7 minute read
E. La communication entre architecte et promoteur
E. La communication entre architecte et promoteur
Au coeur de ce système de rentabilité économique, la communication entre acteurs est essentielle. La première concerne la communication écrite. Une partie des tensions entre l’architecte et le promoteur s’illustre au niveau du bilan financier de ce dernier. La plupart du temps, le promoteur ne rend pas public son bilan, gardant ainsi le mystère sur la marge qu’il effectue réellement. En d’autres termes, l’architecte n’est jamais sûr que les pistes d’économie réalisées sur le projet sont vraiment nécessaires. Prenons l’exemple de ce bilan financier prévisionnel fictif ci-contre. On y retrouve bien les sommes du prix de revient, les dépenses, et les recettes prévisionnelles. La marge prévisionnelle atteint les 8,54%. Face à ce bilan, plusieurs réflexions émergent, à la fois sur le métier de promoteur, celui d’architecte mais aussi sur les coûts d’une opération immobilière privée.
Advertisement
Nous retrouvons en premier lieu les deux postes de dépenses majeures : le terrain (ici 22% du coût total HT) et les travaux de construction (ici 48,7 % du coût total HT) . L’une des conséquences de la hausse des prix de l’immobilier est l’augmentation du coût de ces deux postes. Les matériaux deviennent plus chers, tout comme le prix du foncier. Pour compenser cette hausse, le promoteur a plusieurs possibilités. Il peut réduire sa marge, mais au sein d’un système orienté vers la rentabilité, c’est bien la dernière chose qu’il fera pour rentrer dans ses coûts. L’autre option de rentabilité du promoteur est de s’attaquer directement au projet, en privilégiant des volumétries et matériaux peu coûteux, tout en maximisant la surface vendable. En bas du tableau, réunis au sein des « Honoraires Techniques», nous retrouvons l’architecte, l’économiste, les BET, le bureau de contrôle … Nous sommes pour la plupart rémunérés sur un pourcentage du montant HT du coût prévisionnel des travaux (ici 2844500 € HT). L’architecte est presque autant rémunéré que le maitre d’oeuvre d’exécution (3,2% contre 3%). Le fait qu’ils soient séparés dans le tableau rejoint bien l’idée que l’architecte se retrouve progressivement dépossédé de la mission de chantier.
Deux autres postes de dépenses non négligeables apparaissent dans ce bilan. Nous avons dans un premier temps la TVA, qui représente au final 15 à 16% du montant prévisionnel total de l’opération. Impôt institué en France en 1954, la TVA peut prendre la forme de 4 taux différents : 2.1, 5.5, 10 et 20 %. Une grande partie des ventes de biens et de prestations de services (dont le logement) sont concernés par le taux de 20%, dit taux normal. Le deuxième poste regroupe les frais de portage de l’opération. Nous y trouvons tous les frais liés au fonctionnement, à la commercialisation, la publicité, les assurances, frais divers … Ils correspondent aux frais engendrés par le promoteur lui-même. Nous verrons par la suite que c’est sur ces frais de portage que l’architecture du logement collectif privé pourrait faire des économies.
Dans l’encadré 4, nous pouvons nous rendre compte que les honoraires techniques sont détaillés. Les honoraires de commercialisation ne le sont pas. Ils font planer une ambiguïté sur ce que touche réellement le promoteur privé et sur ce qui justifie une telle somme. Nous pouvons nous interroger sur la différence spectaculaire entre les honoraires de l’architecte (110000 € HT) et ces honoraires de commercialisation (310320 € HT). Que justifie une telle différence d’honoraires ? C’est d’autant plus marquant que les assurances du promoteur sont inscrites sur le bilan (détaillée en point 4.2), au contraire
des assurances de l’architecte. Dans ses 110000 € HT, l’architecte doit financer sa propre assurance. C’est au poste le moins rémunéré qu’incombe la plus grande part de responsabilités. Civile, décennale, biennale, garantie de parfait achèvement, autant de responsabilités sur lesquelles on peut venir chercher l’architecte en cas d’incidents. A ce sujet, la réflexion qu’ont les promoteurs sur leurs métiers est similaire à une réflexion d’assureur : il s’agit de transférer tous les risques sur les entreprises et intervenants (en l’occurence la maitrise d’oeuvre). C’est tout à fait injustifié au regard du temps passé par l’agence sur le projet en question.
Ce rapport entre promoteur privé et architecte met à mal la valeur de notre profession. Nous sommes beaucoup moins présents dans le suivi architectural, nous sommes beaucoup moins rémunérés mais les responsabilités ne diminuent pas pour autant. Les taux d’honoraires, que ce soit dans le marché privé ou le marché public, ont diminué ces dernières années. On assiste à une paupérisation de la profession, renforcée par le dumping exercé par certaines structures pour remporter les marchés. Cela m’interroge personnellement sur le rôle de l’architecte dans la métropolisation. Ne devrait-on pas, aux vues des enjeux environnementaux actuels, être en train de réfléchir à l’urbanisme de demain, aux matériaux éco-responsables, aux nouveaux programmes adaptés à la société actuelle, plutôt que de construire pour survivre ? Je pense que notre profession doit s’adapter à ces nouveaux enjeux sociétaux, et arrêter de s’asphyxier elle-même en pratiquant une concurrence qui fragilise l’avenir économique de multiples structures.
