9 minute read

C. Libérer l’espace : flexibilité et élasticité de l’espace

C. Libérer l’espace : flexibilité et élasticité de l’espace

Les coopératives d’habitat et les SCIC fonctionnent lorsque les futurs propriétaires s’investissent concrètement dans le projet d’architecture. Ce sont des initiatives qui demandent beaucoup de temps et d’énergie pour voir le jour. Cependant, tous les français n’ont pas la même patience et le même investissement quand il s’agit de leur habitat. Hors nous l’avons vu, le système de rentabilité économique du logement collectif laisse peu de marge de manoeuvre à l’architecte pour créer des logements aux qualités spatiales appropriées. Pour changer les choses, plusieurs architectes ont décidé de renverser la façon de concevoir. Ne plus penser en termes de logement, mais tout simplement en termes d’espace. De cette manière, le futur acheteur ou locataire aura plus de liberté dans l’agencement de son appartement. Il pourra suivre son évolution de vie, et s’adapter aux différents évènements qui la ponctue.

Advertisement

Cette recherche a commencé aux débuts des années 1920 en Europe. L’une des premières réalisations est signée Mies Van der Rohe, à Stuttgart. Il s’agit d’un immeuble de trois étages, de très faible profondeur, dans le quartier de la Weissenhofsiedlung. Les appartements sont traversants et transformables par l’habitant, grâce au système de cloisons amovibles et du plan libre. Dans l’hexagone, c’est à Henri Sauvage qu’est attribuée la première réalisation de logements collectifs dits évolutifs, en 1929. Situé rue des Amiraux à Paris, cet immeuble intègre des cloisons sèches démontables, rendant la modularité possible au sein des appartements. Les années d’après guerre vont constituer un levier important à l’expérimentation architecturale. La question de la mobilité est au centre du X ème CIAM tenu en 1956 à Dubrovnik. De nouvelles formes d’habitat sont proposées, guidées par des projets phares comme le prototype de la Maison au bord de l’eau de Charlotte Perriand (1934) ou encore le Cabanon de Le Corbusier (1950). Des logements mobiles, transportables ou réduits à de simples cellules équipées sont ainsi mis sur le devant de la scène architecturale. On parle de les réaliser à la chaine avec des matériaux à moindre coût, donnant lieu à une industrialisation de modules habitables et flexibles.

Il faudra attendre réellement le début des années 1970 pour voir émerger un groupe de travail intitulé «Mobilité-Flexibilité-Obsolescence». Suite au lancement du Plan Construction par l’état en 1971, les expérimentations théoriques faites sur le logement peuvent prendre vie. La notion d’habitat évolutif prend de l’ampleur et prend en compte dans sa définition l’intervention initiale ou permanente de son usager. Ce sont les prémices de l’habitat participatif contemporain. Le logement est réellement perçu comme un sujet d’expérimentation sociale et architecturale. A ce sujet, un certain nombre de projets des années 1970 sont connus sous le nom de REX ou Réalisations Expérimentales.

FIGURE 30 : Photographie des Marelles, Boussy-Saint-Antoine, 1973.

FIGURE 31 : Plan de niveau d’un bâtiment des Marelles, Boussy-Saint-Antoine, 1973 On retrouve bien l’ensemble des poteaux-gaines en béton préfabriqué disposés sur l’ensemble du projet. Ils permettent de libérer les espaces intérieurs des appartements. Chaque appartement était dessiné par son habitant.

Plusieurs opérations de logements évolutifs ont marqué la décennie des années 1970. Parmi elles, nous retrouvons :

- l’Ensemble de la Grand’Mare de Marcel Lods et Paul Depondt, à Rouen (76) - 1969 - les Marelles de Georges Maurios à Boussy-St Antoine (91) - 1973 - la ZUP de Surville, de Xavier Arsène-Henry et Bernard Schœller, à Montereau-FaultYonne (77) - 1958-75

La fabrication de ces opérations est relativement proche. La structure de l’édifice constitue une base pérenne pour l’accueil des cloisons et façades choisies par les habitants. Dans le cas de Marcel Lods, il s’agit d’une structure tout acier, sous la forme d’un plan libre. Georges Maurios mise sur des poteaux gaines en béton préfabriqué quand Xavier Arsène-Henry utilise des refends. Dans tous les cas, la rigidité du plan est résolue par une structure devenue moins massive au fil des années. En parallèle, ces opérations ont permis d’explorer la participation des futurs habitants, renvoyant à certains principes des coopératives d’habitat. Cependant, aux Marelles, le coût et la durée du processus a freiné le maitre d’ouvrage qui a décidé de stopper la participation. Sur les 100 logements de l’opération, seulement 15 ont pu bénéficié de ce dispositif, malgré les bons résultats auprès des habitants. Selon l’architecte Georges Maurios, l’échec de la participation sur ce projet serait due à deux facteurs. Le premier est la localisation du projet, situé à Boussy-St-Antoine et non à Paris. Le deuxième relève du processus : trop de liberté a été donnée aux habitants, ce qui fait qu’ils se sont retrouvés face à une copie beaucoup trop blanche pour réfléchir. Ce ne sont pas des architectes, ils visualisent beaucoup moins l’espace qu’un professionnel.

Les opérations de logements évolutifs des années 70 ont permis de faire remonter les qualités et défauts de ce type d’habitat. Les propositions faites par les architectes contemporains s’inspirent de ces expérimentations passées. On ne parle plus tellement d’habitat évolutif, trop connoté du siècle passé, mais de réflexions sur la pérennité de l’architecture. Face aux enjeux sociétaux actuels, qu’ils soient d’ordre socio-économiques ou environnementaux, la modularité et l’adaptabilité apparaissent comme des réponses potentielles. Elles font écho au nombre de vies d’un espace, d’un bâtiment, à sa capacité à traverser les époques tout en y adaptant les usages. La cité de l’architecture de Paris s’est intéressé à ce sujet en 2015. L’exposition « Un bâtiment, combien de vies ? » parle à la fois des différentes réhabilitations et constructions neuves traitant des thèmes de la réutilisation et du recyclage de l’espace. Dans le secteur du logement, deux stratégies complémentaires peuvent le pérenniser : la flexibilité et l’élasticité des espaces. La flexibilité traite les possibilités, pour une même surface, de transformer les espaces en fonction d’un usage, d’un événement ou d’une personne. L’élasticité permet d’additionner ou de soustraire des espaces d’un appartement, voir d’additionner plusieurs appartements.

FIGURE 32 : Plan de niveau du projet de logements de F. Soler, Clichy, 2001 Nous pouvons lire en plan la structure interne de l’édifice. Les appartements ne sont volontairement pas représentés, puisque l’architecte a souhaité mettre en avant la perennité de son édifice.

FIGURES 33, 34 et 35 : Photographies du projet de logements de F. Soler, Clichy, 2001 Surcesdocuments,lebâtimentnelaisseparaîtreaucunprogrammeprédéfini.Ilpourraitaussi bien s’agir d’un édifice de bureaux comme d’une opération de logements. La neutralité de la façade participe à ce flou programmatique.

Flexibilité

Parlons dans un premier temps de flexibilité. Plusieurs architectes contemporains, français ou étrangers, l’ont utilisé ces dernières années. Un premier projet est une opération de 70 logements de l’architecte Francis Soler, à Clichy, réalisé pour le bailleur social Batigere Sarel en 2001. La structure du gros oeuvre est réduite au minimum syndical avec des poteaux en béton haute performance et des noyaux durs de circulation verticale. L’effet « plan libre » obtenu permet un aménagement ou réaménagement perpétuel en fonction des besoins des habitants. L’enveloppe de l’immeuble se veut simple, neutre et répétitive, de manière à anticiper un éventuel changement d’affectation du bâtiment dans les années à venir. Un deuxième exemple est l’immeuble de la rue Chanzy de Bernard Buhler, pour le bailleur social Paris Habitat en 2007. Pour ce projet, l’architecte a utilisé un ensemble de portes coulissantes entre chacune des pièces constituant le logement. Le degré d’intimité est ainsi réglé et l’appartement peut se transformer en fonction des différents évènements rythmant la vie de son locataire. Il faut tout de même faire attention à la tenue acoustique de la porte coulissante. En effet, dans les années 1970, beaucoup d’utilisateurs se sont pleins du manque d’acoustique de ces dispositifs. Enfin, nous pouvons citer l’agence bordelaise L’atelier Provisoire pour leur projet de 9 logements sociaux à Pessac, pour le bailleur social Aquitanis, livrés en 2016. Dans cette opération, les pièces d’eau sont situées dans la trame centrale du bâtiment, laissant de part et d’autre de grandes surfaces libres. Les cloisonnements sont rendus possibles par un réseau de lisses en béton brut, fixées au plafond, suggérant un découpage des espaces. Ces cloisons en bois peuvent être démontées/remontées à la guise de l’habitant.

Plus récemment, l’architecte dijonnaise Sophie Delhay, en remportant l’équerre d’argent dans la catégorie habitat en 2019, fait figure de proue dans cette approche. Tout est parti d’une frustration, similaire à celle qui m’a fait entreprendre la rédaction de ce mémoire. Cette frustration, c’est que le logement d’aujourd’hui n’est plus en phase avec l’essence même de l’architecture. Il croule sous les normes et n’est plus à même d’offrir les qualités spatiales recherchées par les acheteurs. Après une parenthèse dans sa vie d’architecte, Sophie Delhay adopte dans sa méthodologie un questionnement quotidien. Sur chaque projet, elle s’interroge : « Comment faire autrement ? Comment prendre du plaisir sur ce projet ? ». De là découle un ensemble d’alternatives, tantôt rejetées, tantôt acceptées par la maitrise d’ouvrage. L’alternative qui nous intéresse ici concerne un ensemble de 40 logements modulaires à Dijon, financé par le bailleur social Grand Dijon Habitat. A vrai dire, nous ne devrions pas dire 40 logements, mais 240 pièces, dont 43 extérieures. Sortir du cadre ne signifie pas forcement bouleverser complètement le système, mais penser autrement, tout simplement. Si l’on ne pense plus un T2 comme « Chambre + Salon-Cuisine + Salle d’eau » mais comme un ensemble d’espaces auquel n’est attribué aucun programme, le travail de l’architecte reprend de l’importance. Bien sur, les pièces comme la cuisine ou la salle d’eau sont prédéfinies, notamment vis-à-vis des points d’eau. Mais pour le reste, Il laisse la liberté au futur acquéreur de pouvoir s’approprier les lieux comme il le souhaite, dans une société où les usages évoluent si rapidement. Sophie Delhay commencera bientôt un relevé des 240 pièces du projet, un an après la livraison du lieu. Le projet s’appelle « de 13 m 2 utilisée pour élaborer les logements. Unité(s) », en référence à l’unité carrée

FIGURE 36 : Plans de niveaux du projet de logements sociaux évolutifs, L’atelier Provisoire, Pessac, 2016

FIGURE 37 : Plan d’un appartementdu projet«Unité(s)» deSophieDelhay, Dijon L’appartement est livré dans la configuration située en haut à gauche. L’habitant aura ainsi la possibilité de l’aménager de trois manières différentes, au minimum.

FIGURE 38 : Photographies Avant/Après de la réhabilitation de la tour de Bois-le-Prêtre par Frédéric Druot et Lacaton&Vassal, Paris, 2011

FIGURE 39 : Photographies de la livraison et appropriation des logements d’Alejandro Aravena (ELEMENTAL) à Iquique, 2003

This article is from: