47 minute read

Chapitre XI : Œil pour œil ........................................................................................................ 145

Chapitre XI : Œil pour œil

Quelques semaines s’étaient écoulées depuis la mort du Duc Huttington, et je fus très vite habitué à cette situation nouvelle qu’était la mienne. Tout le Grand Ouest de Costerboros se retrouvait à présent véritablement sous mon contrôle, cette fois. Il n’était nulle Maison, nul noble, nulle entité capable de nous tenir tête pour la domination de cette partie du Royaume. Si, officiellement, le véritable régent était toujours un Huttington ; officieusement, Luther se chargeait à merveille d’assurer au Gant Noir un véritable absolutisme. Annexant, jour après jour, les dernières familles réfractaires : Costerboros devenait un peu plus à chaque instant l’incarnation de ma volonté. Contrairement au Duc, Luther savait faire cavalier seul tout en respectant au mieux mes attentes véritables. Et puis, il n’était pas seul. Car, une fois de plus, à l’inverse de mon ancien « grand allié », lui ne limitait pas le rôle de Leborgne à celui de simple garde du corps. Il avait apprit toute sa vie à survivre seul, sans n’avoir personne sur qui veiller d'autre que lui-même et sa sœur. Leborgne, de son côté, n’était déployé que pour « persuader » les quelques réfractaires à l’approche diplomatique traditionnelle. En d’autres termes : pour éliminer ceux qui refusaient mon offre. En procédant de la sorte, j’ai pu tripler le nombre de mes subordonnés en l’affaire de quelques jours. Il me fallait de toute façon repartir de rien puisque la quasi-intégralité des alliés précédents avaient péri lors de l’anniversaire du Duc, laissant leurs héritiers à la tête de leurs famille. Cependant, cela ne me dérangeait pas vraiment. Partant du principe que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, je préférais perdre tous mes anciens partenaires, si cela me permettait d’en avoir d’autres véritables à la place, et que ces derniers soient directement à mon service. En l’espace de quelques mois à peine, l’intégralité des grands puissants des alentours avaient soit juré fidélité au Gant Noir, soit disparu dans des circonstances inconnues. Tous les nobles, les nobliaux, les grands bourgeois, ceux qui prenaient autrui de haut, chacun d’eux me mangeait à présent dans le creux de la main. Ou plutôt devrais-je dire : dans le creux du gant. Nous nous étions appropriés les faveurs de bon nombre d’entre eux qui n’avaient pas hésité à nous fournir un nombre important de fonds monétaires, techniques et humains, de façon à obtenir nos bonnes grâces. Ils faisaient, après tout, tous partis du Gant Noir à présent. Nous étions sensés former une famille soudée et unie. Il fallait donc s’accorder une certaine entraide si nous souhaitions prospérer. Enfin, jusqu'à ce que je décide d'y mettre un terme pour passer à la prochaine étape. D'ailleurs, durant ces quelques mois, tout s’était enchaîné plus vite encore que nous ne pouvions l’imaginer. Le bouche à oreille a permis à des amis d’amis d’autres amis de convaincre divers instances de se joindre à la notre. Plus d’influents membres nous rejoignaient, plus d’autres se risquaient également à la démarche, soit pour ne pas se faire écraser, soit parce que cela allait dans leurs intérêts. Nous avions ainsi pu obtenir l’adhésion du Temple des Mages de la région, de même que celle du Bureau des Intendants, chargés de nous couvrir pour chacun de nos coups. Nous avions tellement d’assassins à notre disposition que je n’étais même plus obligé de faire appel à Leborgne pour s’occuper du menu fretin.

Advertisement

Dans d’autres circonstances, j’aurais pu me méfier de la rapidité de cette apogée, tout comme j’aurais pu me méfier des réelles intentions de ces nouveaux alliés. Seulement, le Gant Noir

n’était pas fait pour durer. Peu m’importait qu’ils me soient tous fidèles ou non, puisque je finirais également par m’en séparer lorsque le moment viendrait de fonder ma véritable Famille. Aucun d’entre eux ne pouvait, de toute façon, imaginer que c’était un jeune Semi-Gnome qui dirigeait alors en secret l’intégralité de la zone, seulement entouré de trois personnes de confiance. Nul ne se doutait une seule seconde de qui j’étais, de ce que je faisais et de ce que je m’apprêtai à accomplir. Si jamais des règlements de compte devaient s’opérer, je laissais faire. Nos ennemis y pensaient à deux fois avant d’envoyer qui que ce soit tenter quoi que ce soit contre nous, sachant pertinemment que nous payions mieux, que nous étions mieux entourés et surtout bien plus dangereux. En somme, tout se déroulait pour le mieux. Je ne pouvais espérer meilleure situation. Seulement, je ne pouvais pas non plus me contenter du statu quo. Le Gant Noir se destinait à s’étendre sur l’intégralité de Costerboros, voire du monde entier. L’Île des Miracles aussi, de même que les Îles Vagabondes nécessiteraient une surveillance accrue de leurs grands puissants. Mais chaque chose devait être faite en son temps. D’abord : Costerboros, ensuite le reste. Et pour y parvenir, il me fallait également prendre le Sud et le Nord du Royaume. L’Est ne m'était d'aucune utilité. Je n'avais que faire d'une zone fantôme presque déserte, pervertie depuis bien longtemps déjà par le prophète de Voyle : Adark. En d'autres termes, il me fallait élargir mon cercle d'influence aux quatre coins du Royaume. Et pour ce faire, le meilleur moyen de procéder restait de se servir de la puissance passée du Duc pour remonter auprès de ses anciens collaborateurs. Dans ce milieu, tout le monde se connaît de près ou de loin, après tout. J’avais ainsi demandé à Leborgne et à Luther d’organiser d'ici trois semaines : une réunion au nom du Gant Noir conviant le maximum des anciens contacts du Duc Huttington résidant hors de la partie Ouest du Royaume, ayant ainsi échappé au grand final de sa réception d'anniversaire. Suite à sa disparition, il fallait de toute façon trouver un temps d’échange afin de reparler de tout cela plus en détails. J’entends par « tout cela » : aussi bien sa mort que sa relève, et par conséquent : la suite des affaires.

Assurer cette dernière n’était pas un problème. Héléna s’était déjà chargée, à ma demande, de faire parvenir à la famille du Duc, toujours isolée dans leur maison de campagne, une fausse lettre de Leborgne. Celle-ci avait pour but de prolonger pour une date indéterminée leur petit séjour en isolement. Ce ne fut pas très compliqué, à vrai dire. J'avais chargé Luther de la rédiger en leur annonçant d'abord ce qu'il s’était produit. Puis, je lui demandai d'insister sur le fait que le palais avait été réduit en poussière et qu' il ne leur fallait, par conséquent, pas encore revenir. Si jamais « l’édenté » avait encore des hommes à son service, il pouvait leur arriver le même sort. Ils ne devaient donc surtout pas quitter les lieux pour éviter que d'autres complices ne "finissent le travail". Je les condamnais ainsi à rester dans cette résidence secondaire jusqu’à nouvel ordre. Une bien maigre punition pour eux et un important problème en moins pour moi. Les garder en vie m'arrangeait au plus haut point, à vrai dire. Cela évitait à la couronne de désigner une autre famille régente pour s'occuper du grand Ouest. Seulement, en réponse au message que je leur fis parvenir, les Huttington confièrent à Héléna des lettres à rapporter à Leborgne. Bien évidemment, c'est à moi qu'elles revinrent, en réalité. Je ne pouvais pas prendre le risque que mon allié le plus dangereux apprenne leur survie, au risque qu'il se mette au service de Charles-Henri. C'est pourquoi je choisis de jouer le jeu, dans un premier temps. Je leur répondis en me faisant passer pour Leborgne, en prenant de leurs nouvelles, en leur demandant si il leur fallait quoi que ce soit. Finalement j'appris, en les lisant, que la mémoire de Charles-Henri était soudainement revenue et qu'il était à présent apte et impatient de revenir pour

reprendre en main l'affaire familiale. Si j'en croyais la duchesse, il était redevenu lui-même au moment même où on lui annonça le décès de son Père. L'analyse dressée à ce sujet par le médecin de la famille expliquait qu'il avait suffit d'un choc émotionnel très fort pour le guérir. Telles étaient donc les conséquences après avoir été ramené à la vie par une plume de phœnix de couleur rouge : une amnésie totale, dont il n'était nul autre moyen de sortie qu'un puissant choc psychologique. Les Huttington percevaient peut-être cet évènement comme un "miracle", comme une "bénédiction des dieux", mais pour moi : c'était une très mauvaise nouvelle. Et de ce fait : cela deviendrait très vite une très mauvaise nouvelle pour eux aussi. Je ne pouvais leur permettre d'ébruiter la nouvelle, ou bien de tenter de braver les interdits pour revenir malgré tout. Charles-Henri était un jeune homme zélé. De ce que j'avais entendu dire à son sujet, je m'imaginais qu'il ne comptait pas attendre une seconde de plus et qu'il partirait à cheval, dès que l'envie lui prendrait, pour reprendre ce qui était à présent sien. Si jamais le regain de mémoire de l'héritier Huttington venait à s'ébruiter, il en irait, par extension, de même pour sa survie. Et alors, Leborgne me tournerait le dos à coup sûr. Il aurait même pu décider de venger son ancien maître en s'en prenant directement à moi. Je ne pouvais pas me permettre de prendre un tel risque.

Je souhaitais véritablement les garder en vie. Cela me servait tout aussi bien d'un point de vue stratégique et politique qu'humain. Je ne pouvais concevoir jusqu'alors l'idée de faire exécuter toute une famille en deuil, et ainsi : éteindre une lignée entière. Seulement, paradoxalement, jamais de ma vie je ne pris une décision à première vue si complexe aussi rapidement. C'était ma vie, ou la leur. L'hésitation n'avait pas lieu d'être. Si c'était Charles-Henri qu'il fallait faire disparaître en priorité, je me doutais que si je les gardais en vie elles aussi, Suzanne-Hélène et la duchesse risqueraient de s'interposer, voire de chercher à se venger. Une fois, de plus : je ne pouvais pas prendre ce risque. Sans parler de quoi que ce soit à Leborgne, je chargeai ainsi Luther de mener un escadron d'une dizaine de nos meilleurs assassins alliés jusqu'au lieu de domicile des Huttington. Et puis ... de les laisser faire ce qu'ils avaient à faire. Trois jours après avoir donné l'ordre, Héléna me fit parvenir une simple missive, que je m'empressai de jeter au feu une fois ouverte. Elle n'était composée que de quelques mots. Mais ces derniers étaient on ne peut plus explicites :

"C'est fait."

Bien que je leur ai stipulé avant de les envoyer en mission, que je ne voulais pas de bain de sang, pas de souffrances inutiles, juste une mort simple et rapide ; je ne me risquai pas à leur demander, dès leur retour, si ma demande avait été exaucée ou non. Je n'avais pas vraiment le cœur, après un tel ordre, à m'intéresser plus en détails à ce qu'il s'était passé exactement. Je voulais simplement qu'ils disparaissent. C'était tout ce qui importait. Hélas pour moi, je ne pus y échapper lorsque Luther se sentit l'inspiration de me faire un compte-rendu complet de leur expédition punitive. D'après ses dires, Charles-Henri se serait démené comme un diable et aurait tué à lui seul cinq de nos hommes. Mais les cinq autres auraient fini par venir à bout de lui. Sa sœur et sa mère ne furent, malheureusement pour elles, pas d'aussi bonnes combattantes que ce dernier. On les acheva toutes deux en une fraction de secondes. Un détails plus que les autres resta gravé à tout jamais dans ma mémoire. Des pleurs, des lamentations, mais surtout des demandes d'explications.

"Qu'est-ce que vous nous voulez ?"

"Pourquoi nous ?"

"Pourquoi faîtes vous tout ça ?" "Ne pouvez vous pas en épargner certains ?" Imaginer ne serait-ce qu'un instant que cela arrive à ma Famille me mettait dans un état de panique intérieure telle que je cauchemardai toute la semaine qui suivie. Moi qui pensais que ne pas avoir à me lever tous les soirs pour braver les bois environnants me permettrait de bien dormir, et que je n'aurais plus à me réveiller au milieu de la nuit : je me trompais. Seulement, et c'est la vérité bien que je puisse concevoir que cela paraisse très cruel, une fois cette semaine terminée : je passai très vite à autre chose. J'étais en vie, après tout. Et c'est tout ce qui importait. Je ne pouvais continuer de me morfondre sur le sort de ces gens que je fis abattre après quelques courtes secondes de réflexion. De plus, maintenant que les Maisons Huttington et Klaussman avaient toutes deux disparu, la Couronne allait bientôt devoir désigner une nouvelle famille régente. Nous nous tenions prêts à agir dès que l'annonce serait officialisée. Or, il s'avéra que suite à ces évènements, le décret royal détermina que la meilleure option était de donner les pleins pouvoirs sur l'Ouest au prophète Kal'Drik. Bien évidemment, pour éviter tout débordements dans le reste du Royaume, il en fit de même pour le Sud de Xon et le Nord de Glardrog. Les trois prophètes étaient à présent les nouveaux régents de chaque région du Royaume. Rien ne fut décrété pour l'Est d'Adark. Et cela m'arrangeait au plus au point. En effet, des entités si puissantes et controversées ne sauraient que favoriser l'union des grandes familles contre elles. Il n'y a rien de mieux pour atteindre la cohésion qu'un ennemi commun. Or, cet ennemi là : je ne chercherais pas à m'en débarrasser. On ne retire pas un

épouvantail efficace.

Malgré tout, si cette annonce n'était pas pour me déplaire, mes troubles du sommeil faisant suite à mon dernier ordre m'empêchaient d'apprécier la situation nouvelle à sa juste valeur. Je faisais face à une véritable impasse puisqu'en réalité : je pouvais les ramener à la vie. Il est vrai que notre commerce de plumes était bien installé. Et il est également vrai que j'en avais techniquement hérité après la mort du Duc. Mais il me fallait encore me renseigner sur ces dernières. Au vu des effets secondaires de certaines d'entre elles, les plumes rouges notamment, je me refusais d'en utiliser la moindre tant que je n'avais pas l'intégralité des informations nécessaires à ma disposition. Et de toute façon, une fois de plus : les ramener, c'était signer mon arrêt de mort. Le problème n'était donc pas que je ne pouvais pas les ramener. Le problème, c'était que je ne voulais pas les ramener. Et cela ne m'en attristait pas moins.

En resongeant à cette histoire de plumes de phœnix, je me rappelai de cet autre Leborgne : celui qui était au service du Duc Klaussman. Je n'avais jamais cherché à obtenir de véritables réponses de la part de Leborgne à son sujet, de peur qu'il me mente, qu'il se braque ou qu'il s'imagine des choses. Je choisis donc de laisser ce sujet en suspend et de n'y revenir que lorsqu'il se représenterait à moi. Seulement, une idée me restait néanmoins perpétuellement dans la tête, sans que je ne puisse jamais arrêter d'y songer. Si il y en avait d'autres comme mon Leborgne, il valait mieux savoir à qui ils avaient juré allégeance. La pire erreur que l'on puisse commettre est de s'en prendre à quelqu'un dont on ne sait rien, si ce n'est qu'il est plus fort que nous. Ce dont j'étais certain, en revanche, c'est que lorsque le Gant Noir serait assez puissant, ils finiraient tous

inexorablement par travailler pour moi. Je voulais compter chacun d'entre eux à mon service, au service de ma Famille. Je ne pouvais après tout pas laisser de si puissants guerriers à n'importe qui. En tout cas, c'était ce que je me disais à l'époque afin de légitimer ce désir. La vérité c'est plutôt, et je m'en rends compte aujourd'hui, que : je ne pouvais après tout pas laisser de si puissants guerriers à n'importe qui d'autre que moi. Cela dit, dans les quelques heures qui suivirent l'officialisation des trois prophètes comme nouveaux régents de leur territoire respectif, je finis par apprendre tout ce que je voulais savoir. Je me rappelle encore de ce jour. Comment pourrais-je l'oublier ? Nous étions installés Luther, Héléna et moi autour de la grande table de notre nouveau quartier général, à savoir : l'ancienne résidence secondaire des Huttington, à quelques minutes de Kürsk, dont j'étais à présent le nouveau propriétaire. Leborgne fit irruption un peu plus tard dans la pièce accompagné d'une jeune fille et d'un garçon, tous deux âgés d'à peine plus d'une dizaine d'années, portant eux aussi un fin bandeau noir autour de l’œil gauche. La fillette regardait dans le vide. Son visage de porcelaine était enlaidit par une vilaine moue de tristesse. Elle semblait comme absente, perdue dans ses pensées. Le jeune homme, quant à lui, laissait apparaître une expression contrariée sur le visage. Les bras croisés, les sourcils froncés, il détournait volontairement le regard de notre direction, comme si il retenait en lui une profonde colère. Tous deux étaient vêtus de légères tenues d'entraînement faites de cuir couleur obsidienne. Ils portaient d'épais gant bruns ainsi que des bottes noires munies d’éperons qui leur montaient jusqu'aux genoux. Nous nous regardâmes tous trois, interloqués, nous demandant les uns les autres si l'on savait ce que ces enfants faisaient ici. Leborgne passa sa main gauche dans le dos de la petite à côté de lui, comme pour la consoler, et désigna de sa main droite la table à l'autre bambin, comme pour lui demander d'aller s'y installer. Leborgne affichait un regard embarrassé, si ce n'est peut-être plus : angoissé. Lorsque nous lui demandâmes d'être plus loquace quant à la raison de la présence de ces enfants ici, il rétorqua qu'il désirait que Luther et Héléna quittent la salle quelques instants. Suite à cela, je les congédiai et ils obéirent sans discuter. Leborgne voulait s'entretenir seul à seul avec moi. Il ne semblait pas encore faire pleinement confiance aux autres. Je compris cependant très vite pourquoi il souhaitait que cette discussion se tienne seul à seul, avec cette jeune fille et ce jeune garçon borgnes comme uniques intermédiaires. En effet, il comptait me demander quelque chose. Et pour que Leborgne demande une faveur à quelqu'un c'est que la situation doit être on ne peut plus délicate. Afin que j'en comprenne les fondements et les aboutissements, il se mit à me raconter : l'histoire de sa famille.

Les Leborgne comptaient peu de membres en leur sein, mais chacun d'entre eux devaient tout de même suivre des traditions et des épreuves très strictes, héritées de leur ancêtre : le terrible mercenaire Kron, dit "le Borgne", du fait de son œil manquant, dissimulé derrière un épais bandeau noir. La légende voudrait qu'il le perdit lors de la grande Bataille du Cratère Brun. Une pluie de flèches aurait été tirée dans sa direction et l'une d'entre elle se serait alors logée droit dans son œil gauche. Quelques instants après s'être rendu compte de ce qu'il venait tout juste de lui arriver, il aurait ensuite contemplé, de son unique œil encore valide, le malheureux archer ayant eu l'audace de lui tirer dessus. Puis, il aurait agrippé le projectile par son tube fait de bois et aurait donné un coup sec sur ce dernier, retirant de son orbite tout autant la dite flèche... Que le globe oculaire dans lequel elle était toujours plantée. Selon cette même légende, il aurait alors poussé un rire dément, terrifiant au point de résigner chacun de ses ennemis à se rendre sans conditions, déposant leurs armes au sol... Avant de se faire massacrer.

Il était tellement fier de ce sobriquet qu'il en fit son nouveau nom de famille, afin que ses héritiers le perpétuent sur autant de générations que possible. Pour être dignes de ce nom, la tradition voulait que les futurs Leborgne soient énuclés à la main peu de temps après leur naissance en utilisant une technique très particulière qu'eux seuls connaissent. Si ils survivaient : les nourrissons étaient considérés comme dignes de suivre le reste de l'entraînement intensif qui les attendait. Ce dernier étant sensé les changer en véritables armes de guerre, capable de vaincre n'importe qui avec n'importe quoi.

L'homme dont j'avais entendu la voix, lors de l'incendie du palais du Duc Klaussman, était, en revanche, un cas très particulier. C'était un certain Conrad Leborgne. Lui, n'était pas né Leborgne. Il l'était devenu après avoir accepté le titre de parrain de la fille de son meilleur ami. Meilleur ami qui n'était nul autre que le cousin de mon Leborgne, un dénommé Édouard. Apparemment, c'était pour ça qu'il était entré au service de Klaussman. Il voulait que ce dernier l'aide à retrouver cet Édouard et sa fille Camille, la petite cousine, tous deux disparus depuis 7 ans. Néanmoins, chacun d'entre eux s'était volatilisé sans laisser la moindre trace de leur passage. L'on ignorait où ils étaient aujourd'hui et pour qui ils travaillaient, voire même : si ils travaillaient pour quelqu'un ou non. Enfin, j'appris plus tard que ce même Édouard était également traqué par sa propre sœur, Maude, plus connue sous le pseudonyme de "Madame Leborgne". Cette dernière le pourchassait, elle aussi, depuis 7 ans afin de punir son frère aîné pour le meurtre de leur père, Abraham, l'oncle de Leborgne.

Les histoires de familles ne sont jamais simples.

Nonobstant, Leborgne ne se contenta pas de me faire la présentation de son arbre généalogique. Il se devait simplement de poser les bases du problème qu'il me fallait à présent résoudre. En effet, cette jeune fille calme et attentive aux longs cheveux noirs et à la mine triste n'était nulle autre que la petite sœur de Leborgne. Elle se nommait Mélanie et n'était alors âgée que de 12 ans. À cet âge là, les Leborgne n'entrent pas encore au service de qui que ce soit. Ils perfectionnent simplement leur style de combat et leur maniement de toute arme, y comprit ce que nous autres, simples mortels, ne considérons simplement que comme des objets du quotidien. Malgré leurs 18 ans de différence, je voyais dans sa façon de se comporter avec elle, de se tenir, de parler en sa présence que Leborgne éprouvait une réelle tendresse envers cette jeune fille. Je me demandais simplement ce qu'il attendait de moi, et pourquoi il me la présentait aujourd'hui. Il m'affirma alors un point que j'ignorais jusqu'à présent sur le fonctionnement de l'allégeance de leur famille : "Un Leborgne entre toujours au service soit de celui en qui ils ont le plus confiance pour leur apporter gloire, pouvoir et puissance, soit de celui envers qui ils ont une dette". En d'autres termes : Leborgne avait bel et bien un service à me demander, et ce service concernait cette jeune fille. Mélanie n'a jamais eu la chance de connaître son père biologique. Terrence Leborgne, fils cadet de Kron & Mathilda Leborgne, frère d'Abraham, et père de mon Leborgne, passa l'arme à gauche quelques semaines avant la naissance de sa fille. Sa mère, Iris de la maison Hillgram, quitta également ce monde en lui donnant vie. Leborgne venait tout juste d'avoir 18 ans. Il n'était alors pas en mesure d'éduquer et de former sa cadette seul. Ainsi, c'est Gaïus Leborgne, leur parrain, qui en prit la garde. Ce dernier ayant lui aussi, à l'instar de Conrad, rejoint la famille après avoir accepté cette demande de parrainage. Dans son cas, il fut énuclé par Terrence Leborgne lui-même. Ce fut donc ce parrain qui apprit à Mélanie l'art du combat Leborgne, qui l'éleva, l'éduqua et qui se chargea de la faire "entrer dans la famille", si j’ose dire. Il s'occupa d'elle

pendant près de 12 ans. Il la fit combattre aux côtés de son fils William, de un an son aîné, et qui n'était autre que le jeune garçon à la mine si contrariée qui se tenait, les bras croisés, à côté de nous. William avait lui aussi perdu sa mère, Anna de la Maison Rieux, le jour de sa naissance. Le fait d'avoir tous deux grandi sans figure maternelle les avait d'ailleurs beaucoup rapprochés. Des propres dires de Mélanie, elle a très longtemps considéré ce jeune Leborgne impétueux et brutal comme étant plus un frère pour elle que ne l'était son véritable frère de sang, trop absent dans sa vie pour qu'elle ne l'aime autant que lui. Ces mots restèrent gravés en moi comme dans du marbre. Je ne pouvais m'empêcher de dresser un lien entre ces dires et ma situation personnelle future. Malheureusement, Gaïus Leborgne venait tout juste de rendre l'âme. L'on vit dans un monde dangereux, où même les guerriers les plus puissants finissent par succomber, que ce soit au combat, de maladie ou tout simplement de vieillesse. De ce fait, Leborgne venait d'hériter de la garde de deux orphelins dont l'entraînement n'était pas encore aboutit. Et il ne pouvait faire appel à personne d'autre dans sa famille pour s'occuper d'eux puisque le reste de ses cousins se chassaient les uns les autres.

Seulement, si il n'y avait que ça, il avait déjà surmonté des épreuves bien plus difficiles. Or, le véritable problème dans cette histoire : c'est que Leborgne allait également devenir un père de famille. Sa femme, Hilda de la maison Rieux, sœur de Anna et Sharena Rieux, donnerait bientôt naissance à un nouveau Leborgne. Il faudrait alors qu'il se charge à la fois d'entraîner sa sœur, le fils de son parrain et sa propre descendance. Il allait bientôt devoir remplir à lui seul les fonctions de frère, de mentor, de père et d'exécuteur pour le Gant Noir. Hélas ou heureusement pour lui, il n'aura cependant pas à endosser également le rôle de mari puisque Hilda Rieux, son épouse, décédera, tout comme ses deux sœurs, en donnant naissance à sa fille, Mélissa, un an plus tard. La grande, puissante et respectable Maison Rieux dirigée par l'honorable Sir. Floyd Rieux, désirait plus que tout mettre à l’abri leurs trois héritières. C'est pourquoi, leur mère Isabella Rieux, insista à fiancer ces dernières aux hommes de la famille Leborgne, avec qui ils travaillaient alors. En leur esprit, le seul moyen d'assurer leur héritage d'une certaine façon, leur nom ne pouvant se perpétuer sans fils, était en mariant leurs filles à des hommes forts capables de les protéger de n'importe quoi. Hélas pour eux, ils avaient visiblement sous-estimé la difficulté de survivre à une naissance dans ce monde. Si le patriarche Rieux eut la chance de partir avant ses filles, Isabella du encaisser le décès de deux de ces dernières : l'aînée Anna et la benjamine Sharena, épouse d’Édouard, avant de se lasser de la vie un an plus tard. Hilda fut la dernière à partir, mais sa disparition en l'an 1198 sonnera définitivement l'extinction de la Maison Rieux. Sans mentor, sans famille, sans femme, Leborgne allait bientôt devoir jouer sur tous les tableaux, tout le temps et tout seul. Et face à ce genre de défi, même un Leborgne ne peut espérer bien réussir. Je comprenais sa douleur. Je savais ce que c'était que d'avoir l'impression de porter tout le poids du monde sur ses épaules. Pour lui, les choses étaient habituellement plus simples. Il se contentait tout bonnement de demander quoi faire, puis de le faire. Seulement, aujourd'hui, le poids des responsabilités l'écrasait, et il ne pouvait se débarrasser si facilement du fardeau qu'était le sien. C'est dans cet état que je retrouvai mon homme de main le plus solide : dans l'incapacité totale de s'occuper à la fois des desseins du Gant Noir et de la survie de sa lignée. Au départ, je pensais que c'était pour préserver le secret autour de sa famille qu'il avait exigé que Luther et Héléna quitte la pièce. Et si il devait tout de même y avoir un peu de ça, la véritable raison restait qu'il était en réalité trop fier pour oser demander de l'aide à quelqu'un devant tout le monde. Il m'implorait de l'aider à trouver une solution pour sauver l'héritage de sa famille, pour faire de Mélanie et de

William de véritables Leborgne, dignes de leur nom. C'était la première fois que je le voyais dans un tel état. Cet homme qui semblait pourtant habituellement tellement imperturbable, tellement en contrôle de la situation, me paraissait soudainement si faillible, si déconfit, si ... humain.

Je devais faire quelque chose pour lui, et en échange, je m'assurerais sa dévotion éternelle : chose que nulle contrat ne peut véritablement garantir avec le temps qui passe. La situation était certes complexe mais pas perdue pour autant. Je lui demandai simplement, à l'écrit, de me laisser une journée pour réfléchir à son problème, puis je reviendrai vers lui et lui proposerai mes solutions. Au bout du rouleau et en désespoir de cause, il accepta et remit toute sa confiance en moi. Il ne tenait alors qu'à moi de ne pas le décevoir.

