travail de Sophie Delhay qui a réussi à appliquer un nouveau système en architecture. Sophie Delhay présente alors son travail, elle explique que pour son agence l’unité de travail n’est pas le logement mais la pièce, une pièce carrée de 3m60 de côté soit 13m², composée pour reformuler un habitat plus adapté et adaptable, laissant place à l’appropriation de ses habitants, et permettant d’exprimer leurs choix d’attribution spatiale. Nous étudierons par la suite l’un de ses projets où elle applique l’expérimentation qui l'a menée à ce principe lui permettant d’obtenir le prix d’équerre d’argent 2019. Puis, c’est au tour de Gricha Bourbouze de prendre la parole: « On essaye d’évaluer les modes passés en les adaptant à de nouvelles expérimentations », il présente l’évolution d’expérimentations architecturales tournant autour de la notion d'appropriation. Il prend appui sur le projet de Renaudie « Les étoiles d’Ivry » que nous avons vu en deuxième partie, qui met en relation formes et spatialités ainsi que le projet Nemausus de Jean Nouvel, qui propose une image des logements généreux et ouverts. Il présente ensuite les recherches de Lacaton et Vassal en expliquant qu’on peut tout faire en respectant les réglementations et contraintes, on peut proposer des logements adaptés et adaptables comme nous le verrons par la suite avec la réhabilitation de la tour Bois le prêtre à Paris. Ce positionnement répond à mon questionnement : les normes ne sont pas une contrainte, il y a toujours moyen de proposer de nouvelles expérimentations dans le logement malgré leurs applications. Cependant la discussion soulève la comparaison aux pays voisins comme l'Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, où les réglementations sont moindres permettant une plus grande liberté en plan. Jean-Paul Jaccaud ouvre la discussion menant à la diversité sociale actuelle qu’il requestionne en architecture « Il y a une telle quantité d’histoires , et de typologies qui essayent de répondre à l'évolution de la société en s'adaptant parfaitement aux différents changements, ne serait-il pas mieux de réfléchir à une notion de permanence de certains modèles qui restent encore très pertinents face aux attentes contemporaines pour répondre à des questions de durabilité ne cherchant pas systématiquement à tout réinventer, mais au contraire proposer des solution plus ouvertes et durables grâce à leurs possibilités d'évolution? » Martin Lepoutre complète en disant qu’il faut diversifier la variation des types au lieu d’inventer quelque chose « Autant qu’il y a de modes de vie, autant il faut différentes typologies et c’est l’exemple qu’il faut donner aux maîtres d’ouvrages sachant que la demande est tellement forte en logement qu’il y aura toujours une demande”. Il ajoute « contrairement à la période d'après-guerre où il fallait produire un logement type pour tout le monde alors qu’aujourd’hui il faut construire beaucoup de modèles pour beaucoup de modes de vie. » Il met donc en avant l’idée de proposer un logement qui s'adapte aux modes de vie changeants. Cependant, Gricha Bourbouze relève la problématique actuelle qui est la lenteur de l'évolution dans la création des programmes architecturaux, « Le souci est dû à une évolution extrêmement lente, ce sont les mêmes programmes depuis 20 ans, toutes les surfaces sont toujours identiques où tout est conditionné ». Cependant il reprend en disant « qu’on ne peut rien y changer, c’est comme ça, il faut donc se questionner sur comment faire des logements de qualité à une grande échelle pour répondre aux demandes de 40 000 logements par an comme l’impose le président ».
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6/ APPROPRIATION PAR LES HABITANTS SOPHIE DELHAY Questionnaire permettant la base des discussions : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.
Pensez-vous que la notion d'appropriation est possible au sein d’un logement collectif? Comment la définissez-vous ? Comment s’applique-t-elle dans votre logement ? Que pensez-vous de la disposition de votre appartement, en êtes-vous satisfait? C’est vous qui l’avez décidé ou elle était déjà présente à votre arrivée? Ressentez-vous une différence entre un logement standard et le vôtre? Que pensez-vous des espaces communs partagés? Sont-elles utilisées pour les fêtes de voisins, expositions, projection de film… comme avait énoncé l’architecte? Auriez-vous préféré des espaces privés? Êtes- vous satisfait de votre logement donnez une note sur 10?
RETRANSCRIPTION DE 3 ENTRETIENS Cyrille et Coralie : Deux voisines buvant le café dans le jardin collectif (RDC) Durée de l'entretien : 10 minutes Note: Cyrille 9/10 Coralie 7/10 Marius : Que pensez-vous de la notion d'appropriation au sein d’un logement collectif? comment peut- on se sentir chez soi dans un logement ou il y a beaucoup d’habitants différents et où il faut répondre au besoin de tous ? Cyrille : Bonne question. Ma : Si c'est par de la décoration, de l'ameublement, de la transformation des pièces ? Cy : Par rapport à ça, la question du coup elle est hyper vague. Ce n'est pas par rapport à l'entente mais plutôt au logement lui-même. Ma : C’est ça, comment on peut se sentir chez soi dans un logement alors qu'on est dans un collectif en fait. Cy : Ah bah il faut l’aménager à son goût voilà déjà, c’est la base. Ma : Tout à fait, je suis d'accord, vous le définissez comme ça, du coup, par l’aménagement de quelque chose qui nous appartient, essayez de le mettre à son image, si j'ai bien compris. Cy : Oui voilà tout à fait.
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Ma : Ok, et comment vous l'appliquez dans votre logement, par exemple avec des décorations, des posters ? Cy : J'ai mis ma peinture, par exemple, ma déco, voilà . Coralie : On a eu le logement, c'était à vide, aucun meuble rien du tout , c'est nos meubles à nous. M a : Et c'est acheter ici où ? Coralie : Non, à louer. ma : Il n'y avait rien du tout dedans, c'était complètement vide et donc c'est vous qui avez choisi. Co : Si il y avait les toilettes, mais les toilettes c'est à part mais sinon tout ce qui est meubles et tout c'est les nôtres. Ma : Et donc c'est vous qui avez choisi où est-ce que vous mettriez votre chambre, votre salon, tout ça Co : Voilà tout à fait Ma : Et donc vous habitez ensemble toutes les deux? Co : Non c'est ma voisine Ma : Et donc vous avez des répartitions complètement différentes l'une de l'autre ? Cy : Bah on n'a pas les mêmes appartements, elle a 2 chambres, moi j'en ai qu'une et dans la distribution c'est pareil. Ma : Ok, et du coup que pensez-vous de cette libre disposition dans l'appartement, est-ce que c'est bien? où est-ce que vous auriez préféré que l'on vous dise là c'est la chambre , ici la cuisine? Co : On aurait bien aimé changer la cuisine et la pièce du fond qui est ridicule entre les deux, parce qu'on a une pièce au fond, la cuisine et après on a une pièce c'est ridicule. On aurait voulu la cuisine au bout une pièce et une autre pièce Cy : En fait la cuisine c'est un point central, séparé par deux espèces de mûrs, et après la cuisine il y a une pièce qui fait office de je ne sais quoi mais elle est petite trop petite, voilà. Co : Il faudrait inverser au moins ces 2 pièces. Ma : D’accord ok, super est-ce qu'il y a déjà