Urbanne Nantes #27

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LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE de Julia Kerninon Les deux derniers mois ont été denses, fatigants, lumineux. Je finissais l’écriture d’un roman. Je me suis mise à mon bureau début janvier, quand l’enfant est retourné chez sa nounou après les fêtes. J’ai étalé sur le parquet les feuilles imprimées, avec les corrections de l’éditrice, j’ai fait du thé, et je me suis mise au travail. J’avais déjà achevé un livre avec un nouveau-né, mais c’était la première fois que je devais en conclure un enceinte. La première idée de ce livre date de 2005, je crois. J’étais à Berlin pour la première fois, et dans l’immeuble où je dormais vivait aussi un couple dont j’ai oublié les prénoms, mais dont les disputes spectaculaires dans les escaliers et l’amour pourtant évident m’avaient donné à penser. Mon livre ne dit pas un mot d’eux, mais c’est comme ça que ça a commencé. Les premières pages, je les ai écrites à ce moment-là, dans une petite nouvelle sans intérêt, qui mêlait leurs visages à la passion de mon grand-père maternel pour les vêtements blancs. D’autres pages ont été écrites des années plus tard, à Budapest, en 2012 – j’écrivais ce qui allait devenir mon premier roman, et de temps en temps j’ajoutais quelques lignes à cet autre manuscrit qui s’appelait alors « Alaska », et que j’envisageais comme un éventuel « pot-boiler », un livre simplissime avec un bon argument de départ, et qui mettrait peut-être du beurre dans les épinards, si je le finissais un jour. Mais je l’écrivais avec détachement, si bien que je m’en suis progressivement détachée. Quelques pages, pourtant, me semblaient bonnes – à propos de l’exercice de décoller du papier peint, de faire des métaphores empruntées au domaine de la pêche à un psy citadin, et quelques formules provocatrices sur le concept de liberté. Mais j’étais occupée, les années suivantes. J’ai écrit et publié d’autres livres. La nuit, parfois, j’ouvrais ce vieux document texte et je le relisais en buvant du vin, ajoutant une virgule ici, rayant une phrase là. Maintenant, il s’appelait « Anchorage, Alaska ». Mais il ne se passait pas tellement en Alaska – c’était simplement l’endroit où l’héroïne finissait par aller se réfugier à l’issue d’une vie qui était le vrai sujet,

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et qu’elle racontait intégralement, cachée dans sa chambre du Lakefront Hotel d’Anchorage, avant de se suicider en allant se perdre dans la neige pour expier ses péchés. Je n’ai jamais mis les pieds en Alaska, bien que j’en aie toujours rêvé. J’ai longtemps pensé m’y installer pour enseigner après mon doctorat – je m’y voyais dans un condo, côtoyant les trappeurs et les strip-teaseuses en parka. Mais ce n’est pas arrivé, et maintenant que je ne prends plus l’avion, je présume que ça n’arrivera pas. Alors, l’Alaska restera pour moi ce pays rêvé, le pays du Jamais-Jamais qui porte bien son nom. Il a même disparu de mon livre – il était son titre et sa structure, son mécanisme, et désormais le mot est introuvable dans le manuscrit, le titre a changé, personne ne devinera jamais, en le lisant, qu’il s’est un jour appelé comme ça. C’est comme une œuvre d’art conceptuelle, un tableau dont on aurait découpé un petit carré au centre pour faire une fenêtre qui serait le véritable événement. Je pense que j’ai repris le manuscrit plus sérieusement à l’automne 2018, parce que j’ai envoyé la première version à mon éditrice en janvier suivant. Jusqu’à l’été, j’y ai travaillé, mais j’avais alors un autre livre à terminer, et je n’ai pas avancé aussi bien que je le voulais. À l’automne, pourtant, j’ai dû en bricoler une version lisible, pour signer le contrat. Noël est arrivé. Et c’est comme ça que je me suis trouvée, début janvier, avec un texte inachevé, plein de promesses, plein de travail. J’ai compté le temps et les mots, j’ai passé tous les jours assise à mon bureau. J’ai calfaté, écopé, poli. J’ai coupé, supprimé, écrit. J’ai copié-collé, déplacé, réenvisagé, choisi. À cause du bébé donnant des coups dans mon ventre, jamais je n’avais travaillé aussi sagement ni calmement. Deux mois plus tard, les éditrices ont relu. Je suis de nouveau rentrée chez moi avec des feuilles de papier pleines de ratures, et j’ai continué, une semaine durant, d’arrache-pied. Et puis, hier soir, il y a eu ce sentiment particulier, qui est peut-être la raison pour laquelle j’écris des livres depuis toutes ces années – ce moment où, en parcourant le texte sur l’écran, il semble scintiller, parce qu’enfin chaque chose est à sa place, et alors j’ai su que j’avais terminé. 


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