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Chapitre I : Origines ...................................................................................................................... 99

Chapitre I : Origines

Je suis né lors du vingt-et-unième jour de la première Lune d’hiver de l’an Onze-cent quatre-vingt-quatorze. Cela ne doit néanmoins pas vous dire grand-chose, puisque Sa Majesté de l'époque, le Roi Léopold Freydor Ier du Nom de Costerboros, a établi un tout nouveau calendrier à la suite de la tristement oubliée Bataille du Palais Royal de Douze-cent dix-sept. Ainsi, si cela peut vous parler davantage, ma naissance remonte au 21 décembre 1194, dans un petit village du Grand Ouest de Costerboros connu sous le nom de Kürsk. Si cette appellation vous dit quelque chose, ou qu'au contraire elle ne vous est pas du tout familière, c'est très probablement lié aux conséquences de ce que j'ai provoqué il y a 176 ans de cela. Mais nous y reviendrons.

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D'aussi loin que je m'en souvienne, il faisait froid dehors. Quelques flocons étaient même apparus ce soir là. La température n'était, en revanche, pas assez basse pour ennuyer qui que ce soi. Les enfants qui jouaient encore dehors étaient dans l'incapacité la plus totale de former des boules de neige, tant il tombait peu. À l'intérieur de ce qui allait devenir ma demeure, un feu de cheminée crépitait pour garder notre foyer au chaud. Trois êtres se tenaient alors entre ces quatre murs : deux personnes et leur chien, qui observait la scène de ses yeux craintifs. Allongée sur son lit, des couvertures en peau de bête lui couvrant tout le bas du corps, ma Mère poussait de toutes ses forces, sans oublier pour autant de respirer. Mon Père était également à ses côtés. Il lui répétait sans relâche qu'il n'en avait que pour quelques secondes, que partir quérir l'aide du médecin du village, le docteur Grant Rooket, ne prendrait que quelques instants et rendraient les chose beaucoup plus simples. Mais, elle ne voulait rien entendre. Mon arrivée n'était, semblerait-il, en rien prévue pour si tôt. Ma Mère ne souhaitait pas être seule et implorait son mari de rester quoi qu'il en coûte. Elle le somma d'oublier le docteur et de se contenter de lui tenir la main et de lui parler, tout en observant si une tête sortait ou non. Dans l'incapacité de lui refuser quoi que ce soit, au vu des circonstances : il resta, quand bien même il ne possédait pas la moindre compétence en médecine. À défaut, ce n'était pas la première fois qu'il traitait avec ce genre d'évènement... Tout comme elle, d'ailleurs. Et après plusieurs minutes d'efforts, mon Père récupéra un petit corps frêle qu'il enveloppa dans des linges bleu, avant de le remettre à ma Mère, toujours consciente.

La nuit de ma naissance fut, des propres aveux de mes Parents, le jour où tout a basculé pour eux. En effet, à deux reprises ma Mère échoua à donner la vie. Deux frères et sœurs que je n'ai jamais eu la chance de connaître. Je garde encore, à l'heure actuelle, une immense frustration concernant ces disparitions prématurées. Aujourd'hui, je sais quelles étaient les raisons de ces pertes. Tout d'abord, les conditions d'accouchement de l'époque qui laissaient peu de chance à la fois à la mère et au nourrisson de s'en sortir. Mais aussi, et surtout, parce que mes Parents proviennent de deux espèces différentes. Elfs, Nains, Gnomes, Humains, ... La nature ne permet pas aux espèces n'appartenant pas à la même race de se reproduire. Heureusement pour moi, mon Père humain avait épousé une Semi-Gnome.

Les Semis-Gnomes sont les descendants d'un ancêtre Orc et d'une Gnome. Les Orcs étant des entités créées purement magiquement par le Grand Mage Rouge, il y a de cela des millénaires, ces derniers ont su se reproduire avec toutes les races existantes afin de faire perpétuer leur espèce. Telle est la raison de l'existence des Semi-Elfs, des Semi-Nains et même des SemiOrcs. Ce terme étant d'ailleurs employé injustement à la place de celui de "Semi-Humains". Cet abus de langage provenant de la volonté humaine de ne pas être assimilés à ces êtres qu'ils perçoivent comme hideux. En effet, c'est à travers leur race que l'héritage Orc est le plus visible, prenant même le pas sur leur génome humain. Une preuve parmi tant d'autres d'un souhait de pureté

qui réside en eux. "Si tu ne me ressembles pas, alors tu n'es pas mon égal. Et si tu n'es pas mon égal, tu mérites d'être puni."

Cette génétique nouvelle a permis aux Semi-Gnomes d'être plus grands que leurs congénères Gnomes. Nous avons hérités d'une taille similaire à celle des plus petits des Hommes. Cependant, nous ne pouvons plus grandir passé nos premières années et nous prenons des décennies de plus que les Humains pour vieillir d'un an, expliquant notre longévité. Mais surtout, comme chacune des autres Semi-espèces, nos femmes peuvent se reproduire avec toutes les autres races. Ou en tout cas, sur le papier. Les chances restent minimes du fait du trop grand nombre de divergences physiques existant entre nous.