une personne qui avait loué avec des meubles où il y avait déjà une disposition? vous ne savez pas ? Normalement c'est vide ? Co : Oui aucun locataire n'est venu avec les meubles dedans. Ma : Ok est-ce qu'il y a une différence entre un appartement standard et celui-ci? Est-ce que vous ressentez quelque chose de différent ? Cy : Bah oui parce qu'en bas c'est des appartements pour handicapés à la base donc les espaces sont plus grands, les portes sont plus grandes, les toilettes sont immenses par exemple c'est des portes coulissantes. Ma : Et qu'est-ce que vous pensez des terrasses partagées? car j'ai vu qu'il y en avait dans le bâtiment en face, où tout le monde pouvez aller, les espaces jaunes, je sais pas si vous y allez parce qu'ils parlaient dans le projet d'espaces pour du cinéma tout cela ne se fait pas du tout ? Cy : Non, ou du moins on y va pas. Co : Ouais ouais, c'est du bla-bla pour rien. Ma : Et vous ne voyez même pas d'autres habitants allez plus là-bas? Co : Non la plupart du temps c'est des gamins sans surveillance, on ne voit pas d'adultes. Ma : Oui qui vont jouer, ok, donc ça n'a pas marché. et est-ce que vous auriez préféré des espaces privés parce que je vois qu'il y a des petits jardins, est-ce que ça aurait été bien. Co : Il y a que nous que c'est comme ça, et les autres. Du coup ils ont un jardin collectif, un jardin commun, ils ont de l'espace derrière mais ils n'ont pas à aller dans nos jardins à nous. Ma : Et donc ça vous êtes content quand même d'avoir un petit espace pour vous c'est bien? Co : Carrément c'est super. Ma : Oui surtout quand il fait beau c'est bien c'est sympa d'avoir une petite table aussi pour partager. et si vous devez donner une note sur 10 sur votre logement, sur comment vous vous sentez bien dedans, ce serait à peu près combien? Cy : Et oui mais après il y a des défauts parce que le bâtiment bouge par exemple. Ma : Ah oui Co : Ah oui oui oui on a des fissures partout, le bâtiment d'en face il penche, mais non Cy : Oui je pense qu'il y a un gros défaut de construction parce qu'il y a beaucoup de vices cachés. mais en eux-mêmes les appartements sont sympas. Ma : On ne le ressent pas, mais c'est dans l'ensemble qu'il y a des défauts. C'est bon j'ai posé toutes mes questions est-ce qu'il y a des choses que vous voulez rajouter en rapport à ça, sur la manière de comment on vit en communauté? Co : Bah pour le prochain qui va créer un bâtiment comme ça. Mets ta cuisine au moins il y a une bonne fenêtre, tu vois pour la cuisson l'huile à friture parce qu'après c'est dégueu ça sent dans toute la pièce, on a pas de fenêtre . Et ne mets pas la cuisine en plein milieu s'il te plaît Ma : bon ben super et je ne sais pas ce que je peux ajouter. Co : Évite les portes coulissantes. Cy : Vous faites une enquête qui n'est que sur ce bâtiment si ? Ma : J'ai fait plusieurs enquêtes sur des bâtiments différents dans toute la France mais je suis de Roubaix donc je voulais un bâtiment local. il disait que ce bâtiment était un peu différent des barres HLM et ça se ressent même là c'est convivial. Cy : Oui c'est vrai qu'au niveau de la structure il est bien , et nous on a le soleil toute l'après-midi. Co : Nous on a le jardin c'est super, ceux à l'étage avec le confinement ils sont privés les pauvres. Ma : Ils ont mais c'est vrai que ce n'est pas pareil. Co : Ils ne viennent pas, c'est rare la plupart c'est les enfants. Nous on profites agréablement du jardin.
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Ashraf : fils d’une famille maghrébine dans son appartement (R+1) Durée de l'entretien : 8 minutes Notes: 0/10 Marius : Que pensez-vous de la notion d'appropriation au sein d’ un logement collectif, en gros comment on peut se sentir chez soi alors qu’on est dans un collectif ? avec plein d'habitants ? Ashraf : Bah franchement on va dire que dans les autres logements on peut se sentir chez soi mais comme ici c'est que du placo on entend tous des voisins... s'ils parlent ou s'il y a une engueulade on entend tout donc on se sent pas chez soi ça, ressemble plus à une colocation. Ma : Et ça va la vie en communauté ici où ? AF : Bah au début ça allait il y avait peu de monde mais maintenant les logements sont tous remplis les règles ne sont plus trop respectées donc c'est chacun pour sa gueule. Ma : Et donc vous vous le feriez comment la manière dont on s'approprie un lieu? ce serait plus tranquille? af : Bah un peu plus tranquille moins de monde parce que quand vous avez 50 logements ici ça fait trop de personnes, une petite résidence ce serait mieux je pense ça serait top. Ma : Et comment vous pouvez vous revendiquer chez vous dans ce logement, avec des meubles des affaires ? vous avez repeint les murs, mis des affiches ? af : Franchement pas du tout, en fait c'est plus le privé, chacun chez soi, chacun fait ce qu'il veut et dans son appart, et on se mêle pas des autres, les autres ne se mêlent pas de nous. Ma : Mais du coup comme je vois, vous avez un balcon vous pouvez mettre des trucs. af : Bah nous ce qu'on fait c'est tout ce qui est plantes, avec les voisins on avait fait des bans ensemble mais en vrai on a pas le droit de mettre des pots de fleurs, tout ce qui a ici on a pas le droit ils ne veulent pas. Même des décorations on a pas le droit. ma : Ok bon je vais le prendre en note, comment vous pensez la disposition de votre appartement car j'ai vu que c'était des plans un peu libres, et qu'on pouvait choisir où est-ce qu'on voulait placer notre cuisine notre chambre notre salon Af: Ca a été fait sur plan avant qu'on construise la résidence on était venu il mettait les plans : il y a ça, ça, ça vous voulez, vous voulez pas. Et c'est tout. Je sais qu'on avait choisi notre logement 2 ans avant que ce soit construit. ma : Ok et vous avez pu choisir quoi af: Nous on choisit rien, c'est eux ils nous disent ,s'il y a un logement y a 3 chambres ici , ici il y en a deux , là c'est sur deux étages. Ma : Ok, mais vous avez pu voir un peu les plans. af: Oui on avait les plans mais… quand quelqu'un ne s'y connaît pas on comprend rien. Ma : Ok, oui c'est sûr vous me dites que c'était déjà présent la disposition vous n'avez pas pu choisir. Af: oui on est arrivés à la fin Ma: Mais du coup vous habitez ici depuis la création du logement. Af : Oui depuis 2012-2013; Ma : Du coup, il y a une différence entre un logement standard et le vôtre ? Est-ce que vous vous sentez mieux ? Af : C'est-à-dire les anciens? Ma : Oui ben comme les barres HLM qu'on voit en face. Af : Les anciennes elles sont top, elles sont mieux, parce que si le problème c'est les matériaux, ça a été construit hyper vite en même pas 1 an. alors là on a des problèmes de dégâts des eaux . On a des voisins de l'autre côté, ils ont des inondations. Ma : On m'a même dit que le bâtiment commence à s'effondrer. Af: Voilà, même nous on a une moisissure sur le mur en haut ça fuit. Ça fait 5 ans qu'on est en justice avec le bailleur. et moi je déconseille tout ce qui est nouveau logement c'est que de la merde , c'est que du plastique, que du placo, c'est pas solide, on entend tout le monde. tout s’effrite . le logement il fait beau, l'apparence est belle mais c'est que de l'apparence, je préfère un truc moche mais au moins solide. C'est juste beau, il y a des plantes et tout mais c'est que du tape à l'œil. Ma : Est-ce que justement parce que j’ai vu que dans les particularités il y avait des espaces communs partagés. comment voilà toutes les terrasses qui ont été pensées c'est utiliser ou pas du tout. Af : Pas du tout, peut-être, aller les trois premiers mois il y avait des participants qui venaient peindre, faisaient des petites séances photos etcetera mais franchement c'est inutile à part le bas où il y a des petits-enfants qui descendent jouer et c'est tout. Ma : Donc on ne se l'est pas approprié c'est de l'espace vide. Af : Oui franchement, c’est de l' espace vide. Ma : Ils parlaient de faire des films tout ça Af : Dans le temps il mettait des films mais sans plus, une fois, 2 fois 3 fois, une fois ils sont venus avec des moutons je vous raconte pas. mais depuis il n'y a rien qui est fait. ça fait 2 ans qu'il n'y a rien du tout, peut-être en été il y a 2,3 ans il avait fait une soirée film derrière mais c'est tout. ça ne dépasse pas le film. Ma : Il n'y a jamais de fête entre voisins, c'est pas trop un esprit communautaire ? Af: On l'a fait peut-être une fois au début après plus jamais.
