NUMÉRO 423-424 EN VENTE DEUX MOIS
2022 ANNÉE SUR LE FIL
Les rebonds de la pandémie de Covid-19, l’irruption de nouveaux variants, les incertitudes économiques et politiques font peser un stress intense. Pourtant, les scénarios de sortie de crise existent…
ET AUSSI Côte d’Ivoire Sur le chemin de demain Dossier spécial 26 pages Le futur parc des expositions d’Abidjan.
Entretien
MAHAMAT-SALEH HAROUN «JE VEUX PROVOQUER LE DÉBAT»
Interview
YASMINE CHAMI «QUELQUE CHOSE EST À RÉINVENTER POUR LES HOMMES»
Rencontre FEMI ET MADE KUTI «LE SENS DE NOTRE HÉRITAGE»
DÉCOUVERTE
Djibouti LES PILIERS
DE L’ÉMERGENCE
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États- Unis 8 ,99 $ Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
N° 423-424 - DÉC.2021-JANV.2022
L 13888 - 423 - F: 5,90 € - RD
R A T S P O SÉROP Aujourd’hui, avec les traitements, une personne séropositive peut avoir des enfants sans transmettre le VIH. Plus d’infos sur QuestionSexualité.fr
Réalisé dans le respect des protocoles sanitaires. Continuons de respecter les gestes barrières. Continuons de porter un masque partout où il est recommandé par les autorités scientifiques.
édito PAR ZYAD LIMAM
DIVIDENDE DÉMOGRAPHIQUE En 2100, c’est-à-dire dans un peu plus de soixante-dix ans, ce qui n’est pas grand-chose à l’échelle de l’histoire humaine, et ce qui n’est pas si loin pour les enfants qui naissent aujourd’hui, 40 % des Terriens seront africains. À cet horizon, nous serons alors aux alentours de 4 milliards (dont 3 milliards pour l’Afrique subsaharienne à elle seule) pour une population globale de 8 à 9 milliards d’habitants. Le Nigeria aura près de 700 millions de résidents. Et le Niger aux alentours de 200 millions ! L’Afrique sera alors, avec le Moyen-Orient, une exception, toutes les autres régions du monde voyant leur population diminuer ou se stabiliser. La Chine pourrait revenir à 1 milliard d’habitants (moins que sa population de 2021). Certains pays, comme le Japon ou la Russie, l’Italie et même l’Espagne, pourraient perdre 40 % à 50 % de leur population. Les États-Uniens seraient alors un peu plus de 400 millions dans un pays fortement métissé avec une minorité « blanche ». Ces chiffres, et leurs implications stupéfiantes sur la marche du monde, sur les équilibres politiques et sociaux internes sont à prendre avec précaution. Ils sont basés sur des modèles mathématiques. Et 2100 reste un horizon très lointain, toutes sortes d’événements politiques, sanitaires, climatiques pourraient intervenir. Mais la tendance de fond est là, au moins sur le moyen terme, sur une ou deux générations à venir. C’est la puissance de « l’inertie démographique ». Sans se projeter jusqu’à 2100, l’Afrique va devoir absorber une formidable poussée démographique. Même si la fécondité baisse et les taux de mortalité également, le continent pourrait compter en 2050 entre 1,6 et 2 milliards d’habitants. Dont l’immense majorité sera jeune, très jeune. Un véritable choc qui n’est pas encore suffisamment dans notre débat public. Sauf pour s’écharper sur les questions religieuses ou sur la question hautement taboue du contrôle des naissances. Pourtant, la question démographique est au cœur des enjeux africains. La limitation des AFRIQUE MAGAZINE
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naissances est la pierre angulaire des scénarios positifs et de la théorie du « dividende démographique ». Quand la fécondité chute rapidement dans un pays, la part des très jeunes diminue fortement, sans que la part des personnes âgées n’augmente sensiblement au début. Par contre, la population d’âge actif augmente nettement, offrant une opportunité de développement économique : création d’un marché de consommateurs, emplois… Cette fenêtre ne dure qu’un temps, quelques décennies. Lorsque la population vieillit à nouveau, la fenêtre se ferme progressivement, faute d’un nombre de nouveaux actifs suffisants et avec le poids des gens âgés… Mais pour que cette opération magique fonctionne, il faut aussi et surtout créer des emplois, des potentialités pour cet afflux de jeunes. Il faut de la croissance et des économies en marche. Il faut former également ces cohortes de nouveaux travailleurs. Sinon, les actifs rejoignent le rang des chômeurs et de la précarité informelle, entraînant une situation sociale explosive… Le chemin vertueux du dividende démographique (croissance, opportunités, contrôle des naissances), c’est le parcours que la Chine a vécu. Au Brésil, en Argentine, en Amérique latine, d’une manière générale, faute d’emplois suffisants et de créativité économique, le « dividende » fonctionne nettement moins bien. Pour nous, Africains, les choix sont limpides. Quoi qu’en disent les théoriciens de la population nombreuse, pour qu’il y ait un futur jouable, notre nombre doit se stabiliser, les naissances doivent baisser, nous devons nous orienter vers des familles nucléaires à quatre ou cinq. Et les énergies doivent toutes tendre vers le développement économique et l’imagination de nouveaux modèles. D’ici là, je vous souhaite à toutes et tous une année 2022 plus paisible, d’être pleinement vaccinés, énergiques et actifs au cœur du monde. ■
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N ° 4 2 3 - 4 2 4 - D É C E M B R E 2 0 21 - J A N V I E R 2 0 2 2
ÉDITO Dividende démographique
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par Zyad Limam
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ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Les rois sont de retour
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PARCOURS Youness Miloudi
par Zyad Limam
par Emmanuelle Pontié
100 CE QUE J’AI APPRIS Dobet Gnahoré
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Stratégie : Le PND fixe le cap
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Agriculture : Le défi de la transformation
130 VINGT QUESTIONS À… Willy Dumbo par Astrid Krivian
par Francine Yao
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2022 ANNÉE SUR LE FIL Entretien
MAHAMAT-SALEH HAROUN «JE VEUX PROVOQUER LE DÉBAT»
Interview
YASMINE CHAMI «QUELQUE CHOSE EST À RÉINVENTER POUR LES HOMMES»
AM 423 COUV UNIQUE.indd 1
Secteur privé : La priorité nationale par Francine Yao
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Rencontre FEMI ET MADE KUTI «LE SENS DE NOTRE HÉRITAGE»
Environnement : Les dossiers chauds du développement durable par Jihane Zorkot et Nabil Zorkot
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DÉCOUVERTE
Djibouti LES PILIERS
DE L’ÉMERGENCE
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États- Unis 8 ,99 $ Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
Infrastructures : Une envergure stratégique par Francine Yao
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Les rebonds de la pandémie de Covid-19, l’irruption de nouveaux variants, les incertitudes économiques et politiques font peser un stress intense. Pourtant, les scénarios de sortie de crise existent…
Le futur parc des expositions d’Abidjan.
Inclusivité : Lutter contre les inégalités par Francine Yao
NUMÉRO 423-424 EN VENTE DEUX MOIS
Dossier spécial 26 pages
P.06
par Jean-Michel Meyer
par Astrid Krivian
Côte d’Ivoire Sur le chemin de demain
Éthiopie : Le géant à terre
DOSSIER CÔTE D’IVOIRE 54 En allant vers demain
C’EST COMMENT ? Bonne année !
ET AUSSI
par Zyad Limam, Frida Dahmani, Emmanuelle Pontié et Cédric Gouverneur
par Cédric Gouverneur
par Fouzia Marouf
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TEMPS FORTS 2022, année sur le fil
N° 423-424 - DÉC.2021-JANV.2022
L 13888 - 423 - F: 5,90 € - RD
06/12/21 10:26
PHOTOS DE COUVERTURE : PAUL GRANDSARD/SAIF IMAGES AMANDA ROUGIER - DR - AMANDA ROUGIER
Portfolio : Abidjan, au centre de son monde
P.44
par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
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AFRIQUE MAGAZINE
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423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
DR - FINBARR O’REILLY/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
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FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin
llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
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Mahamat-Saleh Haroun : « Je veux provoquer le débat »
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Yasmine Chami : « Quelque chose est à réinventer pour les hommes »
P.54
par Astrid Krivian
Femi et Made Kuti : « Le sens de notre héritage »
VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
par Astrid Krivian
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Arab et Tarzan Nasser : « Cette histoire peut être universelle »
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00
par Fouzia Marouf
DÉCOUVERTE 103 Djibouti : Les piliers du futur
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NABIL ZORKOT - SÉBASTIEN LEBAN/DIVERGENCE - PATRICK ROBERT
par Zyad Limam et Thibaut Cabrera
104 Une ouverture vers le grand large 108 Ahmed Osman : « Nous devons compter aussi sur nos propres forces » 110 Les 10 piliers de l’émergence
BUSINESS
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ
par Jean-Michel Meyer I
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120 La bataille du rail 124 Vers la fin du monopole d’Air Algérie 125 Le Nigeria lance sa propre monnaie numérique 126 L’Afrique a (enfin) son plan pour le climat 128 Ça bouge dans le mobile banking 129 Un outil pour booster les échanges intrarégionaux
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Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Muriel Boujeton, Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Marc Frohwirth, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Aimé Kalagadi, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Francine Yao, Jihane Zorkot, Nabil Zorkot.
par Catherine Faye
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Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : décembre 2021. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.
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ON EN PARLE
LÉO DELAFONTAINE/MUSÉE DU QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
Le musée du quai Branly a exposé ces trésors royaux du 26 au 31 octobre dernier, avant leur restitution.
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RESTITUTION
LES ROIS SONT DE RETOUR
Quelque 26 PIÈCES DU PATRIMOINE BÉNINOIS, prises de guerre datant de 1892, ont été rendues par la France à leur pays natal. AU TERME D’UN LONG VOYAGE dans l’histoire et à travers le temps, les fiertés dahoméennes vont se reposer pour un bon mois encore dans leurs caisses sécurisées. Les regalia de trois rois souverains (Béhanzin, Glèlè, Ghézo), enjeux d’une bataille diplomatique inédite, ont regagné le Bénin « pour notre bien, notre tranquillité, notre sérénité », a souligné Patrice Talon. Après leur long exil parisien, ils seront bientôt présentés au palais de la Marina, puis transportés au Fort portugais de Ouidah le temps d’édifier à Abomey le musée de l’épopée des Amazones
SARAH MEYSSONNIER/POOL/AFP
La signature de l'acte de transfert a eu lieu en France, à l’Élysée, le 9 novembre, en présence des deux chefs d'État (au second plan), du ministre béninois du Tourisme Jean-Michel Abimbola et de la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot (au premier plan).
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et des rois du Danhomè, l’écrin ultime présenté comme le symbole de la nouvelle alliance culturelle franco-béninoise. D’ici là, peut-être auront-ils été rejoints par les œuvres restées derrière, « le dieu Gou des métaux et de la forge, la tablette du fâ, l’œuvre mythique du devin Guèdègbé, et beaucoup d’autres », comme l’a rappelé le président béninois devant Emmanuel Macron à l’occasion de la signature officielle à l’Élysée le 9 novembre. Manière de pointer que tout ne fût pas si facile, entre la demande de restitution refusée en 2016 par François Hollande, l’ouverture macronienne en 2017 à Ouagadougou, la pression maintenue par l’exécutif béninois, et enfin le rapport Sarr-Savoy de 2018 qui devait faire sauter tous les verrous. Offertes au musée d’ethnographie du Trocadéro entre 1893 et 1895, les prises de guerre du colonel Alfred Dodds auront connu un départ en fanfare en octobre, lors d’une semaine culturelle du Bénin au musée du quai Branly, conclue par un concert quasi liturgique de Sagbohan Danialou. Une opération gagnant-gagnant pour Paris et Cotonou, un « moment post-colonial » qui envoie des signaux au Nord comme au Sud, ici pour questionner l’attentisme, là pour aiguillonner les pusillanimes. Très à la manœuvre, le diplomate Aurélien Agbenonci peut se féliciter d’avoir ouvert la piste avec ce premier épisode d’une série de restitutions de biens patrimoniaux au continent. ■ Aimé Kalagadi 7
ON EN PARLE SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ Mykki Blanco
Broken Hearts & Beauty Sleep, Transgressive Records/[PIAS]
Après un premier album éponyme, en 2016, Mykki Blanco revient avec neuf nouveaux titres nourris de son amour pour le R’n’B des années 1990. Il y parle de ses relations affectives, lui qui s’assume comme personne transgenre, avec ses blessures et ses angoisses – et ne cache pas sa séropositivité. S’offrant de jolis featurings (Jamila Woods, Blood Orange), Mykki Blanco balance ici son flow puissant avec sensibilité.
Chant amazigh, Habibi Funk
LES GARDIENS MUSULMANS DE LA MÉMOIRE JUIVE
Notre nouveau coup de cœur du label Habibi Funk, dénicheur de trésors orientaux oubliés ? L’Algérien Majid Soula, dont la musique croise avec aisance highlife, funk et disco. Sans oublier un sens de l’engagement, qui s’entend dans cette compilation. Elle ouvre les portes de l’univers de cet artiste exilé à Paris mais toujours attaché à la langue tamazight, dont il est l’un des plus fascinants défenseurs.
La JUDAÏTÉ MAROCAINE est entretenue avec respect, et parfois nostalgie, en bien des lieux du royaume. « QU’EST-CE QUE LE MAROC serait devenu si les Juifs étaient restés ? » se demande un journaliste dans le nouveau documentaire de Simone Bitton. La cinéaste, après avoir beaucoup tourné auprès de Palestiniens, retrouve le pays de son enfance, où près de 300 000 juifs vivaient jusque dans les années 1950. Depuis leur départ, les synagogues, cimetières et sanctuaires sont entretenus par des musulmans, gardiens scrupuleux d’une mémoire qui souvent s’efface. L’occasion de traverser des paysages méconnus, à la découverte de bâtiments ou de ruines, parfois de simples sources. Et de rencontrer ces musulmans, femmes et hommes de tous âges, qui perpétuent cette mémoire pour des raisons financières mais aussi familiales et sentimentales, apprenant l’hébreu pour déchiffrer les tombes ou manipulant avec respect les objets les plus sacrés du judaïsme. Un beau dialogue des religions en terre d’islam, au prix de quelques ellipses sur les raisons de cet exode. Le film ne l’évoque pas non plus, mais il éclaire le récent rapprochement opéré par le royaume chérifien avec Israël. ■ Jean-Marie Chazeau ZIYARA (France-Maroc-Belgique), de Simone Bitton. En salles. 8
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❸ Meskerem Mees
Julius, Mayway Records
Attention, révélation ! La voix bien perchée, les textes délicats et la guitare acoustique en bandoulière, Meskerem Mees est une nouvelle recrue de la scène belge, fière de ses origines éthiopiennes. « Seasons Shift », « Parking Lot », « Queen Bee », « Where I’m From »… Le temps de 13 morceaux, cette musicienne, autrice et compositrice de seulement 22 ans enchaîne des bijoux de folk dépouillé, mélancoliques sans être moroses. Lumineux aussi. ■ Sophie Rosemont DR
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❷ Majid Soula
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Le chorégraphe et DJ ougandais Faizal Mostrixx.
AFRICOLOR, ENTRE HÉRITAGE ET MODERNITÉ FE S TIVAL
AFRICOLOR,
dans différents lieux de l’Île-de-France, jusqu’au 22 décembre. africolor.com
FAIZAL MOSTRIXX
Cette 33e édition croise artistes légendaires, NOUVEAUX TALENTS et projets transculturels. JALONNÉE DE CRÉATIONS INÉDITES, la programmation bigarrée du festival Africolor, qui a démarré le 12 novembre, poursuit l’ambition de faire résonner le large spectre des créativités musicales du continent, conjuguant héritage et modernité, sonorités traditionnelles et fièvre électro des scènes urbaines. La voix d’or de la Guinée, Sékouba Bambino, ex-membre du mythique Bembeya Jazz, se produira avec Afriquatuors, un projet de musique de chambre africaine (à cordes et à vent), qui revisite l’âge d’or des orchestres des années 1965-1975 (afrobeat, highlife, rumba…). Girls band AFRIQUE MAGAZINE
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malien, Les Go de Bamako seront, elles, accompagnées par DJ Majo. Conteur, producteur, chorégraphe et DJ ougandais, Faizal Mostrixx offrira quant à lui un show afrofuturiste, entre danse et art visuel. Avec Concerto pour soku, les violonistes Adama Sidibé et Clément Janinet feront dialoguer cordes mandingues et peules avec le jazz. Et les spectacles Indépendances Cha Cha nous raconteront les premières années des indépendances de plusieurs pays à travers la voix de leaders emblématiques : Sékou Touré, Patrice Lumumba ou encore Léopold Sédar Senghor. ■ Astrid Krivian
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ON EN PARLE Amina (Achouackh Abakar Souleymane) va tout faire pour aider sa fille de 15 ans, Maria (Rihane Khalil Alio), qui est enceinte.
DRAME
UN COMBAT DE FEMMES
Un film PRO-AVORTEMENT lumineux dans un Tchad dominé par le patriarcat et LA RELIGION… POUR SON RETOUR AU PAYS (quatre ans après Une saison en France), le cinéaste franco-tchadien Mahamat-Saleh Haroun [voir son interview en pp. 80-85] a posé sa caméra dans les faubourgs de N’Djamena et inscrit sa nouvelle fiction dans la lumière mordorée de la capitale du Tchad. On y voit vivre et travailler Amina, qui élève seule Maria, sa fille de 15 ans, ce qui est mal vu par ses voisins, sa famille, et l’imam du quartier… Mais Amina se débrouille, gagne de l’argent en récupérant des pneus pour en tirer astucieusement de quoi réaliser des petits fourneaux, séquences particulièrement réussies qui ancrent le personnage dans la réalité d’un quotidien de labeur et montre une personnalité volontaire. De la volonté, il lui en faudra encore quand sa fille tombera enceinte : le scénario réserve quelques surprises, dénonçant au passage un patriarcat toujours aussi violent, même lorsqu’il
se cache derrière des sourires faussement protecteurs… Maria est exclue de son lycée qui craint pour sa réputation, rejetée par les médecins qui ne veulent pas pratiquer un avortement strictement prohibé, mais l’adolescente et sa mère vont finir par trouver de l’aide et du réconfort auprès d’autres femmes. « Lingui » signifie « lien » : ici, une sororité se fait sentir et montre une réalité plus complexe qu’il n’y paraît, même si les hommes accaparent tous les pouvoirs. Un film résolument du côté des femmes (jusqu’à la vengeance, discutable…), servi par l’interprétation intense de son actrice principale, et toujours chez ce grand cinéaste un sens graphique de l’image qui fait aussi le bonheur des spectateurs. ■ J.-M.C. LINGUI, LES LIENS SACRÉS (France-Tchad ), de Mahamat-Saleh Aroun. Avec Achouackh Abakar Souleymane, Rihane Khalil Alio, Youssouf Djaoro. En salles.
CINÉ
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PILI FILMS MATHIEU GIOMBINI - DR
Les enfants de la soul
Memphis est l’une des villes les plus pauvres des États-Unis, et pourtant, son héritage artistique est plus qu’impressionnant. En témoigne l’histoire cousue (de disques) d’or de son légendaire label, Stax Records, lequel revit, depuis 2000, grâce à une école de musique gratuite et extrascolaire. C’est ce qu’est allé filmer le Français Hugo Sobelman, en insider accueilli à bras ouverts. Au programme : reprises de grands classiques, tel « Soul Man », de Sam & Dave, et tables rondes autour de la question du racisme systémique. Ici, une artiste activiste demande aux jeunes de sortir du rap négatif qui enferme les nouvelles générations dans une représentation très loin de leur réalité et de leurs désirs. Comme le montre ce documentaire épuré et nécessaire, la soul leur sert de moteur autant que de refuge. Vive la Stax Music Academy ! ■ S.R. SOUL KIDS (France), d’Hugo Sobelman. En salles.
L I T T É R AT U R E
AHMET ALTAN
L’ART D’AIMER
DR
Quelques mois après sa libération, le journaliste et ÉCRIVAIN TURC a reçu le prix Femina étranger 2021 pour Madame Hayat. Un roman flamboyant, à la fois politique et érotique. LES MOTS PÉNÈTRENT de part en part ce fervent défenseur de la démocratie et de la liberté. Lorsqu'il était incarcéré dans la prison de haute sécurité de Silivri, à la périphérie d’Istanbul, après avoir été accusé d’avoir indirectement participé au coup d’État raté du 15 juillet 2016, c’est l’écriture qui lui a permis à la fois de résister à la prison et d’en sortir, avec trois livres, tous imaginés depuis sa cellule. Pendant quatre ans et sept mois, l’écrivain et essayiste turc a vécu par l’imagination en ignorant la réalité carcérale qu’on lui imposait. « Je ne suis ni où je suis, ni où je ne suis pas. Vous pouvez m’enfermer où vous voulez. Sur les ailes de mon imagination infinie, je parcourrai le monde entier », écrit-il dans Je ne reverrai plus le monde, paru en 2019. La cour de cassation a finalement annulé sa condamnation (à perpétuité dans un premier temps, puis à dix ans et demi), et il a été libéré le 14 avril dernier. La veille, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la Turquie pour la détention de l’intellectuel, âgé de 71 ans. Madame Hayat a été écrit avant qu’il ne recouvre sa liberté. C’est peut-être pour cela que cette poignante histoire d’amour, évoquant en creux la Turquie actuelle, respire à la fois la mélancolie, la solitude, mais AFRIQUE MAGAZINE
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aussi le désir, le trouble. Fazil, jeune étudiant en lettres, a un coup de foudre pour une femme d’âge mûr, fascinante, voluptueuse : « Soudain, je vis les chaussures café, elles étaient là, sous mes yeux, leurs pointes tournées vers moi. − Qu’est-ce que tu attends avec cet air triste ? » Dans ce récit d’une éducation sentimentale et d’une prise de conscience politique, l’héroïne incarne l’ardeur, l’effusion, le libre arbitre. Et la littérature, un ultime recours face aux violences et à l’arbitraire. ■ Catherine Faye
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AHMET ALTAN, Madame Hayat, Actes Sud,
272 pages, 22 €.
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ON EN PARLE
COLLECTIF
SUPER BITON DE SÉGOU MALI STYLE
SUPER BITON DE SÉGOU, Afro Jazz Folk Collection vol.1,
Deviation Records.
Une porte d’entrée pour les néophytes et des retrouvailles pour les amateurs : cette compilation éclaire le brillant corpus du CÉLÈBRE ORCHESTRE. APRÈS AVOIR REMIS au goût du jour le groupe de musique mandingue The Lost Maestros, le label Deviation Records poursuit son travail d’exploration de la ville de Ségou et publie une compilation des morceaux de Super Biton de Ségou : un collectif riche d’instrumentistes tout dévoués à la fusion du jazz, des mélodies cubaines et mandingues, du funk et du folk, et, bien sûr, de la tradition malienne, lancé au début des années 1960.
Si l’un de ses piliers, Amadou Bah, a depuis disparu, le guitariste Mama Sissoko a pris la relève depuis une vingtaine d’années, cultivant l’énergie live légendaire de l’orchestre. Sur ce disque – le premier d’une série à venir –, Afro Jazz Folk Collection, on entend plusieurs grands classiques du groupe remastérisés par l’ingénieur du son français Raphaël Jonin, tels le majestueux « Kamalen Wari » et le fiévreux « Ndossoke ». ■ S.R.
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423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
FRANÇOISE HUGUIER - DR (2)
Les yeux brûlés
« SI J’AVAIS SU ce qui se passait en Lybie, je n’y serais jamais allé. » Traumatisé par ce qu’il a vu et subi dans les geôles libyennes, où sont entassés et torturés les migrants voulant rejoindre l’Europe, Yancouba Badji a renoncé à une cinquième tentative. Accueilli dans un centre tunisien, débordé, il est retourné en Casamance pour mettre en garde les candidats à un exil, qui est d’abord un chemin pavé de rackets, de violences et de morts. Deux réalisatrices françaises l’ont rencontré en Tunisie, puis au Sénégal. Elles l’ont filmé au contact de ses camarades d’infortune, mais aussi en pleine création : il transcende par la peinture ce que ses yeux, brûlés par le soleil du désert et le sel de la mer, ont enregistré, désormais exposé dans les galeries d’art. Comme ce film pudique mais frappant, ses toiles témoignent d’une terrible réalité que beaucoup refusent de voir… ■ J.-M.C. TILO KOTO (France), de Sophie Bachelier et Valérie Malek. En salles.
PHOTOS
L’UN EST L’AUTRE
À la fois livre et revue, cette PUBLICATION HYBRIDE questionne la manière dont les artistes mettent en images les identités plurielles.
JOHNY PITTS
Peckham Road, Union Jack Cap, Peckham High Street, Johny Pitts, 2021.
JAUNE ET BLEUE. La nouvelle édition de The Eyes claque. Elle joue sur le yin et le yang. La confluence et la fusion. Ce n’est pas un hasard si elle s’intitule B-Side. Comme une invitation à découvrir la face cachée. L’autre part de soi-même. Plus exactement, elle explore ce que signifie être « afropéen » (c’est-à-dire à la fois noir et européen), à l’aune du collage percutant, en début d’ouvrage, de la photographe Jazz Grant : un montage d’images où un jeune homme translucide porte en lui un instantané de son père à la peau sombre, pêchant dans le fleuve. C’est cet entre-deux identitaire que AFRIQUE MAGAZINE
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The Eyes a choisi d’explorer, en écho aux propos sur la liberté de l’écrivain nigérian Chinua Achebe, cités en préambule : « L’art est l’effort constant de l’homme pour créer pour lui-même un ordre de réalité différent de celui qui lui est imposé ; une aspiration à s’accorder, par le biais de son imagination, une deuxième prise sur l’existence. » Ce numéro s’en fait le reflet. Et l’investigateur. À travers photographies, création visuelle et textes engagés. ■ C.F.
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The Eyes #12: B-Side, 240 pages, 25 €. 13
ON EN PARLE
MUSIQUE
Muthoni Drummer Queen
Rappeuse de diamants La REINE DU HIP-HOP KÉNYAN revient avec un quatrième album, River, qui résume à lui seul la dextérité de son flow.
MUTHONI DRUMMER QUEEN,
River, Yotanka.
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BRET HARTMAN/COURTESY OF TED - DR
DEPUIS TOUJOURS, Muthoni Drummer Queen est très active sur la scène kenyane. « Parce que celle-ci est très dynamique, dans toute son émergence et son effervescence, affirme-t-elle. Nous ne formons pas qu’un ensemble uniforme. Au contraire, notre musique ne cesse de grandir et d’évoluer, et je cherche à ce que les gens découvrent cette expérience qui est la nôtre. Je suis convaincue que nous avons l’une des cultures urbaines les plus intéressantes et complexes de toute l’Afrique. » Née dans la capitale, Muthoni Ndonga ne l’a jamais quittée. Diplômée en relations internationales et en philosophie à l’United States International University Africa, elle a fondé à Nairobi deux festivals : Blankets and Wine et Africa Nouveau. Grande lectrice, notamment de Maya Angelou, elle est non seulement chanteuse, mais également batteuse et percussionniste. Et c’est ce qui donne, sans doute, tant de saveur à ses mélodies percussives depuis la sortie de son premier album, The Human Condition, en 2009. Et quel meilleur langage que le rap pour exprimer ses convictions ? « Grâce à la pluralité des sons du hip-hop, les sujets sont nombreux et permettent de parler de politique, de société, ou tout simplement de faire le vantard, analyse l’artiste. De plus, la culture du sample apporte des influences éclectiques et de l’authenticité. » Après un She (2018) revendiquant sans détours son féminisme, la voici de retour avec le très réussi River. À la production, ses fidèles complices suisses, Greg Escoffey et Jean Geissbuhler. Après une tournée bouillonnante en 2019, le trio a eu envie de traduire cette énergie en studio où l’ambiance était, selon les termes de Muthoni Drummer Queen, « joyeuse, lumineuse, fun » : « Nous cherchions à faire une musique qui rende les gens heureux. » De l’impressionnante ouverture « Automatic » à la conclusion épique (bien nommée) « Greatness », la rappeuse se nourrit d’un terreau R’n’B comme des possibilités de l’électronique. Elle s’allie avec Sauti Sol sur une « Love Potion » endiablée, rappelle ce qu’est l’« African Fever »… et met en lumière son « Power » ! ■ S.R.
ÉPÉE DE DAMOCLÈS
THRILLER
Un JEU DE DOMINOS, où les principales puissances planétaires défient l’inéluctable.
CE GALLOIS AFFABLE et rieur est aujourd’hui considéré comme l’un des écrivains les plus populaires du monde. Traduits en plus de 30 langues, les romans de la saga médiévale de Ken Follett, intitulée « la fresque de Kingsbridge », ont captivé une foule de lecteurs, avec 47 millions d’exemplaires vendus. Si l’histoire, l’espionnage ou le thriller n’ont plus de secrets pour lui, c’est l’actualité brûlante et la peur d’une guerre nucléaire qui l’ont guidé dans l’écriture de ce récit. Hyperréaliste, le propos s’appuie sur une escalade progressive de conflits, de réactions, de décisions. Comme dans la vraie vie. Cap sur le Tchad et le Soudan, où la Chine étend sournoisement son pouvoir dans le désert, tandis que les renseignements français pistent des djihadistes qui exploitent à la fois mines d’or et camps d’esclaves. Le massacre d’une centaine de Chinois par un drone américain met soudain le feu aux poudres. Et le fragile équilibre mondial bascule. ■ C.F. KEN FOLLETT, Pour rien au monde,
Robert Laffont, 880 pages, 24,90 €.
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ON EN PARLE
« CARTIER ET LES ARTS DE L’ISLAM : AUX SOURCES DE LA MODERNITÉ »,
Coffret, Iran,
XIXe siècle.
Musée des arts décoratifs, Paris (France), jusqu’au 20 février 2022. madparis.fr
EXPOSITION
PARURES ENCHANTÉES L’impact de la découverte des ARTS DE L’ISLAM dans le processus de création de l’illustre maison de haute joaillerie CARTIER.
Diadème Cartier, 1936. Plus de 500 bijoux d’exception sont exposés.
Panneau de revêtement, Iran, fin XIVe -XVe siècle.
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HERVÈ LEWANDOWSKI/RMN-GP - DR (3) - RAPHAEL CHIPAULT/RMN-GP
À TRAVERS PLUS DE 500 BIJOUX d’exception et objets de la maison Cartier (chefs-d’œuvre de l’art islamique, dessins, livres, photographies et documents d’archives), cette flamboyante exposition du musée des Arts décoratifs allie raffinement et modernité. D’un plumier indien du XVIe siècle, dit de « Mirza Muhammad Munshi », en ivoire de morse sculpté, gravé et incrusté d’or, de turquoises, de pâte noire et de soie, à un collier draperie signé Cartier, en or, platine, diamants, améthystes et turquoises, commandé en 1947 par le duc de Windsor pour la duchesse, chaque pièce est un trésor. En montrant de quelle manière les arts de l’islam ont inspiré la maison de haute joaillerie du début du XXe siècle à nos jours, c’est aussi tout un pan de l’histoire du goût et de l’effervescence créatrice de Paris, haut lieu du commerce de l’art islamique, qui est évoqué. À cette époque, Cartier, créée en 1847, commence à concevoir ses propres bijoux et cherche de nouvelles sources d’inspiration. Le langage géométrique, aux confins de l’abstraction, des arts et de l’architecture de l’islam, insufflant ainsi une esthétique nouvelle. Et moderne. ■ C.F. I
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BIOPIC DR
LA VICTOIRE EN DOUBLE
Une PASSIONNANTE PLONGÉE dans l’Amérique des années 1990 et le business du tennis. Et un WILL SMITH inattendu en père des sœurs Williams, strictement coachées pour devenir « un modèle pour toutes les petites filles noires de la planète »… « NE PAS PLANIFIER, c’est planifier ton échec » : la pancarte est accrochée sur les grilles du pauvre court de tennis de la ville de Compton (Californie) par Richard Williams quand il emmène ses filles, Venus et Serena, s’entraîner après les cours et les devoirs, même sous la pluie. Car il a un plan précis pour deux de ses cinq enfants : une carrière au sommet du tennis mondial… Partir de rien et devenir « un modèle pour toutes les petites filles noires de ce pays, et de la planète ». Il est tout aussi exigeant avec ses trois autres filles, mais joueur de tennis lui-même, il est sûr d’amener Venus, puis Serena, au sommet avec le soutien de son épouse. Il a d’ailleurs tout prévu avant leur naissance, écrit un plan en 75 pages pour y parvenir, sans moyens financiers mais en approchant les meilleurs entraîneurs, et en ne lâchant jamais sa progéniture. C’est à la mise en pratique de cette méthode que nous assistons pendant 2 h 40, mélange de feel good movie et de film sportif, mené tambour battant par ce père entraîneur parfaitement incarné par Will Smith, personnage roublard, têtu, ordurier et égocentré, mais aussi sensible et audacieux. AFRIQUE MAGAZINE
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Sans oublier le couple qu’il forme avec sa femme (Aunjanue Ellis), forte personnalité elle aussi et complice de cette ambition à pousser les deux sœurs hors du ghetto afro-américain dans lequel tout conduirait à les enfermer. Leurs repères : Dieu, la famille, l’éducation et le tennis. Et beaucoup, beaucoup de travail. Manque pourtant à ce parcours et ce coaching pas comme les autres le ressenti des enfants, et la violence sourde du racisme ordinaire, à peine évoqué, alors que les joueuses ont dû l’affronter plus d’une fois dans leur carrière. Une scène l’évacue d’un sourire quand, traversant un club de tennis où tout le monde est blanc et les regarde avec insistance, Richard Williams dit à ses filles : « Ils sont pas habitués, on est trop beaux… » Le jeune cinéaste afro-américain Reinaldo Marcus Green a réussi un film (coproduit par les sœurs Williams et Will Smith) tendu du début à la fin, comme une partie de tennis magique, où la balle est relancée sans fin et sans faute. ■ J.-M.C. LA MÉTHODE WILLIAMS (États-Unis), de Reinaldo Marcus Green. Avec Will Smith, Aunjanue Ellis, Saniyya Sidney. En salles.
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ON EN PARLE Inspirés de la structure circulaire des habitations traditionnelles du continent, les sacs du défilé étaient signés de la marque sud-africaine Hamethop.
Les broderies valorisent le savoir-faire artisanal.
MAISON D’AFIE, L’HISTOIRE FAIT LA MODE
Une collection qui célèbre la CULTURE MÉDIÉVALE CAMEROUNAISE et met en lumière son héritage. « MYANGO » est le nom de la dernière collection de Maison d’Afie, une maison de mode créée en 2010 par la Camerounaise Sarah Divine-Garba. Abréviation de la phrase « Myango Ma Kwang », qui veut dire « histoires du passé » en douala, ce nom rend hommage au royaume du Mandara, l’un des petits royaumes qui ont contribué à la naissance du Cameroun. La collection, qui s’inscrit dans une recherche de la designeuse sur ses origines et le concept d’africanisme, veut mettre en avant les liens qui existent entre les styles médiéval, colonial et post-colonial dans le pays. C’est pour cette raison qu’elle a choisi d’utiliser des lins rayés, des broderies et des soies imprimées avec des motifs touaregs qui valorisent le savoir-faire artisanal. Ces tissus, en fibres naturelles personnalisées et tissées à la main, évoquent le prestige culturel de l’Afrique au Moyen-Âge, mais rappellent également les liens commerciaux qui existaient entre les Nord-Africains et les populations subsahariennes. Des échanges qui ont 18
La styliste Sarah Divine-Garba.
Ce chapeau rend hommage à la reine Soukda, fondatrice du royaume du Mandara peu avant 1500.
fortement influencé la culture de l’époque et laissé des traces jusque dans le style camerounais contemporain. La styliste a aussi choisi d’intégrer des tailles cintrées à des silhouettes amples (synonymes de liberté). Un symbole de soumission qui rappelle l’époque coloniale. Pour la première fois de son histoire, Maison d’Afie a présenté sa collection printemps/été lors d’un défilé qui a capturé tous les regards durant la Portugal Fashion Week, grâce au programme Creative Africa Nexus. L’occasion de s’associer avec d’autres marques africaines pour proposer des accessoires uniques, comme les chaussures Heel The World, du Ghana, les bijoux faits à la main d’Adèle Dejak, du Kenya, ou encore les magnifiques sacs signés Hamethop, d’Afrique du Sud, inspirés de la structure circulaire des habitations traditionnelles du continent. La valeur symbolique est également présente chez Maison d’Afie : un chapeau, par exemple, rend hommage à la reine Soukda, qui a fondé le royaume du Mandara peu avant 1500. ■ Luisa Nannipieri maisondafie.com
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DESIGN
SOSHIRO, UNE FENÊTRE SUR D’AUTRES CULTURES La marque italo-kényane travaille à la synergie des techniques et exalte le potentiel de l’HÉRITAGE TRIBAL.
NICK ROCHOWSKI PHOTOGRAPHY - GERARDO JACONELLI
NÉE À NAIROBI, Shiro Muchiri s’interroge depuis longtemps sur la façon dont la conception de l’espace et le design sont interconnectés. Pendant ses études puis sa vie professionnelle, en Italie et au Royaume-Uni, elle remarque à quel point la mentalité européenne influence le design des objets du quotidien et l’aménagement des lieux de vie, même au Kenya. Elle décide alors de lancer SoShiro en 2018 et réalise sa première collection, « Pok », dans laquelle elle célèbre le savoir-faire du peuple Pokot (nord-ouest du Kenya), en l’associant autrement à l’artisanat italien : « Les Pokot sont des experts en broderie perlée, mais ils n’avaient jamais orné des matériaux haut de gamme comme le cuir italien. La beauté du résultat les a laissés sans voix. » Les panneaux, recouverts de cuir et brodés avec des motifs symboliques, tapissent
des meubles faits par des menuisiers vénitiens. « Cette synergie permet de réunir ce qu’il y a de meilleur dans les deux héritages culturels, et de redonner de la valeur à des techniques que les Pokot considéraient comme
acquises », pointe Shiro Muchiri. La création même de ces pièces a été une expérience de partage. Une façon, à travers le design, d’ouvrir une fenêtre sur une culture différente. ■ L.N. soshiro.co
Un panneau en bois gravé à la main recouvre ce meuble.
Shiro Muchiri.
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LA FORCE DES IMAGES
Une sélection de beaux livres à DÉCOUVRIR pour commencer une nouvelle année en émotions. par Catherine Faye et Sophie Rosemont VIRTUOSE DU CINÉMA
UN CONTINENT EN MOUVEMENT
Où est la maison de mon ami ?, Le Goût de la cerise, Au travers des oliviers… Film par film, les auteurs décryptent avec érudition la richesse sémantique de l’œuvre du réalisateur iranien, intelligemment illustrée. S.R.
Au fil des pages, une œuvre, un plasticien, un pays. À travers 52 artistes contemporains africains engagés, acteurs reconnus de la scène artistique mondiale, le voyage se fait multiforme et invite à (re)découvrir la richesse d’un continent pluriel. C.F. ELIZABETH TCHOUNGUI, Oh! AfricArt, Le Chêne, 224 pages, 42 €.
AGNÈS DEVICTOR ET JEAN-MICHEL FRODON,
Abbas Kiarostami : L’Œuvre ouverte, Gallimard, 304 pages, 29 €.
Comment cette ville est devenue l’une des plus emblématiques du Moyen-Orient ? C’est ce à quoi répond en images et en références cet ouvrage, revenant sur les points d’orgue architecturaux de la ville, de la tour Burj Khalifa à l’aéroport international. S.R. MYRNA AYAD, Dubaï Wonder, Assouline,
296 pages, 95 €.
PETITS MAIS SI PRÉCIEUX Un livre plein de surprises pour les plus de 6 ans, et une plongée dans l’infiniment petit, à la rencontre des insectes sociaux. Fourmis, termites, abeilles, guêpes et autres frelons n’auront plus de secrets. C.F. ANNE JANKELIOWITCH ET ISABELLE SIMLER,
Royaumes minuscules, La Martinière, 64 pages, 21,90 €.
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SWAG & ROCK’N’ROLL Quand un président star et un musicien de légende se rencontrent, le dialogue envoie. Avec plus de 350 photographies, des textes exclusifs et des documents d’archives BARACK OBAMA inédits, voici le rêve américain vu ET BRUCE SPRINGSTEEN, par deux icônes. Et une conversation Born in the USA, intime sur la vie, la musique Fayard, 320 pages, 49,90 €. et le pays de l’oncle Sam. C.F.
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DR (3) - SPRINGSTEEEN FAMILY ARCHIVES - OBAMA-ROBINSON FAMILY ARCHOVES - DR (2)
SPECTACULAIRE DUBAÏ
JOAQUIM PAULO ET JULIUS WIEDEMANN,
Funk & Soul Covers, Taschen,
432 pages, 50 €.
FUNKY BEAT L’âge d’or de la musique afro-américaine, entre funk, soul et jazz, est ici retracé en pochettes, décryptant les disques de stars comme Aretha Franklin ou James Brown, mais aussi des noms moins connus, tels Mulatu Astatke ou Fontella Bass. S.R.
ENVIES D’AILLEURS Il y a cent ans, il fallait des semaines, voire des mois, pour parvenir à destination. C’était un temps où le voyage était la chasse gardée d’une caste de privilégiés. Ou d’aventuriers. À travers des trésors documentaires (photos d’époque souvent inédites, affiches publicitaires, billets, menus, étiquettes à bagage), cette anthologie ressuscite les fascinants balbutiements du voyage (1869-1939) et retrace la magie des grands périples. Du Grand Tour de l’Europe à l’Extrême-Orient, à bord de l’Orient Express, du Transsibérien ou du Titanic, chaque voyage résonne de passages célèbres tirés de récits des premiers écrivains voyageurs, tels Charles Dickens, Jules Verne, Francis Scott Fitzgerald ou encore Mark Twain. C.F. MARC WALTER ET SABINE ARQUÉ, The Grand Tour : L’Âge d’or du voyage, Taschen, 616 pages, 60 €.
QUI DE L’HOMME OU DU COCHON C’est l’une des meilleures fables politiques jamais écrites, mais aussi une dystopie. Les animaux d’une ferme se révoltent et mettent en place un nouveau régime politique, pire que celui des humains. Son adaptation en bande dessinée prend au collet dans une mise en scène efficace où la formule orwellienne « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres » prend tout son sens. L’ouvrage s’achève sur un constat amer pour les autres animaux asservis : plus rien ne semble distinguer les cochons de leurs anciens maîtres. C.F.
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RODOLPHE ET PATRICE LE SOURD,
La Ferme des animaux de George Orwell, Delcourt, 48 pages, 10,95 €. AFRIQUE MAGAZINE
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ESPRIT SUBVERSIF Quatre cents ans et pas une ride. Est-ce la liberté de ton de Jean de La Fontaine, né en 1621, la justesse des mots ou le jeu subtil entre représentations animale et humaine de ses personnages qui investissent les Fables d’une inaltérable modernité ? Il n’en reste pas moins que l’acuité de sa vision sur la nature humaine est saisissante et que d’un tableau à l’autre, chacun de nous s’y trouve dépeint. Doué pour le bonheur, ce « garçon de belles lettres » n’en finit pas de nous instruire. Cette nouvelle édition illustrée a tout d’un coffret enchanteur. C.F. JEAN DE LA FONTAINE, Fables, La Pléiade, 1248 pages, 55 €.
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ON EN PARLE INTE RVIEW
Léonie Pernet, le retour aux sources
Dans son second album, Cirque de consolation, la musicienne française chante mieux que jamais. Et mêle des propos engagés à l’électronique occidentale ou des musiques traditionnelles ouest-africaines.
AM : Après la révélation de votre premier album, Crave, comment avez-vous abordé le virage toujours risqué que représente un second disque ? Léonie Pernet : Rien n’aurait pu être plus douloureux
que c’était un leurre, et que je portais par ailleurs un racisme à mon encontre en moi. C’est ce que raconte notamment le morceau « Intérieur négro ». Il fallait que j’aille chercher ma part noire…
que la naissance de Crave, donc ça a été moins stressant que ce qu’on pourrait imaginer ! Ce qui a changé, c’est que j’ai travaillé ma voix, j’ai écouté d’autres musiques… Mon besoin d’ouverture était profond. J’avais envie de texte, de chant, de plus de percussions et d’éléments organiques. D’être moins vaporeuse, en quelque sorte ! Surtout, j’ai décidé de travailler avec un réalisateur, Jean-Sylvain Le Gouic. À mes débuts, j’étais seule aux commandes car j’avais peur qu’en collaborant avec un homme, on puisse penser que les idées venaient de lui, alors que j’écris et compose tous mes morceaux. Mais cette fois, j’étais en confiance, et j’ai pu aller plus loin encore du point de vue créatif.
Quelle musique africaine écoutez-vous ?
J’ai longtemps écouté de la musique arabe, mais quand j’ai découvert la scène ouest-africaine, ça a été un choc ! J’aime Tinariwen et le blues touareg, les modes harmoniques de la musique malienne… J’emprunte même une kora dans « À rebours ». Pour mon concert parisien de la Cigale [le 25 mars prochain, ndlr], je rêve d’inviter Toumani Diabaté ! La scène électronique africaine est également très enthousiasmante, je suis fan du collectif et label Nyege Nyege. Pourquoi ce très beau titre, quelque peu mélancolique, Cirque de consolation ?
C’est un endroit qui existe, mais que je n’ai jamais visité ! J’en ai découvert l’existence par hasard, en rentrant d’un concert en Suisse, il y a quelques années. C’était un trajet long, pénible, un peu étrange. Par la fenêtre du van, Oui, elles accompagnent l’acceptation j’ai vu ce panneau qui indiquait « Cirque de des origines de mon père biologique, consolation ». J’ai eu l’impression qu’il m’était touareg du Niger. Je l’ai enfin rencontré Cirque de consolation, InFiné. adressé ! Quelques mois plus tard, j’ai écrit il y a quelques années… et je n’ai pas de un morceau du même nom. Ce titre est littéraire, poétique, mots pour expliquer à quel point cela a été fort. Cette grande et résonne avec mon chemin familial. Outre le clin d’œil réconciliation personnelle m’a naturellement ouverte à à La Société du spectacle, de Guy Debord, il y a dans ce titre d’autres espaces culturels, notamment cette part africaine quelque chose qui interroge notre humanité d’aujourd’hui… que je porte en moi. Car pendant longtemps, je n’ai pas eu conscience de la richesse artistique du continent, même si j’ai Vous chantez en français, les rythmiques sont toujours parlé de métissage et d’hybridation, et que je suis très présentes… C’est un nouveau départ ? férue de la littérature de Frantz Fanon et d’Édouard Glissant Cet album, c’est la suite de Crave, qui parlait beaucoup – le concept de Tout-Monde m’a beaucoup impressionnée. du manque. Sa suite naturelle, c’est la consolation. Puis la tentative de joie… À la sortie de mon premier disque, j’avais Dans cet album très personnel, vous évoquez l’addiction, déjà commencé à chanter en français et trouver un nouveau la reconstruction, l’amour, mais aussi le racisme… ton. Après mes premières chansons dotées de beaucoup de Jusqu’à ce que je rencontre mon père, j’avais l’impression passages lents et sombres, je voulais ramener de la lumière d’être libre, de bien vivre mon homosexualité et en ce bas monde ! ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont mon métissage, par exemple. Mais j’ai compris
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JEAN-FRANÇOIS ROBERT - DR
Dans Cirque de consolation, les influences africaines s’imposent. Un retour aux sources ?
ROMAN
NOUVELLE AURORE L’économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr livre un récit poétique sur le destin et l’éveil.
Proposal (Mountain Time), Daniele Genadry, 2014.
FOIRE
COURTESY DANIELE GENADRY & GALERIE IN SITU-FABIENNE LECRLERC, GRAND PARIS - DR
LE MENA À L’HONNEUR Avec 15 galeries et 100 œuvres provenant d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, MENART FAIR crée une nouvelle fois la surprise.
APRÈS AVOIR INVESTI PARIS au printemps dernier, Menart Fair fait escale à Bruxelles, en janvier, pour sa seconde édition. Exclusivement dévolue à l’art contemporain et moderne d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA), cette foire a été lancée sous l’impulsion de Laure d’Hauteville. Férue d’art, celle-ci œuvre activement au dialogue interculturel entre le Moyen-Orient et l’Occident depuis près d’une trentaine d’années. Elle a ainsi fondé en 1998, à Beyrouth, le premier salon international d’art contemporain consacré à la création de la région MENA. Forte du succès de l’exposition « Regards d’Orient » en octobre dernier – suivie de la vente aux enchères au sein de la maison Cornette de Saint Cyr, à Paris –, Laure d’Hauteville assure : « L’art du Liban, de la Tunisie et du Maroc est très prisé. » Menart Fair, dont la direction artistique a été confiée à Joanna Chevalier, se tiendra durant la 66e Brussels Art Fair et réunira 15 galeries (Nathalie Obadia, La La Lande, ou encore 193 Gallery). Les pièces emblématiques de talents émergents comme la Yéménite Alia Ali ou le Tunisien Bechir Boussandel se tailleront une place parmi la centaine d’œuvres exposées. ■ Fouzia Marouf MENART FAIR, Cornette de Saint Cyr, Bruxelles (Belgique),
DÉTERMINÉ, ce professeur de philosophie africaine contemporaine à l’université Duke, en Caroline du Nord, arpente le monde comme on explore ses rêves, son histoire. Inlassablement, obstinément. Forgé à l’école de pensée de Nietzsche, de Dante, des philosophes indiens et chinois, il a cofondé avec l’historien et politologue camerounais Achille Mbembe les Ateliers de la pensée à Dakar et à Saint-Louis, en 2016, pour réfléchir aux mutations du monde contemporain. Après l’essai Afrotopia, pour une nouvelle manière de regarder « l’Afrique en mouvement », ou encore La Saveur des derniers mètres, carnet de voyage singulier dans lequel il prend le pouls du monde, ce libre penseur revient avec un roman sur la fraternité et les chemins, parfois ardus, qui mènent à l’apaisement. Une quête initiatique, sous le signe du double, où des jumeaux font route, l’un porté par une spiritualité ancestrale, l’autre par une nécessaire rédemption. Jusqu’à la métamorphose. ■ C.F. FELWINE SARR, Les lieux qu’habitent mes rêves, Gallimard, 15 €.
du 21 au 23 janvier 2022. menart-fair.com AFRIQUE MAGAZINE
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CUISINE INTUITIVE ET CLASSIQUES
Que ce soit à Marseille ou à Paris, la CRÉATIVITÉ DU CHEF fait le charme de l’adresse. À La Cuisine de Gagny, on ne trouvera pas de plats africains ou occidentaux classiques, mais on aura le plaisir de découvrir les recettes originales du Malien Gagny Sissoko. Adepte de la cuisine intuitive, le chef créé ses assiettes à partir de produits de saison, en circuit court et à 90 % bio, dans ce restaurant marseillais, ouvert en 2018, qui a été nommé aux Fork Awards 2021. On retrouve ses racines dans certaines saveurs, comme dans les gnocchis au manioc, ou dans les modalités de cuisson qui lui servent d’inspiration. Si vous passez par là pour la première fois, on vous conseille de 24
Situé à Paris, Lokita est né en 2018.
goûter sa daube de poulpe ou de lui faire confiance sur le poisson du jour : il saura vous conquérir. Également né en 2018, mais à Paris, Lokita laisse toute leur place aux grands classiques. Pourtant, les vraies stars de cette cantine, ce sont les pastels farcis et roulés à la main d’Aissata Coundio, ses accras auxquels la farine de niébé donne un twist inattendu et ses jus de fruits traditionnels (lokitajus.fr). Chaque recette naît d’une recherche de la cheffe, d’origines mauritanienne et sénégalaise. Avant d’ouvrir son restaurant, elle a testé ses produits sur les marchés, modifiant ses tapas africaines, élaborés à partir d’une recette familiale, pour leur donner un goût qu’on ne retrouve pas ailleurs. Comme les pastels aux légumes ou son jus Néno (du nom de sa grand-mère), à base d’hibiscus blanc. Un assortiment qu’elle propose aussi à emporter, par exemple dans une box apéro spécial week-end, qui met l’eau à la bouche. ■ L.N.
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La Cuisine de Gagny, à Marseille, propose les recettes originales de son chef malien, Gagny Sissoko.
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Pal_maison, la villa qui respecte la palmeraie Avec ce projet judicieux, le CABINET TUNISIEN Ï+Ï vient d’être nommé aux EU Mies Awards 2022. En même temps, les volets en bois de palmier limitent les chocs thermiques le soir et l’été. Protagoniste absolu du projet, le palmier a également été utilisé pour créer les meubles de la cuisine, les dressings ainsi que les magnifiques portes. ■ L.N.
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POUR LA PREMIÈRE FOIS, quatre projets tunisiens sont en compétition pour obtenir le prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe 2022, qui sera remis en mai prochain. Parmi les ouvrages présélectionnés, Pal_maison, signé par Souleïma Fourati du cabinet ï+ï, a un nom qui est tout un programme : cette villa de 220 m2 surgit au cœur de la palmeraie de Tozeur, dans une oasis de 3 hectares qu’il fallait à tout prix préserver. Les deux parallélépipèdes en H, construits sur un socle carré pavé de briques en terre cuites – disposées de façon à rappeler les motifs des tapis traditionnels de la région –, s’harmonisent parfaitement avec le paysage. L’entrée principale du bâtiment sépare l’espace jour de l’espace nuit. Les salons et la cuisine, lieux de convivialité par excellence, relient les deux rectangles tout en s’ouvrant sur la piscine. Le bassin est une interprétation sous forme contemporaine des canaux d’irrigation des palmiers, dont l’eau, non traitée, est réutilisée pour arroser la plantation. Tout est construit pour assurer l’intimité et le confort des occupants. L’orientation de la villa protège les intérieurs du soleil du Sahara et les ouvertures sont occultées par des façades en briques ajourées, qui filtrent la lumière du sud.
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PARCOURS
Youness Miloudi
LES IMAGES DE CE PHOTOGRAPHE MAROCAIN
montrent une esthétique contemporaine de la jeunesse iranienne. Il participera à un group show lancé par Hassan Hajjaj à la Hannah Traore Gallery, à New York, en janvier. par Fouzia Marouf
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ans « PerseFornia, avoir 20 ans à Téhéran », sa série consacrée à la jeunesse iranienne exposée en novembre à la galerie parisienne Nouchine Pahlevan, Youness Miloudi proposait une déambulation singulière. Les visages rieurs des filles et des garçons s’offrant au crépuscule, les mains gantées d’une street artist s’attardant sur une œuvre qu’elle finalise à la bombe de peinture sont autant de réflexions sur la liberté en Iran : « J’ai découvert cette vitalité à la suite d’une rencontre très forte avec un jeune couple, avec lequel je me suis lié d’amitié. En 2017, je me suis attaché à réaliser un travail d’inspiration documentaire, durant lequel j’ai suivi des jeunes dans leur quotidien. Je souhaitais donner un visage différent de l’Iran. À l’image de cette jeunesse créative, dont j’étais témoin, et qui recourait à un mode de vie totalement alternatif, tout en composant avec les lois de la république islamique », souligne-t-il. Réalisées en extérieur et en intérieur, ces images révèlent un autre personnage emblématique, Téhéran : noctambule, jouissive, la ville a été saisie sous divers angles. Pugnace et entier, Youness Miloudi sillonne l’Iran durant plusieurs mois afin de s’imprégner de la culture perse. Ses premiers travaux sont éclairés par son envie de comprendre ce pays aussi vaste que complexe. Cette série intimiste prend peu à peu forme hors du cadre traditionnel : « La photographie est un médium indéniable pour aller vers l’autre, elle incarne une ouverture sur le monde. Les Iraniens sont très accueillants, d’un contact direct et plein de curiosité à la vue de voyageurs. J’ai ressenti le besoin de m’attarder un certain temps aux côtés de cette jeunesse underground afin de la documenter au plus près de la réalité. J’en retiens des jeunes qui mènent leur propre révolution en silence. Surprenants, contournant les interdits, ils s’expriment grâce à l’art et la culture. » Né en 1984 à Fès, l’artiste met le cap sur Sans titre, série « PerseFornia, avoir 20 ans à Téhéran ». la France en 2005 afin de suivre des études d’ingénierie à l’université de Picardie Jules Verne. Féru de cinéma et de musique, marqué par l’univers du cinéaste Tony Gatlif, il organise des concerts dédiés à la culture urbaine, comme la danse, le hip-hop ou le breakdance. La création documentaire l’interpellant, il décide de se consacrer pleinement à la photographie et au voyage en 2013 et se met en quête de sujets hors de sa zone de confort : « J’ai toujours été fasciné par l’image et ses multiples aspects. Arrivé en France, j’ai enchaîné en parallèle des petits jobs afin de m’offrir mon premier appareil photo. J’ai commencé par travailler dans l’événementiel et par faire de la photo en studio. Puis, ma pratique et mes choix se sont affinés, et j’ai décidé de me tourner vers la photographie de témoignage », se souvient-il. En 2018, il présente pour la première fois une partie de son projet « PerseFornia » sous la forme d’un collectif à la foire d’art contemporain africain 1-54 Marrakech. Suit une deuxième exposition en 2019 à Photo Doc, rendez-vous incontournable de la photographie documentaire à Paris. Dans l’optique de s’ouvrir à de nouvelles perspectives, il participera en janvier prochain à un group show initié par Hassan Hajjaj à la Hannah Traore Gallery, à New York. ■
WIAME B.
«Je souhaitais donner un visage
différent de l’Iran.»
C o m m u n i q u é Radisson Hotel Group s’attend à une année solide, avec une expansion dans les principales villes d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Erwan Garnier, Directeur Senior, Afrique, Radisson Hotel Group, nous parle des projets du groupe
Radisson Hotel Group réalise sa grande ambition pour l’Afrique
Exterieur du Radisson Collection Bamako
Quel est le portefeuille actuel de Radisson Hotel Group et quelles sont ses ambitions pour l’Afrique de l’ouest et centrale ? L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale représentent des marchés clés dans notre stratégie de développement continentale, en faisant passer notre portefeuille d’une unité en 2008 à 25 hôtels en exploitation et en développement aujourd’hui. Grâce à cette solide stratégie d’expansion, nous sommes en passe de consolider notre leadership et de doubler notre portefeuille pour atteindre 50 hôtels d’ici 2025. Quelles ont été les réalisations marquantes dans cette région au cours des deux dernières années ? Malgré la pandémie, nous avons été en mesure d’accroître notre portefeuille en Afrique de l’Ouest et centrale avec la signature de trois nouveaux hôtels, ajoutant plus de 625 chambres. Nous avons renforcé notre présence sur des marchés clés tels que le Nigeria et le Mali, tout en pénétrant sur un nouveau marché, le Ghana. Les conversions étant au cœur de notre stratégie de croissance, nous avons pu ouvrir des hôtels en accélérant le repositionnement de structures existantes. Une autre étape importante a été le lancement de notre marque Radisson Collection en Afrique, avec l’ouverture du Radisson Collection de Bamako en décembre 2020 En avril de cette année, nous avons également lancé notre première propriété Radis-
son Individuals en Afrique, avec la signature de l’hôtel Earl Heights Suites, membre de Radisson Individuals, à Accra, au Ghana. L’ouverture est prévue au cours du premier trimestre 2022. Radisson Individuals est une marque de conversion qui offre aux hôtels indépendants et aux chaînes locales et régionales l’opportunité de faire partie de la plateforme mondiale de Radisson Hotel Group, de bénéficier de la notoriété et de l’expérience internationale du Groupe, tout en ayant la liberté de conserver leur caractère unique et leur identité. Quel est la stratégie d’expansion et les priorités en Afrique de l’ouest et centrale ? Nous avons identifié six pays avec une stratégie claire de croissance, axé sur les capitales, les centres financiers et les destinations touristiques. Huit villes sont au cœur de notre ambition : Abuja, Lagos, Accra, Abidjan, Dakar, Yaoundé, Douala et Kinshasa. Notre stratégie se développe les hôtels d’affaires, les centres de villégiature,
les appart-hôtels et les développements à usage mixte. Au Nigeria, nous avons pour objectif d’augmenter de 50 % notre portefeuille de neuf hôtels d’ici 2025. L’objectif principal est la capitale Abuja, suivie de Lagos et Port Harcourt. Nous prévoyons de développer chacune de nos six marques au Nigeria, y compris notre toute nouvelle marque Radisson Individuals, afin de soutenir les conversions potentielles. Au Ghana, nous souhaitons développer l’ensemble de notre portefeuille, en mettant l’accent sur l’expansion de la capitale, Accra, ainsi que Kumasi, la seconde ville du pays et Takoradi sur le positionnement resort. En Côte d’Ivoire, Abidjan est au cœur de notre action et nous avons pour objectif de répondre aux besoins du marché en ayant chacune de nos six marques présentes d’ici la fin 2025. Cela inclut Plateau, Cocody, Marcory and Zone 4. De plus nous souhaitons nous développer dans le pays sur le segment affaires à Yamoussoukro et San-Pedro ainsi que sur le segment loisirs à Assini et Grand Bassam. Au Sénégal, nous souhaitons également développer chacune de nos marques, en concentrant notre expansion dans le centre de Dakar avec le Plateau, la Corniche, Ngor et Point E ainsi que Diamniadio et Saly. Les autres villes que nous avons identifiées pour notre expansion sont Touba, Saint Louis et Cap Skirring.
Erwan Garnier, Directeur Senior, Afrique, Radisson Hotel Group.
Reception du Radisson Collection Bamako.
C’EST COMMENT ?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
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BONNE ANNÉE ! Je viens de me rendre compte, à la relecture des « C’est comment ? » des numéros doubles de fin d’année sur cinq ans, que les vœux pieux se juxtaposent. Pour que le terrorisme cesse, pour que la redistribution des richesses soit effective, pour que les démocraties et la bonne gouvernance s’installent, pour que la demande d’emploi exponentielle soit satisfaite, pour que les filles aillent à l’école, pour que l’environnement et sa dégradation galopante soit enrayée, pour que, pour que… Et les Cassandre argueront que ça ne marche pas. Les esprits chagrins comptabiliseront les non-avancées, voire les violents reculs dans certains pays. Et surtout, tout en souhaitant que tout s’arrange, on ne parle que de catastrophes, de négatif, de ce qui ne bouge pas, ne change pas. Alors, pour 2022, on va faire différent. En regardant un peu notre continent par une lorgnette positive, inversée. Et d’abord pour parler de l’actualité : le retour du coronavirus, des frontières qui se ferment et du stress qui se généralise à nouveau. À l’heure où cette édition boucle, nul ne sait quelle sera l’évolution du nouveau variant Omicron, venu d’Afrique du Sud. Mais on peut espérer, déjà, que l’Afrique (hormis l’Afrique australe, peut-être) devrait continuer à prouver sa résistance face à la pandémie, aux pandémies. Avec des systèmes de santé bien plus défaillants que ceux du Nord, une couverture vaccinale quasiment nulle (moins de 7,5 % début décembre), le continent a montré la force de sa population jeune et les résiliences étonnantes de la plupart de ses économies. Malgré, là encore, les prédictions les plus funestes. Sa jeunesse, justement, celle qui a décidé dans un pays sahélien – demain deux, peut-être plus – de prendre son destin en mains en descendant dans la rue pour dire stop. Cette jeunesse encore qui se lance dans l’autoemploi, monte des entreprises, crée de la richesse, sans trop attendre que les États aident, soutiennent. De nombreux autres signes positifs existent, si l’on regarde bien, comme l’appropriation des nouvelles technologies de demain en un temps record. Ou encore les premiers fruits, ici et là, des programmes de développement mis en place par les États. Et aussi, la prise de conscience sur les questions environnementales, le ras-le-bol des paysannes qui dénoncent la destruction de la couche d’ozone par les pays riches… Certes, le trait est un peu forcé. Volontairement sur-enthousiaste. C’est juste pour montrer que le continent résiste et avance en même temps. À petits pas. À son rythme. Vers demain. C’est bon de l’écrire. Et de lui souhaiter une belle année 2022 ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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2022 ANNÉE SUR LE FIL
Pandémie, instabilité politique, insécurité, croissance économique au ralenti… Les indicateurs ont de quoi inquiéter le continent. Et pourtant, avec ses fortes potentialités, l’avenir lui appartient. par Zyad Limam
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u moment où ces lignes sont écrites, début décembre 2021, le monde paraît au bord de la crise de nerfs. Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, un nouveau variant est apparu, détecté en Afrique du Sud, Omicron (15e lettre de l’alphabet grec, précédée par Xi et suivi par Pi…). Le virus aurait muté de manière spectaculaire, serait devenu plus transmissible, peut-être plus dangereux que ses versions précédentes, dont le fameux Delta qui, lui, pousse la 5e vague de contamination en Europe et aux États-Unis. Trois milliards de personnes dans le monde (très largement dans les pays riches) sont vaccinées, et pourtant les infections se poursuivent, même si elles sont moins meur30
trières. La dépression guette les citoyens. Personne ne connaît vraiment les capacités néfastes d’Omicron, mais les États se barricadent, les frontières se hérissent de murs infranchissables. Le Maroc a fermé ses portes à l’entrée et à la sortie, enchaînant quasiment deux années blanches pour le tourisme. L’Afrique australe a été mise au ban des nations avec la fermeture massive des lignes aériennes. La reprise économique qui semblait bien engagée risque le coup d’arrêt, impactant bien plus encore les pays émergents et les pays pauvres qui n’ont pas les moyens budgétaires de doper leur croissance… Au-delà du Covid, de l’Omicron et du Delta, ce qui n’est pas rien, la situation générale n’est guère brillante. Iran, Ukraine, Taïwan, Palestine, les lignes de fronts sont nombreuses. Un peu
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À Harare, au Zimbabwe, des personnes âgées ou prioritaires font la queue pour le vaccin Sinopharm.
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partout, les démocraties sont menacées par des modèles autoritaires et centralisateurs. En Afrique, le coup d’État est de nouveau un mode d’accession au(x) pouvoir(s). En Europe et aux États-Unis, les droites extrêmes, populistes, identitaires, le trumpisme gagnent chaque jour du terrain. La COP26, à Glasgow (Écosse), aura souligné la quasi-impossibilité sémantique pour l’humanité de se confronter à la question, pourtant existentielle, du changement climatique et du développement durable. Dans cette ambiance sombre, on cherche des points d’appui, de rebonds, pour y croire, pour se lancer dans cette nouvelle année 2022 (et les suivantes) avec un peu plus d’optimisme. Pour l’Afrique et son 1,2 milliard d’habitants (à peu de chose près l’équivalent de l’Inde, et un peu moins que la Chine), l’objectif premier reste la vaccination de masse contre le Covid et ses variants potentiels ou existants, pour protéger le maximum de personnes, hommes, femmes, enfants. On ne pourra certainement pas « immuniser » totalement le continent, mais il faut atteindre un point critique, construire des digues sanitaires (en attendant l’épuisement du virus…). Début décembre 2021, les chiffres restent scandaleusement insuffisants. Un peu plus de 155 millions d’Africains ont reçu leur première dose, contre plus de 4 milliards à l’échelle du monde. Ainsi, un an après l’apparition des vaccins, seulement 11 % de la population du continent a pu bénéficier d’une première injection, et uniquement 7,5 % des Africains sont considérés comme entièrement vaccinés (ourworldindata.org). Parmi les géants, la République démocratique du Congo est à moins de 1 %, l’Égypte à 15 % et l’Algérie à 12 %. En Côte d’Ivoire, au Ghana et au Sénégal, la couverture vaccinale se situe aux alentours de 10 %. Les rares bons élèves comme le Maroc sont à 61 %, ou la Tunisie à 43 %. Cette vaccination profite souvent aux élites, soucieuses de protection et du sésame pour voyager. La relative immunité collective apparaît encore loin. Cas d’école, l’Afrique du Sud, pays à économie intermédiaire – structurellement immunodéprimée par l’impact de la pandémie de VIH –, plafonne à 25 % de personnes vaccinées. L’ÉGOÏSME DES PAYS RICHES
Ces chiffres ne sont plus acceptables. On peut souligner la méfiance d’une grande partie des populations, mais cette méfiance existe aussi dans le monde riche où l’on vaccine à tour de bras, en multipliant les incitations et les coercitions (pass sanitaire, etc.). On peut également souligner le manque de volonté de certains États, pour qui le Covid-19 n’est pas la première des urgences par rapport à l’immensité des besoins économiques, sociaux ou sécuritaires. On peut aussi estimer qu’à ce jour, l’Afrique, ce continent jeune, à la densité de population clairsemée, ne s’en tire pas si mal, pour ce qui est des contaminations et des victimes. Peut-être, aussi, faudrait-il une nouvelle génération de vaccins « classiques », facilement transportables, adaptés aux climats de l’hémisphère sud. On peut surtout souligner l’inconscience et l’égoïsme des pays riches, peu soucieux, au-delà des discours, de financer cet immense effort de 32
vaccination vis-à-vis du continent. Une approche à courte vue. Comme le souligne Stella Kyriakides, commissaire européenne à la Santé : « Nobody will be safe, until everyone is safe » (« Personne n’est en sécurité, tant que tout le monde ne l’est pas »). La circulation intense du virus entraîne la naissance de nouveaux variants dont on ne peut pas prédire la nocivité. C’est le cas du Delta, probablement né en Inde lors du pic ravageur du printemps dernier. Et c’est le cas du désormais tristement célèbre Omicron, né probablement quelque part en Afrique australe. L’INDISPENSABLE PLAN DE RELANCE
On demande beaucoup à l’Afrique en matière de modernisation, de lutte contre les criminalités, de stabilité sociale et institutionnelle, de démocratisation. Elle peut s’engager plus encore activement sur ces dossiers, tout en demandant au monde un véritable effort collectif sur le financement des vaccins, tant sur le plan du produit lui-même que de la logistique d’injections aux quatre coins du continent. Cet investissement de la communauté internationale aura un impact bénéfique pour l’humanité par la maîtrise des variants. Mais aussi pour éviter que la machine économique globale ne cale… Le Fonds monétaire international estime qu’il faudrait un peu plus de 50 milliards de dollars pour vacciner 60 % de la population mondiale d’ici à 2022. Une goutte d’eau comparée aux pertes boursières générées par l’apparition d’Omicron. Une goutte d’eau pour les États-Unis – à peu près 3 % du plan de rénovation des infrastructures porté par le président Biden, le Build Back Better. Un effort largement à la mesure de l’Europe et de l’Union européenne aussi, dont le destin est définitivement lié à celui de l’Afrique pour les décennies à venir : migration, sécurité, croissance, changements climatiques, ressources agricoles… La situation n’est pas loin d’être ubuesque. Les pays du G7 ont commandé ou précommandé près de 3 milliards de doses supplémentaires, en trop par rapport à leurs besoins… Dans ce contexte, l’Afrique est en droit d’exiger un véritable effort en sa faveur, sur les vaccins, sur la logistique de vaccination, mais aussi sur la relance économique. Quant à la croissance, le continent a déjoué les scénarios catastrophistes et mieux résisté que prévu aux impacts du Covid. Les gouvernements ont investi et dépensé pour amortir le choc, mais le coup de frein est bien réel. On est passé de taux de croissance au-delà des 6, 7 et 8 % par an à des performances juste au niveau de zéro, et parfois négatives. Pour les pays tributaires du tourisme et des échanges, la facture est particulièrement lourde. Ce décalage de richesse a un impact direct avec des conséquences immédiates sur l’emploi, les revenus, la pauvreté, la capacité d’investir dans le social, la santé, l’éducation, les infrastructures… L’écart entre l’Afrique et le reste du monde va s’accroître. Pour reprendre pied, pour mieux lutter contre la pandémie tout en investissant dans son futur, l’Afrique a besoin d’un grand plan de relance. Elle a besoin de pouvoir accéder à des moyens financiers adaptés à l’immensité du défi. Les montants sont
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Au Sénégal, dans la région de Ferlo, on bouture, sème et élève des arbres destinés à reverdir le Sahel.
chiffrés. Et ils restent modestes par rapport à ce qui se fait dans les pays riches. L’Afrique aurait besoin d’au moins 500 milliards de dollars sur les trois ans qui viennent. L’objectif n’est pas que de renflouer les trésors publics, de boucher des trous budgétaires. L’objectif, c’est surtout de favoriser un kick-start (démarrage rapide) de l’investissement, de pousser des projets structurants (en particulier dans le domaine des infrastructures), de favoriser le développement du secteur privé, des entreprises locales, et donc de l’emploi. Tous les chantiers sont ouverts : agro-industrie, alimentation, pharmacie, textiles, bâtiments, énergie, télécoms, nouvelles technologies de l’information et de la communication, eau, pêche, tourisme, services, banques, assurances… LA GRANDE MURAILLE VERTE
Les potentialités sont là, le cadre juridique doit être amélioré, la sécurité aussi, la communication et la séduction externe également, mais l’Afrique est réellement le continent de l’avenir. AFRIQUE MAGAZINE
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Et ses élites doivent le marteler aux quatre coins du monde. Un grand industriel français confiait récemment en aparté : « J’ai vu la Chine sortir de la pauvreté, changer en quelques décennies. Je connais l’Afrique. Et l’Afrique, c’est la Chine de demain, le processus est en marche… » Pour cette émergence africaine, l’une des clés sera l’investissement du continent dans la transition énergétique et le développement durable. À la fois pour protéger son patrimoine et limiter les effets du changement climatique, mais aussi pour générer des entreprises, des projets, de la recherche, des financements. Malgré la pression démographique, l’Afrique peut être le continent vert du XXIe siècle. Outre l’or ou le pétrole, c’est le continent de l’eau, du soleil et du vent (deux énergies possibles). C’est un continent maritime ouvert sur deux océans (Atlantique et Indien) et une mer (Méditerranée), avec un formidable potentiel d’économie bleue. Avec 60 % de terres arables, l’Afrique pourrait se nourrir elle-même et nourrir le monde. L’Afrique enfin, c’est aussi le continent des forêts. L’Afrique centrale constitue le deuxième massif de forêt dense et tropicale au monde. La protection et la valorisation de ce massif sont d’autant plus primordiales que le bassin de l’Amazone se dégrade chaque jour. Et que, sans forêts, la vie sur Terre va inéluctablement se compliquer… Dans cet ordre d’idées, la reforestation du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest est tout aussi prioritaire pour stopper l’avancée du désert, fixer les populations, offrir des perspectives, lutter contre les tentations terroristes… Symbole de cette grande ambition africaine, le projet Grande muraille verte : l’objectif initial était la mise en place d’une barrière végétale qui traverserait l’Afrique d’ouest en est sur 8 000 kilomètres, du Sénégal à Djibouti. Le plan directeur a évolué vers la création d’écosystèmes locaux connectés les uns aux autres. Objectif affiché d’ici à 2030 : remettre en état 100 millions d’hectares de terres dégradées, séquestrer 250 millions de tonnes de carbone et créer 10 millions d’emplois verts. Les défis sont multiples, chaque pays sur le « tracé » doit faire face à d’immenses difficultés, y compris sécuritaires, mais ce projet pharaonique est porteur. Lors du sommet One Planet en janvier 2021, à Paris, a été adoptée l’idée d’un « accélérateur » de la muraille verte, doté de 19 milliards de dollars. Et aux ÉtatsUnis, pays du capitalisme roi, la restauration des terres apparaît comme un excellent business, moralement utile et commercialement rentable. Voilà, l’avenir n’est pas écrit, il est à inventer. Allons-y franchement ! ■
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Le président français lors de la cérémonie d'entrée de Joséphine Baker au Panthéon, à Paris, le 30 novembre 2021.
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En France, Macron cherche son second souffle
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’était il y a presque cinq ans. En mai 2017, un jeune homme ambitieux, un Rastignac brillant et opportuniste, prenait de vitesse tout le système politique français et se faisait élire président de la République (à 38 ans, le plus jeune de l’histoire moderne gauloise), au nez et à la barbe des partis politiques traditionnels. Son mandat devait être celui d’une profonde modernisation du pays, d’une mise à niveau radicale qui dépasserait les antagonismes du passé. Celui d’un « reset » aussi sur le plan international, en particulier avec l’Afrique, en se débarrassant du poids et des ombres du colonialisme, des fantasmes du pré carré. De la coupe aux lèvres, la distance peut parfois se révéler presque insurmontable. Les années Macron auront été marquées par l’amateurisme du début, par la révolte brutale des Gilets jaunes, reflet de la colère de « l’autre » France. Et par la pandémie de Covid-19, avec son cortège de victimes, de contraintes et de confinements. À quelques mois de l’élection présidentielle d’avril prochain, le pays apparaît mentalement au bout du rouleau, et le débat est dominé par les angoisses identitaires, la peur surréaliste d’un grand remplacement, l’angoisse d’une immigration débridée… Pourtant, la France est vaccinée à 80 %, la croissance est de retour. Et finalement, Emmanuel Macron reste au centre du jeu, face à une gauche dévastée, une droite en recherche d’un début de programme enthousiasmant, et une extrême droite (normalement) inéligible au second tour. Emmanuel Macron, aujourd’hui 43 ans, s’avance à pas presque confiants. Mais comme le disait un proche du précédent président François Hollande, bien placé pour le savoir : « Rien ne se passe jamais comme prévu. » ■ Z.L.
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En Tunisie, le scénario de tous les possibles
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epuis le 25 juillet 2021, et la prise en main de tous les pouvoirs par Kaïs Saïed, la Tunisie, pays phare des révolutions arabes, récompensée par un prix Nobel de la paix en 2015, a changé de trajectoire et vit une expérience politique inconnue. Sur un terrain économique et social particulièrement fragilisé, le chef de l’État veut imposer sa solution globale, transformatrice et durable. Une métamorphose qui passe par des réformes de fond et qui doivent générer l’adhésion. Encore faudra-il s’accorder sur le modèle à suivre. Kaïs Saïed a déjà fait son choix : une démocratie directe, pour recueillir les demandes du peuple, et un pouvoir fort au sommet pour la mise en œuvre. Cette approche révolutionnaire sera certainement soumise à un référendum populaire, sans passer, semble-t-il, par un débat avec les corps intermédiaires que le président occulte. Quant aux problèmes économiques urgents, ils seront résolus par une reddition des comptes des opérateurs économiques largement soupçonnés de ne pas payer leur dû à la société. Le schéma séduit une partie de l’opinion, lassée par les dysfonctionnements graves de la décennie 2010-2020 et par la brutalité des inégalités sociales. Mais le plan se heurte à la société civile et à une partie de la classe politique, opposée au retour d’un raïs, soucieuse de défendre les acquis de la révolution, en particulier sur le plan des libertés et des institutions. Et en économie, le principe de réalité reste particulièrement puissant. L’année 2022 sera donc celle de tous les possibles ; celle d’un nouveau départ ou d’une implosion interne. ■ Frida Dahmani 36
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NICOLAS FAUQUÉ/ WWW.IMAGESDETUNISIE.COM
Le chef de l’État Kaïs Saïed au palais de Carthage, le 17 août 2020. Quelques jours plus tôt, il s’était prononcé contre l’égalité dans l’héritage, s’attirant les foudres des militantes féministes.
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Le Sahel, au cœur des enjeux
KENZO TRIBOUILLARD/AFP
D Les forces armées maliennes patrouillent entre Gao et Kidal, dans le nord du pays.
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ans un Mali affaibli par deux coups d’État consécutifs en moins d’un an, où le colonel Assimi Goïta, 38 ans, chef autoproclamé de la transition, vient de reporter sine die le scrutin présidentiel démocratique prévu en février prochain, 2022 sera l’année de tous les dangers. La présence islamiste dans le nord, puis au centre, gagne du terrain. La force française Barkhane se redéploie (« abandonne le pays », selon le pouvoir malien) et cédait l’emprise de Kidal aux forces armées du pays, le 13 novembre dernier. Non loin de là, les mêmes groupuscules terroristes, affiliés à Al-Qaïda, frappent régulièrement un autre pays, le Burkina Faso. Une partie de la population est descendue dans la rue, fin novembre dernier,
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pour exiger le départ du président Roch Kaboré, qui semble débordé par l’actualité. Un convoi militaire français a été bloqué à Kaya, sous des slogans hostiles à la présence de la puissance hexagonale dans la région. Pouvoirs locaux affaiblis, transitions qui s’éternisent, persistance islamiste qui gagne du terrain sur fond de pauvreté et de luttes ethniques, armées en débâcle et sentiment antifrançais qui gronde… C’est le Sahel tout entier qui risque de basculer demain et de se transformer en une véritable poudrière. Les autres pays d’Afrique de l’Ouest s’inquiètent, surveillent leurs frontières nord et renforcent la sécurité en général. La paix au Sahel sera probablement l’un des enjeux géopolitiques majeurs en 2022, sans réel scénario optimiste qui se dessine à ce jour. ■ Emmanuelle Pontié
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Chine-Afrique : un nouveau contrat après vingt ans de mariage ? par Cédric Gouverneur
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in novembre 2021, à Dakar, s’est tenu le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) qui, depuis 2000, réuni tous les trois ans Pékin et ses 53 pays partenaires sur le continent – (tous, à l’exception du Swaziland, le tout dernier apôtre de Taïwan !). Une huitième édition en forme de réajustement réciproque, car derrière les chiffres pharaoniques (des échanges commerciaux multipliés par 20 en vingt ans ; 1 million de Chinois sur le continent, où un projet sur trois est chinois !), la réalité s’impose : au terme de vingt ans de mariage, la Chine et l’Afrique s’avèrent toutes les deux quelque peu désillusionnées… La première, parce qu’elle se rend notamment compte que dépenser de l’argent ne suffit pas pour susciter du développement. La seconde, parce qu’elle s’endette, parfois lourdement, vis-à-vis de Pékin, et parce que le made in China – si bon marché et si accessible aux consommateurs – tue dans l’œuf la production africaine, moins compétitive. L’autarcie forcée, conséquente à la pandémie, a douloureusement rappelé la réalité de cette dépendance et de l’inégalité des échanges, incitant à, enfin, produire africain pour son propre marché. Certes, les habitants du continent conservent, dans leur majorité, une bonne image de la Chine, de ses ponts, de ses routes, de ses instituts culturels Confucius et de ses bourses universitaires. Mais ils se montrent désormais plus exigeants, attendant de la deuxième puissance mondiale – sur le point de dépasser les États-Unis d’ici
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le prochain FOCAC en 2025 – qu’elle traduise davantage les paroles en actes, elle qui ne cesse de clamer son refus de l’« ingérence » et de l’« impérialisme ». Signe des temps, le président Xi Jinping ne s’est pas déplacé à Dakar, mais il a promis, en visioconférence, « 300 milliards d’exportations africaines agricoles d’ici à 2025 », et « 1 milliard de doses de vaccins », dont 600 millions « offertes » et 400 millions en production conjointe…
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comme Béton
Qui s’en souvient ? C’est sous la forme d’enceintes sportives que la Chine a commencé à redessiner l’architecture du continent : stade de l’Amitié à Dakar (Sénégal) en 1985 (60 000 places), stade du Général-Seyni-Kountché, à Niamey (Niger) en 1989 (35 000 places)… Un mouvement amorcé en 1970 à Zanzibar et qui, désormais, se poursuit d’une Coupe d’Afrique des nations à l’autre… Mais Pékin a aussi diversifié ses ouvrages : parmi ses grands projets les plus emblématiques de ces vingt dernières années, citons le chemin de fer kényan NairobiMombasa (4 milliards de dollars), celui entre Addis-Abeba (Éthiopie) et Djibouti (3 milliards), le nouveau siège de l’Union africaine à AddisAbeba, le boulevard périphérique, toujours dans la capitale éthiopienne, la route gabonaise entre Port-Gentil et Libreville (600 millions de dollars)… « Un contrat qu’il faudrait cinq années pour discuter, négocier et signer avec la Banque mondiale prend trois mois avec les autorités chinoises », a résumé en 2008, le président sénégalais d’alors, Abdoulaye Wade. Les Chinois AFRIQUE MAGAZINE
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ont la réputation de ne pas tergiverser et d’être efficaces : ces méga-projets s’avèrent indispensables afin de désenclaver la masse continentale et de connecter le marché unique africain. Ainsi, le corridor Addis-Abeba-Djibouti a permis à l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé du continent, de retrouver son accès à la mer Rouge, perdu lors la sécession de l’Érythrée, en 1993. « La Chine a fait de gros efforts pour financer les travaux d’infrastructures, mais s’est aperçue qu’elle n’avait pas toujours mené de façon correcte les études de faisabilité et de rentabilité », précise néanmoins Thierry Pairault, socio-économiste et sinologue, à nos confrères de France 5. Qu’importe, les Chinois ont besoin de construire en Afrique, débouché alternatif à un marché asiatique en voie de saturation : l’empire du Milieu est littéralement hérissé de gratte-ciel – on n’y compte plus les « villes fantômes » ultramodernes mais lugubres faute d’habitants ! Au risque de créer une bulle immobilière explosive, symbolisée par les menaces de faillite pesant depuis des mois sur le promoteur Evergrande… L’amitié entre l’État communiste et l’Afrique est donc scellée dans le béton.
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comme Diaspora
Un million de Chinois vivent désormais sur le continent africain, contre environ 130 000 il y a quinze ans. Ce sont des ouvriers et des cadres qui travaillent sur des projets d’infrastructures, ou des petits entrepreneurs venus investir (supérettes, restaurants asiatiques, etc.). Au début des années 2010, des commerçants, au Nigeria et au Ghana, ont protesté contre l’arrivée de ces concurrents. Un peu partout, les réflexions xénophobes envers cette communauté se sont multipliées dans les rues ou sur les réseaux sociaux. Il leur est souvent reproché de « vivre entre eux » et de « ne pas chercher à s’intégrer ». Pourtant, les couples mixtes – quoique encore rares – existent.
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Xi Jinping (en visioconférence) lors de son discours au FOCAC, qui s’est tenu à Dakar fin novembre.
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PERSPECTIVES
Chaque parcours est différent, et les immigrés provenant d’un même pays ne sauraient se réduire à des stéréotypes. Aussi, le chiffre brut de 1 million de Chinois sur le continent doit être relativisé par rapport à l’importance globale de leur diaspora, de 80 à 100 millions d’individus à travers le monde. Selon l’École de guerre économique (EGE), un institut proche du ministère de la Défense français (et donc peu soupçonnable de complaisance envers Pékin), les 4 000 à 8 000 entreprises chinoises présentes ont permis la création de 1,6 million d’emplois indirects et plus de 100 000 autres directs. « La participation croissante des investissements privés chinois en Afrique est fortement positive pour les économies locales : création d’emplois, développement de compétences, transfert de connaissances, financement et développement d’infrastructures », souligne l’EGE dans un rapport de 2020. Au Sénégal, alors que les commerçants locaux manifestaient contre cette concurrence jugée déloyale, une association de consommateurs applaudissait la démocratisation de la consommation et le soutien au pouvoir d’achat qu’apportait le made in China, moins cher. C’est bien le hic : « Les activités commerciales chinoises freinent l’éclosion véritable des entités économiques locales », poursuit l’EGE. La solution ? Produire davantage de made in Africa !
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comme Image
Depuis plusieurs années, Afrobaromètre mesure l’image de la Chine à travers le continent. Celle-ci demeure globalement positive, au-dessus de 60 % d’opinions favorables. En 2016, l’étude constatait, en sondant les citoyens de 36 États africains, que ceux-ci avaient une bonne opinion de ce pays asiatique, en raison des projets de développement et la réalisation d’infrastructures – même s’ils déploraient la piètre 42
qualité du made in China et le nombre relativement faible de créations d’emploi. Cinq ans plus tard, et malgré l’interminable pandémie apparue à Wuhan, le constat est quasiment identique. Mieux, son image a progressé dans les pays où ont continué de s’ériger des projets d’infrastructures. Malgré les sporadiques poussées antichinoises (alimentées par les scandales de corruption, le sentiment d’étranglement face à la dette – notamment en Zambie –, ou la concurrence des petits commerçants issus de la diaspora), l’image du grand empire communiste demeure donc solide, en comparaison de celle des anciennes puissances coloniales (France, Grande-Bretagne) ou des États-Unis, perçus comme « impérialistes » ou « néocolonialistes » au Mali, au Burkina Faso et – depuis quelques semaines – en Éthiopie. Surtout, alors que l’obtention de visas pour l’Europe est de plus en plus ardue, la Chine offre à la jeunesse africaine de belles opportunités : ses universités n’accueillent pas moins de 80 000 étudiants africains (contre à peine 2 000 il y a vingt ans). Des jeunes gens logés gratuitement sur les campus, bénéficiant d’une bourse et exonérés de frais de scolarité ! Pékin entend ainsi étendre son soft power, en formant les élites africaines de demain et en leur vantant au passage, non les mérites du pluralisme démocratique, mais ceux de l’État fort et de la « pensée Xi Jinping » !
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comme Mines
Historiquement, la Chine a noué des relations avec les pays africains dont les richesses du sous-sol l’intéressaient : l’Angola et son pétrole, la Zambie et son cuivre… Comme toute grande puissance, elle se devait de sécuriser ses accès aux matières premières indispensables à son développement. Le souci est que le secteur minier prête facilement le flanc aux dérives : conditions de travail éprouvantes, impacts environnementaux inévitables (« une AFRIQUE MAGAZINE
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mine propre n’existe pas » a, un jour, avoué un haut responsable minier européen !), réseaux de corruption facilités par la grande valeur ajoutée des produits d’extraction et la fluctuation de leurs cours. Sans surprise, la présence chinoise dans les activités minières du continent est émaillée d’incidents : en 2013, par exemple, les autorités zambiennes ont dû saisir une mine de charbon où les ouvriers s’étaient révoltés. Le coup de grisou final est survenu en octobre 2021, en République démocratique du Congo : la ministre des Mines Antoinette N’Samba Kalambayi estime que le « contrat du siècle », signé en 2008, entre la présidence Kabila et Pékin doit être « revu de fond en comble », celui-ci n’ayant pas tenu ses engagements dans l’exploitation du cuivre et du cobalt. L’accord portait sur un montant de plus de 6 milliards de dollars. Selon l’enquête collaborative Congo hold-up, réalisée notamment par RFI, Bloomberg et Mediapart – à partir de fuite de documents bancaires –, un vaste réseau de corruption, portant sur des dizaines de millions de dollars, s’est mis en place entre des responsables congolais et des sociétés chinoises. L’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) parle d’un « préjudice sans précédent dans l’histoire du Congo », qui en a pourtant connu d’autres… Un mal pour un bien ? L’ampleur de cet indéniable scandale pourrait être l’occasion de refonder l’exploitation minière chinoise en Afrique sur des bases plus transparentes.
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comme Piège (de la dette)
Au FOCAC 2021 de Dakar, Pékin a promis à l’Afrique un total de 40 milliards – contre pas moins de 60 au précédent sommet en 2018 – sous forme de droits de tirages spéciaux, d’investissements et… de prêts. Cette frénésie de prêts chinois inquiète, car elle fait repartir à la hausse un endettement du continent qui
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avait, jusque-là, tendance à diminuer : souvent équivalent à 100 % du produit intérieur brut dans les années 1980 et 1990, il n’était plus que de 28 % en 2008… avant de remonter à 30 % en 2013, puis à 56 % en 2019, selon les chiffres de la Banque mondiale. Et il caracole jusqu’à 80 % en Angola et en Zambie ! « La Chine est devenue le premier créancier d’Afrique subsaharienne, détenant 62,1 % de sa dette externe bilatérale en 2020, contre 3,1 % en 2000 », a calculé le Trésor français. Selon le programme Initiative de recherche Chine-Afrique de l’École des hautes études internationales de l’université américaine Johns-Hopkins, à Baltimore (Maryland), la Chine a prêté, au total, 153 milliards de dollars au continent en vingt ans – surtout entre 2010 et 2016. Les prêts ont diminué avec la baisse du cours des matières premières. L’économiste sénégalais et enseignant-chercheur Mor Gassama estime que Pékin s’avère « moins regardant que les Européens en matière de transparence ». Il soupçonne qu’il existerait « des dettes secrètes des pays africains » envers l’empire du Milieu. Pour le remboursement, le prêteur privilégie le rééchelonnement avec – en théorie – la saisie d’actifs : au Kenya, la Chine pourrait ainsi prendre le contrôle du port de Mombasa dans le cas où Nairobi serait incapable de rembourser. En Zambie, c’est le distributeur national d’électricité, Zambia Electricity Supply Corporation Limited (ZESCO), qui risquerait de tomber sous sa coupe. Une atteinte à la souveraineté nationale dont les opinions publiques africaines commencent à s’agacer, notamment en Zambie, pourtant l’un des plus vieux partenaires de Pékin sur le continent – Mao Zedong y avait envoyé des techniciens pour bâtir le chemin de fer jusqu’en Tanzanie. Conscient de ces inquiétudes, Xi Jinping a, lors du FOCAC, promis d’annuler les dettes des pays les moins avancés. « En prêtant à l’Afrique, la Chine s’est constitué une clientèle AFRIQUE MAGAZINE
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Le président sénégalais Macky Sall avec son homologue chinois, en visite officielle à Dakar, en 2018.
politique », a indiqué Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales, à nos confrères de TV5 Monde. Aux Nations unies, les délégués africains votent pour les candidats chinois lors des nominations aux directions des agences onusiennes, comme pour l’Organisation pour l’agriculture et alimentation. Soulignons cependant que, si la Chine est le premier créancier de l’Afrique en tant que pays, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les investisseurs privés détenteurs d’obligations la surclassent largement !
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comme Uniforme
En août 2017 s’est ouverte à Djibouti la première base en Afrique de l’Armée populaire de libération, le nom officiel de l’armée nationale de la République populaire de Chine. Une base navale « apte à accueillir un porte-avions », souligne le général américain Stephen J. Townsend dans un rapport de 2020. Les Américains remarquent que Pékin a également approché la Namibie, l’Angola et la Mauritanie afin de pouvoir disposer d’une deuxième base navale sur le continent, mais cette fois-ci sur la côte atlantique. Le gouvernement de la Grande Muraille fournit aussi un contingent croissant de Casques bleus aux missions de maintien de la paix des Nations unies en Afrique, estimé à environ 1 900 hommes. Plusieurs de ces militaires ont d’ailleurs perdu la vie ces dernières années, au Soudan du Sud et au Mali. Les États-Unis voient en ces soldats onusiens chinois un prétexte pour déployer des troupes
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sur le continent… La Chine ne fait pourtant que sécuriser militairement ses intérêts sur un continent où elle se fournit en pétrole et en métaux, et où ne vivent pas moins de 1 million de ses citoyens. Après tout, les anciennes puissances coloniales qui, depuis les indépendances, ont multiplié les interventions armées, fomenté des coups d’État ou encouragé des tentatives de sécessions (Biafra, Katanga), se trouvent fort mal placées pour donner des leçons à Xi Jinping ! L’Afrique, elle-même, est parfois demandeuse : lors du FOCAC, le président sénégalais Macky Sall a demandé à Pékin de s’investir davantage dans la sécurité au Sahel, région meurtrie par les djihadistes depuis une décennie – plus précisément, depuis la chute du régime de Kadhafi, renversé en 2011 par une intervention militaire franco-américano-britannique. Mais le fond du débat dépasse les questions sécuritaires et renvoie à un renouvellement du lien Chine-Afrique. Pour les Africains, il s’agit de sortir d’une relation créancier-fournisseur, marquée par un endettement croissant et le financement des méga structures. De part et d’autre, on joue la prudence, la maîtrise des dépenses, tout en cherchant à afficher un nouveau partenariat, nettement moins asymétrique. Lors du FOCAC, la Chine s’est engagée sur la question vaccinale en annonçant la mise à disposition de 1 milliard de vaccins, en soulignant son « appui déterminé » dans la lutte contre le réchauffement climatique, et en promettant de mobiliser son secteur privé. À suivre… ■ 43
ÉTHIOPIE LE GEANT A TERRE décryptage
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Fier de sa croissance, le pays espérait devenir une nouvelle puissance sur laquelle le monde devrait bientôt compter. Le rêve s’est fracassé sur l’écueil d’impitoyables et interminables conflits ethniques. Alors… jusqu’où ira sa chute ? par Cédric Gouverneur
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Des soldats de l’armée éthiopienne capturés lors de combats contre les Forces de défense du Tigré marchent à Mekele, le 2 juillet 2021. 423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
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eux ans. Il n’aura fallu que deux ans pour que fanent les espoirs et que tourne au cauchemar le rêve. Souvenons-nous. En octobre 2019, Abiy Ahmed, Premier ministre depuis peu, est sacré prix Nobel de la paix. Un trophée destiné à faire advenir une espérance, comme le fut celui de 1994 décerné aux artisans du défunt processus de paix israélo-palestinien : Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres. Les sages d’Oslo entendent ainsi encourager le plus jeune chef de gouvernement du continent à poursuivre sa politique de libéralisation tous azimuts : l’homme vient de pacifier ses rapports avec l’ennemi d’hier, l’Érythrée de l’autocrate Issayas Afeworki. De lever l’état d’urgence. De libérer des milliers d’opposants. De supprimer la censure. Après des décennies d’autoritarisme, le géant endormi d’Afrique de l’Est – 110 millions d’habitants, deuxième pays le plus peuplé du continent – se réveille et est en passe d’exprimer enfin tout son potentiel, sous la férule d’un dirigeant moderne : oromo musulman par son père, amhara orthodoxe par sa mère, pentecôtiste par choix. Un jeune cadre dynamique, cultivé, au look décontracté, qui paraît apte à secouer les apparatchiks du Front
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démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), la coalition au pouvoir depuis la chute, en 1991, du Gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste (DERG), prosoviétique. Un quadra anglophone capable de mettre fin au « centralisme démocratique » du politburo et d’installer un authentique multipartisme. Un militaire, vétéran de la lutte contre le DERG, puis du conflit contre l’Érythrée (1999-2000), apte à réconcilier avec elle-même cette mosaïque de peuples qu’est l’Éthiopie, ancien empire centralisé et seul État africain à avoir échappé au joug colonial. Un ex-ministre des Sciences et des Technologies susceptible d’amplifier la vigoureuse industrialisation engagée depuis les années 2010 avec, notamment, l’aide de la Chine : création d’usines textiles, chemin de fer reliant Addis-Abeba à Djibouti… Un libéral prêt à ouvrir au monde cette économie dirigiste, dont le capital du fleuron national Ethiopian Airlines et de l’opérateur public Ethio Telecom. En juillet 2020, Abiy Ahmed fait fi des menaces de l’Égypte et commence le remplissage du bien nommé « grand barrage de la Renaissance » : un pharaonique ouvrage hydroélectrique sur le Nil, financé grâce à une souscription populaire nationale, qui devra consacrer l’indépendance énergétique du pays et signifier à l’Afrique – et au monde – qu’une nouvelle puissance industrielle émergera sur les bords du rift. Et qu’il faudra compter avec elle.
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Debretsion Gebremichael, le leader du FLPT, fait un discours dans la capitale du Tigré, le 29 juin 2021.
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« Il n’y a pas de retour en arrière possible sans victoire », certifie le Premier ministre Abiy Ahmed. AFRIQUE MAGAZINE
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UN INQUIÉTANT MESSIANISME GUERRIER
Pour concrétiser ce rêve africain, le prix Nobel de la paix a juste un dernier détail à régler : écarter des arcanes du pouvoir le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) qui, derrière le paravent de la constitution fédérale, phagocyte depuis trois décennies la vie politique économique ainsi que l’appareil sécuritaire. Amharas (un quart des Éthiopiens) et Oromos (un tiers) sont exaspérés par l’hégémonie de ce parti, issu de la petite minorité tigréenne (5 à 6 % de la population). Entre 2015 et 2018, les Oromos s’étaient soulevés contre le pouvoir des Woyane, les pontes du FLPT. Des officiers amharas avaient, eux, tenté un coup d’État en juin 2019. Abiy Ahmed entreprend donc de mettre à l’écart les membres de ce parti. Ces derniers se replient dans leur fief, le Tigré, province de 6 millions d’habitants au nord-ouest du pays. Mais en novembre 2020, le FLPT organise un semblant d’élection régionale, sans l’aval d’Addis-Abeba. La provocation de trop : le Premier ministre envoie l’armée. Et pour l’emporter face à la féroce combativité adverse, il autorise les soldats de l’Érythrée à franchir la frontière et à prendre à revers les rebelles ! Transformer l’ennemi d’hier en allié envahissant (on trouve des soldats érythréens jusqu’à l’aéroport international de la capitale nationale !) est non seulement risqué, mais sape tout espoir de réconciliation : cette alliance avec leur pire ennemi, les Tigréens ne sont pas près de l’oublier ! Une poignée de semaines plus tard, Abiy Ahmed déclare officiellement la fin des « opérations de rétablissement de l’ordre ». Mais déjà, plusieurs spécialistes – que nous avions interviewés alors – pronostiquent un conflit de longue durée, soulignant l’expertise du FLPT en guérilla. En outre, les exactions de soldats fédéraux érythréens et de miliciens amharas servent, pourrait-on dire, de « sergents recruteurs » à l’ennemi. Car face à la terreur exercée par les vainqueurs, beaucoup de Tigréens ont opté pour le maquis. C’est un mécanisme aussi vieux que la guérilla et la contre-insurrection, un engrenage dont a su profiter l’Armée républicaine irlandaise en 1916 ou les Tigres tamouls du Sri Lanka en 1983 : la répression aveugle fabrique du ressentiment et gonfle les rangs des insurgés. Abiy Ahmed lui-même, lorsqu’il était adolescent, avait rejoint les rebelles afin d’échapper à la « terreur rouge » du DERG. Il faut constater que la réalité semble glisser sur l’ex-prix Nobel de la paix, désormais adepte d’un inquiétant messianisme guerrier. Ainsi, en juin 2021, les Forces de défense du Tigré (FDT) contre-attaquent et reprennent leur capitale régionale, Mekele. En octobre, ils remontent vers la région de l’Afar et mènent – en vain – une douzaine d’assauts contre Mille, une ville dont la prise aurait sectionné l’axe d’approvisionnement Addis-AbebaDjibouti. Fin novembre, les insurgés se trouvent à Shewa Robit, à environ 220 kilomètres au nord de la capitale, et à Debre Sina, à 190 kilomètres. Alliés de circonstance des FDT, les hommes de l’Armée de libération oromo (OLA) rôdent, eux, autour d’Addis-Abeba, et coupent déjà certaines routes. Mais à partir du 1er décembre, les rebelles tigréens se replient vers le nord-ouest, 48
Symbole de l’émergence économique, Addis-Abeba compte environ 5 millions d’habitants.
confrontés à une contre-offensive coordonnée de la part de l’armée fédérale et des milices amharas et afars, et appuyée par les drones chinois Wing Loong (fournis en masse par les Émirats arabes unis). Tout un symbole : les forces progouvernementales ont reconquis la ville de Lalibela, célèbre pour ses églises monolithiques, que les FDT avaient prise en août. Abiy Ahmed ne devrait cependant pas crier victoire trop vite : ces derniers s’étaient de toute façon avancés trop loin de leur fief historique du Tigré. Les rebelles se sont repliés avant de courir le risque de voir leur chaîne d’approvisionnement logistique interrompue et leur tête de pont encerclée. Un diplomate occidental anonyme glissait au Monde le 4 décembre que les capacités militaires des insurgés tigréens ne sont « pas tellement diminuées ». La guerre est donc loin d’être terminée… VAINES TENTATIVES DE CONCILIATION
Les tentatives de médiation, menées en novembre 2021, par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo – représentant de l’Union africaine (dont le siège est à Addis-Abeba) – et Jeffrey Feltman – envoyé spécial des États-Unis dans la Corne de l’Afrique – échouent. « Les fragiles progrès ont été balayés par les développements alarmants sur le terrain », déplore alors ce dernier. Il estime que le conflit menace la stabilité régionale ainsi que l’unité de l’Éthiopie, et aurait déjà fait « plusieurs centaines de milliers de morts ». Le 24 novembre, le secrétaire
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général des Nations unies, António Guterres, demande « un cessez-le-feu inconditionnel et immédiat pour sauver le pays ». En guise de réponse, Abiy Ahmed promet, trois jours plus tard, sur Twitter, de « détruire les rebelles ». « Il n’y a pas de retour en arrière possible sans victoire », insiste le Premier ministre. Le conflit s’étend même au-delà des frontières. Fin novembre, des affrontements meurtriers opposent l’armée soudanaise à la fédérale et à des milices éthiopiennes, le long de la zone frontalière disputée d’Al-Fashaga. Chacun croit pouvoir l’emporter : la coalition FDT-OLA mise sur l’effondrement de l’armée fédérale, Addis-Abeba parie sur ses alliés érythréens, sur le recours aux drones émiratis et turcs… mais également sur un sursaut national, aux nauséabonds relents génocidaires. Le 2 novembre, Abiy Ahmed a rétabli l’état d’urgence, qui autorise d’enrôler tout citoyen en âge de porter une arme et de rappeler les réservistes. Plus inquiétant : cette mesure offre la possibilité d’arrêter, sur un « soupçon raisonnable », les personnes « suspectées d’apporter un soutien direct ou indirect, moral ou matériel aux organisations terroristes ». Une définition large et vague permettant d’embastiller tout individu portant un nom tigréen. Noé Hochet-Bodin, correspondant du quotidien Le Monde et de RFI à Addis-Abeba, a recueilli des témoignages, anonymes et glaçants, de résidents originaires de cette région du nord : des barrages de l’armée stoppent des autobus pour que les militaires vérifient leurs papiers et les fassent AFRIQUE MAGAZINE
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Les rebelles se sont repliés avant de courir le risque de voir leur chaîne d’approvisionnement logistique interrompue. descendre… Idem à l’aéroport, où les Tigréens sont refoulés, parfois même ceux qui sont titulaires d’un passeport étranger. Des jeunes gens sont arrêtés dans la rue après avoir discuté dans leur langue… Les propriétaires doivent décliner l’identité de leurs locataires, et des rafles auraient lieu dans le quartier de Haya Hulet, où se trouvent de nombreux Tigréens. Des milliers de volontaires patrouillent la ville à leur recherche et les livrent
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ensuite à la police. Tous ceux qui ont auparavant vécu dans leur région du Tigré seraient particulièrement ciblés. Dans un rapport, Amnesty International parle de « centaines, voire de milliers de détentions à motivation ethnique ». Les plus aisés sont relâchés contre de copieux dessous de table. Toujours selon l’organisme international, un ancien entrepôt industriel à Gelan, au sud de la capitale, servirait de centre de détention. Nul n’est à l’abri : 22 employés éthiopiens des Nations unies et 37 prêtres orthodoxes ont été interpellés. Le porte-parole du gouvernement, Legesse Tulu, a justifié l’arrestation des employés onusiens « à cause de leurs méfaits et de leurs actes de terreur ». Afin d’éviter d’être amalgamés aux insurgés, des Tigréens de la région de l’Afar ont pris les devants et organisé une manifestation contre le FLPT. Au Kenya, un homme d’affaires tigréen a été kidnappé en plein jour dans une banlieue de Nairobi – les autorités soupçonnent une opération des services secrets éthiopiens. Les réseaux sociaux paraissent dépassés par les événements, incapables de superviser et de contrôler les messages haineux à caractère ethnique. Facebook a même supprimé un post, jugé trop violent… d’Abiy Ahmed en personne ! Le 15 novembre, cinq chercheurs ont publié une tribune dans Le Monde où ils dénoncent la tiédeur des réactions internationales face aux appels à la « haine ethniquement ciblée » et au « discours génocidaire » des dirigeants éthiopiens, accusés de jeter de l’huile sur le feu [voir interview d’Éloi Ficquet, ci-contre]. « MONTER AU FRONT » POUR MENER LA CONTRE-OFFENSIVE
WASHINGTON DEMANDE D’ÉVITER L’AÉROPORT
Dans ce climat délétère, les Occidentaux prennent le large : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis ont appelé, en novembre dernier, leurs ressortissants à partir sans délai. Le lycée français a fermé. Israël a donné son feu vert à l’immigration de 3 000 juifs éthiopiens – les Falachas, qui sont l’un des symboles de la diversité de l’ancienne Abyssinie. Washington suggère même d’éviter l’aéroport d’Addis-Abeba-Bole ! Qu’il soit risqué de se rendre à l’un des principaux « hub » internationaux – clef des échanges entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient – en dit long sur l’ampleur de la descente aux enfers éthiopienne… Le symbole est terrible ! « Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne », disaient les Romains. Il s’agit de cette falaise d’où étaient précipités certains condamnés à mort, et qui se situe tout près du Capitole, siège du pouvoir. De l’envol d’une puissance en expansion au fracas de la guerre civile et de la haine interethnique, il ne s’est déroulé que quelques mois pour le géant de la Corne de l’Afrique. L’Éthiopie s’est élancée dans l’industrialisation et l’essor économique sans avoir résolu sa sempiternelle contradiction : la recherche d’une articulation, acceptable par toutes ses composantes, entre autorité de l’État central et respect des identités régionales. Le centralisme amhara s’est effondré avec le négus, puis le DERG. À son tour, le fédéralisme ethnique a sombré face à la question tigréenne. Il ne s’est écoulé que deux petites années pour Abiy Ahmed entre son obtention du prix Nobel de la paix et la guerre totale dans son pays. Le dirigeant ressemble à un coureur de fond qui, parvenu tout près du sommet, serait tombé dans un précipice. Un détail : en 1995, lorsqu’il était jeune officier dans l’armée, il a servi comme Casque bleu au Rwanda… juste après le génocide ! ■
Dans ce climat délétère, des pays occidentaux ont appelé leurs ressortissants à partir sans délai.
L’heure est donc à la délation, mais aussi à la mobilisation générale. Le 24 novembre, les médias éthiopiens ont annoncé le recrutement de 18 000 volontaires au sein de « forces d’autodéfense ». Le lendemain, Abiy Ahmed – qui avait quitté l’armée avec le grade de lieutenant-colonel – a annoncé « monter au front » pour mener la « contre-offensive », en invitant la population en âge de se battre à l’y rejoindre. Dans ce pays où les coureurs de fond monopolisent les podiums internationaux, des sportifs donnent l’exemple : le vétéran des stades Haile Gebreselassie, double médaillé d’or olympique et huit fois champion du monde, s’est dit prêt à lutter « jusqu’à la mort ». Même le jeune athlète irrévérencieux Feyisa Lilesa, qui aux Jeux olympiques de Rio de 2016 avait montré au public ses poignets croisés en signe de soutien aux opposants, appelle à s’engager « pour sauver le pays ». « Clairement, beaucoup de gens voient la menace militaire du FLPT comme une menace existentielle pour l’Éthiopie », commente Andrew Harding, le correspondant régional de la BBC. A contrario, les personnalités qui appellent 50
au calme sont dénigrées. Tariku Gankisi l’a appris à ses dépens. Ce chanteur populaire, auteur du récent tube « Dishta Gina », était invité début novembre à se produire dans la capitale, lors d’une manifestation de soutien aux forces armées, place Meksel. Agacé par l’ambiance belliciste, il a improvisé un discours pacifiste : « Assez, le sang ne nous a jamais rien appris ! » a-t-il lancé à la foule, en direct à la télévision. Insulté et menacé, il a dû se cacher pendant quelques jours, avant de faire amende honorable lors d’une interview télévisée, s’excusant en pleurs d’avoir « offensé les Éthiopiens », dans ce qui évoque une contrition forcée.
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interview
Éloi Ficquet
« Le scénario de l’enlisement s’impose » Le seuil du risque est largement franchi : des actions à caractère génocidaire ont été perpétrées dès le début du conflit, derrière une opacité informationnelle totale, renforcée par des démentis systématiques des autorités. Après quelques mois, les massacres et les crimes sexuels ont commencé à être révélés, et l’arrêt de ces violences a fait l’objet de pressions internationales. À partir de la reprise de contrôle du Tigré par les Forces de défense tigréennes (FDT) en juin 2021, le projet génocidaire a AM : Séduits par Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix, pris plusieurs formes. D’abord, à la suite du retrait des troupes les Occidentaux et les États africains ont-ils refusé fédérales et de leurs alliés érythréens, un embargo sur l’achede voir la réalité en face ? minement de l’aide humanitaire visait à affamer et à asphyxier Éloi Ficquet : Même si Abiy Ahmed n’avait pas reçu le prix le territoire du Tigré. La situation humanitaire Nobel, les partenaires internationaux auraient reste grave et sans réponse. Ensuite, il y a eu une tergiversé. Sa stratégie de communication était inflation de discours de haine, accusant tous les séductrice : il se présentait comme un jeune Tigréens de conspirer contre l’unité nationale, dirigeant souriant et dynamique, cochant les comparant à des insectes, selon des formules toutes les cases de la vertu économique libérale typiques des engrenages génocidaires. Enfin, et des bons sentiments. Et aux yeux des parface au déploiement des forces tigréennes hors tenaires internationaux, tout régime en place de leurs positions pour faire cesser l’embargo, – quelle que soit la façon dont cette place est les Tigréens résidant hors de leur région ont été prise et occupée, pourvu qu’elle soit stabilisée – suspectés de former une « cinquième colonne » bénéficie d’une légitimité. Le prix Nobel n’est et ont fait l’objet d’arrestations, d’appels à la pas la cause de l’aveuglement, mais l’expresdélation, de détentions arbitraires. Alors que la sion d’une politique consentie d’aveuglement ! crise s’aggrave, ces populations détenues dans La première erreur a été de considérer qu’Abiy les camps sont directement menacées par des Ahmed incarnait un nouveau régime. Mais opérations de représailles. Le récent rapport du lorsqu’il a été investi au pouvoir en avril 2018, Haut-commissariat des Nations unies aux droits ce n’est pas en tant que figure de proue d’une Understanding de l’homme (corédigé avec la Commission éthioopposition qui aurait milité depuis des années Contemporary Ethiopia : pienne des droits de l’homme) a rendu compte pour le changement : son accession résultait de Monarchyn, Revolution de ces exactions. Mais de façon imprécise, peu calculs politiques internes au parti dominant, and the Legacy of Meles Zenawi, éditions Hurst, 2015. chiffrée et peu contextualisée, de manière conciafin de garder la main sur l’appareil d’État, tout liante avec le discours gouvernemental, sous en répartissant autrement l’assiette des responune forme consistant à lister des grandes catésabilités. Par un tour de passe-passe commugories de méfaits imputables à tous les belligérants, de manière nicationnel très habile, Abiy Ahmed a détourné, à son profit, à noyer les responsabilités dans les horreurs de la guerre… une situation de transition pour apparaître comme l’homme providentiel, capable de fonder un nouveau régime sur la base Abiy Ahmed a libéralisé l’Éthiopie en 2018. de slogans inspirés des prêches si lisses en surface que toute Désormais, il incite à la violence contre une partie critique glissait dessus. de ses citoyens. Comment comprendre
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Spécialiste de la Corne de l’Afrique à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Éloi Ficquet est le cosignataire, avec d’autres chercheurs, d’une tribune publiée en novembre 2021 dans Le Monde, qui dénonce le risque de génocide. Il est l’auteur, avec Gérard Prunier, de l’ouvrage Understanding Contemporary Ethiopia. Et ne cache pas son pessimisme…
Dans une précédente interview, en mai 2021, vous expliquiez comment le ressentiment des Éthiopiens envers les élites du FLPT s’est généralisé à l’ensemble des Tigréens, souvent perçus, à tort, comme favorisés. Le risque de génocide est-il réel ?
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son changement d’attitude ?
On ne peut que faire des suppositions sur la base de différentes informations biographiques. Son accession au sommet en 2018 n’est pas l’effet du hasard. Elle résulte de l’émergence d’une génération de jeunes politiciens réformistes au sein de
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DÉCRYPTAGE
la précédente coalition au pouvoir. Abiy Ahmed s’est inscrit dans ce sillage, tout en œuvrant au cœur de l’appareil d’État à l’organisation du système de renseignements et de contrôle de l’information. Occupant une position clé au cœur du régime, il a dû acquérir une analyse détaillée du système et de ses acteurs, ainsi que certains leviers d’action. De son côté, son identité est mixte sur les plans culturel (oromo, amhara) et religieux (chrétien évangélique, orthodoxe, musulman). Comme beaucoup d’Éthiopiens, sa personnalité est un alliage représentatif de la diversité de ce pays : cela a pu lui inspirer le sentiment d’être appelé à exercer un destin dépassant les clivages. Son ascension discrète a nourri une ambition, qui s’était exprimée par des textes (publiés sous pseudonyme) appelant à l’exercice vertueux du pouvoir. Il semble avoir vécu sa propulsion soudaine comme une élection dictée par la volonté divine. Il a évoqué, à plusieurs reprises, les prophéties faites par sa mère dans son enfance, disant qu’il deviendrait le « septième négus », dans la continuité avec l’ancienne monarchie. Ces croyances s’articulent aussi, chez lui, à une conversion au protestantisme évangélique charismatique, lequel associe salvation spirituelle et promesse de prospérité économique. Ces éléments ont contribué à l’énoncé d’une doctrine de la « réconciliation heureuse » entre tous les peuples. Dans l’ordre du discours, ces idées ont exercé une certaine séduction, mais dans la pratique, elles se sont traduites par la reprise en main d’un appareil d’État autoritaire livré au jeu destructeur des clientélismes locaux. Il y a une dimension d’illusionnisme dans les discours et l’exercice du pouvoir d’Abiy Ahmed, qui cherche à produire une réalité fictive, associant les mythes de grandeur du passé et les promesses d’un avenir enchanté.
opérations de nettoyage ethnique, pillages, destructions de récoltes, violences sexuelles… Cette stratégie de recours aux violences extrêmes contre les populations a provoqué des tensions dans la chaîne de commandement et nourri un sentiment de découragement parmi les soldats de métier. Comment connaître précisément ce qu’il se passe sur le terrain ?
Ces éléments d’explication sont des hypothèses s’appuyant sur quelques témoignages qui demanderaient à être étayés. Il a été très difficile aux journalistes d’accéder aux terrains des hostilités et de faire un travail de documentation objective. Et c’est désormais impossible : les médias occidentaux sont accusés d’avoir comploté à la défaite. La désinformation est une dimension importante de ce conflit. De part et d’autre, les belligérants ont produit des versions diamétralement opposées, sans que des observateurs puissent constater les faits. Dans une politique d’illusionnisme, qui confond la guerre et le spectacle de la guerre, chercher à décrire et élucider la vérité des combats est délictueux. Malgré tout, chaque récit contient ses propres dynamiques et produit ses contradictions, qui permettent de retracer en creux ce qu’il a pu se produire. L’une des principales raisons du recul de l’armée éthiopienne est d’avoir été désorientée par une politique du mensonge, tant dans les objectifs de la guerre que dans la façon de la conduire.
« L’armée fédérale a été confrontée à des combattants aguerris. Capables de se déplacer rapidement et discrètement. »
Comment expliquer le brusque retournement de la situation militaire ?
Au début du conflit, l’armée fédérale était certainement affaiblie par la purge de ses effectifs originaires du Tigré, notamment dans l’état-major. Elle était mal organisée et mal préparée à combattre. Pourtant, une victoire rapide lui était promise, mais la réalité l’a confrontée à des combattants tigréens aguerris, disciplinés, capables de se déplacer rapidement et discrètement en terrains escarpés, et déterminés à défendre leur territoire. Les défaites accumulées par les troupes fédérales semblent avoir amplifié leur désorganisation. De plus, l’alliance passée avec l’armée érythréenne et les forces spéciales et milices de la région Amhara a poussé les militaires à agir hors de la guerre conventionnelle en les associant à des 52
Les belligérants ont tous trouvé des alliés : le FLPT avec l’Armée de libération oromo (OLA), Abiy Ahmed avec les Érythréens, les Amharas et les Afars. Ces deux coalitions vous paraissent-elles équivalentes sur le plan militaire ?
Avant le conflit, les rivalités étaient de plus en plus vives entre chacun de ces groupes, et avec d’autres comme les Somalis. Je considérais alors que ces querelles et altercations entre groupes régionaux formaient un jeu à somme nulle, qui s’équilibrait par défaut, aucun n’étant en mesure de durablement s’imposer. Le niveau de tension était élevé, mais pouvait être contenu et négocié localement, sans se généraliser. C’est cet équilibre instable que le gouvernement d’Abiy Ahmed a voulu reprendre en main, en prônant officiellement le rétablissement de l’unité nationale au nom de l’amour entre les peuples, mais en pratiquant concrètement une politique inverse consistant à s’associer aux réseaux locaux de clientélisme, sous couvert de libéralisation économique, et à renforcer les forces armées régionales ainsi que les milices locales. De plus, toujours sous couvert d’une politique de réconciliation, c’est en fait une
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Un milicien afar sur les plaines salines de la dépression de Danakil, au nord.
alliance militaire qui a été construite en sous-main avec l’Érythrée. Cette recomposition des rapports de force a permis de contester l’hégémonie militaire acquise les années précédentes par les Tigréens, mais n’a pas suffi à imposer une supériorité de substitution. Le conflit, par une mathématique macabre qui se solde en dizaines de milliers de victimes directes ou indirectes, montre que ces forces s’annulent les unes les autres, sans qu’aucune ne puisse l’emporter. Le conflit pourrait donc s’enliser ?
Face à l’impasse actuelle, les positions divergent. Les acteurs de la coalition dite fédéraliste entre Tigré et Oromo appellent à sortir du conflit par l’ouverture de négociations politiques, qui impliqueraient, de la part de toutes les parties, de renoncer AFRIQUE MAGAZINE
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à la vision d’un pouvoir hégémonique et de mettre en place une répartition nouvelle des pouvoirs régionaux pour restaurer un équilibre, avec des mécanismes de prévention des conflits. Ce scénario est idéaliste. Dans les faits, il implique un renversement du pouvoir en place en un processus de transition qui resterait très instable. Face à l’impossibilité d’une sortie politique, c’est donc le scénario de l’enlisement qui s’impose, chaque armée cherchant à fixer des fronts, tout en essayant des manœuvres de contournement pour déstabiliser l’adversaire, trouver des failles, atteindre les cercles dirigeants… Jusqu’à ce que l’épuisement des forces armées et des ressources pousse l’un des camps à céder et à reconnaître une défaite, dont l’issue politique aboutirait à l’imposition de l’hégémonie du vainqueur. ■
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À l’horizon 2030, LES OBJECTIFS SONT AMBITIEUX. Il s’agit de doubler la richesse du pays. Et d’entamer un profond processus de modernisation, aussi bien pour l’État que pour le secteur privé et les citoyens ! par Zyad Limam
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La réussite de demain passe aussi par l’éducation et la formation de la jeunesse. Ici, à Gabiadji, dans l’ouest.
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aisons un saut en avant, d’une dizaine d’années, dans la Côte d’Ivoire de 2030. La population du pays avoisinera alors près de 34 millions d’habitants (au lieu de 28 milet Afrique du Sud). Elle sait également se montrer résiliente face lions aujourd’hui). Avec une grande majorité à la pandémie du Covid-19, maintenant une croissance positive de jeunes de moins de 30 ans. Abidjan compen 2020 et visant un taux final de 6,5 % pour 2021. tera aux alentours de 8 millions d’habitants, Le pays peut compter sur une économie déjà relativement s’imposant plus encore comme l’une des cités diversifiée, dopée par d’importants investissements dans majeures du continent, une ville particulièles infrastructures et la compétitivité, avec un secteur agrorement cosmopolite et métissée. En 2030, industriel performant (cacao, anacarde, banane, caoutchouc…), si tout se passe comme prévu, « according des services en pleine croissance. Géographiquement, la Côte to plan » comme disent les Anglo-Saxons, la richesse du pays d’Ivoire s’impose comme la porte d’entrée de la sous-région. aura de nouveau doublé (par rapport à la décennie 2011-2020), Son réseau routier, qui s’oriente progressivement vers les « intépour atteindre un produit intérieur brut (PIB) au-dessus de rieurs », représente 50 % de celui de l’Union économique et 90 milliards de dollars. Avec un revenu par habitant qui pourmonétaire ouest-africaine (UEMOA). Le pays dispose d’une rait tendre vers les 4 000 dollars. Le pays devrait maintenir un façade maritime sur le golfe de Guinée de près de 500 kilorythme de croissance de 7 % par an sur la période, restant dans mètres, et de deux ports majeurs. Celui de San Pedro, leader le peloton des 10 économies les plus dynamiques du monde. dans le secteur du cacao. Et celui d’Abidjan, dont la moderniEn 2030, la Côte d’Ivoire deviendrait alors un pays intermésation s’est encore accélérée avec un nouveau quai en eau prodiaire à revenu supérieur, avec une majorité de la population fonde et un second terminal à conteneurs. Malgré les limites et s’inscrivant dans ce que l’on appelle les classes moyennes. les contraintes, illustrées ces derniers mois par les délestages, L’économie, dopée par les investissements, aura pu créer 8 mille pays constitue encore la principale source d’énergie pour lions d’emplois supplémentaires, absorbant une grande partie toute la région. Et la mise à niveau du secteur se fait à marche du choc démographique. La pauvreté serait divisée par deux forcée. Cette plate-forme Côte d’Ivoire s’adresse à un double pour descendre en dessous de 20 % de la population, impacmarché (outre son potentiel intérieur) : l’UEMOA, qui compte tant positivement la vie de millions d’Ivoiriens. Des Ivoiriens près de 130 millions d’habitants avec une monnaie unique et qui vivront, en moyenne, dix ans de plus, avec une espérance stable, et la Communauté économique des États de vie de 67 ans. de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec plus de Ce scénario est inscrit dans la Vision 2030, Il faudra créer millions d’habitants. la matrice stratégique définie par le président des « champions 400Pour tenir le cap fixé par le président Alassane Ouattara lors de la campagne présiOuattara, tenir les objectifs du PND et de la dentielle d’octobre 2020. Ce scénario est aussi le nationaux », Vision 2030, pour relever le défi des opporturésultat des objectifs fixés par le nouveau Plan capables nités, l’approche ivoirienne s’appuie sur deux national de développement (PND) qui couvre la de viser haut, axes prioritaires. période 2021-2025 et qui prévoit un budget de d’être en 105 milliards de dollars d’investissements ! Les chiffres sont assez impressionnants et, dans ce concurrence, MODERNISATION, EFFICACITÉ contexte incertain et pandémique, cette foi en d’investir sur La première marche, c’est le développel’avenir pourrait paraître très optimiste. Pourtant, le long terme. ment du secteur privé national (et aussi intercette ambition n’est pas hors de portée pour le national via l’investissement direct extérieur). gouvernement du Premier ministre Patrick Achi. C’est le cœur du PND et de sa réussite. Sur les 105 milliards Le projet s’appuie tout d’abord sur une dynamique forte. On de dollars prévus, plus de 75 milliards doivent provenir de ces ne part pas de zéro. La décennie 2011-2021 aura été celle de tous entreprises, devenues des moteurs privilégiés de la croissance. les records. Selon le think tank britannique Legatum Institute, L’initiative privée doit prendre le relais de l’émergence. Avec la Côte d’Ivoire est le pays au monde qui a enregistré la plus un objectif de 75 % de l’investissement total en 2025. C’est le forte croissance de sa prospérité sur les dix dernières années. secteur privé qui doit assumer la création d’emplois pour faire Sur le plan macroéconomique, les chiffres sont assez clairs, face à la vague démographique et mobiliser les énergies d’une avec un taux de croissance moyen de 8 % sur la période 2012jeunesse nombreuse. C’est du secteur privé que doivent venir 2019, un budget de l’État multiplié par trois entre 2011 et 2020 les gains de productivité et de créativité avec, comme objectif, et le volume global des investissements par sept. En moins de d’augmenter la part de valeur ivoirienne dans des filières de dix ans, le PIB par habitant a doublé, faisant de la Côte d’Ivoire produits mondialisés. Produire en Côte d’Ivoire, promouvoir le l’un des tout premiers pays d’Afrique (hors États pétroliers made in Côte d’Ivoire devient une mission nationale. Cap donc 56
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Le président de la République Alassane Ouattara aux côtés du Premier ministre Patrick Achi et du ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, le 7 avril dernier.
sur la transformation des matières premières (en particulier le cacao, mais aussi les autres produits agricoles). Cap aussi sur un certain nombre de secteurs définis comme stratégiques et où le pays dispose d’avantages compétitifs : l’agriculture ou encore le textile, l’économie numérique, la construction et le logement, l’industrie légère, la pharmaceutique, la culture aussi… En creux se dessine un autre message fort pour les années qui viennent : l’État ne peut pas tout faire, offrir des emplois, s’endetter, garantir les crédits par sa signature souveraine, à l’infini. Les entrepreneurs doivent assumer une part du projet, une part du risque proportionnel aux formidables opportunités du pays. Prêt pour accompagner cette transition, pour relever le défi, l’État va encourager la croissance d’un certain nombre d’entreprises, accentuer leur taille, créer des « champions nationaux », capables de viser haut, d’être en concurrence, d’investir sur le long terme. Car si l’État n’est plus le bailleur ou le garant, il se doit d’être, et c’est le second volet du plan, « catalyseur », pour reprendre une expression du Premier ministre Patrick Achi. Il se doit de devenir stratège, manager, et de rendre plus rapide encore l’émergence de ce secteur privé. L’administration, la bureaucratie doivent s’alléger, être à l’écoute, se mettre en ordre de marche pour favoriser la croissance, le développement, soutenir l’initiative privée. Le service public devra s’élever au niveau des enjeux : le cadre AFRIQUE MAGAZINE
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juridique nécessaire, la transparence, la prise en compte des évolutions digitales. Une vraie petite révolution à un moment où les tâches de l’État régalien seront tout aussi prégnantes : la sécurité intérieure et extérieure, la justice, la lutte contre les inégalités, l’investissement dans les secteurs sociaux, l’éducation, la santé… Pour le secteur privé comme pour la sphère publique, cette exigence de modernisation et d’efficacité, ce saut réellement qualitatif s’avérera complexe à mettre en œuvre. L’agenda de réformes, le contenu du cadre législatif, la mise à niveau de l’éducation, de la formation, la stabilité régionale, l’amélioration durable de la situation sanitaire, tout devra fonctionner ensemble. Et les prévisions et les projets devront s’adapter à des évolutions systémiques comme le changement climatique, les exigences du développement durable, l’impact des migrations et du métissage. Mais cette grande ambition est nécessaire, incontournable. C’est par la croissance, par le progrès, par la modernisation que la Côte d’Ivoire pourra s’attaquer durablement à la question de la pauvreté, des inégalités sociales, des inégalités territoriales. Et plus de répartition des richesses, plus d’égalité sociale, plus d’inclusivité pour les plus fragiles, les plus éloignés, les plus jeunes, l’augmentation des classes moyennes, c’est aussi plus de stabilité, moins de conflits. Plus de confiance dans le devenir commun. Au fond, le projet économique génère de la modernité politique. ■
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Stratégie Le PND fixe le cap Le Plan national de développement 2021-2025 s’appuie sur un EFFORT MASSIF D’INDUSTRIALISATION. Objectif : pousser et accompagner l’émergence d’une classe moyenne nombreuse. par Jean-Michel Meyer
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âtir le futur avec 59 000 milliards de francs CFA. Soit du PNB (15 353 milliards de FCFA). Dans ce but, l’État prévoit 105 milliards de dollars. C’est l’imposant montant de recourir aux marchés financiers et d’augmenter la pression d’investissements à mobiliser par le gouvernement pour fiscale de 12,2 % à 13,3 % du PIB, loin des 20 % de la norme concrétiser le Plan national de développement (PND) communautaire de l’Union économique et monétaire ouest2021-2025, adopté le 22 septembre dernier. Celui-ci prévoit de africaine (UEMOA). « réaliser la transformation économique et sociale nécessaire Le plan prévoit des réformes structurelles de l’État (digitapour hisser la Côte d’Ivoire, à l’horizon 2030, au rang des pays à lisation de l’administration…), mais aussi une modernisation revenu intermédiaire de la tranche supérieure ». sans précédent de l’ensemble de la société. Le PND recense ainsi Signe d’une grande confiance dans l’avenir de la Côte d’Ivoire des pans entiers de l’économie (agriculture, énergie, industrie, en ces temps de pandémie, le PND est d’une ampleur inégalée. transports, entrepreneuriat, numérique, villes durables, intégraL’enveloppe financière à réunir est presque deux fois plus életion régionale…) et du social (emploi des jeunes et des femmes, vée que celle du précédent plan (2016-2020), qui n’avait levé éducation, enseignement supérieur, logement, accès à l’eau et à « que » 33 000 milliards de FCFA d’investissements. Pourtant, le l’électricité, salubrité, justice, cohésion sociale, droits humains, pays, qui programme « d’accélérer la marche vers l’émergence », etc.) qui bénéficieront des milliards investis. Avec ce coup de revient de loin. « En 2011, après une décennie de crise, notre fouet, le taux de croissance annuel moyen est attendu à 7,65 % nation était à genoux et semblait l’être pour longdurant le PND, contre 5,9 % entre 2016-2020. temps. Le PIB par habitant était retombé à son Avec ce coup Côté social, le revenu par habitant doit passer de niveau de 1961, plus de la moitié de la population de fouet, le taux 1 736 dollars en 2020 à 2 240 dollars en 2025, vivait sous le seuil de pauvreté […]. Nous avons puis grimper à 3 472 dollars en 2030. À la fin de croissance effacé ces temps de drame en dix ans, au prix du plan, l’économie devrait avoir créé 5 millions d’un effort collectif inouï », insistait Patrick Achi, annuel moyen d’emplois, et le taux de pauvreté devrait être est attendu le Premier ministre, le 8 novembre dernier. ramené à 30 % en 2025 contre 39,4 % en 2018. Aujourd’hui, selon les Nations unies, elle à 7,65 %. figure parmi les 12 économies à plus forte L’AUTOSUFFISANCE EN RIZ POUR 2025 croissance de la planète, avec un PIB réel gratifié d’une hausse La réussite du PND repose sur les activités clés de l’économoyenne annuelle de 8,3 % entre 2012 et 2019. L’objectif est de mie. L’agriculture (4 %), l’industrie (11 %), les mines (10 %), les conserver cette dynamique et de l’amplifier. Le préambule du hydrocarbures (10 %) et les transports (10 %) s’arrogent 45 % PND 2021-2025 prévoit « qu’à l’horizon 2030, l’économie ivoides investissements prévus. L’agriculture, qui emploie plus de rienne soit structurellement transformée, modernisée et indus5 millions de personnes, est un pilier national majeur. La Côte trialisée, et que le peuple ivoirien soit majoritairement affranchi d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao et de noix de l’extrême pauvreté et de la vulnérabilité ». Le plan doit ainsi de cajou, et se trouve au cinquième rang pour l’huile de palme et faire émerger « une classe moyenne jouissant de revenus adéle caoutchouc naturel. Mais elle est aussi le premier producteur quats et bénéficiant des services publics économiques et sociaux africain de bananes et le troisième de coton. L’ambition du PND essentiels qui assurent le confort et la qualité de la vie ». « est de garantir la compétitivité et la durabilité de l’agriculture Féru de planification, le pays enchaîne son troisième PND afin d’assurer la sécurité alimentaire, tout en créant des richesses depuis 2012. Celui qui s’ouvre verra le taux d’investissement équitablement partagées ». Une volonté qui s’appuie sur trois s’envoler, pour passer de 23,1 % du PIB en 2021 à 27,1 % axes : améliorer la productivité de 100 % sur cinq ans pour augen 2025. Un effort incomparable est attendu du secteur privé : menter la compétitivité des produits ; accroître la transformation 74 % des investissements du PND (43 647 milliards de FCFA) locale, avec la montée en puissance d’une industrie nationale ; reposent sur ses épaules. Soit près de 9 000 milliards de FCFA à et assurer l’intégration de l’agro-industrie dans les circuits monmobiliser par an. De son côté, le secteur public investira 26 % diaux de distribution et de commercialisation. 58
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Le pays veut renforcer sa présence dans l’exploitation des ressources du sous-sol. Ici, une mine d’or à ciel ouvert de Bonikro, dans la région des Lacs.
Outre la hausse des productions agricoles de 7,5 % en moyenne par an et l’amélioration du rendement des principales cultures vivrières (manioc, maïs, banane plantain, igname…), le défi décisif du plan consiste à bâtir une industrie de transformation locale, diversifiée et génératrice de valeur ajoutée, basée sur « le cacao, le café, la noix de cajou, le coton, l’horticulture (mangue, ananas…), le caoutchouc et l’huile de palme ». L’autosuffisance en riz est programmée pour 2025, la céréale locale approvisionnant 95 % du marché ivoirien. « Il faut une chaîne de valeur forte, qui puisse être attractive pour transformer les produits agricoles et créer de la richesse partagée », confirme Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD), qui s’est engagée à soutenir le plan. Autre activité clé : l’industrie, « capable d’accélérer le processus de transformation structurelle de la Côte d’Ivoire », assène le PND. Un fonds d’investissement et de développement industriel (FIDI) État-secteur privé verra le jour, avec une enveloppe de 1 000 milliards de FCFA sur cinq ans. Des activités prioritaires ont été identifiées, « les produits cosmétiques, le caoutchouc, le textile et les matériaux de construction ». Mais aussi « les industries pharmaceutiques, électroniques et automobiles » et « des niches de croissance » : économie numérique, tourisme et hôtellerie, industries des arts et culturelles.
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ÉPAULER LES DÉPARTEMENTS COMPÉTITIFS
Le plan met l’accent sur des secteurs présentant un avantage compétitif, tels les produits cosmétiques à base de beurre de cacao, « dans les soins pour la peau et les produits capillaires », exportés à 85 % vers la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ils pourraient aussi être vendus aux diasporas africaines des États-Unis et d’Europe, même si AFRIQUE MAGAZINE
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« la recherche et développement ainsi qu’une meilleure promotion et une image de marque sont nécessaires pour que les cosmétiques ivoiriens puissent concurrencer les marques mondiales établies ». Dans le textile, « la Côte d’Ivoire est l’un des deux seuls pays africains à produire du tissu imprimé à la cire », étroitement associé à l’identité continentale, mais elle est très concurrencée par les produits chinois. « L’industrie peut accroître sa compétitivité en renforçant la reconnaissance de la marque, en améliorant la qualité et en augmentant le nombre de modèles pour barrer la route aux contrefaçons chinoises », préconise le PND. Enfin, dans l’extraction des ressources du sous-sol (or, manganèse, nickel, bauxite), le pays veut renforcer sa présence dans l’exploration, l’exploitation, mais aussi la transformation. Idem avec le pétrole, il souhaite s’ériger en « hub régional ». Tel un cadeau inattendu, une « découverte majeure » de pétrole et de gaz naturel a été annoncée en septembre dernier. Elle pourrait rapporter de 106,5 à 142 milliards de dollars pour l’or noir et jusqu’à 25 milliards de dollars pour le gaz, à condition que la rentabilité des gisements soit prouvée. Pour l’instant, le gouvernement mène campagne pour séduire le secteur privé. Le 10 novembre 2021, le président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire, Jean-Marie Ackah, a confirmé « la disponibilité du secteur privé à prendre toute sa part dans la réalisation des ambitions de développement et de progrès ». Car « il s’agit de conférer une dimension stratégique au partenariat public-privé comme moteur des transformations structurelles et culturelles tant espérées ». Sur le volet international, le premier Forum d’affaires et d’investissements entre la Côte d’Ivoire et l’Amérique du Nord, qui s’est déroulé à la mi-novembre 2021 à Abidjan, a enregistré des intentions d’investissements nord-américains à hauteur de 19 milliards de dollars. Une délégation ivoirienne est également active à l’Expo 2020 Dubaï, qui se tient jusqu’au 31 mars 2022, et entend réunir autour de 2 milliards de dollars d’intentions d’investissements. Enfin, une table ronde des bailleurs de fonds, dans le courant du premier trimestre 2022, constituera le point d’orgue de la stratégie du gouvernement pour embarquer de futurs investisseurs internationaux dans la réalisation du PND 2021-2025. ■
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Agriculture Le défi de la transformation Cacao, anacarde, palme, banane, ananas, coton… Il s’agit d’aller au-delà des matières premières. Tout en assurant l’AUTONOMIE ALIMENTAIRE du pays. par Francine Yao 60
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Ramassage de l’or blanc à Korhogo. La filière compte 132 000 producteurs.
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a donne n’a pas changé depuis l’indépendance en 1960. Le secteur agricole constitue l’un des piliers majeurs de l’économie et représente l’un des principaux pourvoyeurs d’emplois avec plus de 5 millions de personnes en activité, dont 33 % pour les cultures de rente. Mais, au-delà du potentiel naturel important et des remarquables résultats en matière de développement agricole, la locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) veut franchir un autre palier. À savoir accélérer l’industrialisation de son agriculture. Dans ce sens, au niveau du cacao, premier produit d’exportation du pays, l’extension d’une usine de broyage à Yopougon AFRIQUE MAGAZINE
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– qui sera la plus grande unité de transformation de fèves de cacao au monde, avec une capacité de 170 000 tonnes – a été inaugurée mardi 2 novembre 2021. La Côte d’Ivoire ambitionne d’atteindre une capacité de broyage de plus de 950 000 tonnes à l’horizon 2022 sur une production annuelle moyenne de 2 millions de tonnes. En outre, le taux de transformation de l’anacarde s’améliore et se rapproche en 2021 de 15 % de la production nationale, contre moins de 10 %, il y a de cela deux ans. Le Projet de promotion de la compétitivité de la chaîne de valeur de l’anacarde (PPCA) – financé par la Banque mondiale – qui a permis l’installation d’unités industrielles dans différentes
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GAGNER DES PARTS DE MARCHÉ À L’INTERNATIONAL
Le gouvernement s’engage, dans le cadre du PND 20212025, à agir simultanément sur deux autres axes stratégiques. Le premier se focalise sur l’amélioration de la compétitivité des produits issus de la production végétale et animale. Cela concerne l’ensemble des étapes du processus : semences, irrigation, mécanisation, techniques culturales, fertilisation, transports, stockage, maîtrise de la qualité. Le second concerne la bonne intégration de l’agro-industrie dans les circuits de distribution et de commercialisation mondiaux, qui permettra de gagner des parts de marché à l’export, via des débouchés performants et sécurisés en Europe, en Amérique et en Asie, tout en profitant des opportunités des marchés qu’offre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Si les autorités veulent créer des richesses équitablement partagées, à partir de l’agriculture, elles souhaitent également assurer la sécurité alimentaire pour l’ensemble des populations. Elles ont en mémoire la colère des Ivoiriens, lors du premier semestre 2021, face à la cherté de la vie. De nombreux ménages n’avaient alors cessé de dénoncer le coût élevé des denrées de première nécessité. Certes, ce constat a été identique dans la plupart des pays importateurs, au lendemain de la pandémie mondiale de Covid-19. Mais face à cette situation, le gouvernement souhaite proposer une solution stable, en garantissant la compétitivité et la durabilité de l’agriculture. Dans cette optique, à travers le PND 2021-2025, l’État envisage d’accroître considérablement la production annuelle des cultures vivrières : de 1 127 789 tonnes à 1 393 951 tonnes pour le maïs, de 7 932 872 tonnes à 9 463 339 tonnes pour l’igname, de 6 194 600 tonnes à 8 064 107 tonnes pour le manioc, et enfin de 2 105 095 tonnes à 2 548 107 tonnes Patrick Achi (au centre) pour la banane plantain. Il s’agira donc a inauguré l’extension de l’usine de produire suffisamment afin de rendre de Cargill à Yopougon, les produits vivriers accessibles et moins le 3 novembre dernier. chers. Et ainsi, il sera possible de limiter la dépendance du pays avec les nations extérieures. En guise d’exemple, la Côte d’Ivoire a eu besoin de 2,2 millions de tonnes de riz en 2020. Sa production nationale étant estimée à 1,3 million de tonnes, elle a déboursé 317 milliards de FCFA pour importer les 900 000 tonnes manquantes. Enfin, le pays génère 5 000 tonnes de produits halieutiques par an, mais il a besoin de 500 000 tonnes de poissons sur la même période. Le gouvernement veut donc accroître et rendre compétitives les productions animales et halieutiques, toujours afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. ■
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zones, va aider à relever ce taux. Le domaine du coton n’est pas non plus en reste, avec la relance de l’industrie textile à Korhogo, Bouaké, Dimbokro et Agboville. Selon l’Organisation interprofessionnelle agricole de la filière coton (Intercoton), la campagne 2021-2022 s’annonce historique, avec une production de plus de 580 000 tonnes. Ce résultat sera réalisé par les 132 000 producteurs que compte la filière. En 2020-2021, la Côte d’Ivoire, avec 520 000 tonnes, a été le second producteur africain d’or blanc, derrière le Bénin (730 000 tonnes), mais devant le Burkina Faso (492 600 tonnes) et le Mali (147 200 tonnes). Le coton est le quatrième contributeur aux recettes d’exportation agricoles, après le cacao, le caoutchouc naturel et la noix de cajou. S’agissant du riz, une denrée de grande consommation, dans le Plan national de développement (PND) 2021-2025, le gouvernement prévoit, entre autres, de faire évoluer l’autosuffisance de 70 à 100 % ; d’améliorer la croissance du produit intérieur brut (PIB) courant rizicole en le portant de 4 % en 2021 à 12 % à l’horizon 2025 ; ainsi que de faire évoluer l’accroissement annuel moyen de la production de riz blanchi de 50 à 90 % sur la période 2021-2025. De façon opérationnelle, il s’agira, d’une part, de construire et d’équiper les 20 pôles rizicoles et, d’autre part, d’améliorer l’approche de la mécanisation et l’acquisition de matériel. Tout en mettant l’accent sur l’accès aux femmes dans l’exploitation des périmètres irrigués. Par ailleurs, selon le Premier ministre, Patrick Achi, dans la recherche d’une autosuffisance alimentaire en matière de poisson d’ici à 2025, le programme stratégique pour la transformation de l’aquaculture devrait être lancé fin 2021. Car, le pays importe pour 325 milliards de francs CFA de produits halieutiques chaque année.
Inclusivité Lutter contre les inégalités
Le deuxième programme social va venir SOUTENIR les populations fragiles, dont celles du Grand Nord. par Francine Yao
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une politique de décentralisation est mise en œuvre à travers, elon la Banque mondiale, « la Côte d’Ivoire a fait un notamment, la création de 12 districts qui s’ajoutent à ceux léger bond dans le classement de l’indice du capital d’Abidjan et de Yamoussoukro. Selon le Premier ministre, ils humain (0,38) en 2020. La pauvreté y est en net recul, vont renforcer la coordination et l’évaluation de l’exécution des passant de 46,3 % en 2015 à 39,4 % en 2020 ». Cet programmes de développement, tout en assurant une superviindice – allant de 0 à 1 – estime le potentiel humain qu’un enfant sion accrue sur l’action de l’État et des collectivités territoriales. né aujourd’hui pourrait atteindre d’ici ses 18 ans, en prenant Cette décentralisation permet de jeter un regard particulier sur en considération sa survie, sa scolarité, sa santé. Au sujet de la les populations du Grand Nord, cette partie du pays en proie à pauvreté ivoirienne, l’institution précise que « cette baisse se des assauts de groupes terroristes qui recrutent là où les poches limite aux milieux urbains ; le nombre de pauvres ayant augde pauvreté sont les plus étendues, c’est-à-dire en zone rurale. menté dans les zones rurales sur la même période (+2,4 %) ». Cette situation pousse le gouvernement à accorder un intérêt particulier à la lutte contre les inégalités. « Le souci du président COMBATTRE LE TERRORISME Alassane Ouattara, c’est que chaque Ivoirien puisse avoir accès Pour éviter que le nord ne devienne un terreau fertile du teraux biens sociaux nécessaires à sa vie. Toutes ces choses qui font rorisme, l’État a décidé d’agir pour améliorer les conditions de qu’on a le sentiment d’avoir une vie décente », a affirmé Patrick vie de sa population. Le ministre de la Promotion de la jeunesse, Achi, le 8 novembre dernier à la primature. Cet engagement de l’Insertion professionnelle et du Service civique, Mamadou du chef de l’État à lutter contre les inégalités sociales devrait se Touré, y a effectué une tournée de plusieurs jours. Ce déplacetraduire bientôt, comme l’a indiqué le Premier ministre : « Sur ment a démarré le vendredi 19 novembre par Kafolo (Kong), instruction du président de la République, nous allons mettre localité qui a subi deux attaques terroristes en dix-huit mois. en œuvre, dès janvier 2022 et pour trois ans, un PSGOUV 2 L’objectif était de sensibiliser les populations sur l’existence d’un [deuxième programme social du gouvernement, ndlr] avec cinq fonds spécial en faveur des jeunes et d’évaluer les programmes priorités. » Ces cinq axes primordiaux sont : la lutte contre la mis en place par l’Agence emploi jeune. Près de 3 000 d’entre fragilité dans les zones nord frontalières ; l’éducation et la foreux seront concernés par ce plan d’urgence. « L’État et le gouvermation ; l’amélioration des conditions de vie en milieu rural et nement ne vous abandonneront jamais. Le gouvernement sera l’autonomisation des femmes ; l’insertion profesà vos côtés dans la lutte contre le terrorisme », a sionnelle des jeunes, le service civique et les écoles « La baisse promis Mamadou Touré, précisant que, dans les de la deuxième chance ; la couverture sociale des de la pauvreté semaines à venir, les premiers bénéficiaires de populations précaires. fonds seront connus. Il a ajouté que des jeunes se limite encore ce Sur les dix dernières années, la Côte d’Ivoire seraient aussi formés à des métiers, comme la a réalisé des performances remarquables en aux milieux réparation de forage, la mécanique, etc. Par macroéconomie, avec un taux de croissance urbains. » ces gestes à l’égard des populations du nord, le moyen du produit intérieur brut de 8 % entre 2012 gouvernement souhaite répondre aux inégalités et 2019, qui a fait doubler la richesse par habitant. Le budget de en matière d’opportunités d’emploi, mais aussi offrir des persl’État a été multiplié par trois, passant d’un peu plus 2 500 milpectives à une jeunesse fragilisée. Le pays inclut ses habitants liards de FCFA en 2011 à plus de 8 000 milliards de FCFA en les plus vulnérables dans sa stratégie de l’essor économique et 2021. Le volume global des investissements a été multiplié par social. Le Plan national de développement 2021-2025 s’inscrit sept sur la même période. Ces chiffres témoignent de la capacité dans une vision globale de réduction de la pauvreté. Il met l’acdu pays à produire de la richesse, mais la question de sa redistricent sur la quête d’un développement équilibré entre les régions, bution se pose. Certaines populations estiment, à tort ou à raimais aussi plus inclusif en offrant à certaines catégories sociales son, ne pas suffisamment bénéficier des fruits de la croissance (femmes et jeunes) des programmes spécifiques destinés à favoéconomique du pays. Afin d’améliorer cette redistribution, riser leur autonomisation et leur employabilité. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Infrastructures Une envergure stratégique
Le gouvernement continue à investir dans ce secteur clé pour la COMPÉTITIVITÉ du pays. par Francine Yao
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a qualité des infrastructures est un facteur majeur d’accroissement de la compétitivité d’une économie. Et les autorités ivoiriennes, qui affichent de grandes ambitions de développement, ne lésinent pas sur les moyens pour lancer des travaux d’envergure devant servir de catalyseurs à l’essor du pays. Dans cette optique, et face à la congestion du Grand Abidjan, elles se sont focalisées sur le renforcement du transport lagunaire et sur le métro d’Abidjan. Le projet du système de bus à haut niveau de service, le Bus Rapid Transit (BRT), a aussi été accéléré. Il consiste à construire un réseau de lignes dédiées pour les transports en commun. Selon le ministre des Transports, Amadou Koné, l’État a conclu avec le gouvernement suédois d’une part, et la Banque mondiale d’autre part, des conventions pour le financement de la réalisation des BRT sur le boulevard Latrille et sur l’axe Yopougon-Bingerville. Ces travaux devront commencer en 2022.
clôture, pour permettre une utilisation optimale du train, dont la vitesse maximale est de 100 km/h, et de 80 km/h en situation d’exploitation. Cela lui permettra d’effectuer une fréquence de passage toutes les dix minutes et de transporter environ 500 000 passagers par jour, sur 37,9 kilomètres, entre Anyama (nord d’Abidjan) et Port-Bouët (sud d’Abidjan). En outre, le gouvernement accélère les projets d’infrastructures routières dans le district de la capitale économique. Cela concerne, entre autres, le chantier du quatrième pont Yopougon-Plateau. D’un coût de 142 milliards de FCFA, ce projet, financé par la Banque africaine de développement (BAD) et l’État ivoirien, vise à accroître la mobilité au niveau de la ville, en réduisant les embouteillages entre Yopougon-Plateau et Yopougon-Adjamé et en désengorgeant l’autoroute du Nord. L’ouvrage sera colossal : une chaussée en 2x3 voies séparées par un terre-plein central de 20 mètres (constituant la zone de passage du deuxième train urbain d’Abidjan du côté de Yopougon sur un peu plus de 4 kilomètres), trois échangeurs sur les voies principales franchies par le projet à Yopougon, une plateLE MÉTRO, UN RÊVE QUI PREND FORME forme de péage de 850 mètres à Attécoubé, un pont de 1,4 kiUn projet innovant, révolutionnaire… Les qualificatifs lomètre sur la baie du Banco, trois échangeurs ou bretelles à du futur métro d’Abidjan ne manquent pas. Lancé en nola traversée du boulevard de la Paix, et enfin, une chaussée vembre 2017, il a eu du mal à décoller. Essentiellement en 2x2 voies entre la fin de l’échangeur de Boribana et l’Indénié. raison des coûts de financement. Toutefois, les négociations Concernant le pont Plateau-Cocody, ses travaux – portant sur le démarrage des travaux – meavancent à grands pas. nées entre l’exécutif et le groupe français Bou- Les autorités Parmi les autres grands chantiers en cours : ygues, tête de pont du consortium engagé, ne lésinent pas l’aménagement de l’autoroute périphérique d’Abiont finalement abouti à la signature d’un prosur les moyens djan ainsi que le dédoublement des sorties est et tocole d’accord entre les deux parties, le 8 octobre 2019. L’investissement, estimé à environ pour lancer de ouest. Connue sous le nom de Y4, la grande voie 918,34 milliards de francs CFA (soit 1,4 mil- grands travaux de contournement de la capitale économique est une infrastructure de 2×2 voies devant permettre liard d’euros) sera financé intégralement par la devant servir le centre-ville en reliant les communes de France. Ce groupement d’entreprises (composé de catalyseurs. d’éviter Songon, Abobo-Anyama, Cocody et Port-Bouët, des groupes français Bouygues Travaux Publics, et faciliter ainsi l’accès à la zone portuaire d’Abidjan. La secAlstom, Colas Rail et Keolis) est en charge de la réalisation de tion 2 de l’Y4, longue de 15 kilomètres, reliera la commune l’ouvrage. Selon le gouvernement ivoirien, le démarrage de la d’Anyama à l’autoroute du Nord. La section 3, pour sa part, construction devrait intervenir autour de mi-2022. Et une preconnectera cette dernière à la commune de Songon, une zone mière tranche du projet devrait être livrée en 2025. d’extension de la ville d’Abidjan. Quant au dédoublement L’itinéraire du métro comprendra deux voies, 18 stations, des sorties est et ouest, les opérations ont démarré à l’ouest. 21 ponts (rails et routes), et un viaduc sur la lagune Ébrié. L’agrandissement de la voie de Dabou part de l’autoroute du L’emprise de la voie sera totalement sécurisée et protégée d’une 64
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Une fois terminé, le pont Yopougon-Plateau permettra de décongestionner la circulation.
Nord jusqu’au carrefour de Jacqueville. Les travaux devraient s’achever en mars 2022. Selon le ministre des Transports, la construction de l’Aérocité sur la zone Akwaba, qui devait débuter cette année sur une superficie de 50 hectares, est contrariée par un manque de dotation budgétaire afin d’honorer les engagements contractuels avec le consultant (engagé dans le projet depuis 2015). Le montant est de 150 millions de FCFA, a indiqué Amadou Koné, devant les députés, le 18 novembre dernier. Déclaré d’utilité publique en 2010, le projet consiste en l’aménagement et l’exploitation d’une ville aéroportuaire située en périphérie de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny (Port-Bouët), sur une superficie de 3 700 hectares, outre le périmètre concédé à Aéria, le concessionnaire de l’aéroport. L’objectif est de bâtir sur cet espace des complexes hôteliers, industriels, commerciaux et sportifs, ainsi que des équipements publics. En outre, la capitale économique devrait se doter d’un parc des expositions moderne qui s’inscrit dans le cadre de la construction de l’Aérocité. Localisé entre le carrefour Akwaba et l’aéroport international, il sera en mesure d’accueillir des salons d’envergure nationale et internationale, mais également des conventions et des congrès politiques, culturels ou religieux, ainsi que des événements sportifs.
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L’INTÉRIEUR N’EST PAS OUBLIÉ
Par ailleurs, à l’intérieur du pays, les travaux de la route de la Côtière ont débuté le 18 septembre 2021, pour un coût de plus de 300 milliards de FCFA. Ils consistent au renforcement de cette voie longue de 353,5 kilomètres, reliant Abidjan à San Pedro, la seconde ville portuaire. Autre projet et en cours, AFRIQUE MAGAZINE
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le prolongement de l’autoroute de Yamoussoukro-Bouaké qui est longue de 106 kilomètres. Les travaux ont débuté le 3 octobre 2017. Ils étaient prévus pour vingt-quatre mois, mais leur durée a été réévaluée à quatre ans. Toutefois, du fait de la crise sanitaire du Covid-19, le chantier a pris du retard. Selon le ministre de l’Équipement et de l’Entretien routier, Amédé Kouakou, les phases restantes sont celles du revêtement. Aussi, pour accompagner et satisfaire les besoins des populations en mobilité urbaine, les activités de la Société des transports abidjanais (SOTRA) ont été étendues à Bouaké. Elles se poursuivront dans les villes de Yamoussoukro, Korhogo et San Pedro. En outre, le pays peaufine les six stades qui serviront de théâtre à la CAN 2023 : le stade olympique d’Ebimpé (60 000 places), à la périphérie d’Abidjan ; le stade Félix Houphouët-Boigny (33 000 places), à Abidjan ; celui de San Pedro (20 000 places) dans l’ouest ; et ceux de Bouaké (40 000 places), de Korhogo (20 000 places) et de Yamoussoukro (20 000 places), tous trois situés au centre du pays. Enfin, la finalisation du réseau national haut débit (RNHD), appelé Backbone National, est en cours. Il sera constitué d’un maillage de fibres optiques représentant 7 000 kilomètres. Il devrait permettre, à long terme, de contribuer à vulgariser l’accès aux systèmes des télécommunications, des technologies de l’information et de la communication. Il favorisera la création de nouveaux emplois et dynamisera l’économie numérique nationale. Avec le programme RNHD, ce sont 1 400 kilomètres de fibres optiques dans la zone ouest et 622 kilomètres dans la partie est qui ont été déployés. La phase de réalisation des 5 000 kilomètres, qui est en cours, finalisera le maillage complet du territoire. ■
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Entreprises et entrepreneurs seront au cœur de la TRANSFORMATION STRUCTURELLE de l’économie. par Francine Yao 66
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elon la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), le secteur privé témoigne de son rôle déterminant dans l’économie nationale. Il représente deux tiers du total des investissements, 83 % des emplois formels et contribue à 90 % aux ressources budgétaires de l’État. Toutefois, à la suite des effets de la crise sanitaire de Covid-19, près de 38 % de ces sociétés ont vu leurs activités tourner au ralenti et 2,5 % d’entre elles ont mis la clé sous la
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Secteur privé La priorité nationale
dans le Plan national de développement 2021-2025, évalué à 59 000 milliards de francs CFA. Celui-ci prévoit un investissement accru de 75 % dans les PME. « Il n’y a aucun autre moyen de permettre au secteur privé d’avancer à la vitesse que l’État souhaiterait : nous devons créer un partenariat extrêmement proche qui permette aux uns de soutenir les autres », a déclaré le Premier ministre Patrick Achi, le 25 octobre dernier à la primature. Cette dynamique s’est amorcée depuis que son équipe a associé les acteurs du privé afin d’entendre leurs préoccupations, lors du séminaire gouvernemental d’avril 2021. Les invités s’en sont félicités, car cela constituait une première dans le pays. SÉLECTIONNER DES ACTEURS LOCAUX
L’usine Tomates de Côte d’Ivoire (TOMACI), située dans la zone portuaire de Treichville, appartient au groupe Carré d’or.
porte. Malgré tout, le secteur a su faire preuve d’une étonnante résilience. Pour preuve, le taux de croissance du pays est resté positif, situé autour de 2 % en 2020. Un bon résultat obtenu en partie grâce au gouvernement qui a su soutenir les sociétés à travers plusieurs aides : le Fonds de soutien aux grandes entreprises, celui destiné aux petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que le Fonds d’appui aux acteurs du secteur informel. Pour ce dernier, plus de 830 sociétés et 114 000 acteurs ont pu en bénéficier. Au vu des performances du secteur privé et, surtout, de son apport central dans l’économie, le gouvernement entend en faire une cause nationale. Il a choisi de le soutenir massivement, notamment à travers un partenariat renforcé inscrit AFRIQUE MAGAZINE
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De grandes réformes ont été annoncées à l’occasion de la 9e édition de la CGECI Academy, qui s’est tenue les 28 et 29 octobre derniers au Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire. Elles portent, entre autres, sur le programme des Champions nationaux dont le but est d’identifier et de sélectionner rigoureusement des acteurs locaux afin de permettre l’éclosion d’entreprises à haut potentiel. L’objectif est de constituer des écosystèmes d’affaires dans des domaines porteurs comme l’agro-industrie, l’énergie, le transport, le tourisme, le textile… « La solution, c’est le développement du secteur privé, premier pourvoyeur d’emplois. Si nous ne faisons rien pour le développer, nous n’aurons plus suffisamment de recettes, a déclaré le locataire de la primature à l’occasion de cet événement. Nous lancerons bientôt un programme d’accompagnement et de financement des entrepreneurs, des TPE [très petites entreprises, ndlr] et des PME, structuré autour d’un guichet unique capable d’offrir un point d’entrée central à tout créateur d’entreprise, en coordonnant un continuum de services et de financements de l’activité. » Pour sa part, Jean-Marie Ackah, président de la CGECI, a salué le 4 novembre dernier l’engagement de l’exécutif à consolider le partenariat État-secteur privé en ces termes : « Nous venons d’avoir, en l’espace de dix jours, une deuxième séance de travail avec le Premier ministre et des membres du gouvernement. Nous sommes très satisfaits de la feuille de route qui a été établie. » STIMULER L’INSERTION PROFESSIONNELLE
Comme le secteur privé est le premier pourvoyeur de postes salariés, le gouvernement lui accorde une place de choix. Il est même devenu une priorité nationale dans la Vision 2030 du président de la République. L’objectif est de créer 8 millions d’emplois supplémentaires d’ici là, principalement destinés aux jeunes qui se présentent massivement sur le marché chaque année. De plus, le pouvoir a inscrit la création de richesses et d’emplois dans le programme Une Côte d’Ivoire solidaire, d’Alassane Ouattara. Ainsi, des activités comme la transformation des matières premières (cacao, anacarde, coton, etc.) seront exploitées pour l’insertion professionnelle. ■
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Environnement Les dossiers chauds du développement durable Les bouleversements induits par le RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE sont de plus en plus tangibles. Pour se préparer à l’avenir, des problématiques clés doivent être affrontées. par Jihane Zorkot et Nabil Zorkot
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a Côte d’Ivoire compte aujourd’hui près de 28 millions d’habitants, et ce chiffre ne fera qu’augmenter dans un avenir proche. Combiner croissances démographique et économique est un véritable défi, auquel s’ajoute la nécessité de mettre en œuvre le développement durable et l’urgence de la préservation d’un écosystème très fragilisé. Lors de la COP26 à Glasgow, en Écosse, la « République du cacao » s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30,41 % d’ici à 2030. Un effort aussi considérable qu’indispensable : la richesse du pays, dont l’économie repose en grande partie sur l’agriculture, est basée sur ses terres fertiles. Pour accompagner le progrès et les objectifs annoncés pour 2030, la transition écologique est plus que vitale, et les fronts sont multiples.
La réalité du changement climatique Au classement des pays considérés comme les plus vulnérables face aux dangers liés au réchauffement de la planète, la Côte d’Ivoire se positionne à la 147e place, sur 178 nations. On constate déjà une augmentation de la température moyenne, qui se traduit par une chaleur excessive, une pluviométrie incertaine, des saisons des pluies irrégulières et des inondations fréquentes. L’harmattan, vent sec venu du désert, souffle à présent pendant près de trois mois, alors que ce phénomène durait tout au plus quinze jours il y a encore une dizaine d’années. L’élévation du niveau de la mer risque d’avoir de lourdes conséquences, en particulier pour Abidjan et les lagunes côtières. Le long du littoral, ce changement est perceptible à l’œil nu : l’ancienne ville de Grand-Lahou, menacée par l’Atlantique, s’est ainsi déplacée vers l’intérieur des terres. Le réchauffement climatique intensifie aussi les migrations des populations des zones sahéliennes vers la Côte d’Ivoire, fait très visible à Abidjan et dans d’autres villes du pays. Ces régions, 68
fortement touchées par le terrorisme, sont également impactées par la raréfaction de l’eau et les précipitations très aléatoires. Les habitants prennent la route du Sud, qu’ils considèrent comme une destination proche et sûre. Le changement climatique pourrait aussi affecter l’une des cultures phares du pays. Avec une production d’environ 2 millions de tonnes par an, le pays est le premier exportateur mondial de cacao. L’augmentation de la température risque de rendre les terres plus arides et moins fertiles. Cela entraînera une baisse de la production, car avec un sol moins riche, les plantations devront être déplacées à de plus hautes altitudes, où les températures seront plus favorables. Face à ces menaces protéiformes, l’État, la société civile et les acteurs économiques se mobilisent progressivement. Mais, comme pour les autres pays émergents, la question du financement massif de la transition, et donc celle de la solidarité des nations riches et polluantes, reste posée. En attendant cette improbable solidarité internationale, la Côte d’Ivoire pourrait appliquer plus largement le principe du pollueur-payeur. Elle ferait ainsi d’une pierre deux coups. D’une part, elle obtiendrait de nouvelles rentrées fiscales et, d’autre part, les industries et les individus pourraient promouvoir des solutions innovantes et enclencher un cycle vertueux de développement durable.
La préservation de la forêt La Commission européenne a présenté le 17 novembre dernier un projet de texte visant à fermer le marché de l’UE à tout produit participant à la déforestation. Cette nouvelle règle pourrait s’appliquer au soja, au bois, au cacao, au café, à l’huile de palme et au bœuf, ainsi qu’à certains des biens dérivés, comme le cuir et l’ameublement. La forêt est devenue un enjeu planétaire. En particulier la forêt tropicale humide, qui joue un rôle de régulation contre le réchauffement, et qui a une influence sur les pluies nécessaires aux cultures vivrières et empêche l’élévation
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Le parc national du Banco est le poumon vert de la capitale économique.
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des températures. Elle contribue également à la protection de la faune et à la vivacité de la biodiversité. En Côte d’Ivoire, l’heure est à l’urgence. Au cours de ces soixante dernières années, 90 % de la forêt du pays a disparu. Son exploitation, et le secteur du bois, qui fut longtemps le troisième produit d’exportation, ont joué un rôle majeur dans cette déforestation fulgurante. Le choix prioritaire accordé aux cultures de rente industrielle (cacao, hévéa, palmier à huile) en est l’une des raisons directes, avec l’urbanisation et la pression démographique. Le pays s’est engagé dans un vaste projet de préservation et de réhabilitation des forêts restantes, ainsi que dans la mise en place du concept d’agroforêt dans les zones de culture intensive. On estime aujourd’hui le couvert forestier à 2,97 millions d’hectares, soit seulement 9,2 % du territoire. Le gouvernement a pour volonté de le porter à 20 % d’ici à 2030, avec le soutien massif des bailleurs de fonds internationaux. En juillet 2021, le ministre des Eaux et Forêts, Alain-Richard Donwahi, a présenté l’inventaire forestier et faunique national, étape essentielle du projet. Et en mai 2021, le ministère a lancé l’opération « 1 jour 50 millions d’arbres », objectif à atteindre d’ici la fin de l’année. À ce jour, on estime que plus de 28 millions d’entre eux ont été plantés. Un pas de plus dans cette lutte à long terme au bénéfice des générations futures.
Abidjan, qui comptait 150 000 résidents au début des années 1960, est devenue en quelques dizaines d’années une grande métropole de près de 5 millions d’habitants. La ville ne cesse de s’étendre. Du fait de sa croissance démographique incessante, elle connaît chaque année, mécaniquement, une forte hausse de la production globale de déchets. On estime qu’elle génère globalement plus de 1,6 million de tonnes par an de déchets et près de 290 tonnes de déchets plastiques par jour. Et 95 % de ces derniers finissent dans des décharges, plus ou moins bien gérées, ou dans la nature. Ces détritus s’accumulent dans la lagune d’Abidjan, à l’entrée et à la sortie des villes et villages. Ils se déversent dans les fleuves et rivières jusqu’aux embouchures, menaçant la reproduction des espèces aquatiques nécessaires à l’alimentation de la population. En mai 2013, un décret a interdit la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’utilisation des sachets plastiques – mesure difficile à appliquer et à faire respecter. Toutefois, de nouvelles solutions de collecte apparaissent. Des jeunes entreprises proposent des méthodes innovantes. Ainsi, Recyplast a mis en œuvre le projet Plastock, avec une application mobile et des « box » de récupération pour favoriser un recyclage citoyen. L’initiative a fait ses preuves et va être déployée dans d’autres communes. Une action structurante et d’envergure a aussi été décidée avec la fermeture de l’immense décharge d’Akouédo, en bordure de la capitale économique, et l’assainissement du site, particulièrement pollué. La décharge sera transformée en un parc urbain. Le projet est exécuté par le groupe PFO et l’endroit accueillera, entre autres, des espaces verts, des aires de jeux et de sport, et un centre de formation aux métiers de l’environnement.
La lutte contre l’orpaillage clandestin La Côte d’Ivoire est située sur la ceinture de roches birimiennes d’Afrique de l’Ouest, une très vaste formation géologique riche en or et en minerais. Le pays est de ce fait doté d’un énorme potentiel d’exploitation minière, qu’il partage avec ses voisins, et il a su en tirer parti. En 2020, la mine de Tongon, au nord, a produit 9,1 tonnes d’or, un record sur ses dix années d’exploitation. Le secteur minier représente 5 % du PIB du pays, un chiffre qui pourrait augmenter grâce à l’ouverture de nouvelles mines. En marge de ce secteur formel se développe malheureusement l’orpaillage clandestin, notamment dans la région de la Mé, au sud. Cette technique utilise des moyens d’extraction nocifs pour l’environnement, mais aussi pour la santé. Afin de pouvoir détacher
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L’ancienne décharge d’Akouédo est appelée à devenir un futur parc naturel.
La menace des déchets plastiques
Ville balnéaire au sud-ouest, Grand-Béréby est une aire marine protégée depuis décembre 2020.
le métal précieux des matières rocheuses, les chercheurs d’or ont recours à des produits chimiques toxiques, comme le mercure. Celui-ci viendra ensuite polluer les plans d’eau, qui seront à leur tour absorbés par le biote, et finira, par le biais de la chaîne alimentaire, par atteindre les humains. Par ailleurs, pour exploiter la terre, les orpailleurs défrichent totalement les terrains, les rendant impropres à l’agriculture. L’État s’est engagé dans une lutte contre ces activités illégales. En 2018, le ministère des Mines annonçait la création d’une brigade spéciale pour les réprimer, ainsi que condamner les infractions au code minier. Le ministère a également ouvert des chantiers écoles dédiés à la formation des acteurs du secteur. Cependant, le contrôle du territoire s’avère complexe.
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La sauvegarde de la mangrove Nichées entre terre et mer, les mangroves sont des écosystèmes riches et fragiles constitués principalement de palétuviers poussant dans les littoraux tropicaux. Comptant parmi les écosystèmes les plus productifs au monde, elles jouent un rôle important pour les populations locales. Avec leur forte capacité d’absorption du CO2, elles contribuent à limiter le réchauffement et constituent un milieu où s’épanouit la vie aquatique. C’est donc près d’elles que s’approvisionnent les pêcheurs. Élément AFRIQUE MAGAZINE
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de stabilité et de diversité, la mangrove ivoirienne est en voie de disparition. Selon une étude menée par Philippe Cecchi, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (France), et Allassane Ouattara, enseignant-chercheur à l’université Nangui Abrogoua d’Abidjan, la superficie de la mangrove a diminué de près de 95 % en moins de cinquante ans, passant de 500 kilomètres carrés en 1970 à une trentaine en 2013. En cause, la surexploitation des palétuviers, utilisés comme bois de chauffe par les populations locales, et la destruction de son environnement au profit de l’expansion urbaine ou du développement des infrastructures. À cela s’ajoutent des phénomènes naturels, comme la fermeture récurrente des passes qui relient la lagune à la mer, les inondations ou l’érosion des côtes. La pollution humaine reste un facteur déterminant. La grande majorité des effluents urbains et industriels d’Abidjan arrivent peu ou pas traités dans la lagune Ébrié, contribuant à la dégradation de la qualité des eaux, ce qui est très préjudiciable aux mangroves. Les différents projets d’assainissement et d’aménagement de la baie de Cocody doivent, à terme, permettre de retrouver une dynamique écologique. L’assainissement de la baie aura un impact positif sur les mangroves entourant Abidjan, notamment celle de l’île Boulay. Cette opération, déployée à l’échelle du pays, leur redonnerait une nouvelle vie… ainsi qu’aux lagunes. ■
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Abidjan, au centre de son monde
Ici, c’est « Babi » ! Une mégalopole entre terre et mer, cosmopolite, excessive, industrieuse et festive. VISITE GUIDÉE et en photos de cette capitale loin d’être uniquement « économique ». par Zyad Limam, avec Emmanuelle Pontié
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À Babi, le chantier est permanent : organiser l’aménagement en eau et en électricité, lutter contre l’insalubrité, assurer la transparence des transactions immobilières, réhabiliter les voiries, prendre en charge la gestion des déchets [voir p. 70], protéger la lagune et le patrimoine vert, réinventer des lieux condamnés (comme l’ancienne décharge d’Akouédo, appelée à devenir un parc naturel). La cité est en travaux permanents. En son cœur s’élèvera la Tour F, future tour la plus haute d’Afrique. Le 4e pont, entre Yopougon et le Plateau, traverse la lagune. Le 5e, entre Cocody et le Plateau, est en chantier. Le métro, projet de transport urbain le plus ambitieux d’Afrique subsaharienne avance enfin, et la première ligne devrait voir le jour en 2025. Le parc des expositions, aux abords de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, préfigure la future Aérocité. Évidemment, la pandémie est venue ralentir, un peu, le rythme. Mais Abidjan a la foi. Elle croit en son devenir, consciente de son dynamisme. En 2023, le nouveau et magnifique stade olympique d’Ebimpé accueillera la finale de la Coupe d’Afrique des nations. Et en 2030, Abidjan, « perle des lagunes », comptera près de 8 millions d’habitants. ■
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ur la côte du golfe de Guinée, entre terre et lagune, elle impressionne avec ses hautes tours du Plateau, ses 13 communes, autant de villes dans la ville, son activité débridée, ses embouteillages presque légendaires, ses journées suractives et ses nuits enfiévrées, sa scène artistique d’avant-garde… « Babi », contraction locale d’Abidjan et de Babylone, s’impose comme l’une des portes de l’Afrique émergente. Une cité globale, un melting-pot stupéfiant de cultures et d’origines. Ici se retrouvent toutes les communautés d’Afrique de l’Ouest, et même d’Afrique centrale. Ici, expatriés français, libanais, chinois, vietnamiens sont venus chercher fortune ou une nouvelle vie. La mégalopole de 5 millions d’habitants s’étend chaque jour un peu plus, dans une croissance spectaculaire et parfois chaotique. Abidjan pousse ses murs vers les multiples méandres de la lagune, de Bingerville à bien plus loin vers la chic Assinie, en bord d’océan, où se retrouvent les happy few…
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Le Plateau. C’est le cœur
d’Abidjan, quartier des affaires, des sièges des grandes entreprises, des déjeuners business, des avenues ombragées au pied des tours. Quartier des embouteillages aussi, avec ses taxis rouges plus ou moins en « état », et toujours un peu « trompe-la-mort ».
L’Esplanade, le Plateau.
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Ce sera très bientôt le nouveau palais présidentiel, vaisseau de verre suspendu sur ses piliers. L’Esplanade, conforme aux exigences de son époque, conçue par l’architecte Pierre Fakhoury, fera face, comme dans une étonnante continuité historique, au palais voulu par Félix Houphouët-Boigny, en fameuse forme de tabouret.
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L’Hôtel Sofitel Ivoire.
La silhouette de la tour (haute de 100 mètres) marque la ville de son empreinte. Bienvenue dans un hôtel mythique, dont les travaux commencèrent au milieu des années 1960. Un paquebot attachant, témoin de l’histoire contemporaine du pays, avec ses hauts et ses bas. AFRIQUE MAGAZINE
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Capitale de la mode. En Afrique, c’est Abidjan
Abidjan by night. Disons-le, c’est l’une des cités africaines qui offre la palette la plus large de restaurants, discothèques et bars. Jeunes, moins jeunes, riches ou pauvres, on y fait souvent la fête jusqu’au bout de la nuit, dans les ambiances les plus diverses, ultrachics, branchées ou archi populaires. 76
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qui donne le ton. Plusieurs stylistes du cru inventent et réinventent les métissages des matières et les formes chics. Comme ici, avec Élie Kwame (au centre), qui a créé sa marque de luxe à Paris, avant de s’établir sur les bords de la lagune en 2017.
Treichville. La capitale économique, c’est près de 5 millions d’habitants répartis sur 42 200 hectares et 13 communes (trois en périphérique). De véritables villes dans la ville, avec une identité propre, un « style ». Comme Yopougon ou Abobo, dont la population dépasse le million. Ou comme ici, Treichville, située sur l’île de Petit-Bassam, au sud du Plateau. Zone industrielle et supermarché plus ou moins formel à ciel ouvert (la fameuse Rue 12), Treichville est aussi connue pour ses ambiances interlopes la nuit tombée.
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Assinie. Destination favorite de la jet-set abidjanaise pour ses week-ends, Assinie est accessible par la route ou par bateau en longeant les mangroves et les petits villages lacustres. Villas cossues et beaux hôtels s’égrènent le long d’une immense plage de sable fin. Pour un farniente de choix. Loin du fracas de la cité.
Le parc des expositions. C’est
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l’un des projets phares de la ville de demain. Le point de départ aussi du développement de la future Aérocité, à proximité de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. Première étape, le convention center de 9 000 m2, avec sa grande nef centrale de 35 m de haut, pourra accueillir, de manière modulable, des expositions, des salons internationaux, des compétitions sportives, des meetings… Un nouvel « hyper-lieu » pour Abidjan.
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entretien
Mahamat-Saleh Haroun
PAUL GRANDSARD/SAIF IMAGES
« JE VEUX PROVOQUER LE DÉBAT» Le nouveau film du réalisateur tchadien, Lingui, les liens sacrés, dénonce avec force la violence du patriarcat en abordant le sujet tabou de l’avortement dans son pays. Cette œuvre féministe montre la puissante sororité entre les femmes, cette arme de résistance face à la domination, afin d’obtenir le droit de disposer de leur corps.
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propos recueillis par Astrid Krivian
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près Une saison en France, en 2017, sur les difficultés rencontrées par les personnes migrantes dans l’Hexagone, le cinéaste retourne sur sa terre natale avec son nouveau film : Lingui, les liens sacrés. Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes cette année, celui-ci raconte le combat des femmes tchadiennes pour disposer librement de leur corps et avoir accès à l’avortement médicalisé, dans un pays où il est interdit par la loi et la religion. De nos jours, à N’Djamena, Amina vit seule avec sa fille Maria, âgée de 15 ans. Lorsque cette dernière tombe enceinte, elle est ostracisée et exclue du lycée. Et est résolument déterminée à ne pas garder l’enfant. Avec le soutien d’autres femmes, sa mère brave l’interdiction et tente de trouver un moyen pour qu’elle se fasse avorter en toute sécurité. Avec ce film féministe empreint de délicatesse, Mahamat-Saleh Haroun, prix du jury au Festival de Cannes 2010 pour Un homme qui crie, dresse un portrait sans concession de la société tchadienne. Il rend 81
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hommage à ces héroïnes du quotidien, ces femmes puissantes qui résistent face aux profondes injustices de leur condition, se révoltent contre la domination masculine et les violences sexistes et sexuelles. Lingui brise des tabous et braque la lumière sur une réalité alarmante, douloureuse : les avortements clandestins, la mise au ban des « filles-mères » et des grossesses hors mariage, la carence d’éducation et de moyens en matière de sexualité, de contraception. Il souligne la nécessité d’ouvrir un débat sur ces problèmes de santé publique et de droits humains, afin de faire évoluer les lois et les mentalités. AM : Le terme tchadien « Lingui » désigne les liens entre les individus au nom du vivre-ensemble. Ce titre est-il une référence à la solidarité entre les femmes dans votre film ? Mahamat-Saleh Haroun : Oui. Cette sororité leur permet de
faire face à l’adversité et de s’opposer, à bas bruit, à une domination. C’est une communauté de destins qui se reconnaissent, parce qu’elles ont en partage les mêmes problématiques ainsi qu’une mémoire collective. Elles peuvent être ministres, présidentes ou ouvrières, elles éprouvent toutes intimement des choses liées à leur corps. Face au patriarcat, elles se soudent pour trouver des solutions aux problèmes. C’est une révolution qui ne bouscule pas les choses, qui s’effectue presque clandestinement. J’aime l’idée qu’elle se déroule de manière souterraine, tel le travail symbolique de l’eau : elle ne se voit pas, mais, tranquillement, elle poursuit son chemin, et viendra un temps où elle apparaîtra au grand jour. Cette solidarité est beaucoup plus forte que n’importe quelle fraternité ou autre relation. Ce terme évoque également le délitement de ces liens entre les personnes.
Ceux-ci sont pervertis par l’hypocrisie, par des gens qui détournent ces mots sacrés. « Lingui » appartient à un précepte traditionnel du vivre-ensemble : il s’agit de se porter secours, de s’entraider, c’est une philosophie de la vie en communauté, dans la solidarité et la bienveillance. C’est le trait d’union qui maintient la cohésion au sein d’un groupe. Le conflit advient par celui qui le rompt. Dans mon film, il y a par exemple le voisin d’un côté, l’imam de l’autre. L’avortement est interdit au Tchad par la loi et la religion. Comment Amina vit-elle cette épreuve – la grossesse non désirée de sa fille de 15 ans, sur qui l’on a jeté l’opprobre, et qui se fait exclure arbitrairement du lycée ?
Amina fait face à cette double interdiction et une sorte de condamnation. Elle voit le désastre, la catastrophe advenir : les choses se répètent. Car elle-même a été une « fille-mère » et a été rejetée par sa famille pour avoir « fauté ». Elle se retrouve désormais à la marge, comme la proie d’un système qui essaie d’avoir une emprise sur les plus faibles. Quand elle prend conscience de la tragédie qui arrive, elle se révolte et s’investit dans cet amour pour Maria. D’où cette affection qu’elle manifeste à son égard. À ses yeux, cet amour vaut plus que tous les discours, les interdits, 82
« On n’inculque pas d’éducation sexuelle aux filles. Et une fois qu’elles sont enceintes, on juge que c’est de leur faute. » les croyances. Amina se soulève, alors que jusqu’ici, elle baissait la tête. Elle pensait qu’en se comportant ainsi aux yeux de tous, en se soumettant, elle obtiendrait peut-être une forme d’absolution. Mais elle comprend que ce n’est pas le cas. C’est une double peine pour les femmes. Certaines tombent enceintes parce qu’elles ont été violées, d’autres sont abandonnées par leur partenaire. Elles sont ensuite considérées comme fautives, mises au ban de la société, et portent ce poids sur leurs épaules, ce choix douloureux : avorter ou non.
Malheureusement, c’est la réalité. L’élite africaine, c’està-dire une minorité, dont je fais partie, éprouve une sorte de honte à parler de ces sujets, elle ne veut pas les évoquer. Avec la volonté de porter un regard absolument positif sur l’Afrique, on est dans un déni total de cette réalité. Cela relève de l’idéologie capitaliste : on ne veut pas montrer ceux considérés comme les « perdants » de notre société. Mais la majorité des femmes que je côtoie lors de mes enquêtes vivent ces situations, cette double peine. Et c’est devenu un phénomène très courant. Pas plus tard qu’il y a une semaine, on a encore retrouvé un nouveau-né abandonné dans une décharge. Le déni et les tabous dominent. On n’inculque pas d’éducation sexuelle aux filles, on ne les informe pas sur la contraception, sous prétexte que cela les inciterait à avoir des relations sexuelles hors mariage. Et une fois qu’elles sont enceintes, on juge que c’est de leur faute. Mais on ne parle jamais de la responsabilité de l’homme ! D’autant plus qu’au Tchad – j’ai interrogé beaucoup de personnes, locuteurs de différentes langues –, le mot « viol » n’existe pas. Donc la situation qu’il désigne n’a aucune réalité. Attraper une femme derrière un arbre et la forcer à coucher avec soi ne relève pas d’un crime. On ne veut pas parler de cette horreur. Or, en tant que cinéaste, je suis aussi là pour raconter ce qui ne va pas. Et pas seulement pour le dire, mais également pour interroger la société, et ainsi provoquer un débat… Une lumière en tout cas.
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Aux côtés de ses actrices, au Festival de Cannes 2021, où le long-métrage était sélectionné en compétition officielle.
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Votre film est très attendu auprès du public féminin dans votre pays ?
Oui, il y a une attente extraordinaire. Certaines associations féminines souhaitent organiser une tournée à travers le pays et ouvrir des discussions avec des femmes. On ne veut pas prendre à bras-le-corps cette réalité, car on pense que si vous leur parlez de sexe, vous poussez les femmes à en faire. Ce n’est pas juste. Deux projections privées ont déjà eu lieu. Une responsable politique a vu le film et a déclaré que toutes les Tchadiennes dans la salle connaissaient cette histoire, l’ont traversée ou côtoyée. Majoritaires dans le pays, elles subissent ces épreuves dans le silence, parce que la tradition veut les reléguer à l’arrière-plan, considérant que leur parole ne compte pas. Le projet d’un code de la famille pour aider les femmes sur la grossesse et la contraception n’a jamais été voté par le parlement ?
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Non. Alors qu’après sa présentation au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, mon film a reçu le prix spécial de l’Assemblée nationale du Burkina Faso. Ces élus ont compris que ces problèmes les concernent, relèvent de leur travail en tant que représentants du peuple. J’espère que Lingui ouvrira des débats et un espace de liberté pour les femmes, afin qu’elles soient maîtresses de leur corps. On ne peut pas être victimes de violences sexuelles et, en même temps, se retrouver bannies de la société. Rappelons qu’au Tchad, récemment, deux cas de viols collectifs se sont produits : des hommes se sont filmés à visage découvert et ont balancé la vidéo sur les réseaux sociaux… Détournant l’interdiction, certains médecins pratiquent l’avortement médicalisé, risquant cinq ans d’emprisonnement et la radiation à vie.
Certains médecins humanistes prennent le parti des femmes. Si l’on est un peu sensible, on ne peut pas rester indifférent face
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Le cinéma peut-il contribuer à faire évoluer la société, et pourquoi pas les lois ?
Bien sûr. Rosetta, des frères Dardenne, a poussé la Belgique à adopter le « plan Rosetta ». [Palme d’or au Festival de Cannes 1999, le film raconte les difficultés d’une jeune ouvrière pour s’intégrer dans la société. Le dispositif ministériel avait pour objectif « un emploi pour chaque jeune », ndlr.] Le cinéma représente une société, raconte des histoires d’hommes et de femmes vivant dans un espace. C’est l’art le plus accessible à tous. Il n’est pas nécessaire d’être lettré, de savoir lire comme pour la littérature. Au cinéma, on vit les émotions, on n’a pas besoin de « savoir regarder ». Il faut juste peut-être apprendre à analyser. Ce médium qui touche le plus grand nombre peut influencer la marche des choses. Et puis, nous ne vivons pas dans des lieux où l’on fait des films pour se divertir. Malgré les difficultés et la violence des situations, vous filmez la beauté de N’Djamena, inondée de sa lumière dorée, les couleurs chatoyantes des rideaux, des vêtements, la majesté du fleuve Chari…
Je voulais montrer la beauté de la nature, du paysage, de la ville. Ce sont les hommes, acteurs de cet espace, qui le rendent tragique. Il me semble que le contraste entre la beauté d’un lieu et le drame vécu renforce ce sentiment de souffrance. On ressent plus fortement les émotions. La première scène montre votre héroïne en plein labeur, fabriquant ses fourneaux avec du matériel de récupération, gagnant sa vie à la sueur de son front. Pourquoi était-ce important d’ouvrir ainsi le film ?
D’entrée de jeu, je voulais ancrer Amina comme une femme qui se bat et se consacre à son travail. Elle essaye
« Le cinéma, c’est l’art du silence. Il est une brèche qui laisse le spectateur entendre les sentiments des personnages. » de projeter sa fille vers un autre destin que le sien. Finalement, le drame survient et la ramène en arrière. Amina est une battante, elle ne recule devant rien. Je voulais montrer le travail de manière concrète. Aujourd’hui, il suffit de faire un plan de quelqu’un devant un ordinateur pour raconter son boulot : il peut être médecin, comptable… La réalité du travail n’est pas incarnée. Moi, j’aime qu’il le soit, surtout quand il est manuel. Le travail des mains relève d’une mémoire universelle, que l’on a tous en partage. Dans votre famille, quelle femme a joué un rôle déterminant dans votre éducation ?
Ma grand-mère a été une vraie boussole pour moi. C’était une femme rigoureuse, d’une grande probité, exigeante. En 1946, elle a divorcé et s’est enfuie avec mon père, son seul enfant. On l’a rattrapée, car mon grand-père faisait partie de la cour du sultan. Et on lui a arraché mon père. Cette femme ne s’est jamais remariée et n’a jamais eu d’autre enfant. Jusqu’à sa mort, en 2002, elle n’a jamais vécu une autre relation. Un jour, quand j’étais enfant, le marabout de l’école coranique à Abéché, où j’étudiais, m’a frappé. Elle a entendu mes pleurs quand je suis passé sous sa fenêtre en rentrant chez mes parents. Apprenant ce qu’il m’était arrivé, elle m’a pris par la main, s’est rendue chez le marabout et l’a traité de tous les noms d’oiseaux, devant tout le monde. Elle a déclaré que je ne reviendrai plus dans cette école. On m’a inscrit dans un autre établissement, où je pouvais faire ce que je voulais : toute la ville s’était passé le message qu’il ne fallait pas me toucher, sinon ma grand-mère ferait un scandale ! J’étais devenu intouchable par la force de cette femme. Que vous a-t-elle transmis ?
Ce sens de l’honneur : savoir rester droit, debout, digne, ne jamais plier, ne pas accepter ce qui n’est pas juste. J’ai hérité de son très fort caractère. Tout le monde la craignait car elle était cash, elle disait la vérité. Je suis très content 423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
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à l’injustice, fermer les yeux sur certaines réalités. Il faut savoir qu’une gamine de 15 ans qui tombe enceinte est traumatisée à vie dans tous les cas, qu’elle garde ou pas l’enfant. Quant aux avortements clandestins, ils se passent mal dans la majorité des cas. Comme la femme est censée être fautive, on l’aide, mais avec mépris. Seule la médecine prend en charge cette question avec humanité.
Ce procédé nous a colonisé l’esprit. Dans mon film, je voulais que les protagonistes réagissent comme ils le font au Tchad : de manière spontanée. Quand un problème surgit, les gens vous aident comme ils peuvent. C’est un récit humain, tout simplement. Quand quelqu’un se présente en vous disant : « J’ai faim », vous ne lui dites pas non en réfléchissant pendant deux heures avant de changer d’avis. Le cinéma peut inciter à adopter certains comportements. On a tort de le considérer comme quelque chose de léger, alors qu’il a tellement forgé nos vies. Hollywood a influencé FILMOGRAPHIE le comportement du SÉLECTIVE public. Aujourd’hui, ◗ Lingui, les liens on parle de violences sacrés (sortie dans faites aux femmes, les salles françaises mais les films que je le 8 décembre) voyais adolescent mon◗ Une saison traient Gregory Peck ou en France (2017) John Wayne embrasser ◗ Grigris (2013) de force une femme, ◗ Un homme laquelle refusait d’abord, qui crie (2010) puis finissait par céder. C’est cette image qui nous a été véhiculée, cette compréhension, cette représentation des rapports femmes-hommes que l’on nous a fournie : il faut forcer la petite copine, et elle finira par accepter !
de l’avoir eu comme grand-mère. Elle a forgé ma personnalité. Je me demande à quel point cela m’a influencé. On me dit souvent que mes personnages sont dignes. Cette dignité, l’idée que toute vie mérite respect, je la tiens d’elle. Elle m’accompagne tout le temps. J’ai ce dernier souvenir d’elle : je voulais la prendre en photo en train de faire ses ablutions. Elle me disait : « Pourquoi tu me prends en photo alors que je suis vieille ? Pourquoi tu ne l’as pas fait quand j’étais jeune et belle ? » J’ai trouvé ça tellement ça puissant. D’après vous, le féminisme au Tchad n’est pas une doctrine théorisée, mais il est agissant, pragmatique ?
Il agit très concrètement et ne s’embarrasse pas de discours. Les femmes ont par exemple inventé les tontines [association collective d’épargne, ndlr], une entraide sous forme de mutualisation de leurs moyens. Elles agissent parce qu’il faut faire les choses. C’est noble. On n’a pas besoin d’icône, mais juste de personnes qui constatent les problèmes et trouvent des stratégies pour les résoudre. Puisque les lois ne viennent pas, puisque tout est dominé par les autres… J’ai beaucoup de respect pour ce pragmatisme. Les personnages de vos films appartiennent souvent à la marge. Pourquoi vous intéressent-ils ?
Le centre domine, mais il finit par s’effondrer – telles les bulles financières – car il se suffit à lui-même, il ne va nulle part. Il n’a plus de désir de transformer la société, il est arrivé, parvenu. Le centre, c’est la fin de l’histoire. Tandis que les personnes à la marge sont mues par un désir, un espoir, une force vitale. Elles font mouvement, finissent par faire bouger le centre, elles l’irriguent.
Pour vous, le silence est l’essence même du cinéma ?
Oui. Le cinéma, c’est l’art du silence. Il est une brèche qui laisse le spectateur entendre les sentiments des personnages, le fait entrer dans son intimité, son intériorité, il permet aussi de le comprendre. À la différence de la littérature, le silence est incarné au cinéma, il a une durée, un poids.
Comment avez-vous conçu le rythme, qui laisse la place à la suggestion, à l’ellipse, au silence ?
Mon récit respecte le rythme intérieur des personnages et de leur environnement. Je ne suis pas le seul à cultiver cette éthique. Faut-il monter un film de telle façon sous prétexte qu’aux États-Unis ou à Hong Kong, on vit à deux cents à l’heure ? Lingui s’inscrit contre l’idéologie du récit hollywoodien dominant, qui considère que les relations humaines sont compliquées, que personne ne peut agir spontanément pour aider l’autre. Par exemple, avant de découvrir peu à peu qu’ils s’aiment, deux personnages vont d’abord se haïr. Ou une personne va demander de l’aide à une autre, celle-ci va refuser, on va scénariser tout ça, puis elle va culpabiliser, se transformer, et accepter enfin d’aider l’autre. AFRIQUE MAGAZINE
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Pourquoi considérez-vous le journalisme comme la meilleure école pour réaliser ?
Car il nous apprend l’art de raconter. Vous devez synthétiser en 1 minute un reportage tourné durant une journée. Ce n’est pas seulement valable pour la réalisation, mais pour tous les autres métiers de création. Beaucoup de grands écrivains ont été journalistes. La musique originale de Lingui est signée du Sénégalais Wasis Diop. On entend aussi les musiciens maliens Ali Farka Touré et Toumani Diabaté. Pourquoi ce choix ?
Leurs musiques racontent des paysages. C’est très puissant, ancré quelque part, incarné. Quand j’écoute Ali Farka Touré, je vois le Sahel, la solitude de ses paysages. ■
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Yasmine Chami
interview
« Quelque chose est à réinventer pour les hommes »
AMANDA ROUGIER
Après avoir exploré l’abandon d’une femme par son mari dans Médée chérie, l’écrivaine marocaine passe de l’autre côté du miroir. Avec Dans sa chair, son puissant nouveau roman, elle se glisse dans la peau de celui qui part. propos recueillis par Catherine Faye
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n la dirait échappée d’un film en noir et blanc. Comme dans La Rose pourpre du Caire, elle semble avoir jailli de l’écran pour nous entraîner dans une aventure tressée de passions. Mais, à la différence du film de Woody Allen, Yasmine Chami nous invite à la suivre dans un récit : celui d’un destin multiculturel et animé par une flamme littéraire. À Paris d’abord, où, diplômée en philosophie à l’École normale supérieure et agrégée en sciences sociales, elle se tourne vers l’anthropologie. À New York ensuite, où la maternité devient la clef de voûte de son existence. Et à Casablanca enfin, où elle a vu le jour il y a une cinquantaine d’années et où elle vit depuis vingt ans. Après y avoir dirigé la villa des Arts, fondé une société de production et proposé des émissions sociales à la télé, elle se consacre désormais à l’enseignement de la littérature. Son œuvre est à l’image de sa sensibilité, subtile et élégante. Doux, presque enfantin, son discours se fait volubile lorsqu’on la questionne sur le sens des mots, le temps qui passe, les métamorphoses, la portée des représentations. Sa tendresse pour les humains l’a amenée à formuler une équation lucide où féminin et masculin se reconstruiraient enfin. Ensemble.
INTERVIEW
AM : Pourquoi avoir voulu aborder la même histoire que dans votre précédent roman, mais cette fois par le prisme de l’homme ? Yasmine Chami : La question centrale des deux textes est celle
La Femme rompue, de Simone de Beauvoir. Et un homme défait, dans tous les sens du terme. Mais, au risque de surprendre, je pense qu’il peut être parfois plus violent d’abandonner que d’être abandonné.
de l’abandon. Ma première vision de ce couple qui se disloque, dans le cadre de Médée chérie, est celle d’une femme. Après trente ans de mariage, de loyauté et d’engagement dans son couple, Médée se trouve confrontée, à la cinquantaine passée, au départ brutal de l’homme qu’elle aime, le père de ses enfants. Tout à coup, il disparaît dans un aéroport. C’est ce choc que j’ai voulu raconter, la désagrégation de ce que l’on croyait être là. Seulement, à la fin de ce roman, on ne sait pas ce qu’a vécu pour sa part l’auteur de cet abandon, Ismaïl. Ce serait tellement simple de dire : « C’est un sale type. » En réalité, non, c’est un type bien. Bizarrement, l’extrême vulnérabilité est du côté de ce personnage complexe.
Il est rare qu’une femme propose un tel regard. Comment celui-ci s’inscrit-il dans l’effervescence féministe actuelle ?
Qui est l’homme qui abandonne Médée ?
Ismaïl a grandi dans le Maroc des années 1970. Très jeune, il est frappé de plein fouet par les années de plomb lorsque son père, un intellectuel, est enlevé par les services de la sécurité marocaine. Pour protéger sa mère et ses sœurs, il n’a d’autre choix que d’être l’homme de référence et de réussir brillamment, en devenant neurochirurgien, car son père avait décidé qu’il serait médecin. Il assume donc seul la place du chef de famille et porte le pouvoir patriarcal. Lorsqu’il rencontre Médée, il est émerveillé. Très belle, artiste, elle est issue de la grande bourgeoisie de Tanger ; son père est un grand collectionneur, sa mère hante les fêtes cosmopolites. Tout un monde s’ouvre à lui. En même temps, Médée incarne une forme d’intégrité. C’est une femme simple, très ancrée dans son art. Elle devient la mère de ses enfants, et pendant trente ans, Ismaïl l’aime profondément.
Le mouvement #MeToo a rendu justice aux femmes vis-àvis des violences à leur encontre, de la domination patriarcale qui s’exerce sur leur corps, leur psyché, leur vie. La révolte est universelle. Notamment sur la question du corps fécond, enjeu d’un rapport de force. La puissance d’enfanter est payée très cher, à plus d’un titre. Médée était là pour donner une voix, en écho à ce mouvement social. Mais se peut-il qu’un mouvement #HeToo lui succède ? Il le faudrait, car le patriarcat fait également du mal aux hommes, et c’est ce que je voulais montrer dans ce nouveau roman. Les choses sont en train de bouger, même si ce n’est pas partout dans le monde. Et il y a un déplacement évident du masculin. C’est irréversible. Quelque chose est donc à réinventer pour les hommes. Pour les femmes également. Ensemble. Car on ne peut pas vivre les uns sans les autres. D’autres voix font-elles écho à vos propos ?
Le travail de la journaliste et essayiste suisse Mona Chollet sur la condition féminine et l’imaginaire contemporain est intéressant. Tout comme celui des cinéastes Laïla Marrakchi et Nabil Ayouch. Mais c’est minoritaire, car nous ne sommes pas dans l’ère de la subtilité. Les médias clivent tout. Vous êtes pour ou vous êtes contre. C’est oui ou c’est non. Cela empêche d’avancer. En réalité, tout est mouvement, subtilité. Les avancées de l’un favorisent les transformations de l’autre. Dans sa chair paraîtra Ce sont sur les représentations collectives et En quoi cet homme n’est-il pas aux éditions Actes Sud le 5 janvier. individuelles qu’il faudrait se questionner et un bourreau lorsqu’il s’en va ? cheminer. Mais il faudrait également que les En réalité, Ismaïl ne rencontre son vrai politiques et les intellectuels s’engagent. Au Maghreb, le fait désir, dans son acception totale, qu’à 60 ans, en la personne d’instrumentaliser la question de la domination féminine de d’une jeune femme, Meriem, qui elle aussi est neurochirurmanière extrêmement grossière empêche de donner la parole à gienne. Il y a dans leur relation à la fois un rapport de transmisdes femmes intelligentes qui peuvent penser le masculin et les sion, qu’il ne peut avoir avec Médée, et un effet miroir. Meriem représentations des deux genres. On sert au public une espèce lui rappelle le jeune neurochirurgien qu’il a été. Comme lui, elle de sauce industrielle où la femme maghrébine est forcément vient de la classe moyenne rabatie, s’est construite à la force dominée, misérable, et où l’on va voler à son secours. C’est rididu poignet et s’inscrit dans la résistance des corps. Dans la cule. Alors qu’il y aurait à penser la complexité de la construcguérison. Cette fille de féministe est dans une trajectoire ascention des valeurs, les avantages du patriarcat pour certaines dante. Elle veut devenir une grande professeure de médecine. femmes et certains hommes, la vulnérabilité que suppose la Avec la rencontre de Meriem, toute la vie d’Ismaïl est remise sortie du patriarcat pour certaines femmes, la mise en place de en question. Dans sa chair aborde donc ce versant. C’est un nouveaux termes de la représentation des uns et des autres, et homme rompu, à l’aune de la crise existentielle décrite dans 88
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une nouvelle construction du féminin et du masculin. C’est le propos de Dans sa chair. Je l’ai écrit comme cela. Comment vous êtes-vous mise dans la peau d’un homme ?
L’écrivain est un canal profond. J’ai commencé à penser à ce roman trois ans avant de l’écrire, au fil d’une très lente maturation. J’ai beaucoup lu et relu : Albert Cossery, Léon Tolstoï, Fiodor Dostoïevski, Albert Camus… Je voulais comprendre comment ils ressentaient le monde, la question de la liberté, le fait de devoir prouver des choses. Appréhender l’autre côté. Celui des hommes. Les femmes sont élevées dans l’idée qu’elles doivent être désirées. C’est un impératif puissant, qui les rend parfois un peu passives. Mais qu’est-ce que cela représente de faire le premier pas, de se risquer, de considérer l’autre comme un objet de désir ? Comment tout cela s’articule-t-il ? Je me suis interrogée sur le ressenti d’hommes pas toujours sûrs d’eux, hypersensibles, sur cette sexualité où l’on doit prouver que l’on peut. Il y a un poids, une violence faite aux hommes du fait de ce rôle « actif » que la société leur réserve : réussir, produire, assurer, sécuriser, être puissant dans l’acte sexuel. C’est parti de là, et il y a un moment où ça s’est ouvert en moi. Je me suis dit que si un homme avait écrit l’histoire d’Anna Karénine, une femme pouvait écrire celle d’Ismaïl. Le rapport à l’amour de l’héroïne de Tolstoï a-t-il inspiré le choix d’Ismaïl : celui de tout quitter ?
Ismaïl est une Anna au masculin. Cette femme magnifique est la personnification d’une folie romantique qui rêve d’incarner la fusion passionnelle, sans jamais anticiper la fin du désir de l’homme. C’est l’opposé de la sagesse méditerranéenne, où les femmes gèrent ce désir, manipulent, rusent, parce qu’elles savent très bien qu’il a une fin. Anna abandonne son enfant, son mari, se retrouve déclassée, à la marge, sans jamais se penser. Il y a chez elle un lâcher-prise fou. Dans son amour, elle ne sait qu’être présente à l’autre. Et dans cette présence, elle tue le désir. Pour Ismaïl, c’est pareil. Et tout se passe dans sa chair : il a des liens de chair avec sa mère, ses mains travaillent dans la chair, et il vit dans sa chair la perte de son père, son amour pour Médée, puis la rupture avec son fils et la perte définitive de sa famille. Il aurait pu vivre sa passion avec Meriem sans quitter Médée, mais ce n’est pas le choix qu’il fait. Il a cette exigence de loyauté. D’intégrité. Était-il important que Médée soit une artiste ?
C’était fondamental. Car en étant sculptrice, cette femme a un univers personnel très fort. Elle a trouvé la puissance d’exister par son art et, en même temps, elle le fait avec une discrétion caractéristique d’une génération. On n’imaginerait pas aujourd’hui une femme obligée d’aller travailler sur le toit de la maison, seul endroit que Médée a trouvé pour sculpter. Mais il y a trente ans, oui, car il y avait cette impression de voler quelque chose à sa famille et un sentiment d’illégitimité à s’affirmer dans une activité, quelle qu’elle soit. C’est son art qui lui permet de transformer l’abandon, en le sublimant. Elle lui donne un sens et se répare symboliquement, en remodelant AFRIQUE MAGAZINE
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« On sert au public une espèce de sauce industrielle où les Maghrébines sont forcément dominées, misérables, et où l’on va voler à leur secours. C’est ridicule. » sa trajectoire, pour avancer encore plus dans ce qu’elle est : une artiste accomplie. L’écriture occupe pour vous une place équivalente à la sculpture pour Médée…
En effet, et ce depuis l’âge de 7 ans. J’ai une âme poreuse et, très tôt, j’ai vécu de manière très angoissée et puissante les questions qui agitaient mes parents et les adultes autour de moi, avec une hyperacuité et une hypersensibilité presque maladives. L’écriture est alors devenue une tentative de donner du sens, de réduire les gouffres que créaient ces questions dans ma psyché d’enfant et que les adultes organisaient en moi. Depuis, la littérature est pour moi un monde possible, un monde habitable. C’est mon territoire. Y a-t-il un lieu sur Terre qui compte particulièrement pour vous ?
Il s’agit d’un endroit très étonnant à Casablanca, où je travaille à mon prochain roman. On y voit une falaise qui tombe dans l’Atlantique, un vieux quartier créé par les Français pendant la colonisation, à destination des anciens soldats de l’armée nationale, une médina, un phare, une cité financière affreuse, avec d’épouvantables bâtiments et des restaurants bling-bling. D’un côté, l’immensité et la puissance de l’océan sauvage, qui ouvrent sur la liberté ; de l’autre, la ville. C’est en ce moment un lieu exceptionnel pour moi, qui m’habite et me régénère. Parce qu’il y a tout : la vanité humaine, le poids de l’histoire, le phare qui guide, la vieille médina et ses habitants qu’on a séparés de la mer, des constructions qui n’ont pas de sens, la vieille nécropole juive, le cimetière chrétien, et la mer, en face, avec l’aspiration pour des milliers de jeunes Marocains à partir, et où des pêcheurs lancent leurs lignes et des enfants jouent sur des bouées. Quelque chose d’éternel et de condamné. ■
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FEMI ET MADE KUTI
«LE SENS DE NOTRE HERITAGE» L
Le fils et le petit-fils de Fela sortent un double album, Legacy +. Avec ce dialogue familial, les musiciens nigérians perpétuent la tradition militante de l’afrobeat, inventé par leur illustre aîné. Entretien croisé. propos recueillis par Astrid Krivian 90
’esprit de cet album est placé sous l’égide des ancêtres, de la filiation, scellant une tradition musicale et spirituelle. Legacy + réunit le nouvel opus de Femi Kuti, Stop the Hate, et le premier de son fils Made, For(e)ward. Chacun apporte sa pierre à l’édifice de l’afrobeat, legs de Fela Anikulapo Kuti, cocktail musical jubilatoire couplé de textes conscients. Tous deux en proposent une vision qui leur est propre, redessinant ainsi les contours de cette musique unique en son genre. Reprenant le flambeau de son père, fervent défenseur de la justice sociale et du panafricanisme, Femi dénonce inlassablement dans son œuvre la corruption des élites, l’impérialisme, les inégalités qui minent le Nigeria et, plus largement, le monde. Né en 1996, Made a intégré l’orchestre paternel, The Positive Force, dès son plus jeune âge. Multi-instrumentiste (basse, trompette, saxophone, batterie, piano…), il a, comme son grand-père Fela, étudié la composition au Trinity College de Londres. S’il évolue à Lagos avec son propre groupe, The Movement, Made joue à tous les postes sur For(e)ward. Complices à la ville comme à la scène, père et fils nous ont accordé une entrevue à l’occasion de leur concert au festival Africolor, en région parisienne. AFRIQUE MAGAZINE
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À Paris, le 18 novembre dernier.
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AM : Que représente pour vous ce Legacy +, où sont réunis vos albums respectifs ? Femi Kuti : Nous appartenons à une lignée de sept générations
de musiciens. Cet héritage se perpétue avec Made. Le « plus » du titre se réfère à cette continuité. Les enregistrements de nos disques étaient concomitants, et j’ai pensé que ce serait une belle idée de montrer au monde, à travers un album commun, l’amour que nous nous portons. Ainsi, les gens ressentiront cette intimité, cet amour. J’ai proposé l’idée à Made, qui l’a adorée. Made Kuti : Publier mon premier disque au côté de la personne que je chéris le plus, que je respecte le plus musicalement, qui m’a toujours guidé dans mon cheminement artistique, est un projet très précieux pour moi. Ce « plus » a une valeur fondamentale, car il prend en compte ce qui nous précède, et aussi ce qui viendra après nous. Le sens de cet héritage dépasse nos deux personnes, il traverse le temps et ne se limite pas à la musique. Femi, votre fils vous accompagne-t-il depuis longtemps au sein de votre orchestre, The Positive Force ? Femi : Made avait trois ans quand nous avons remarqué ses
aptitudes et son désir de faire de la musique. Il a donc suivi des cours particuliers de trompette, puis de piano et de saxophone. 92
À 9 ans, il a rejoint mon groupe, nous sommes partis en tournée et il a enregistré mon album Day by Day [en 2008, ndlr]. Il a vu le monde depuis la perspective d’un musicien. Quand les tournées ont commencé à perturber ses études, je lui ai fait reprendre le chemin de l’école. Ce n’est pas un but ultime, mais à son âge, c’était important qu’il reçoive une éducation. En particulier dans un pays comme le Nigeria où, si vous n’avez pas les connaissances, si vous n’êtes pas éduqué, on peut facilement vous opprimer. Je voulais m’assurer qu’il soit armé pour faire face dans sa vie d’adulte. Il a étudié la composition musicale au Trinity College de Londres. Il a progressé de manière fulgurante, nous étions tous étonnés ! Puis, il a remplacé mon bassiste dans mon orchestre. Nous sommes partis en tournée, et la pandémie de Covid-19 est arrivée. Comme disait mon père, « même les mauvaises choses ont leur bon côté ». C’est très triste cette pandémie, mais on a essayé de la mettre à profit. Made a aussi son propre groupe à Lagos, et je lui ai proposé de revenir dans The Positive Force pour jouer du saxophone. Vous racontez que votre père, Fela, vous a élevé de manière très peu conventionnelle. Vous souhaitiez procéder autrement avec Made ?
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Femi : Notre relation, avec mon père, était très étrange. C’était comme s’il me laissait dans une forêt, ou en pleine mer, et qu’il me disait : « Débrouille-toi pour trouver ton chemin ! » C’était très risqué. C’est très dur à faire comprendre aux gens, car ils adorent mon père. Moi, je pense que ce n’était pas bon. J’étais trop libre. Par exemple, je conduisais une voiture dès 12 ans. Comment peux-tu laisser un enfant de cet âge faire ça ? C’était dangereux, fou. Je ne laisserai jamais mes enfants prendre ce genre de risque. La vie est trop fragile. Avec le recul, je sais que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai vécu trop de moments complètement dingues : en certaines occasions, j’aurais pu mourir ou être gravement blessé… Je pense qu’un ange adorable m’a protégé toute ma vie, depuis le paradis ou ailleurs. Beaucoup de personnes ont jugé que je faisais de Made un enfant gâté. Alors que je lui ai juste donné de l’amour ! Je lui ai fait part de mon expérience, notamment en tant que fils de Fela Kuti. Je lui ai transmis toutes mes connaissances. J’estimais que c’était très important qu’il sache lire la musique, qu’il aille à l’université… J’ai donné à mes enfants ce que tout parent est censé leur donner : de l’amour, de la tendresse, être présent, leur donner confiance.
Mon père, Femi, m’a appris à définir ma propre vision de la musique, à établir mes propres normes.
enfants. Made aurait été malheureux. Je me suis toujours assuré qu’il ne subisse pas de pression. Je lui disais : « Sois Made ! Tu es mon fils, je me vois en toi, mais je ne veux pas que tu m’imites. Je veux t’aimer et t’apprécier pour ce que tu es. » J’ai toujours fait en sorte qu’il puisse s’exprimer librement. Il connaît sa filiation, son héritage, il aime son père, son grand-père, sa Made, quelles sont à vos yeux les choses les plus famille, mais il sait qui il est. Ses décisions lui appartiennent. essentielles que vous ait transmises votre père ? S’il rencontre des difficultés, je pourrai toujours le conseiller. Made : L’intégrité et l’amour. Dans notre famille, nous nous Mais c’est important d’être soi-même. Et c’est ainsi que j’aime aimons plus que tout au monde. Il m’a aussi appris à définir sa musique. S’il essayait de me copier, peut-être ma propre vision de la musique, à établir qu’en tant que père, je lui dirais que sa musique mes propres normes. À persévérer à travers est très bonne, mais, au fond de moi, je ne le un travail acharné, à apprendre et m’exercer penserais pas. J’aime profondément sa musique, chaque jour afin d’être un bon musicien. À j’y entends des influences de Fela, de moi, mais ne pas me laisser distraire par la musique aussi quelque chose de nouveau. Il a créé son de divertissement, mais à plutôt écrire à propre univers. Et je suis très impatient de découpartir de mes sentiments et de mes pensées vrir la suite, qu’il nous en donne plus, car il ne profondes, à m’exprimer de manière sincère fera que progresser au fil du temps. J’ai assisté et authentique. à quelques-uns de ses concerts, il s’améliore très Pensez-vous, comme votre grand-père, rapidement. Quand j’avais son âge, je n’en étais que la musique est l’arme de l’avenir ? Legacy + réunit le nouvel opus pas là… Je sais qu’il est sur le bon chemin, ça Made : Oui. La musique est un langage de Femi, Stop the Hate, et le me rend très heureux. Voir Made s’épanouir est qui réunit les gens au-delà de leur origine, de premier de Made, For(e)ward. vraiment une lumière dans ma vie. leur condition. Elle est tellement puissante, elle affecte notre conscience. Nous en écoutons sans même le Made, on vous demande souvent comment vous savoir, parce que la vie, tout le vivant qui sonne et qui vibre, vivez le fait d’être le petit-fils de Fela et le fils de Femi. est musique. C’est une belle, une chaleureuse manière de faire Or, pour vous, ce n’est pas une pression. passer des idées, un regard, de construire quelque chose de Made : En effet, car cette filiation a apporté tant de choses positif. Et c’est à l’auditeur d’interpréter librement le message, positives dans ma vie. Et je remercie mon père de m’avoir guidé, de lui donner un sens. de m’avoir aidé à savoir vivre et à me positionner en tant que Kuti. Quand les gens essaient de me mettre une pression, à Femi, vous avez construit votre carrière en créant votre travers des remarques, des conseils, d’établir des comparaisons, propre style et en vous détachant de la figure paternelle. de créer une compétition entre nous, c’est ridicule. Tout ça nous Vous souhaitiez aussi ne pas faire ombrage à Made ? rapproche, nous soude plus encore. Tout ce que j’ai fait dans ma Femi : Oui. Tout le monde voulait que je sois comme mon vie, l’éducation que j’ai reçue, les connaissances, la musique, père, que j’agisse comme lui, m’éloignant de qui j’étais réelleles livres… c’est grâce à mon père. Alors, tenter de m’inciter à ment. Je m’habillais comme lui, portais les mêmes chaussures… le voir comme un concurrent plutôt que comme un guide, c’est Mais, au fond, je n’étais pas heureux. Où était Femi Kuti ? Je vraiment malveillant. ne voulais pas que cette expérience se reproduise pour mes AFRIQUE MAGAZINE
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Vous avez grandi au Shrine, temple de l’afrobeat et de la contre-culture. Qu’y avez-vous appris ? Made : Enfant, j’avais la liberté de faire ce que je voulais.
Et j’ai eu la chance d’avoir des parents qui répondaient à mes questions, aussi honnêtement que possible. Donc j’ai pu très jeune avoir conscience de beaucoup de choses. Car dehors, en ville, je voyais les injustices, les inégalités criantes, des gens qui vivaient dans la rue, au cœur de la pollution… Comment la condition humaine peut-elle être aussi épouvantable ? Mes parents m’ont expliqué le fonctionnement du monde. Et puis le Shrine est vraiment un espace pour les esprits libres. Des personnes de toutes les classes sociales y viennent, mais la majorité appartient aux couches les plus défavorisées. Il y a aussi des visiteurs venus des quatre coins du monde qui veulent absolument voir le Shrine. Et des gens issus de la classe supérieure nigériane qui viennent se détendre, parce qu’ils sont las de leur environnement et de leur communauté. J’ai grandi en voyant sur les murs ces posters de leaders qui sont les raisons mêmes de l’existence du Shrine : les Africains Patrice Lumumba, Thomas Sankara ; les Américains Malcolm X, Martin Luther King… J’ai pu lire de nombreux livres, tel Black Man of The Nile and his Family de Yosef Ben-Jochannan… J’ai été très chanceux d’être imprégné de tous ces éléments, qui ont forgé ma conscience. Cela m’a permis de penser et critiquer le monde qui m’entoure. En dehors de la musique, partagez-vous d’autres passions avec votre père ? Made : Nous jouons beaucoup au jeu vidéo Fifa, je lui
apprends à devenir un meilleur joueur [rires des deux hommes] ! Et nous discutons beaucoup, nous lisons les mêmes livres… Nous sommes toujours en lien, nous vivons dans le même bâtiment. Femi : Nous partageons la stabilité, l’amour… C’était vraiment très différent à Kalakuta [Fela avait baptisé sa maison communautaire à Lagos « la République de Kalakuta » – « vaurien » en yoruba, ndlr]. Tout le monde pouvait y entrer, aller et venir. Je ne le tolérerais pas sous mon toit. Durant toute sa vie, mon père a constamment été trahi par les autres. Peut-être parce que j’étais son fils, je ne comprenais pas. Je lui demandais : « Pourquoi acceptes-tu ça ? Pourquoi les gens sont-ils si méchants ? » C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, je ne laisse personne s’occuper de mes affaires. Pourquoi devrais-je faire confiance à n’importe qui ? À quel genre de trahisons pensez-vous ? Femi : Un exemple : Tony Allen. C’était un bon batteur à
la base, mais c’est mon père qui lui a montré ce rythme afrobeat si particulier qui a fait de lui un grand batteur. Puis, il est parti, il a quitté Fela, estimant qu’il passait trop de temps avec des personnes qui ne le méritaient pas. Fela se battait contre le gouvernement, il mettait en danger sa propre vie. Tony Allen ne le comprenait pas, et il est allé s’installer en Europe. Puis, après la mort de Fela, en 1997, il a commencé à raconter un mensonge là-bas : il prétendait qu’il était l’inventeur de ce motif rythmique afrobeat, et qu’il l’avait donné à la musique de Fela. 94
Quand je vivais avec Fela, j’étais très arrogant. Comme j’étais son fils, tout le monde me disait que j’étais le meilleur. C’est le plus grand mensonge du milieu musical. Mon père avait créé sa propre musique, c’est lui qui montrait le rythme, lequel venait de sa danse, de son style, de son attitude… L’afrobeat transpirait Fela. Il ne s’agissait pas d’une création collective où chaque musicien apporte une idée, une esthétique, non. Si mon père avait l’esprit ouvert dans de nombreux domaines, il était très strict concernant la musique. Il ne tolérait aucune fausse note. Je me demande pourquoi les Européens, les Français en particulier, continuent à diffuser ce mensonge. Sans doute parce que Tony Allen a vécu en France… Pourquoi a-t-il menti ? C’est un exemple parmi tant d’autres du genre de trahisons que mon père a subi toute sa vie, et même après sa mort. Nous, ses enfants, sommes vraiment sensibles sur ce sujet. Car c’est évident, limpide. Quel était votre lien avec votre grand-mère paternelle, Funmilayo Ransome-Kuti, figure majeure et pionnière de la lutte anticolonialiste et féministe au Nigeria ? Femi : Au début, notre relation n’était pas très cool. Elle était
trop stricte, trop sévère. Je ne voulais pas lui rendre visite. Mais, au fil des années, elle est devenue plus sympa, et j’ai commencé à l’apprécier. Elle était la seule personne que j’autorisais à toucher ma coiffure afro ! Elle avait l’habitude de se rendre chez mon père. Quand elle est morte, nous étions tous profondément tristes [durant un affrontement entre Fela et les autorités à Kalakuta, des militaires l’ont jetée par la fenêtre du premier étage de la maison. Elle est morte plusieurs mois après des suites de ses blessures, ndlr]. On ne me parle jamais de mon autre grandmère, du côté maternel. Or, elle a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui. Quand je vivais avec mon père, j’étais très arrogant. Avec le recul, j’essaie toujours de comprendre pourquoi j’étais ainsi. Peut-être parce que, comme j’étais le fils de Fela, tout le monde me disait que j’étais le meilleur ! Quand mon père a été
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emprisonné, je suis allé vivre chez ma mère. Ma grand-mère maternelle m’a alors crié dessus, en me disant : « Sais-tu que tu es le pire musicien que j’aie jamais entendu de ma vie ? » J’étais offensé, en colère, car personne ne m’avait jamais parlé ainsi. Pourtant, elle disait la vérité. J’ai pleuré toute la nuit, j’avais tellement honte de moi. Mais ça a complètement changé ma vie. Je lui en suis tellement reconnaissant. Elle est probablement l’un de ces anges qui veillent sur moi au paradis. Est-ce important de vous sentir relié à vos ancêtres musiciens, du côté paternel ? Femi : Oui. Ça m’éclaire sur le sens de ma présence sur
terre, pourquoi je suis là, quel est mon devoir. Le passé m’aide à comprendre le présent et m’éclaire sur le futur. Il me fait aussi comprendre que la mort est inéluctable, je suis là pour un temps limité, sans en connaître la durée. Mais tant que je suis là, chaque moment est précieux pour moi. Et puis, tel un relais, je transmets cet héritage à mon fils, en m’assurant qu’il est bien préparé pour la vie, qu’il saura quoi faire quand il sera père à son tour. Encore une fois, c’est important de ne pas oublier ma famille maternelle. Tout le monde me parle de mon père, parce qu’il est si célèbre. Mais c’est ma mère qui m’a apporté la stabilité. Et je la transmets à Made aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écriture de la chanson « Stop the Hate » ? Femi : L’actualité du monde. Il y a tant de souffrance, et tant
de haine. Et que fait l’ONU ? Tous ces dirigeants se contentent de faire de beaux discours, mais il n’y a aucune amélioration dans la vie des citoyens, à tout niveau. C’est pourtant le moment, en cette période de pandémie, de réenvisager et de traiter autrement certaines problématiques. Ils se réunissent pour le changement climatique, mais rien ne changera. Nous le savons. Perdue, une jeune génération se soulève, et ne comprend pas pourquoi le monde va si mal, à cause de cette industrie capitaliste, cette course à l’argent, qui a pollué l’air, l’eau, les océans… Ces gouvernants sont si arrogants. Avant les élections, ils supplient les gens de voter pour eux. Puis, une fois élus, ils ont tellement de pouvoir, avec la police, l’armée à leurs côtés, et là, l’oppression du peuple commence. Or, le devoir d’un leader serait d’aider chacun à devenir soi-même un leader.
CHRISTIAN ROSE/FASTIMAGE
C’est un monde de division ? Femi : Oui. Prenez l’exemple du Brexit : ils ont vendu un men-
songe, et maintenant cela cause des complications en Europe. Pourquoi, au XXIe siècle, parler de division, et non d’amour et d’unité ? Ils devraient plutôt songer à aider les pays les plus pauvres. Quand le monde a besoin de chacun, ils se retirent ! Où vont-ils ainsi, tout seuls ? Désormais, ils se disputent avec la France à cause de la pêche dans la Manche. Ils vont donc diviser l’eau, peut-être construire une clôture dans la mer : ici, c’est l’eau britannique ; là, l’eau française ? Et regardez l’Afrique aujourd’hui : aucun pays africain ne peut tenir debout. Quant à cette Union africaine insensée et stupide… Elle a organisé une grande réunion juste pour changer de nom, l’Organisation AFRIQUE MAGAZINE
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Auteur-compositeur aux textes très engagés, le « grand-père » Fela Kuti était aussi une singulière figure politique. Ici, en 1986.
de l’Union africaine est devenue l’Union africaine. Une réunion pour ce motif ? Mais pour l’amour de Dieu ! Les leaders politiques mondiaux ont étudié dans les meilleures écoles, et regardez ce qu’ils font de notre monde. D’où l’origine de mon morceau « Stop the Hate ». J’aurais dû l’appeler « Stop l’absurdité, l’insensé ». Made : Je partage vraiment ce point de vue. Ça peut paraître cliché, mielleux, mais nous avons vraiment par-dessus tout besoin davantage d’amour et de compréhension mutuelle, de tolérance. Acceptons la différence de l’autre, plutôt que de voir celui-ci comme un ennemi. Parlons pour créer un monde meilleur, au lieu de semer la discorde. ■
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interview
Arab et Tarzan Nasser
« Cette histoire peut être universelle » Les cinéastes (et jumeaux) gazaouis mettent l’humain au centre de leur second film : ce conte poétique met en lumière une relation inattendue entre un pêcheur et une couturière qui partagent le même goût de liberté.
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propos recueillis par Fouzia Marouf AFRIQUE MAGAZINE I 423-424
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PHILIPPE QUAISSE/PASCO
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egards hypnotiques cerclés de khôl, sourires ravageurs, cheveux longs ondulant sur leurs vestes en cuir, Arab et Tarzan Nasser ont des allures de bikers américains sortis d’un road movie ou de héros bibliques jouant dans un péplum digne des Dix commandements. Nés en 1988 dans la bande de Gaza, ces jumeaux ont fait des études de beaux-arts à l’université al-Aqsa. Passionnés de 7e art, ils signent Condom Lead, un court-métrage, en 2013, qui est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. Suit la comédie noire Dégradé, en 2015, qui réunit 13 femmes dans un salon de coiffure avec en toile de fond le Hamas et la mafia locale. Inspiré d’un fait divers, ce huis clos féminin et politique se fait remarquer par la planète cinéma : la talentueuse
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Hiam Abbass tient le haut de l’affiche et les frères Nasser ravivent le cinéma palestinien au fil d’une écriture libre, rock, un brin déjantée. Dans leur second film, Gaza mon amour, Issa (Salim Daw) tombe amoureux de Siham (de nouveau Hiam Abbas) et multiplie les provocations après avoir repêché une statue grecque d’Apollon en érection dans les eaux gazaouies… Sortie en France en octobre dernier, cette comédie des temps modernes représentera la Palestine aux Oscars 2021. D’une rare complicité, les frères Nasser terminent les phrases l’un de l’autre. Rencontre sous le soleil corse, où leur film a obtenu le prix du public au 39e Festival du film méditerranéen de Bastia, en octobre dernier. 97
INTERVIEW
AM : Comment êtes-vous venus au cinéma ? Arab et Tarzan Nasser : Nous sommes passionnés depuis
notre prime enfance. Notre père nous a emmenés voir un film d’Andreï Tarkovski lorsque nous étions encore enfants, et il faut avouer que nous avons eu un choc esthétique et émotionnel. Il n’y a pas d’école de cinéma à Gaza, aussi nous avons étudié les beaux-arts à l’université al-Aqsa, dont nous sommes diplômés. Férus de mode, nous regardions des films uniquement pour la curiosité et la joie de découvrir les costumes que portaient les acteurs et les actrices [rires] ! Obsédés par l’image, on s’inspirait des photos de notre père qui dataient des années 1970, il avait fière allure, et on achetait beaucoup de vêtements. Nous avons écrit et réalisé plusieurs courts-métrages, dont Condom Lead en 2013, qui s’est fait remarquer dans de nombreux festivals. En 2015, Dégradé, notre premier long-métrage, a été présenté à la Semaine de la critique du Festival de Cannes et nous a révélés à l’international et au grand public. Comment est née l’idée de Gaza mon amour ?
Depuis un certain temps, on souhaitait écrire un film sur une histoire d’amour à Gaza, puisqu’on n’en parle que quand il s’agit de conflit et d’intifada, et au même moment, il y a eu un fait divers médiatisé par la presse internationale : une statue en bronze d’Apollon – le dieu de l’amour – aurait été retrouvée dans les filets d’un pêcheur gazaoui ! D’emblée, ça nous a interpellés, on a eu envie de traiter ces deux aspects, de mélanger un conte amoureux et un fait divers qui prend une ampleur démesurée dans la vie du personnage principal. Il nous tient à cœur de montrer comment les gens vivent à Gaza, résistent, rêvent, et surtout y tombent amoureux, peu importe leur âge. Nous avons d’ailleurs dédié ce film à notre père. Et Dégradé était dédié à notre mère.
Il a été fait avec amour ! Et c’était un vrai défi : Gaza est auréolée de nombreux clichés, de mythes, on ignore la vraie vie des habitants, mais il nous tenait à cœur de dépeindre le quotidien de nos contemporains. De plus, ce n’est pas une ville facile : ceux qui y vivent la soutiennent, mais parfois la détestent ! Le prétexte amoureux nous semblait bien senti, car l’amour ne choisit pas. Les héros soulèvent des questionnements : pourquoi un pêcheur solitaire et sexagénaire tombe-t-il amoureux d’une femme indépendante, libre, qui vit grâce à sa boutique de couturière ? Elle qui souhaite poursuivre sa trajectoire sans la présence d’un homme dans sa vie. On voulait démontrer que les personnes plus âgées peuvent encore tomber amoureuses : on a voulu tordre le cou aux préjugés et aux stéréotypes. Le film dit en creux que lorsque quelqu’un veut vraiment quelque chose de façon très forte, il met tout en œuvre pour l’obtenir même s’il doit aller à l’encontre du regard de la société. La puissance de l’amour dépasse les notions d’âge, de générations, ou encore la timidité. Et on rappelle que l’humour arabe est intact et que les Arabes adorent rire. Les autres protagonistes incarnent une radioscopie de la société palestinienne : le meilleur ami et confident d’Issa est un homme marié qui envisage de s’exiler en Europe…
Absolument. Parallèlement à ce récit amoureux, on découvre d’autres destins. Contrairement à cet homme plus jeune, Issa ne veut pas quitter Gaza, son avenir est dans sa ville natale. Il représente la vieille génération alors que la jeune n’aspire qu’à la quitter : elle a soif de découvrir le monde à tout prix, elle aspire à un ailleurs. Les personnes âgées se sont énormément reconnues à travers Issa, car il y a peu de films qui les représentent. Pour nous, cette fiction est également une visite de Gaza qu’on souhaitait offrir aux spectateurs.
La Palestinienne Hiam Abbas, qui incarne Siham, est l’actrice fétiche des deux réalisateurs.
Un lien de confiance particulièrement fort nous lie à elle. Nous en sommes très fiers, et nous avons conscience d’avoir énormément de chance de travailler avec une telle actrice, elle est exceptionnelle. Sa palette de jeu est particulièrement riche, c’est une comédienne qui a le don de s’adapter à tous les contextes et à tous les rôles, ce qui lui vaut d’ailleurs d’avoir tourné avec les plus grands cinéastes sur la scène internationale. Notre collaboration a débuté en 2014, lorsqu’elle a accepté d’incarner un rôle déterminant dans Dégradé. C’est pourquoi nous avons écrit le rôle de Siham pour Hiam. Nous mettons la femme 98
Gaza mon amour est plein de subtilité, de poésie, d’humour, sur fond de trame politique…
La musique est un personnage à part entière. Un certain romantisme rend hommage aux grandes voix du monde arabe, tels qu’Abdelhalim Hafez, Asmahan, Oum Kalthoum…
Elle est signée du compositeur allemand Andre Matthias, il était important que la peinture des sentiments soit
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Vous placez la femme gazaouie au cœur de votre cinéma. Hiam Abbass, talentueuse actrice palestinienne, incarne Siham, femme indépendante vivant seule avec sa fille divorcée dans la zone occupée. Pourquoi avez-vous choisi de lui confier ce rôle de femme libre ?
palestinienne au centre de nos films, car ça correspond à la réalité. Quant à la galerie de personnages qui marquent le récit de Gaza mon amour, ils existent réellement : Siham rappelle notre mère ; la sœur d’Issa, envahissante et intrusive, fait écho à notre tante – elle aime tellement son frère qu’elle s’est mis en tête de lui trouver la femme idéale, évidemment à l’opposé de Siham ; et Issa est proche de notre père.
accompagnée avec justesse. Nous avions envie que la narration soit portée par un son différent. On a consacré cinq ans de travail à ce film, en participant aux décors, à la création des costumes, des accessoires, car notre vision artistique est globale. Et les voix arabes qui ponctuent par petites touches certaines scènes sont un poème, oui, un hommage à ces célèbres voix arabes qui nous ont tous bercés. Mais nous sommes aussi fans de raï ! Où avez-vous tourné ?
Au Portugal, pour les scènes de pêche en mer, et en Jordanie, où nous avons reconstitué un camp de réfugiés palestiniens. C’est ce qui s’en rapprochait le mieux. Il est très difficile de tourner à Gaza, qui est sous embargo israélien. On ne peut ni y entrer ni en sortir. Nous ne pouvons plus y retourner depuis que nous l’avons quittée par l’Égypte, en 2012, pour venir en France. Nous n’avons pas vu nos parents, notre famille et nos amis depuis près de douze ans : notre grand problème reste la colonisation israélienne. Seuls les journalistes pouvaient en sortir dans les années 1980. Aujourd’hui, un Gazaoui n’a pas le droit de se déplacer, ne serait-ce dans une autre ville. Les spectateurs sont témoins des difficultés que rencontrent au quotidien les Palestiniens pour s’efforcer de survivre face à l’absurdité et la violence de certaines situations, et pourtant, à aucun moment votre film n’est amer ou vindicatif…
Très complices, les frères parlent d’une seule voix.
Notre rôle, en tant que cinéastes, n’est pas de faire un énième documentaire sur la question palestinienne. On ne voulait pas se cantonner au contexte extérieur ou à la vie au sein d’une colonie, qui est très particulier et complexe. Nous avons préféré montrer la façon dont on vit sous embargo et dont on aime – même si c’est compliqué. On a filmé une histoire d’amour qui se déroule à Gaza, certes, mais à nos yeux, cette histoire peut aussi être universelle.
SÉBASTIEN LEBAN/DIVERGENCE
Votre long-métrage a été présenté à Gaza, comment a-t-il été accueilli ?
Il a rencontré un succès formidable, ainsi qu’à Ramallah, à Jaffa ou encore à Jérusalem, où les billets étaient déjà vendus avant la projection ! Les cinémas ont dû ouvrir des salles supplémentaires. Les jeunes ont été particulièrement réceptifs et nous ont abreuvés de chaleureux messages de félicitation et de soutien sur les différents réseaux sociaux, notamment sur Facebook. Nous retenons surtout leur analyse fort pertinente, car c’était notre premier objectif : toucher le public gazaoui et celui de la région. Nous avons vécu à Paris depuis notre exil, mais Gaza est notre ville, elle est toujours présente dans nos esprits et nos cœurs. Elle est forte, difficile, elle résiste. Gaza mon amour ne cesse de voyager : il a été sélectionné à la 77e Mostra de AFRIQUE MAGAZINE
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Venise, où il a été présenté en avant-première mondiale, et il est sorti à Toronto, au Canada, en Allemagne, en Espagne, à Dubaï, en Égypte, en Jordanie, au Maroc ou encore en Mauritanie. Et il a obtenu le Prix du public au 39e Festival du film méditerranéen, à Bastia…
Cette récompense nous a beaucoup touchés ! On a senti énormément d’amour, de questionnements et d’intérêt de la part du public. C’est la première fois que l’on se sent aussi bien au sein d’un festival. D’habitude, on sort de notre hôtel pour présenter notre film, puis on y rentre, mais ici, on a passé le plus clair de notre temps avec les gens, à discuter, à faire de nouvelles rencontres, à se balader. On a donc décidé de dédier notre prix au public bastiais, vraiment exceptionnel, afin de le remercier pour son chaleureux accueil. On espère bien revenir en Corse avec notre prochain film ! Parlez-nous de votre prochain projet.
Notre troisième long-métrage, Once Upon A Time In Gaza, sera un western. Notre parti pris est de ne pas parler de guerre, mais de vie, dans un territoire où la mémoire a été détruite par le conflit. Ce western clôturera la trilogie consacrée à Gaza. Notre cinéma est une déclaration d’amour constante à cette ville et à ses habitants, qui nous inspirent plus que jamais avec force. ■
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CE QUE J’AI APPRIS
Dobet Gnahoré
LA CHANTEUSE IVOIRIENNE DÉPLOIE SES TALENTS lors de performances scéniques intenses. Sur son nouvel album Couleur, elle livre ses messages optimistes et encourage la persévérance et l’indépendance des femmes. propos recueillis par Astrid Krivian J’ai d’abord été élevée par ma grand-mère, au village. Elle m’a transmis son savoir sur les plantes, les traditions. À l’aube, nous allions aux champs cultiver le riz, pour ensuite le piler et le vendre au marché. Le soir, je l’écoutais conter des histoires au clair de lune. J’ai grandi dans le village culturel panafricain créé en 1985, au cœur d’Abidjan : le Ki Yi M’Bock [nom qui signifie « ultime savoir de l’univers » en bassa, langue de sa cofondatrice camerounaise, l’artiste pluridisciplinaire Werewere Liking, ndlr]. Venant de tout le continent, des personnes y pratiquaient la danse, les percussions, le théâtre, la musique… et créaient des spectacles. Les traditions de chaque pays se métissaient et formaient quelque chose de nouveau. Cette approche m’a inspirée pour ma carrière, encore aujourd’hui. Je ne donne pas d’étiquette à ma musique. Je me nourris de l’Afrique, de l’Europe, de l’électro, de tout ce que je rencontre. À 12 ans, j’ai décidé de quitter l’école pour me consacrer à la musique. Je n’avais pas le choix : j’étais happée par l’art. C’était très difficile à l’école, car je parlais le bété, et pas le français. J’étais toujours l’une des dernières. Je ramais vraiment, je ne trouvais pas ma place. Alors je faisais l’école buissonnière, je me cachais, ça devenait pesant. J’ai demandé à Werewere, ma mentor, de convaincre mon père [le percussionniste, chanteur et acteur Boni Gnahoré, ndlr] de m’intégrer à ce mouvement d’artistes. Il a accepté et, avec les autres « kiyistes », il m’a formée, jusqu’à ce que je développe ma propre voie. Cette expérience au sein de cette communauté utopique m’a appris à réaliser mes rêves, la persévérance, l’autonomie, la capacité à trouver seule mon énergie, ma motivation. Werewere reliait l’art avec la dimension mystique. Elle nous a enseigné différents courants spirituels, afin de nous aider à nous réaliser, nous connaître, créer notre univers.
Mes textes s’inspirent toujours des enfants, et surtout des femmes – cette jeune génération africaine qui se bat pour créer des entreprises,
Couleur, Cumbancha.
Je suis une malade du boulot ! Piano, vocalise, danse… Je m’exerce tout le temps afin de garder le niveau. Je suis mon propre patron : j’ai vite compris que si je ne travaillais pas, le lendemain, je ne mangerai pas ! Je suis l’aînée d’une grande famille. Dans notre tradition, c’est mon rôle d’aider mes parents, mais aussi les autres membres à subsister. C’est un poids mais une motivation aussi : je ne dois pas me reposer sur mes lauriers ! Seule la mort me donnera le repos. En concert, j’ai une énergie phénoménale ! D’où vient-elle ? Je m’étonne moi-même ! La scène est une thérapie, je me guéris chaque fois. Dieu, ou l’énergie divine – ou quelque chose que je ne peux nommer –, m’a toujours soutenue dans mes choix, depuis l’enfance. ■ 100
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avoir un nom dans la société, vivre leur vie, sans compter sur un homme. Elles croient en elles et inventent des solutions pour leur avenir et celui de leur famille. Miser tout son espoir sur un homme jusqu’à s’oublier n’est pas une solution. Je crois à la force de chaque femme pour s’en sortir seule. Si elle souhaite d’abord se réaliser elle-même, une jeune fille peut désormais refuser un mariage qu’on tente de lui imposer.
«Je ne donne pas
d’étiquette
JEAN GOUN
à ma musique. Je me nourris de l’Afrique, de l’Europe, de l’électro, de tout ce que je rencontre.»
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DÉCOUVERTE
Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation
DJIBOUTI
PATRICK ROBERT (3)
LES PILIERS DU FUTUR Malgré une nature exigeante et un environnement complexe, le pays a su bâtir un projet ambitieux de développement, tout en assurant la paix et la stabilité. Zones franches, industrialisation, énergie, digital… Aujourd’hui, une nouvelle phase s’ouvre.
DOSSIER DIRIGÉ PAR ZYAD LIMAM - AVEC THIBAUT CABRERA
DÉCOUVERTE / Djibouti
Une ouverture vers le grand large Depuis 1999 et l’élection du président Ismaïl Omar Guelleh, Djibouti a su s’inscrire dans une perspective d’émergence forte. Et s’appuyer sur une position géostratégique unique. La mise en œuvre de sa Vision 2035 implique la diversification de l’économie pour soutenir la croissance à long terme. par Zyad Limam
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’est comme un voyage dans le temps. Ici, sur la pointe est de l’Afrique, face à la mer Rouge et à l’Arabie, on se sent comme projeté aux origines du monde, entre les failles sismiques, les banquises de sel, les fonds marins inépuisables… La terre de Djibouti vient de très loin, de la nuit des temps, et pourtant Djibouti est aussi l’un des pays les plus jeunes de la planète. En juin prochain, la République fêtera ses 45 ans d’indépendance. En moins d’un demi-siècle, malgré une nature aride et exigeante, malgré un environnement géopolitique complexe, le pays 104
a su s’inscrire dans une perspective d’émergence. Une superficie de 23 200 km2, une population aux alentours de 1 million d’habitants, moins de 1 000 km2 de terres arables (soit 4,31 % de la superficie totale) et des précipitations moyennes de 130 millimètres par an… Et pourtant, dans ce contexte particulièrement adverse, Djibouti aura su se faire une place sur la carte du monde. Une cité-nation est née, et entre les collines sèches et le bleu de la mer, une ville ouverte sur le monde s’est développée, avec ses immenses grues portuaires, ses nouveaux quartiers d’affaires, ses hôtels de luxe, ses AFRIQUE MAGAZINE
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banques qui travaillent avec toute la sous-région. Avec sa forte tonalité stratégico-diplomatique aussi, les bases militaires étrangères (Chine, États-Unis, France, Japon) et les imposantes ambassades. Il a fallu tout d’abord dépasser les fragilités et les fractures liées à l’héritage colonial, au découpage des frontières. Tout au long des années 1990, il a fallu négocier pour obtenir la paix intérieure et mettre fin au conflit entre le gouvernement et les rebelles du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD). Sous l’impulsion d’Ismaïl Omar Guelleh (IOG), élu président en 1999, successeur AFRIQUE MAGAZINE
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d’Hassan Gouled Aptidon, les accords de paix sont signés en 2001. Ils mettent définitivement fin à cette déchirure fratricide. Et la nation djiboutienne peut alors réellement se construire, patiemment, en tissant des liens entre communautés, entre Afars, Issas, minorités yéménites… Ce tissage est fragile, sensible aux impacts des crises régionales. Pourtant, ça tient, les métissages s’accentuent, l’idée d’une communauté d’intérêts et d’histoires s’installent. Cette construction nationale est une véritable conquête, et sans la définition de ce pacte national, rien n’aurait été véritablement possible.
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Le terminal pétrolier de Doraleh.
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L’ensemble de ce spectaculaire complexe logistique et portuaire devrait conférer un avantage
compétitif
particulièrement durable vis-à-vis des possibles concurrents de la sous-région.
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et les investissements. On pense en particulier au développement du complexe de Damerjog, fer de lance de l’industrialisation du pays. Prévu sur une période de quinze ans, le projet prévoit en particulier la mise en place d’installations pétrochimiques, destinées à couvrir les besoins de toute la sous-région. Demain, ce sera le gaz, les industries métallurgiques, les chantiers navals… Enfin, et on en aura beaucoup parlé, Djibouti est l’une des places fortes de l’immense plan chinois des nouvelles routes de la soie. Et Pékin aura investi massivement (près de 15 milliards de dollars depuis 2012). Le géant China Merchants Group a pris une position minoritaire dans la holding portuaire de Djibouti et s’est fortement engagé dans la rénovation complète de l’ancien port de Djibouti-ville et le développement d’une business city adossée au port rénové. L’ensemble de ce spectaculaire complexe logistique et portuaire, de Doraleh à la ville, devrait conférer un avantage compétitif particulièrement durable vis-à-vis des possibles concurrents de la sous-région.
À partir de 2001, le chantier « émergence » change alors de vitesse et de dimension. En s’appuyant sur une position géostratégique unique au monde, à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb, sur le corridor qui mène au canal de Suez, sur une voie maritime stratégique, l’une des plus fréquentées du monde. Parallèlement, la République s’impose comme l’un des débouchés naturels de sa région, en particulier comme la porte d’entrée maritime d’une Éthiopie en pleine croissance économique. En s’appuyant sur cette double donnée naturelle et stratégique, Djibouti va construire, en moins de vingt ans, une plate-forme logistique et portuaire de première importance. En 2008, c’est l’inauguration, en partenariat avec DP World, du port à conteneurs de Doraleh. En 2016, les premiers trains de la nouvelle ligne de chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba se mettent en branle. En 2017, c’est l’inauguration du Doraleh Multipurpose Port (DMP). Et celle du port de Tadjourah. En 2018, c’est l’ouverture de la première tranche de la zone franche la plus importante d’Afrique (Djibouti International Free Trade Zone, 4 800 hectares et un investissement de 3,8 milliards de dollars). Au fil des années, Djibouti s’impose comme la plate-forme entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. On est bien loin de la première ambition, celle d’être uniquement une zone de stockage ou d’importation. Il s’agit alors de s’orienter vers un plan nettement plus ambitieux, le transit intercontinental, la réexportation, les activités connexes comme le bunkering ou la réparation navale, la mise en place d’industries liées à l’activité portuaire et la free zone. Une « constatation » qui provoque, au fond et finalement, la rupture avec DP World, le géant dubaïote arc-bouté sur ses intérêts et soucieux avant tout de préserver ceux de Jebel Ali, son port d’attache. Djibouti, comme tous les pays de la planète, aura particulièrement souffert de l’impact de la pandémie de Covid-19. Mais le choc aura été mieux absorbé que prévu. La croissance est restée légèrement positive en 2020. Et devrait se maintenir dans le « vert » pour 2021 et 2022. La « Vision 2035 », stratégie à long terme portée par le président Ismaïl Omar Guelleh et son gouvernement, devrait soutenir la croissance AFRIQUE MAGAZINE
UN PROGRÈS RÉEL
Au-delà des ports, les opportunités sont réelles. La privatisation engagée de Djibouti Télécom devrait booster l’activité numérique et de services en s’appuyant sur l’infrastructure des huit câbles sous-marins internationaux qui « atterrissent » en ville. Soutenue par une monnaie stable et librement convertible, Djibouti-ville pourrait aussi s’imposer comme la place financière de la sous-région. Les énergies renouvelables pourraient également devenir une source de croissance, avec un potentiel géothermique, solaire et éolien. Le tourisme enfin, avec ses spectaculaires fonds marins, les lacs de sel, les golfes et le désert. Les performances économiques des vingt dernières années, les investissements locaux ou étrangers, la création d’infrastructures portuaires et logistiques de premier rang auront permis de multiplier par six le PIB du pays et par cinq le revenu par habitant. Une classe moyenne est née et se consolide. L’effort a joué aussi sur l’eau, l’électricité (60 % de la population raccordée), l’éducation. En 1999, Djibouti n’avait pas d’université. Aujourd’hui, le pays compte près de 10 000 étudiants. Le progrès est réel, mais I
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la route est encore longue. La démographie et la jeunesse du pays mettent la pression sur l’appareil économique et social. La lutte contre la pauvreté, et pour une inclusion plus active des régions dans le développement, reste une priorité nationale. Le taux de pauvreté, en particulier hors de la capitale, demeure trop prégnant. Et le chômage touche encore plus ou moins directement aux alentours de 45 % des actifs. Il faut donc investir plus, créer davantage de richesses nationales, dégager des marges d’investissement dans le secteur social, promouvoir la valeur ajoutée locale, développer un secteur privé national suffisamment actif pour entraîner à son tour la croissance, générer des emplois et des opportunités.
ABOU HALLOYTA/MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
UN HABILE ÉQUILIBRE
Beaucoup diront que dans ce processus d’émergence complexe et rapide, Djibouti aura été mis sous tutelle de la Chine, que la dette est devenue incontrôlable. Ou que le pays est soumis à la pression d’autres grandes puissances, comme les États-Unis ou la France. Pourtant, Djibouti a su et sait jouer de ses marges de manœuvre, en maintenant un équilibre habile entre tous ses partenaires et ses bailleurs, et en s’appuyant sur son rôle stratégique sur le détroit de Bab el-Mandeb et la sécurisation du commerce international. AFRIQUE MAGAZINE
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Ainsi qu’en assumant ses obligations et son devoir dans le domaine humanitaire. La République est incontournable pour la stabilité de la région. Cette diplomatie globale est un impératif de survie pour le pays. De par la taille modeste de son marché intérieur et de par ses choix stratégiques, Djibouti reste une économie particulièrement extravertie, soumise aux aléas de la conjoncture internationale et aux secousses géopolitiques. Plus que la crise du Covid, les changements dans le commerce mondial ou les impératifs de réformes internes macroéconomiques, la crise éthiopienne, la quasi-guerre civile qui secoue ce géant de 110 millions d’habitants, représente évidemment le défi majeur pour la République. Djibouti a besoin d’une Éthiopie unie, stable, en paix. Et d’avoir un corridor ouvert et sécurisé entre le port et Addis. La crise a un impact direct sur les volumes commerciaux, sur la croissance, et avec un risque possible de débordement du conflit au-delà des frontières. Pour Djibouti, il s’agit d’un véritable test de résilience, de cohésion nationale. Et d’adaptation stratégique. Pour le président Ismaïl Omar Guelleh, il faudra à la fois tenir, agir, sécuriser et préparer demain. C’est le sens de la diversification économique du pays, de la mise en place de nouvelles activités, d’une ouverture encore plus déterminée vers le grand large. ■
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Le chef d’État Ismaïl Omar Guelleh a été réélu pour un cinquième mandat en avril 2021.
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Ahmed Osman « Nous devons compter aussi sur nos propres forces » Gouverneur de la Banque centrale de Djibouti (BCD)
Malgré les impacts de la pandémie de Covid-19 et de la crise éthiopienne, le pays peut s’appuyer sur un cadre macroéconomique stable et porteur.
tirée en enregistrant une légère hausse de 1,2 % du PIB en 2020. La perte de 5,4 points de pourcentage en matière de croissance par rapport à 2019 montre toutefois que le pays n’a pas été épargné par les conséquences du Covid-19 sur le plan économique, mais également sur le plan social. Les importantes mesures de soutien prises par le gouvernement, dans le cadre d’un plan national de riposte à la pandémie, avec l’appui des partenaires internationaux et la forte mobilisation de la société civile et du secteur privé, ont permis de soulager les populations tout en soutenant l’économie et la croissance. Les objectifs de la Vision 2035 demeurent plus que jamais d’actualité, en particulier dans la configuration actuelle du contexte régional et de la pandémie. Un second Plan national de développement (PND) sur la période 2020-2024 a été initié, à la suite du précédent plan quinquennal 2015-2019, premier instrument pour l’opérationnalisation de la Vision 2035. Ce chapitre 2015-2019 a permis la réalisation d’importants progrès : accélération de la croissance économique, réduction de la pauvreté, amélioration des indicateurs sociaux, construction d’infrastructures modernes (corridor routier ralliant la sous-région, ports, chemin de fer, adduction d’eau, etc.). Le nouveau plan quinquennal de développement est parfaitement aligné à l’Agenda mondial 2030 et à l’Agenda africain 108
2063. Il vise à consolider et à renforcer la transformation structurelle et la diversification de l’économie djiboutienne, dans l’objectif de tripler le revenu par habitant et de créer suffisamment d’emplois pour ramener le taux de chômage à moins de 10 % à l’horizon 2035. Quel est l’impact de la crise éthiopienne sur les équilibres financiers et économiques du pays ?
La communauté d’intérêt et de destin qui lie l’Éthiopie et Djibouti est séculaire. Le modèle d’intégration entre nos deux pays est un exemple pour le reste de l’Afrique. Dans cette configuration, toute instabilité en Éthiopie impacte l’activité économique nationale, et notamment la chaîne de transport logistique, pilier de notre modèle de croissance. Avec la crise actuelle, nous avons observé une baisse de l’activité portuaire de l’ordre de 20 %. Si les troubles persistent et gagnent en intensité, Djibouti sera affecté, mais également tous les autres pays de la sous-région. L’Éthiopie demeure et demeurera une nation amie, un partenaire économique incontournable et privilégié, sans pour autant être l’unique option. Nous devons compter sur nos propres forces aussi. Les investissements massifs en matière d’infrastructures, la création de vastes zones franches et de parcs industriels concourent à la transformation d’un hub logistique, commercial et financier régional – voire continental, avec le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA) et la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Les valorisations des importantes ressources potentielles dans les domaines de la pêche, du tourisme, de l’industrie légère de transformation,
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AM : L’économie du pays semble résister mieux que d’autres aux impacts de la pandémie de Covid-19. Les objectifs de la Vision 2035 sont-ils toujours d’actualité ? Ahmed Osman : L’économie djiboutienne s’en est plutôt bien
des énergies renouvelables, etc. sont autant de niches pour diversifier les sources de revenus et soutenir notre croissance. Djibouti fait partie des pays particulièrement menacés par les conséquences du réchauffement climatique. Quelles conclusions faites-vous de la COP26 ?
Les conséquences du réchauffement climatique constituent une réelle menace pour le développement de nos pays. La bonne nouvelle concernant la COP26, c’est que l’on est parvenus à un consensus sur les actions clés pour faire face. L’autre bonne nouvelle, si je puis dire, c’est l’obligation de respecter la promesse faite par les pays développés, lors des accords de Paris, de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement. Mais la question de la réalité de ce financement demeure toujours pendante. C’est la problématique récurrente, même si les fonds nécessaires sont pourtant présents dans l’économie mondiale. À ce facteur s’ajoutent les coûts élevés liés aux conséquences du réchauffement climatique déjà encourus, la baisse de l’aide publique au développement en direction du continent et l’augmentation des niveaux d’endettement. Une partie de la solution se trouve aussi chez les pays émergents eux-mêmes avec l’amélioration des cadres nationaux de gouvernance économique et financière, la mobilisation des ressources intérieures, les financements privés et le développement des secteurs financiers. La dette représente plus de 70 % du PIB. Et 60 % serait due à la Chine. Certains analystes évoquent le risque pour Djibouti de devenir un comptoir commercial, logistique et militaire de Pékin.
Par ailleurs, nous avons en effet d’excellentes relations avec la Chine et partageons des intérêts réciproques, comme avec d’autres partenaires. Ce n’est pas le seul pays à disposer d’une base militaire à Djibouti. Seulement, la Chine fait parler d’elle parce que c’est devenu un acteur économique et commercial incontournable dans le monde, dont la sphère d’influence politique ne cesse de s’agrandir par rapport aux États occidentaux. Comment des pays comme Djibouti peuvent-ils financer leurs « besoins longs » en infrastructures ?
Les projets qui ont de véritables portées économiques peuvent aisément trouver les financements appropriés. Les projets doivent être adaptés à nos dimensions. Il est impératif que nous disposions de tout l’arsenal réglementaire et juridique approprié pour garantir un environnement des affaires attractif et sain. C’est tout le sens des réformes que nous avons menées, tout au long de ces dernières années, pour nous hisser à des places honorables dans le classement « Doing Business » de la Banque mondiale. Par ailleurs, un fonds souverain a été mis sur pied en 2020 dans le but de financer nos besoins longs en infrastructures. Ce fonds est un instrument crucial pour atteindre les objectifs de développement visés à l’horizon 2035. Le franc Djibouti est perçu comme une monnaie stable, sûre. Sur quels facteurs s’appuie cette solidité ?
Ce n’est pas juste une perception, mais une réalité vieille de plus de soixante-dix ans. Cette solidité de la monnaie djiboutienne tient au mode de fonctionnement particulier de notre système monétaire en vigueur, et qui date de 1949 ! Le franc Djibouti est indexé au dollar US à travers une parité fixe. Pour maintenir la parité, l’intégralité de la monnaie fiduciaire émise par la Banque centrale est pourvue d’une couverture
La dette contractée et garantie par l’État est passée de près de 50 % du PIB en 2014 à 74 % en 2020. Sur un plan structurel, il s’agit pour une large part de l’endettement extérieur d’entreprises publiques garanti par l’État et lié aux investissements. Nous estimons que Il est impératif que nous disposions les enjeux, en matière de croissance et de tout de développement, valent largement les approprié pour garantir risques pris. Certains pays s’endettent un environnement des affaires attractif et sain. parce qu’ils font face à des difficultés d’ordre budgétaire. Ce n’est pas le cas de Djibouti qui investit dans la construction du pays, les infrastrucproportionnelle en devises. Et avec une couverture en devises tures (nouveaux ports, routes, chemin de fer, etc.). Ce sont donc largement supérieure à 100 %, la libre et totale convertibilité des investissements longs destinés à stimuler l’économie et à de notre devise est toujours garantie. Le système contribue à créer de la valeur ajoutée, en générant des retours suffisants asseoir une stabilité extérieure en même temps qu’une maîtrise pour couvrir les amortissements. de l’inflation intérieure (inférieure à 3 % sur longue période). Aussi, tant que nous avons des projets structurants et renEt il interdit le financement monétaire des déficits publics, tables économiquement avec des partenaires pour nous accomce qui impose aux pouvoirs publics une certaine discipline pagner, nous poursuivrons nos efforts de construction et de budgétaire. Enfin, vis-à-vis des investisseurs, Djibouti n’impose développement. Les seuils fixés par les partenaires internaaucun contrôle de change, garantit la libre et totale mobilité des tionaux et les autres bailleurs sont des standards indicatifs, et capitaux sous respect strict des dispositifs anti-blanchiment et aucunement des limites infranchissables. anti-financement du terrorisme. ■ Propos recueillis par Zyad Limam
l’arsenal réglementaire et juridique
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Sur les 6 000 unités de logement construites depuis 1999, 2 500 l’ont été par la Fondation IOG. Ici, à Djibouti-ville.
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Les 10 piliers de l’émergence L’ambition nationale et la réponse aux enjeux du futur s’articulent autour d’une stratégie de développement et de bases solides : paix, sécurité, investissements, diversification, diplomatie… par Thibaut Cabrera
1. Une nation en paix
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’est la clé de voûte du projet djiboutien, le centre de l’architecture. La paix intérieure, la cohésion nationale, étape indispensable au développement économique et à l’émergence. Le 27 juin 1977, Djibouti devenait un pays indépendant, héritant des divisions issues de l’ère coloniale. Il fallait d’abord recréer les conditions de l’unité. Le conflit est latent, sur fond d’opposition ethnique entre les grandes communautés afars et issas. Au tournant des années 1990, la guerre civile oppose le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD) au régime du président Hassan Gouled Aptidon. La signature de l’accord entre le gouvernement et le FRUD en décembre 1994 marque une première étape. L’arrivée d’Ismaïl Omar Guelleh (IOG) à la présidence de la République en 1999 permet d’entrer réellement dans le cycle de la réconciliation. Les négociations aboutissent par la signature des accords de paix le 12 mai 2001. Ce concept de la paix « d’abord », la mise en place d’un AFRIQUE MAGAZINE
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accord de gouvernement durable, d’une politique de gouvernance participative, permet de mobiliser Djibouti sur les sujets nationaux de développement socioéconomique. Et de lancer la « Vision 2035 » et la stratégie de « hub » commercial qui vont porter le pays. Les réformes successives permettent la structuration de la vie politique. La mise en place du multipartisme intégral en 2002 et la réforme du mode de scrutin des élections législatives et locales pour y intégrer une dose de proportionnelle en 2011 vont dans ce sens. Réélu lors de la présidentielle du 9 avril 2021, IOG compte poursuivre le programme de développement du pays mis en œuvre au cours des deux dernières décennies. Cette cohésion nationale, ce sentiment d’appartenance commune à la nation, est d’autant plus précieuse que les enjeux du futur sont particulièrement exigeants : sécurité et stabilité régionale, modernisation économique, promotion des initiatives privées, emplois, inclusivité sociale, jeunesse, consolidation de l’état de droit et de la justice. ■ 111
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2. Un pôle de stabilité et de sécurité
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sont autant d’arguments qui confirment l’importance du pays en matière de géopolitique. Ces bases étrangères permettent également à Djibouti de s’assurer du soutien militaire, politique et économique des grandes puissances de la région. Initiée par la France et mise en œuvre par l’Union européenne (UE) à partir de 2008, l’opération Atalante illustre la dimension prise par Djibouti, qui y prend part tout en servant de point d’appui logistique. Cette mission militaire, prolongée en décembre dernier jusqu’à fin 2022, a pour but de lutter contre l’insécurité causée par la piraterie dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien. Plus de 30 pays y contribuent via le déploiement de personnel ou de matériel. Sur le plan de l’appui humanitaire, Djibouti apparaît comme un maillon indispensable dans la région. En décembre 2020, la Banque mondiale
Au premier plan, la base militaire japonaise, et au fond, de l’autre côté de la piste de l’aéroport, le camp Lemonnier (base américaine).
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ositionné au cœur d’une corne de l’Afrique qui n’a rarement été aussi instable au XXIe siècle qu’actuellement, Djibouti affirme son statut de pôle de stabilité et de sécurité. L’histoire mouvementée de cette région d’Afrique de l’Est, en proie à différents conflits millénaires et séculaires, ne s’inscrit pourtant pas en ce sens. Les spasmes régionaux dont sont victimes les deux grands voisins djiboutiens, l’Éthiopie et la Somalie, témoignent de cette permanente redondance du conflit. Si le pays se doit de s’assurer une stabilité sans faille, c’est notamment parce qu’il est un carrefour à la croisée des principales routes maritimes mondiales. Gardien du détroit de Bab el-Mandeb, Djibouti maintient l’équilibre entre les puissances régionales et assume ses obligations en matière de sécurité collective. Quatrième passage maritime le plus important au niveau mondial en matière d’approvisionnement énergétique, le détroit est une étape indispensable pour les cargos souhaitant rejoindre d’autres continents. Dans cette optique de sécurisation, le pays a mis en place une surveillance renforcée qui a permis d’accroître la confiance des puissances étrangères accueillies sur son territoire. En 2017, la Chine y a inauguré sa première et unique base militaire permanente hors de ses frontières. À quelques pas de la base américaine, la France stationne plus de 1 450 soldats au sein de sa plus grande base militaire à l’étranger. Et les présences des bases japonaises et italiennes ainsi que de contingents étrangers sur le territoire
a approuvé un financement additionnel de 30 millions de dollars afin d’aider les réfugiés et demandeurs d’asile se trouvant sur son territoire. Le pays accueille ainsi plus de 30 000 déplacés, dont une grande partie a fui la guerre au Yémen – près de 20 000 Yéménites sont arrivés à Djibouti entre 2015 et 2017 selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. D’autres ont fui les conflits en Somalie, en Érythrée et, de manière croissante, en Éthiopie. Par ailleurs, l’engagement pris par IOG avant son arrivée à la tête du pays (« Nourrir, soigner et éduquer ») ne s’adressait pas uniquement à ses compatriotes. Pour preuve, 20 % des consultations médicales de Djiboutiville concernent des réfugiés et des migrants. Et les mineurs sont pris en charge par les établissements scolaires et bénéficient de kits de fournitures et de repas quotidien – un traitement équivalent à ceux des enfants du pays. Il n’a donc pas été surprenant de voir l’agence onusienne du Programme alimentaire mondial (PAM) faire confiance à Djibouti pour y installer sa base logistique pour le continent. ■
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Le port polyvalent de Doraleh regroupe des installations modernes et offre des capacités de stockage importantes.
3. Un hub portuaire et commercial qui s’ouvre sur le monde
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’un des atouts majeurs de Djibouti réside dans sa position géostratégique, au carrefour de trois continents. La voie maritime reliant le détroit de Bab el-Mandeb au canal de Suez est l’une des plus fréquentées de la planète, comptabilisant le passage de près de 30 000 navires par an. Dès lors, le pays s’est naturellement imposé comme un incontournable hub portuaire, commercial et logistique. À la fin du XIXe siècle, les Français, souhaitant rattraper leur retard sur les autres puissances coloniales présentes dans la région, décident d’y construire un port en eau profonde. Au milieu des années 1960, le port de Djibouti devient « le troisième de France », derrière Le Havre et Marseille. Après l’indépendance, le pays voit sa position géostratégique confortée en devenant, de facto, l’unique débouché maritime pour son voisin et allié éthiopien : à la suite d’un long conflit achevé en 1991, la séparation de l’Érythrée et de l’Éthiopie fait ainsi perdre l’accès à la mer à cette dernière en 1993. Le président IOG mesure les conséquences de ces bouleversements stratégiques et l’opportunité de développement que cela offre au pays. AFRIQUE MAGAZINE
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À l’aube du XXIe siècle, les équipements du port apparaissent vétustes, datant de l’époque coloniale. Le retard de Djibouti sur les ports concurrents de Salalah (Oman), Aden (Yémen), Djeddah (Arabie saoudite) et Jebel Ali (Émirats arabes unis) est alors considérable. IOG entame un projet de développement qui vise à augmenter l’offre portuaire via la réalisation d’un complexe comprenant plusieurs terminaux. Les travaux du terminal pétrolier Horizon démarrent en mars 2004 et sont achevés en 2006. Deux ans plus tard, le terminal à conteneurs de Doraleh (DCT), d’une capacité de traitement de 1,2 million d’EVP (unités de conteneurs équivalentes à vingt pieds), est à son tour opérationnel. L’infrastructure s’avère très rentable puisque son coût de réalisation (397 millions de dollars) est remboursé en huit ans. Trois nouveaux terminaux sont inaugurés par IOG en 2017. Le premier est le port polyvalent de Doraleh (DMP), qui regroupe des installations ultramodernes et offre des capacités de stockage importantes. Les deux autres sont des terminaux minéraliers : le port autonome de Ghoubet, dédié à l’exportation du sel (une réserve
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quasi inépuisable du lac Assal), et le port de Tadjourah, qui fait notamment le lien avec le voisin éthiopien. Depuis 2017, pour assurer les dessertes vers Addis-Abeba, les installations portuaires sont prolongées d’une voie ferrée reliant les deux capitales. En deux décennies, les investissements ont permis au port de Djibouti de rattraper son retard et de bénéficier d’une avance substantielle sur les concurrents de la sous-région. En 2020, il a ainsi été reconnu premier port à conteneurs en Afrique par la Banque mondiale. Le pays souhaite continuer d’étoffer son offre. C’était déjà le cas en 2015, lorsqu’il a décidé d’investir dans l’activité d’avitaillement des navires à travers la création de Red Sea Bunkering. Et c’est encore le cas pour le réaménagement du port historique : la première phase (2020-2023) mobilise 200 millions de dollars pour le chantier de réparation navale. Il disposera d’une cale sèche pouvant soulever et maintenir hors de l’eau des navires gros porteurs, une activité unique dans la région. Cette diversification doit confirmer le statut de Djibouti, considéré comme une plateforme portuaire, logistique et de service, ouverte sur l’Asie, l’Europe et l’Afrique. ■ 113
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4. Une volonté industrielle
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ans le cadre de la Vision 2035, le développement d’infrastructures ambitieuses et l’amélioration de la productivité sont considérés comme des priorités par le président Guelleh. Pour accompagner ces évolutions, le chef d’État refuse de cantonner le pays à un point de transit de marchandises et souhaite développer un tissu industriel national solide. Cette ambition s’inscrit dans une volonté claire de faire de Djibouti la Singapour de l’Afrique : un pays à la superficie modeste et aux ressources naturelles limitées, mais qui émerge du fait de sa stabilité, de ses performances économiques et de son poids dans le commerce maritime mondial. Pour ce faire, IOG s’attache à la mise en œuvre de deux projets majeurs : le Djibouti Damerjog Industrial Development (DDID) et le réaménagement du port historique. Le 3 septembre 2020 a sonné le lancement de la première phase de développement du parc industriel de Damerjog, dont le coût atteindra les 3,8 milliards de dollars. Réalisé sur une période de quinze ans (2020-2035), en trois phases de cinq ans, le parc sera conçu sur un espace de 30 km2 dont les deux tiers sont gagnés sur la mer. La construction d’une première raffinerie et de la jetée du terminal pétrolier, confiée au groupe marocain Somagec, sera suivie d’une seconde raffinerie, qui augmentera la capacité de production de 2,6 millions de tonnes à 13 millions de tonnes, soit un passage de 8 000 à 40 000 barils par jour. Dépourvu de ressources en hydrocarbures, Djibouti souhaite se donner les moyens d’entrer dans le club fermé des pays africains dotés d’une industrie pétrochimique. 114
La troisième phase verra naître les premières unités d’industries lourdes, avec un site de métallurgie, une cimenterie, un chantier naval et une usine de dessalement d’eau de mer. Si la vocation industrielle de Damerjog est empreinte d’une dimension locale, la transformation du port historique en quartier d’affaires témoigne d’une ambition internationale. Le projet de 3 milliards de dollars prévoyait, outre le chantier de réparation navale livré en 2023, la construction de bureaux, d’un hôtel haut de gamme, d’une marina et d’un palais des Congrès. Cet espace est conçu selon les standards internationaux et consacré à l’innovation et à la fintech. Il devrait notamment permettre l’installation de bureaux régionaux de prestigieux cabinets de conseil (KPMG, Deloitte, EY) et de grands groupes économiques
(DHL, Cosco). Ce business district ciblera aussi les leaders du e-commerce (Alibaba, Amazon ou JD.com). L’objectif sous-jacent est la création de plus de 200 000 emplois, afin de ramener le taux de chômage à 10 % de la population active contre 45 % en 2019. Enfin, consolidant son argumentaire à l’adresse des investisseurs, le pays a mis en place la future plus grande zone franche d’Afrique. Lancée en mars 2016, la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) devrait rassembler un investissement de 3,5 milliards de dollars. Déjà opérationnelle, la phase pilote est composée d’un site comprenant quatre pôles industriels spécialisés dans le commerce, la logistique, l’industrie et les services aux entreprises. Le complexe devrait générer 7 milliards de dollars d’échanges commerciaux d’ici l’an prochain. Comme un symbole de l’ambition industrielle et commerciale djiboutienne, la DIFTZ est considérée comme le premier jalon de la Zlecaf. ■
5. Un potentiel énergétique durable
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ntre 1999 et 2019, la production d’électricité a triplé, passant de 192 à 605 mégawatts (MW). L’augmentation du nombre d’abonnés à Électricité de Djibouti indique une nette avancée dans le programme d’accès au plus grand nombre à l’énergie. Aujourd’hui, 60 % des ménages sont concernés, et le pays souhaite atteindre l’objectif des 90 % à l’horizon 2024. De la même manière, et parallèlement, l’accès à l’eau s’est considérablement amélioré, grâce à une hausse de la production (de 15,4 m3 AFRIQUE MAGAZINE
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à 21,1 m3) et à une baisse sensible des pertes sur le réseau (de 42,3 % à 26 %). Les villes de l’intérieur disposent désormais de leur réseau courant, et les villages sont mieux desservis par le système de citernes et de fontaines publiques. De plus, de nombreuses infrastructures contribuant à offrir un accès à l’eau ont été mises en service ou réhabilitées : 80 forages, station d’épuration de Douda, réhabilitation de 600 kilomètres de canalisations… La densité du développement djiboutien s’accompagne forcément
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de nouveaux besoins énergétiques. Le DDID permettra au pays de produire ses propres besoins en carburant et de devenir un acteur majeur du secteur gazier. Néanmoins, plus de 1 000 MW seront nécessaires au lancement des grands projets d’infrastructures nationaux : parc industriel de Damerjog, zone franche et business district. L’offre actuelle en électricité paraît donc insuffisante pour couvrir les besoins d’un pays devenu énergivore. Pour y répondre, l’ambition du président est de renforcer l’indépendance énergétique, tout en consolidant la part des énergies vertes. Ainsi, IOG souhaite couvrir 85 % des besoins énergétiques à travers les énergies renouvelables. Djibouti bénéficie de trois atouts majeurs dont il souhaite tirer parti pour atteindre cet objectif. D’abord, il peut se tourner vers les richesses de son sous-sol aride à travers la géothermie, dont le potentiel est immense – les études estiment la production à plus de 1 000 MW d’ici 2024. Grâce à un financement de 31 millions de dollars de la Banque mondiale, les premiers forages ont confirmé que son potentiel géothermique était une source inépuisable d’énergie. De plus, Djibouti bénéficie de 3 240 heures (135 jours plein) d’ensoleillement par an et se place parmi les pays les plus ensoleillés du monde. Plusieurs infrastructures permettant de recueillir l’énergie solaire ont ainsi vu le jour au cours des dernières années. Sur une base de partenariat public-privé, le groupe français Engie a entamé la construction de la centrale solaire de Grand Bara, après avoir reçu le feu vert du gouvernement il y a quelques mois. Enfin, Djibouti recourt aussi à l’énergie éolienne. Le projet de parc prévu dans le Ghoubet, dont la capacité sera de 60 MW, est en phase terminale de réalisation. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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6. Un développement vert
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jibouti offre un spectacle naturel intense, où les transformations de notre planète sont visibles à l’œil nu. Ceux qui ont eu la chance de s’y rendre peuvent témoigner de cette impression de remonter le temps et de se retrouver aux origines du monde. La nature offre des sites majestueux : la banquise de sel au lac Assal, les cheminées de calcaire au lac Abbé, ou encore la forêt millénaire au plateau du Day. Sa faune marine préservée et ses paysages géologiques étonnants côtoient son riche patrimoine culturel et archéologique. Les gravures rupestres datant du Paléolithique attestent de l’occupation humaine ancienne et de la riche histoire de ce pays. Au large des îles des Sept Frères ou dans le golfe de Tadjourah, les fonds marins des côtes brillent de leurs récifs de corail et de la diversité de leur faune protégée. Le potentiel touristique est indéniable. Moteur du développement socioéconomique, le secteur du tourisme est l’une des priorités de la Vision 2035 d’Ismaïl Omar Guelleh. Le plan quinquennal 2019-2023 ambitionne d’augmenter le nombre de touristes à 267 000 visiteurs par an, créant ainsi plus de 5 000 emplois et mobilisant plus de 880 millions de dollars d’investissement. L’irruption du Covid19 en 2020 a eu un impact important sur le secteur à Djibouti, et partout dans le monde. Ce qui a donc logiquement ralenti la progression espérée. Conscient des dommages du tourisme de masse, le gouvernement souhaite préserver la richesse environnementale du pays. La promotion du tourisme responsable est une composante de sa politique. C’est aussi ce que soutient Osman Abdi Mohamed, directeur de l’Agence
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nationale du tourisme, qui plaide pour un développement préservant la durabilité des sites naturels. À Djibouti-ville, de nombreux projets d’aménagement vont dans le sens d’un urbanisme durable. Prévu pour 2023, le futur Océanorium, qui sera situé dans le business district, en est l’illustration. Ce centre de recherche scientifique à l’architecture singulière aura pour vocation de mettre en avant les riches écosystèmes marins de Djibouti, à l’aide d’une cinquantaine d’aquariums. Les besoins énergétiques du bâtiment seront produits en majorité par les capteurs solaires installés sur sa toiture. Le climat tropical semi-aride dû à sa position géographique et la proximité du pays avec l’équateur impliquent qu’il ne soit pas épargné par le changement climatique. Ces conséquences néfastes se manifestent par une hausse des épisodes de sécheresse et des précipitations imprévisibles provoquant des inondations dévastatrices. Pour s’adapter à ces phénomènes, Djibouti prend des mesures innovantes associant infrastructures « grises », telles que les digues, et infrastructures « vertes », qui se basent sur des systèmes naturels ou semi-naturels ayant des conséquences positives sur l’environnement à long terme. Soutenu par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le pays a ainsi fait construire une digue de deux kilomètres de long à Tadjourah pour protéger la ville des inondations. Ce projet permettra de soutenir les efforts gouvernementaux pour restaurer les forêts de mangroves sur le littoral, très utiles pour lutter contre la hausse du niveau de la mer. Dans le combat mondial contre le changement climatique, l’initiative djiboutienne fait œuvre d’exemple. ■ 115
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7. Une ambition numérique
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imité à un étroit marché de 400 000 abonnés pour une population de 1 million d’habitants, Djibouti Télécom est pourtant leader numérique dans la Corne de l’Afrique. En matière de technologies de l’information, l’opérateur national devance largement la concurrence régionale, notamment grâce à deux décennies d’investissements qui ont permis au pays de développer un hub régional. À l’international, Djibouti Télécom compte parmi ses clients plus d’une centaine d’opérateurs et de providers tels qu’Orange, Cogent, Vodafone ou MTN Kenya. Djibouti s’appuie aussi sur l’émergence d’entreprises locales pour créer un écosystème numérique. Sur une pente technologique ascendante, le pays ne manque pas d’arguments pour séduire les groupes mondiaux qui cherchent à s’installer en Afrique. Cette dynamique est nourrie par l’attitude proactive de l’État dans le secteur et par sa position centrale dans les systèmes de télécommunications mondiaux. Le pays a déjà investi plus de 150 millions de dollars dans ses
stations d’atterrissage, qui desservent six câbles sous-marins reliant l’Afrique à l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Europe. Ces lignes sont indispensables à la transmission des données. Parmi elles, l’Eastern Africa Submarine System (EASSy) permet de connecter plus de 250 millions d’Est-Africains. Djibouti a même lancé une liaison régionale qui a conclu son atterrissement en février 2020 : le Djibouti Afrique Régional Express (DARE1), qui relie les deux principaux points d’accès télécoms de la région, Djibouti et Mombasa (Kenya). L’opérateur a pris en charge 65 des 80 millions de dollars investis dans ce câble de 5 000 kilomètres et détient 80 % du consortium qui l’a réalisé. Pour son directeur général, Mohamed Assoweh Bouh, le pays tend à devenir une passerelle entre les trois continents. Pour concrétiser son ambition, le pays doit cumuler capacités de transmission, vitesse du débit et contenus. Dès lors, l’opérateur s’est doté du centre de données le plus performant de la Corne de l’Afrique. Ces installations intéressent les grands du numérique et des fournisseurs de CDN
Installation de la 4G par Djibouti Télécom.
(réseau de diffusion de contenu) qui envisagent la réalisation d’un immense data center à Khor Ambado, dans la DIFTZ. Ce projet, dont le mémorandum est en cours de finalisation, deviendra la pierre angulaire du plan Smart Africa, porté avec le président rwandais Paul Kagame. Le gouvernement a aussi annoncé, en juillet, l’ouverture du capital de Djibouti Télécom. La promesse d’une prise de participation « minoritaire mais significative » associée à la conjoncture favorable du pays offrent une perspective attractive sur le long terme. En attendant d’aller plus loin dans le développement de sa stratégie d’expansion internationale, Djibouti bénéficie d’un argument de poids face à la concurrence régionale : les capacités numériques de ses installations. ■
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jibouti est un hub à quatre dimensions : logistique, commerciale, numérique et financière. Sa position géostratégique a été mise en valeur à travers des investissements colossaux dans les infrastructures portuaires, routières et ferroviaires. À cela se sont ajoutées plusieurs réformes qui ont permis d’assainir le climat des affaires et de rendre le pays attractif pour
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les investisseurs. Dès son accession au pouvoir, Ismaïl Omar Guelleh va dans le sens d’une libéralisation de l’économie. Il renforce les prérogatives et les missions de la Banque centrale de Djibouti (BCD) et, en 2011, entreprend une refonte de la législation bancaire pour l’adapter aux contingences modernes du marché. Fait important, la convertibilité du franc Djibouti (DJF) en devises est sans limite, et le taux AFRIQUE MAGAZINE
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de change avec le dollar (USD) reste inchangé depuis près d’un demi-siècle (1 USD = 177,721 DJF). Soutenus par une dynamique de croissance sur les deux dernières décennies, la stabilité monétaire et l’entretien du cadre légal ont renforcé la crédibilité du pays. De la même manière, le secteur bancaire s’est fortement diversifié grâce aux réformes successives. Entre 2000 et 2020, les fonds propres sont passés
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8. Un cadre financier attractif
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de 7,8 à 41,7 milliards de DJF. Le secteur a dégagé un résultat net de plus de 1,55 milliard en 2020 – malgré la crise sanitaire –, contre 803 millions en 2000. Le taux de bancarisation a suivi la tendance continentale, triplant entre 2010 et 2020. S’élevant aujourd’hui à plus de 28 %, il reste relativement faible. Cependant, l’attractivité financière de Djibouti ne s’exprime pas uniquement en termes de matière locale. Elle s’apprécie aussi en termes de perspectives d’affaires au-delà des frontières nationales. Le pays a su créer une place financière régionale qui, par exemple, dessert une part importante des capitaux de son voisin somalien. En ce sens, le gouverneur de la BCD, Ahmed Osman [voir interview pages précédentes], a souligné la solidité des institutions financières nationales qui ont l’opportunité d’accéder au vaste marché du COMESA et à celui de la Zlecaf. À Djibouti-ville, la présence de deux des plus importantes institutions chinoises, Exim Bank of China et Silkroad International Bank, témoigne aussi de l’attractivité de ce pays perçu comme sûr et stable. Avec l’appui de la Banque mondiale, un chantier de modernisation de l’infrastructure financière nationale a été lancé. Il devrait stimuler l’automatisation et la dématérialisation des transactions en promouvant les moyens technologiques modernes. Cette initiative tend également à favoriser l’émergence de nouvelles activités financières, tels que le créditbail ou le très africain mobile banking. Le développement du secteur de la fintech fait aussi partie des priorités de la Vision 2035 du président. Le business district, qui va naître du réaménagement du port historique, en deviendra le pôle principal, utilisant ses hautes capacités numériques pour attirer de grands groupes internationaux. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Cérémonie d’inauguration du nouveau campus de l’Université de Djibouti, en février 2018.
9. Un investissement déterminé dans l’inclusivité
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l y a vingt ans, Djibouti était un port à l’héritage colonial dont les perspectives de développement n’étaient pas assurées. Aujourd’hui, le pays s’impose comme une solide plate-forme. En deux décennies, le PIB du pays a été multiplié par six, le revenu par habitant par cinq. Cet effort national s’est aussi inscrit dans le domaine social, à travers la promotion d’une économie réellement inclusive profitant au plus grand nombre. Cela est particulièrement visible dans le domaine de l’éducation. Djibouti consacre 6,5 % de la richesse nationale par an à ce secteur, ce qui représente le premier poste budgétaire de l’État. Les chiffres illustrent parfaitement l’effort fourni : entre 1999 et 2020, le nombre de collèges et de lycées est respectivement passé de 4 à 69 et de 2 à 35. De la même manière, le taux de scolarisation en primaire atteint désormais 92,2 %. L’augmentation de la scolarisation des filles a ainsi bondi de plus de 90 % en vingt ans. En 1999, le pays ne comptait aucune université. On dénombre aujourd’hui
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plus de 10 000 étudiants répartis au sein des 40 filières de formations supérieures, qui incluent l’ingénierie, la médecine, les sciences, les lettres, le droit ou encore l’économie. L’Université de Djibouti s’est dotée d’un centre d’excellence africain pour la logistique et le transport ainsi que d’un observatoire est-africain pour les changements climatiques globaux. Cette initiative est en phase avec la réalité socioéconomique du pays et s’inscrit dans une dimension continentale. Chaque année, l’établissement alimente le marché du travail de 1 613 nouveaux cadres. Sous l’impulsion du président IOG, le budget de l’éducation et de la formation professionnelle n’a cessé de grimper. Il atteint aujourd’hui les 115 millions de dollars et permet de soutenir les élèves du cycle primaire défavorisés avec des fournitures et des livres scolaires, et la distribution de repas quotidiens. Les investissements dans l’éducation et la formation professionnelle ont une composante importante : l’inclusivité. 117
DÉCOUVERTE / Djibouti
Dans un contexte global complexe en matière de santé publique, le pays tire son épingle du jeu, grâce notamment au plan national de développement sanitaire (PNDS). Ce programme quinquennal a été institué par IOG depuis 2001. Le PNDS 2020-2024 dispose d’un budget de 348 millions de dollars qui donne les moyens au personnel de santé de pratiquer dans de bonnes conditions et offre également aux Djiboutiens un système de santé à la hauteur des enjeux sanitaires nationaux. Depuis la création de la faculté de médecine en 2007, les effectifs du secteur sont en constante hausse : 1 664 en 2008, contre près de 4 000 en 2019. Les investissements entrepris ont été déterminants dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Sur 13 501 cas déclarés, plus de 98 % ont été soignés.
À la fin des années 1930, Djibouti-ville comptait moins de 20 000 habitants. Elle en dénombre aujourd’hui près de 600 000. Le dynamisme des deux dernières décennies a transformé le visage de la capitale, notamment via le développement de l’habitat. Porté par les programmes de logements sociaux et la multiplication des opérations immobilières, le secteur du BTP a enregistré une hausse de 900 % en vingt ans. À travers une approche inclusive, le gouvernement est très actif dans la construction de logements. Ainsi, sur les 6 000 unités de logement construites depuis 1999, 2 500 l’ont été par la Fondation IOG, créée en 2016 par le président djiboutien. Grâce au partenariat public-privé, l’objectif du quinquennat actuel est d’atteindre les 10 000 unités construites. ■
10. Une diplomatie active
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u fait de sa superficie, de sa population et de la quantité de ses ressources naturelles, Djibouti est considéré comme un petit État. Le président est conscient des implications : il est impératif d’adopter une diplomatie active. Dès son arrivée au pouvoir, IOG marque une rupture avec son prédécesseur, Hassan Gouled Aptidon – qui favorisait la neutralité passive –, et œuvre à la construction du soft power djiboutien. Dès lors, la diplomatie de neutralité agissante est devenue indispensable pour défendre les intérêts stratégiques du pays. Sa présence croissante dans les questions régionales et son implication active dans les médiations entre ses voisins en ont progressivement fait une puissance incontournable dans la région. Ce nouveau paradigme s’est rapidement illustré en 1999, lorsque 118
IOG intègre le comité chargé de piloter la médiation entre Addis-Abeba et Asmara. Quelques mois plus tard, en Somalie, il pilote les négociations entre les parties en conflit et œuvre à la mise en place d’institutions reconnues. En novembre 1999, il met à profit le sommet de l’Autorité intergouvernementale pour le développement à Djibouti pour réunir le président soudanais et son opposant afin de faciliter la signature d’un accord de règlement de crise. Plus récemment, en janvier 2021, une mission djiboutienne a réussi à calmer les esprits entre la Somalie et le Kenya, en conflit frontalier. Pendant les deux décennies qui suivent l’arrivée au pouvoir d’IOG, le pays soigne son statut d’interlocuteur privilégié sur la scène internationale. L’un des aspects majeurs de son action diplomatique se caractérise AFRIQUE MAGAZINE
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par des partenariats militaires. Les installations successives de cinq bases étrangères sur le territoire ont d’abord confirmé la stabilité et la sûreté de Djibouti aux yeux des grandes puissances internationales. La mise à disposition par IOG de ses forces armées aux opérations de maintien de la paix a permis de rendre plus audible la voix du pays. Parmi les casques bleus de l’ONU et les casques verts de l’Union africaine, on compte ainsi plusieurs centaines de soldats djiboutiens. Depuis 2011, le pays participe activement à la Mission de l’Union africaine en Somalie, assumant une nouvelle fois son rôle de puissance régionale stabilisatrice. À la dimension militaire s’ajoute l’économique, qui vient appuyer le plan Vision 2035. Djibouti renforce ses liens avec ses principaux bailleurs de fonds et partenaires, tout en s’assurant de l’efficience du suivi bilatéral de l’aide financière. C’est le cas à travers son partenariat avec la Chine. La portée de l’accord entre les deux pays est immense. Pour preuve, les huit plus grands projets d’infrastructures commencés par IOG sont financés par l’Exim Bank of China et China Merchants Group. Avec l’Éthiopie, Djibouti partage une complémentarité économique qui fait œuvre de modèle d’intégration régionale. Le port étant l’unique voie de passage des importations et exportations de son voisin – qui a perdu l’accès à la mer en 1993 –, le pays tire alors parti du volume global de son import, qui devrait tripler entre 2015 et 2025. Considéré comme un intermédiaire honnête sur la scène internationale, Djibouti a doublé le nombre de ses représentations diplomatiques depuis 2006 et en dénombre près de 50. Pourtant, un État de cette taille n’en compte en moyenne que sept. Il est désormais en mesure d’exercer une influence significative. ■
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BUSINESS Le Nigeria
lance sa propre monnaie numérique
L’Afrique
a (enfi n) un plan pour le climat
Ça bouge
Un outil
dans le mobile pour booster les échanges banking intrarégionaux
La bataille du
rail
Délaissé depuis les indépendances, le chemin de fer revient en grâce pour relever les défis de l’urbanisation et de l’industrialisation. Plus écologique que la voiture ou l’avion, il se montre compétitif pour le transport de passagers et de marchandises sur de grandes distances. par Jean-Michel Meyer
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n train peut en cacher un autre. Cet avertissement à l’approche de voies n’avait guère de sens sur le continent, tant le ferroviaire a été négligé pendant un demisiècle. Mais tout change à grande vitesse. La forte poussée démographique attendue d’ici à 2050, l’urbanisation galopante qu’elle engendre et la volonté de produire davantage de « made in Africa » relancent le rail. Et pas uniquement dans les 32 pays du continent qui possèdent déjà un réseau en exploitation. « Dans de bonnes conditions, le train peut s’avérer plus efficace, plus économique et plus respectueux de l’environnement que les autres modes de transport », résume la Banque africaine de développement (BAD) dans un rapport. 120
Un engouement notable dans un secteur longtemps sacrifié par rapport à la route et l’aérien, pénalisé par trois types différents d’écartement des rails et marginalisé par le sous-investissement. En effet, l’Afrique ne représente que 2,3 % de la population mondiale acheminée par train et 1,5 % du fret convoyé. Le continent compte 82 000 kilomètres de voies ferrées. Soit 7 % du réseau mondial. Et chaque année le secteur transporte 500 millions d’Africains et 290 millions de tonnes de marchandises. Le chemin de fer, dans la plupart des pays, compte pour moins de 20 % du volume total du fret convoyé. Désormais considéré comme un outil majeur de développement, ce moyen de locomotion vert, moins polluant que ses AFRIQUE MAGAZINE
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Un tronçon de voie servant à la livraison de bauxite, à l’ouest de la Guinée.
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BUSINESS et 15 aéroports. À terme, 132 millions le pays a déclaré, en août, vouloir miser de passagers (38,2 millions en 2019) sur le TGV pour connecter Pretoria, par an et 26 millions de tonnes de fret Johannesbourg et Durban. Le fret n’est (8,9 millions) seront ainsi transportés. pas oublié. « Le redéveloppement du Les initiatives se multiplient. secteur ferroviaire et du fret en Afrique En octobre dernier, les autorités du Sud est un objectif clé au cours congolaises ont décidé de construire un des trente prochaines années, afin chemin de fer urbain de 300 kilomètres de faciliter les mouvements nationaux à Kinshasa, taillé pour et transfrontaliers Autre bon élève, 3 millions de voyageurs de marchandises quotidiens, afin de pour favoriser le Maroc, qui est désengorger la capitale l’industrialisation, le premier État de la RDC. Un mois la diversification, à avoir lancé, plus tôt, l’Égypte le commerce et le en 2018, une annonçait son projet développement », de ligne à grande vitesse a déclaré le ministre ligne TGV sur de 1 000 kilomètres des Transports le continent. de long, exécuté par Fikile Mbalula. l’Allemand Siemens, devant faire Autre bon élève, le Maroc, premier la jonction entre la mer Rouge État à avoir lancé, en 2018, une ligne et la Méditerranée pour un coût de TGV sur le continent, de Casablanca 23 milliards de dollars. Elle convoiera à Tanger. D’ici 2040, le pays veut jusqu’à 30 millions de personnes par an. plus que doubler son réseau, qui En avril, le Ghana et le Burkina passera de 2 110 à 4 410 kilomètres Faso concluaient un accord pour de voies. Cet investissement de la construction, début 2022, d’une 39 milliards de dollars devrait voie ferrée de 1 102 kilomètres entre permettre de créer 300 000 emplois Ouagadougou et le port de Tema, et de relier au rail 43 villes, 12 ports pour environ 5 milliards de dollars. Le président français Emmanuel Macron et le roi du Maroc Mohammed VI à Rabat, lors La ligne transportera 3 millions de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca, le 15 novembre 2018. de passagers par an et 17 millions de tonnes de fret. Depuis, le tracé a été rallongé de 420 kilomètres pour pousser jusqu’à Accra. De leur côté, le Mali et le Sénégal tentent de réanimer la ligne Dakar-Bamako, à l’arrêt depuis 2018. La relance de la boucle ferroviaire, lancée en 1903 pour connecter la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo (2 700 kilomètres), est, elle, à l’étude depuis 2015. Mais les autorités et les investisseurs s’accordent mal pour concrétiser le projet. Par ailleurs, le fonds d’investissement français Meridiam est entré au capital de la Société d’exploitation du Transgabonais (Setrag), y injectant DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
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concurrents, peut contribuer à fluidifier le trafic dans les villes et désenclaver les grandes agglomérations, à favoriser l’intégration des économies régionales et participer à l’approvisionnement des hinterlands à partir des ports. Cette tendance s’inscrit dans le cadre de l’Agenda 2063, qui veut « relier les capitales africaines et les centres commerciaux par un réseau de trains à grande vitesse ; faciliter la circulation des marchandises, des services d’affacturage et des personnes, réduire les coûts de transport et désengorger les systèmes actuels et futurs par une connectivité ferroviaire accrue ». Un objectif qui prend de l’ampleur avec la nouvelle Zone de libre-échange continentale (Zlecaf). Le développement de corridors ferroviaires devrait hisser les échanges entre pays africains de 35 millions de tonnes en 2009 à 120,4 millions de tonnes en 2030. Avec ses 30 400 kilomètres de voies ferrées, l’Afrique du Sud fait figure d’exception. Elle occupe la 11e place des plus grands réseaux de trains. Pour décongestionner les métropoles,
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30 millions d’euros. En 2020, la Setrag a acheminé 330 000 passagers et près de 9 millions de tonnes de fret, dont 90 % de minerai. « Cette infrastructure stratégique et vitale profitera à la collectivité et aux entreprises locales et soutiendra le développement et la croissance économique du pays », a justifié Mathieu Peller, directeur des opérations de Meridiam. Mais tout reste à bâtir pour ce mode de transport né sous la domination coloniale. « Après l’accession à l’indépendance du continent, la plupart des chemins de fer sont tombés dans une spirale d’abandon et de dégradation », déplore la BAD. Pour relancer le rail de manière compétitive, elle estime qu’il faut mobiliser 100 milliards de dollars. « La plupart des chemins de fer peuvent gagner suffisamment de revenus pour couvrir les coûts d’exploitation », affirme, dans un rapport de 2020, la Banque mondiale, qui a prôné le démantèlement des réseaux ferrés africains dans les années 1990… « Le chemin de fer n’est pas la panacée à tous les problèmes de transport, tempère la BAD. Les projets devraient se concentrer sur des segments où le ferroviaire produit effectivement un rendement plus important et des coûts inférieurs à d’autres moyens de transport, à savoir l’acheminement de volumes élevés de personnes ou de marchandises sur de moyennes et longues distances. Le coût par tonne baisse au fur et à mesure que le volume transporté augmente. » Élémentaire. Mais attention aux erreurs d’aiguillages. Initiée en 1965, la création du Trans-maghrébin, reliant la Mauritanie à la Libye en passant par le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, dort pour longtemps encore au fond des cartons. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LES CHIFFRES 876 millions
d’euros seront consacrés à la modernisation du métro du Caire.
1030,
SOIT LE NOMBRE D’AVIONS QU’ACHÈTERONT LES COMPAGNIES AFRICAINES D’ICI 2040.
8,5 milliards de dollars vont être versés à l’Afrique du Sud pour l’aider à la sortie du charbon.
Les exportations d’or ont rapporté 5 649,3 milliards de francs CFA (8,6 milliards d’euros) aux pays de l’Union économique et monétaire ouestafricaine en 2020, soit une hausse de 31,1 % par rapport à 2019.
8 MILLIONS D’EMPLOIS SUPPLÉMENTAIRES D’ICI
2030, C’EST L’AMBITION DU GOUVERNEMENT IVOIRIEN.
133,2 points, c’est le niveau de l’indice FAO des prix des produits alimentaires, qui se rapproche de son niveau record (137,6 points) de février 2011.
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BUSINESS Vers la fin du monopole d’Air Algérie
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éfiantes à l’égard du secteur privé depuis la liquidation de Khalifa Airways en 2003, les autorités amorcent une révolution en voulant mettre fin au quasi-monopole d’Air Algérie dans le pays. Seule Tassili Airlines lui dispute une partie du ciel algérien, mais la filiale de la Sonatrach est centrée sur la desserte des installations pétrolières du groupe. Le 2 novembre, le ministre des Transports, Aïssa Bekkaï, a ainsi confirmé avoir donné des accords de principe, « qui ne sont pas définitifs », à neuf dossiers « algériens, étrangers ou mixtes » de création de compagnies aériennes privées ». « Nous allons faire en sorte de faciliter l’investissement », a-t-il insisté. Cet appel à des investisseurs privés s’inscrit dans « la mise en place d’un plan
d’urgence pour la relance économique » qui s’appuie sur des transports fiables, alors qu’Air Algérie, de l’aveu même du ministre, connaît de « graves difficultés financières. » À la veille d’une restructuration, l’entreprise nationale est aussi décriée pour ses tarifs « exagérés » qu’il faut « reconsidérer », a affirmé Aïssa Bekkaï. Et c’est par les prix que FlyWestaf, un transporteur low cost basé à Montréal et cofondé par l’Algéro-Américain Chakib Ziani-Cherif, veut attaquer le marché algérien. C’est pour l’instant le seul prétendant publiquement déclaré. Enfin, l’ouverture à la concurrence concerne aussi le maritime, avec des accords de principe concédés à sept dossiers dans le transport de voyageurs et de marchandises. Des projets qui devraient aboutir au cours du premier trimestre 2022. ■
L’ÎLE MAURICE MISE SUR LE PÉTROLE
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es plages de sable blanc, son eau turquoise et l’efficacité de ses banques : la réputation de l’île Maurice est établie. Fin octobre, le Parlement a étudié un projet de loi sur l’exploration pétrolière dans la zone économique exclusive (ZEE) de l’île pour une durée de cinq ans. Aucune prospection n’a jamais été menée à Maurice, mais la confirmation, ces dernières années, de la présence de pétrole dans les eaux territoriales des Seychelles voisines rend les autorités mauriciennes optimistes. Créer une nouvelle activité clé de l’économie à partir de l’or noir diversifierait l’économie et compenserait l’effondrement du tourisme (24 % du PIB) en 2020 et la réputation écornée des services financiers (15 % du PIB) d’un pays classé comme paradis fiscal. ■ 124
Le site du morne Brabant, classé au patrimoine mondial.
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Ce fonds de la BAD a pour objectif de lever 500 millions de dollars.
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frica50, le fonds lancé par la Banque africaine de développement (BAD), a annoncé en octobre, la création de l’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund (AIAF). Ce véhicule d’investissement dédié aux infrastructures a pour mission de lever 500 millions de dollars, avec un closing initial au premier semestre 2022, en attirant des acteurs institutionnels et privés « dans des projets et des actifs d’infrastructures bancables, offrant aux investisseurs des rendements attrayants ajustés au risque ». « Il est urgent de combler le déficit de financement des infrastructures africaines, qui se situe entre 68 et 108 milliards de dollars par an », a justifié Akinwumi Adesina, le président de la BAD. Les manettes du nouveau fonds sont confiées à un spécialiste, le Franco-Camerounais Vincent Le Guennou. Il quitte Emerging Capital Partners (EMC), le fonds réputé qu’il a cofondé il y a vingt ans et dont les partenaires américains historiques ne souhaitaient pas s’aventurer dans une nouvelle levée de fonds. ■
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La décision d’ouvrir le transport aérien, mais aussi maritime, à la concurrence fait l’effet d’une bombe.
Le Nigeria lance sa propre monnaie numérique La mise en œuvre de l’eNaira doit permettre d’accompagner la forte digitalisation de l’économie, amplifiée par la pandémie, sécuriser les échanges et contrer les cryptomonnaies, très prisées par les jeunes.
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ou Madagascar envisagent aussi de a Banque centrale se doter d’une devise numérique. Dans du Nigeria (CBN) a lancé, le monde, « 80 % des banques centrales le 25 octobre 2021, étudient le sujet, quand 10 % en sont une monnaie numérique, l’eNaira. au stade du projet pilote », recensait « Nous sommes devenus le premier en 2020 une étude de la Banque pays d’Afrique, et l’un des premiers au des règlements internationaux (BRI). monde, à avoir introduit une monnaie numérique pour nos citoyens », s’est félicité le président Muhammadu Buhari. Émis par la CBN, l’eNaira est une version électronique du naira papier, de valeur égale, suivant le taux de change officiel et qui doit devenir un moyen de paiement « alternatif, sûr et efficace. » Les Nigérians peuvent se doter d’un portefeuille électronique en On peut se doter d’un portefeuille électronique en téléchargeant téléchargeant sur sur son téléphone mobile l’application eNaira Speed Wallet. leur téléphone mobile Au Nigeria, il s’agit de soutenir l’application eNaira Speed Wallet. l’économie et de pallier la chute de Godwin Emefiele, le gouverneur de l’utilisation de l’argent liquide au profit la CBN, a relevé « un intérêt débordant des paiements en ligne, une tendance et une réponse encourageante », qui s’est accélérée avec la pandémie. ajoutant que 33 banques, 2 000 clients Selon le spécialiste des paiements et 120 commerçants ont déjà numériques WorldPay, le commerce adopté l’eNaira avec succès. électronique via mobile doit croître de La première économie du continent 26 % dans les cinq prochaines années au devance ainsi le Ghana, qui teste depuis Nigeria. Dans un pays qui se digitalise septembre l’eCedi, tandis que l’Afrique très vite, c’est aussi un moyen de lutter du Sud, le Maroc, la Tunisie, le Kenya AFRIQUE MAGAZINE
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contre les cryptomonnaies, très prisées des jeunes, qui permettent d’échapper à la dévalorisation continue du naira et facilitent les transferts d’argent. Selon une étude de 2020 du cabinet de recherche Statista, le Nigeria est le troisième utilisateur de monnaies virtuelles au monde, après les États-Unis et la Russie. Émises de façon décentralisée ou par des entreprises, échappant au contrôle des banques centrales, les cryptomonnaies sont proscrites dans le secteur bancaire depuis 2017 au Nigeria, où elles sont vues comme un vecteur de corruption, de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. À l’inverse, « l’eNaira vise à faciliter les échanges en ligne », anticipe Muhammadu Buhari. La monnaie numérique « devrait amener de plus en plus de personnes et d’entreprises au sein du secteur formel, permettre le versement de prestations sociales directes et même d’augmenter l’assiette fiscale, et donc les recettes de l’État ». L’eNaira pourrait faire « croître l’économie de 29 milliards de dollars sur dix ans », prédit le chef de l’État. ■ 125
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L’Afrique a (enfin) un plan pour le climat À la Cop26, les dirigeants du continent sont montés au créneau pour mobiliser la communauté internationale afin de financer le Programme d’accélération de l’adaptation. Soit 33 milliards de dollars à trouver par an.
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Or, l’heure est grave. Si l’Afrique ne génère que 3 % à 4 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète, elle est en première ligne. Pendant que les chefs d’États discouraient à Glasgow, 1,3 million de personnes étaient en détresse alimentaire à Madagascar, confrontées à la première famine climatique, après quatre années sans pluie. Et le pire est à venir. Selon le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) du 26 octobre 2021, la planète est « sur la voie d’une augmentation de la température
de 2,7 °C d’ici la fin du siècle » et « pour maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 °C au cours de ce siècle, l’objectif ambitieux de l’accord de Paris, le monde doit réduire de moitié les émissions annuelles de gaz à effet de serre au cours des huit prochaines années ». Pour mieux être entendus, les pays africains ne sont pas arrivés en Écosse. les mains vides. Afin d’intensifier la lutte contre le changement climatique, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé en janvier dernier le lancement
Félix Tshisekedi et Boris Johnson à Glasgow, le 2 novembre 2021.
ALBERTO PEZZALI/POOL VIA REUTERS
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e sommet de la dernière chance. La Cop26, la conférence sur le changement climatique qui a regroupé 200 pays à Glasgow (Écosse), du 1er au 13 novembre 2021, n’a pas échappé au qualificatif d’ultime rendez-vous avant la catastrophe finale qui rendra improbable la présence humaine sur terre. Pour le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, la Cop26 devait parvenir à éviter un « aller simple vers le désastre. » Dans ce climat de fin du monde, les Africains étaient fermement décidés à faire valoir leurs droits. « Le temps des projets pilotes est terminé. Nous devons agir ensemble et vite. Le financement de l’adaptation qui est alloué à l’Afrique est nettement insuffisant par rapport aux énormes ressources dont le continent a besoin pour s’adapter au changement climatique. Nous ne pouvons plus attendre », a fustigé le président congolais Félix Tshisekedi, président en exercice de l’Union africaine (UA). Une manière directe de peser sur l’un des enjeux de la Cop26 : inciter les États développés à tenir leur engagement, pris en 2015 dans le cadre de l’accord de Paris, de fournir aux pays en développement 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour financer leur adaptation climatique. Mais selon l’OCDE, seulement 79,6 milliards ont été mobilisés en 2019.
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du Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique (PAAA), avec l’appui du Centre mondial pour l’adaptation (GCA). Il doit mobiliser 25 milliards de dollars sur cinq ans en plus des 12,5 milliards de dollars déjà engagés par la BAD. Le PAAA veut pousser l’utilisation des technologies numériques intelligentes pour contrer le dérèglement climatique dans l’agriculture et la sécurité alimentaire ; accélérer la résilience des infrastructures, soutenir les jeunes dans la création d’entreprises et d’emplois tournés vers l’adaptation au climat et la résilience et favoriser les financements innovants dans ces domaines. « Avec le programme, nous prévoyons de toucher 40 millions d’agriculteurs. Nous comptons les aider à produire 100 millions de tonnes de nourriture, ce qui sera suffisant pour nourrir 200 millions de personnes et réduire la faim de 80 % », a souligné Akinwumi Adesina, président de la BAD. « Les partenaires du développement se cachent toujours derrière l’excuse qu’il n’y a pas de plan. Eh bien maintenant, il y a un plan », a lancé à Glasgow Patrick Verkooijen, président du GCA, qui chiffre à 33 milliards par an les besoins du continent. Quant à Félix Tshisekedi, il a expliqué que ce programme « appartient à l’Afrique et est piloté par l’Afrique. Les nations africaines l’ont approuvé comme étant le mécanisme privilégié pour déployer le financement en faveur des projets d’adaptation ». Le président de l’UA a par ailleurs précisé que les pays du continent se sont engagés à apporter 6 milliards de dollars en soutien du PAAA et a appelé « le reste du monde à réunir les 27 milliards de dollars supplémentaires dont l’Afrique a besoin chaque année ». Il faudra attendre la COP27, qui aura lieu en Égypte en 2022, pour espérer avoir une réponse. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LES MOTS « En Afrique subsaharienne, le changement climatique pourrait entraîner jusqu’à 3 % de baisse supplémentaire du produit intérieur brut d’ici à 2050. » JOSEFA LEONEL CORREIA SACKO, COMMISSAIRE À L’ÉCONOMIE RURALE ET À L’AGRICULTURE DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE
« En raison de l’absence, à ce jour, d’un réseau bancaire propre à notre pays, l’Algérie bénéficie peu des envois de fonds de notre communauté à l’étranger. Il est devenu nécessaire de changer cette situation dès que possible. » AÏMENE BENABDERRAHMANE, PREMIER MINISTRE ALGÉRIEN
« La dette publique sera ent maîtrisée et les techniques de financement innovantes seront privilégiées. » ALAMINE OUSMANE MEY, MINISTRE CAMEROUNAIS DE L’ÉCONOMIE, DE LA PLANIFICATION ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
« Le Togo se digitalise à grands pas. Les pays africains se digitalisent à grands pas. C’est le moment pour nous de faire d différemment. Nous aimerions voir des data centers adossés à de l’énergie solaire. » CINA LAWSON, MINISTRE TOGOLAISE DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE ET DE LA TRANSFORMATION DIGITALE
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BUSINESS Ça bouge dans le mobile banking La fintech californienne Wave connaît un succès grandissant sur le continent avec une politique tarifaire qui déstabilise les acteurs en place.
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près le Sénégal, la start-up californienne de finance digitale Wave tente de faire exploser le marché du mobile banking en Côte d’Ivoire. Son arme de destruction massive : les prix bas. Fondée en 2011 dans la Silicon Valley, la start-up qui a un pingouin pour mascotte opère exclusivement en Afrique. Elle s’appuie sur un business model accrocheur : « Permettre à tous d’avoir accès aux services financiers sans difficultés et sans conditions. » L’entreprise s’appuie sur une application mobile simplifiée, reposant sur l’interopérabilité entre opérateurs. Selon Wave, « les transactions financières sont aussi simples que d’envoyer un SMS ». Surtout, elle applique des frais fixes de 1 % sur les transferts d’argent et garantit la gratuité des autres prestations (paiements de factures, dépôt et retrait d’argent, achat de crédit téléphonique, etc.), reportant, à la différence de ses concurrents, les frais sur les entreprises. Du jamais vu ! La pression est particulièrement forte sur le leader ouest-africain Orange,
En se positionnant comme un qui détient 55 % du marché de la défenseur des plus défavorisés, Wave téléphonie mobile au Sénégal et 40,5 % a attiré les investisseurs. Depuis sa en Côte d’Ivoire. Arrivée au Sénégal création, la start-up a réuni autour d’elle en 2016, Wave a lancé son offre en 2020 la société de capital-risque française et compte déjà parmi ses clients, Partech (ex-Paribas Technologies) selon ses dirigeants, plus de la moitié et l’incubateur américain de la population adulte. Elle entretient Y Combinator. Sur le Et elle s’est implantée une image de terrain, elle s’est associée en Côte d’Ivoire en avril 2021. Dès juin, société qui offre aux banques UBA Orange, MTN et Moov des services aux et Ecobank. Mieux, en septembre 2021, Wave Africa réduisaient à 1 % populations les devenait la première licorne les frais de transferts plus vulnérables. en Afrique francophone d’argent. « On est prêt à en mobilisant 200 millions contrer la vague Wave », de dollars, ce qui a fait grimper sa déclarait depuis Abidjan, le 13 octobre, valorisation à 1,7 milliard de dollars. Stéphane Richard, le PDG d’Orange. Et C’est la plus forte levée de fonds pour dès le 20 octobre, l’opérateur annonçait une fintech depuis Jumia en 2011. finalement la gratuité des transferts. Avec des moyens renforcés, Au cours de cette bataille, l’image Wave compte bien surfer sur la vague d’Orange s’est dégradée auprès des du mobile banking, dont la valeur usagers des deux pays, qui suspectent des transactions a été multipliée l’opérateur d’avoir pratiqué des tarifs par quatre entre 2015 et 2019 en excessifs grâce à son quasi-monopole. Afrique de l’Ouest pour atteindre À l’inverse, Wave entretient une 44 milliards d’euros, selon la BCEAO. image d’entreprise responsable qui La fintech prévoit déjà de mettre offre des services abordables aux un pied au Mali et en Ouganda. ■ populations les plus vulnérables.
LES ÉTATS-UNIS RESTREIGNENT L’AGOA
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L’African Growth and Opportunity Act a été créé en 2000 par l’administration Clinton.
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partir du 1er janvier 2022, l’accès au marché américain sans droits de douane, institué par l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) en 2000, sera fermé aux exportateurs du Mali, de Guinée et d’Éthiopie. Pour les deux premiers pays, épinglés pour les coups d’État militaires qui les ont touchés, la sanction est plus politique qu’économique. La Guinée et le Mali exportent respectivement 10 et 2,2 millions de dollars vers les États-Unis. La décision de l’administration Biden, qui sanctionne des manquements aux droits de l’homme, pénalise davantage l’Éthiopie. Le pays de la Corne de l’Afrique exporte pour 500 millions de dollars aux États-Unis, notamment du textile, secteur qui emploie plus de 100 000 personnes. ■
Un outil pour booster les échanges intrarégionaux Le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS) vise à fluidifier les transactions transfrontalières et à alléger les contraintes pesant sur elles.
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on acronyme ne vend pas du rêve. Et pourtant. Annoncé en juillet 2019, le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), désormais opérationnel, est l’un des outils majeurs pour la réussite de la Zone de libreéchange continentale africaine (Zlecaf), lancée en janvier 2021. Élaboré en collaboration avec le secrétariat de la Zlecaf et avec l’aval de l’Union africaine (UA), le PAPSS est un passe qui ouvre en grand la porte aux échanges en fluidifiant les transactions grâce à des paiements transfrontaliers instantanés en devises locales entre les marchés africains. Un sacré défi sur un continent qui compte 42 devises. « C’est une infrastructure de marché financier révolutionnaire », s’est enflammée la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), actrice du projet, et plutôt mesurée d’habitude. Un outil qui doit générer une économie de plus de 5 milliards de dollars en coûts de transaction de paiement chaque année. Concrètement, le PAPSS est une plateforme à l’échelle du continent pour le traitement, la compensation et le règlement des paiements dans le cadre du commerce intra-africain, tirant parti d’un système de règlement net multilatéral. La plateforme a été développée par Afreximbank, qui agit également en tant qu’agent de règlement principal en partenariat avec les banques centrales africaines. AFRIQUE MAGAZINE
I
Le PAPSS a été annoncé en juillet 2019, lors du sommet de l’Union africaine à Niamey.
Résultat ? Des transactions transfrontalières simplifiées et traitées le jour même (alors que cela prend jusqu’à cinq jours actuellement), l’arrêt du recours à une banque intermédiaire, la réduction de la dépendance aux devises fortes, un contrôle renforcé des banques centrales… Tout cela devrait booster les économies et tirer vers le formel le commerce transfrontalier informel, estimé à 50 milliards de dollars par an. « Le PAPSS n’est pas conçu pour remplacer les systèmes de paiement régionaux et nationaux existants, mais pour collaborer et travailler avec ceux-ci afin de mieux intégrer les économies africaines dans l’intérêt de tous », précise Benedict Oramah, le président d’Afreximbank. En avril, un test grandeur nature avait été mené
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avec succès dans les six pays (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) de la Zone monétaire ouest-africaine (ZMOA), avec des transactions effectuées en temps réel. Afreximbank a dégagé 500 millions de dollars pour soutenir la compensation et le règlement dans les pays de la zone. Trois autres milliards de dollars seront mis à disposition pour soutenir la mise en œuvre du système à l’échelle continentale. « Le PAPSS donnera un nouvel élan aux entreprises pour qu’elles se développent plus facilement à travers l’Afrique, éliminant essentiellement les frontières qui nous ont divisés et nous ont volé notre prospérité économique pendant trop longtemps », s’enthousiasme Mike Ogbalu, son président. ■ 129
« Dieu ». Je le place dans chacun de mes actes. Et l’expression : « Ça va aller ! »
9 Prodigue ou économe ? Économe, pour assurer une sécurité financière, réaliser mes projets. Mais j’ai aussi le cœur sur la main, pour aider ceux dans le besoin.
10 De jour ou de nuit ? De nuit. Je suis très casanier. J’aime jouer à la console, regarder des films, ou me retrouver avec mes amis en petit comité autour d’un verre.
11 Twitter, Facebook, e-mail,
coup de fil ou lettre ?
WhatsApp ! C’est rapide. Et Instagram.
12 Votre truc pour penser à autre chose,
Willy Dumbo
L’émission télé d’infotainment de l’humoriste, chanteur et présentateur ivoirien est un franc succès. Avec Mamane, il animera la première édition des AWARDS DU RIRE AFRICAIN à Niamey, le 11 décembre. propos recueillis par Astrid Krivian 1 Votre objet fétiche ? Un bracelet rouge serti d’un cauri. Il intrigue les gens : est-ce un grigri ? Mais c’est un cadeau d’un bijoutier.
2 Votre voyage favori ? Au Sénégal, dans la réserve de Fathala. J’ai réalisé mon rêve : marcher avec des lions. Avec mon courage et un petit bâton de bois pour seules armes.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ? Au Togo, à Lomé, pour un spectacle caritatif.
La musique. J’ai une culture très éclectique, de la variété française au rock anglais, en passant par le bikutsi camerounais ou le coupé-décalé ivoirien…
13 Votre extravagance favorite ? Les couleurs chatoyantes de mes tenues. Dans mon métier, on est vu avant d’être écouté.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Réalisateur. Je vais bientôt y venir, j’y travaille. J’aimerais mettre en lumière les jeunes talents.
15 La dernière rencontre qui vous a marqué ? Celle avec Mamane a bouleversé ma vie. Il m’a donné ma chance.
16 Ce à quoi vous êtes
incapable de résister ?
La bonne nourriture ! J’aurais pu être cuistot dans une autre vie. Résister à un bon plat est un péché !
17 Votre plus beau souvenir ?
4 Ce que vous emportez toujours
Quand mon père, après avoir vu mes sketchs, m’a félicité pour la première fois.
Mon haut-parleur. J’aime la musique qui « ambiance », ça me permet d’être toujours dans un mood positif.
Sur l’île magnifique de Gorée, au Sénégal. Son air est pur, les gens sont accueillants, la cuisine est saine.
avec vous ?
5 Un morceau de musique ? Ça n’a rien de narcissique, mais j’écoute ma chanson « Ziba Salsa » tous les jours. Comme dit le refrain, elle me met « bien » !
6 Un livre sur une île déserte ? Ma bible, qui répond à presque toutes mes questions.
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tout oublier ?
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
19 Votre plus belle déclaration d’amour ? « Maman je t’aime. » On ne dit jamais assez à nos parents qu’on les aime.
20 Ce que vous aimeriez que l’on
retienne de vous au siècle prochain ?
7 Un film inoubliable ?
Que j’ai marqué les esprits, en osant, à travers mon art, apporter un souffle nouveau, révolutionnaire. ■
Bienvenue au Gondwana, de Mamane. Pour son côté décalé, sa réalisation, ses messages derrière l’humour.
Son émission Willy à midi est à retrouver du lundi au vendredi, à 12 heures, sur la chaîne ivoirienne Life TV.
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HUG TIADJI
LES 20 QUESTIONS
8 Votre mot favori ?
Le fruit de mon travail est réinvesti dans mon pays.
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PATRICK ZEBIHI DIRECTEUR DES OPÉRATIONS
INVESTIR
plus
POUR CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT LOCAL
Avec 250 millions d’euros par an d’investissements dans des infrastructures de qualité, nous sommes fiers de participer au développement économique et social de nos pays d’implantation. Nous créons des emplois, formons nos collaborateurs et veillons au bien-être des populations riveraines. Notre engagement s’inscrit sur le long terme.
N O U S FA I S O N S B I E N
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