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A. L’autopromotion : coopérer pour mieux habiter

FIGURE 23 : Photographie de l’ensemble Kraftwerk I, 2001, Zurich

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FIGURE 24 : Photographie de l’ensemble Kraftwerk III, 2018, Zurich

A. L’autopromotion : coopérer pour mieux habiter

« Voilà déjà longtemps qu’il ne suffit plus de protester contre les projets monstrueux des “autres” ; à nous de développer nos propres visions ! » C’est ainsi que s’exprimaient trois jeunes activistes zurichois en première page du manifeste qu’ils venaient de signer. Ce manifeste d’Andreas Hofer, Martin Blum et Hans Widmer était une bouteille à la mer, lancée à la fin des années quatre-vingt. À ce moment‑là, la contestation étudiante battait son plein à Zurich, le manque de logements y était criant, le chômage ne cessait d’augmenter, et certains quartiers cumulaient prostitution, trafic de drogue et désindustrialisation. L’horizon était sombre et les perspectives réduites… C’est dans ce contexte qu’est né le manifeste. Ce dernier proposait un mode de vie nouveau basé sur l’autogestion, l’échange de services, l’autonomie alimentaire et la mixité sociale. Un mode de vie qui échapperait au monde capitaliste, qui repenserait le rapport entre travail et habitat, et qui renforcerait le lien social ; une vie à construire et non plus à gagner. Quelques semaines après sa publication, pas moins de trois cents personnes avaient répondu à l’appel : c’était le début de l’aventure de Kraftwerk ». 22

Le modèle suisse des coopératives d’habitat apparait dès la fin du XIX ème siècle, en réponse à l’insalubrité et la pauvreté des grandes aires urbaines. A l’heure actuelle, la ville de Zurich compte plus de 20% de logements coopératifs. Celui de Kraftwerk est de loin le projet le plus ambitieux. L’objectif est net : se passer de la promotion immobilière et d’un système jugé trop capitaliste pour construire un projet d’habitat humain et responsable. Un groupement de propriétaires prend en charge le financement de l’opération. Ils ne sont pas considérés comme propriétaires de leurs appartements, mais comme propriétaires d’une part sociale de la coopérative. Dans une ville comme Zurich, où les loyers sont très chers, les coopératives d’habitat offrent des prestations presque 30% moins chers que le loyer médian. La municipalité est membre d’une grande partie de ces coopératives. En échange, elle peut siéger au conseil d‘administration de ces structures. En parallèle, elle subventionne les 6% du parc de logements de sociaux situés en coopérative d’habitat. Outre le logement, les projets peuvent abriter des salles communes, des ateliers, des commerces ou encore des jardins d’enfant. C’est une véritable diversité de programme et de population qui fait vivre des quartiers entiers de Zurich.

Ou se situe l’architecte dans cette typologie nouvelle ?

«Les constructions coopératives se font la plupart du temps avec des concours d’architecture. C’est une tradition à Zurich et dans la région.» 23 L’architecte n’est ici plus mêlé à des questions d’optimisation mais a une véritable implication dans le projet. Les codes sont renversés. Il n’y a plus de couloir aveugle de 1,30 m, plus de recherche de rentabilité mais un véritable retour à la conception même d’espaces de qualité. Il a également le pouvoir d’interagir avec chaque client pour essayer de se rapprocher de l’essence même du « chez-soi », propre à chacun. De plus, sur des opérations de ce type, l’architecte suit très souvent le chantier. Cela permet un maintien des qualités initiales du projet, et ce jusqu’à la fin

22 POULLAIN, Adrien, Choisirl’habitatpartagé, l’aventureKraftwerk, EditionsParenthèses, 2018 23 Propos de Hans Conrad Däniker, représentant des coopératives d’habitat suisses

FIGURES 25 et 26 : Photographies des typologies de logements de Kraftwerk I, Zurich Le projet accueille des typologies complexes d’appartements. Les deux principales sont l’appartement type «famille» (à gauche) et la colocation (à droite). Sur les 250 habitants, 31% sont des familles et 28% sont des personnes en colocation.

FIGURE 27 : Photographie d’une assemblée générale de Kraftwerk I, Zurich Les décisions et stratégies impactant le développement de la collectivité sont discutées au sein d’une assemblée générale, après consultations en groupe.

des travaux. Enfin, il se doit de conseiller les futurs propriétaires de la coopérative sur les assurances à contracter, tels que la dommage ouvrage, la tous risques chantier, garantie de parfait achèvement …

Les coopératives d’habitat ne sont pas présentes qu’en Suisse. L’Allemagne possède également de nombreux foyers de coopératives d’habitat, comme Fribourg par exemple. En France, on s’intéresse de plus en plus à ce modèle d’habitat. La loi Accès au Logement et Urbanisme Rénové (ALUR) autorise depuis 2014 la création des coopératives d’habitat et des sociétés civiles d’attribution ou d’accession progressive à la propriété. La différence réside dans le statut du financier. Si l’habitant de la coopérative n’est pas propriétaire du logement, l’habitant d’une société devient propriétaire à la réalisation du projet. Ce n’est pas la société qui finance alors le projet mais l’habitant directement. Cela implique d’avantages de risques et de s’adresser aux bonnes institutions bancaires. Si l’autopromotion permet de retrouver cette connexion directe entre l’architecte et son client, elle possède néanmoins quelques points d’ombre. Le premier relève de la complexité de mise en place d’un tel système. Les questionnements sont beaucoup plus longs, notamment en terme de financements et de conception du projet. Il faut trouver des personnes réellement prêtes à s’impliquer dans le projet. Adrien Poullain, écrivain de Choisir l’habitat partagé, l’aventure Kraftwerk, pense qu’il est plus facile en Suisse de trouver ce genre de mentalités qu’en France : « Les Français ont culturellement une posture citoyenne moins proactive que les Suisses, habitués à une démocratie plus participative. On France, on se repose plus sur l’Etat, et l’on a moins le sens du collectif.

»24

Si les futurs ménages doivent être patients avec ce type de projets, les architectes doivent également être en mesure de faire fonctionner leurs agences en parallèle de la coopérative d’habitat. Les investissements en terme de temps et d’argent sont plus lourds qu’un travail avec un promoteur immobilier. Une autre difficulté de l’autopromotion réside dans l’accès au foncier. La concurrence avec la promotion immobilière peut s’avérer rude lorsqu’il s’agit de trouver un terrain. D’autant plus que face à un promoteur, un maitre d’ouvrage novice ne fait clairement pas le poids. Il n’a pas le savoir financier et technique qu’un groupe de promotion détient. Il y’a toujours espoir qu’une municipalité soit clémente envers ce genre d’initiatives. Si ce n’est pas le cas, les coopératives risquent de fleurir sur des terrains moins désirables. Malgré tout, n’est ce pas un petit prix à payer en comparaison du projet qui peut être réalisé ? Il serait intéressant de voir se développer un France un grand projet pionnier de coopérative d’habitat. Il agirait ainsi telle une vitrine, à la manière de Kraftwerk, pour montrer au grand public l’intérêt d’un tel mode d’habitat.

La sortie de la crise sanitaire pourrait être un moment opportun pour voir fleurir des projets tournés autour de l’économie sociale et solidaire. La fragilité du monde économique actuel a été prouvée par le confinement. Le sens du collectif pourrait peut-être prendre le dessus, dans un mouvement de solidarité et d’entraide face à la crise économique qui nous attend. Je n’espère pas que la distanciation provoquée par les normes d’hygiène

24 POUYAT, Alice, « Habitat partagé : En Suisse, l’histoire d’une utopie devenue réalité », WeDemain, le 12/04/18

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