Lorsque je fus rentré chez moi, je ne pus fermer l'œil de la nuit. Je me demandais sérieusement quoi faire. Une réunion allait être tenue d'ici peu de temps avec les grands puissants des autres régions du Royaume de Costerboros et je ne pouvais me permettre d'y faire participer Luther, si Leborgne n'était pas en mesure d'assurer sa sécurité du fait de la difficulté de sa situation actuelle. Tout devait s'emboîter. Si je voulais avancer, il me fallait faire d'une pierre deux coups. Or, toute cette pression me fatiguai tellement que je finis par m'endormir sans trouver de solution pour le lendemain.

Lorsque le petit matin se présenta à ma fenêtre, faisant baigner ma chambre dans un balais de rayons lumineux, je savais qu'il me fallait trouver un moyen de présenter la chose à Leborgne, et vite. Assis sur ma haute chaise en bois, ma Mère faisait semblant de faire voler ma cuillère remplie de compote en l'air avant de me la faire avaler. Elle était dans l'une de ses humeurs du matin où elle tentait de jouer son rôle de "maman actuelle". La dite situation ne m'aurait pas tant dérangée si j'avais eu d'autres idées en tête alors. Je me souviens que mon Père fit soudain irruption dans la pièce, portant sur son dos un lourd sac rempli de bûches de bois.

"Ah ! Superbe, mon amour ! Nous allons pouvoir faire crépiter la cheminée ce soir." lui dit-elle en s'avançant vers lui pour l'embrasser tendrement.

- "La récolte a été bonne." lui répondit mon Père. "Durand et moi-même avons trouvé des arbres parfaits ce matin."

- "Durand... C'est le papa du petit Jacob, c'est ça ?" - "Je crois, oui. Il m'a dit que ça femme s'appelle Esther."

- "Oh oui ! Je lui ai parlé récemment. C'est une femme tout à fait charmante. Peut-être devrions nous les inviter à manger à la maison, un de ces jours." - "Euh... Moui. Pourquoi pas." Mon Père savait que Durand battait sa femme. Il préférait ne rien dire à ma Mère tout simplement parce qu'il s'entendait bien avec lui, malgré tout. Il valait donc mieux qu'il évite d'ébruiter l'affaire au risque qu'il se fasse interdire de le côtoyer. - "Et d'ailleurs, puisqu'on parle d'eux. Tu savais qu'Esther était passionnée elle-aussi par les Majordomes ?" souleva ma Mère. - "Les majordomes ?"

- "Oui ! Tu sais bien, ces gens qui font les tâches ménagères plus vite que l'on ne pourrait le dire. Elle m'a prêté un livre sur eux. C'est passionnant ! Tu sais ce qui me ferait plaisir ? Qu'un jour on aille visiter leur guilde ! J'aimerais tellement leur demander de me révéler tous leurs petits secrets. Tu imagines ? La cuisine en quelques secondes ! Les lits qui se font tout seuls ! Les habits qui vont d'eux mêmes à la rivière se faire laver !"

- "Oh... Je ne pense pas qu'ils te diront grand chose. Je ne pense même pas qu'ils nous laisseront rentrer. Mais... Oui. On peut toujours essayer, si ça peut te faire plaisir." - "Comme tu es défaitiste ! Je ne sais pas si tu te souviens mais dans les lettres que t'envoyais le Lord de Vérandrie à qui tu as sauvé la vie... Comment s'appelle-t-il déjà ?" - "Alexander ?"

- "Oui, voilà ! Alexander ! Quand il t'avait envoyé ces lettres de remerciements que je lisais pour toi, il avait évoqué un majordome, un certain Heinz, je crois. Si on dit son nom, il devrait y avoir moyen d'obtenir un laissez-passer, tu ne crois pas ?" - "Humpf. Alors, tu ne te rappelles pas du nom du grand seigneur de Vérandrie mais tu retiens celui de son majordome, mon ange ?" - "Oh, mais je ne demande qu'à voir ce Alexander faire le ménage et la cuisine ! Ahah !" Cette discussion somme toute des plus classiques me fut pourtant salutaire. J'ignorais tout de cette Guilde des Majordomes. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant. J'ignorais que de telles prouesses était atteignables pour l'Homme, même avec les meilleures des magies d'augmentation. Si ces légendes que venait d'énumérer ma Mère n'en étaient pas et que telles personnes étaient atteignables pour quiconque suivrait leur formation, alors peut-être avais-je trouvé la solution idéale pour aider ce pauvre Leborgne. Le soir venu, lorsque je revins au quartier général, j'interrompis une discussion entre Mélanie et William. Leborgne, quant à lui, semblait s'entretenir avec Luther pour parler de l'organisation de la réunion. Si, en temps normal, j'aurais été beaucoup plus attentif à ce qui se disait du côté de mes deux alliés adultes, mon attention fut en réalité davantage captée par ce que j'entendais du côté des deux jeunes Leborgne. - "Je ne suis pas triste pour mon père, Nini. C'est pas de la tristesse, c'est de la colère. Toi tu es triste, pas moi ! Mon père était un faible, un minable. Il est mort. J'ai honte d'avoir eu du respect pour quelqu'un de si faible ! Les forts eux ne meurent pas. Les forts eux méritent mon respect ! Les forts eux n'abandonnent pas ceux qu'ils aiment comme ça du jour au lendemain !' - "Tu es dur avec Gaïus, Will. On va tous mourir un jour, tu sais ? Personne n'y échappe pour toujours. Il a quand même vécu jusqu'à ses 64 ans. C'est beaucoup plus que la grande majorité des gens. Ce n'est pas de la faiblesse de mourir, c'est juste... la vie." - "N'importe quoi ! Ton frère, Viktor, il m'a parlé des plumes de phœnix ! Il m'a dit que Monsieur S pouvait ramener à la vie n'importe qui si il le voulait ! Mais si jamais il veut faire revenir mon père, je l'en empêcherais ! Je refuse qu'un lâcheur comme lui qui abandonne ses enfants alors qu'ils n'ont même pas encore fini leur entraînement de Leborgne revienne parmi nous. Il ne l'a pas mérité !"

- "Pour moi, si. Il m'a formé alors que je ne suis même pas vraiment ta sœur. Il m'a aimé comme une fille. Il m'a soigné lorsque j'étais blessée. Il me consolait lorsque j'étais triste. Il était comme un vrai père pour moi. Tu es son vrai fils, et pourtant j'ai l'impression de l'aimer plus que toi. C'était un homme bon, Gaïus. Et je ne veux plus jamais t'entendre dire qu'il était faible, parce que c'est pas vrai."

- "Tu peux penser ce que tu veux sur lui. J'en ai plus rien à faire. Mais par contre, je t'interdis de dire qu'on va tous mourir ! Si jamais il t'arrivait quoi que ce soit, alors j'irais à la nage jusqu'aux îles vagabondes pour trouver les plumes qui te ramèneraient à la vie. On s'est fait une promesse à la mort de papa, tu te souviens ? De toujours être là l'un pour l'autre ! Et je refuserais toujours de te laisser partir en restant là les bras croisés." - "Et tu sais aussi très bien que je ferais pareil pour toi, Will." - "HA ! T'es une marrante toi ! Il est pas né celui qui aura la peau de William Leborgne, premier du nom ! C'est moi qui te sauverais de la mort, pas l'inverse !"

- "D'accord, donc si jamais tu y passes, je chercherais pas à te sauver. On est d'accord ?" - "Les filles comme toi, c'est elles qui sont des demoiselles en détresse. Les hommes forts comme moi, eux, ils meurent pas." - "Chiche !"

- "Qu'est-ce qu'y a ? Tu me provoques ? Tu veux qu'on se batte encore une fois peut-être ? Je pourrais te botter les fesses l'œil fermé !"

- "Fais attention, je serais capable de te faire mordre la poussière une deuxième fois et tu te mettrais encore à bouder."

- "C'est arrivé juste une fois ! Et puis tu as triché ! J'étais fatigué !" - "Tu diras la même chose dans un vrai combat contre des gens qui seront là pour te tuer ?" Les écouter parler me faisait légèrement sourire. Alors c'était à ça que ressemblait une relation "normale" entre frère et sœur ? Je trouvais cette discussion très divertissante, presque prenante. Moi même à plusieurs reprises j'avais envie d'intervenir. Ils parlaient de sujets très intéressants pour leur jeune âge. Bien plus intéressants que beaucoup de points soulevés par des adultes. Cependant, je ne pouvais patienter plus longtemps, il me fallait m'entretenir dès à présent avec Leborgne pour lui présenter mes solutions. Le pauvre homme était déjà bien assez tracassé pour le laisser dans le flou. Dès qu'ils m'entendirent pousser la large porte derrière laquelle je me trouvais, je les aperçus tous se retourner immédiatement dans ma direction. C'était comme si ils m'attendaient depuis bien longtemps déjà. Comme si ils contemplaient en face d'eux une sorte d'homme providentiel. Je mentirais si je disais que tant de considération ne me procurait pas une certaine jouissance. Cette sensation de puissance et de respect n'est pas quelque chose à quoi l'on peut rester indifférent. Néanmoins, il convient également de préciser qu'être l'objet de toute l'attention n'était pas pour me plaire. Je préfère que l'on m'oublie, en règle général. De cette manière, je peux agir sans que l'on ne s'occupe de moi, et cela limite grandement la pression que je peux avoir à répondre aux attentes et

aux espérances des uns et des autres. Seulement, au vu de la situation actuelle, j’étais prêt à jouer le jeu, à incarner ce faiseur de miracles qu'ils voyaient en moi. Je traînai volontairement le pas, laissant les talons de mes bottines claquant le sol annoncer ma présence. Je désignai ensuite le couloir menant à une salle adjacente à Leborgne du bout de l'index, lui faisant signe de m'y accompagner. Puis, mon regard se posa sur Luther et Héléna. Je leur fis un petit mouvement de tête dans la direction des enfants, leur demandant implicitement de les surveiller. J'allais parler d'eux directement à Leborgne, et je ne voulais pas que quiconque nous entende. Ils acquiescèrent, puis tentèrent d'engager un début de discussion avec William et Mélanie, pendant que nous nous dirigions tous deux, un peu plus loin, à l’abri des oreilles indiscrètes. Nous nous isolâmes ainsi, vérifiant bien derrière nous si personne ne nous écoutait. Leborgne se donna même la peine de passer son œil à travers la serrure. Il se retourna enfin à nouveau dans ma direction après quelques secondes d'examination. - "Alors ?" me demanda-t-il sans réellement parvenir à dissimuler son impatience ; comme pouvait d'ailleurs en témoigner ses mains, qu'il frottait continuellement entre elles. - "Il y a bien quelque chose que je peux te proposer. As-tu déjà entendu parler d'une certaine Guilde des Majordomes ?" lui répondis-je à voix basse. - "Oui, ça me dit quelque chose. Fut un temps, Huttington souhaitait obtenir les services de l'un de leurs membres, n'importe lequel. C'était juste histoire d'affirmer son pouvoir aux yeux de tous. Il me répétait constamment qu'un majordome était à la fois un signe de puissance et de sécurité. Mais, quel rapport avec mon ... problème ?" - "Je comptais justement y venir. Cela dit, quelque chose m'intrigue." - "Quoi donc ?"

- "Si il voulait tant en avoir un, pourquoi en était-il dépourvu ?"

- "Houlà. Longue histoire." - "Est-ce lié à un refus de la Guilde ?"

- "Oui et non."

- "C'est un peu vague, Leborgne." - "Disons qu'il l'a bel et bien contacté. Mais que c'est ... un élément extérieur, qui l'en a empêché." - "Un élément extérieur faisant parti des majordomes ?" - "Qui en faisait parti, non. Qui avait des liens sacrément étroits avec eux : ça, ouaip !" - "Je vois. Cet élément est donc à prendre en compte. Mais nous y reviendrons plus tard. Chaque chose en son temps. En revanche, ce qui ne peut attendre, ce sont certaines précisions. Si je résume ce que tu m'as dis : Huttington savait donc quoi faire pour s'en procurer un. En outre, il connaissait leur existence, savait qui contacter, et quoi leur proposer en échange. Je me trompe ?"

- "C'est exact."

- "Par conséquent, je suppose que tu sais, toi aussi, comment entrer en lien avec eux. N'est-ce pas ? - "Je ne garantis rien. Mais, ça reste envisageable." - "Dans ce cas, voilà ce que je peux te suggérer. Nous allons faire de ces deux enfants les tous premiers Leborgne majordomes." Leborgne resta une dizaine de seconde à me regarder fixement de son seul œil exorbité. L'expression faciale qu'il affichait alors ne laissait nul doute ni sur son incompréhension, ni sur sa surprise.

- " Euh... pardon, quoi ?" - "D'après ce que j'ai cru comprendre : ni l'un ni l'autre n'a encore pleinement achevé sa formation. Et il n'est pas question de laisser cela entraver ni ton travail, ni l'entraînement de ton futur héritier. Ils ont déjà les bases, c'est le reste qui leur manque. Dans ce cas, pourquoi ne pas en profiter pour faire d'une pierre deux coups ? Si ce n'est plus encore. J'ai entendu dire que l'entraînement des majordomes pouvait faire de leurs adeptes des sortes de sur-hommes. Des personnes à la vitesse et aux pouvoirs dépassant toute logique. N'aimerais tu pas faire d'eux : des êtres si puissants qu'ils combineraient tout ce qui se fait de mieux en matière de techniques de combat et de pouvoirs horsdu-commun ? Du fait de leur jeune âge, ils pourraient avoir droit à une formation complète, étalée sur le nombre d'années qu'il faudra. De ce que j'ai vu, ils ont l'air de très bien s'entendre. Il serait donc peut-être mieux, tant pour eux que pour nous, de les y inscrire ensemble. Et dès qu'ils en seront sortis, ils entreront à mon service."

Leborgne resta quelques instants à réfléchir sans rien dire. Le pouce sur le bas de la joue, le reste des doigts sous le menton, il regardait le sol d'un air pensif. Une chose est sûre, il ne s'attendait pas à une telle proposition. Je lui laissai tout le temps nécessaire pour me donner son avis. Après près d'une minute de silence, il reprit finalement parole.

- "Hum... Des Leborgne majordomes... Comment dire... En soit, c'est pas une mauvaise idée. Mais... enfin... Je vois pas trop comment... "

Je lui laissai le temps de trouver ses mots. Encore était-il préférable de perdre du temps sur cette question si jamais cela nous évitait des problèmes sur le long terme. "En fait, il y a plusieurs choses qui me dérangent dans cette solution." conclua-t-il. - "Lesquelles ?" lui demandais-je. - "D'abord, un Leborgne, c'est un Leborgne. Un majordome, c'est un majordome." - "Certes. J'entends bien."

- "Ce que je veux dire c'est que... On a une façon de se battre qui est la notre. On a un comportement qui est le notre. On a une histoire, des coutumes qui sont les nôtres. Si on laisse quelque chose d'autre s'immiscer là-dedans, on risque de perdre notre héritage." - "C'est donc cette perte d'identité qui t'effraie ?"

- "M'effrayer, j'irais pas jusque là. Mais j'aimerai bien qu'ils n'oublient pas d'où ils viennent et qui ils sont, tout simplement." - "C'est un point que je peux comprendre. Je te conseille simplement, à ce sujet, de ne pas oublier une chose : ils sont tous deux Leborgne avant d'être majordomes, et non l'inverse. Par conséquent, il y a un héritage qui importera plus à leurs yeux que l'autre. Et lorsqu'il leur faudra, à eux aussi, faire entrer les générations futures dans votre famille, alors ils pourront leur offrir un entraînement bien meilleur et bien plus fourni que les anciens, rendant ces dernières plus performantes et plus douées que jamais. Et cela, ce sera permit par cette intégration à la guilde." - "C'est sûr que vu sous cet angle... Disons, que ce qui me fait peur c'est, bien sûr ce côté perte d'identité, mais surtout la perte de personnalité." - "Qu'entends-tu par là ?"

- "De ce que j'en sais, les majordomes ont comme caractéristiques de donner leur vie au maître qu'ils ont choisi de servir. Ils obéissent à un code, à un ensemble de règles, d'obligations liées à leur fonction. Il est impossible pour eux de s'y dérober. Ce sont plus des corps sans volonté qui se contentent d'obéir plus que de penser par eux même. Et je n'ai pas forcément envie que Mélanie finisse comme ça."

- "Sans offense, Leborgne, mais c'est le principe de ta famille que d'obéir aux ordres de leurs supérieurs. Je ne vois pas en quoi c'est un problème de pousser cette dévotion à son paroxysme." - "Sans offense, Monsieur, mais je ne me définis pas encore comme un pantin dont vous tirez les ficelles. Si un jour je considère que travailler pour vous n'est plus dans mon intérêt, alors je vous abandonnerais pour de bon. Ce qu'un majordome ne peut et ne pourra jamais faire." Je le dévisageai après cette affirmation, en fronçant légèrement les sourcils. - "Je vois. Donc ton allégeance est à géométrie variable." - "Ce n'est pas ce que j'ai dit. Simplement que j'ai mon mot à dire, voilà tout." - "Cela allait de soit. C'est cette idée de potentielle trahison qui me dérange davantage." - "Je crois que..." - "Je crois que tu as oublié pour qui tu travaillais et qui tentait de t'aider à résoudre ton problème aujourd'hui. Tu penses qu'Huttington t'aurait tendu la main, lui ? Non. Tu te risques à cela avec moi car tu me sais plus coopératif et généreux que lui. Mais ma bonté a des limites. Même pour toi, Leborgne. Si tu ne veux pas de mon aide, tu es libre de te débrouiller tout seul. Je ne veux pas à mes côtés de collaborateurs qui refusent d'obéir ou qui osent me dire droit dans les yeux qu'ils se laissent le choix de me faire faux bond si jamais ils l'estiment. Soit nous cherchons à être une famille, dans laquelle nous nous entre-aidons les uns les autres, soit nous continuons notre route chacun de notre côté. Tu veux qu'on te laisse le choix ? Alors, choisis ce que tu préfères." Lorsque je prononçai cette longue tirade, je craignais d'être allé trop loin. D'avoir franchi les limites. Pourtant, je savais que c'était nécessaire. L'on ne dirige pas des fortes têtes en les brossant dans le sens du poil. Pour être un chef respecté et respectable, il faut être dur lorsqu'il le faut,

et bon lorsqu'il le faut. Sévère mais juste. Compatissant mais pas faible. Laissant un court moment sans paroles s'installer, Leborgne finit, une fois de plus, par reprendre la discussion. - "Désolé, Monsieur S. Je me suis emporté. Cela ne se reproduira plus, vous avez ma parole."

- "Je pense, mon cher Leborgne, que cette histoire te monte bien plus à la tête qu'elle ne le devrait. Je comprends ta situation de détresse. Elle est empirée par le fait que ce n'est pas pour toi-même que tu t'inquiètes mais pour les autres. Et ça, tu n'y as pas habitude. Tu te sais capable d'assurer ta propre sécurité, mais tu as peur pour ceux à qui tu tiens. Je respecte cela. C'est pourquoi je veux t'aider. Alors, accepte mon aide, et franchissons ensemble cette étape difficile pour que des jours meilleurs se présentent ensuite à nous. Es-tu d'accord ?"

- "C'est tout ce que je souhaite." - "Dans ce cas, je te prierais de soulever les autres points qui te dérange dans le plan que je viens de te proposer." Leborgne soupira. - "Outre ce que je vous ai dit plus tôt, qu'on va considérer comme réglé, il y a le problème du coût d'entrée."

- "Ce n'est pourtant pas l'argent qui nous manque." - "Ce n'est pas ça. La Guilde des Majordomes n'est pas vraiment intéressée par l'argent. Le Duc lui même avait beau leur proposer des sommes astronomiques, ils ne daignaient pas répondre à la moindre de ses demandes."

- "Que recherchent-ils dans ce cas ?"

- "C'est bien là le problème : pas grand chose en vérité. Tout est une question de contacts. De connaître les bonnes personnes, de leur proposer ce qui est susceptible de les intéresser au moment où ils pourraient être intéressés, d'avoir un mécène, ..."

- "Un mécène, tu dis ?"

- "Oui, une sorte de garant, si vous préférez. Quelqu'un qui est déjà ami avec la guilde et qui serait en mesure de leur proposer un échange de bons procédés. Par exemple, l'entrée en leur sein d'un nouvel apprenti, en échange de ... n'importe quoi susceptible de les intéresser." - "Huttington n'a-t-il jamais tenté d'entrer en contact avec l'un de ces mécènes pour obtenir les services d'un majordome ?" - "Justement si. Disons simplement que ça entre dans le cadre de la "longue histoire"." - "Y'a-t-il d'autres choses susceptibles de te déranger avant que je ne te demande de me la raconter plus en détails cette "longue histoire" ?" - "Boarf. On a déjà vu le principal. Pour le reste, disons juste que ça ne les concerne pas tant eux que mon gosse." - "Tu ne te sens pas encore les responsabilités d'être père, Leborgne ?"

