SPORT
« Vous savez, à chaque fois que vous conduisez. Que ce soit en essai ou en course, vous êtes exposé à certains risques. Il existe des risques calculés, des situations inattendues qui peuvent survenir. Vous pouvez disparaître juste en une fraction de seconde. Et là, à cet instant, vous comprenez que vous n’êtes personne. Vraiment personne. Que votre existence peut avoir une fin soudaine. Cela fait partie de la vie et vous devez y faire face d’une manière professionnelle et sereine. Ou alors, vous laissez tomber. Vous ne courez plus. Mais personnellement, j’aime trop ce que je fais pour arrêter. Cela fait partie de ma vie. » AYRTON SENNA
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lors que l’Amérique vit des heures terribles, l’assassinat de Martin Luther King Jr et de Robert Kennedy et que les étudiants français se confrontent aux forces de police et qu’une grève générale paralyse le gouvernement de Charles de Gaulle, un petit garçon grimpe dans son kart. Ayrton Da Silva est à des dizaines de milliers de kilomètres de ces événements. D’ailleurs, il les ignore. Il n’a que huit ans. Assis sur son siège en cuir, il ferme les yeux. Un instant. Ses difficultés pour se déplacer depuis sa naissance s’envolent dès qu’il pilote. Ce jour-là, il franchit les 95 km/h. Des larmes de joie glissent sur ses joues. Il rit, il hurle. Depuis plusieurs mois, il sait qu’il sera pilote un jour pilote de Formule 1. Sa famille, l’une des plus aisées du Sud-Est du Brésil, aussi. Son père, Milton Da Silva, aurait préféré qu’il reprenne un jour les affaires florissantes familiales : le commerce automobile et l’usine métallurgique. Sa mère, Donna Senna, a si peur qu’il se blesse grièvement.
Mais leur fils a déjà beaucoup de personnalité. « Non » veut dire non. Les vendredi après-midi, il suffit de voir son visage lorsqu’il quitte les bancs de l’école. Il rêve tout le long du trajet qui le mène jusqu’à la ferme familiale. Prend juste le temps de boire un verre de lait, de croquer une barre de chocolat noir avant de conduire la petite Jeep, aménagée spécialement pour lui. D’un des monticules d’herbes du jardin, sa sœur aînée, Viviane et son jeune frère, Léonardo, applaudissent devant ses performances. Ils sont ses tous premiers fans. Le 11 février 1973, grâce aux bonnes relations de son père, il se rend au Grand Prix de Formule 1 à Sao Paulo. Il ne rate rien. Pour la plus grande joie du public brésilien, et, malgré la présence de Jackie Stewart, Jackie Ickx, Arturo Merzario, « l’enfant du pays » Emerson Fittipaldi, remporte la course. Ayrton est à ses côtés lorsque le vainqueur répond à la presse. Embrasse de magnifiques jeunes groupies. La gloire. Un an plus tard, il remporte son premier titre de champion. Le trophée de la Coupe d’Hiver de Sao Paulo ne PREMIUM 112
le quitte plus. Il l’emmène partout, « vivre mon rêve est désormais à portée de main ». Il entretient son corps en courant, en ne prenant pas de poids. Se nourrissant essentiellement de poissons, de légumes frais et de fruits. C’est un adolescent timide, qui aime se trouver dans les ateliers des courses. Il se lie d’amitié avec les mécaniciens ; plus particulièrement avec Tché, « j’aime ce garçon tranquille car il se donne toujours à fond. Il sait où il veut aller. Il aime tant courir et gagner. Il aime la vitesse ! ». L’artiste brésilien, Sid Mosca, conçoit son casque avec les couleurs de leur pays natal, « j’ai pensé à mettre plus de jaune que de vert, cette couleur est plus vibrante ». Ayrton sourit, le félicite. Un préparateur physique et mental le suit, Nuno Cobra. Senna ne veut rien laisser au hasard. Il décide déjà de tout. Avec gentillesse mais avec aussi avec fermeté. À 18 ans, il décroche le championnat du Brésil de karting. Il obtient la sixième place au championnat du monde au Mans. Il quitte la maison confortable de ses parents pour un long séjour en Italie.