Mais, quoiqu'il en soit, je fus le seul rescapé. Le seul qui réussit à naître sans mourir. Mes propres parents n'y croyaient même pas, au début. Se mettant d'avance en tête que l'accouchement allait une nouvelle fois échouer, mon Père s'était donné la peine de creuser un petit trou dans le jardin. Sa surprise quand il m'aperçut fut telle, qu'il se jura de passer tous les jours à l'église pour remercier le Seigneur Ragnor d'avoir exaucer ses prières. Connaissant la vérité sur le Dieu créateur Rügnor aujourd'hui, il serait chose aisée de juger la réaction primitive de mon paternel. Ce n'est pas pour autant que je m'abaisserai à le faire. Nous étions à une époque où beaucoup de choses étaient floues et où, à défaut d'avoir quelqu'un de véritablement bon envers autrui à vénérer, les Hommes se tournaient vers des divinités observatrices n'ayant plus le moindre impact sur ce monde depuis sa création. Parfois, il vaut mieux laisser les autres croire à des

mensonges qui leur permettent d'apprécier la vie, plutôt que de leur apporter les vérités qui

risquent de leur en ôter le goût. Mon Père devint un fervent croyant depuis ce jour. Il se jura même d'arrêter de consommer des breuvages alcoolisés, en guise de remerciement. Il abandonnera très vite cette bonne résolution, pour le plus grand plaisir de Marjorine la tavernière, quand de nouveaux enfants entreront dans sa vie. Là encore, nous y reviendrons.

Ma Mère, quant à elle, me considéra comme la chose la plus précieuse à ses yeux. Toute bonne mère doit bien cela à son enfant. Mais pour la mienne, ce fut d'autant plus vrai que je fus sa seule véritable réussite. Elle s'en voulait d'avoir raté à donner la vie deux fois de suite. Elle se pensait faible. Elle s'imaginait ne jamais connaître la joie d'être mère un jour. Et avec moi, elle pouvait enfin réaliser son rêve. Pour dire la vérité, j'aurais du lui en vouloir moi aussi pour mes frères et sœurs. Seulement, sa détermination à fonder une famille et le courage dont elle a fait preuve en ne cédant pas malgré la difficulté de sa situation m'ont fait comprendre toute l'admiration que j'avais envers elle. Je fus son unique centre d'intérêt pendant trois longues années. Même Dragon, le chien de mon Père, partageait la joie de mes parents. Il l'exprima, de ce que m'en ont raconté ces derniers, en aboyant à maintes reprises, au point d'en rendre fou de rage nos voisins les plus proches.

Malgré tout, ma naissance ne fut pas synonyme de parfaite réussite non plus. Il fallait bien s'y attendre. En effet, dans les rares cas où le nourrisson survit à une union de deux espèces différentes, il devra presque toujours faire face à des difformités physiques. L'on sait aujourd'hui que ce sont les malformations d'organes vitaux qui représentent la cause principale de décès à la naissance, pour les enfants issus d'un mélange racial. J'avais beau être en vie, mon corps n'en a pas moins été affecté de dysmorphie. Les signes les plus visibles se trouvaient, sans surprise, sur mon visage. Mon œil gauche était un peu plus grand que mon œil droit, et l'épaisseur de mon nez me causa de légers problèmes respiratoires, lors de mes premières années de vie. Également, je n'ai jamais eu le moindre orteil et mes articulations étaient plus fragiles que la norme. Pour autant, ce corps me convenait parfaitement. Mes cinq sens fonctionnaient, bien que certains étaient plus ou moins performants, et aucun de mes organes vitaux n’étaient atrophiés. C'était tout ce qui m'intéressait. Le reste n'était qu'artifices. Aussi, n'ai-je jamais eu droit à la moindre remarque désobligeante, ni même au moindre commentaire sur ces difformités. Ni de la part de mes Parents,

ni de la part d'autrui. Il faut dire qu'en ce bas-monde, l'on trouvera toujours plus malchanceux que soit, de toute façon. Et puis, avec un peu de recul, ce physique désavantageux sera finalement plus un atout qu'autre chose pour moi. Qui aurait bien pu soupçonner quelqu'un avec une apparence comme la mienne d'être responsable de telles prouesses et de tels actes à venir ?

Finalement, j'étais là. Dans les bras de ma Mère. Mon Père m'observa longuement de son regard stupéfait. Je vis des larmes. Tous deux pleuraient de joie. Mais pas moi. Aucun son, aucun bruit, aucune lamentation de ma part. Ce mutisme était tel qu'il en vint même à faire douter mes parents sur le fait que je fusse mort-né, moi aussi. L'inquiétude prit place dans leur cœur lorsqu'ils se rendirent compte qu'après plus de cinq minutes à s'entre-observer, je n'avais toujours pas poussé le moindre gémissement. Mon Père, ne souhaitant pas que cette euphorie s'estompe aussi vite qu'elle fut arrivée, souhaita s'assurer que j'étais bel et bien en vie en me soulevant au niveau de son visage et en me secouant dans tous les sens. Le regard inquisiteur de ma Mère le fit très vite changer d'avis. Et avant même qu'ils ne puissent s'échanger la moindre observation, la moindre remarque ou le moindre reproche, ils entendirent enfin un bruit : celui de mes lèvres qui tétaient. Accroché au sein de ma Mère, je pris ainsi mon tout premier repas. Ce fut la preuve tant attendue qui mit fin à leurs doutes. Aussi, restèrent-ils près de moi de longues heures durant, sans s'imaginer une seule seconde de l'impact que ce petit être qu'ils venaient tout juste de mettre au monde allait avoir sur ce dernier.

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