c D OS S I E R — C OMP L OTIS ME Rédaction : Jean-Luc Fournier Photographie : Nicolas Rosès - Simon Woolf - SkyNews - DR
artin parle de manière douce et apaisée de ce complotisme débridé qui a soudain envahi nos sociétés : « À mon avis, le point commun qui concerne tous les complotistes est sans doute un sentiment d’injustice doublé d’une volonté presque chevaleresque de protéger le faible vis-à-vis du fort. Très tôt, j’ai été sensible à ça : les copains de classe qu’on ostracise un peu à l’école primaire, le racisme dont sont victimes certains parents quand on est au collège… Un peu plus tard, au lycée, on est là à la mi-90, je fréquente des lycéens d’Arts pla très politisés, à l’extrême gauche comme de tradition. Ils se définissent comme anars. Pour m’intégrer je m’intéresse à la politique, je finis vite par rédiger des tracts, j’organise des manifs, on écoute beaucoup le groupe de hip-hop Assassin et on admire son chanteur, Rocking Squad… À l’époque, je cherche vraiment à comprendre d’où vient ce sentiment d’injustice que je ressens si fort. Je me confronte alors à la complexité du monde, la géopolitique, l’histoire contemporaine et je m’aperçois que tout est lié. Par ailleurs, on s’aperçoit très vite que les complots, objectivement, existent et que les mensonges d’État sont une réalité : la guerre du Vietnam dans les années 70, la guerre d’Algérie, la communication tant de l’URSS que des gouvernements occidentaux sur la nature et les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl… Je réalise alors que les valeurs que l’école m’a transmises sont souvent piétinées par les personnes qui sont chargées de les incarner, je parle des dirigeants nationaux. Une porte s’ouvre pour moi… je me rends compte qu’il faut aller au-delà de la lecture des journaux, des infos de la radio ou de la télé. À cette époque-là, il n’y a pas internet mais, autour de moi, j’ai une pléthore de lieux alternatifs et une flopée de réunions politiques où beaucoup de gens s’expriment et parlent haut. La plupart sont des militants et ont dépassé la vingtaine d’années et moi j’ai quinze ou seize ans… Peu à peu, je commence à croire à pas mal de choses sans avoir bien sûr la possibilité réelle de vérifier quoique ce soit… ».
Complotisme M « Un chaos est à l’horizon, c’est terrifiant… » Martin*, 40 ans, artiste-auteur à Strasbourg. Il remonte avec nous le fil de sa jeunesse pour évoquer les croyances qui ont pu l’envahir très tôt au fil des rencontres et qu’il a fini par éradiquer au prix d’un gros effort de raison et d’analyse avant de détailler les raisons profondes qui, selon lui, ont fait émerger comme jamais les théories complotistes les plus échevelées…
Martin
C’est la politique qui va tout cristalliser : « À ce moment-là, pour moi, l’ennemi ultime ce sont les USA. Et là-bas, il y la Zone 51. C’est le père d’un ami de lycée qui me parle le premier de cette base secrète dans le Nevada où on conserve le cadavre d’un extra-terrestre dont le vaisseau spatial s’est écrasé en 1947 près de la base américaine de Roswell, au NouveauMexique. Est donc présenté comme évident 70
c D OS SI E R — Complotisme
№40 — Avril 2021 — Or Norme a dix ans