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Chapitre XII : Le cas Francesca Scodelario - Partie 1 : La Rencontre..........................162

Chapitre XII : Le Cas Francesca Scodelario

(Partie 1 : La Rencontre)

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Nos invités de marque s’installaient sur les chaises qui leur étaient réservées, les uns après les autres. Certains avaient fait un long chemin pour arriver ici. Ils avaient tous une coupe remplie de vin devant eux. Si quelques uns osaient tremper leurs lèvres à l’intérieur, assoiffés par le voyage, la plupart d’entre eux restaient plus distants. La méfiance était de mise. Personne ne se faisait vraiment confiance ici. Ils avaient tous, pour la peine, songé à faire appel à plusieurs gardes du corps, juste au cas où. Leborgne s’était assuré de leur faire déposer leurs armes à l’entrée. Mais, dans ce milieu, les mots sont bien plus dangereux que n’importe quelle arme. Certains d’entre eux se connaissaient, intimement comme de réputation. Patientant le temps qu’il faudrait, ils avaient commencé à entamer diverses discussions chacun de leur côté. Leborgne se tenait, non loin de la place encore vide de Luther. Il écoutait attentivement, sans pour autant en donner l’impression, les dires des uns et des autres. Il essayait déjà de retenir un maximum des nombreux visages qui se tenaient devant lui. Heureusement que la pièce était large et que certains avaient refusé l’invitation. Nous n’aurions jamais pu faire asseoir tant de monde autour d’une même table, sinon. Chacun d’entre eux avait ses propres attentes, ses propres idées, ses propres demandes. Assassins, marchands, mages, espions, alchimistes, … Ils avaient tous un domaine de prédilection. Mais ils attendraient. Ils attendraient tant que je le jugerais nécessaire. Il fallait bien que Luther se prépare, pendant ce temps. C’était lui le porte-parole de Monsieur S, après tout. Il devait passer pour quelqu’un de très occupé. William et Mélanie, quant à eux, avaient été positionnés chacun à une porte. Leborgne leur avait demandé à chacun de surveiller un côté de la table, mais de n’intervenir que si on leur en donnait l’ordre. Héléna, quant à elle, n’était pas conviée à la réunion. Ni Luther, ni moi-même ne souhaitions que qui que ce soit ici puisse l’identifier. Nous ne voulions pas lui donner une grande importance. Moins elle se mêlait des affaires du Gant Noir, moins elle prenait de risques. Alors que les nouveaux invités ne cessaient de pénétrer dans notre quartier général, je n’étais, de mon côté, même pas sur les lieux. C’était l’heure du souper. Je dégustais donc avec ma vraie Famille de bons morceaux de viande que mon Père venait tout juste de couper. Il me fallait attendre le lendemain pour savoir ce qu’il s’était dit lors de cette réunion. Ils étaient 4 à y avoir assisté. J’espérais donc que chacun d’entre eux saurait me faire une parfaite retranscription des faits sans omettre le moindre détails.

Quand je fus de retour dans notre quartier général, je les surpris à relire un long parchemin sur lequel se tenait une succession de tirets. Ils énuméraient les différents grands points de la réunion. Je me mis alors à alourdir mon pas, de façon à ce que l’on m’entende approcher malgré la distance. En entendant cela, Leborgne fit signe à sa sœur et à son neveu de quitter la salle. Ils obéirent, non sans laisser s’échapper un soupir, nous laissant ainsi tous les trois dans la salle : Luther, Leborgne et moi. Je m’étais donné la peine d’écrire au préalable sur une simple feuille de papier une question tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Pourtant, la réponse à cette dernière était tout sauf à prendre à la légère. « Tout s’est bien passé ? » Luther fut le premier à me répondre.

« Les nouvelles sont bonnes. Cette petite réunion nous a permit de consolider les liens et les atouts du Gant Noir plus que nous ne pouvions l’espérer ! J’ai une liste de doléances à vous fournir. Je me suis déjà permis de cocher ce que j’ai accepté de leur laisser au nom du Gant Noir. Et pour le reste, j’ai préféré vous réserver le droit de choisir. »

Leborgne prit alors parole, à son tour.

- « Ouaip ! Ils se sont globalement plutôt bien comportés. Y’a eu aucune réelle menace, ou animosité. Seulement quelques petites piques lancées par-ci, par-là. Mais bon, dans l’idée, on a des alliances solides avec pas mal de types importants dans le Sud et dans le Nord. Il faut dire qu’ils allaient pas faire la forte tête vu à quel point ça leur à fait mal aux fesses de savoir que leur hégémonie est passée entre les mains de leurs prophètes respectifs. » - « Par ailleurs, vous serez heureux d’apprendre que votre présence a été très demandée lors de la réunion. Ils voulaient tous voir le vrai Monsieur S. Surtout une femme, en particulier. Elle s’est interrogée à plusieurs reprises sur les raisons de votre absence. Elle a même attendu que tout le monde s’en aille pour venir me parler en privé, et me demander de lui accorder une simple entrevue avec vous. »

Suite à cette remarque, je tournai les yeux en direction de Leborgne. Je demandais du regard si c’était bien la femme à laquelle je pensais ou non. Il acquiesça discrètement. - « Une certaine Francesca Scodelario, si je ne m’abuse. Elle a été particulièrement insistante sur son histoire d’autorisations. »

Je levai alors un sourcil interrogateur, ignorant à quoi il faisait référence. Luther renchérit derrière.

- « Oui. Son histoire ne m’a pas semblé très claire, d’ailleurs. Si j’ai bien compris, elle voudrait, si jamais elle accepte de faire partie intégrante du Gant Noir, que nous nous assurions de la circulation de ses autorisations partout sur le territoire de Costerboros. Reste encore à savoir si le jeu en vaut la chandelle. » Je fis mine de comprendre. Cependant, j’ignorais de quoi ils me parlaient véritablement. Tout ce que je savais c’est que Francesca Scodelario s’était rendue ici et qu’elle nous avait fait part de ses attentes ; dont celle de me parler, à moi, directement. Il me revint alors en tête tout ce que Leborgne m’avait dit à son sujet. Je lui avais demandé, quelques jours auparavant, de me retrouver tout ce que Huttington avait pu écrire sur elle, de creuser dans sa mémoire tout ce qu’il avait bien pu lui dire à l’oral, et surtout : tout ce qu’il avait pu entendre sur elle de la bouche des autres convives présents lors de la discussion de la veille. Il n’est personne en ce monde de meilleur qu’eux lorsqu’il faut parler dans le dos de ses confrères. En croisant les sources, j’avais ainsi pu constituer une sorte de profil de cette Francesca Scodelario. C’était en réalité le tout premier dossier que nous montâmes sur quelqu’un, récoltant l’intégralité des informations à disposition sur elle. Un premier dossier qui inaugurera une longue, très longue série qui remplira mes bibliothèques, jusqu’à ce que ces dernières ne répertorient l’intégralité des résidents de Costerboros. Personne parmi ses « grands amis » ne l’appelait d’ailleurs directement par son nom ou son prénom. Lorsqu’ils faisaient allusion à elle, c’était toujours à travers un pseudonyme. Elle était connue et redoutée sous le nom de la « Bella Dona ».

Ce sobriquet était une sorte de jeu de mots. Dans le patois costerborosien, « bella » signifie quelque chose de très beau, de splendide ; et « Dona » veut dire : la chef, celle qui dirige. Ces deux idées collaient en effet parfaitement à Francesca. Elle était à la fois une leadeuse née qui ne laissait personne se mettre en travers de son chemin, mais dont la façon de commander, de parler, de se comporter avec autrui tournait pratiquement uniquement autour de sa grande beauté physique. Cela se rapportant de la même manière à la « belladona », nom scientifique donné à la belladone, une fleur très toxique souvent utilisée pour concocter les plus dangereux des poisons. Cette plante était d'ailleurs très courante dans le Sud de Costerboros ; là où Francesca résidait elle aussi. Les rumeurs racontaient même que cette belladone était sa plante préférée. Il est simple de comprendre pourquoi lorsque l’on sait comment cette femme est parvenue à la situation qu’était alors la sienne.

Une situation inscrite dans le sang, la trahison et le poison. Un lien entre son ascension et la mienne aurait presque pu sembler légitime, mais, avec du recul, ce serait une erreur. Moi, je

n’utilisais pratiquement jamais de poison.

Francesca Scodelario partageait cependant un point commun avec moi. Et non des moindres, puisqu’au départ : elle aussi était partie de rien. Elle a réussi à monter tout en haut de la pyramide sociale par son intelligence, sa débrouillardise et la force de sa volonté. Ceci étant dit, la véritable raison de son ascension reste malgré tout surtout sa grande beauté physique. C’est grâce à cette dernière qu’elle pu s’échapper de sa piètre condition. Jamais je n’entendis qui que ce soit parler de la Bella Dona sans mentionner, au moins une fois, à quel point elle était sublime, gracieuse ou élégante. Qui pouvait bien croire que cette si ravissante créature était au départ une simple prostituée, forcée de vendre son corps pour manger le soir ? Sa magnificence et ses « prouesses » étaient apparemment telles que les plus grands nobles de la région auraient eu ouïdire de son existence. Chacun d’entre eux s’était rendu au moins une fois dans la maison close où elle exerçait son activité, afin de vérifier si la légende autour de sa splendeur était bel et bien réelle. Si j’en croyais les mots de Leborgne, certes un peu crus et vulgaires : « Toute la région lui serait passée dessus ». J’ignorais, à l’époque, le sens de cette phrase et ce qu’il entendait par là. Pourtant, ce que je compris assez vite, c’est qu’elle avait tissé des liens forts, des liens très forts, extrêmement forts avec chacun des grands puissants qui lui avaient rendu visite. C’est là qu’elle mit son plan à exécution. Elle les embobina, les manipula les uns après les autres pour qu’ils lui donnent plus qu’elle ne pouvait espérer. Bijoux, habits de luxe, or, maisons, … Elle tirait d’eux tout ce qu’elle désirait en échange d’une simple gâterie. Mais le pouvoir et l’avarice sont deux fléaux qui ne sont jamais réellement rassasiés. J’en sais quelque chose pour l’un d’entre eux. Francesca ne se contenta bientôt plus des seuls cadeaux qu’on lui faisait. Elle voulait obtenir ce que ses prétendants ne pouvaient lui offrir : leur place, leur influence. Elle ne voulait plus être reconnue comme « La putain du Sud » mais comme « La Régente du Royaume entier ». C’est pourquoi, elle commença à arrêter de satisfaire ces messieurs. Elle ne leur offrirait plus rien tant qu’elle n’aurait pas tiré d’eux plus encore qu’avant. Elle s’était toujours passionnée pour la psychologie, et avait alors constaté que son refus provoquait chez ses anciens clients un sévère état de manque et de frustration. Un peu comme une drogue, en somme. C’est de là où elle tira son idée pour parvenir à se hisser tout au sommet. L’un des hommes les plus influents de la région, un certain Marquis Francis Scodelario, s’était éprise d’elle, comme beaucoup d’autres. Mais, contrairement à ces derniers, lui possédait un vaste empire de stupéfiants. Il fit fortune en plaçant des substances illicites à l’intérieur de produits alimentaires qu’il faisait circuler sur les différents fiefs de sa région. Cela lui permit de rendre différentes populations accrocs à ses produits, de telle sorte qu’ils étaient prêts à lui donner n’importe quoi pour s’en procurer à nouveau. Francesca se saisit de l’occasion et accepta sa demande en mariage. Elle devint la Marquise Francesca Scodelario et hérita, peu de temps après la mort de son mari, de son empire. Sa peine fut néanmoins de courte durée puisqu’elle épousera quelques jours après : le Baron Grégoire Strausser, responsable en chef de l’Alliance des Marchands du Sud. Cette fois, c’est un contrôle total sur l’organisation des grands échanges effectués un peu partout sur le Sud dont elle bénéficia, à la mort de son second époux, une semaine après leur union. Et ce petit manège continua encore et encore, sans que personne ne remonte jamais jusqu’à elle. Ses maris tombaient comme des mouches. Pourtant, les hommes continuaient de se prosterner à ses pieds tout en lui tendant l’anneau. Ils s’empressaient d’être les premiers à lui demander sa main dès qu’ils apprenaient qu’elle fusse à nouveau veuve. J’ignorais pourquoi. Leur vies importaient-elles si peu à leurs yeux ? L’amour les rendait-ils aveugles ? Ce n’est que bien plus tard que j’obtins les réponses à mes questions. Ce dont j’étais certain, en revanche, c’est qu’après tous les titres qu’elle cumulait, tous les secteurs qu’elle dirigeait, et tous les cadavres qu’elle empilait : la Marquise avait atteint un stade quasi-hégémonique sur la zone sud du Royaume. Personne n’osait la défier de face ou se la mettre à dos. Pas même les grands puissants du reste de Costerboros. Elle avait réussi à devenir l’une des femmes, si ce n’est la femme la plus dangereuse du Royaume, au point où personne n’osait faire la moindre « remarque d’homme de l’époque » en sa présence. Et pourtant, Rügnor seul sait que les femmes aussi influentes à

l’époque se comptaient sur les doigts de la main. Ce qui ne faisait que renforcer le respect que pouvaient éprouver les uns et les autres envers elle. Du fait de ses multiples conquêtes, « les chiffres officiels disent une dizaine, mais j’en suspecte au moins soixante-dix » si j’en crois Leborgne, elle aurait eu alors à sa botte n’importe quel secteur d’activité utile pour continuer le commerce de son tout premier mari, qu’elle jugeait le plus lucratif de tous. Seulement, elle aussi avait des ennemis. Tous n’étaient pas tombés dans le piège de sa beauté. Certains ne croyaient pas en les causes naturelles de la mort de ses anciens maris. Le schéma devenait trop répétitif, et le temps passé avant le décès des maris : de plus en plus court. Des familles avaient perdu un frère ou un fils, peu après qu’ils ne l’aient rencontré. D’autres perdirent un ami. Quelques uns encore ne pouvaient s’imaginer qu’une femme soit si puissante et puisse les diriger. Plusieurs tentatives d’assassinat furent ainsi envisagées contre elle. Mais c’était sans compter sur tous les moyens mis en œuvre pour assurer sa sécurité. Son quatrième époux était un vendeur d’esclaves. En reprenant son activité, elle put « libérer » ces derniers de la vente, pour les mettre directement à son service. La Bella Dona était ainsi constamment entourée de puissants et robustes guerriers, prêts à perdre la vie pour elle. De plus, elle donnait l’impression de toujours avoir une longueur d’avance sur tout le monde. Sa manière de procéder était simple et pourtant tellement efficace. En désirant tirer un trait sur son passé, elle avait racheté à prix d’or et dans le plus grand des secrets : l’intégralité des maisons closes du sud, comprenant également : les filles qui y travaillaient. Elle se servait ainsi de ces dernières et de ce qu’elles apprenaient de leur client lors de leurs discussions pour renforcer ses connaissances. L’idée était de les mettre en confiance pour qu’ils révèlent, sans forcément s’en rendre compte, tout ce qu’ils savaient. Souvent de simples détails. Mais de simples détails qui permettaient d’en apprendre tellement. Qu’ils fussent de simples gardes, mercenaires ou de puissants nobles : tous côtoyaient ces lieux. Francesca n’avait ainsi plus qu’à entendre ce qu’il se disait dans son dos pour préparer sa contre-attaque. Mais, il n’y avait pas que les prostituées. Elle promettait aussi aux mendiants de chaque coin de rue du Sud un bon repas chaud si jamais ces derniers tendaient l’oreille à tout ce qu’ils pouvaient bien entendre de la bouche des passants. Le soir, ils revenaient la voir pour lui dire si il était des choses intéressantes qu’ils avaient cru entendre, et en échange : elle tenait ses engagements. Ainsi, ces filles de petites vertus et ces mendiants tenaient le rôle d’observateurs silencieux et invisibles, tandis que pendant ce temps, les vrais espions professionnels à son service se chargeaient du reste. Ses méthodes étaient basses, mais elles fonctionnaient. Difficile de la blâmer pour ça. Or, si il en était bien un qui avait de quoi la blâmer c’était bel et bien feu le Duc Raymond Huttington, lui-même. Leborgne m’avait informé de la relation épistolaire qu’entretenait mon ancien grand allié avec Scodelario. De ses propres dires, Huttington la tenait en si grande estime qu’il se donnait la peine de lui parler d’égal à égal, bien qu’elle fusse une femme. Idée pourtant parfaitement invraisemblable pour quiconque aurait déjà entendu le point de vue du Duc sur la gente féminine. Les lettres qu’ils s’échangeaient étaient courantes. Ils s’accordaient mutuellement des services. L’une désirait exporter certains de ses produits dans la zone d’influence du Duc, là où lui obtenait d’elle des conseils et une aide directe afin de vaincre son ennemi de toujours : le Duc Klaussman. Leurs relations étaient parfaitement cordiales durant les premiers jours. Raymond confia même à Leborgne qu’il espérait faire de la Marquise sa nouvelle maîtresse. Elle était tellement douée pour séduire les hommes qu’elle parvenait à se faire désirer d’eux rien qu’à l’écrit. Seulement, plus le temps passait ; plus Huttington devenait insistant sur ses attentes. Il abandonna son discours sur l’entre-aide et adopta plutôt un discours victimaire selon lequel son amie serait bien plus avantagée dans l’histoire que lui ne l’était. Il défendait l’idée qu’elle n’en faisait pas assez pour lui, puisque Klaussman était toujours vivant, et que malgré tout le temps qui passait : elle s’enrichissait là où il se faisait de plus en plus de cheveux blancs. En tout bien tout honneur, la Bella Dona ne voyant aucun intérêt à se couper d’un commerce aussi prolifique et une alliance aussi utile demanda à son destinataire si il avait une autre faveur à lui demander pour rééquilibrer la balance. Il y avait bien peu de choses que le Duc souhaitait de plus que de voir son ennemi de toujours trépasser. Seulement, il était au moment exact où il reçut la missive de Scodelario dans sa période Majordome. Il ne démordait pas de l’idée d’en posséder un. Et il avait beau faire des pieds et des mains auprès de leur Guilde pour gagner les services de l’un

d’entre eux, les réponses étaient toujours négatives. Seulement, Huttington connaissait le passif de la Marquise avec la gente masculine. Si il était bien quelqu’un capable de séduire un membre éminent parmi les majordomes, c’était bien elle. Elle n’aurait alors plus qu’à en prendre un à son service pour le remettre au Duc, lors de son prochain passage dans l’Ouest. Le Duc l’invitait ainsi à une réception dans son palais, aussitôt ce serait elle assurée les services d’un majordome. Il espérait ainsi faire d’une pierre, deux coups en accueillant chez lui un nouvel allié et une nouvelle conquête amoureuse. Francesca accepta sa demande et son invitation, en gage de sa bonne foi. Les mois passèrent et Huttington n’avait toujours pas de réponse quant à son majordome, en dépit des nombreuses missives qu’il lui envoyait quotidiennement. Or, elle finit enfin par lui répondre après une longue, très longue attente. Quand il sut qu’une réponse de sa part était enfin arrivé, Raymond se précipita sur la lettre comme un charognard sur une proie, déchira l’enveloppe avec ses dents – des propres dires de Leborgne – et dévora ce qui y était écrit sans en perdre une miette. Hélas pour lui, nous dirons simplement que la réponse de la Marquise n’était pas tout à fait à son goût. En effet, l’on ne pouvait pas dire que sa patience avait été récompensée à sa juste valeur. Toujours d’après Leborgne, son teint de peau aurait viré au rouge immédiatement après avoir fini cette missive qu’il avait tant attendu. En quelques mots, Francesca présentait ses plus sincères excuses au Duc pour son incapacité à satisfaire sa demande. En effet, comme convenu, elle s’était assurée d’obtenir les faveurs de l’un des fondateurs de la Guilde des Majordomes, afin de faire passer l’un d’entre eux au service du Duc. Si elle y était bien parvenu, elle reprochait tout de même à son partenaire de ne pas l’avoir prévenu que quand un majordome était confié à quelqu’un, alors il lui jurait fidélité à lui et à lui seul jusqu’à la fin de sa vie. Hormis dans certains rares cas où ils n’auraient pas été capables d’obéir, comme il se doit, à un ordre donné, ils ne pouvaient en effet passer aux ordres de qui que ce soit d’autre. Ainsi, elle se retrouvait sans possibilité de le transmettre au Duc, du fait de ce code de conduite propre aux adeptes de cette étrange guilde. Malgré tout, elle considérait avoir fait sa part du travail et l’enjoignait donc à reprendre sans plus attendre leurs petites affaires.

Ce bon Raymond venait de percevoir une nouvelle facette de la personnalité de Francesca Scodelario. Celle d’une femme avant tout intéressée par son propre profit et qui ne fait pas d’erreur. Si jamais quelque chose ne se passait pas comme prévu, ce n’était pas de sa faute à elle, mais à celui qui ne l’avait pas assez bien informée. Cela était si peu fréquent qu’elle en avait presque perdu la sensation. Même si l’on ne pouvait pas vraiment parler d’échec, le fait de ne pas avoir eu toutes les cartes en mains devait l’avoir agacé. Mais le plus agacé des deux, c’était sûrement le Duc. Après tout ce temps, il était hors de question pour lui de se laisser manquer de respect par cette mégère qui venait non seulement d’obtenir les services d’un majordome pour elle seule ; mais qui, en plus, se permettait de le mettre en cause directement dans cette affaire. Et il est vrai que, dans un certain sens, elle venait de gagner sur absolument tous les points. Je pense même aujourd’hui, avec du recul, qu’elle avait savamment préparé son coup et qu’elle connaissait déjà la finalité de l’histoire. Et c’était tout simplement celle-ci qu’elle jugea la plus avantageuse dans son calcul coût-avantage. Se sentant trompé, humilié et insulté, Raymond se saisit aussitôt de sa plume et rédigea une lettre emplie d’insultes, de blâmes et d’accusations envers celle qu’il convoitait quelques jours plus tôt. Concrètement, il la traitait à demi-mot de traîtresse, de sorcière et lui lança un ultimatum. Il lui sommait de lui livrer tout de même le majordome afin qu’il le « rééduque » lui-même. Il lui garantissait que, code de conduite ou non, il allait bien finir par lui obéir. Et en cas de refus, il cesserait immédiatement tout contact avec elle et ferait interdire ses produits partout sur son territoire.

Ce n’est que quelques heures après avoir demandé de lui faire porter cette missive qu’il regrettera son geste. Prit par la colère, il n’avait pas assez bien peser le poids de ses mots et se rendit compte plus tardivement de l’erreur diplomatique qu’il venait tout juste de commettre. La réponse finale de Scodelario ne prit que quelques jours avant de lui être retransmise. Elle n’avait que très moyennement apprécié l’ultimatum et les insultes. Cette dernière lettre qu’elle s’était donnée la peine d’envoyer à Huttington n’avait pas pour but de le convaincre de revenir sur son jugement, bien au contraire. Elle semblait avoir prit les devants en annonçant au Duc que c’était elle qui mettait fin aujourd’hui à leur entente. Elle lui précisa également en fin de page que si jamais quoi que ce soit était tenté contre elle, en guise d’éventuelles représailles, alors il était probable que les rumeurs sur son attirance pour les petits enfants ne remontent jusqu’aux oreilles de la Cour du Roi. Elle savait. Un garde peut-être, ou un espion ? Nous ne l’avons jamais su. Cependant, ce qui était certain, c’est qu’il n’était pas dans le genre de Huttington de se laisser intimider de la sorte. Il chargea Leborgne de se rendre à cheval jusque dans le Sud afin d’éliminer son ancienne contact et d’en profiter pour ramener le majordome au Palais. Elle en savait beaucoup trop sur lui et il ne pouvait pas lui permettre d’ébruiter la chose. Et c’est là que se sont déroulés les évènements entre Conrad et Leborgne.

Cette petite futée se doutait que Huttington tenterait tout de même quelque chose contre elle. C’est pour cela qu’elle contacta aussitôt Klaussman afin de l’enjoindre à interférer. « L’ennemi de mon ennemi est mon ami », après tout. Pourtant, dans ce cas là, en particulier : pas vraiment. Il s’avère, en réalité, que Klaussman ne répondit jamais à la missive de Scodelario. Elle qui voulait tant savoir si Leborgne avait bien périt ou non n’eut jamais droit à sa réponse. Pourtant, l’on ne peut pas dire qu’elle n’avait pas cherché à se mettre l’autre Duc dans la poche. Le partenariat avec Huttington étant terminé pour de bon, il fallait bien compenser le manque à gagner en reprenant les affaires avec un autre Duc influent de l’ouest. Mais Klaussman était plus malin que Huttington. Il était bien plus doué que lui lorsqu’il fallait identifier les futures menaces potentielles et les gens indignes de confiance. Il avait entendu parler de sa réputation et ne comptait certainement pas faire affaire avec une femme comme elle, quand bien même elle était également contre Huttington. Klaussman avait, de toute façon, toujours considéré ce conflit de familles comme très personnel. Il fustigeait toute intervention extérieure et tenait à être le seul à venger son fils, ne souhaitant relayer la tâche à personne d’autre. Bien sûr, toute aide était bonne à prendre, mais il n’envisageait aucune alliance sur le long ou le moyen terme, et certainement pas avec la Bella Dona. Ce fut d’ailleurs cette incapacité à s’assurer les services du Duc qui poussa la Marquise à ne pas mettre ses menaces exécutions et ainsi à ne pas ébruiter le secret de Huttington à la Cour. Tant qu’elle n’était pas certaine de ce qu’il s’était passé pour Leborgne, il valait en effet mieux pour elle qu’elle garde une carte dans sa manche. C’était une sorte d’avertissement pour Raymond, un moyen de lui dire, sans pour autant lui faire porter la moindre missive, que son homme de main préféré avait déjà été puni une fois et que si il recommençait, alors ce serait à lui d’être puni, cette fois. C’était probablement d’ailleurs le plus gros point fort de Francesca : sa capacité à toujours savoir retomber sur ses pattes, tel un chat. C’était d’ailleurs peutêtre ça justement ce qui me plaisait chez elle. Quoiqu’il en soit, cette femme souhaitait apparemment à présent s’entretenir avec moi au sujet de ces fameuses autorisations. Je n’avais alors toujours pas la moindre idée de ce qu’elle cherchait à faire ni de ce qu’elle entendait par « autorisations ». En revanche, je ne pouvais alors me permettre de refuser sa demande. Il fallait m’assurer qu’elle rejoigne mon camp. Si je parvenais à la recruter au sein du Gant Noir, alors je pourrais à la fois élargir mon influence sur tout le Sud de Costerboros et tenir la promesse faite à Leborgne. En effet, cette femme était alors mon unique porte d’entrée pour faire entrer Mélanie et William au sein de la Guilde des Majordomes. En faisant d’elle leur mécène, je m’assurais une véritable sécurité pour l’avenir. Elle avait, après tout, accepté, malgré la tentative de meurtre en son encontre, de se rendre dans l’une des anciennes demeures de Huttington, pourtant gardée par l’homme chargé de l’assassiner quelques années auparavant. Elle devait se douter que ce n’était justement plus Huttington qui était aux commandes à présent et que

le Gant Noir n’avait pas la même finalité que l’ancien Duc. Sa récente perte d’hégémonie devait bien plus la déranger alors, ce qui dut la convaincre d’oser franchir le pas. Une fois de plus, le passé n’avait aucune importance pour elle du moment qu’elle s’assurait un présent et un avenir prospère. Je savais donc sur quelle corde jouer si je désirais obtenir quelque chose d’elle. Tout ce que j’espérais, c’est qu’elle accepte de revenir ici pour discuter. Au vu de la distance entre Kürsk et le grand Sud du Royaume, il m’était impossible de faire l’aller-retour sans que mes parents ne remarquent mon absence. Je craignais aussi qu’elle ne me perce à jour. Si cette femme était aussi perspicace, il valait mieux pour moi que j’étoffe mon déguisement, et que je renforce ma couverture. J’ignorais ce qu’elle avait à me demander, mais je savais que si il fallait que nous discutions ensemble, cela se ferait selon mes règles. Elle avait trop à perdre pour refuser ma demande, et j’avais trop à gagner pour ne pas accepter la sienne. Une rencontre fut ainsi arrangée pour la semaine prochaine. Elle aurait lieu dans l’ancien bureau secondaire d’Huttington, alors devenu le mien, et se tiendrait de nuit. Sa seule demande était d’avoir le droit de s’entretenir à un moment en privé avec moi, sans personne d’autre dans la pièce. J’acceptai. Les jours passèrent jusqu’à ce que l’heure fatidique n’advienne enfin. Nous nous étions assurés de faire baigner la zone où je siégeais dans un voile constant d’obscurité. L’ombre épaisse d’un volet entrouvert dissimulait mon visage aux yeux de tous. Nous attendions patiemment sa présence, sans que quiconque ne se risque à briser le silence qui s’était alors instauré. Leborgne avait été positionné à l’entrée afin d’escorter la Marquise jusqu’à mon bureau une fois qu’elle aurait franchi le seuil de la porte. Luther était, quant à lui, assis sur un fauteuil en cuir brun juste à côté de moi. Lui, baignait dans la lumière de la lune, le rendant bien plus visible aux yeux de tous que je ne l’étais. C’était une bien belle retranscription symbolique de nos activités : l’on mettait la lumière sur le porte- parole, et on laissait le vrai chef diriger dans l’ombre, à l’abri des regards. Mélanie et William étaient eux aussi présents, positionnés devant la porte du bureau. Ils restaient là, droits, à attendre que la présence de notre invitée soit annoncée pour la lui ouvrir. J’espérais sincèrement qu’ils n’attirent d’ailleurs pas trop son attention, de peur qu’elle refuse d’en faire de futurs majordomes. Nous patientâmes calmement et professionnellement. Cela prendrait le temps que ça prendrait mais notre priorité restait de réussir cette première entrevue. Nous avions chacun beaucoup à gagner à s’attirer la sympathie de l’autre. Il valait donc mieux, pour chacun d’entre nous, essayer d’établir une bonne relation dès le départ.

Lorsque nous entendîmes enfin la poignée s’abaisser, nous vîmes une figure féminine, entourée de plusieurs hommes très grands et très bien équipés, s’avancer dans notre direction. Ces derniers se postèrent aux quatre coins de la salle adjacente à la notre, gardant fermement chacun une de mes fenêtres. C’était comme si ils s’attendaient à une attaque surprise à tout moment. Le bruit des talons des bottines de la jeune Marquise résonnait dans tout le bureau, à chaque pas qu’elle faisait. Ses mains, tenues l’une contre l’autre au niveau de son ventre, laissaient s’imaginer une femme très à l’aise et en contrôle de la situation. Le léger sourire qu’elle affichait sur son visage à la peau bronzée, légèrement basanée, était d’ailleurs très évocateur. C’était elle : Francesca Scodelario. C’était la première fois que je la voyais pour de vrai. Je pouvais enfin mettre des mots sur ce nom, pour décrire cette beauté si exceptionnelle dont j’avais tant entendu parler. « Bien le bonsoir, chers messieurs. » déclara-t-elle avant de pénétrer dans la pièce, le sourire aux lèvres et les yeux pleins de malice. La lumière nocturne illuminait son visage aux traits si délicats comme celle du soleil illuminerait un ange tout droit tombé du ciel. L’obscurité de la pièce s’accouplait à la perfection avec sa chevelure soyeuse, noire comme l’ébène. Ses grands yeux verts comme l’émeraude dévoraient avec attention chaque élément qui se trouvait dans la pièce qui l’entourait. Son regard était perçant comme celui d’un oiseau de chasse prêt à s’abattre sur sa proie. Pourtant, le reste de son corps se mouvait avec une telle aisance et une telle grâce qu’il était impossible de l’assimiler à un quelconque rapace. Ses formes travaillées et ses courbes raffinées n’étaient que la suite logique d’une silhouette à la taille de guêpe enveloppée dans une superbe robe écarlate en velours. Un luxueux collier argenté

enlaçait son cou, ce cou que tant d’hommes désiraient plus que tout embrasser … ou tordre. La fine veste rouge qu’elle portait en guise de haut dissimulait de ses manches longues les bras délicats de la Marquise, dont les mains aux doigts si fins étaient enveloppées à l’intérieur de gants bruns aux contours faits de fourrure de vison. L’on pouvait parfois voir le bout d’une bottine faite de cuir couleur onyx, dépasser de sous sa longue et élégante robe aux broderies dorées. Dorées comme les discrètes boucles en forme de gouttes d’eau accrochées à ses oreilles, en partie dissimulées par ses longs cheveux particulièrement soignés. Ces derniers entouraient un faciès sans la moindre imperfection, ni la moindre trace de maquillage. Elle devait tenir à sa beauté naturelle. Nul besoin de rajouter des produits sur quelque chose de déjà si bien réussi. Il n’était plus qu’un très léger grain de beauté, trônant fièrement au dessus du coin gauche de sa fine bouche aux lèvres pulpeuses, pour compléter le tableau. Un tableau d’une splendeur sans égale au parfum envoûtant de rose et de jasmin. La dévisageant de la tête aux pieds, je fus trop obnubilé par sa découverte pour écrire quoi que ce soit en réponse à ses salutations. Luther, qui l’avait déjà observé sous toutes ses coutures la dernière fois, se chargea ainsi de lui répondre à ma place. - « Dame Scodelario. Vous voilà enfin ! Prenez place, je vous en prie » lui dit-il en lui désignant de la main un petit fauteuil en tissu pourpre, situé de l’autre côté de mon bureau. - « Oh. Mais je ne me le permettrais pas tant que le maître de ces lieux ne m’en donnera pas la permission » affirma-t-elle en détournant son regard de mon porte-parole pour le déposer enfin sur moi, tout en l’accompagnant d’un sourire dont je ne saurais décrire la nature encore aujourd’hui. Je me demandai alors si elle cherchait, avec cette simple demande, à entendre ma voix. Si c’était le cas, alors : c’était une façon très prompt de commencer les hostilités. Si elle s’attendait à percer le mystère si vite, je ne comptais, de mon côté, pas entrer si rapidement dans son jeu. Je laissai simplement sortir mon bras de l’ombre qui me recouvrait, lui indiquant que je l’autorisais bel et bien à s’asseoir en face de moi. Elle finit par s’exécuter, posant ses mains l’une sur l’autre au niveau de ses jambes croisées, tout en plissant discrètement les yeux vers moi afin d’alimenter sa curiosité grandissante. Dès qu’elle fut assise, un immense gorille tenta également d’entrer dans la pièce, sa hallebarde à la main. William s’interposa, en lui faisant signe de rester à l’extérieur, mais l’homme continua tout de même d’avancer. Il semblait visiblement vouloir rejoindre sa maîtresse dans mon bureau, bien qu’il fusse trop grand et trop massif pour passer la porte tant en longueur qu’en largeur. Il s’arrêta néanmoins tout net dès qu’il aperçut la main gantée de la Bella Dona se lever. En un simple signe, elle le fit se stopper comme une statue. William le repoussa alors à l’extérieur et ferma la porte, nous laissant définitivement seuls, cette fois. Laissant lentement et sensuellement son bras retomber sur son autre main, elle poussa un très léger soupir, presque inaudible, puis daigna reprendre voix. - « Veuillez l’excuser. Goliath est comme tous les bons chiens : très fidèle et méfiant quand il rencontre des inconnus. Mais ne vous en faîtes pas, il ne mord pas. Enfin, tant que je ne le lui ordonne pas, bien sûr. » - « C’est bien normal, Madame. Quel intérêt d’avoir des gardes du corps si ils ne cherchent pas à vous défendre ? » renchérit Luther. À en juger par la façon dont elle me regardait, j’avais l’impression que Francesca Scodelario n’avait d’yeux que pour moi dans cette discussion. Elle semblait se moquer éperdument de ce que pouvait bien lui dire Luther. Il n’y avait qu’à moi et qu’à mon approbation qu’elle se fiait. Lorsqu’il

prenait parole, c’était presque comme si elle se retenait de laisser s’échapper une remarque désobligeante. C’était à peine si elle lui répondait, comme si elle ne remarquait même pas son existence.

« Vous avez fait bon voyage, Dame Scodelario ? » continua-t-il.

- « Si l’on m’avait dit un jour que je me rendrais à nouveau dans un lieu ayant appartenu à Huttington, j’avoue que je n’y aurais pas cru une seule seconde. » répondit-elle. - « Les choses changent, il semblerait. Le Duc n’est plus, aujourd’hui. J’imagine que sa disparition a du être une véritable libération, pour vous. » - « C’est plutôt l’arrivée de ce cher Monsieur S qui me mit du baume au cœur. Que les hommes meurent, ce n’est pas une nouveauté. Mais que leurs remplaçants gardent le cap, ça, c’est toujours plus ou moins un coup du hasard. » - « C’est certain. Soyez néanmoins assurée que... »

- « Est-ce par timidité que vous vous dissimulez de la sorte, cher Monsieur ? J’espère ne pas vous intimider tant que cela. » - « Hum… Vous... »

- « Veuillez pardonner mon impertinence. J’ai laissé ma curiosité envers vous prendre les devants. Comprenez que je n’ai pas l’habitude de discuter avec quelqu’un que je ne vois pas. » Sans attendre un mot de plus, je me mis à écrire quelques mots sur une feuille de mon carnet, puis tendit ce dernier à Luther, encore déstabilisé de s’être fait snober de la sorte. Dans le plus grand des silences, je fis glisser vers lui le papier. Il s’empressa de s’en saisir pour le lire à haute voix, sous le regard intrigué de Francesca. - « « Dame Scodelario, je vous souhaite la bienvenue dans mon humble demeure. Je ne peux hélas communiquer avec vous par la parole. C’est mon fidèle bras droit, Luther, ici présent qui se chargera de vous lire mes écrits. Ce mutisme n’est pas lié à une volonté d’éviter de dialoguer avec vous, bien au contraire. Cependant, je préfère ne pas me montrer directement à vous tant que nous ne n’aurons pas fait plus amplement connaissance. Je suis certain que vous comprendrez. » » lui lut-il.

- « Je vois. Vous savez, je sais lire moi aussi. Je n’ai pas besoin d’avoir un perroquet. » - « Euh… Sauf votre respect, Madame. À quoi cela sert-il d’avoir fait tout ce chemin si c’est pour vous contenter de lire ce que Monsieur S vous écrit ? » - « Je pourrais vous retourner la question, très cher. J’aurais très bien pu rester chez moi et entretenir une relation épistolaire avec votre patron. Seulement, je voulais le voir de mes propres yeux et discuter directement avec lui. Vous n’étiez pas convié dans la discussion, même en tant qu’interprète. » - « Je comprends. Si cela ne vous dérange pas, Monsieur, je vais dans ce cas me retirer et vous laisser vous entretenir seul à seul avec Dame Scodelario. »

- « Faîtes donc, mon brave. Faîtes donc. » insista-t-elle.

Voilà bien quelque chose que je n’avais pas prévu. Mais si c’est ce qu’elle voulait, je pouvais difficilement le lui refuser. Je lui fit signe de partir. Il quitta ainsi la pièce sans émettre le moindre bruit, nous laissant ainsi seuls l’un face à l’autre. La Bella Dona prit alors une grande inspiration, puis expira. - « Ne trouvez vous pas l’air plus respirable, maintenant ? » me demanda-t-elle.

Il me fallait entrer dans son jeu, cette fois. Si je voulais savoir où elle comptait en venir, il valait mieux pour moi ne pas être trop réfractaire pour l’instant. Elle me vit donc hocher la tête malgré l’obscurité. « Décidément, entre mon Goliath et votre Luther, nos sous-fifres ont l’air de se sentir pousser des ailes, en ce moment, n’ai-je pas raison ? » Cette fois, je n’acquiesçai pas. Je lui tendis simplement un nouveau mot qu’elle lut également à haute voix.

« « Chère Madame, sachez que je suis moi-même un « sous-fifre » à proprement parler. Je me suis approprié l’identité de Monsieur S mais le véritable détenteur de ce sobriquet est inconnu de tous en ces lieux. J’ai endossé son titre afin qu’il reste dans l’inconnu le plus total. C’est sa manière de faire. Il ne fait confiance à personne d’autre qu’à moi, et sait que si il se montre un jour, alors il risquerait d’y perdre la vie. » » Son visage se figea l’espace d’une seconde. Puis, comme si elle venait tout juste d’oublier ce qu’elle venait de lire, elle abaissa ma note et me sourit tendrement en penchant légèrement la tête sur le côté.

« Mais enfin, cher Monsieur, cela ne change rien. C’est vous qui restez officiellement aux commandes ici. Qui s’intéresse à l’officieux ? Que vous donniez les ordres ou que vous en receviez d’une entité inconnue de tous, quelle différence ? Le plus important dans l’histoire c’est que les autres s’imaginent encore que c’est vous Monsieur S. Il n’y a pas de raison que je fasse exception à la règle… Officiellement, du moins. » m’assura-t-elle en prenant ses aises, posant ses deux coudes sur ma table, puis déposant sa tête entre ses deux mains. Son visage était alors assez proche de moi pour que ses yeux me perçoivent plus clairement. Je reculai dans mon fauteuil pour échapper à son regard. Mais c’était déjà trop tard. Elle s’était déjà fait une vague idée de ce à quoi je ressemblais. « Allons. » continua-t-elle « Ne soyez pas si rude, voyons. Quand une femme vous dévisage de la sorte, ayez au moins la politesse de lui sourire en retour. » J’étais pris au piège. Je n’avais alors d’autre choix que de camoufler ma peur et de me jeter à l’eau. Si j’étais assez confiant et que je jouais assez bien mon rôle, alors je pouvais jouer ma prochaine carte sans qu’elle ne se doute de quoi que ce soit. Je fis glisser une fois de plus une note vers elle, l’enjoignant à faire preuve de politesse à son tour en retirant ses coudes de mon bureau. Je ne devais pas faire preuve de faiblesse devant elle. Je devais me faire respecter d’elle. Sinon, je savais que je me ferais manger tout cru. Nonobstant, elle obéit, croisant une fois de plus les jambes et les bras. Le regard qu’elle m’adressait alors semblait me faire comprendre que si elle faisait un pas vers moi, elle s’attendait à ce que j’en fasse également un vers elle. Je choisis donc de la surprendre en rapprochant ma chaise de mon bureau jusqu’à ce qu’une partie de mon visage ne soit éclairée par la lumière de la lune, à l’extérieur. Brusquement, Francesca laissa une expression de surprise s’emparer d’elle.

« Cela vous surprend-il tant que cela ? Vous saviez qu’un petit groupe de cette race aux allures si inoffensives était rentré au service de Huttington. À votre avis, qui était derrière tout ça ? Qui avait planifié cette infiltration, sa montée et sa chute ? » lui répondis-je à l’écrit. - « Je suis… impressionnée. C’est le mot : impressionnée. Qu’un être comme vous parvienne à monter aussi haut tout simplement parce qu’il a été conseillé par la bonne personne, je trouve cela admirable. »

- « Je crois savoir que c’est également votre cas. Il est bien rare de nos jours de voir une femme aussi puissante et influente que vous. Si l’on omet la Reine elle-même, simple couturière à l’origine, je n’en ai pas la moindre en tête qui soit arrivée si loin en partant de si peu. » - « J’imagine que cela nous fait un point commun. » m’affirma-t-elle en m’adressant un sourire, probablement le plus sincère qu’elle ait esquissé depuis qu’elle fut entrée ici. Néanmoins, elle reprit très vite son sérieux et commença à changer d’attitude. La Francesca Scodelario séductrice et curieuse venait de laisser place à la Bella Dona intéressée et calculatrice. « Tout cela étant dit : allons droit au but, à présent. J’aimerai passer au fond de l’affaire et vous expliquer ce que j’attends de notre alliance. Vous n’y voyez aucun inconvénient ? » - « Parlez. »

- « Très bien. « Monsieur S », je ne vais pas passer par quatre chemins : je veux retrouver mon hégémonie. Si Huttington était une simple épine dans mon pied de son vivant, il a eu sa revanche sur moi post-mortem en permettant le transfert du pouvoir des grands régents de régions, dont je fais partie, vers les trois prophètes. Je ne compte pas rester là sans rien faire, et je sais déjà comment procéder pour récupérer ce qui m’appartient de droit, ce que j’ai gagné à la sueur de mon front. Avez-vous déjà entendu parler des autorisations ? Ce sont des documents officiels que la Couronne distribue à la demande des costerborosiens quittant le Royaume pour une raison X ou Y, et qu’ils doivent présenter à nouveau lorsqu’ils reviennent, afin de prouver qu’ils ne sont pas des espions infiltrés de l’Île des Miracles. Et voyez-vous, moi, je veux donner plus d’importance encore à ces papiers. Je veux en faire des documents obligatoires pour tous ! Je veux forcer chacun des habitants de Costerboros, quels qu’ils soient, à toujours en porter au moins un sur eux ! » - « Dans quel but ? »

- « C’est on ne peut plus simple. Le vrai Monsieur S a certainement déjà du vous le dire mais je suis la veuve endeuillée d’un ancien Marquis propriétaire d’un commerce assez lucratif de produits addictifs. L’idée serait de créer nos propres autorisations. Je demanderai à mes contacts à la Cour de m’en faire parvenir des convois entiers. Nous les imbiberons de ces substances afin de pousser tous ceux qui en auront en leur possession à les consommer. » - « Vous voulez qu’ils consomment du papier ? »

- « Pas le papier. Ce qu’il y a à l’intérieur. En le faisant brûler, notamment. Une fois qu’ils auront nos autorisations en main, ils sentiront une odeur très particulière, provoquée par les produits psychoactifs qu’elles renferment. J’ai déjà fait mes tests sur mes propres hommes. Ça marche plus que je ne pouvais l’espérer ! Les quelques-uns qui y ont touché sont déjà complètement accrocs. »

- « Et en quoi rendre addict le peuple de Costerboros à ces autorisations illicites vous aiderait à retrouver votre hégémonie ? »

- « Ça ne vous semble pas évident ? Si jamais nous profitons du contexte géo-politique entre Costerboros et l’Île des Miracles pour rendre ces autorisations obligatoires, ça signifiera que tous ceux qui n’en auront pas pourraient finir en prison pour soupçon de collaboration avec l’ennemi. Nobles, bourgeois, paysans : tous se battront pour en posséder. Nous taxerions ainsi absolument tout le monde sans risquer qu’ils ne se révoltent contre nous. Après tout, c’est encore la Couronne qui a tout pouvoir sur Costerboros, non ? Et si jamais chacun de nos clients consomme sa précieuse marchandise, il devra nous en racheter pour éviter le bagne. Ainsi, le cercle vertueux pourra commencer pour nous. Un cercle qui nous rendra tellement riches et puissants que nous pourrons reprendre notre pouvoir de force sur les trois prophètes. » - « Vous pensez que l’argent nous fera vaincre Xon, Kal’Drik et Glardrog ? »

- « L’argent n’est qu’un outil permettant de trouver les armes pour les vaincre. Un conflit entre armées est une chose ; une façon de mettre fin à la guerre avant même qu’elle ne commence en est une autre. »

Tout en prononçant cette phrase pour le moins énigmatique, Francesca retira l’un des ses luxueux gants, révélant une main aux doigts entourés de bagues. Certainement toutes les alliances de ses défunts maris. Néanmoins, elle se mit alors à retirer de l’une d’entre elle l’émeraude qui l’ornait. Et je compris alors que cette pierre là n’était pas une émeraude. C’était une gemme. L’une de ces fameuses gemmes aux pouvoirs si particuliers. « Suite au combat fratricide entre Lord G. , gardien des vivants, et Voyle, gardien des morts, qui ravagea l’intégralité de notre univers, brisant la réalité elle-même, le Dieu Créateur dû intervenir pour punir sa propre création, le Roi des Démons, et recréer la vie sur son monde détruit. Seulement, afin d’éviter qu’un tel incident ne se reproduise un jour, il parsema sa reconstruction de plusieurs cristaux. Ces derniers permettant à tout être vivant de tenir tête même aux plus puissants des adversaires. C’est ce qu’en dit la légende, du moins. Ça n’a pas été facile, mais j’ai pu me procurer un ouvrage répertoriant toutes les gemmes découvertes à ce jour. Si nous parvenons à en récolter assez, nous pourrions vaincre n’importe quelle armée, n’importe quelle entité, voire même la mort elle-même ! » Intrigué par son discours, je me risquai à la stopper dans ses élucubrations pour lui poser une simple question. - « Vaincre la mort elle-même ? N’êtes vous pas en train de confondre avec les plumes de phœnix, Francesca ? »

La Marquise laissa s’échapper un petit rire, puis reprit.

- « Je ne confonds rien du tout, cher ami. Je sais, en effet, que vous avez le monopole des plumes de phœnix. Mais ne vous faîtes pas du mauvais sang pour rien : je n’ai aucun intérêt à interférer dans vos affaires. Dîtes-vous bien une chose : ces plumes ne vous protégeront pas indéfiniment de la mort. Elles permettront de vous ramener, certes. Une fois, deux fois, trois fois peut-être. Mais lorsqu’il n’y aura plus de phœnix, lorsque tout votre stock aura été utilisé, ou si jamais c’est l’âge qui vous emporte : alors vous partirez vous aussi. Vous irez rejoindre le commun des mortels. Moi, ce que je souhaite, pour vaincre la mort une bonne fois pour toutes : c’est la jeunesse éternelle. Je ne veux pas finir en grand-mère rabougrie. Je veux préserver ma beauté. Je veux me dire que j’aurais 32 ans toute ma vie. Et figurez-vous que l’on a comptabilisé aujourd’hui quatre de ces cristaux violets, plus connus sous le nom de : gemmes de Jouvence. Savez-vous qui sont les quatre

personnes qui les possèdent ? Je vous aide : ils sont actuellement les régents des quatre régions de Costerboros ! »

- « Alors, Adark en possède une également ? »

« Le prophète de Voyle du grand Est ? Non. Lui, ce sont des pouvoirs occultes qui le maintiennent en vie, de ce que je sais. En réalité, c’est au Roi Corodon Ier que je faisais référence. Savez-vous quel âge il a aujourd’hui ? Plus d’un siècle et demi. Tout roi qu’il est, l’unique raison de sa survie : c’est cette gemme accrochée autour de son cou, je le sais. » - « Et qu’attendez vous du Gant Noir, dans tout ça ? »

- « Que vous m’aidiez, tout simplement. Votre ami, Luther, m’a vendu le Gant Noir comme une grande famille qui chercherait avant tout l’entraide entre ses membres. Si jamais j’accepte de rejoindre vos rangs, j’ose espérer que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour faire circuler mes petites autorisations dans tout le reste du Royaume. Je me chargerais du Sud, mais j’espère pouvoir vous faire confiance pour l’Ouest et le Nord. » - « Le Gant Noir rend, en effet, service à chacun des membres qui le compose, quelles que soient leurs demandes. J’accepte, au nom de Monsieur S, de faire circuler vos autorisations, dans la mesure où vous parvenez à les faire décréter obligatoires. » - « Ne vous en faîtes pas pour ça. J’ai plusieurs amis à la Cour qui sauront murmurer à l’oreille du Roi. Notamment, un certain comte Auguste Adhémar. J’ai rarement vu, dans ma vie, un homme aussi déterminé à rendre sa grandeur à Costerboros. Il appuiera de tout son poids pour faire passer cette obligation, ce qui est déjà une certaine garantie de réussite. » J’ignorais alors qui était cet Adhémar. Ce n’est que bien plus tard que je comprendrais que cet accord passé avec la Bella Dona allait prendre une ampleur bien plus grande que je n’aurais pu l’imaginer. Mais, je réserve cela pour une autre fois. C’était alors mon accord avec Francesca Scodelario qui importait le plus à mes yeux. Je venais d’accepter sa demande, sans lui avoir imposer la moindre limite, ni lui avoir formulé la moindre incertitude. Cependant, je ne comptais pas pour autant lui ouvrir grand les portes du Gant Noir et tout lui offrir sans rien attendre en retour. J’avais fait une promesse à Leborgne, et elle allait m’aider à la tenir. - « Maintenant que nous avons vu en quoi le Gant Noir pouvait vous être utile, j’aimerais à mon tour vous demander un service, au nom de Monsieur S. »

Aussitôt après avoir lu ma note, je la vis comme se décontracter. Elle venait de réussir ce pourquoi elle était venue ici, un poids venait de se libérer de ses épaules. Je l’aperçus alors reposer son coude sur mon bureau pour se tenir la tête de sa main dégantée, semblant déjà accueillir ma demande avec tendresse et bonté.

- « Bien entendu. Un service se doit d’engendrer un autre service, en retour. Dîtes moi ce que vous aimeriez que je fasse pour ce cher Monsieur S. Je suis certaine que nous parviendrons à trouver un… arrangement. » J’étais bien trop jeune alors pour comprendre le double sens de cette phrase. Et même si je l’avais compris, je doute que cela aurait suffit. Ce que je savais en revanche, c’est que cette femme était la seule et unique façon pour moi d’inscrire Mélanie et William dans la Guilde des Majordomes, et je ne comptais reculer devant rien pour y parvenir.

- « Je crois savoir, Francesca, que vous êtes en bon contact avec l’éminente Guilde des Majordomes. » En lisant cela, la Marquise perdit presque aussitôt son sourire charmeur.

- « Tiens… Cela faisait longtemps. Je me souviens d’un homme à qui appartenait la demeure dans laquelle nous sommes aujourd’hui qui désirait lui aussi me demander un service concernant des majordomes. On ne peut pas dire que cela ce soit bien terminé. » - « J’entends bien. Seulement, dans notre cas, Monsieur S ne désire pas obtenir les services d’un majordome. Pour tout dire, ce qui l’intéresse : c’est plutôt en offrir un à la Guilde. » - « En offrir un à la Guilde ? Ma foi, c’est assez inhabituel. Pouvez-vous développer ? »

- « Je crois savoir, Dame Scodelario, que vous êtes assez proche d’eux pour influencer les décisions d’au moins l’un de leurs responsables. Ce que le Gant Noir attend de vous : c’est que vous acceptiez de devenir la mécène de deux jeunes gens afin qu’ils puissent rentrer dans les rangs des majordomes. » - « Deux jeunes gens, vous dîtes ? Laissez-moi deviner, est-ce qu’il ne s’agirait pas des deux petits Leborgne qui gardaient la porte de votre Bureau ? » - « Vous avez vu juste, Francesca. Le Leborgne a mon service ne pouvant assurer à l’heure actuelle leur formation, Monsieur S a trouvé cette alternative afin de ne pas gâcher leur potentiel. Comme je vous l’ai affirmé plus tôt : le Gant Noir tient au bien-être de chacun de ses membres. Il serait donc très fortement apprécié que vous leur permettiez d’intégrer les rangs de la Guilde. Si vous y parvenez, alors considérez notre affaire comme conclue. » Francesca resta pensive un instant. Elle réfléchissait bruyamment, comme pour me faire signe que quelque chose la dérangeait dans ma demande. - « Hmmmm… Je ne veux pas passer pour la méchante dans l’histoire, très cher, mais il est un léger détails qui me chiffonne dans cette demande. J’ignore si vous comprendrez. » - « Dîtes toujours. »

- « Voyez-vous, vous l’ignorez peut-être, mais : je n’aime pas beaucoup les Leborgne. Surtout le votre, à vrai dire. Cet homme a tout de même essayer de me tuer, il y a quelques années. » - « Et vous lui avez bien rendu en prévenant Klaussman, si je puis me permettre. »

- « Cela ne change rien au fait que je n’ai nulle envie de lui rendre le moindre service. Surtout maintenant que Huttington est mort et que la seule menace que j’avais contre lui vient de disparaître. Je n’ai plus de garde-fou pour me protéger d’éventuelles représailles, désormais. Et malgré tout ça, vous voudriez que je devienne la mécène de deux bambins, pour en faire des meurtriers sur-entraînés de la même trempe que l’homme chargé de m’éliminer ? Vous n’y songez pas. N’y aurait-il pas autre chose qui pourrait vous satisfaire ? » Le discours que me tenait alors la Marquise m’irritait au plus haut point. Je refusais de toutes les fibres de mon corps de céder à ce chantage. Je n’avais pas perdu autant de temps à élaborer cette rencontre pour qu’elle se mette à tout gâcher à cause d’un caprice de petite fille envers quelqu’un qu’elle n’aimait pas. Seulement, je me rappelais également de Huttington qui s’était cassé les dents sur l’ultimatum qu’il lui avait lancé. Il ne me fallait ainsi pas commettre la même erreur que lui, tout en persévérant dans ma demande. Cela n’allait pas être simple, mais je ne devais pas me résigner. En prenant un peu de recul sur la situation, je commençais à comprendre là où Francesca voulait en

venir. Elle tâtait tout simplement le terrain. Elle voulait se figurer les limites. Jusqu’à où elle pouvait se permettre d’aller avec moi et à quel point j’étais flexible. C’était une fine joueuse ; il ne me fallait pas la décevoir. Je choisis alors à mon tour d’avancer mon visage grimé en vieillard vers elle. Baignant cette fois-ci entièrement dans la lumière nocturne, mon but était de lui faire comprendre symboliquement que nous venions de passer un nouveau cap dans notre relation.

« Réfléchissez, Francesca. Ne pas faire plaisir à Leborgne est une chose, mais aujourd’hui : c’est Monsieur S qui vous demande ce service. En acceptant de rejoindre le Gant Noir de Monsieur S, vous finirez de toute façon par travailler directement ou indirectement avec Leborgne. Comme dans une vraie famille, il y a des membres au sein du Gant Noir que l’on aime moins, voire que l’on déteste. Mais cela ne doit pas nous empêcher de faire front commun pour défendre nos objectifs. Si vous acceptez de faire de ces deux Leborgne des majordomes : alors vous aurez prouvé que vous êtes prête à rejoindre le Gant Noir. Plus important encore, vous aurez prouvé à Monsieur S que vous êtes digne de confiance. Et vous savez tout aussi bien que moi que si il y a bien quelque chose en ce monde qui n’est pas achetable : c’est la confiance. Je ne vous fixerai pas d’ultimatum ; le choix vous revient à vous et à vous seule. Mais sachez simplement que cette demande est la seule chose à laquelle Monsieur S tient vraiment aujourd’hui. Je vous laisse faire le calcul coût-avantage. Je crois savoir que vous êtes très douée pour la réflexion. » Francesca resta silencieuse quelques instants. Ses yeux ne quittèrent pas le message, même après l’avoir entièrement lu. Elle se mit enfin à sourire en étouffant un soupir, quelques secondes plus tard. Elle finit par poser à nouveau son regard sur moi. Ses yeux semblaient me dire : « Pas mal. Sur ce coup là, tu m’as bien eue ». La Bella Dona croisa alors les bras et me répondit enfin. - « Très bien. J’accepte. J’accepte d’être la mécène d’un, et seulement d’un d’entre eux. Me porter garante des deux me coûterait bien trop cher. Convoquez celui que vous voulez que je présente à la Guilde et je l’y conduirai sur le chemin du retour. » Seulement un sur deux ? Ce n’était pas vraiment ce que je souhaitais, mais c’était un début. Ne pouvant pas vraiment me permettre de faire la fine bouche, je préférai accepter son offre et trouver autre chose pour celui qui resterait. Il me fallait alors choisir entre les deux. Ma délibération ne dépendrait que de la prochaine réponse de Francesca à ma dernière véritable question.

- « J’accepterais votre offre si et seulement si vous me dîtes où je peux trouver un autre Leborgne capable de former l’autre petit. » - « Parce que vous pensez que je sais où en trouver un ? »

Je lui lançai alors un regard incrédule, inclinant le menton vers ma gorge afin qu’elle sente le poids de mes yeux peser sur elle. Elle ricana élégamment. « Vous êtes certainement bourré de qualités, mon brave, mais l’humour ne semble pas être votre fort. J’ai entendu dire qu’un fin limier borgne était en ce moment même au service d’un certain Eldeth Grisebrum, un seigneur haut-elf qui avait parié sur le mauvais cheval lors de la dernière bataille entre Costerboros et l’Île des Miracles. Un très mauvais analyste, mais qui sait s’entourer, c’est certain. Je crois d’ailleurs savoir qu’il a été invité lui aussi à la réunion de la dernière fois, mais qu’il aurait refusé de s’y rendre, s’imaginant un piège ou je ne sais quoi. » C’était donc décidé. La Guilde des Majordomes se chargerait de former l’un d’entre eux, et je m’assurerai de retrouver ce mystérieux Leborgne pour qu’il se charge de l’autre. Encore me fallait-il choisir lequel des deux irait avec qui. L’hésitation fut de mise, puis, je me souvins que l’un

des deux tenait plus que l’autre aux yeux de Leborgne. J’invitai donc Mélanie à me rejoindre dans la salle, accompagnée de son grand frère et de Luther. William lui, continuait de garder la porte, ne se doutant pas une seule seconde de ce qu’il se disait dans son dos. Je ne pouvais après tout pas confier Mélanie à n’importe quel membre de la famille Leborgne. Elle comptait bien trop aux yeux de mon exécuteur. Là où son neveu ne serait pas forcément une grande cause d’angoisse si jamais il était laissé entre les mains d’un Leborgne inconnu. Mon raisonnement était certes très pragmatique, voire peut-être même cruel, mais les faits étaient les faits : William était alors le plus dispensable des deux. Une fois qu’ils furent tous trois rentrés, tout le monde se leva. Francesca fit tout de même signe à son géant prénommé Goliath d’entrer à son tour dans le bureau, et de venir accompagné de deux autres mercenaires, bien plus petits. Je les autorisai à venir. Après tout, si elle ne se sentait pas en sécurité en présence de Leborgne, il ne valait mieux pas la contrarier si proche du but. Alors que nous fûmes tous debout, je tendis une dernière note vers Luther qui vint se positionner à ma droite, tandis que les hommes de la Marquise vinrent s’installer derrière elle. Leborgne, une main sur l’épaule de sa cadette se situait juste devant l’entrée de la porte, tandis que William était encore dans la salle adjacente, à surveiller les quelques hommes de Francesca qui étaient restés près des fenêtres.

« Bon, et bien, Mélanie : je te présente la Marquise Francesca Scodelario. C’est elle qui va se charger de toi, à présent. » annonça alors Luther à la jeune fille. - « Enchantée, Mélanie. Je suis très heureuse de te rencontrer. Et d’ailleurs, si tu veux, tu peux juste m’appeler Francesca, tu sais » affirma la Bella Donna en adoptant un ton enjoué, presque maternel. Elle se mit même à joindre ses deux mains près de sa poitrine, pour exprimer tout le plaisir qu’elle était sensée ressentir alors. - « Dame Scodelario a accepté de finaliser ta formation. Elle va te conduire jusqu’à la Guilde chargée de faire de toi la guerrière Leborgne que tu étais sensée devenir » reprit Luther. Je sentis le regard interrogateur de Mélanie se poser d’abord sur moi, puis sur son frère. Ce dernier ferma l’œil, sourit puis lui fit de multiples hochements de la tête. Je vis cependant, à son expression, que quelque chose semblait la déranger. - « Ah ? Je vois. D’accord. Mais William ? Il ne vient pas avec moi ? » demanda-t-elle d’une voix pas vraiment enjouée. - « William va également avoir droit à sa formation. Seulement, lui, il devra la poursuivre ailleurs. Avec un autre mentor. » conclut Luther. À ces mots, Leborgne retourna brusquement la tête vers moi. Ça ne faisait pas partit du plan, ça. Je lui fit rapidement comprendre à mon expression faciale que j’avais la situation en main et qu’il pouvait me faire confiance. Heureusement que nous n’en étions pas à notre coup d’essai lui et moi, car sinon jamais il ne serait resté là sans rien dire comme il le fit pourtant ce jour-là. - « Un autre mentor ? Mais pourquoi ? Pourquoi ne peut-il pas venir avec moi ? Ou pourquoi je ne pourrais pas venir avec lui ? » continua de demander la pauvre enfant, visiblement de plus en plus attristée.

- « C’est… c’est compliqué. Disons simplement que c’est la dernière étape de votre entraînement. Vous avez appris à combattre ensemble. Maintenant, il va vous falloir vous perfectionner chacun de votre côté » improvisa Luther, voyant la situation dégénérer.

- « Mais, je ne veux pas m’entraîner sans lui ! Je m’en fiche d’être une vraie Leborgne, je veux qu’il reste avec moi ! Je veux rester avec lui ! » lança-t-elle en saisissant la poignée de la porte pour sortir du bureau. Leborgne ne chercha pas à s’interposer. Il avait remit sa confiance en moi, c’était à moi de gérer le problème. Je lui avais fait une promesse et si je ne parvenais pas à la tenir, je ne pouvais m’en prendre qu’à moi même. Aussi, me préparais-je d’ores et déjà à envoyer Luther à ses trousses pour la ramener dans le bureau. Seulement, une main vint lui agripper le bras avant qu’elle ne sorte de la pièce. Contre toute attente, cette main : c’était celle de Francesca Scodelario. La Bella Dona ellemême venait de se risquer à se saisir d’une Leborgne. Son aîné eut d’ailleurs le réflexe, en voyant cela, de mettre sa main au niveau du pommeau de sa rapière. Si jamais elle faisait le moindre geste de travers, les murs de mon bureau seraient bientôt tous repeints en rouge. Heureusement pour tout le monde, il n’en fut rien. Francesca fit, en effet, plus que l’attraper par le bras. Elle fit quelque chose qu’encore personne n’avait fait à Mélanie. Quelque chose qu’absolument personne dans cette pièce n’aurait cru voir un jour, pas même moi. Elle fit se retourner la jeune Leborgne vers elle, puis la prit dans ses bras. Elle se mit alors à la bercer doucement et tendrement, tout en restant debout, la blottissant contre elle, comme une mère blottirait son petit. Elle lui murmurait dans le creux de l’oreille que tout allait bien se passer, qu’elle s’assurerait que William vienne lui rendre visite au moins une fois par semaine, qu’elle pouvait venir dîner et passer la nuit dans son manoir ce soir, si elle le désirait. Ces paroles semblèrent la calmer. C’était la première fois que quelqu’un lui parlait comme une mère. Elle avait longtemps attendu le jour où quelqu’un prendrait ce rôle qui lui manquait tant. Elle ressentait enfin la sensation que ça faisait d’avoir une femme, visiblement aimante, qui veillait sur elle. Devant ce spectacle attendrissant, je restais sceptique. J’ignorais si Mélanie, en bonne Leborgne, était en réalité insensible à tout cela et qu’elle comptait bien s’extirper des bras de la Marquise en les lui brisant. J’ignorais si mon Leborgne allait agir, ne pouvant supporter de voir sa petite sœur collée à cette femme dont il connaissait la réputation. Et j’ignorais surtout ce que Francesca cherchait à gagner en agissant de la sorte. Était-elle seulement attendrie face à des enfants ? Éventuellement. Cherchait-elle à faire du zèle pour figurer dans mes petits papiers ? Certainement. Ou bien, désirait-elle simplement régler toute cette histoire le plus vite possible pour passer à la partie suivante de notre accord ? Ça, c’était une évidence. Le seul facteur que je ne parvenais pas à quantifier, cependant, c’était à quel point elle était sincère avec Mélanie. Elle qui ne voulait rien avoir à faire avec des Leborgne agissait maintenant comme une mère avec l’une d’entre eux. À quel point cette femme était-elle imprévisible ? Avait-elle quelque chose d’autre en tête pour Mélanie, à ce moment précis ? Jamais je ne pus vraiment le savoir. Il n’en restait pas moins qu’elle m’épatait. Impossible de déterminer si oui ou non il y avait du vrai dans ses actes et dans ses mots, signe des plus grands comédiens. Nous restâmes donc à observer ce spectacle pendant une minute à peine. Pour peut-être la première fois de sa vie, Mélanie sentit des larmes couler sur ses joues. La pauvre fille venait de subir plus de chocs émotionnels vifs en une journée qu’en 12 ans. Leborgne, lui, détourna le regard. Il ne pouvait concevoir que son sang pouvait pleurer pour si peu. Pourtant, peut-être avais-je halluciné à ce moment bien précis, mais je crus apercevoir dans son seul œil valide un léger, très léger éclat de compassion. Ainsi, une fois Mélanie calmée et d’accord pour poursuivre sa formation chez les majordomes, nous raccompagnâmes la Marquise, toujours entourée de ses hommes, jusqu’à son carrosse. William avait tenu à être là également pour dire au revoir à celle qu’il considérait comme sa sœur. Malgré ce que je pouvais penser, ce dernier ne chercha pas à la retenir. Je pense qu’il se doutait déjà depuis un certain moment que cette séparation risquait d’arriver. Et il savait surtout qu’ils ne pourraient jamais devenir de vrais Leborgne si ils ne finissaient pas par apprendre ce que ça faisait de se battre chacun de leur côté. Bien qu’elle fusse une femme pressée, la Bella Dona accepta tout de même de les laisser se dire tout ce qu’ils avaient à se dire avant de repartir vers le Sud avec la puînée de Terrence Leborgne.

« Alors, tu vas rejoindre une Guilde de super combattants, hein ? » demanda William à la future majordome. - « C’est ça. Toi qui te plaignais de ne plus avoir personne à ton niveau à la mort de Gaïus, tu vas être servi la prochaine fois qu’on s’affrontera. » lui répondit-elle, un sourire nostalgique au visage. - « Vends pas la peau de l’ours, avant de l’avoir tué, Nini. De mon côté aussi, ça va être intensif. Ma main à couper que dans dix ans, je t’explose toi et ton frère, en même temps. » - « Dis pas ça où tu vas finir borgne et manchot ! Et puis, de toute façon, dans dix ans, mon frère sera un vieux papi. Tu auras aucun mérite à le battre ! » - « Vous savez que j’vous entends, tous les deux ? » demanda Leborgne à ses petits clones.

- « De toute façon, on aura pas à attendre dix ans, Will. Francesca m’a dit que tu pourrais venir me voir au moins une fois par semaine. Pas vrai, Francesca ? » - « Mais bien sûr. Sans le moindre problème. » affirma la Marquise en conservant toujours le même sourire protecteur sur le visage. - « Et ben, ils ont intérêt à bien te former ! Parce que je ferais en sorte de constater chaque jour de tes progrès. » lança alors William, en montrant les poings. - « T’inquiètes pas, tu te feras tellement botter les fesses au bout de quelques jours que tu ne reviendras plus que pour venir prendre de mes nouvelles, après ça » lui rétorqua Mélanie du tac au tac.

- « Chiche » conclut-il, un air mélancolique au visage.

Francesca passa alors sa main sur l’épaule de sa nouvelle protégée.

- « Allez, Mélanie. Il nous faut y aller, maintenant. Nous avons encore beaucoup de route à faire. »

- « Oui, Madame » lui dit-elle avant de monter dans le carrosse.

Ils disparurent ainsi, à travers le brouillard nocturne, ne laissant derrière eux qu’une ornière sur le chemin les ramenant à bon port. Quelques minutes seulement après que le carrosse ait quitté notre champ de vision, nous vîmes Leborgne chevauchant fièrement son fidèle destrier au pelage noir en direction du chemin qu’avait emprunté le véhicule de Scodelario. - « Vous m’en voulez pas, patron : je vais vérifier qu’ils aient pas de petits problèmes sur la route. Ce serait bête qu’il y ait deux-trois imprévus sur le chemin. » me lança-t-il, bien décidé à les suivre de loin.

Je lui fis signe d’y aller. Il l’avait bien mérité. Et puis, sa sœur était à l’intérieur du carrosse. Il était en droit de vérifier que tout aille pour le mieux. Une bonne demi-heure plus tard, je m’éclipsai, à mon tour, hors de notre quartier général, afin de retrouver ma maison, mes Parents et mon lit. Persuadé d’avoir, à ce moment là, laissé ma doublevie derrière moi, je fus néanmoins surpris d’entendre soudainement le bruit de quelque chose siffler au-dessus de ma tête. C’était quelque chose de fin, de vif, d’acérer. Ce quelque chose vint alors se loger dans l’arbre qui me surplombait. J’entendis alors un cri et je vis tomber du haut de ce grand conifère : un homme encapuchonné, tout de noir vêtu, une dague de lancer entre les

deux yeux. Surpris, je me retournai brusquement dans la direction d’où la dague avait été propulsée. J’aperçus alors le cadavre de deux autres hommes portant le même accoutrement que le précédent. L’un avait reçu une dague dans la nuque, et l’autre avait … Disons que ses yeux pouvaient à présent voir dans son dos. Pris de panique, je me saisis de ma fausse gemme explosive. Ma respiration se faisait de plus en plus intense, il m’était devenu très difficile de reprendre mon calme. J’entendis alors des sortes de lamentation étouffées être proférées de plus en plus près de moi. Je restai figé là où j’étais, droit comme un piquet. Mon cœur s’emballait. La peur me prenait aux tripes. Et puis, soudain : je vis sortir de la broussailles William Leborgne, tirant sur le col d’un homme dont la tenue était la même que celle des autres corps sans vie qui jonchaient le sol. Ce dernier avait une pierre enfoncée dans la bouche, le reste de son visage étant recouvert de blessures. Je sentis alors mon rythme cardiaque se calmer, entraînant avec lui ma respiration. William jeta violemment le malheureux au sol, comme on jetterait une chaussette trouée. Il lui adressa alors un violent coup de pied dans les cotes, si brutal qu’il lui fit recracher le caillou qui lui bloquait les mâchoires. Il fit tomber sa capuche, puis l’agrippa par les cheveux, levant sa tête à mon niveau tout en lui plaçant sa rapière sous la gorge. - « Pour qui tu travailles, fumier ? » lui demanda William.

- « Je… aaah… Je sais pas ! » lui répondit l’espion, en laissant s’échapper des râles de douleurs.

- « Ah ? Ah, tu sais pas ? Et ben, on va te taper très fort sur la tête, ça t’aidera peut-être à te souvenir ! »

- « Attends ! Attends ! »

À ces mots, William lui percuta à trois reprises le crâne contre le sol boueux du fourré, me laissant assister à ce spectacle sans que je ne fasse quoi que ce soit. - « Tu te souviens maintenant, ou t’as besoin d’un peu d’aide, encore ? »

- « Aaah… Mon… mon employeur... »

- « Oui ? »

- « Il… Il… ne nous a pas dit son nom... »

- « Ah, c’est dommage ça. Vraiment dommage. »

Le jeune Leborgne commença alors à enfoncer de plus en plus sa dague dans le cou de l’homme, jusqu’à ce que des filets de sang ne commencent à apparaître hors de sa blessure de plus en plus béante. - « ARRÊTE ! » hurla-t-il.

- « Moi, j’veux bien. Mais tant que j’ai pas de nom, je me sens forcé de t’aider à te rappeler. » lui répondit William. - « Il… Il y a bien un nom que j’ai… que j’ai entendu… Eldeth… Eldeth Grisebrum... »

- « Et ben voilà, c’était pas si compliqué ! » conclut finalement le jeune homme avant d’en terminer avec notre homme en lui infligeant un traditionnel coup du lapin. Il leva alors l’œil vers moi et m’adressa ces derniers mots avant de retourner au quartier général :

« Vous vous en doutiez que vous alliez nous attirer des tas d’ennuis en faisant venir cette femme ici, à deux reprises, pas vrai ? La prochaine fois que vous repassez par cette forêt, boss : je vous conseille de vous armer. En fonction des jours, on sait jamais sur quel connard on va tomber. Et malheureusement, je pense pas que ça va aller en s’arrangeant. Je sais pas qui est vraiment derrière tout ça, mais mon petit doigt me dit que ça a quelque chose à voir avec votre nouvelle alliée. Et mon petit doigt a rarement tort. Croyez-moi m’sieur : y’a quelque chose qui tourne pas rond dans cette histoire. Et si vous voulez mon avis, je pense qu’on a pas fini d’en entendre parler de cette Francesca Scodelario. »

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