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Chapitre XVII : Mon Sixième Anniversaire ....................................................................... 274

Chapitre XVII : Mon Sixième Anniversaire

Je dénombre derrière moi 182 anniversaires.

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Si, aujourd'hui, ils ne me procurent plus nulle sensation de plaisir ou d'intérêt, je mentirai en affirmant que je ne garde pas de la petite fête qui me fut réservée, en l’honneur de mes 6 ans, un souvenir attendri. Il me faut bien l'avouer, au-delà d'être l'une des fêtes les plus mémorables célébrées en mon honneur, cette date entre dans la catégorie des quelques moments où je me suis vraiment senti heureux dans ma vie.

Mon Père et ma Mère avaient bien attendu le début de soirée pour le fêter avec moi. Mes frères et sœurs adoptifs, que je connaissais maintenant depuis trois années entières, s'étaient également joints à eux pour la surprise. Même ceux que je pensais les moins réceptifs à ce genre de célébrations en petit comité avaient fait l’effort de participer. Je ne me serais jamais douté alors que de telles frivolités puissent avoir la moindre importance à leurs yeux.

Ma Mère s'était chargée du repas. Elle était allée commander mon gâteau favoris auprès du seul pâtissier de notre village, un dénommé Jean-Pierre Fontaine.

Je me suis toujours méfié de la nourriture. On ne sait jamais ce que l'on peut retrouver à l'intérieur. Que ce soit du poison, des virus ou simplement de mauvais ingrédients, n'importe quel aliment peut vous faire plus de mal que de bien, si on les laisse entre les mains des mauvaises personnes. Cependant, si il y avait bien quelqu'un dans ce monde en qui j'avais une confiance aveugle pour savoir ce qui était bon pour moi, et pas seulement en matière gustative : c'était bien ma Mère. Elle a toujours su trouver les plats que j'appréciais le plus. Ceci étant dit, je n'ai jamais vraiment été très difficile en matière de cuisine. Tout ce que ma mère me servait, je le mangeais. Ceci étant dit, je dois bel et bien avouer que j'ai toujours eu une faiblesse toute particulière pour les desserts aux fruits rouges. Tout comme elle. Elle avait alors commandé pour moi, en ce jour de fête, une pâtisserie dont je n'oublierai jamais la saveur et qui reste très probablement, aujourd'hui encore, celle que je préfère : un framboisier au coulis de groseilles. Comme il était bon. Il n’a d’ailleurs, sans surprise, pas tenu la soirée. Chacun d’entre nous en prit au moins une part. Autant dire que si tout le monde n’était pas forcément très sucre dans la Famille, ce gâteau là avait fait l’unanimité. Nos compliments au chef. Mon Père, quant à lui, était chargé d'une toute autre mission : celle de s'organiser avec mes frères et sœurs adoptifs pour me trouver un cadeau. Et, à ma grande surprise, chacun d'entre eux était parvenu à dégoter un petit quelque chose. Je me souviens encore des derniers cachant dans leur dos les quelques surprises qu’ils se tâtaient à m’offrir. C’était tout bonnement adorable. Éléanore fut, sans surprise, la première à me tendre son présent. Elle semblait vraiment y tenir. C’était comme une mission sacrée qu’elle s’était donnée à elle-même. À cette époque, elle voulait toujours être la première en tout. Tant dans les aptitudes physiques que dans l'ordre de

marche. Toujours devant tout le monde. Cela en arrivait même à m'agacer quelque fois, bien que je ne le montrais jamais. Je ne pense pas que j’étais le seul dans ce cas, d’ailleurs. Son comportement m’agaçait parfois. Cette volonté de vouloir tout commander sans jamais l’avoir mérité… Cela m’irritait. D'autant plus que, malgré le côté rustre et autoritaire qu'elle pouvait avoir avec les autres : avec moi, en revanche, elle a toujours été très gentille. Quand elle me parlait, elle était aimable, sympathique, compatissante. Elle ne haussait pas la voix, ne me donnait pas d’ordre. En somme, je n’avais aucune raison de la détester, même quand j’en avais envie. Je rajouterais, d’ailleurs, que je serai l'être le plus malhonnête qui soit si je prétendais qu'elle était avare sur les cadeaux. Ma plus grande sœur adoptive, outre son caractère bien trempé, ne ratait jamais la moindre occasion d'offrir des cadeaux à ceux qu'elle appréciait, afin de leur montrer son affection. Elle ne le faisait jamais par les mots. Toujours pas les actes. Ce jour là, elle m'offrit une petite dague en bois qu'elle avait sculptée elle-même pendant son temps libre. Je suspecte d’ailleurs son futur amour pour la forge d’être né en elle ce jour-là. Elle semblait vraiment très fière de son cadeau. Peut-être s'imaginait-elle se faire un nouveau partenaire d'entraînement, maintenant qu’elle m’avait armé ? Ce fut pour le moins cocasse de découvrir, juste après l'acquisition de ce cadeau, que Tim, l'aîné de ma fratrie, toujours dans la sur-enchère, m'avait, quant à lui, offert une véritable dague en acier. C'était la première fois qu'il m'offrait une arme … Et pourtant pas la dernière. Il me sembla apercevoir de la jalousie dans le regard d' Éléanore quand elle aperçut la dague. Elle qui s’était donnée tant de mal pour me sculpter son cadeau, voilà que son propre frère venait de lui couper l’herbe sous le pied en m’offrant un présent objectivement supérieur en tout point au sien. Elle n’avait vraiment pas l’habitude de se faire surclasser. D’autant plus qu’elle avait joué fair-play. Elle l’avait vu voler cette dague à Ceytos, le marchand d’arme. Mais elle n’avait rien dit. Elle pensait que c’était pour lui, pas pour offrir. Malgré tout, elle refusa de le dénoncer. Elle avait beaucoup de défauts, mais ces derniers ne l’empêchaient pas de rester solidaire en toute circonstance. Quoiqu’il en soit, cette belle arme ne me resta, de toute façon, pas bien longtemps entre les mains. L'objet fut confisqué aussitôt après qu’il m’ait été offert, et mes parents interrogèrent Timmy sur la façon dont il l’avait trouvé. Comme à son habitude, mon frère bricola un mensonge ; comme quoi Craig Ledoux, ancien gagnant de l'épreuve de l'Arène qui vivait alors à Kursk, le lui avait donné, en échange de services rendus à l'écurie. Bien entendu, mes parents, incrédules, demandèrent à Craig. Et ce dernier nia toute implication dans cette histoire. Le lendemain, ils lui passèrent un sacré savon pour son mensonge, et choisirent de le rendre à son propriétaire. Sauf que c’est Simon, le marchand Oyvey de Kürsk, qui vint nous la réclamer. Pas Ceytos. Pur opportunisme de sa part ? Fortement probable, connaissant le personnage. Néanmoins, il faut bien avouer que Tim ne s'était pas vraiment contenté de voler une simple dague ce jour-là, mais passons... Yvair, quant à lui, m'avait offert un petit tome de magie. Il s'agissait d'un ouvrage d'une cinquantaine de pages, destiné aux débutants. Il répertoriait les formules les plus basiques possibles. Tihil espérait très certainement que je me joigne également à ses petites réunions de sorciers. Celles-là même qu'il tenait dans le jardin avec nos voisins, les Ziegler. Son niveau, à l'époque, était véritablement catastrophique. Cependant, là où je n'ai, personnellement, jamais réussi à éveiller le potentiel magique en moi ; j'ai toujours admiré la détermination dont ce dernier faisait preuve, de son côté. Lui qui ne partait de rien, avait réussi à devenir un mage très compétent, en l’espace de quelques années. Ceci dit, cet ouvrage demeurait, en vérité, plus un cadeau pour lui-même que pour moi. Si l'on dénombre toutes les fois où il le portait sur lui, et où il le ramenait pour ses séances de

magie avec Margareth, notre voisine dont il était amoureux ; je ne pense pas me tromper en affirmant qu'il ne me le laissait, dans les faits, que lorsqu'il allait se coucher. Ce qui, entre nous, ne m'a jamais posé problème. Quitte à ne pas l’utiliser, autant qu’il serve à quelqu’un. Yvair s’était au moins donné la peine de chercher quelque chose. C’était déjà beaucoup pour lui. Ça signifiait beaucoup pour moi, indépendamment de ses véritables raisons personnelles.

Ma sœur Scary, que j'ai toujours beaucoup apprécié, sans pour autant nier son "originalité", s'était amusée à glisser une énorme mygale dans une boîte qu'elle m'avait offerte. Elle comptait secrètement me faire peur en me donnant ce "cadeau empoisonné". Je pouvais voir l'impatience sur son visage. Elle peinait à se retenir de pouffer lorsqu’elle aperçut mes mains se poser sur l'ouverture de son cadeau. En réalité, je n'avais jamais vraiment craint ces animaux. Et en toute honnêteté : je fus heureux, une fois la boîte ouverte, de me dire que j'avais un nouvel animal de compagnie. Ce n'était toujours pas un chat, mais c'était déjà ça. Mon père n'avait toujours pas changer d’avis sur ces animaux que j’aimais tant. Pour lui, ils restaient les ennemis naturels des chiens. Et, si il m'était possible de retranscrire l'amour que mon père avait pour son chien ; autant dire qu’il donnait tout son sens à la devise : « l’ennemi de mon ami est mon ennemi ». Quoiqu'il en soit, je sentais que ma réaction avait quelque peu déçu ma sœur, qui s'attendait probablement à une peur panique de ma part. Cependant, elle obtint ce qu'elle cherchait avec ma Mère. Quand elle vit l'araignée, cette dernière se mit à hurler, et mon Père, instinctivement, l'écrasa en lui lançant un canon dessus. Cette délicatesse et cette subtilité étaient en quelque sorte sa signature ; presque sa marque de fabrique si j'ose dire. Adeline se tordit de rire face à cette situation. J'étais néanmoins heureux de voir son visage s'illuminer de la sorte. Bien que je conçoive que ce mot puisse être quelque peu paradoxal, la concernant.

J'attendais beaucoup du cadeau de Lina. Nous avions toujours eu des atomes crochus, elle et moi. Et d’ailleurs, elle n'attendait pas une date bien précise pour m'offrir des présents qui venaient du cœur. Elle était celle qui était la plus proche de mon âge et elle avait l'habitude de veiller sur moi, sans jamais me dissimuler son affection. J'ai toujours eu beaucoup d'amour pour elle, en retour. Encore plus quand je découvris le petit collier de fleurs qu'elle m'avait fabriqué. Ce fut le premier symbole d'innocence que l'on m'offrit, ce jour. Hélas, les fleurs fanèrent quelques semaines après et nous fûmes contraints de les jeter. Cependant, cela motiva ma sœur à se rapprocher toujours plus de cette vocation florale. C'était même probablement le premier pas vers la voie d'apothicaire et de druide qu’elle suivit par la suite. Jamais je n'ai douté de la bonté d’Arina. Mais, je ne compris toute l'étendue de son affection pour moi que ce jour-ci. Enfin, alors que je pensais avoir ouvert tous mes cadeaux, je me souvins que j'avais un autre frère qui patientait tranquillement ; sans déranger qui que ce soit depuis le début de la soirée, comme à son habitude. Charlie était réapparu devant mes yeux et semblait visiblement heureux que l'on se soit rappelés de son existence. Il n'avait pas oublié mon cadeau et s'y était même prit à l'avance, qui plus est. Il s'agissait d'un ouvrage regroupant toute une série de légendes fascinantes de Costerboros et de l’Île des Miracles. Ce recueil s’intitulait : Les larmes du guerrier . Nous étions très différents lui et moi. Nous n’avions pas vraiment la même façon de voir le monde. Pourtant, nous avions tout de même quelques points communs. Notamment, le fait d’être férus de lecture et intrigués par les mythes. Seulement, si ce n’était rien de plus que de la simple culture générale pour Virgile ; je me chargeais, de mon côté, de m'assurer de la véracité de ces légendes. Il avait 3 ans de