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Nathalie : Femme et son fils dans son logement (R+1) Durée de l'entretien : 15 minutes Note: 10/10. Ma: Que pensez-vous de la notion d’appropriation au sein d’un logement collectif ? Est-ce qu’on peut se sentir chez soi ? Na: Bien sûr on peut se sentir chez soi, on est chez soi. Après l’idée c’est justement de faire la différence entre la partie individuelle et la partie collective. Les espaces communs font partie de la partie collective. Ma: Et ici, ils sont quand même assez importants, enfin selon le projet, j’ai cru comprendre que ça ne s’était pas très bien réalisé ? Na: C’était un peu l’objectif de la résidence, des espaces collectifs et des espaces individuels familiaux. Ma: Maintenant, ça ne fonctionne plus du tout ? Na: Y a pas énormément de choses... Ma: D’accord, j’ai eu quelques retours par rapport à des soirées cinéma etc… Na: Oui, il y avait des choses mais très peu de gens y allaient. Et puis, si ça n’a pas duré c’est que ça n’a pas accroché. Finalement, l’appropriation collective s’est faite sans les habitants, c’est peut-être pour ça que ça n’a pas accroché ? Il y a eu quelques films, mais il faut proposer du contenu qui pourra plaire à tout le monde. L’idée était aussi de faire venir des familles (grands et petits). Je pense qu’il n'y a jamais eu de projections pour les enfants. L’idée était peut-être de convaincre les parents et pas les enfants . Je suis allée aux évènements. Ce qui est dommage, c’est le vent et le temps doit être adéquat pour pouvoir voir les films mais l’idée était géniale. Ma: Mais c’était plus vendeur que réaliste ? Na: Pas grand public. Une fois, ils nous ont demandé de voter entre 3 propositions. Après vous savez moi je travaille en tant que médiatrice culturelle, donc je sais bien qu’il faut sensibiliser les gens à un événement pour qu’ils viennent. Ma: Vous avez essayé de motiver les gens etc.. ? Na: Oui j’ai proposé mais pas de retour. L’idée est bien le partage, garder sa liberté et permettre une mixité sociale donc oui je suis contente. Ma: Est-ce que dans votre logement, la liberté d’appropriation que proposait l’architecte était intéressante ? (faire comme on veut autour du logement) ? Na: Oui j’ai trouvé ça bien. Le concept de la cuisine ouverte est intéressant. Ma: Est-ce que vous auriez préféré qu’ils mettent du budget pour des balcons etc… ? Na: Les espaces communs n’ont plus lieu d’être mais oui intéressant. Les espaces communs c’est bien, mais ils sont laissés à l’abandon parce qu’il n' y a plus de gardien, et c’est de l’entretien. Le jardin récupéré, tout le monde pouvait y aller donc c’est aussi intéressant mais entre les deux bâtiments pour certains, ils ont l'impression qu’on rentre chez eux. J’ai de la chance, je suis en bout du balcon, mon gamin y venait faire un petit peu de jardin etc… Donc oui je me suis approprié le lieu. Il n'y a pas eu de concierge depuis longtemps donc c’est à l’initiative des locataires, d'entretenir. Poubelles etc… Ma: Est ce qu'il y aurait une différence entre un logement standard et celui qui est proposé ici comme un HLM ou autre.. ? Na: Non qu’est-ce qu’il y a de différent ? Les logements sont maintenant de plus en plus adaptés. Je n’ai pas non plus cette impression. Oui, ils ont eu un prix pour cet immeuble mais j’ai l’impression que le prix était aussi lié aux idées du vivre ensemble qui était avec. Mais là aujourd’hui, vous prenez n’importe quel habitant, il ne le voit pas. Les espaces on les utilise plus. Ce que je trouve intéressant c’est que je prends pas l’ascenseur donc petite balade. Rare qu’on rentre par l’intérieur pour les logements collectifs. Ma: Et la terrasse tout en haut, vous y allez ? Na: Oui c’est super, le nouvel an c’est bien pour les feux d’artifices. Et aussi pour la fête des voisins, l' espace collectif est utilisé. Les deux premières années, ça a plutôt bien fonctionné et puis après plus rien. Il faut aussi prendre en compte le quartier Fives, il faut être à l’écoute des gens pour ensuite monter en puissance, pour proposer quelque chose d’adéquat. Le problème si vous avez un projet ambitieux, il faut qu’il soit suivi et qu’il aille avec le quartier.
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7/ ANALYSE PHOTOGRAPHIQUE PERSONNELLE : VISITE DU PROJET MACHU PICCHU Promenade dans le projet de Sophie Delhay, A la recherche de l’appropriation de ses habitants :
Dès l’entrée dans le jardin, le parcours nous guide vers l’escalier extérieur qui mène aux terrasses
De petits aménagements sont construits par les habitants, reflétant le manque d’équipements associés
Une fois dans le logement on se rend compte de la neutralité de l’espace qui permet des usages multiples.
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8/ GRILLE METHODOLOGIQUE Titre de la recherche
ARCHITECTURE ET APPROPRIATION
Sous-titre
EXPÉRIMENTATION ET LOGEMENT COLLECTIF EN FRANCE
Contexte et enjeux
A la suite d’un contexte d’après-guerre, les logements collectifs ont répondu à un besoin de logement massif et en urgence, débouchant sur les constructions des grands ensembles ou l’appropriation était secondaire, au profit du confort moderne mis alors en avant. Dans les années 60, des expérimentations ont eu lieu, revendiquant un besoin d’appartenance à son « chez soi ». Depuis les années 80, des réflexions liées à l’appropriation du logement voient le jour, chez un certain nombre d’architectes, aujourd’hui, elle fait l’objet d’un renouvellement, en lien avec l’évolution de la société.
Question principale
Comment la question de l’appropriation dans le logement collectif se renouvelle-t-elle aujourd’hui en France ?
Terrain d'étude
Le terrain d’étude portera premièrement sur un contenu théorique, à partir des travaux des sociologues, des artistes, des architectes. Puis je m’appuierai sur l’étude de différents projets, portant un regard rétrospectif sur quelques expérimentations marquantes des années 70/80 (Jean Renaudie, Jean Nouvel…) Enfin, ces études seront complétées avec des réalisations contemporaines mettant en relief la question de l’appropriation (Beatriz Ramo, Sophie Delhay…)
Corpus d'étude
Il s’agit des documents graphiques, photographiques, textes, articles vidéo directement associés à la notion d’appropriation et aux projets étudiés. (cf. Bibliographie p.80-83). Je compléterai par des entretiens avec les concepteurs et les habitants permettant d’offrir un regard vivant sur le sujet.
Objet de la recherche
Ma recherche consiste à analyser la manière dont la notion d’appropriation est traitée dans le logement collectif depuis son apparition. Quelle a été l’évolution depuis les premières réflexions apparues lors des années 70-80. Quelles sont les réflexions actuelles ? Quels sont les enjeux passés et présents ? Comment l’architecte peut-il accompagner les habitants à prendre la place centrale qui leur revient ?
Etat des savoirs
L’état des savoirs permet d’étudier la notion d’appropriation par le biais d’ouvrages, d’articles, et de conférences, confrontant l’aspect théorique et pratique, dans le logement collectif. De plus, des entretiens avec les habitants et le sondage viennent compléter mes recherches.
Positionnement
La question d’appropriation dans le logement collectif, est de plus en plus d’actualité dans les projets contemporains, notamment suite à la crise sanitaire actuelle qui pousse les habitants à redécouvrir leurs chez soi. Je cherche dans ce mémoire à comprendre comment cette volonté est apparue et a évolué au cours de ces 60 dernières années. Je souhaite en tant qu’architecte pouvoir proposer de nouveaux projets architecturaux mettant les habitants au centre de leur logement et proposant une vision contemporaine de l’appropriation qui s’adapte à l’évolution de notre société.
Méthode envisagée
Dans un premier temps je vais réunir l’état des savoirs principalement sociologiques, autour de la notion « d’appropriation » afin d’en extraire une définition générale, complétée par le retour d’habitants sur leur propre vision de l’appropriation au travers d’un sondage. Ensuite, je traiterai de l’apparition de la notion d’appropriation dans le logement collectif des années 50 et présenterai les premières expérimentations. Pour finir, j’appréhenderai l’évolution de cette notion à travers l’analyse de projets contemporains, Pour les différentes époques j’utiliserai le même procédé : analyse du discours de l’architecte, étude de la manière dont d’appropriation est mise en valeur dans le projet et le ressenti des habitants. Des entretiens auprès d’occupants d’un logement collectif contemporain me permettront de mettre en avant leur parole et de proposer des pistes pour l’évolution de l’appropriation.
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9/ TABLE DES MATIÈRES: ARCHITECTURE ET APPROPRIATION EXPÉRIMENTATION ET LOGEMENT COLLECTIF EN FRANCE
Comment la question de l’appropriation dans le logement collectif se renouvelle-t-elle aujourd’hui en France ? PARTIE I : L’APPROPRIATION : A LA RECHERCHE D’UNE DÉFINITION ................................................................................ p8 1. DÉFINIR L’APPROPRIATION ........................................................................................................................................................... p8 A. Une notion énigmatique........................................................................................................................................................................................................... p8 B. Ses origines ..................................................................................................................................................................................................................................... p9 C. L’identification à un lieu ..................................................................................................................................................................... p11 2. COMMENT L’APPROPRIATION INTERVIENT DANS L’HABITAT ........................................................................................ p12 A. Comment Habiter son logement grâce à l’appropriation ? ...................................................................................................................................... p12 B. L’élaboration d’un chez soi ................................................................................................................................................................. p13 C. Une notion de Confort .............................................................................................................................................................................................................. p15 3. HABITANT/HABITAT .......................................................................................................................................................................................... p18 A. Le corps et l’espace dans la conception architecturale .....................................................................................................................p18 B. Le témoignage de la photographie dans le logement ...................................................................................................................................................p21 C. Etude de l’habitant face à la notion d’appropriation – Sondage .............................................................................................................................p23
PARTIE II : DES ANNÉES 50 à 80 : DE L’APPROPRIATION D’UN LOGEMENT STANDARD VERS LA NOTION D’UN CHEZ-SOI .................................................................................................................................................................. p26 1. L’APPARITION DE LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LE LOGEMENT COLLECTIF .............................................. p26 A. Le constat d’un logement collectif sans appropriation ..................................................................................................................... p26 B. Un besoin d’appropriation naissant chez les habitants et dans l’industrie du logement collectif dans les années 70 : Une réaction à un manque d’appropriation, du confort au bien-être...................................................................................................................p28 C. Comment s’applique la notion d’appropriation dans le logement collectif, premières expérimentations utopiques des années 80 .................................................................................................................................................................................................................................p30 2. LOGEMENT ÉTOILE DE JEAN RENAUDIE................................................................................................................................................ p36 A. La pensée du concepteur .......................................................................................................................................................................................................... p36 B. Présentation du projet ................................................................................................................................................................................................................ p37 C. Processus d’appropriation par les habitants ..................................................................................................................................................... p39 3. NEMAUSUS DE JEAN NOUVEL....................................................................................................................................................... p42 A. Les pensées du concepteur ...................................................................................................................................................................................................... p42 B. Présentation du projet ................................................................................................................................................................................................................ p43 C. Processus d’appropriation par les habitants ......................................................................................................................................................p45
PARTIE III : LA NOTION D’APPROPRIATION DANS LES LOGEMENTS COLLECTIFS D’AUJOURD’HUI .......................... p48 1. LE LOGEMENT COLLECTIF D’AUJOURD’HUI .............................................................................................................................p48 A. Une image changeante du logement collectif................................................................................................................................................................... p48 B. « L’Habitant » contemporain ................................................................................................................................................................p49 C. Émancipation vers de nouveaux types de conceptions ................................................................................................................................................ p52 2. MACHU PICCHU, SOPHIE DELHAY ............................................................................................................................................................. p60 A. Les pensées du concepteur ...................................................................................................................................................................................................... p60 B. Présentation du projet .................................................................................................................................................................................................................p62 C. Processus d’appropriation par les habitants ...................................................................................................................................................... p65 3. ILOT 3H, BEATRIZ RAMO .................................................................................................................................................................................p69 A. Les pensées du concepteur .......................................................................................................................................................................................................p69 B. Présentation du projet.................................................................................................................................................................................................................p70 C. Processus d’appropriation par les habitants ...................................................................................................................................................... p73 CONCLUSION : « LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES … HABITANTS » ...................................................................................... p76
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On observe depuis les années 60 une remise en question multidisciplinaire quant à l’appropriation du logement collectif, qui continue de croître et constitue le lieu de vie majoritaire des Français. Comment dessiner un logement qui, à la fois, conviendrait à tous, et qui dans le même temps offrirait à chaque habitant la possibilité d’exprimer sa personnalité, son individualité, tout en s’adaptant aux différents modes de vie et à leurs évolutions. Si les savoirs théoriques viennent cerner la notion, il est temps de reconsidérer l’avis des habitants. On constate que l'appropriation est rendue possible notamment par l’histoire et la matière… Cependant, des architectes vont la penser au préalable de la construction. Les premières expérimentations d’appropriation du logement collectif dans la conception architecturale apparaissent dès les années 1970/1980. De ces prémices utopiques a découlé l’appropriation dans les projets du logement collectif qui ont évolué jusqu’à aujourd’hui. Cette approche chronologique permettra de répondre à la problématique suivante : Comment la question de l’appropriation dans le logement collectif se renouvelle-t-elle aujourd’hui en France ?
APPROPRIATION – LOGEMENT COLLECTIF – HABITANT – HABITAT – EXPERIMENTATION
Since the 1960s, there has been a constant represal of the appropriation of collective housing, which continues to grow and constitutes the majority living space of French people. How can we design a dwelling that is suitable for everyone and at the same time offers each inhabitant the possibility of expressing his or her personality and individuality, while adapting to different lifestyles and their evolution? If theoretical knowledge is used to define the notion, it is time to reconsider the opinion of the inhabitants. It is noted that appropriation is made possible in particular by history and the material... However, architects will think about appropriation before the construction of the dwelling. The first experiments in the appropriation of collective housing in architectural design appeared in the 1970s/1980s. From these utopian beginnings, the appropriation of collective housing projects has evolved. This chronological approach will allow us to answer the following question: How is the question of appropriation in collective housing being renewed today in France?
APPROPRIATION - COLLECTIVE HOUSING - INHABITAT - HABITAT - EXPERIMENTATION
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