Ce bilan montre bien l’importance donnée au marketing et à la vente, plus qu’à l’architecture. La forme du projet est sublimée par des perspectives 3D où circulent toujours le cycliste, la poussette et la végétation luxuriante aux balcons. Les cadrages sont resserrés sur le bâtiment, oubliant l’existence de l’environnement dans lequel s’insère celui-ci. L’approche, une fois de plus, est purement économique. On doit vendre, un point c’est tout. A ce titre, ces images 3D sont souvent réalisées par des entreprises extérieures à l’architecture, sous-traitées par les groupes de promotion. L’architecte, étant capable de représenter en 3D le projet qu’il conçoit, serait parfaitement en mesure de récupérer la conception de ces images. Cependant, comme pour les travaux, les promoteurs restent frileux à l’idée d’intégrer d’avantage l’architecte dans le processus de fabrication du projet.
La communication avec le promoteur peut également être verbale. Nous l’aurons compris, innover le logement collectif dans un système gouverné par les banques et les normes est difficile. Cependant, en tant que maitre d’oeuvre et responsable de la qualité spatiale de la construction, un dialogue doit impérativement s’opérer avec la maitrise d’ouvrage. L’architecte aura du mal à prendre du plaisir sur une opération de ce type, il est ici pour «limiter les dégâts». Sophie et Jean-Philippe essayent de trouver ce juste équilibre dans le dialogue avec la maitrise d’ouvrage. S’ils sont conscients que le logement collectif représente une partie importante du marché, ils n’hésitent pas à recadrer une maitrise d’ouvrage quand c’est nécessaire. Notamment vis-à-vis des missions et des contrats qu’ils passent avec elle. Que ce soient Jean-Philippe ou Sophie, ils m’ont toujours demandé une grande vigilance vis-à-vis des promoteurs. D’essayer de limiter le tutoiement par exemple, puisqu’une trop grande proximité avec l’interlocuteur ferait passer plus doucement des demandes de documents supplémentaires non facturés. Comme beaucoup dans la
HT = 14.00m
profession, ils s’indignent du recul des missions données par la maitrise d’ouvrage aux architectes et de la disparition progressive des architectes sur le marché public. Au cours de mon deuxième contrat chez Lanoire&Courrian, j’ai souvent dû «limiter Gabarit PLU / Pente 100% 2,50 Cage d'ascenseur les dégâts Hf = 7.50m ». Concernant le projet Avenue d’Arès, la conception a été rythmée par des discussions d’optimisation régulières avec la maitrise d’ouvrage. D’abord en plan, l’étude de faisabilité a donné naissance à deux bâtiments, l’un rectangulaire, l’autre trapézoïdale. Les restrictions du PLU concernant les hauteurs et largeurs du bâtiment n’ont pas facilité l’aménagement intérieur. Il a ainsi fallu justifier chaque superficie présente au sein du T5 Duplex 2,50 2,50 Limite de propriété Limite de propriété H 3.5m projet, notamment la superficie commerciale. Pour être honnête, la conception des plans T2 T2 n’a pas forcément suscité de grandes débats avec la maitrise d’ouvrage. Les questions 2,50 se sont véritablement portées sur la façade. Etonnant ? Pas tellement, quand on sait que T2 T2 la façade est l’un des éléments couteux d’un projet d’architecture. La bataille s’est ici jouée sur le matériau de façade : briquette contre enduit. Les proportions de briquette 2,20 sur l’ensemble des bâtiments ont été questionnées un nombre incalculable de fois. Jean
Philippe a réussi à trouver un compromis après un bras de fer acharné avec la maitrise d’ouvrage. Les briquettes seront conservées en pignon et jusqu’à 3,50 m de haut sur l’ensemble des deux bâtiments.
Limite de propriété H 3.5m Gabarit PLU / Pente 100%
Hf = 7.20m
HT 15m
T2 HT = 14.00m
2,50
2,50
2,50
2,70
2,20
Cage d'ascenseur
T4 Duplex
T2
COMMERCE
Limite de propriété
29 LOGEMENTS
305, 309 Avenue d'Ares 33 000 BORDEAUX
LP Promotion
FIGURE 19 : Coupe transversale (PC) du projet Avenue d’Arès (sans échelle) La largeur du bâtiment a été conditionnée par les reculs latéraux de 4m par rapport aux limites 1.06 Coupes transversales séparatives. LapentedetoitureaétéimposéeparlegabaritPLU. Ellepermetnéanmoinsde créerdesvolumétriesgénéreusespourlesT4duplexsituésen R+2. Un systèmedegrandes fenêtres de toit en R+3 permet d’éclairer et ventiler les pièces de nuit de ces appartements. Enfin, la conception du bâtiment a permis la création de grandes terrasses en R+2.
Localisation des coupes
Coupe CC'
FIGURE 20 : Graphique illustrant la sinistralité des dommages-ouvrage en France, depuis 2008
FIGURE 21 : Classement des dix malfaçons rencontrées dans les logements collectifs en France, depuis 1995