- "Disons simplement que tant que je travaille pour vous, ça va être difficile. Je suis sur le terrain 24 heures sur 24, et pour faire un Leborgne digne de ce nom, il faut aussi lui consacrer un temps fou." - "Sa mère s'en chargera très bien toute seule." - "Le hic, c'est que non. Je sais très bien qu'Hilda, ma femme, va y passer elle aussi, comme ses deux sœurs avant elle. Elle ne fera pas exception à la règle. Je le sais très bien. Et même si c'était le cas, je la connais : elle n'accepterait jamais que je retire un œil à notre enfant. Et je serais donc obligé dans tous les cas de... Enfin, je vais pas vous faire un dessin, vous m'avez compris. Je préférerais presque que la pauvre femme y passe plutôt que j'ai à lui infliger ça." - "Je vois. C'est ennuyeux, en effet. As-tu jamais pensé à faire appel à un parrain, comme Conrad et Gaïus ?"

- "Un parrain ? J'y ai pensé. Mais je ne suis pas sûr de connaître qui que ce soit apte à prendre le rôle. Surtout pour mon enfant." - "Il te faut quelqu'un de digne de confiance. Un ami d'enfance peut-être ?" - "D'enfance, je ne sais pas. Mais un ami... Oui, il y a peut-être quelqu'un. Un brave type qui m'a sauvé d'une mort certaine, il y a quelques temps." - "Toi ? Te sauver d'une mort certaine ?"

- "Hey ! Je reste humain, patron. Je suis peut-être balèze, mais il y a certains combat que je ne peux pas gagner. Il faut connaître ses limites, c'est le seul moyen de les dépasser." - "Je ne peux que te donner raison là-dessus. Mais, tu te doutes bien que maintenant que tu m'as dit cela, j'aimerai savoir ce qu'il s'est passé et qui est cet ami." - "Je m'en doute. Mais, si ça vous dérange pas j'aimerais garder ça pour une autre fois. Le sujet du jour, c'est encore cette solution de la Guilde des Majordomes." - "Te convient-elle ?"

Il soupira tout en se mettant les mains sur les cottes. - "Je pense pas avoir le choix. Si jamais on parvient à leur dégoter une place : je donne ma bénédiction, à défaut de mieux."

Nous nous serrâmes alors la main et repartîmes en direction de la salle principale. Seulement, je ne pus résister à la tentation de poursuivre cette discussion, en le questionnant à nouveau sur un certain sujet, alors que nous continuions de déambuler à travers les longs couloirs de notre quartier général. - "Un ami qui t'as sauvé la vie, donc ?" - "Vous comptez pas lâcher l'affaire, hein ?"

- "Disons que je préfère avoir une vague idée de l'identité du prochain Leborgne à entrer dans la famille."

Il esquissa un sourire.

- "Si vous voulez tout savoir, cet ami : c'est un petit pêcheur du coin, tout ce qu'il y a de plus classique. Il m'a dit qu'il s'appelait Duncan." - "Tu as été sauvé par un pêcheur, Leborgne ?" - "Dis comme ça, ça ne doit pas paraître bien glorieux. Mais c'est le cas. Il a retrouvé mon corps, grièvement blessé, flottant dans la rivière. Il m'a repêché, m'a ramené chez lui, m'a soigné, m'a offert le gîte et le souper. Et tout ça sans me connaître et sans rien attendre en retour. Un chic type comme on en fait plus. Le pauvre a perdu toute sa famille lors du dernier raid de Xon sur les terres de l’Ouest. J'ai voulu lui donner ma bourse pour le remercier mais il n'en voulait pas." - "Je suppose qu'à l'inverse, retrouver goût à la vie en s'occupant d'un enfant lui ferait le plus grand bien. De cette façon, tu lui auras assuré une enfance heureuse et tu le formeras comme il se doit lorsque tu le retrouveras."

- "C'est l'idée. Enfin, tout ça si jamais il accepte d'entrer dans la famille. Vous me direz, pour ce qu'il a à perdre, je le vois mal refuser." - "Je suis curieux néanmoins des raisons qui t'ont fait finir dans une rivière." - "Roh, vous savez, c'était l'une de ces journées comme il y en a tant. Votre boss vous dit, "va là-bas et tue ce type", moi je vais là-bas pour tuer le type. Et puis, sur le chemin, vous recroisez un membre de votre propre famille qui vous bloque la route, vous casse la figure avec ses trois copains et vous laisse pour mort. La routine quoi !" - "Un membre de ta famille ?"

- "Oui, le fameux Conrad dont je vous ai parlé. C'est lui qui m'a tendu une embuscade. C'était un ancien voleur, il est très bon pour ça. Si il y a bien une chose que la vie m'a apprise c'est que : dans un combat, celui qui gagne, c'est toujours celui qui en sait le plus sur son adversaire." Cette simple phrase me marqua à tout jamais. Il avait raison. Toutes les fois où j'avais réussi dans mes actions c'était parce que je savais à qui je m'attaquais. Je connaissais ses forces et ses faiblesses, là où lui ne savait même pas qui j'étais. C'était ça notre véritable force, à Leborgne et à moi : la connaissance. Connais ton ennemi pour pouvoir le vaincre. C'était aussi simple que ça. Cependant, quelque chose me revint soudain en tête. Quelque chose que j'avais lu chez le Duc Klaussman. Quelque chose en lien avec une visite surprise d'un homme d'Huttington près du palais de Klaussman, ainsi qu'un voleur coutumier des embuscades justement. Je me mis alors à me stopper net, au milieu du couloir, laissant Leborgne continuer à s'avancer de quelque pas. Il lui fallut quelques secondes avant de se stopper à son tour, remarquant tout juste que je m'étais arrêté de marcher. Je le dévisageai intégralement. Ce dernier leva un sourcil interrogateur. - "Un instant, Leborgne. Cette embuscade a-t-elle eu lieu près d'un petit chemin dérobé menant à la frontière entre le centre et le sud du royaume ?" - "Euh... C'est exact, oui."

- "Et ce « type » dont tu devais te charger : était-ce une femme ? » - "Toujours oui."

- "Une femme du nom de Francesca ? Francesca Scodelario, c’est bien ça ?"

Leborgne s'avança alors lentement vers moi, tout en hochant la tête encore plus lentement. - "Oh que oui."

- "Leborgne, je crois savoir qui est derrière ce qui t’es arrivé. J'ai découvert chez Klaussman une lettre qu'elle lui avait envoyé, le prévenant que tu étais en direction de son palais. C'est elle qui a vendu la mèche. C'est elle qui lui a indiqué où tu serais et par où tu passerais. Était-elle une proche de Klaussman ?"

- "C'était surtout une proche de Huttington." - "De Huttington ? Qu'est-ce que tu entends par là ?" - "Ah ben, pour vous la faire courte : c'est elle le fameux "élément extérieur" dont je vous ai parlé. Je pourrais entrer dans les détails, hein. Mais, ça risque d'être long." Je me mis alors à froncer les sourcils tout en me rapprochant de plus en plus de lui, laissant s'installer une ambiance pesante dans la pièce.

- "Dis-moi tout ce que tu sais sur cette femme, Leborgne."

This article is from: