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F. La construction neuve : nécessaire mais pas suffisante

La matérialité des façades est, de manière générale, l’une des principales sources d’optimisation financière du promoteur. Ce n’est pas sur la composition qu’il risquerait d’optimiser d’avantage les choses. Les façades sont déjà ouvertes au minimum syndical.

Autant de coupures budgétaires sur le choix des matériaux laissent entrevoir des complications dans le vieillissement du bâtiment. A trop vouloir économiser, nous sommes bien obligés de constater qu’un édifice des années 1980 peut mieux résister au temps qu’une opération de logements des années 2010. Des matériaux de mauvaise qualité vieillissent mal et peuvent se détériorer rapidement. Dans notre cas, le promoteur assumait parfaitement ces choix. « La briquette, on va prendre celle-ci, c’est la moins cher » ou « Possibilité de le faire en PVC ? », autant de remarques écrites sur nos plans qui nous font réagir. Le Baromètre Qualitel 2017, enquête menée par l’association Qualitel sur la qualité des logements français, estime à 25% le nombre de français insatisfaits de la qualité des matériaux de construction de leur logement. L’application de matériaux de faible qualité, conjuguée à une rapidité d’exécution, entraine une augmentation des malfaçons dans le logement neuf depuis une dizaine d’années. En 2018, l’Agence Qualité Construction (AQC) a constaté une montée brutale des problèmes de fissures et de malfaçons sur la structure primaire d’opérations de logements collectifs neufs. On retrouve également en haut du classement les problèmes dus à la pose des revêtements de sol ou encore les problèmes d’étanchéité. En conséquence, les assureurs ont versé pas moins de 754 millions d’euros en assurance dommage-ouvrage rien que pour l’année 2017 18 . Ce montant a quasiment doublé en dix ans, quand on sait qu’il s’élevait à 430millions en 2008. Faire des économies à outrance n’a pas que des répercussions sur l’architecture du bâtiment. Cela affecte le vieillissement de nos villes actuelles, le secteur professionnel mais aussi les personnes qui ont acheté ces appartements.

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F. La construction neuve : nécessaire mais pas suffisante

Nous venons de comprendre que le système de conception de logements collectifs dans le marché privé crée une quantité de désordres, à tous les niveaux. Mais quelles conséquences ce système a t-il eu sur la production de logements ? Est-il arrivé à répondre aux besoins des français ? Pour le savoir, il faut regarder les résultats de ces quinze dernières années. En 2007, Nicolas Sarkozy avait souhaité un rendement de 500000 logements neufs par an, de même que François Hollande en 2012. L’actuel président, Emmanuel Macron, avait décrit dans son programme la nécessité de créer un véritable choc d’offre. Selon lui, la non-satisfaction des besoins serait due à un prix encore trop élevé du logement. La solution serait donc de faire grimper l’offre de logements pour faire baisser les prix. Construire plus de logements neufs et d’HLM agirait ainsi par effet de chaine sur le marché. Un occupant de HLM accédant à la propriété permettrait de libérer un logement social et à l’inverse, la construction d’un logement social permettrait de libérer un logement du parc privé. Cela fonctionnerait si le marché du logement était

18 CHAUVOT, Myriam, «Lesproblèmesdemalfaçonsdeslogementsneufss’aggravent», LesEchos, 16juin 2019 à 15h33

non-cloisonné. Hors, depuis plusieurs années maintenant, les locataires du parc social disposent de moins en moins de revenus, ce qui ne facilite pas l’accession à la propriété. De même, le cloisonnement se fait de manière géographique, avec la stigmatisation et la sédentarisation de certaines aires urbaines. En conséquence, la demande de logements est très irrégulière selon les régions. Construire massivement, partout, a eu des effets désastreux sur plusieurs aires urbaines de petite et moyenne taille. La construction de logements neufs a entrainé une véritable désertification des centres-villes de ces communes. Selon la FNAIM, au cours des quinze dernières années, la construction de 5,4 millions d’unités a eu pour conséquence le dépeuplement de 700000 logements. C’est principalement dans les aires urbaines de moins de 100000 habitants que l’on retrouve un taux de vacance critique, dépassant les 10%.

FIGURE 22 : Taux de vacance par aire urbaine en France, en 2014.

Face à ces chiffres, comment ne pas penser au marché de la réhabilitation ? Quand on voit le nombre d’appartements en centre-ville qui sont délaissés, nous pouvons nous interroger sur la frilosité des constructeurs immobiliers à investir dans la réhabilitation. Encore une fois, celle-ci s’explique par le caractère peu rentable de ce marché. Le coût de la réhabilitation est de base élevé pour une maitrise d’ouvrage. Il ne faut pas oublier de compter, dans l’enveloppe travaux, une part d’incertitudes liée à la nature aléatoire des constructions dans lesquelles s’insert le projet. De même, la mise aux normes en matière de performances énergétiques peut également constituer des dépenses supplémentaires onéreuses. Pourtant, ce marché pourrait conforter le stock de logements chaque année, et éviter que certains centres urbains soient désertés, que ce soit en matière d’habitat et de facto en matière de commerces. « Le renouvellement du parc pourrait (…) contribuer chaque année à l’évolution du stock de logements : à hauteur de 30000 si l’on se donne sur les niveaux moyens observés depuis trente ans, ou à hauteur de 50000 si l’on table en outre sur la poursuite de l’effort de renouvellement urbain dans les quartiers de grands ensembles tel qu’il est mené depuis 2004.

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Le principal problème d’accession au logement demeure le prix des loyers et des habitations. En dépit de cette politique de construction massive, la France compte aujourd’hui plus de quatre millions d’habitants en situation de mal-logement 20 . Pour obtenir réellement une baisse des prix, construire plus n’apparait donc pas comme la seule solution. L’un des principaux coûts d’une opération immobilière est l’achat du terrain. Il faudrait donc créer un véritable choc d’offre foncière. Cela impliquerait une baisse des prix d’achat mais aussi de vente des terrains actuels. Or, dans le système de règlementation des zonages fonciers que nous connaissons aujourd’hui, une telle politique est-elle envisageable ? Probablement non. Les EPCI et les communes ayant autorité en matière de PLU, une grande partie de l’électorat percevrait de manière négative la dévaluation de leurs propriétés. Les propriétaires fonciers ou immobiliers verraient leur patrimoine dévalorisé. Des agriculteurs verraient s’envoler leurs plus-values d’urbanisation tant espérées. En revanche, les loyers diminueraient et les prix de l’immobilier avec eux. Malheureusement, un électorat mécontent aurait peu d’intérêts à réélire un maire appliquant cette politique foncière. Une solution serait de faire remonter le pouvoir de décision au stade départemental, voir régional.

19 BOSVIEUX, Jean, « Faut-il construireplusdelogements?», Politiquedu logement, Février2019 20 Une personne est dite mal-logée quand son logement ne correspond pas aux normes minimum de la société. L’INSEE distingue plusieurs catégories de « personnes privées de logement ou de confort » : les SDF, les « autres situations sans logement personnel » et celles vivant dans un logement privé de confort. Le manque de confort peut être matériel (insalubrité, humidité, installation de chauffage défectueuse) ou apparaître en cas de surpopulation.

Chiffresissusdu 25èmerapportannuel surlemal-logementdelaFondation AbbéPierre.

-IIAGIR

« La vision est ici commune, celle qu’aucun territoire ne doit être exclu de la réflexion (…) Il faut également prendre en compte que l’architecture peut produire de la richesse en dehors de la logique de concurrence et de croissance économique.

»21

Quelques mois en agence auront suffi à me révolter contre le système de fabrication des logements collectifs français. Où se trouve l’architecture du bonheur d’Alain de Botton ? Nous venons de voir que la politique de production des logements collectifs neufs n’a pas changé de cap depuis des dizaines d’années. Nous pouvons toujours fuir le système, trouver d’autres moyens de faire tourner une agence. Mais quand la situation financière de l’agence ne laisse pas le choix, il faut prendre le problème à bras-le-corps. Il s’agit en premier lieu de définir clairement l’objectif de l’alternative. Au regard de l’analyse faite précédemment, nous cherchons à remettre au coeur du processus l’architecture et non plus la rentabilité économique. Avec la crise sanitaire et économique que le monde traverse en ce début de décennie, il semble opportun de mettre sur le devant de la scène d’autres modes de production du logement collectif. Il s’agirait de laisser place à une économie plus sociale, tournée autour de l’humain et de l’environnement. Dans mon cas, je cherche à retrouver la sensation que j’ai eu lors de mon premier contrat chez Lanoire&Courrian. Cette sensation, c’était de me sentir utile pour une communauté tout en participant à la conception d’architecture « positive ». Positive pour celui qui y vit, positive pour le lieu dans lequel elle s’insère, positive pour l’environnement. En attendant de voir les effets du déconfinement, le système actuel reste tourné vers l’économie. Le promoteur est à l’heure actuelle le seul à pouvoir mobiliser des capitaux importants pour la construction. C’est donc économiquement que des solutions doivent être trouvées.

Il faudrait donc, à la manière d’un promoteur, trouver des pistes d’économie dans la partie « promotion », plutôt que dans la partie « architecture ». Cette recherche a été effectuée par la fondation ANMA en 2014, dans le cadre de l’exposition Argent, Logement, Autrement. Les deux questions abordées sont les suivantes : Où va notre argent lorsque l’on achète un logement et comment acheter plus grand et moins cher ? Comme pour un bilan financier, l’exposition retrace les différents postes de dépenses d’une opération immobilière. Chacun représente une part plus ou moins significative du coût global de l’opération. Nous retrouvons ainsi les cinq postes que sont : le foncier (15,2%), les travaux (40%), la TVA (16,7%), les honoraires (3,3%) et les frais de portage (24,8%). D’un point de vue d’architecte, quels postes semblent être les meilleures sources d’économie pour redonner de la qualité aux espaces crées ? Nous l’avons vu précédemment, les prix du foncier semblent difficilement modifiables. De même, aux vues de la paupérisation de la profession, les honoraires de maitrise d’oeuvre ne peuvent pas être revus à la baisse. Pour ce qui est des travaux, il est toujours possible de rechercher des modes constructifs plus économiques, trouver un moyen pour que les entreprises du bâtiment ne gonflent pas leurs prix. Cependant, cela n’aurait pas un impact suffisant pour permettre une vraie amélioration des logements produits.

21 Mots de Frédéric Bonnet, agence OBRAS, le 2 mai 2016

Pour obtenir un réel changement de cap, le seul poste à redéfinir semble être celui des frais de portage. Représentant le quart du coût global de l’opération, ils correspondent aux frais engendrés par le promoteur lui-même. Une alternative serait alors de passer par un autre intermédiaire que celui du promoteur privé. Fini la recherche de rentabilité, les frais pourraient passer directement dans la qualité architecturale et ainsi proposer des logements convenables, adaptés aux besoins actuels. Sortir de la promotion immobilière implique tout de même la recherche d’une autre source de financement du projet. Plusieurs schémas de financement existent à l’heure actuelle, en France et à l’étranger. La première consiste à réunir les propriétaires du projet au sein d’une société, ou coopérative, afin qu’ils puissent le financer. Un architecte ou un assistant à la maitrise d’ouvrage peut alors assister techniquement à l’élaboration du projet. C’est ce que l’on appelle de l’autopromotion. La deuxième solution consiste à rassembler, sous une société, un architecte, un représentant des futurs habitants et un représentant d’une collectivité. Cette réunion donne naissance à une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Dans les deux cas, le promoteur n’est plus autour de la table. L’implication du futur usager du logement collectif permet un rapport privilégié entre maitrise d’oeuvre et maitrise d’ouvrage.

La mise en place de ces alternatives demande cependant beaucoup de temps et d’investissement personnel. Pour répondre efficacement à la demande de logements des villes actuelles, il faudrait donc, en parallèle, changer l’offre faite aux français. Les logements neufs sont aujourd’hui de moins en moins accessibles à la population. En plus d’être trop cher pour une certaine typologie de clients, leur format standardisé ne permet plus une complète satisfaction des besoins de l’acquéreur. En 2015, l’institut de sondages IPSOS a réalisé une grande étude sur les attentes et nouveaux usages des français en matière de logement. Si l’accession à la propriété demeure une volonté forte des français, nous pouvons observer de véritables mutations dans la manière d’habiter ces logements. Ces dernières années, deux modèles ont bouleversé le marché locatif : les locations de très courte durée d’une part (dont le leader est AirBNB) et la colocation des étudiants et jeunes professionnels d’autre part. Ces phénomènes coïncident avec la croissance des prix du marché immobilier. En conséquence, de plus en plus de français sont intéressés par de nouveaux usages de leur habitat. Selon l’étude IPSOS, près de 1 français sur 2 pourrait accepter d’échanger son logement le temps des vacances, 28% pourraient vivre en colocation avec des amis proches et enfin 46% pourrait louer une chambre afin de compléter leurs revenus.

Dans les logements collectifs, les changements d’usages se font également ressentir. La mise en commun des espaces connait un franc succès. Les programmes comportent de plus en plus de buanderies, terrasses communes, salles collectives ou encore des espaces de travail à louer. Les nouvelles technologies facilitent ces formes de partage et nous pourrions très bien imaginer un retour des salles à manger et cuisines communes dans les opérations futures. La vie professionnelle, privée ou encore les transports sont d’autant plus de facteurs qui changent notre façon de vivre notre logement. Selon l’étude IPSOS, avec le développement du télé-travail, près de 15% des français possèdent un bureau dans leur logement pour exercer leur profession. Le confinement de huit semaines imposé par l’état français au début de l’année 2020 n’a fait que renforcer ce phénomène.

Cette situation de crise est l’opportunité de définir le logement d’une nouvelle manière. Il s’agit de recentrer la fonction du logement sur des valeurs essentielles. La première est la protection de son résident. La deuxième est le confort d’usage offert par cette protection. L’architecte a une place centrale dans son élaboration. Il faut régler l’acoustique, la lumière, les couleurs, les cadrages, l’orientation. Nous voyons bien que l’usage même du logement vient bien après. Nous nous sommes efforcés à catégoriser ces usages pour permettre une commercialisation des logements, à les regrouper par « type ». Mais la diversité de la société et des évènements comme le confinement ne nous montrent-ils pas que classer ces usages est une perte de temps ? Un salon avant confinement est devenu une salle de classe le matin et un bureau l’après-midi. Une chambre d’enfant s’est transformée en salle de jeu et la deuxième chambre accueille désormais les deux bambins. Nous avons tous connu, autour de nous, des situations semblables pendant cette période. Nous allons voir que certains architectes n’ont pas attendu d’être confinés chez eux pour proposer des logements différents. Parmi ces propositions, l’architecture dite « évolutive » refait surface. Présente dans les maisons japonaises et dans les maisons traditionnelles françaises du XVIII-XIX ème siècle, elle n’a été théorisée qu’au début du XX ème siècle. Les années 1970 ont été des années d’expérimentation pour cette typologie d’architecture. Elles ont permis de véhiculer des propositions qui se sont tantôt révélées comme des succès, tantôt comme des échecs. L’analyse de ces projets par les architectes d’aujourd’hui permet de produire des logements évolutifs de qualité. C’est ces exemples que nous allons voir en deuxième lieu.

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