plus que moi. Et pourtant j'appris à lire 3 ans avant lui. En somme, toutes les histoires qu'il découvrait, je les connaissais déjà. Néanmoins, feignant d’en ignorer le passionnant contenu, je ne me rappelle que trop bien de toutes les fois où il m'a compté quelques uns des contes inscrits dans ce récit, pendant la nuit. Cela finissait toujours inexorablement par nous endormir. Ces précieux souvenirs ne m'ont jamais abandonné. Et je ne les abandonnerais jamais non plus. Pour terminer, mon père m'offrit le sien en dernier. Je pensais, initialement, que l'enfant qui sommeillait en lui désirait simplement que son cadeau clôture la soirée. Après tout, ne dit-on pas que l'on garde toujours le meilleur pour la fin ? Cependant, avec le recul, je pense plutôt qu'il avait honte de ce qu'il m'offrait. Malgré tout l'amour que j'ai pour lui, il n'a jamais vraiment su ce qui me plaisait dans la vie et considérait qu'en m'offrant ce qu'il aimait lui, cela me ravirait forcément. Son sang coulait également dans mes veines, après tout. Nous ne pouvions pas être si différents l’un de l’autre. Je n'ai jamais été difficile en matière de cadeau non plus. Il suffit de voir les sacrés phénomènes qu'étaient mes frères et sœurs adoptifs pour le comprendre. L'intention a toujours été ce qui comptait le plus à mes yeux. Pour les bonnes, comme pour les mauvaises raisons. En revanche, je dois dire que cette fois : il s'était réellement surpassé. Et en bien ! Alors que nous dégustions cette succulente pâtisserie, il sortit de l'un des tonneaux qu'il entassait dans les coins de la maison un petit carnet à la couverture en cuir. Voilà qui était loin d'être la chose la plus chère que l'on m'avait offerte mais c'est probablement celle qui m'a procuré le plus de bonheur. Ce n'était pas qu'un simple livret : c'était un carnet de Famille. Chacune des pages à l’intérieur était blanche. Mais sur quelques unes d’entre elles figuraient des dessins de mes frères et sœurs, des petits mots affectifs, des plaisanteries que nous nous étions faites, … C’était un cadeau collectif en somme. Un présent qui me fit abandonner pour de bon l’ancien carnet, déjà bien rempli, sur lequel je m’exprimais jusqu’alors. Pendant plusieurs années consécutives, je ne me servis plus que de celui-ci. C’était tout bonnement le meilleur cadeau que je pouvais espérer recevoir. Derrière la couverture, j'inscrivis mon nom. Et sur la toute première page, j'écrivis en grosses lettres, afin que tout le monde puisse le voir, un simple : "Merci ! À vous tous !" J'ai gardé ce carnet précieusement pendant de nombreuses années, jusqu'à ce que toutes les pages soient remplies par mes dessins, mes affirmations ... et les indications que je transmettais à Héléna, afin d’entretenir le Gant Noir dans l'ombre. J'avais réellement passé une excellente journée, ce jour-là. Si bonne qu'elle m'inspira même la punition que j'allais donner à l’une de mes anciennes connaissances. Un gêneur qui commençait à refaire parler de lui. Un certain Eldeth Grisebrum. En effet, ce petit rapace s’était bien reconstruit après 3 ans. Nous lui avions retiré la Gemme de contrôle mental de Scodelario, rajoutant cette dernière à ma collection personnelle. Et puis, nous l’avions laissé repartir dans le Nord, en lui rendant ses habits. Nous n’avions plus besoin d’un HautElf en tenue de majordome à nos côtés. Chacune de ses possessions ayant été léguées à Scodelario, puis à moi, il n’avait plus vraiment de force de frappe ou de prestige, lorsque nous le laissâmes partir. Il était déchu, abandonné et faible. Il ne représenterait donc aucun danger, quand bien même chercherait-il à se venger. Ne voyant aucun intérêt à l’éliminer, nous préférâmes le laisser repartir dans le Nord, le laissant continuer sa petite vie de son côté. À nos yeux, ce n’était plus un problème. Aucune raison de faire couler du sang inutilement. Il a d’ailleurs mit ses quelques années à bon escient, puisqu’il en a profité pour se marier et fonder une famille. Bien sûr, nous l’avions laissé

