5 minute read

C. La cohabitation : travailler vite pour perdre moins

C. La cohabitation : travailler vite pour perdre moins

Travailler avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes objectifs que vous n’est pas une mince affaire. La phase esquisse des 29 logements et du commerce situés Avenue d’Arès, dont j’ai la charge, touche à sa fin. J’interroge Jean-Philippe sur la suite des événements pour la conception du projet. O : « Je voulais savoir si vous souhaitiez me confier la phase Avant-Projet des logements Avenue d’Arès ? J-P : Non, tu vas directement faire le permis de construire. O : Et qui se chargera de la phase Avant-Projet ? Histoire de me coordonner avec lui … J-P : Il n’y a pas d’Avant-Projet, le dépôt de permis de construire se fera le 18 Octobre.»

Advertisement

Être dans une logique de rentabilité économique signifie que des capitaux circulent et qu’une promesse de vente est généralement en jeu. En d’autres termes, le temps est notre principal ennemi. Les promoteurs s’engagent avec le client sur des délais. Si des retards ont lieu, il y’a obligation d’indemniser, ce qui a un impact sur la marge. Et si la marge est impactée, la rentabilité aussi. Une question survient alors : n’y aurait-il pas un avantage à allonger ces phases de conception (esquisse, avant-projet), pour limiter les aléas financiers dans les phases d’exécution ? Cette question a été posée à Olivier Dartois, ce à quoi il a répondu : « On fait l’APD indirectement. (…) Ce n’est pas une étape officielle de notre fonctionnement. Par exemple, je viens de signer une promesse de vente Lundi dernier (le 20 Janvier), je dois poser le PC avant le 30 Mars. On est pris dans nos accords fonciers par des délais relativement courts… mais longs pour les propriétaires. En moyenne, sur une opération de 30 logements, avec un propriétaire privé, on est sur des durées de promesse comprises entre 16 et 18 mois. En étape de négociation foncière, on a une offre, qui a une durée de validité, avant de signer la promesse de vente. (…) Une fois la promesse de vente signée, on a deux à trois mois pour déposer un permis de construire. Derrière, cela laisse peu le temps de faire un APD …

». 17

On voit bien que les promoteurs sont eux-mêmes pris au piège de ce jeu de la rentabilité. Alors comment maintenir la qualité architecturale dans ce genre de situations ? En travaillant davantage, malheureusement. Pour un permis de construire déposé le 18 Octobre, j’ai du travailler le week-end précédant le dépôt de permis, ainsi qu’une bonne partie des soirées de cette semaine. Manque d’organisation personnelle ? Non, juste une commission métropolitaine d’avant projet établie le Vendredi précédant le dépôt. Cela laisse peu de marge de manoeuvre pour rectifier les pièces graphiques avant la finalisation du permis. D’ou provient cette urgence de projet ? Pour mieux comprendre, intéressons nous au financement, le coeur du système de la promotion. Une opération immobilière peut être endossée par la société de promotion ou par une structure juridique ad hoc, en règle générale une Société Civile Immobilière (SCI). Pour rentabiliser son projet, le promoteur doit vendre la totalité des biens immobiliers plus cher que ne lui a couté les matériaux, la main d’oeuvre et le financement.

17 Extrait de la conférence tenu à l’école d’architecture dans le cadre du séminaire 04 d’HMONP, le 23/01/20

Concrètement, imaginons que le projet Avenue d’Arès soit une opération dont la vente escomptée est de 10 millions d’euros HT. Afin d’avoir une marge de 8% du chiffres d’affaires HT, le prix de revient de l’opération ne doit pas dépasser 9,2 millions d’euros HT. Le prix de revient englobe le budget d’achat de la parcelle, des études, des travaux et des honoraires financiers et techniques. Au moment du lancement du chantier, la répartition du budget se fait sur 4 postes principaux :

- Les fonds propres exigés par la banque : entre 10 et 12% Dans notre exemple, le promoteur devra avancer de sa poche 1 million d’euros HT.

- Les crédits apportés par la banque : entre 25 et 40% Une fois qu’on a l’autorisation d’acheter le terrain, et l’autorisation de précommercialisation, on met en place un crédit d’accompagnement qui va couvrir le pic de trésorerie, afin de financer les dépenses post-acquisition foncière : la construction, le complément d’honoraires de maîtrise d’oeuvre …

- La marge prévisionnelle de l’opération : entre 7 et 12%. Pour le montage des opérations, les banques demandent une rentabilité sur les projets : c’est ce que l’on appelle la couverture du risque. Ce risque en moyenne représente une marge prévisionnelle comprise entre 7 et 12% du chiffre d’affaires. La marge se calcule entre les prix de revient, c’est à dire les dépenses, et le chiffre d’affaires, les recettes, perçues sur l’opération. Elle est importante, à la fois pour les actionnaires qui vont venir investir en fonds propres mais aussi pour le banquier, qui lui regarde la couverture des risques.

- Les réservations des acquéreurs par ventes sur plans : entre 30 et 50% L’opération doit être couverte par un degré de commercialisation, mais aussi un degré de maîtrise des coûts techniques, avant que ne soient délivrés les financements. Les réservations des acquéreurs par ventes sur plans représentent ainsi une partie très importante du financement de l’opération. C’est ce qui explique l’empressement des promoteurs à acquérir les plans de vente. Et bien souvent cette rapidité est synonyme d’affaiblissement de la qualité spatiale du projet, n’ayant que très peu de temps à consacrer à leur élaboration.

Ce manque de temps s’est manifesté sur le projet Avenue d’Ares. J’ai procédé au dépôt du permis de construire le 18 Octobre, comme convenu. Un mois plus tard, des pièces complémentaires ont été demandées au permis, notamment des précisions concernant le plan paysage du projet. Un mois s’est encore écoulé qu’un avis défavorable du SDIS a été émis concernant la largeur de la voie engin qui avait été dessinée. Cette largeur était acceptée dans les communes environnantes, mais pas à Bordeaux. C’est donc un nouveau dépôt de permis qui a été effectué, trois mois après le premier. Cela montre véritablement qu’un délai supplémentaire dans la réalisation du permis de construire aurait permis un rendez-vous avec le SDIS en amont. Et ce rendez-vous aurait pu éviter des mois d’instruction supplémentaires. A trop vouloir économiser du temps, on finit toujours par en perdre.

This article is from: