action! réaction ! La demande d’exception, bien que fortement médiatisée et transmise dans la formation, est marginale dans la commande et l’exercice du métier d’architecte. “La démocratie a fait de l’architecture non plus le fait du prince, mais un droit pour chaque citoyen. Pourquoi, à l’orée du XXIe siècle, ce droit est-il encore si inégalement réparti? D’un côté une architecture savante, une commande valorisée ou d’exception, de l’autre, le paysage affligeant offert par les entrées de villes industrielles et commerciales, les lotissements sans âmes, peuplés de maisons sans esprit, les banlieues en crise endémique depuis trente ans.”36 De tous temps la demande d’exception - expression d’un désir d’une société de transcender son moment historique37- a existé, de tous temps l’architecte y a répondu et continuera de le faire. L’architecte y a naturellement sa légitimité, car son histoire l’y lie. C’est dans la seconde catégorie mentionnée dans l’extrait du Livre Blanc des Architectes, ci-dessus, que l’architecte peine depuis quelques siècles déjà à trouver ses appuis, alors que la commande “savante” n’est réservée qu’à quelques élus. Sans parler d’œuvre publique, les architectes ont d’ailleurs de moins en moins affaire à un maître d’ouvrage public - jadis la règle, il est déjà presque l’exception. (voir graphiques ci-contre). Face au recul de la commande publique, l’architecte serait-il le seul porteur de bâtir un projet de société ? Le seul à opposer à l’objectivité implacable des données quantifiables, la subjectivité d’un lieu qualifiable ? Il s’agit en tous cas de l’unique professionnel de la construction à avoir inscrit dans sa déontologie les valeurs du commun38, là où l’on tend vers une privatisation galopante. C’est ce qui semble animer, au delà d’une satisfaction d’un égo d’auteur, la revendication des architectes à être l’acteur pivot du projet, même pour des opérations que Christophe Midler nomme bâtiments-service (par opposition à bâtiments-œuvre)39, que j’aborderai dans cette deuxième partie. .........................................................................................................................................................
Réseau Cette revendication très noble est-elle pour autant légitime? L’architecte peut-il réellement prétendre connaître, comprendre et prendre en compte l’intérêt général d’une société qui n’est plus si “générale” mais une multitude, au sens où l’emploient Toni Negri et Michael Hardt dans leur œuvre éponyme40?
36 : Le livre blanc des architectes, 2004, p. 13 37 : Rémy Butler, Réflexion sur la question architecturale. Société d’édition Les Belles Lettres, 2016, p. 24 38 : Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture 39 : Jean-Jacques Terrin. Conception collaborative pour innover en architecture : Processus, méthodes, outils. L’Harmattan, 2009, p.31 40 : Toni Negri et Michael Hardt. Multitude : Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire. Éditions La Découverte, 2004.
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