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| PARA MELDAR

Para Meldar Irremplaçables

Elie Robert-Nicoud Stock, 2019. ISBN : 978-2-234-08508-4

Les parents sont toujours irremplaçables. Ceux d’Elie Robert-Nicoud étaient bien plus que cela, et il a fallu à leur fils unique près d’un quart de siècle pour parvenir à leur rendre un hommage touchant, sincère et sans doute extrêmement fidèle, malgré les difficultés de l’exercice. Clarisse Abinun (1938-1996) était la fille de Mathilde et Moïse Abinun, auquel nous devons un ouvrage fondamental de la littérature judéoespagnole : Les Lumières de Sarajevo ( J.-C. Lattès, 1988). Clarisse a publié Lus ojos las manas la boca, poèmes judéo-espagnols dédiés à sa mère disparue en 1973, avec qui elle parlait la langue vernaculaire. Mais c’est en littérature française qu’elle s’est fait connaître. On se souvient de Couvre-feux (Ramsay, 1981) qui relate son enfance à Lyon pendant l’Occupation. Haïm Vidal Sephiha lui consacre un chapitre dans Homenaje a Mathilde Pomès où il la qualifie de « dernière poétesse judéo-espagnole ». Ce n’est pas rien. Robert Nicoïdski (1931-1996) ne s’appelait pas Nicoïdski, mais peut-être Robert-Nicoud. Il a été placé à quatre ans par sa mère dans un orphelinat de La Chaux-de-Fonds. Gravement maltraité, repris un temps par sa mère puis placé à nouveau, il a vécu une enfance et une adolescence dans les privations, les châtiments corporels, le froid et l’absence d’amour. Il a trouvé dans la boxe un exutoire à la rage qui l’habitait, puis dans la peinture.

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Ils se sont connus au début des années 1960 par l’intermédiaire de Jacques Abinun, frère de Clarisse et étudiant aux Beaux-Arts comme Robert. À leur mort, à cinquante-huit ans pour elle et soixante-cinq ans pour lui, ils étaient tous les deux reconnus dans leur art, mais après plus de deux décennies de vie commune, n’habitaient plus ensemble. En lisant ce récit, qui est aussi celui d’une époque et d’un lieu − Pigalle − on peut s’émerveiller de la durée d’un attelage aussi improbable, d’abord physiquement, ensuite par les origines culturelles et religieuses des deux protagonistes, enfin par l’exigence absolue de mettre l’art et la création au-dessus de tout le reste. Elle était minuscule, il était grand et fort : un ogre, que la petite Clarisse nourrissait (grâce à son salaire de professeur d’anglais) sans pouvoir combler la béance affective qui le minait. Il produisait des toiles monstrueuses, barbares, picaresques qu’elle couvait comme ses poussins. Ils ont connu les plus grands génies de l’époque et n’ont pas manqué d’opportunités pour publier ou exposer, preuve que leurs talents fascinaient, mais ils sont restés rue de Clichy. Robert était plus transgressif artistiquement que Clarisse qui écrivait de façon assez classique. En fait, elle aimait la transgression chez les autres, d’où ses passions pour une faune hétéroclite et souvent peu recommandable. Surtout, ils étaient « difficiles », exclusifs, vite fâchés, méprisant la reconnaissance et l’argent tout en les désirant désespérément. Servi par une écriture précise et élégante, Elie Robert-Nicoud retrace leurs parcours hachés, douloureux, où Clarisse parvient à contenir la violence intérieure de Robert au prix d’amères frustrations, trouvant la reconnaissance dans l’écriture, mais pas au niveau souhaité : est-ce qu’un artiste, quel qu’il soit, reçoit jamais la reconnaissance qu’il attend ? L’auteur trouve la distance nécessaire pour détricoter le roman familial, ou ce qu’il en a reçu. Citons ce passage sur les Juifs des Balkans, supposés avoir vécu dans une Espagne de rêve jusqu’en


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