repartir sans lui faire le moindre mal. Mais nous n’allions pas non plus arrêter de le surveiller. Cela aurait été tout à fait contre-productif compte tenu du fait que dans ce milieu, les gens ont une mémoire aussi longue que leurs dents. Nous lui laissions une chance, mais nous n’avions pas exclu le contrôle pour autant. Et nous fîmes bien. En effet, désireux de retrouver la place qu’était la sienne fut un temps, nous apprîmes qu’il avait reprit du poil de la bête. Évidemment, il ne s’était pas fiancé à n’importe qui. Il avait jeté son dévolu sur la fille aînée du puissant Comte d’Asterian du Nord. En quelques années à peine, il était parvenu à retrouver un bon nombre de ses anciens contacts, toujours fidèles à sa cause. Son plan était d’ailleurs on ne peut plus simple : jeter le discrédit sur le Gant Noir et sur moi. Maintenant que j’étais au sommet, il cherchait à prendre ma place. Si seulement on lui avait dit à quel point ils étaient nombreux à avoir tenté leur chance. Et si seulement on m’avait dit à quel point ils seraient nombreux à continuer de tenter leur chance pendant presque 200 ans… Quoiqu’il en soit, Asterian était un membre éminent du Gant Noir. Sa position le rendait indispensable à la plupart des réunions qu’organisait Luther. Mais, il commençait à se faire vieux et malade. Cet opportuniste de Grisebrum allait bientôt hériter de sa position. Il ne tarda pas, de ce fait, à se rendre lui aussi aux réunions du Gant Noir. Il en profita pour retisser des liens avec nos membres les moins fidèles. J’appris même qu’il fomentait dans le plus grand des secrets une machination contre moi, dans l’espoir de me faire tomber. Certains de mes espions me confièrent même qu’il avait répété à ses plus proches collaborateur, et ce à plusieurs reprises, je cite : « J’emmerde Monsieur S ». Outre la grossièreté de ces propos, je ne comptais pas laisser ces machinations et ce manque de respect impunis.

Une exécution simple et rapide ne me semblait pas être la meilleure option. Je devais lui faire entrer dans le crâne que nos actes et nos paroles ont toujours des conséquences. Et surtout, que lorsque l’on cherche à s’en prendre à moi : les conséquences peuvent arriver plus vite qu’on ne le croit. Cela dit, suite à ce bel anniversaire, je me sentais d’humeur imaginative. Bien sûr, je comptais bien lui faire retenir la leçon. Il allait très vite comprendre à qui il avait à faire. Mais, pour lui offrir ce qu’il avait mérité, je préférai innover quelque peu. Ainsi, je déchirai minutieusement la troisième page de mon carnet fraîchement acquis, et je la fis passer par Héléna, qui se chargea de la transmettre dans les plus brefs délais à Leborgne. Les nouvelles instructions étaient on ne peut plus simples. Je le chargeai, dans un premier temps de retrouver où notre homme s’était réinstallé, maintenant que son bastion m’appartenait. Les recherches ne durèrent pas très longtemps. Un petit manoir, au Nord-Est de Costerboros. La première partie du plan pouvait alors commencer. Lorsqu’il serait sur place, Leborgne devrait rester devant le palais et attendre que Grisebrum quitte les lieux. Une réunion se tiendrait bientôt après tout. Il n’allait quand même pas la manquer. Une fois le Haut-Elf loin de chez lui, mon exécuteur avait pour mission de se rendre à l’intérieur du domicile. Mais pas en s’y infiltrant ou en forçant la porte. Non. Simplement en se présentant normalement à l’entrée, comme toute personne civilisée, et en demandant à voir la maîtresse de maison. Son père le connaissait, après tout. Et dès qu’il aurait rencontré l’épouse de Grisebrum, il devrait passer à la seconde étape.

C’est-à-dire : accompagner la femme d’Eldeth en ville pour lui acheter tous les manteaux, et tous les souliers qu'elle voudrait. Puis, emmener ses enfants en ville, pour voir les plus grands bardes de la capitale. Les musiciens célèbres ont du mal à vous refuser quoi que ce soit quand c’est vous qui les produisez. Leborgne m'a d’ailleurs rapporté qu’il avait porté les enfants de Grisebrum dans ses bras, qu'il avait joué avec eux dans le jardin et qu'il s'était même permit de leur faire à manger. Le jour suivant, Grisebrum et sa famille s'étaient volatilisés. Et on entendit plus jamais parler d'eux. Comme prévu, ils lui ont, à coup sûr, fait part de leur incroyable journée passée avec Leborgne. Ce qui a inexorablement conduit à la seule réaction logique de sa part. Le message était donc bien passé. Au-delà de l'humiliation, la menace silencieuse ne lui a pas échappé. Retenez bien ceci : pour se débarrasser des trop gros problèmes, le meurtre est souvent la seule option. Mais lorsque l'on peut arriver à ses fins sans faire couler de sang, il est toujours préférable de privilégier l'intimidation. Et la clé d'une intimidation réussie n'est autre que la surprise. Laissez à votre ennemi le temps de comprendre tout seul la situation dans laquelle il se trouve. La suite ne pourra découler que dans votre intérêt. Nous ne sommes pas des monstres, nous voulons simplement bien faire les choses. Et lorsque l'on doit se débarrasser de gêneurs, mieux vaut savoir à quel point ces derniers tiennent à leur vie et à celles de leurs proches.

Les réunions suivantes du Gant Noir se firent d’ailleurs bien plus sereines que les précédentes. Les petites manigances de mes proches collaborateurs étaient bien loin d’être révolues. Mais, la disparition d’Eldeth Grisebrum avait tout de même donné un grand coup de pied dans la fourmilière. Je venais de leur accorder à tous une petite piqûre de rappel : C’était moi le chef, ici.

Qu’ils disent tout ce qu’ils veulent de moi dans mon dos, je finirai par l’apprendre. Qu’ils tentent quoi que ce soit contre moi, je les punirai. Ils voulaient prendre ma place ? Ils allaient devoir être plus discrets que ça. Et il allait surtout leur falloir y réfléchir à deux fois. Ils n’avaient qu’une seule chance chacun. Il valait mieux pour eux ne pas la rater. Parce que, de mon côté, je ne les raterai pas. Ça, c’était une certitude.

Nonobstant, ce jour de mon sixième anniversaire me marqua. Ce n’était pas une journée exceptionnelle pourtant. Au contraire même. Elle avait été on ne peut plus banale et ordinaire. En fin de compte, il ne s’était rien produit de vraiment particulier. Et puis, j’avais déjà eu d’autres belles fêtes d’anniversaire, avant. Alors pourquoi me rappeler de celle-là plus que des autres ? Dans le fond, je l’ignorais. Tout ce que je sais, c’est que 176 ans plus tard, je m’en souviens encore. L’explication que j’en ai est simple. Je ne saurais dire si elle est véridique, mais elle a le mérite de me convenir. À mon sens, c’est parce que cet anniversaire a réussi à atteindre le parfait équilibre entre un évènement à la fois banal et marquant. Ma vie avait déjà été trop mouvementée pour que quoi que ce soit puisse vraiment m’impressionner. Et cela tombait bien ; puisque ce n’était pas ce que je recherchais. Avoir, ne serait-ce qu’une fois, la sensation d’être un petit garçon normal, célébrant une fête normale avec une Famille normale : voilà ce que je désirais plus que tout. Ceci dit, on s’habitue très vite à la normalité. D’autant plus lorsque vous menez une vie aussi longue et bien remplie que la mienne. Voilà pourquoi un peu de piquant ne fait jamais de mal. Cela donne envie de rester en vie, d’en profiter, de s’accorder un brin de folie dans cette longue monotonie. Et avec cette Famille maintenant bien agrandie qu’était la mienne, ce brin de folie ne risquait pas de manquer. Au fond, c’était exactement ce que je recherchais. Et c’était exactement ce qu’on m’avait offert.

C’était un joyeux anniversaire !

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